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Groupe de recherche et dtudesur les transformations socialeset
conomiques
CAHIERS DU GRTS NO14
La causalit dans la Thorie gnrale de John Maynard Keynes
Ianik Marcil
Dpartement des sciences conomiquesUniversit du Qubec Montral
GRETSGroupe de recherche et dtude sur les transformations
sociales et
conomiques
Novembre 1993
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La causalit dans la Thorie gnralede John Maynard Keynes
IANIK MARCIL*
[O]ur ordinary description of nature, and the idea of exactlaws,
rests on the assumption that it is possible to observe
the phenomena without appreciably influencing them. [...]The law
of causality, because of its very nature, can only be
defined for isolated system, and in atomic physics
evenapproximately isolated systems cannot be observed.
Werner Heisenberg1.
Spinoza2.
Le pre de John Maynard Keynes, John Neville, crivait dans son
clbre
ouvrage de mthodologie: (J. N. Keynes, 1890, 176). Cest
galement, du reste,
lavis de beaucoup de scientifiques de toutes disciplines, dont
lconomique. Par
contre, daucuns semblent croire que le principe de causalit a t
vacu du discours
thorique de la science conomique ou mme de la physique3.
Ce problme de la causalit a pourtant une prennit dans lhistoire
de la
science et de la philosophie que peu de questions ont lhonneur
davoir. DAristote
Russell ou Wittgenstein en passant par Hume, il prsente une
difficult
pistmologique des plus aigus. Nous allons ici nous intresser au
traitement que
Keynes fait de la causalit dans sa Thorie gnrale de lemploi, de
lintrt et de la
monnaie (1936), et de lutilit que cette question peut avoir dans
la comprhension
des dbats conomiques contemporains. Mais, comme son approche
nest ni claire ni
* Dpartement des sciences conomiques, Universit du Qubec
Montral. Je remercie GillesDostaler et Claude Fortin, pour leurs
commentaires sur des versions prliminaires de ce travail.
1. (1930), in James R. Newman (1956, t. 1, 1029 et 1031).
2. Lthique (1677), in uvres compltes, Paris: Gallimard (Pliade),
1954, 350.
3. Par exemple, Paulr (1985, 11) pour lconomique, et Russell
(1912-13, 1) pour la physique.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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explicite dans ce volume, nous devrons visiter dautres
textes.
Nous allons dabord examiner les thses dveloppes par Keynes au
sujet de la
causalit, prise en gnral. Ces ides se trouvent prcises deux
endroits: dans un
manuscrit important de sa jeunesse, non encore publi, rapport
par divers auteurs4, et
dans une note contenue dans son Treatise on probability (1921).
Nous mettrons ces
concepts en rapport avec ceux labors par les intellectuels
proches de Keynes lors de
sa formation mathmatique et philosophique au dbut du sicle,
particulirement
George Edward Moore, qui eut sur le futur thoricien de lconomie,
comme on le
sait, une influence dterminante. Cest aprs cet examen que nous
pourrons tudier
avec plus de dtails le contenu causal de la Thorie gnrale. Nous
serons alors en
mesure de voir, comme du reste de nombreux ouvrages et articles
lont montr depuis
quelques annes5, que ltude des conceptions logiques ou
mathmatiques de la
probabilit et de la causalit sont une des clefs de lecture les
plus utile pour
comprendre la Thorie gnrale, et pour en apprcier la structure
complexe.
Aprs ce tour dhorizon de la Thorie gnrale, nous tudierons
brivement
quelles autres conceptions de la causalit les conomistes ont
mises de lavant ces
rcentes annes. Lexamen de ces dbats, souvent forts abstraits et
limits
lconomtrie, nous aidera faire ressortir les particularits et
similitudes entre les
ides de Keynes et celles de ses adversaires et disciples sur
cette question. Dans la
dernire partie de notre travail, en conclusion, nous essaierons
de voir quelles
pourraient tre les leons tirer des conceptions labores par
Keynes sur le principe
de causalit liant les divers concepts mis en place dans la
Thorie gnrale, la fois
pour clairer ces dbats contemporains et pour mieux comprendre
luvre mme de
Keynes.
4. Par Anna Carabelli particulirement, qui mentionne un ensemble
de notes manuscrites runies sousle titre Induction, causation and
hypothesis, comprennant deux notes ayant pour titre et ;
cesmanuscrits dateraient de 1905-06, environ, et faisaient partie
du fonds de la Marshall Library, Cambridge, maintenant dmnag la
Kings College Library (Carabelli, 1985, 154; 1988, 91-2, 305).
5. Entre autres, les volumes suivants: Bateman et Davis (1991),
Crabtree et Thirwall (1980), Carabelli(1988), Lawson (1985), Mini
(1991), ODonnell (1989), ODonnell (1991) et Vercelli (1991).
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
3
I
Des travaux drudition rcents ont mis en lumire la grande
richesse et
limportance fondamentale des crits philosophiques et
mthodologiques de Keynes
pour la comprhension des fondements de sa thorie conomique.
Ltude des
conceptions de la causalit chez Keynes sera claire par lexamen
du Treatise on
probability (Keynes, 1921) et dun texte posthume important de
1938, (id., 1938).
Le Treatise, mal connu des conomiste jusqu une poque rcente, est
une uvre
fondamentale dans lhistoire de la philosophie des mathmatiques
et de la
probabilit6. crit en 1921, il a t rdit plusieurs fois et traduit
en allemand7. Si
son importance fut grande pour les mathmatiques et la
philosophie, elle ne le fut pas
moins pour son auteur. En effet, Keynes y travailla sur une
priode denviron quinze
ans (de 1905 1921); cet gard, le travail sur les questions de
probabilit ncessita
au moins autant dnergie que celui sur la Thorie gnrale.
Tout le Treatise sarticule autour dune conception pistmologique
ou
cognitive de la probabilit. Keynes, dans son ouvrage, distingue
la probabilit
logique, qui est lobjet de son tude, de la probabilit
scientifique (Lawson, 1985,
117), conception courante applique au monde rel. Toutefois, la
relation de
probabilit keynsienne demeure mi-chemin entre la proposition
subjective (o la
probabilit dun vnement nest que le produit de lintellect de
lagent) et la
proposition objective (o la probabilit dun vnement est un fait
de la nature, de la
chose observe). Lobservation du monde extrieur est ncessaire la
construction
6. Sa position dans les Collected writings est significative:
bien que les diteurs aient voulu conserverun ordre chronologique
pour les livres publis par Keynes (tomes 1 7), le Treatise (vol. 8)
parataprs la Thorie gnrale (vol. 7), alors que lordre chronologique
aurait ncessit quil fusse placentre les volumes 2 et 3. Une mesure
de limportance de Keynes dans lhistoire des mathmatiques estla
prsence dun extrait du Treatise (prcisment le chap. 26) dans une
grande anthologie universelledes 133 textes mathmatiques les plus
significatifs, en quatre volumes et 2500 pages, parue en 1956
etrdite en 1988 (Newman 1956, vol. 2, 1339-51).
7. Le Treatise a t dit en 1921, 1929, 1951, 1952, en
Angletterre, et en 1921, 1950, 1962 et 1979aux tats-Unis. Une
traduction allemande est parue en 1926, sous le titre ber
Wahrscheinlichkeit,chez Johann Ambrosius Barth, Leipzig, trad. de
F. M. Urban. Une traduction japonaise taitannonce en 1989, Tokyo,
chez Toyo Keizai Shinpo-sha (Keynes, Collected writings, v. XXX,
1989,32-3).
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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dune proposition de probabilit, mais laction de lagent sur cette
observation lest
tout autant. Nous pouvons penser ds lors que la conception de la
causalit
keynsienne sera relie ces ides, la situant entre celles de David
Hume et
John Stuart Mill. En effet, les positions de ces deux grands
philosophes (qui ont,
comme on le sait, influenc profondment la pense conomique)
sopposent dans
leur conceptions de la causalit, dans la dialectique
subjectif/objectif; Mill (1843) se
distinguait de Hume (1748), en proposant une reprsentation
objective de la causalit,
indpendante de lagent, alors que la conception, rvolutionnaire,
de Hume mettait de
lavant une thorie parfaitement subjective de la causalit, cette
relation tant issue de
lhabitude de lagent observer la coexistence rcurrente de
certains vnements.
Anna Carabelli (1985, 151) explique cette tension par le rejet
de lempiricisme et du
rationalisme par Keynes, entre Mill et Hume, illustr par un
.
Les ides keynsiennes sur la probabilit ne peuvent se comprendre
qu partir
des concepts de niveau des connaissances disponible, de
conception subjective du
monde extrieur par les agents, et de conviction rationnelle
(rational belief). En
effet, la probabilit keynsienne est un argument relationnel
logique entre des
propositions (il ne sagit donc pas dun lien ontologique, mais
bien dun lien formel,
logique). Keynes spcifie que ce lien stablit entre des
propositions, et non pas entre
des vnements (1921, 5). De l, cette conception de lesprit est
fonction du niveau
des connaissances disponible au moment de la production de la
relation logique. Une
relation de probabilit simple se dcrit comme suit: lagent
dispose dun ensemble de
propositions h comme prmisses, et dun ensemble de propositions a
comme
conclusion, alors la connaissance de h justifie une croyance
rationnelle dans a, de
degr , nous pouvons dire quil y a une relation de probabilit
(probability-relation)de degr entre a et h8 (Keynes, 1921, 4).
Cette croyance rationnelle est donc lactesubjectif de lagent dans
la construction de la probabilit tablie entre les propositions
(tout en conservant le lien objectif liant les choses du monde
aux propositions).
Nous voyons bien dans cette citation que le niveau de
connaissances au
8. Let our premisses consist of any set of propositions h, and
our conclusion consist of any set ofpropositions a, then, if a
knowledge of h justifies a rational belief in a of degreee , we say
that there isa probability-relation of degree between a and h.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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moment de llaboration de la relation est dterminant (la
connaissance de h), et que
ltablissement du lien est bas sur la croyance rationnelle que
lagent a de cette
relation. Nous pouvons affirmer avec assurance que Keynes a bti
son explication de
la causalit sur ces mmes fondations. Carabelli (1988, 89) prcise
que lide de
relation causale est rcurrente travers tout le Treatise, mais on
nen verra une
rfrence explicite que dans une note la fin de la troisime
partie. Bien quil crive
la page 182 quune conception de la causalit relie la possibilit
et qui
demeurerait rfre des ides obscures, nous voyons dans cette note
une claire
explication de lide de causalit. Mais avant den entreprendre
ltude, il est
ncessaire de mentionner que lauteur considre importante lexacte
dfinition
apporter la notion dindpendance, tudie au chapitre 16. Ainsi,
pour Keynes, la
relation de probabilit doit tre entendue non pas comme une
causalit directe, o des
vnements sont empiriquement et ncessairement relis, mais comme
une relation
entre des propositions qui seraient dpendantes de la
connaissance (dependant for
knowledge). Ainsi, cest la connaissance du lien probable qui
importe9.
Pour expliquer de faon plus approfondie ces lments, il importe
de tenir
compte dun texte dans lequel Keynes ne discute ni des
probabilits, ni de logique, et
surtout pas dconomie (Keynes 1938). Il sagit dun texte, publi
aprs sa mort (en
1952), et dont lecture fut faite par lauteur devant le
Bloomsbury Memoir Club en
1938, un club qui runissait tous les amis du Bloomsbury des
annes vingt et trente.
Keynes y exprime ses idaux et la philosophie qui animait le dbut
de sa vie
intellectuelle, dans le Cambridge du dbut du sicle. Sa lecture
nous apprend
linfluence dterminante du philosophe G. E. Moore dans le
dveloppement
intellectuel de Keynes, principalement travers la publication
des Principia ethica
(1903).
Cet ouvrage, uvre dun des fondateurs de la philosophie
analytique, est un
trait de morale, et non de logique. Mais certains concepts de
logique y ont une
9. two events are not independent for knowledge merely because
there is an absence of direct causalconnection between them; nor,
on the other hand, are they necessarily dependent because there is
infact a causal train which brings them into an indirect
connection. The question is whether there is anyknown probable
connection, direct or indirect. (Keynes, 1921, 182).
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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importance marque, dont on retrouve la trace dans les travaux de
Keynes. Ainsi du
principe dunit organique et de causalit morale. Moore examine
dans son travail les
trois questions de la morale, savoir: (i) quelle est la nature
du bon10, (ii) quest-
ce qui est bon en soi, et (iii) que devons-nous faire? Nous
reconnaissons dans cette
dernire question la question classique de la morale, et une des
trois questions de la
philosophie pour Kant. Chez Moore (en cela oppos la conception
kantienne de la
morale), elle reprsente le point de vue empirique de
linterrogation morale. En effet,
si les deux premires questions pouvaient trouver rponse dans le
raisonnement et la
logique, la dernire doit sappuyer sur une enqute. Cette enqute
cherche
dterminer quelles actions sont bonnes, en sappuyant sur les
effets quelles
produisent. Alors que la seconde question cherche dterminer la
valeur dun
vnement ou dun acte isol, la troisime interroge les causes de
nos actes, et lie la
valeur des causes celle des effets11.
Mais ce calcul des valeurs relatives des actions doit tre clair
par le concept
dunit organique mis de lavant par Moore, et dont Keynes affirme
limportance
pour la construction de ses premires convictions, dans son texte
de 1938.
Grossirement, ce concept affirme le privilge dune apprhension
holiste des choses
et particulirement de lvaluation des actes, o la valeur dun tout
organique
ngale pas ncessairement la somme des valeurs de ses parties
(Moore, 1903, 36).
Lauteur mentionne par ailleurs que la relation tablie par le
principe dunit
organique entre le tout et ses parties nimplique pas de lien
causal entre les parties de
ce tout12. Donc, cest en ce sens quil faut comprendre
limportance de la causalit
10. Nous traduisons good par bon, croyant ainsi conserver la
neutralit du terme, qui nous sembleperdue si on le traduit par le
mot bien, avec lequel sopre un glissement smantique vers une
relationdopposition ou de comparaison entre les termes qui lui sont
adjoint, par rapport un idal, parexemple. Du reste, nous suivons en
cela Franoise Armengaud qui a traduit un certain nombre detextes de
Moore en franais, la seule traduction franaise de cet auteur, notre
connaissance (cf.Armengaud, 1985).
11. It introduces into Ethics, as was there pointed out, an
entirely new question - the question whatthings are related as
causes to that which is good in itslef; and this question can only
be answered byan entirely new method- the method of empirical
investigation; by means of which causes arediscovered in the other
sciences. (Moore, 1903, 88, 146).
12. I shall use it to denote the fact that a whole has an
intrinsic value different in amount from the sumof the values of
its parts. I shall use it to denote this and only this. The term
will not imply any causalrelation whatever between the parts of the
whole in question. And it will not imply either that the parts
...
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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des actes chez Moore: la valeur de nos actes ne peut tre
dtermine quen tenant
compte de la valeur globale des effets, et la valeur des actions
nintervient que peu
dans lensemble. Ainsi, Moore est proche de Russell, qui ne voit
dans le principe de
causalit quune activit de lesprit, une organisation
intellectuelle de lobservation
empirique, une forme dinduction (Russell, 1912-13, 24); en
ralit, il considre la
causalit comme (id., 1).
On doit noter que le principe dunit organique est de premire
importance dans
luvre de Keynes. Nous verrons la prochaine section que la Thorie
gnrale est
un systme complexe de relations multiples entre divers concepts.
Ces concepts, ces
lois, ces principes de fonctionnement des parties du systme
conomique sont
relies au comportement de lensemble, mais les variables
conomiques globales ne
sont pas la sommation simple des lments constitutifs.
La conception keynsienne de la causalit tirera sa source de tous
les concepts
que nous venons dnumrer. La causalit sera influence par le
niveau de
connaissance disponible de lagent au moment de lvaluation de
leffet probable
dune cause quelconque. Mais, il faut bien conserver lesprit quil
sagit ici aussi
dune relation formelle entre propositions, situe dans ce lieu de
tension entre
lempiricisme et le logicisme. Dans un manuscrit non publi,
Keynes mentionne
quon doit distinguer la cause dune base (ground - terme
difficilement traduisible),
le premier faisant rfrence la causa essendi () et, la seconde,
la causa cognoscendi
() classique13, distinction souligne dans le Trait de
probabilit, o la premire est
dite une relation dindpendance de la causalit (causally
independent) et la seconde
dindpendance par la probabilit (independent for probability),
celle-ci sappliquant
aux conceptions de lauteur (Keynes, 1921, 308). Ainsi, lanalyse
de la cause est
are inconceivable except as parts of that whole, or that, when
they form parts of such a whole, theyhave a value different from
that which they would have if they did not. Understood in this
special andperfectly definite sense the relation of an organic
whole to its parts is one of the most important whichEthics has to
recognise. A chief part of that science should be occupied in
comparing the relativevalues of various goods; and the grossest
errors will be committed in such comparison if it be assumedthat
wherever two things form a whole, the value of that whole is merely
the sum of the values of thosetwo things. (22, 36).
13. Cit par Carabelli (1985, 154), manuscrit titr , MSS,
MLC.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
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intimement relie au niveau de notre connaissance14.
partir de ces conceptions gnrales, Keynes fonde sa conception de
la
causalit en distinguant diffrents types de connexions causales.
Cet exercice de
nomenclature distingue neuf classes de dpendances causales entre
des propositions
(vnements), exprimes par une fonction de probabilit de type
(a/h=) (Keynes,1921, 307). Ces connections causales sont toujours
tablies en fonction du niveau
(quantit) des connaissances disponibles. Une dixime proposition
exprime labsence
de lien causal entre deux vnements, montrant que la possibilit
dtablir un lien de
dpendance causale entre deux vnements est fonction de la quantit
de nos
connaissances15. Ainsi, nous serons en mesure dvaluer la qualit
de la connexion
causale (leur dpendance ou leur indpendance causale) entre deux
propositions selon
le niveau de connaissance que nous possdons.
En conclusion, la causalit liant deux propositions sera toujours
fonction dun
degr de probabilit et de connaissance; comme lcrivait
Wittgenstein: La
connaissance que nous avons de cet vnement futur, en tant que
reli certains
vnements passs est fonction de la probabilit que nous
affecterons cette
ventualit, et de lexprience doccurrences passes du mme vnement.
Cest
donc l lessentiel des conceptions philosophico-logiques de
Keynes ce propos.
II
Dans son ouvrage, Paulr (1985, 76) prsente une utile
schmatisation de la
Thorie gnrale, que nous reproduisons lannexe 2. Sa conception
synthtique
rpartit en trois catgories les diverses variables intervenant
dans la chane causale
multiple: les variables psychologiques, qui sont les premires
causes des variations
14. (Keynes, 1921, 306).
15. (Keynes, 1921, 307).
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
9
des variables relles, les variables indpendantes, qui aussi
influencent les variables
relles, mais ne sont pas dordre psychologique, et finalement les
variables
dpendantes, prisonnires dun systme causal ferm. Afin de montrer
la rcurrence
du thme de la causalit, nous avons relev tous les passages o un
mot de la famille
de cause (causal, causality, etc.) apparaissait dans le texte de
la Thorie gnrale
(cf. annexe 1). Sont exclus de cette liste tous les autres
termes parents (effet, etc.) ou
les locutions synonymes. Malgr ces restrictions, la liste est
impressionnante. Le
tableau illustre une caractristique de louvrage: linteraction
constante entre les
divers lments, limbrication hautement complexe des niveaux de
causalit dans
luvre. Cest dailleurs ce qui en rend la lecture difficile,
lauteur prsentant
continuellement de nouvelles causes agissant sur les variables
tudies. De plus, ce
tableau montre limportance de lanalyse causale en conomie pour
Keynes. Ce nest
pas lobjet de notre travail danalyser une une les occurrences de
liens causals dans
la Thorie gnrale, mais quelques points se doivent dtre soulevs
pour en bien
faire le tour.
Dabord, et cest fondamental, il faut remarquer lextrme
enchevtrement du
systme causal de Keynes. En effet, son ouvrage doit tre lu comme
un tout
complexe, et, en conformit avec lapproche holiste de Keynes, nen
pas sparer les
diffrentes parties le composant. Nous pouvons illustrer cette
ide de tout indivisible
par un petit ajustement lillustration du schma de Paulr, en
annexe 2. Si nous lui
adjoignons, comme nous lavons fait, un lien causal supplmentaire
allant des
variables dites indpendantes et dpendantes aux variables
psychologiques
fondamentales, nous ajoutons une circularit aux diverses causes.
Les changements
dans les variables psychologiques causent des mouvements sur les
variables
indpendantes, puis sur les variables dpendantes, et les
variations dans ces deux
dernires leur tour modifient le comportement des variables
psychologiques. De
sorte que nous obtenons un schma global semblable celui que nous
prsente
Paulr, mais o diffrentes causes agissent simultanment, ou
successivement pour
donner diffrents effets qui auront leur tour des effets sur les
premires causes.
En effet, le schma original vacue lide voulant que chaque
rsultat des
actions des agents (i.e. toute variation dans les variables
dpendantes) aura un effet
sur les facteurs psychologiques, particulirement les
anticipations long terme.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
10
Ainsi, les facteurs psychologiques sont sans cesse rajusts et
gard aux conditions
de lenvironnement conomique des agents. Or, Paulr emprisonne les
liens de
causalit dans lunidirectionnalit16. Cest par ailleurs ici que la
citation
dHeisenberg en exergue prend son sens. Le principe dit
dincertitude quil a invent
au dbut des annes trente stipule quil est impossible de connatre
simultanment la
vitesse et la position dune particule quantique. De plus, il
montre galement que
lobservateur a toujours un effet perturbateur sur lobjet tudi.
Ainsi lide de cause
perd de sa force par linfluence qua lobservateur sur les liens
entre vnements. Or,
cest une ide quon retrouve chez Keynes: les sciences du social
ont cette
particularit dtre labores par des agents qui sont lobjet mme de
ces sciences.
Consquemment, laction des agents sur les variables dpendantes et
indpendantes,
et linfluence des conomistes, par exemples, sur ces
comportements, justifie la bi-
directionnalit que nous avons ajout au schma original17.
De plus, au quatrime chapitre de la Thorie gnrale, qui sintresse
au ,
Keynes apporte une prcision importante quant la place de la
causalit en
conomique. Il oppose en effet lanalyse historique ou statistique
lanalyse
thorique. Ainsi, dans lconomie descriptive, des concepts comme
la production
relle nette et le niveau gnral des prix sont utiles. Mais dans
la thorie, ils sont
inoprants parce que leur contenu est trop vague, et ne rpond pas
un degr de
prcision assez lev, qui est essentiel pour lanalyse causale:
(Keynes, 1936, 4018).
On trouve donc ici une distinction fondamentale entre la mesure
statistique et la
thorie conomique. Pour Lawson (1985), lopposition de Keynes
lconomtrie
sexplique par ses conceptions philosophico-logiques; on en
trouve ici lillustration.
En effet, Keynes ne se satisfait que dune analyse holiste, qui
rponde du principe
dunit organique, selon lequel les diffrents lments formant un
tout nont pas
16. Le rsultat de notre petite modification peut aussi sobtenir
en rempalant les flches unidirection-nelles par des flches
bi-directionnelles ( ).17. Inutile de rappeler linfluence de Keynes
dans la gestion conomique de son temps.
18. Nous avons cit le passage de la traduction franaise de Jean
de Lagentaye: John Maynard Keynes,Thorie gnrale de lemploi, de
lintrt et de la monnaie, Paris: Payot, 1988, 65.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
11
ncessairement de lien causal entre eux. Nous pouvons alors mieux
expliquer les
paradoxes quon a voulu voir dans la thorie keynsienne, en plus
dapprcier la
finesse de ses raisonnements. Ainsi, si dans la Thorie gnrale
linvestissement est
la cause de lpargne et une des causes de la croissance, il nen
demeure pas moins
quen pratique, la statistique et la comptabilit doivent sajuster
aux divers concepts
keynsiens et aux liens quils possdent entre eux. Keynes ne niant
pas lutilit de la
mesure statistique pour certains travaux, doutera peut-tre de la
lgalit de son
utilisation pour vrifier ou confirmer une thorie, par crainte de
soumettre ce tout
thorique une dcomposition en morceaux par la statistique. Du
reste, juger des
positions de Keynes face lconomtrie ne sont pas une mince
affaire19; noublions
pas quil fut prsident de la Socit dconomtrie, quil a particip la
fondation
dune quipe de travail en conomie applique Cambridge, et que,
avec ses
disciples, il a grandement contribu la mise en place des systmes
modernes de
comptabilit nationale.
Nous avons vu que les diffrents travaux effectus sur la causalit
en conomie
se rfraient tous des concepts issus des statistiques ou de
lconomtrie (ou bien
taient compltement dtachs de lanalyse conomique). Ainsi, on
peut
difficilement analyser la Thorie gnrale partir dun schma
participant de
corrlations et de tests sur des sries chronologiques. Keynes
nacceptera pas non
plus de considrer une analyse de la causalit entre les vnements,
mais sen tient
dans la Thorie gnrale une analyse formelle entre propositions.
Propositions qui
ont un cadre dtermin (ce ne sont pas des variables totalement
libres), mais qui ne
rfrent pas directement aux vnements. Cest le sens de son
opposition aux
analyses statistiques et conomtriques, opposition difficilement
cernable, car
dtermine par la tension existant entre son anti-empiricisme et
son anti-logicisme. Il
importe alors de faire de la Thorie gnrale une lecture globale,
de reconstruire le
casse-tte partir dun point de vue gnral et non pas sen tenir
lanalyse dun
19. Voir ce sujet les contributions clairantes de Wren Lewis
(1985), Lawson (1985) et Pesaran etSmith (1985). Dans sa
controverse clbre avec Tinbergen, dans laquelle on voulu voir
unecondamnation de lconomtrie par Keynes, il semble terminer son
article par un espoir damliorationde cette alchimine, qui deviendra
peut-tre une nouvelle science: (Keynes, 1939, 318) (Keynes,
1940,320).
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
12
lment particulier la composant. Les liens de causalit ne
pourront jamais tre
dduits de luvre de Keynes partir de concepts comme la
corrlation, car ils seront
toujours fonction du niveau de connaissances disponibles, ces
connaissances ne
sidentifiant prcisment pas aux sries statistiques, mais bien
plus des
constructions thoriques rigoureuses. La Thorie gnrale ne serait
donc pas
universelle, et si Keynes lavait crite cinquante ans avant ou
aprs, elle aurait t
diffrente, et fonction de la connaissance disponibles ce
moment20.
III
Les conomistes contemporains ont publi depuis les annes
cinquante un
certain nombre de rflexions sur le problme de la causalit. Ce
sont ces travaux que
nous tudierons brivement dans cette section, notre objectif tant
de voir comment
les conceptions de Keynes peuvent encore clairer les thories qui
lont suivi.
Ce furent dabord les travaux du prix Nobel 1978, Herbert A.
Simon, publis au
dbut des annes cinquante (1952, 1953, 1954), et considrs autant
par les logiciens
que par les conomistes comme un apport important la question. la
mme poque
paraissaient des articles de Guy H. Orcutt (1952), prsentant une
analyse formelle et
philosophique, et de H. Wold (1954), dsirant appliquer les liens
causals en
conomtrie. Les travaux dOrcutt eurent une influence moindre que
les deux autres,
si lon considre le peu de rappropriation de ses ides par les
auteurs subsquents.
Par contre, ses articles demeurent une rfrence oblige dans le
domaine. Ceux de
Wold, toutefois, donnrent lieu de nombreuses applications (par
exemple, Wold
1964) et furent dvelopps en relation troite avec H. A. Simon,
chacun enrichissant
20. But I consider that my suggestions for a cure, which,
avowedly, are not worked out completely,are on a different plane
from the diagnosis. They are not meant to be definitive; they are
subject to allsorts of special assumptions and are necessarily
related to the particular conditions of the time. But mymain
reasons for departing from the traditional theory go much deeper
than this. They are of a highlygeneral character and are meant to
be definitive. (Keynes, 1937, 221-2) Il faut toutefois noter
ltroiteliaison qui existe entre thorie et politique conomique, a
fortiori dans luvre de Keynes.
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
13
lanalyse de lautre, dans une espce de symbiose. Puis, la fin des
annes soixante vit
paratre deux articles dans la revue Kyklos sur le problme de la
causalit par G. Garb
(1964) et J. L. Simon (1970), qui furent les premires analyses
mthodologiques du
problme, o furent examines les relations causales telles
quutilises par les
conomistes, tude poursuivie par Hicks une dizaine dannes plus
tard (1979). Entre
la publication des deux articles du Kyklos, paraissait un
article discret qui allait avoir
des effets importants par la suite, celui de C. W. J. Granger
(1969). Il proposait une
toute nouvelle approche pour ltablissement dun lien causal entre
des sries
chronologiques en conomtrie. Ses mthodes allaient tre reprises
dans de
nombreux travaux21.
Lapport dcisif de H. A. Simon fut dabord prsent aux philosophes,
dans une
des grandes revues acadmiques de cette discipline22. Son
approche globale et
loriginalit de son tude rside dans le fait quil conoive la
causalit comme un
processus croissant de gnralisation, au fur et mesure de la
confirmation de la
validit des liens causals, rpondant en cela de la dmarche
classique de la science;
ce que Walliser et Prou (1988, 315) appellent une causalit
verticale, superposant
diffrents niveaux de causalit horizontale entre des lments
finis. Sa recherche
sinscrivant dans le cadre de lconomtrie, Simon construit un
systme formel,
logique (et non ontologique cest--dire une relation logique
pure, un acte de
lintellect, nayant aucun lien avec une causalit qui existerait
en soi dans le monde),
de relations asymtriques, pas ncessairement assimilables la
succession
chronologique (Simon, 1953, 517-8). Tout contenu smantique est
donc retir de la
relation (Paulr, 1985, 161).
Simon insiste sur deux points importants: lasymtrie et
lordonnancement de la
succession. Il cherche viter la corruption de la causalit par la
ngation dune
relation, qui en inverse alors faussement le sens, cest--dire
que lquivalence
21. Zellner (1979a, 1979b et 1988; cf. Sims, 1979 et Nelson,
1979) ainsi que Pierce et Haugh (1977)offrent un survol des
applications conomtriques des diffrents points de vue numrs (le
premiercritiquant svrement la causalit Granger dans ses fondements
philosophiques). Hoover (1990), quant lui, revoie les implications
formelles des mmes thories; son article fait un tour complet de
laquestion. Voir Vercelli (1991, 106-114) qui analyse les
conceptions probabilistes.
22. On trouve une parent danalyse, davantage dveloppe au point
de vue formel, chez Davis (1985).
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
14
suivante soit illgale:
x[R(x) S(x)] x[S(x) R(x )] (1)
(Simon, 1968, 35223). Autrement dit, on ne veut pas quune
relation causale entre
deux propositions (si R(x), alors S(x)), valable pour tout objet
concern par la relation
(tout x), soit quivalente sa ngation (si on a pas S(x), alors,
on a pas R(x)), ce qui
est une faute logique, puisquil est possible de ne pas observer
un effet dune cause,
sans sassurer que la cause na pas t effectivement ralise (si
leffet nest pas un
effet ncessaire de cette cause, mais, par exemple, lest dune
probabilit
quelconque). On remarque que Burks (1951), dans une contribution
qui fut largement
commente, essaie dexprimer dans le cadre de la logique le
concept de causalit,
mais son difice permet une fausse conclusion telle que celle
illustre dans la
proposition (1).
En fait, on cherche tablir une relation causale universelle sur
la prdication
dun mme sujet qui peut se transformer de faon quivalente en une
disjonction
particulire entre la ngation de la premire et laffirmation de la
seconde, ce qui
permettrait de rendre le lien causal plus manipulable par
lanalyse mathmatique (la
solution est binaire); i.e. on cherche obtenir:
x[R(x) S(x)] x[R(x) S(x)] (2)
Lobjectif est de ne pas avoir la possibilit de revenir, partir
du membre de droite de
lquation (2), une nouvelle implication causale qui en
inverserait le sens comme
cest le cas dans lquation (1). Autrement dit, notre relation (si
R(x), alors S(x)) doit
23. Parce que la disjonction est commutative et que limplication
ne lest pas, il est juste de driver:
x[R( x) S(x )] x[R(x ) S( x)] x[S( x) R( x)] x[S( x) R(x)]
Il est donc permis, avec ce type dimplication, de dire que sil a
plu beaucoup, il y a une grande rcolte,qui est quivalent dire que
sil ny a pas une grande rcolte, cest quil na pas plu
beaucoup(exemple de Simon).
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
15
tre quivalente la proposition (ou bien on a S(x), ou bien on a
pas R(x)), ce qui est
rigoureusement logique, puisque ltat que nous observerons sera
ou bien lexistence
de leffet, ou bien labsence de la cause.
Simon solutionne le problme en faisant intervenir la thorie
scientifique (par
opposition une simple mesure empirique), qui elle seule peut
dcider de
lordonnancement unidirectionnel de la causalit, et, en fait,
dtablir la direction bi-
ou univoque, et en donnant le privilge la relation causale
elle-mme plutt quaux
termes. Son projet tant de rendre oprationnel en conomtrie le
principe de
causalit, il construit un systme complexe dquations qui est le
driv de la
mthode dite de la troisime variable. Cette mthode consiste
introduire une
troisime variable dans un systme corrlatif deux variables, de
faon pouvoir
identifier si cette troisime variable influence la corrlation
entre les deux premires,
et ainsi confirmer ou mettre en doute le lien causal unissant
les deux grandeurs
intressantes.
Lanalyse de Wold sintresse davantage la causalit
unidirectionnelle et
synchronique (cest--dire la simultanit temporelle de la cause et
de leffet). Son
approche a un lien de parent avec un test de causalit trs utilis
en conomtrie, le
test de Granger24. Les deux analyses portent sur lvaluation
causale dune
corrlation conomtrique, ce qui les rend parentes. Le premier
rfre une situation
dexprimentation, o lobservateur contrle un vnement pour en
observer leffet.
Son oprationnalit en conomtrie est donc trs limite (elle
sappliquerait mieux au
sciences naturelles exprimentales), et cest ce qui le distance
de H. A. Simon, dont le
souci a toujours t de rendre applicables ses principes. Granger,
par contre, cherche
augmenter le niveau de certitude (la puissance prdictive) des
corrlations obtenues
par rgressions statistiques (donc une qute dun degr de
probabilit plus lev) par
une double corrlation des variables. Ce qui loblige ne considrer
quune causalit
unidirectionnelle et diachronique (succession temporelle), et le
rsultat, ce nest pas la
24. Cf. Granger (1980) et (1987) pour une prsentation synthtique
de largument; elle se rapprocheconceptuellement de celle de Wold,
et napporte pas beaucoup de matriau thorique intressant notresujet.
Les deux approches (Wold et Granger) sont considres
instrumentalistes par Walliser et Prou(1988, 317), au sens
friedmanien du terme.
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
16
preuve de la prsence de causalit, mais plutt un test de la
(Malinvaud, 1991, 376).
Son test sassimile alors de la prvision rtroactive sur les
donnes passes
(Granger, 1980, 334; 1987, 381)25.
Les autres tudes dveloppes sur le sujet se contentent de faire
une analyse des
conceptions amenes par les conomistes dans leurs travaux. La
plus clbre, celle
de Hicks (1979, 1984) (Addison et al. 1984, 10). Lexercice de
Hicks en est un de
classification et de nomenclature (cf. 1979, 15, 86). Il tente
dnumrer les diverses
conceptions possibles de la causalit, prise en gnrale. Trois
auteurs on critiqu
cette dmarche de Hicks (Addison, loc. cit.), considrant quil
navait pas rempli le
mandat quil stait fix, savoir danalyser les implications
philosophiques.
Effectivement, on peu lui reprocher dtudier la causalit en
sciences sociales comme
si elle rpondait des mmes principes quen sciences physiques, et
de ne pas
distinguer suffisamment les subtilits quon apport les divers
conomistes cette
question. Addison et al. proposent en change une analyse proche
de celles du trio
Wold-Simon-Granger, en se basant sur lanalyse de J. L. Mackie
(1965); il en rsulte
une technique proche du test de Granger, mais sans son
oprationnalit.
En rsum, ces analyses ou bien ntablissent quune dfinition gnrale
de la
causalit, sans prciser le lien troit quelle doit avoir avec son
objet, savoir
lconomie, en prsentant un modle logique dont la forme est plus
ou moins variable
dun auteur lautre (cest galement le cas de G. Garb (1964) qui
labore une
conception fort parente de celle de H. A. Simon en simplifiant
lide gnrale de
causalit), ou bien se restreignent la porte pratique,
conomtrique, du problme de
la causalit. Aucune ne sintresse clairement laborer un difice
qui sapplique
aussi la thorie conomique 26. Toutefois, comme le souligne Garb
(1964, 564), la
thorie conomique fourmille dallusions au principe causal. Et la
thorie
keynsienne serait peut-tre (Paulr, 1985, 75), comme, du reste,
nous avons tent de
le montr plus haut.
25. Pour une application rcente de la causalit Granger aux
problmes politiques et une bonneillustration de lusage quen fait
lconomie applique, cf. Ellis et Thoma (1991).
26. Cest toutefois la tentative de J. L. Simon (1970), mais dont
le travail naboutit pas une dfinitionclaire et formelle de la
causalit. Nous croyons que ltude de cette question doit pouvoir
prsenter un
...
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
17
IV
La dnaturation des ides keynsiennes, dans les diverses thories
conomiques
daprs-guerre qui se voulaient ses hritires, passe par le peu de
comprhension que
leurs auteurs ont eu de la mthode et des objectifs de la thorie
keynsienne. La
thorie gnrale qua voulu laborer Keynes ne participe pas dun
systme logique
traditionnel quon peut retrouver dans les sciences de la nature,
mais dun tout
complexe dont les lments sont interrelis. Vouloir tirer de
lorganisme que
constitue cette thorie un de ses lments, cest, conformment au
principe de lunit
organique, une tche impossible. Le fait que la thorie conomique
ft toujours et de
plus en plus attire vers un modle assimilable aux sciences de la
nature nest pas
tranger lincomprhension dont la Thorie gnrale fut victime,
puisquelle en est
totalement divergente par sa structure et sa mthode.
Ce dbat sur la causalit nest pas dimportance secondaire dans
lhistoire des
ides, dans la gense des thories et dans leur formalisation. Deux
exemples
lillustreront brivement. Dabord, le dbat sur lantriorit de
lpargne sur
linvestissement. Contre les classiques, et contre Hayek
notamment27, Keynes
affirme le sens de la causalit de linvestissement vers lpargne.
Mais classiques et
keynsiens sont daccord pour admettre lidentit comptable ex post
des deux valeurs
(EI; o E est lpargne et I linvestissement). Deuximement, les
divergencesautour de la cration montaire, endogne ou exogne, entre
les post-keynsiens et les
montaristes. Ici galement, les protagonistes reconnaissent la
validit de lidentit
comptable de la thorie quantitative de la monnaie (MVPY; o M est
la massemontaire, V la vlocit montaire, P le niveau des prix et Y
la quantit relle de
production). La bataille entre montaristes et keynsiens se
droule ici sur le champ
de la causalit encore une fois: est-ce la vlocit montaire qui
influence le niveau de
production nominale (et donc les prix), ou est-ce linverse?
Ces deux dbats se situent dans lhritage de Keynes. Ils sont le
rsultat de
cadre gnral dapplication de son concept. Il faut toutefois noter
le constatn souci de H. A. Simon tablir un lien entre le thorique
et lempirique.
27. Voir par exemple F. A. von Hayek (1931).
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
18
lassimilation dune partie de son uvre, de la renaissance de la
thorie quantitative
de la monnaie et de lapparent chec des politiques keynsiennes,
suite aux chocs
ptroliers et stagflationnistes des annes 1970. Dans la mesure o
la science
conomique contemporaine cherche constamment cautionner ses
thories par
lconomtrie, il est de la premire importance que son discours
sclaircisse sur ces
questions. Car ce que Friedman et Schwartz28 ont accompli, cest
ltablissement de
la corrlation statistique de lidentit MVPY. Lopposition entre
leurs rsultats et lesthories de Kaldor, ou de James Tobin, par
exemple29 ne sont que lexpression des
divergences sur ce lien de causalit; les confirmations
empiriques, comme celle de
Friedman et Schwartz, reposent sur des manipulations
conomtriques ralises
partir de relations de type MVPY. Le signe didentit ne permet
pas une causalitasymtrique, et les analyses de Kaldor et de Tobin
insistent justement sur labsence
de signification de lantriorit temporelle dans la dtermination
de la cause de la
demande de monnaie30.
Les conomistes mathmaticiens qui forment une grande partie des
chercheurs
dans cette discipline manipulent des quations mathmatiques
souvent sans se soucier
du lien causal quelles cherchent exprimer. Lorsquon pose une
fonction y=f(x), on
tablit que les lments de x, sont la cause de y. Mais la
manipulation de ces
formules peut facilement mener des incongruits logiques telles
que celles que nous
avons illustr dans notre quation (1), prcisment parce que le
langage
mathmatique nexplicite pas la relation causale, mais la
sous-entend (contrairement
la logique formelle). Si les mathmatiques sont un outil
intellectuel puissant, elles
nen sont pas moins dun usage dlicat. Voil, probablement, la
source de la
mfiance que Keynes avait envers leur utilisation il ne sagissait
nullement
28. Milton Friedman et Anna J. Schwartz (1963).
29. Voir par exemple Kaldor (1985) et Lavoie (1982, 198-204),
qui illustrent les positions desconomistes se rclamant du courant
post-keynsien, et Tobin (1970a et 1970b), et la rponse deFriemdan
(1970) qui illustre les conceptions des no-keynsiens. Comme leurs
noms le souligne, cescoles (qui sont du reste, comme toutes les
coles de pense, des ensembles aux frontiresmouvantes et imprcises)
se situent toutes deux dans lhritage keynsien.
30. Bien sr, Friedman affirme ce lien causal dans lexposition de
sa thorie, lorsquil fomule unefonction de lquation quantitative, du
type P=f(M, ...), o la variable dpendante P est leffet, et
lesvariables indpendantes (M, particulirement) sont les causes.
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
19
dincomptence, puisque Keynes tait mathmaticien et logicien
autant
quconomiste.
Les recherches en conomtrie thorique comme celles H. A. Simon ou
C. W.
J. Granger sont donc dune importance dterminante dans les
controverses de ce type,
puisque ces dbats se situent souvent sur le terrain de la
vrification empirique. La
lecture de la thorie keynsienne partir des textes philosophiques
et logiques de son
auteur nous permet par contre de mettre jour une mthode
radicalement diffrente
de celle de Simon ou de Wold, par exemple. Pourtant, comme
Simon, Keynes
considre la causalit comme un lien formel, sans poids
ontologique. Mais chez
Simon, son analyse complte alourdit les composantes de son
systme dune charge
smantique quelles ne devaient pas avoir au dpart, puisquil exige
de sa
construction quelle soit oprationnelle. Cest la frontire qui le
spare de Keynes.
De mme, on pourrait croire que la conception probabiliste de
Granger le
rapprocherait de Keynes, mais on se rendra compte que dune part
Granger ne
questionne pas la mesure de ses variables (il utilise
essentiellement des corrlations),
et que de plus il ne considre nullement limportance de la thorie
conomique dans
son test. Ainsi, une corrlation peut impliquer un lien de
causalit-Granger, si le
rsultat du test est positif, sans que pour autant une thorie
explicative soit ncessaire
derrire (Vercelli, 1991, 121), ce qui, nous semble-t-il loppose
fortement Keynes,
et, par ailleurs, plusieurs autres conomtriciens (Zellner,
etc.): il exprime la
possibilit du measurement without theory.
Mais lconomtrie dans son tat actuel ne peut vraisemblablement
saisir les
nuances de ce type, emprisonne quelle est dans la ncessit de
mesure (mesures qui
ne sont peut-tre pas celles appropries ltude causale), sans
compter les difficults
poses par la dfinition des concepts thoriques, et leur rapport
aux dfinitions
statistiques des mmes concepts. La redcouverte la plus riche et
la plus fructueuse
que la pense conomique pourrait faire de Keynes serait
probablement au plan de
son approche et de sa conception de la discipline. Situer
lanalyse de lconomie sur
cette corde raide entre lempirique et le logique, assimiler tout
la fois des
connaissances sur lconomie telle quelle est dans la ralit,
utiliser les relations
mathmatiques simples avec prudence, et assumer la possibilit de
construire des
difices thoriques non vrifiables par lconomtrie, cest peut-tre l
le dfi que
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
20
Keynes a lanc ses contemporains, et que peu dentre eux, ni des
gnrations
suivantes, ne comprirent.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
21
Annexe 1:
Exemples doccurrences du schma causal
dans le texte de la Thorie gnrale
page citation ch.39 4
40 their [net real output and the general price level] purpose
should be tosatisfy historical or social curiosity, a purpose for
which perfect precision -such as our causal analysis requires,
whether or not our knowledge of theactual values of the relevant
quantities is complete or exact- is neither usualnor necessary
4
57 The causal significance of net income lies in the
psychological influenceof the magnitude of V on the amount of
current consumption, since netincome is what we suppose the
ordinary man to reckon his availableincome to be when he is
deciding how much to spend on currentconsumption.
6
78 Thus Mr. Robertsons method might be regarded as an
alternative attemptto mine (being, perhaps, a first approximation
to it) to make the samedistinction, so vital for causal analysis,
that I have tried | to make by thecontrast between effective demand
and income.
7
93 8
95 8
116 10
123-4 In this event the efforts of those newly employed in the
capital-goodsindustries to consume a proportion of their increased
incomes will raise theprices of consumption-goods until a temporary
equilibrium betweendemand and supply has been brought about partly
by the high pricescausing a postponement of consumption, partly by
a redistribution ofincome in favor of the saving classes as an
effect of the increased profitsresulting from the higher prices, |
and partly by the higher prices causing adepletion of stocks.
10
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
22
136 If there is an increased investment in any given type of
capital during anyperiod of time, the marginal efficiency of that
type of capital will diminishas the investment in it is increased,
partly because the prospective yieldwill fall as the supply of that
type of capital is increased, and partlybecause, as a rule,
pressure on the facilities for producing that type ofcapital will
cause its supply price to increase
11
165 We have shown in Chapter II that, whilst there are forces
causing the rateof investment to rise or fall so as to keep the
marginal efficiency of capitalequal to the rate of interest, yet
the marginal efficiency of capital is, initself, a different thing
from the ruling rate of interest.
13
171
172
173
As a rule, we can suppose that the schedule of
liquidity-preferencerelating the quantity of money to the rate of
interest is given by a smoothcurve which shows the rate of interest
falling as the quantity of money isincreased. For there are several
different causes towards this result.(description des diverses
causes sans loccurence, sauf dans le cas suivant:)
13
198 15
200 15
201 15
250 18
254 even those degrees of recovery and recession, which can
occur within thelimitations set by our other conditions of
stability, will be likely, if theypersist for a sufficient length
of time and are not interfered with by changesin the other factors,
to cause a reverse movement in the opposite direction,until the
same forces as before again reverse the direction
18
269 19
300 21
301 21
318 22
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
23
322 The boom which is destined to end in a slump is caused,
therefore, by thecombination of a rate of interest, which in a
correct state of expectationwould be too high for full employment,
with a misguided state ofexpectation which, so long as it lasts,
prevents this rate of interest frombeing in fact deterrent.
22
329 22
331 The agricultural causes of fluctuation are, however, much
less importantin the modern world for two reasons. In the first
place agricultural outputis a much smaller proportion of total
output. And in the second place thedevelopment of a world market
for most agricultural products, drawingupon both hemispheres, leads
of an averaging out of the effects of good andbad seasons, the
percentage fluctuation in the amount of the world harvestbeing far
less than the percentage fluctuations in the harvests of
individualcountries.
22
340 23
381 War has several causes. Dictators and others such, to whom
war offers,in expectations at least, a pleasure excitement, find it
easy to work on thenatural bellicosity of their peoples. But, over
and above this, facilitatingtheir task of fanning the popular
flame, are the economic causes of war,namely, the pressure of
population and the competitive struggle formarkets.
24
Note: tabli laide de Garb (1964, 594) qui fait la liste des
rfrences (pages); textes tirde ldition originale anglaise de la
Thorie gnrale (Keynes, 1936); le symbole |indique un saut de
page.
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I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
24
Annexe 2:
Schma causal de la Thorie gnrale selon Paulr (1985)
variablespsychologiques
variablesindpendantes
variablesdpendantes
dpensesgouvernementales
offre de monnaie
taux d'intrt
efficacit marginaledu capital
prfrence pourla liquidit
anticipations long terme
propension consommer
investissement revenuprimaire
emploiprimaire
revenusecondaire
revenuglobal
emploi
Source: Paulr (1985, 76); les pointills sont de nous; cf.
section II du texte.
-
I. Marcil La causalit dans la Thorie gnrale de J.M. Keynes
25
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