Bruno Rizzi
Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratiqueBruno Rizzi: Le
collectivisme bureaucratiqueBruno RizziI. Le collectivisme
bureaucratiquePremire partie de La Bureaucratisation du Monde,
1939.II. PrfaceDans cette premire partie, nous faisons lanalyse
marxiste de la Socit sovitique, avec quelques allusions aux rgimes
fasciste et nazi qui sont en voie de rapide bureaucratisation et
qui ont dj acquis un caractre anti-capitaliste, bien que le Capital
ny soit pas encore radicalement supprim comme dans lU.R.S.S.Les
derniers vnements politiques veilleront les esprits mme les plus
obtus : les dictateurs noirs, bruns et rouges sont en train de
reconnatre, peut-tre mme officiellement, que le caractre social de
leur pays est identique.Le monde est la veille dun tournant
historique formidable.Nous croyons que Staline se souviendra davoir
t rvolutionnaire avant dtre dictateur et comprendra les terribles
responsabilits qui le lient au proltariat international. Nous ne
jugerons que par les faits et conseillons aux travailleurs de faire
de mme.LEurope et le monde doivent tre fasciss ou socialiss. Il ny
a plus possibilit de vie pour le capitalisme. LU.R.S.S. est devenue
le pivot de la politique mondiale et sera le bastion de la
rvolution proltarienne ou le guet-apens du proltariat mondial.Si
elle veut la Rvolution, elle transportera le centre rvolutionnaire
au milieu des masses travailleuses anglo-franco-amricaines ; si
elle ne le fait pas, elle aidera la fascisation de lEurope et du
Monde.La bourgeoisie est une force sociale morte, et,
politiquement, elle na plus de possibilit doffensive : elle rsiste,
mais elle cde jour aprs jour ! Mandchourie, Chine, Abyssinie,
Autriche, Sudtes, Bohme, Espagne, Albanie et suivre reprsentent dj
une synthse politique. En ralit les forces en jeu dans la Socit
actuelle, qui est une, ne sappellent pas : France, Angleterre,
Allemagne, Italie, U.R.S.S., Japon, etc., mais sappellent :
Capitalisme, Collectivisme bureaucratique et Socialisme. Ces mots
ne sont pas des mots creux, ou des abstractions sociales, ou des
fictions politico-administratives : ils ont leurs bases sociales.Le
Capitalisme sappuie sur la classe de ceux qui appartiennent les
moyens de production du monde entier. Ceux-ci sont lis ensemble par
des relations daffaires, dintrt et par une solidarit politique qui
sest manifeste aussitt aprs la Grande Guerre par ltranglement
collectif de la Rvolution et a t confirme par les vnements de
Munich. Cette Internationale a toujours fonctionn ; elle est,
maintenant, en train de crer un bloc capitaliste qui soppose
lenvahissement du Collectivisme bureaucratique. Dans ce bloc on
cherche asservir le plus possible les forces proltariennes pour
maintenir les vieux privilges.Le Collectivisme bureaucratique, lui
aussi, a sa base sociale dans les classes dominantes qui ont tabli
leur sige dans lEtat, en Russie, en Italie, en Allemagne, au Japon
et dans les Etats plus petits, faibles au point de vue capitaliste
et placs sous le rayon daction des grands Etats totalitaires.Cette
nouvelle forme sociale est dgnre, mais quand mme active, et simpose
toujours plus un Capitalisme mort en tant que systme propulseur et
en tat de dsagrgation physique. Ce bloc a form, lui aussi, son
Internationale, dans lanti-Komintern, o bientt lU.R.S.S. y
apparatra, pour engloutir par des menaces ou par des actes lempire
du vieux Monde capitaliste.Le Socialisme a sa base sociale dans les
masses travailleuses du monde entier. Il est la vraie force vive de
la nouvelle Socit qui doit se substituer au Capitalisme, mais il
est encore tromp par ses chefs ignorants ou tratres qui ne lui
donnent pas de politique lui et lont plac derrire les dos
patriotiques des bourgeois ou des fascistes.Le Socialisme chante
LInternationale mais ne sapplique pas dans les faits comme ses deux
concurrents ; en ralit, il reprsente la viande de boucherie dans la
lutte entre ceux-ci. Il est lobjet de leur exploitation : le boeuf,
bon et paisible, qui trane le char et va mme labattoir. La leon de
1914-1918 ne lui a pas suffi. A ce moment-l, les divers
imprialismes croyaient rsoudre la crise capitaliste par une
victoire qui donnait lhgmonie quelques-uns dentre eux, mais, vingt
ans plus tard, Munich, ils ont sign leur dfaite en confirmant
linanit du carnage pass, conduit sous ltendard de la Paix, de la
vraie Civilisation, du Progrs, de la guerre pour tuer la guerre, de
la lutte contre les barbares, etc., etc.Les forces sociales en jeu
sont au nombre de trois, trois sont les mouvements politiques,
trois les classes qui leurs reprsentent et justement cette classe,
qui a les plus grands droits sociaux et historiques, est asservie
en partie par un monde qui meurt, et en partie par un nouveau monde
monstrueux qui nat, et nat tellement mal, quil fait ressusciter
lesclavage aprs deux mille ans dhistoire.Ce nest pas dune Paix
indivisible quil sagit, mais dune Lutte indivisible. Ce nest pas
sur les bases des Nations que les proltaires doivent reconnatre
leurs amis et leurs ennemis.Comme Marx la dit, cest dans les
classes, cest dans la dialectique et la lutte de classe que le
Socialisme doit puiser sa politique, mme dans cette priode du
Capitalisme pourrissant. Travailleurs, pensez-y.Prochainement, nous
publierons la deuxime partie de La Bureaucratisation du Monde qui
traitera de lEtat totalitaire et du Fascisme en particulier
(analyse du capitalisme pourrrissant0.Bruno Rizzi: Le collectivisme
bureaucratique
Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratiqueLes guerres sont
toujours faites pour les classes dominantes. La seule guerre des
travailleurs, cest la Rvolution.21Les travailleurs doivent lutter
contre le Capitalisme et contre le Fascisme, se dgager de leur
treinte ; doivent avoir une politique eux : indpendante. En nous
flattant de lavoir trouve, nous ne demandons que dtre rfuts,
corrigs ou bien aids par tous les camarades, par tous les
travailleurs, par tous les hommes qui veulent vivre dans lhonneur,
la libert et dsirent pargner au monde linsulte dun nouvel
esclavage.Lauteur.Paris, le 15 juillet 1939.III. Nature de lEtat
sovitiqueCtait en 1917, et vers la fin doctobre (calendrier russe)
se passait un vnement politique dune grande porte, dont la date se
gravait en caractre ineffaable sur le livre de lhistoire. Le
proltariat de Saint-Ptersbourg et de Moscou, guid par le parti
bolchevique, semparait du pouvoir. Deux chefs se sont levs comme
gants dans ce grand vnement historique : Lnine, lincomparable matre
du mouvement rvolutionnaire, et Trotski, lme et le gnie de
linsurrection proltaire.Le monde en fureur arrta, pendant un
instant, son oeuvre sauvage de destruction et il promena son regard
incrdule et tonn sur les plaines infinies de Russie. Sur les neiges
se dtachait un drapeau rouge, orn dune faucille et dun marteau.
Mais, cet instant de perplexit fini, les hommes se plantrent
nouveau les yeux en face, comme pour dire : On verra bien, aprs ,
et ils recommencrent leur lutte danantissement.En attendant, un
souffle desprance passait sur les masses appauvries et dcimes. Au
milieu de tout cet obscurantisme, de toute cette fureur, une lumire
avait jaille, trs haut ; cela avait bien une signification pour
tous ces pauvres hres : Cest dOrient quarrive la lumire ; voil le
nouveau Verbe. Pour la seconde fois dans lhistoire, les masses des
abrutis, des indiffrents, ont lev la tte de leur besogne et ont
scrut lhorizon, en flairant le vent comme des animaux de proie
sortant de leur tanire. Il leur sembla que ctait du bon vent et que
le moment favorable tait arriv. Cent quarante ans auparavant, ces
masses avaient t rveilles par la canonnade de Valmy et mme les
montagnards, arms de piques et de haches, avaient descendu leurs
valles recules. Mais arrivs au dbouch des valles, ils ont vu
monter, au loin, dans la plaine, de petits nuages blancs ; puis une
pluie de feu sabattit sur leurs rangs : ctait les canons du
Tiers-Etats qui les accueillaient. Les bons montagnards staient
tromps, ils firent demi-tour et regagnrent leur valle do ils taient
partis avec un espoir sculaire soudainement verdi. Les montagnards
ont agi en hommes sages, ils ont compris que leur temps ntait pas
encore arriv et ils se sont tapis nouveau dans leurs montagnes,
pour une nouvelle et longue attente.Cette fois les montagnards ne
se sont plus arrts l o les valles dbouchent dans la plaine ; ils
nont plus rencontr le feu de barrage de lartillerie bourgeoise,
mais ils se sont rpandus en matres par les champs des seigneurs.
LEtat des ouvriers et des paysans tait proclam ; des tours du
Kremlin, le signal de la rvolution se rpandait par vagues et les
gardes rouges bivouaquaient dans les cours du palais dIvan le
Terrible.Le peuple, des couches les plus misrables, rveill de son
assoupissement sculaire, quitta ses masures, tala ses haillons dans
les rues principales des grandes villes et y apporta la psychose
propre de la veille dune rvolution.Peu sen est fallu que cette mare
montante, durant trois ou quatre ans, ne brist les digues
puissantes du capitalisme ; puis les eaux reflurent en
gargouillant. De temps autre, leau avait, pour ainsi dire, des
sursauts ; ctaient des vagues, provenant de loin comme celles que
produit le passage dun paquebot, des vagues ne provenant pas des
remous profonds de la mer. Alors, ou bien la force potentielle de
cette mare montante rvolutionnaire a t mal employe, ou bien cette
force na pas t mise en oeuvre. En effet, les techniciens de la
rvolution, l o ils ont su transformer cette force potentielle en
nergie, lont ensuite retrouve, cette force, sec, isole,
impuissante, car le niveau des eaux avait baiss tout autour.
Lopportunisme des partis proltariens dOccident isola la rvolution
russe, comme une oasis dans le dsert, de sorte quil ne fut plus
question de socialisme, cest--dire dconomie proltarienne
internationale. Cependant il ne faut mme pas parler de capitalisme
pour ce qui est de la nature de lEtat dit sovitique. Et alors, de
quoi sagit-il ? Voil la question.La Rvolution russe date de plus de
vingt ans et il est bien trange que personne ne soit appliqu ltude
des rsultats sociaux de ce grand vnement historique. LU.R.S.S.
fournit des sujets discussions, des commentaires, des chroniques ;
ses partisans et ses adversaires en parlent uniquement sous le
point de vue politique, mais ils ont toujours nglig le point de vue
social. Pourtant, aprs vingt ans, nous ne croyons pas quon puisse
encore considrer la rvolution russe dans une priode de transition
et de transformation. Elle doit bien avoir obtenu des rsultats
positifs, acquis dsormais, fixs dans une cristallisation
sociale.Daucuns ont vu, dans la rvolution russe, LEmpire du travail
forc , ou bien : La Rvolution trahie ! , dautres lont qualifie de :
Triomphe du Fascisme et dautres de : Pays du grand mensonge . Lun
pousse des soupirs en pleurant le : Destin dune Rvolution ; il y en
a aussi dautres qui ont fait : Le Bilan du Communisme . Des
crivains de toute gradation politique, depuis les communistes aux
fascistes, en passant par les partis du centre, ont crit des
oeuvres dun vrai mrite, soit pour les argumentations, soit pour la
documentation. Des hommes dtude se sont intresss au sujet et ils se
sont rendus sur la place faire leurs observations directes. Des
ouvriers franais, allemands, amricains ont accouru, enthousiastes,
au pays o lon devait raliser leurs espoirs sociaux. Ils en sont
revenus le coeur gonfl de tristesse, lme empoisonne et ils nous ont
laiss des documentations objectives, pratiques, fort intressantes
sur la vie, le travail et la libert au pays des Soviets.Toute cette
norme masse de publications ne traite pas du tout de la
cristallisation sociale de lU.R.S.S., moins encore elle nous offre
une synthse. Sans doute et l pointent des allusions nayant pas un
vritable intrt direct ; cest plutt un fruit naturel, dont la
polmique en fut loccasion, que le rsultat systmatique dune
recherche sociologique. Trotski, lui-mme, que nous considrons le
plus profond connaisseur des conditions actuelles et de lvolution
de lEtat sovitique, avoue davoir employ neuf paragraphes dans la
tentative faite pour donner une dfinition de cet Etat. Ce qui nous
manque jusqu prsent, cest une vue densemble panoramique, une
synthse, une reprsentation cristallise de ce quest lU.R.S.S. du
point de vue social.Nous-mmes, il y a deux ans, dans notre modeste
ouvrage O va lU.R.S.S.? , navons russi donner aucune rponse. Le
point dinterrogation tait l prcisment pour demander ce que
nous-mmes demandions ; mais si nous navons pas russi donner une
rponse, nous avons, du moins, pos la question. En 1938, notre
esprit a cess de se tourmenter, car nous tions fixs. Ce qui
arrivait dans le champ social des autres pays confirmait ce que
nous avions fini par considrer comme acquis dans le domaine social
de lEtat sovitique.Etant donn que le monde est dsormais rduit une
seule forme de civilisation, la capitaliste, il sensuit que la
transformation sociale dun Etat quelconque prsente un extrme intrt
pour le reste de notre plante, puisque cest dans une transformation
htive et localise que le monde peut voir limage rflchie de sa
propre forme sociale future.On en a dit de toutes couleurs sur
lU.R.S.S. La presse gages et les orateurs la pice ont
artificieusement obscurci le problme au lieu de le rendre plus
clair. On a dit les plus grandes balourdises et, aussi, on a fait
preuve de la plus grande lchet.Le phnomne social, en ralit, tait
mme difficile comprendre, surtout par tous ces journalistes
visitant la Russie et qui savent bien peu ou rien du tout de Marx,
de Lnine et de leurs thories. Le phnomne social en formation eut
dabord, par surcrot, une direction communiste ; puis larrt de la
rvolution proltarienne dans le monde produisit une dgnration,
laquelle en ces dernires annes a fix ses formes dans lordre social.
Aujourdhui, la construction sociale de lEtat sovitique a pris des
lignes nettes, presque compltes. Du moins, nous les reconnaissons,
ces lignes, comme telles, mme si les spcialistes du problme
insistent sur une thse diffrente. Ces spcialistes, rduits un petit
nombre, on les doit rechercher dans les groupes des rvolutionnaires
qui ont abandonn la Troisime Internationale, la retenant dsormais
passe dfinitivement, et depuis longtemps, dans un champ tout fait
opportuniste. Ces spcialistes sont aussi arrivs la question de la
nature de lEtat sovitique seulement en consquence de diatribes
intrieures leurs fractions politiques, sur la tactique et la
stratgie de la rvolution proltarienne. Ils ne se doutaient mme pas
quil y aurait la possibilit dune cristallisation sociale, place
entre le capitalisme et le socialisme ; mais dans le feu de leurs
polmiques le problme de cette cristallisation sest pos
catgoriquement et il maintient ces divergences doctrinales qui sont
la base de limpuissance politique de ces spcialistes.Quest-ce que
aujourdhui lU.R.S.S. ? Dabord nous serons tout exprs imprcis dans
le diagnostic de cette socit, cest ensuite que nous passerons aux
prcisions. Avant tout nous voulons fixer seulement ce qui a t
unanimement admis. Certes, il ne sagit pas dun Etat dmocratique,
mais bien dun Etat autoritaire. Son conomie nest pas capitaliste ;
elle nest pas fonde sur la proprit prive, mais elle est fonde sur
la proprit collective des moyens de production. De Citrine Trotski
et de Roosevelt Mussolini, on a admis, dune manire gnrique, que
lconomie sovitique nest pas socialiste. Le seul Staline est dun
avis diffrent, et pour cause ; par consquent nous nen ferons pas
grand cas. Les crivains, par dizaines, lui ont fait ravaler son
socialisme et sa Constitution la plus dmocratique du monde . Lui,
Staline, ne bronche pas et naturellement il interdit ces
publications dans le pays de la vie heureuse et le plus dmocratique
du monde . cest, sans doute, une autre caractristique documente par
Trotski, Citrine, Victor Serge, Ciliga et par une foule dcrivains
des plus diffrentes nationalits et thories politiques, que celle-ci
: en aucun pays capitaliste ou fasciste, le proltariat ne se trouve
dans de tristes conditions pareilles celles du proltariat de la
Russie des Soviets. Il ny existe pas de libert de parole, de runion
et de presse. La dlation est trs frquente et lEtat est surtout
policier. Tous ces crivains sont daccord en ceci : lexploitation de
lhomme existe encore dans le pays de la vie heureuse , cette
exploitation devient concrte dans cette fameuse plus-value, que
Messieurs les capitalistes soutiraient aux travailleurs. (Les
divergences paraissent seulement quand il sagit dindividualiser les
accapareurs.) Un autre ct caractristique, et qui ne doit pas tre
nglig, cest que les manifestations de lEtat ne sont que de la
rclame grandiose, thtrale, comme dans les Etats totalitaires
occidentaux, de mme que la vnration, vraie ou feinte, pour le Chef
lev presque la divinit, y est gale et, peut-tre, plus grande. La
hirarchie y jouit dun grand crdit et le servilisme est pouss jusqu
la dernire limite. La population vit dans une ambiance de peur
comme si les murs pouvaient couter et parler ; elle a un visage
pour le public autre que celui quelle a en son particulier.Ces
donnes admises en gnral, et compltes de nos diffrenciations, la
physionomie politique et sociale de lEtat sovitique en ressortit
bien dfinie et cest cette physionomie que nous nous proposons
dexpliquer au lecteur.Le but principal de la rvolution dOctobre,
ctait de servir de levier la rvolution dOccident. Cependant, en mme
temps, on a pris des dispositions pour une politique conomique
socialiste. Fondamentalement on abolit la proprit prive du sol et
des grandes entreprises industrielles. La direction conomique de
cette proprit passa des mains de la classe bourgeoise battue, celle
du proltariat triomphant.Une transformation sociale dans lU.R.S.S.
devait partir des conditions conomiques qui ntaient certainement
pas des plus gaies ; en effet, le pays tait foncirement constitu de
laboureurs et dillettrs, son industrie tait de beaucoup infrieure
aux ncessits dune conomie davant-garde.Si les Bolcheviks, ds quils
se sont empars du pouvoir, se sont tout de suite servis de la radio
pour solliciter les divers proltariats suivre leur exemple, cest
quils comprenaient que la ncessit simposait de greffer sur la
Rvolution russe les nations dOccident dveloppes du point de vue de
la technique et ayant une classe proltarienne vaste et cultive.
Dans le cas contraire, cette Rvolution tait fatalement destine la
dbcle sur le terrain conomico-social mme si avec les armes elle
russissait rsister, dune manire hroque, aux assauts du vieux
monde.Le proltariat allemand se prsentait comme un alli naturel de
la rvolution bolchevique. Sa bourgeoisie, sortant de la guerre
dfaite et brise, lui offrait le pouvoir presque sans coup frir.
Sauf les meutes spartakistes, le sacrifice de Charles Liebkneckt et
de Rosa Luxemburg, le proltariat allemand passa, sans honneur, de
dfaite en dfaite. En 1923, on lui a offert, une fois encore, le
pouvoir, mais ce proltariat dserta le camp, et sans lutter il
abandonna ce camp mme aux bandes hitlriennes. Est-ce la faute aux
chefs ? A la Troisime Internationale ? Non, cest la faute tous en
bloc, proltariat allemand y compris, trop froid, attach lordre et
dun naturel bien peu rvolutionnaire. Cinquante ans auparavant, les
ouvriers de Paris avaient proclam la Commune, aprs la dbcle de la
bourgeoisie franaise de 1870, et cent mille dentre eux, qui staient
battus seulement avec un mince espoir et dans une ambiance
conomique prmature, se laissrent abattre stoquement sur les
remparts de Paris. Messieurs les marxistes, qui soccupent seulement
de lconomie et font uniquement de la politique par des
statistiques, peuvent bien se mettre en colre, mais nous affirmons
que lesprit peu rvolutionnaire du proltariat allemand y est pour
beaucoup dans cette dfaite de la classe ouvrire europenne et
mondiale. De mme lesprit nettement rvolutionnaire du proltariat
russe y est pour beaucoup dans la victoire dOctobre. Le peuple
allemand na jamais fait une rvolution ; dans son dveloppement
politique il a toujours suivi les autres nations, mais en retard
dun sicle au moins. La France, au contraire, a toujours donn tout
son sang pour tout le monde.Ce sont bien les conditions de
lconomie, les vritables sine qua non auxquelles la possibilit dune
transformation sociale est attache. Mais une fois que ces
conditions existent et quelles ont mri, le succs de la Rvolution
nest quune question desprit rvolutionnaire, par rapport ceux qui
doivent se battre, et de capacit rvolutionnaire par rapport aux
chefs. Que Messieurs les marxistes expliquent, sils en sont
capables, la dfaite du proltariat europen daprs le matrialisme
historique, tel que celui-ci est entendu par les orthodoxes !
Est-ce que lconomie allemande ntait pas ultra-mre pour le passage
?Pour en finir et pour ne pas rpter ce qui a t dit de mille
manires, nous affirmons qu la suite de la dfaite de la rvolution
proltarienne allemande et europenne, la dictature du proltariat
russe se trouvait isole dans un monde capitaliste et hostile. Le
reflux de la vague rvolutionnaire tait gnral, de cette vague qui,
immdiatement aprs la guerre, avait effray la bourgeoisie. Il
sensuivit que pour tout observateur de bon sens les perspectives
rvolutionnaires taient renvoyes aux calendes grecques. En
attendant, le capitalisme reprenait haleine et augmentait la
production jusqu 1929 et cela surtout tait d aux travaux de
rparation dans les zones ravages par la guerre, et la
reconstitution des stocks.La Rvolution russe tait lalternative : ou
bien vivoter dans lattente de la rvolution proltarienne de
lOccident dEurope, ou bien saccorder avec le monde extrieur et
changer par consquent de politique intrieure. Cest la seconde
solution quon a choisie ; Staline en fut dabord linspirateur et
puis il en fut lexcuteur impitoyable. Ce changement radical de
politique, il fallait naturellement le cacher, du moins dans un
aspect extrieur, soit au proltariat russe, soit au proltariat de
toutes les nations. Ce ne fut pas une affaire trs difficile,
puisque depuis prs de cent ans les travailleurs sont
systmatiquement dups par les rouges de tous les partis, et de
toutes les nuances, qui ont paru sur la scne politique. Le
proltariat russe et le proltariat dautres nations ont essuy aussi
cette norme mystification et ils nont donn que trop peu de signes
de colre contre leurs chefs, de vritables tratres. On dirait que
ces proltariats en ont pris lhabitude et, de plus, quils se sont
endurcis la mystification.Lnine mort, il fallait bien un successeur
; ctait Trotski, la figure la plus digne autant du point de vue
moral quintellectuel. Sa droiture rvolutionnaire et son gnie
auraient certainement dfendu trs bien le premier et le seul Etat
proltarien du monde. Mais Trotski fut mis au rancart, il fut
ostracis et boycott dune manire unanime par les pigones de la
rvolution. Ceux qui connaissent un peu les partis socialistes et
communistes ne stonnent pas du tout dun phnomne de ce
genre-l.Trotski slevait comme un gant dans lentourage de Lnine,
alors on savisa bien de le neutraliser, de sorte que lon mettait de
ct un gros obstacle, qui aurait gn la campagne nationale et
internationale de bourrage des crnes. La ralit est encore celle-ci
: la vraie dictature, ce fut celle du parti bolchevique et non pas
celle du proltariat, une dictature que lon concentra dans les
cellules et non dans les soviets. Il arriva ainsi que le parti
bolchevique, le seul qui navait pas trahi les travailleurs avant la
rvolution, les trahit ds quil eut remport la victoire, cest--dire
quand il croyait quil ny aurait plus de dangers.Les thoriciens de
la dictature sur le proltariat, qui concevaient, pour ainsi dire,
le parti bolchevique comme un guide dans un rgime dmocratique de
soviets, en effet, ils lont conu comme le monopoliseur de la
direction sociale proltarienne. Ces thoriciens ont prt le flanc une
dgnration bureaucratique quun concours de circonstances avait
beaucoup facilite.Les hommes jouissant de la confiance du
proltariat lont dpossd, ainsi que lont dpossd ceux qui avaient
conduit ce proltariat lassaut et la victoire et, surtout, lont
dpossd ceux qui forment la grande masse de parvenus.Un parti
politique ne peut pas prtendre sriger en dictateur, avec un
programme social norme, demandant la participation et le contrle de
tous les travailleurs. La seule garantie ctait la classe
proltarienne, avec tout le pouvoir aux Soviets. Divers crivains ont
racont, dune manire large, tout ce qui est arriv depuis la mort de
Lnine, mais ce qui intresse dans notre ouvrage, cest de fixer les
rsultats atteints. Les fonctionnaires de lEtat et du parti
bolchevique, en socialisant la terre et en industrialisant le pays,
ont de plus en plus sap le pouvoir des travailleurs et ils ont fini
par avoir le monopole de lEtat. Dans cette oeuvre, ils ont d se
lier avec les techniciens, dont ils ne pouvaient pas se passer ;
ainsi on ralisait en Russie la premire grande soudure dans le procs
de formation de la nouvelle classe dirigeante. La campagne
stakhanoviste en est une expression et, en mme temps, elle est
aussi une nouvelle mthode pour aiguillonner la masse des
travailleurs afin den obtenir un plus grand rendement. Dautres
soudures suivirent avec les flagorneurs du Rgime, avec lachat des
hauts postes dans larme et dans la bureaucratie para-tatique.Nous
en sommes ainsi un point o la direction conomique et politique est
monopolise par la bureaucratie et la nouvelle Constitution a
sanctionn cela. Dans cette bureaucratie il ny a quune rpartition de
travail, lequel, dans son ensemble, a pour but le maintien de la
prdominance politique et des privilges conomiques. Les
bureaucrates, avec leurs familles, forment peu prs une masse de 15
millions dhabitants. Il y en a assez pour former une classe, et
puisque Trotski nous assure que les 40 % de la production sont
happs par la bureaucratie, nous pouvons dire que cette classe est
aussi privilgie !Elle est toute-puissante, cette classe, car elle a
en main les leviers conomiques, que sauvegarde un Etat policier
dress tout exprs. Elle fixe, comme bon lui semble, les salaires et
les prix de vente au public avec des majorations sur les prix de
revient telles que les sangsues bourgeoises dautrefois nous
apparaissent comme dhonntes commerants . Les quelques donnes que
nous avons nous permettent daffirmer que les majorations sur les
prix de revient des produits de premire ncessit sont deux ou trois
fois suprieures aux majorations dont on use dans les honnis pays
capitalistes.Citrine nous en donne une documentation incontestable.
Il arrive parfois que les bureaucrates achtent du bl aux paysans,
un vil prix, et puis ils le revendent aux ouvriers un prix major de
dix fois. Le plan conomique est naturellement une affaire qui
ressort de la bureaucratie et les placements suivent logiquement
les voies les plus profitables aux intrts de la nouvelle classe. La
propre presse sovitique documente les conditions misrables des
maisons o habitent les ouvriers, qui on rserve, en moyenne, cinq
mtres carrs dhabitation. Eh bien ! au lieu de btir de nouvelles
maisons ouvrires, dont on a une grande ncessit, et seulement de
celles-ci, on pense, par exemple, la construction de la Maison des
Soviets , haute de 360 mtres, puisque en ralit ce nest pas l la
Maison des Soviets, mais celle de la bureaucratie. Si lon demande
de justifier cette mauvaise administration de largent public, le
bureaucrate rpond toujours que les ouvriers nont avanc aucune
objection, comme sil tait paisiblement permis aux travailleurs de
lU.R.S.S. de donner leur avis et surtout de sopposer aux dsirs de
leurs matres. Parmi les bureaucrates (fonctionnaires, techniciens,
policiers, officiers, journalistes, crivains, gros bonnets des
syndicats, enfin tout le parti communiste en bloc) une solidarit
sest tablie, de sorte que les fautes sont mises au compte des
travailleurs, lis comme des esclaves la machine conomique de lEtat,
une machine que les bureaucrates, par comble de drision, qualifient
dorgane de la classe proltarienne.Si les fonctionnaires
administrent, les techniciens reprsentent aussi ce quon appelle les
hommes de confiance. La police est charge de sauvegarder la
nouvelle proprit et de maintenir la conduite des citoyens sur la
ligne politique que les hauts hirarques ont fixe. Des journalistes
et des crivains sont chargs de tromper scientifiquement le gros
public. Les mandarins syndicaux sont devenus de vritables
fonctionnaires, placs au beau milieu des travailleurs pour en
sonder les humeurs et pour les duper, ainsi quon la fait, et quon
le fait toujours, dans toutes les organisations ouvrires, jaunes ou
rouges, de tous les pays capitalistes. Entre la bureaucratie
syndicale sovitique et celle amricaine, anglaise ou franaise, il ny
a pas beaucoup de diffrences, quant au but atteindre. Il y a, au
contraire, une diffrence substantielle, car, tandis que la
bureaucratie syndicale des pays capitalistes est au service de la
bourgeoisie, dans lEtat sovitique cette bureaucratie est au service
dun Etat bureaucratique et, partant, elle est au service
delle-m6me.Le parti communiste russe est devenu la proie des
bureaucrates et dans son sein les travailleurs ne sont presque plus
prsents. Ce parti nest autre chose que le chien tenant en ordre les
moutons ; Staline, qui vient aprs, en est le grand berger , son
bton sur lpaule et sa besace en bandoulire. Si quelque mouton sort
des rangs, le chien aboie et Staline lche un coup de bton. Le
troupeau en prend acte, redoute toujours plus le chien et adresse
au grand berger ses blements plaintifs.Le proltariat na que le
droit de travailler dans ces entreprises, dont la proprit lui est
encore accorde, dune manire drisoire ; mais il na pas la moindre
fonction dirigeante. Il peut seulement suer sang et eau, car il est
aiguillonn par des systmes, nayant rien de socialiste, mais qui
sont par surcrot pires que les systmes en vogue dans les pays
capitalistes, jamais assez honnis.Cette esquisse nest pas une
invention nous, mais elle nest que la conclusion tire des relations
de ces spcialistes de la question, avec qui nous discuterons plus
loin. On voit bien, daprs cette esquisse, que le socialisme ny est
pour rien dans cette socit. Tout le monde est daccord sur ce point
hors, bien entendu, Staline et la bureaucratie sovitique.Voici le
grand argument de Tritski et Cie et de toute la gradation des
sectes rvolutionnaires anti-Troisime Internationale : la proprit
des moyens de production en rsulte socialise, et lconomie en est
planifie.Selon Trotski, malgr tout le reste, lEtat sovitique
demeure ouvrier et la dictature du proltariat est encore en vigueur
! Nous traiterons plus loin cette question, maintenant nous voulons
seulement dduire, laide du bon sens, la nature de lEtat sovitique,
puis nous passerons lexamen des dispositions que lon qualifie de
scientifiques .A notre sens une autre classe dirigeante, la
bureaucratie, est sortie de la rvolution dOctobre et de son recul,
tandis que la bourgeoisie est expdie et, par consquent, na aucune
possibilit de retour.La possession de lEtat donne la bureaucratie
la possession de tous les biens meubles et immeubles qui, tout en
tant socialiss, nappartiennent pas moins in toto la nouvelle classe
dirigeante. Cela va sans dire que la nouvelle classe se garde bien
de dclarer officiellement quelle jouit de cette possession, mais,
en effet, elle a, en ses mains, tous les leviers conomiques et elle
fait garder sa proprit par la Gupou et par les baonnettes de larme
purifie . Toute entreprise a son corps de Gupou qui monte la garde,
mais, dans de grandes entreprises, il y a mme un soldat de larme
rgulire qui monte la garde, baonnette au canon. Il contrle ceux qui
entrent, examine les documents et il suit pas pas le visiteur, mme
sil sagit dun personnage, tel le trade-unioniste Walter Citrine, et
envers qui on devrait avoir des attentions.LEtat sovitique, plutt
que de se socialiser, se bureaucratise ; voire, au lieu de
disparatre lentement dans une socit sans classes, il se gonfle
dmesurment. Quinze millions dindividus se sont dj colls au tronc de
lEtat et ils en sucent la sve. On exploite, en bloc, la classe
proltarienne conformment la transformation de la proprit. La classe
bureaucratique exploite la proltarienne et lui fixe le standard,
auquel cette classe doit conformer sa manire de vivre, par les
salaires et par les prix de vente des marchandises des magasins de
lEtat. La nouvelle classe dominante a achet, en bloc, le
proltariat. Il ne reste mme plus aux travailleurs la libert doffrir
leur force-travail aux divers entrepreneurs : cest la bureaucratie
la monopolisatrice, cest elle qui a perfectionn le systme
dexploitation. Les proltaires russes sont tombs de fivre en haut
mal.Cette forme nouvelle de la socit rsout, dun point de vue
social, linsoutenable antagonisme qui rendait la socit capitaliste
incapable de tout progrs. Dans la socit capitaliste, la forme de
production est collective depuis longtemps, car tout le monde prend
part, dune manire directe ou indirecte, la production de nimporte
quelle marchandise. Mais la proprit des marchandises est
individuelle, cela en consquence prcisment du maintien de la
proprit. En socialisant la proprit et en la mettant effectivement
sous la direction dune classe, agissant comme un complexe
harmonique, on fait disparatre lantagonisme existant dans le systme
de production de la socit capitaliste, remplac par un nouveau
systme. A ses dbuts ce systme exploite les travailleurs dune manire
froce, tout comme le capitalisme avait fait auparavant. A mesure
que le systme se renforce et quil se perfectionne, la production
augmente et alors il se peut que la classe dirigeante ait la
possibilit de distribuer une ration plus abondante ses exploits.
Dans une ambiance internationale, et normale, le dveloppement de la
production sur des bases collectivistes, mme en laissant la
direction la bureaucratie, devrait tre certain, puisque on
liminerait ou, du moins, on rduirait de beaucoup les normes dpenses
pour les armements quaujourdhui on fait partout. Les armements vont
toujours bon train et on ne fait que transformer les Etats en
organismes foncirement militaires. Cet norme gaspillage de travail
peut bien neutraliser, et la rendre ngative, limpulsion que la
production reoit incontestablement la suite de la collectivisation
de la proprit et de lorganisation conomique daprs un plan
prtabli.Ce nouveau systme social se prsente dans le dveloppement de
lhistoire de lhumanit, comme un phnomne parasitaire. Le pouvoir
aurait d logiquement passer de la bourgeoisie au proltariat, mais
cela nest pas arriv cause, videmment, de limmaturit politique du
proltariat. En effet on passe une direction sociale qui nest ni
bourgeoise ni proltarienne. Le personnage du bourgeois capitaliste
est devenu superflu, dans le phnomne de la grande production, et il
est automatiquement cart. Lancien fonctionnaire, le rond-de-cuir de
la bourgeoisie, prend un aspect juridique en salliant la
bureaucratie syndicale et celle de lEtat totalitaire : une nouvelle
classe monte lhorizon. Le prochain avenir seulement pourra nous
dire si cette nouvelle classe, pointant partout dans le monde, est
mme daplanir dabord toutes les divergences qua laisses limprialisme
et, ensuite, daugmenter le volume de la production en employant la
nouvelle organisation conomique et politique. On verra aussi si
cette classe est mme damliorer les conditions de vie des masses ;
cest l quelle donnera la preuve de sa virtuosit .Les symptmes
politiques concordent avec la naissante bureaucratisation du monde.
Munich nest quune premire coagulation de la conscience
bureaucratique. Les capitalistes et les reprsentants des nouveaux
rgimes, aprs stre rciproquement pousss jusquau bord de labme, se
sont soudainement mis daccord ; certes ils ont t peronns par le
pressentiment du prochain devenir social. Les vieux imprialismes,
le franais, langlais et lamricain, se rendent compte quil est
inutile et impossible de maintenir leur hgmonie dans un monde qui,
sil veut survivre, ne peut plus tre imprialiste et qui se
transforme, dune manire bureaucratique, vue doeil.Les vieilles
dmocraties jouent le rle dune politique antifasciste, pour ne pas
rveiller le chat qui dort. Les proltaires, il faut les tenir
tranquilles et, en attendant, la transformation sociale survient en
cachette dans leurs pays. En mme temps, et tout moment, les
vieilles dmocraties donnent de lantifascisme manger aux classes
ouvrires. Cest bien leur affaire, ces dmocraties, que lEspagne soit
devenue, en attendant, une vritable boucherie des proltaires de
toutes nations ; cela afin dapaiser les ardeurs rvolutionnaires des
travailleurs et de dbiter les produits de leur industrie lourde. En
Chine, les proltaires sont pousss vers une politique antijaponaise
et cela arrive prcisment sous la direction du fameux Tchang
Ka-Chek, celui qui a encore les mains souilles du sang de la fine
fleur des proltaires chinois. Cela va sans dire que les
travailleurs gobent tout, cette fois aussi, et ils vont la queue
leu leu, sans rien savoir, presque rsigns. Peu peu les travailleurs
de France, dAngleterre et dAmrique perdront leur qualit de
citoyens, ils ne seront devenus que les sujets dun rgime
bureaucratique, qui nationalisera la proprit et prendra beaucoup
dautres mesures lempreinte socialiste . Ce rgime ne se nommerait
pas fascisme ni national-socialisme, il aurait certainement un
autre nom, mais les bases en seraient toujours les mmes, cest--dire
: la proprit collectivise aux mains de lEtat, ayant une
bureaucratie comme classe dirigeante ; lorganisation collective et
planifie de la production, enfin lexploitation du travailleur
passerait du domaine de lindividu celui de la classe.A ce point le
marxiste Trotski criera tue-tte que, non seulement les conditions
de distribution, mais celles aussi de production ne sont pas
socialistes, lencontre de ce quil nous rvle au sujet de la Russie ;
ensuite il passera plus loin faire de la propagande rvolutionnaire
contre la bureaucratie de tout le monde !Laffermissement de cette
bureaucratie reprsente, selon ses conceptions, une possibilit
historique et non un fait accompli . Donc nous devons attendre que
le fait soit accompli pour donner Trotski la manire den dduire son
analyse ! Ensuite il faudra sadresser au proltariat, se trouvant dj
sous la tutelle des gouvernements bureaucratiques, alors
imaginez-vous le rsultat !Ce sera bien scientifique et marxiste
cent pour cent que lexamen de Trotski, mais cet examen viendra tard
quand il ny aura plus aucune possibilit ! Il pourra mme convaincre
les dirigeants bureaucratiques qui, pour toute rponse, lui
montreront le mot fasciste : je men fLe fait accompli existe en
Russie et il faut lapprofondir. Ce fait est en train de saccomplir,
et il est aussi visible en Italie quen Allemagne. Les premiers
indices de ce fait pointent partout, mme dans les pays des grandes
dmocraties.Il restait encore une carte jouer Trotski, lui
prcisment, mais nous sommes persuads quil na aucune envie de la
jeter. Sa grande figure dcline lentement dans un ciel gris, et en
mme temps le souvenir dune journe ensoleille plit, effac par le
crpuscule qui monte. Joffre, avant de se suicider, lui avait crit
une lettre et il lui avait recommand de ne pas craindre lisolement,
condition de maintenir intacte la ligne lniniste. Il nous semble
que Trotski a suivi ce conseil au pied de la lettre, il ne la
certainement pas suivi la manire de Lnine. Au moment de la scission
du parti social-dmocratique russe, quand on jeta Plekhanov par la
fentre, Lnine pria plusieurs fois Trotski de rester avec lui. Il ny
russit pas ; mais quand, en 1917, Lon Trotski retourna
Saint-Ptersburg et quil reconnut stre tromp, alors Lnine
laccueillit dans les rangs bolcheviques, car il avait compris quune
faute politique nest pas une trahison. Trotski, au contraire, a
coup toute communication avec ceux qui nont pas sa manire de penser
lui. Il a dress son cole des jeunes gens qui suivent la ligne daprs
ses propres systmes. Le Danton de la rvolution dOctobre ne se doute
pas du tout quil pourrait se tromper. Il est trop sr de lui-mme.
Voil qui est bien jusqu un certain point ; mais cest l un vritable
malheur quand le raisonnement est fond sur des moyens polmiques
douteux. Cela signifie quon na pas assez de confiance dans ses
forces. Cela devrait aussi inciter prendre en considration les
raisons dautrui et reconnatre ses fautes sans crainte, car toute
autre solution amnera des rsultats bien pires.A notre sens,
lU.R.S.S. reprsente un nouveau type de socit, dirige par une classe
sociale nouvelle : voil notre conclusion. La proprit, collectivise,
appartient effectivement cette classe qui a install un nouveau - et
suprieur - systme de production. Lexploitation passe du domaine de
lindividu celui de la classe.Autant de luttes politiques, se
droulant en U.R.S.S. depuis 1923, autant de batailles que la
nouvelle classe en formation a livres au proltariat ; quimporte si
leur dbut ces luttes nont pas eu un but bien dtermin. Le massacre
de la Vieille Garde lniniste, et de tous ceux qui pouvaient donner
de lombrage la bureaucratie, qui fait les dlices de lUnion
Sovitique depuis la mort de Kirov, nest que la guerre civile
ncessaire la nouvelle classe pour affermir son pouvoir. Il ne sagit
pas dun signe de faiblesse, mais bien dune dmonstration de force de
cette classe.Depuis longtemps lU.R.S.S. a abandonn toute vellit
rvolutionnaire et est tombe aux pieds de la bourgeoisie
franco-anglaise. Les capitalistes sont bien persuads quen Russie il
nexiste aujourdhui quune apparence de la rvolution et du socialisme
lintention des nigauds, voil pourquoi ont-ils invit, et accept,
lUnion Sovitique mme dans leur sanctuaire de Genve. Chez eux, ces
capitalistes ne font que protester contre les menes rvolutionnaires
du Komintern, mais ils le font seulement pour mieux duper les
proltaires. Ce qui a de limportance, ce sont les faits nous disant
que dsormais, et depuis pas mal dannes, lU.R.S.S. a t accroche au
train bourgeois des capitalismes. En effet, Paris, Londres et New
York ont manifestement reconnu un Etat exploiteur et oppresseur des
travailleurs dans la soi-disant Rpublique Sovitique.Malgr cette
relle situation politique et sociale du pays de Staline, Lon
Trotski et ses disciples prtendent que lU.R.S.S. reprsente encore
un Etat ouvrier avec un rgime de dictature proltarienne. Eux, et
ceux qui suivent ses courants dides ne souscrivant pas la politique
de la Troisime Internationale, sont les seuls sintressant, dans
leurs discussions, la nature de lEtat sovitique, nimporte sils le
font dune manire indirecte. Nous polmiquerons prcisment avec
Trotski et ses disciples, car cest ce point que nous avons fix,
dune manire dfinitive, notre jugement sur la nature sociale
actuelle de la Rublique Sovitique.IV. Dans le camp dAgramantParmi
les rescaps et les exils de la Troisime Internationale, il est une
discorde aussi grande que celle qui tait au camp dAgramant. Trotski
ne rpond mme plus ses contradicteurs dextrme-gauche, car, dit-il,
ils remplacent lanalyse scientifique par des glapissements perants
. Scissions, expulsions, fins de non recevoir , ordre de maintenir
les discussions sur la ligne prtablie, tout cela ne sert pas,
cependant, touffer la question. Celle-ci parat peine, mais elle
parat tout le temps, mme si le cercle des membres se resserre et
agit la manire dune hache qui sabat priodiquement sur le tronc de
la Quatrime Internationale, avant quil se soit renforc.Trotski
rpond aux camarades B. et C. - non mieux identifis - par un article
au titre : Un Etat ni ouvrier, ni bourgeois ? Voil la rponse,
oiseuse pour un marxiste suivant la lettre la pense du Matre :
LEtat bourgeois doit tre balay par la rvolution proltarienne et
remplac par lEtat ouvrier. Il ny a pas de milieu pour lhistoire. Il
est vrai que Marx la toujours dit, de mme quil a dit dautres choses
qui, depuis, ne se sont pas ralises. Nous ne voulons pas lui en
faire grief, au contraire nous croyons que son plus grand mrite,
cest davoir enseign tudier les faits sociaux et davoir fourni
lhomme dtude, un moyen formidable pour linterprtation de lhistoire.
Il nous semble que les marxistes devraient examiner les faits
contingents sous le jour de la mthode marxiste, et quils ne
devraient pas se rduire au contrle pour tablir si ces faits ont,
chacun, leur correspondant dans une des cases du catalogue des
prvisions du grand penseur ou de ses plus grands disciples. Le
systme est invtr, et les marxistes, en faisant de la sorte, se
transforment en jsuites qui, quand ils sont sec darguments, vous
inondent de citations de lun ou lautre saint, afin de contrecarrer
votre opinion. Si lon ose rpondre que mme ces bats pouvaient se
tromper, le jsuite semporte et il vous dit tout court que vous
doutez des divinations des saints, alors il est parfaitement
inutile de prolonger la discussion. Vous ntes pas catholique, vous
tes au nombre des damns, de mme que votre esprit est damn, tant
priv de la grce !Marx a t sanctifi en quelque sorte, et sil vous
arrive par votre raisonnement daboutir des conclusions diffrentes
que les prvisions du juif de Trves, votre place est parmi les
damns, mme si, dans vos tudes sur les faits sociaux daujourdhui,
vous vous tes servi de la mthode marxiste de recherche.Les
camarades B. et C. affirment que lU.R.S.S. a cess dtre un Etat
ouvrier dans le sens traditionnel (?) donn ce terme par le marxisme
. Ils nient quil reprsente soit un Etat bourgeois, soit un Etat
proltarien, et nous nous demandons, en passant, de quelle sorte
dEtat sagit-il, en effet. Puis ces camarades admettent que la
domination proltarienne peut trouver son expression dans un certain
nombre de formes gouvernementales distinctes pour proclamer ensuite
que le concept de dictature du proltariat nest pas, en premier
lieu, une catgorie conomique, mais surtout une catgorie politique.
Toutes les formes, organes, institutions de la domination de classe
du proltariat sont maintenant dtruites, ce qui veut dire que la
domination de classe du proltariat est dtruite .Aussi y a-t-il
beaucoup de confusion dans les ides de B. et C., une confusion
propre cet tat desprit o les ides sont en train de se
former.Trotski fait place nette en dclarant que si la dictature du
proltariat est absolument une catgorie politique, la politique nest
que de lconomie concentre et alors le rgime qui sauvegarde la
proprit exproprie et nationalise contre limprialisme est,
indpendamment de ses formes politiques, la dictature du proltariat
. Cest cela, ajoutons-nous, sauf que la bureaucratie ne reprsente
pas une trouvant convenable la proprit exproprie et
nationalise.Est-ce la nature dun Etat peut tre toujours juge sans
tenir compte de ses formes politiques ? Est-ce les formes de la
proprit et les rapports de la production sont dj tout fait changs,
lorsquun Etat saffermit en mettant en droute un autre ? Ce nest pas
l, au contraire, la tche de la nouvelle classe dominante ? Est-ce
que le gouvernement du Tiers-Etat en France ne sappuya pas pendant
quelques annes sur une conomie fodale ? Pendant ces priodes,
lconomie concentre ne peut pas videmment reprsenter la politique,
mais celle-ci est potentiellement concentre dans la classe sociale,
ayant en main les leviers de commande, et dans son programme qui
est en train de se raliser.Trotski mme admet que pendant les
premiers mois du rgime sovitique, le proltariat dominait sur une
conomie bourgeoise . Cette admission nest certainement pas faite
pour appuyer notre thse, mais dans le but dillustrer un cas
dopposition de classe entre la forme politique et la ralit
conomique, afin den tirer que la concentration du pouvoir dans les
mains de la bureaucratie et mme larrt du dveloppement des forces
productives en eux-mmes ne changent pas la nature de classe de la
socit et de son Etat . Il sagit de voir dans quel but, en Russie
sovitique, la proprit exproprie et nationalise est sauvegarde de
limprialisme, suppos que cet imprialisme soit encore une force
efficiente : voil, notre avis, le point principal. Qui nous assure
quun envahisseur, quel quil soit, imprialiste ou non,
transformerait la forme de la proprit en U.R.S.S.?Sil est vrai que,
les premiers mois du rgime sovitique, le proltariat dominait sur
une conomie bourgeoise et que maintenant il existe, inversement, un
cas dopposition de classe entre lconomie et lEtat, eh bien ! est-ce
la une bonne raison pour donner de la valeur la thse daprs laquelle
la dictature du proltariat est encore une ralit dans le pays des
Soviets ? Enfin, lopposition inverse ne devrait avoir aucune
valeur. Dcidment, cest une manire trange de raisonner ! Mais
pourquoi le contraire nest-il pas vrai ? Ou bien, sil a exist un
Etat proltaire avec une conomie bourgeoise, pourquoi ne pourrait-il
pas exister aussi un Etat non proltaire avec une conomie
nationalise ? Peut-tre nadmet-on pas cela seulement parce quon na
jamais vu un phnomne de ce genre, ou parce que Marx ne la pas prvu
? Il nous semble que notre thse est la plus logique, puisque tous
les autres facteurs, servant caractriser lessence dun Etat, ont t
renverss au pays de Staline. Pas le moins du monde, pense Trotski,
mme la deuxime et inverse proposition doit aider prouver sa thse.
(Remarquons que cette seconde proposition ne devrait pas stre
vrifie dans un rgime visant au socialisme, tandis que la premire
est comprhensible et claire pour tout le monde.)Les premiers mois
aprs la rvolution dOctobre, la dictature proltarienne tait un fait
vrai, rel ; si tout le monde est daccord sur ce point, mme sil ny
avait pas de proprit nationalise, cela signifie que la dictature du
proltariat est en premier lieu une question de formes politiques et
non de formes conomiques, du moins pendant la phase de transition
entre lconomie bourgeoise et lconomie socialiste.Daprs ce que nous
connaissons, il en rsulte que la dictature proltarienne est la
forme politique de la classe ouvrire pendant cette phase, celle de
sa construction sociale. Mais lorsque cessent ses rsultats propres,
il est logique de penser que cette phase elle-mme a cess de vivre.
Jusquau jour o elle devra disparatre dans le socialisme ralis, les
facteurs politiques auront placer leur mot dans la classification
des qualits du pouvoir. Aussi comme il est vrai, et tout le monde
ladmet, que mme par la nationalisation de la proprit, le
socialisme, en U.R.S.S., nest pas un fait accompli, de mme il nous
semble vident que la nationalisation de la proprit et lconomie
planifie ne sont pas des raisons suffisantes pour prouver
lexistence de la dictature proltarienne. Il faut aussi pour cela
que le proltariat ait le pouvoir en main, voil une vrit de M. La
Palice. Cette condition est si importante que si nous avons vu une
vritable dictature proltarienne, bien que lconomie ft encore
bourgeoise, ou un Tiers-Etat rgnant sur une conomie fodale, nous
navons pas encore vu que le cas contraire ait paru dans lhistoire.
LU.R.S.S. daujourdhui est bien loin de nous convaincre. Il doit
sagir ncessairement dune forme de socit qui nest ni capitaliste, ni
socialiste, et dun Etat qui nest ni ouvrier ni bourgeois. Nous
pensons encore que la dictature du proltariat, aprs avoir ralis la
nationalisation de la proprit, doit poursuivre son chemin, en
suivant le programme socialiste ; au contraire, chacun, et Trotski
au premier rang, nadmet pas que ce chemin ait t ultrieurement suivi
au pays des Soviets. Donc, de quelle dictature du proltariat nous
parle-t-on ? De celle qui a agrandi lEtat dans des proportions
inoues ? ou bien de la dictature qui fait tabula rasa des
rvolutionnaires et qui organise, avec le concours des assassins et
des vendus, le sabotage de la rvolution proltarienne dans le monde
? Est-ce, peut-tre, celle qui fait toujours plus profond le sillon
marquant la diffrence entre les classes ? LU.R.S.S. ne rpond pas
aux normes de lEtat ouvrier que nous avons dgag dans notre
programme. Lhistoire nous a prsent un procs de dgnrescence de lEtat
ouvrier , nous dit Trotski. Mais quest-ce quil nous reste, donc,
aprs cette dgnrescence de lEtat ouvrier et de la dictature du
proltariat ? La nationalisation de la proprit et la planification
de lconomie , rpond Trotski. Cest trs bien, mais dans quel but ?
Est-ce quon tend la ralisation du socialisme ? Non, videmment, et
Trotski mme le nie. Et alors ? Alors, si la proprit nationalise et
lconomie planifie restent, cela arrive parce quelles sont, toutes
les deux, convenables au rgime qui tient le pouvoir. Dans le fait,
la bureaucratie sovitique na aucune raison pour liminer ces
innovations de la rvolution dOctobre, mais, au contraire, elle en a
de politiques et de sociales pour les maintenir. Du point de vue
politique, la bureaucratie sovitique dupe le proltariat en lui
racontant que la proprit nationalise est lui et, du point de vue
social, elle ne peut aller contre le courant, cest--dire contre le
dveloppement de la production. Mme les propres Etats bourgeois
passent toujours plus la nationalisation de la proprit et la
planification de lconomie. En mme temps, ils sapent le canon sacr
de la proprit prive, et l o ce travail a t dj accompli on devrait
le dtruire? Ne ft-ce pour cela, en Russie, une nouvelle
transformation inverse de la proprit nest pas craindre.Tous les
faits nous prouvent quau pays de feu les Soviets la domination de
la bureaucratie est effective. Cela dure depuis si longtemps quune
nette diffrenciation des classes est acquise. Tous les actes
politiques et sociaux sont particuliers une classe dominante, qui
se proccupe de maintenir et affermir son pouvoir. Eh bien ! suivant
Trotski, ce nest pas scientifique de penser que la bureaucratie
sovitique, monopolisatrice du gouvernement, peut reprsenter une
nouvelle classe ! Il ne sagit pas dune nouvelle bourgeoisie , on
nous dit ; ou bien elle ne lest pas encore et alors il ne sagit pas
dune classe, mais dun commis ! Bien que la tradition, mme
domestique, nous apprenne que beaucoup de commis finissent par
devenir des matres, au camp dAgramant on ne russit pas concevoir
une nouvelle classe hors du proltariat et de la bourgeoisie,
nimporte si celle-ci est bien morte et si celui-l est dordinaire
fustig par un nouveau matre. Il doit sagir, par force, dun simple
commis, presque dun ordinaire bureaucrate qui, dans lU.R.S.S.,
deviendrait le valet de limprialisme mondial, y compris, on le
dirait du moins, de litalo-nippo-allemand !Nous ne pensons pas que
le marxisme puisse conduire de semblables non-sens. Cest toujours
un vice des marxistes que le simplisme, mme si le fond de la
doctrine de leur matre est universel. Marx ne pouvait pas prvoir
lavnement de lEtat totalitaire, domin dabord par une clique et puis
par une couche sociale, laquelle devait ensuite saffermir
dfinitivement dans une classe. Mais les faits sont l examiner, et
les ides ne tombent pas du ciel. Mme au camp dAgramant, ces ides
tombent comme de rares et gros flocons, vritables prodromes dune
neige imminente.Les marxistes, qui se posent en orthodoxes, ne se
contentent pas dexaminer les faits marxistiquement, ils senquirent
de ce qui est dessous ! Ils ont dcouvert que celui qui raisonne
comme nous est une victime dun mirage, tandis quen ralit ce sont
eux qui mettent le monde lenvers, comme les philosophes idalistes
dautrefois. Ils nous servent leur savoir sur des plats, garnis de
dialectique marxiste, une dialectique que nous retenons fonde sue
la lutte des classes, mais eux, les marxistes, ne saperoivent pas
que, dans tout le monde, une nouvelle classe est en train de se
cristalliser. Voulant mconnatre et ignorer la classe bureaucratique
au pouvoir, voici ce que nous dit Trotski, pour expliquer ce qui
arrive maintenant aux pays des Soviets : On peut dire avec pleine
raison que le proltariat dominant dans un seul pays, arrir et isol,
reste malgr tout une classe opprime. Lorigine de loppression, cest
limprialisme mondial : le mcanisme de transmission de loppression,
cest la bureaucratie. Trotski, par son esprit et son art, sait
donner de la ralit aux thses les plus extravagantes et un
observateur superficiel est facilement fascin par la beaut de
lexposition de ce solide raisonneur. Quoi quil en soit, nous ne
nous mouvons pas : le fait est que si le proltariat international
avait battu limprialisme, sorti charg de crimes, du bain de sang de
1914 1918, maintenant nous aurions une rpublique sovitique mondiale
qui se dvelopperait dans une direction socialiste. Jusqu un certain
point nous pouvons, partant, soutenir nous aussi que lorigine de
loppression vient de limprialisme ; mais la question la plus
importante cest dtablir si la bureaucratie sovitique ne reprsente
pas autre chose que le mcanisme de transmission.LU. R. S. S,
quassige le capitalisme, est passe une dgnrescence toujours plus
profonde, tandis que le mcanisme de ce procs sest concrtis dans la
bureaucratie sovitique. Or, quel est le produit social de ce recul
? Peut-tre nest-il pas reprsent par la toute-puissance du mcanisme
de transmission ? Peut-tre ne sagit-il pas de la dfenestration du
pouvoir proltarien pour laisser la place ce quon appelle lagent de
limprialisme ? Peut-on concevoir que ce valet dun prtendu
imprialisme dfende les conqu6tes de la rvolution dOctobre ? Au
contraire nous pensons que ce valet obirait au nouveau matre et
quil ferait un enterrement de troisime classe aux conqutes
rvolutionnaires. En effet nous le voyons vider les Soviets de leur
contenu de classe, enchaner le proltariat, dtruire physiquement les
marxistes et, enfin, faire des distinctions dentre les imprialismes
pour entrer dans la coterie des plus forts et plus vieux. Aussi le
voyons-nous dans larne internationale, jouer des rles qui lui ont
suggrs, non pas afin de rintroduire le capitalisme chez lui, mais
en change de la protection quil reoit pour son rgime actuel
desclavage. Sil devient un patriote et un belliciste, cest
seulement pour des raisons de conservation.Trotski ne nie pas ces
faits, mais il ajoute que le rgime sovitique maintient la proprit
nationalise et quil la dfend : Tant que cette contradiction nest
pas passe du domaine de la rpartition au domaine de la production,
lEtat reste ouvrier. Il est inconcevable de penser, pour Trotski et
tous les marxistes, une socit qui ne soit pas ou bourgeoise ou
socialiste. Une nouvelle forme sociale, organisant la production
sur une proprit nationalise et une conomie planifie, ne peut tre
fondamentalement que proltarienne, mme si dans le domaine de la
distribution les directives sont antisocialistes ! Pour notre
compte, en Russie, le proltariat na fait que changer de matre, aprs
une courte priode de pouvoir. LEtat bureaucratique daujourdhui
maintient les formes dune proprit collective et dune conomie
planifie seulement parce que ces formes saccordent sa nature, de
mme que lEmpire romain a absorb la religion du Christ et du Dieu
Unique, la place des innombrables dieux paens, parce que cela lui
convenait. Ces nouvelles formes conomiques poussent partout sur la
terre, premirement dans les pays capitalistes faibles, moins
rsistants la disparition gnrale du capitalisme. Si celui-ci a
accompli sa tche historique et que la rvolution proltarienne na pas
remport la victoire, il faudra bien que le monde poursuive son
dveloppement selon une nouvelle forme sociale, mme si Marx na pas
prvu cette forme et si Messieurs les marxistes ne lont pas remarque
!Le commis qui, suivant Trotski, nest que le mcanisme de
transmission de limprialisme, domine en Russie depuis plus de vingt
ans et il dirige un pays qui est un sixime des continents, avec une
population de 180 millions dhabitants. Evidemment, le commis a des
proportions alarmantes, de beaucoup plus grandes que celles de ses
matres mmes. Une domination de ce genre a besoin dun staff qui,
lchelle nationale, reprsente pour nous une classe. Pour la
renforcer, cette classe pousse sa domination dans tous les domaines
sociaux, et l o elle rencontre des rsistances, passe outre en
surmontant des montagnes de cadavres. Le rgime bureaucratique en
U.R.S.S. a, dabord, sacrifi le parti communiste et la Troisime
Internationale, puis lArme rouge mme. Les besognes de cette
grandeur ne peuvent pas tre faites par des cliques ou des staff ou
des commis , mais seulement par des classes.V. La proprit de
classeEtant donn que Trotski attribue une valeur incommensurable au
fait que la contradiction na pas pass du domaine de la rpartition
celui de la production, on pense quil conoit la production
sovitique comme ayant la marque proltarienne. Il nous semble que,
cette fois encore, il y a un mirage, dont ce nest pas nous les
victimes.Du seul fait que la proprit est nationalise et lconomie
planifie, on pense que la production est dune qualit suffisamment
socialiste pour nous assurer la permanence de lEtat ouvrier. En
ralit tout le systme de production demeure collectif, comme dans
lorganisation de grandes entreprises capitalistes, tandis que la
proprit passe de la forme prive la collective. Il sensuit, par
consquent, que si les caractristiques conomiques sont les seules
dterminantes de la nature dun Etat, nous sommes rduits, pour ce qui
est de lU. R. S. S., aux nationalisations et aux plans tatiques.Il
nous reste voir ce que reprsente en effet la nationalisation de la
proprit en U.R.S.S. Cest ici que nous aussi, sans avoir la
prtention dtre des marxistes orthodoxes, nous nous permettons
dexaminer le dessous des faits. La nationalisation de la proprit a
t certainement la premire mesure rvolutionnaire que la classe
proltarienne au pouvoir a dcrte dans le but dune construction
socialiste. Mais celle-ci sest arrte avec la dgnrescence
stalinienne et il est logique de rechercher ce quest devenue cette
nationalisation dans le domaine social, puisquelle devait tre
suivie de la socialisation de la proprit. On nous dit, dune manire
fort simpliste, que la proprit est nationalise. Cest bien peu pour
des marxistes scientifiques. Qui est-ce qui la dirige cette proprit
? Ce nest certainement pas le proltariat, mais plutt la
bureaucratie sovitique. Au camp dAgramant, tout le monde est
daccord sur ce point. Trotski ajoute que la rpartition des produits
est faite de manire que la bureaucratie soctroie la part du lion.
Nous nous demandons quelle sorte de proprit nationalise est
celle-ci, une proprit que dirige exclusivement une classe semparant
ensuite des produits dune manire aussi effronte que celle employe
par la vieille bourgeoisie. En effet, il existe en Russie une
classe exploiteuse, ayant en main les moyens de production et elle
se conduit en propritaire de ceux-ci. Les membres de cette classe
ne partagent pas cette proprit, mais eux-mmes, en un bloc formant
une classe, sont les possesseurs rels de toute la proprit
nationalise.La proprit, aprs avoir t tout le monde, et par
consquent elle nexistait pas pour les hommes des ges trs anciens, a
pass collectivement aux communauts pour se transformer aprs en
proprit prive. Maintenant il semble quelle reprenne une forme
collective sous laspect de proprit de classe.En Russie la classe
exploiteuse est devenue la propritaire, ainsi elle a concrtis son
essence juridique-sociale. Pour viter lassaut des travailleurs,
elle les charme par les nationalisations de la proprit, comme si,
en effet, cela pouvait reprsenter une proprit tous. Malgr cela elle
a peur et, ne pouvant pas dvelopper son travail dans un milieu
dmocratique, elle est condamne, du moins ce moment, construire un
Etat policier. Les formes de proprit doivent aller du mme pas que
le systme de production. Si la classe exploiteuse nest pas la
hauteur de la tche que lhistoire lui a assigne, elle tombe en
dissolution, il en sort une nouvelle classe que nous pouvons
qualifier historiquement de parasitaire. Voil qui, peut-tre,
concrtise la condamnation de lhistoire. La contradiction, propre la
socit capitaliste, entre la manire de production et la forme de
proprit, se trouve rsolue en U.R.S.S. mme sans la ralisation du
socialisme et llvation du proltariat en classe dominante.
Lexploitation reste, mais au lieu dtre exerce sur lhomme par
lhomme, elle est exerce sur une classe sociale par une autre
classe. Lexploitation de lhomme, sous la pousse de linvitable
dveloppement conomique, a pris une nouvelle forme. La proprit prive
est devenue collective, mais elle est une classe. Nous ne saurions
dfinir dune manire diffrente cette proprit nationale qui nest pas
tout le monde, cette proprit qui nest ni bourgeoise, ni
proltarienne ; elle nest ni prive, ni socialiste non plus.Trotski
ne russit pas concevoir, en Russie, la nouvelle classe exploiteuse,
il ne russit pas concevoir la progressive pulvrisation de la
bourgeoisie dans le monde, il nentrevoit pas la dtermination
toujours plus remarquable de la proprit de classe non seulement en
Russie, mais dans les pays totalitaires aussi. Il conoit le monde
comme une socit bourgeoise pourrissante . Cest bien peu pour un
marxiste qui prtend lanalyse scientifique. De Mussolini Labriola,
de Tardieu Wallace, toute la littrature de ce quart de sicle nest
quune accusation et du sarcasme ladresse de la vieille socit
bourgeoise. On a chant le De profondis au capitalisme dans toutes
les langues. Il nous semble que la tche des marxistes
scientifiques, les dpositaires de la dialectique de la lutte de
classes, nest pas celle de se tirer daffaire par une dfinition
banale. Leur tche, ces marxistes, cest prcisment de voir quel est
le mouvement des classes, en cette poque o finit le capitalisme, et
ensuite de fixer les nouvelles formes de proprit et les nouveaux
rapports sociaux. Nous voyons ainsi que la clbre plus-value na mme
pas disparu dans cet Etat devinette quest lUnion Sovitique.
L-dessus tout le monde est daccord, tandis que les dissensions
surviennent lorsquil sagit de dterminer o cette plus-value va
finir. Est-ce quelle va la bourgeoisie inexistante ? Non. Peut-tre
va-t-elle aux ouvriers ? Point du tout, car, dans le cas contraire,
se raliserait le fait dun socialisme en construction dans un seul
pays et prcisment dans celui du grand mensonge . Peut-tre
devons-nous penser que la plus-value va lEtat ouvrier ? Pour les
raisons susdites, ce serait le triomphe du stalinisme dont Trotski
est lennemi No 1. Si quelquun prtendait que la plus-value a disparu
au pays des Soviets, il faudrait en dduire que la force-travail
aussi nest plus achete. Alors le socialisme serait une ralit,
contre toute vidence.En ralit, il ny a quune rponse possible et
admissible : la plus-value passe la nouvelle classe exploiteuse, la
bureaucratie en bloc. Quand on admet que la socit bourgeoise est en
train de se dcomposer, cela signifie que cette socit perd ses
caractristiques conomiques, cela signifie aussi que les
caractristiques particulires de la classe dominante disparaissent
et que la socit se transforme. Le phnomne, complet dans le
soi-disant Etat sovitique, est en train de se former partout dans
le monde. La proprit de classe qui en Russie est un fait, nest
certainement enregistre par aucun notaire ni par aucun cadastre. La
nouvelle classe exploiteuse sovitique na pas besoin de ces
balivernes. Elle a la force de lEtat en main, et cela vaut beaucoup
plus que les vieux enregistrements de la bourgeoisie. Elle
sauvegarde sa proprit avec les mitrailleurs, dont son appareil
doppression tout-puissant est fourni, et non pas par des actes
notaris.Si la thse de la proprit nationalise, conue rellement comme
appartenant tout le monde, peut tre soutenue par le fascisme avec
ses conceptions de collaboration des classes et de lEtat au-dessus
des classes, nous ne comprenons pas comment des marxistes, mme
scientifiques, peuvent se tirer daffaire sur ce point. Suivant Marx
et Lnine, lEtat nest que lorgane doppression de la classe
dominante. En effet, tant quil existe, lEtat, les classes restent
et la proprit, sous lgide de lEtat, est gre par la classe dominante
se servant de son appareil de domination.En parlant la manire des
marxistes, le concept de la proprit nationalise naucun sens, il est
antiscientifique et antimarxiste. Selon Marx, la proprit, de prive,
devait devenir socialiste et socialiste il lentendait, du moins la
forme potentielle, mme dans la priode de la dictature proltarienne.
Suivant la thorie marxiste, derrire lEtat il y a toujours la
classe, et si la possibilit dune forme intermdiaire de proprit (la
proprit de classe) na pas t prvue, cela vient presque certainement
dun faux calcul tenant pour sre la rapide disparition des classes
aprs que le proltariat aura pris le pouvoir. En ralit pendant la
dictature du proltariat, la proprit prend le caractre de classe,
elle appartient aux travailleurs qui la grent, elle manifeste son
caractre socialiste seulement dans une manire potentielle. Si la
proprit est nationalise dans un rgime non proltaire, elle perd
aussi son caractre potentiel de proprit socialiste, elle ne reste
quune proprit de classe.Dans le cas de lU.R.S.S., un Etat o la
bourgeoisie a un poids ngligeable, si lorganisation de lEtat reste,
cela signifie que deux classes, au moins, sont encore en vie et
quelles sont efficientes. Si le bon sens se refuse retenir les
travailleurs sovitiques comme les propritaires des moyens de
production, il est logique de penser que la proprit de ceux-ci
appartient effectivement la bureaucratie. Un commis ! Loin de l, il
sagit dun propritaire bien dfini ! Le fait qui, avec beaucoup de
probabilit, est lorigine non seulement de la discorde au camp
dAgramant, mais aussi de la confusion politique du monde, cest de
ne pas avoir prvu une forme transitoire de proprit entre proprit
prive et proprit socialiste. Dailleurs, partout on qualifie de
socialisme ou de capitalisme loeuvre de Staline, de Mussolini ou de
Hitler, tandis quen ralit il ne sagit que dun collectivisme
bureaucratique.Au camp dAgramant on fait des efforts terribles de
parer ces dductions logiques : on dirait que cest l un choeur de
chats en rut, occups pendant les nuits de mars dchirer notre me par
leurs lugubres hurlements.Le lieutenant Naville, qui on avait
demand quelle diffrence y avait-il entre la proprit prive et la
proprit collective, si seule une bureaucratie peut profiter de
celle-ci , rpond quil ny aurait quune diffrence de degrs entre la
proprit prive capitaliste et la gigantesque proprit prive de la
bureaucratie . Une fameuse trouvaille ! La proprit de plusieurs
millions de citoyens, considrs comme un ensemble social,
demeurerait encore une proprit prive. Mais veut-il alors nous dire,
ce marxiste scientifique, quest-ce quil entend par proprit
collective ? Peut-tre une somme de beaucoup de petites proprits
prives. Et pourquoi ne resterait-elle pas prive la proprit
socialiste, sil est question seulement de degr ? Peut-tre ce Solon
prend la Socit humaine pour une socit anonyme par actions ? On doit
considrer les Socits humaines par la synthse et non par les sries.
La proprit prive demeure telle tant que ltatisation continuelle ne
change pas ses caractristiques. Mme le capital nest pas tel tant
quil na pas atteint une certaine ampleur. La loi dialectique de
Hegel, de la transformation de la quantit en qualit, vaut aussi
pour la proprit, cela nous le disons, sauf, ou non, la permission
de tout le camp dAgramant. La premire cristallisation de la proprit
collective sidentifie la proprit de classe, mme sous lgide du
proltariat. Les marxistes nont prvu et nont pas vu cela, mais cest
l une autre affaire.Si, daprs Naville, la proprit des tatisations
fascistes reste prive, - nimporte si ce procd va submerger tout le
capitalisme - nous ne voyons pas la raison suivant laquelle nous ne
devons pas considrer aussi comme prive la proprit des
nationalisations sovitiques, tant donn quen Russie le procd est
compltement acquis et la bureaucratie en est la grande bnficiaire !
Suivant le raisonnement de Naville cette dduction est logique, mme
si elle est fausse. En Russie, en ralit, la nationalisation des
moyens de production a cr une forme de proprit collective, mais de
classe, qui rsout lantagonisme capitaliste entre la production
collective et lappropriation prive. Nous nusons pas de deux poids
deux mesures en examinant les faits sociaux. Nous affirmons aussi
que le profond travail conomique des Etats totalitaires, avec les
nationalisations et les plans conomiques, conduit la disparition du
mme antagonisme. Cela a bien des consquences sociales, savoir :
lapparition de la proprit de classe et de la domination de la
bureaucratie, la pulvrisation de la bourgeoisie et la
transformation des proltaires en sujets de lEtat.En se rapportant
la bureaucratie en gnral, Naville continue : Quelle ait ou non des
titres de proprit (et elle nen a pas), la bureaucratie ne peut
disposer (rpartir) librement ni dun capital accumul, ni de la
plus-value produite. Il ne sagit pas pour elle dune proprit
capitaliste prive, mme lchelle des monopoles dEtat. Il nous semble
que la vrit a un sens contraire. La bureaucratie sovitique,
surtout, dispose des capitaux amasss et elle rpartit la plus-value.
Trotski arrive dire : Ce qui ntait quune dformation bureaucratique
sapprte maintenant dvorer lEtat ouvrier sans rien laisser, et
former sur les ruines de la proprit nationalise une nouvelle classe
possdante. Nous ajoutons : qui dirige lconomie ? Qui est-ce qui
dresse les plans quinquennaux ? Qui tablit les prix de vente ? Et
qui les salaires ? Qui dcrte les travaux publics, les installations
industrielles, etc., si ce nest la bureaucratie sovitique ? Et si
la proprit ntait pas la disposition de celle-ci, la disposition de
qui donc est-elle ? Qui est-ce qui est chang de la rpartition de la
plus-value ? Cest, peut-tre, ou bien la morte bourgeoisie tsariste,
ou limprialisme mondial, ou le proltaire russe ? Naville ne nous
donne pas dexplications et il continue : Sagit-il dune forme
nouvelle de proprit, des rapports tablis historiquement sur la base
de lappropriation collective, mais au bnfice dune classe
particulire, la bureaucratie ? Dans ces cas, il faudrait admettre
que la bureaucratie jouit du systme comme une classe capitaliste,
parce quelle sapproprierait la plus-value comme une entreprise
capitaliste. Mais oui, parbleu, cest prcisment cela ; pourtant il
faut admettre que la bureaucratie jouit du systme divisant la socit
par classes, non comme une classe capitaliste, mais comme une
classe bureaucratique. Elle sempare de la plus-value, pas la manire
dune entreprise capitaliste, mais comme une classe exploiteuse en
bloc.Au contraire, Naville rpond de cette manire la question quil
se pose timidement Lhistoire dmontre que le phnomne de la
production et de lappropriation de la plus-value nest pas propre et
limit au capitalisme libral ou au monopole priv. La rente foncire
et la plus-value, ont pris tout leur sens avec lconomie marchande
puis le dveloppement industriel. Elle continue exister en U.R.S.S.,
malgr les dngations de Staline, Boukharine et leur cole. Seulement
elles sont nationalises, et l gt une diffrence essentielle. Si lon
veut clairer la nature de la socit sovitique actuelle, cest aussi
de ce ct quil faut viter les erreurs. Mis au pied du mur, se
trouvant dans linluctable ncessit dadmettre que la plus-value prend
tout son sens dans le collectivisme bureaucratique aussi, le
disciple de Trotski tourne lobstacle dune faon peu scientifique. Il
souligne la position ambigu, antimarxiste et ractionnaire daprs
laquelle la rente foncire et la plus-value seraient nationalises
dans la socit sovitique. Il y remarque aussi une diffrence
essentielle !Nous allons lui rpondre par les paroles de son matre
qui, dans La Rvolution trahie, sexprimait ainsi: Il nest pas
contestable que les marxistes, commencer par Marx lui-mme, aient
employ lgard de lEtat ouvrier les termes de proprit tatique,
nationale ou socialiste comme des synonymes. A de grandes chelles
historiques, cette faon de parler ne prsentait pas dinconvnients.
Mais elle devient la source de fautes grossires et de duperies ds
quil sagit des premires tapes non encore assures de lvolution de la
socit nouvelle isole et en retard au point de vue conomique sur les
pays capitalistes.La proprit prive, pour devenir sociale, doit
inluctablement passer par ltatisation, de mme que la chenille, pour
devenir papillon, doit passer par la chrysalide. Mais la chrysalide
nest pas un papillon. Des myriades de chrysalides prissent avant de
devenir papillons. La proprit de lEtat ne devient celle du peuple
entier que dans la mesure o disparaissent les privilges et les
distinctions sociales et o, par consquent, lEtat perd sa raison
dtre. Autrement dit : la proprit de lEtat devient socialiste au fur
et mesure quelle cesse dtre proprit dEtat. Mais au contraire : plus
lEtat sovitique slve au-dessus du peuple dilapidateur comme le
gardien de la proprit et plus clairement il tmoigne contre le
caractre socialiste de la proprit tatique. Aussi ne semble-t-il qu
la suite dune soi-disant nationalisation de la proprit, la rente
foncire et la plus-value soient effectivement nationalises,
cest--dire appartenant tout le peuple. Il nexiste aucune diffrence
essentielle si ce nest celle-ci : ce nest plus la bourgeoisie la
classe exploiteuse qui touche la plus-value, mais cest la
bureaucratie qui sest dcerne cet honneur. Naville joue sur lidentit
existant entre la proprit nationalise et la proprit socialiste, ce
qui ne nous semble ni trop scientifique, ni trop marxiste.Au temps
de Marx une telle faute tait excusable, mais cette mme faute est
impardonnable aux disciples puisque maintenant les prvisions du
Matre, mme si elles ne sont pas claires, prennent une substance
sociale.Veut-on apurer la nature de la socit actuelle ? Il faut
prcisment viter des erreurs de ce ct et approfondir ce que
reprsente, en parlant socialement, la proprit nationalise ? Cest
entendu que ce travail doit tre fait dune manire scientifique,
marxiste, si cela leur plat mieux, aux chevaliers dAgramant. Nous
ne prtendons pas que notre travail soit complet, nous lavons
seulement bauch.En suivant cette voie, mme lavnement de lEtat
totalitaire dans le monde deviendra plus clair ceux qui, jusquici,
nous ont montr une incomprhension complte lgard du fascisme, quils
fltrissent, le tenant pour le sauveur et la continuation du
capitalisme.Dans ces rgimes une nouvelle classe dirigeante en
formation dclare que le capital est au service de lEtat. Cette
classe fait suivre les faits, fixe dj en grande partie les prix des
marchandises et les salaires des travailleurs, elle organise sur un
plan prtabli lconomie nationale.Evidemment la proprit des moyens de
production ne sindividualise pas dune manire aussi simple que celle
des moyens de consommation. Ceux-ci sont dun usage personnel, mais
ceux-l sont plus immobiles que les montagnes. Il ny a aucun
propritaire, ni aucune classe, ni aucun Etat qui puisse les mettre
sur son dos, et les entraner o bon lui semble. Aussi ny a-t-il pas
stonner sil arrive des moments o il est difficile de dterminer la
proprit.A notre sens, en U.R.S.S., les propritaires, ce sont les
bureaucrates, car ce sont eux qui tiennent la force entre leurs
mains. Ce sont eux qui dirigent lconomie, ainsi que cela tait
normal parmi les bourgeois. Ce sont eux qui sapproprient les
profits, ainsi que cela est rgulier chez toutes les classes
exploiteuses, et qui fixent les salaires et les prix de vente des
marchandises : enfin ce sont, encore une fois, les bureaucrates.Les
ouvriers ne comptent pour rien dans la direction sociale, plus
encore, ils nont aucune part aux recettes de la plus-value et, ce
qui est pis encore, ils ne sont pour rien dans la dfense de cette
trange proprit nationalise. Les ouvriers russes sont encore des
exploits, et ce sont les bureaucrates leurs exploiteurs.Maintenant
la proprit nationalise de la rvolution dOctobre appartient comme un
Tout la classe qui la dirige, lexploite et la sauvegarde : cest une
proprit de classe.Le systme de production collective sest intgr
pendant lvolution capitaliste ; par ce systme, la proprit prive ne
pouvait pas chapper la collectivisation. La ralit cest que la
proprit collective nest pas sous la protection de la classe
proltarienne ; mais elle est sous la protection dune nouvelle
classe reprsentant en U.R.S.S. un fait social accompli, tandis que
dans les Etats totalitaires, cette classe est en train de se
former.VI. Lexploitation bureaucratique Sil est vrai que lU.R.S.S.
sest fixe dans une nouvelle forme sociale stable, autre que le
capitalisme, et qu la place de la nouvelle bourgeoisie une autre
classe dominante est survenue, vous nous expliquerez aussi quelle
est la nouvelle forme dexploitation et par quelles voies la
plus-value est extorque aux travailleurs. Cest ainsi, ou peu prs,
que les marxistes scientifiques ont le droit de parler et nous
ferons de notre mieux pour aller au-devant de leurs dsirs. Si
Trotski est daccord avec Naville sur la question de la proprit
nationalise, comme caractristique propre de lEtat ouvrier, il ne
semble pas que le matre soit du mme avis que la discipline quant
considrer nationalises, au pays de Staline, la rente foncire et la
plus-value. Voici ce quil nous dit dans La Rvolution trahie : Si
nous traduisons, pour mieux nous exprimer, les rapports socialistes
en termes de bourse, les citoyens pourraient tre les actionnaires
dune entreprise possdant les richesses du pays. Le caractre
collectif de la proprit suppose une rpartition galitaire des
actions et, partant, un droit des dividendes gaux pour tous les
actionnaires. Les citoyens cependant participent lentreprise
nationale et comme actionnaires et comme producteurs. Dans la phase
infrieure du communisme que nous avons appele socialisme, la
rmunration du travail se fait encore selon les normes bourgeoises,
cest--dire selon la qualification du travail, son intensit, etc. Le
revenu thorique dun citoyen se forme donc de deux parties, a + b,
le dividende plus le salaire. Plus la technique est dveloppe, plus
lorganisation conomique est perfectionne et plus grande sera
limportance du facteur a par rapport au facteur b, et moindre sera
linfluence exerce sur la condition matrielle par les diffrences
individuelles du travail. Le fait que les diffrences de salaires
sont en U.R.S.S. non moindres mais plus considrables que dans les
pays capitalistes nous impose la conclusion que les actions sont
ingalement rparties et que les revenus des citoyens comportent en
mme temps quun salaire ingal des parts ingales de dividendes.
Tandis que le manoeuvre ne reoit que b, salaire minimal que, toutes
autres conditions tant gales, il recevrait aussi dans une
entreprise capitaliste, le stakhanovien et le fonctionnaire
reoivent 2 a + b ou 3 a + b et ainsi de suite, b pouvant dailleurs
devenir aussi 2 b, 3 b, etc. La diffrence des revenus est, en
dautres termes, dtermine non par la seule diffrence du rendement
individuel, mais par lappropriation masque du travail dautrui. La
minorit privilgie des actionnaires vit au compte de la majorit
berne. Si lon admet que le manoeuvre sovitique reoit davantage quil
ne recevrait, le niveau technique et culturel demeurant le mme, en
rgime capitaliste, cest--dire quil est tout de mme un petit
actionnaire, son salaire doit tre considr comme a + b. Les salaires
des catgories mieux payes seront en ce cas exprims par la formule 3
a + 2 b, 10 a + 15 b, etc., ce qui signifiera que le manoeuvre
ayant une action, le stakhanovien en a trois et le spcialiste dix ;
et quen outre leurs salaires, au sens propre du mot, sont dans la
proportion de 1 2 et 15. Les hymnes la proprit socialiste sacre
paraissent dans ces conditions bien plus convaincants au directeur
dusine ou au stakhanovien qu louvrier ordinaire ou au paysan de
kolkhoze. Or, les travailleurs du rang forment limmense majorit
dans la socit et le socialisme doit compter avec eux et non avec
une nouvelle aristocratie. Nous approuvons du tout au tout, et si
Trotski dit quune minorit privilgie vit aux dpens dune majorit
berne, nous pensons que Naville aussi en sera convaincu !Nous
nosons mme pas esprer quon nous lira, mais il nous semble, en
passant, que si la nationalisation de la plus-value et de la rente
foncire rapporte seulement aux bureaucrates, il est permis de
penser que la proprit nationalise est aussi de leur ressort, ces
bureaucrates, et quelle nappartient pas la socit tout entire, car,
alors, elle serait vraiment socialiste. Le lieutenant franais, en
bon disciple, a tir du concept du matre les consquences relatives
la proprit sovitique. La drivation est exacte, mais cest la
position qui nest pas exacte et le rsultat ne pouvait tre querron.
Quil en veuille Trotski, si bon lui semble, ou bien quil apprenne
quen ce monde mme les gnies sont des hommes et, partant, faillibles
; tandis que mme des mdiocres peuvent quelquefois remarquer les
fautes des grands hommes. Naville nous soumet bien propos un
morceau intressant du Capital : La forme conomique spcifique dans
laquelle le surtravail non pay est extorqu aux producteurs immdiats
dtermine le rapport de dpendance entre matres et non-matres, tel
quil dcoule directement de la production mme, et son tour ragit sur
elle. Cest dailleurs la base sur laquelle repose toute la structure
de la communaut conomique et des conditions mmes de la production,
et donc en mme temps la forme politique spcifique. Cest toujours
dans le rapport direct entre les propritaires des conditions de
production et les producteurs immdiats - rapport dont la forme
correspond toujours et de faon naturelle un stade dtermin dans le
dveloppement des modalits du travail et, donc, de sa productivit
sociale - cest toujours dans ce rapport que nous trouvons le secret
intime, le fondement cach de tout ldifice social et, par consquent,
aussi la forme politique revtue par le rapport de souverainet et de
dpendance, en un mot toute la forme spcifique de lEtat. Cela
nempche pas que la mme base conomique - la mme, entendons-nous,
quant aux conditions principales - peut, sous linfluence de
diverses conditions empiriques, des donnes historiques agissant du
dehors, conditions naturelles, diffrences de race, etc., prsenter,
quant sa manifestation, des variations et des gradations infinies,
dont la comprhension nest possible que par lanalyse de ces
circonstances empiriques donnes. On dirait que Marx vient dcrire
tout a. Nous aussi pensons parfaitement que le secret intime de
ldifice social est rvl par la forme conomique spcifique dans
laquelle la plus-value est extorque aux producteurs immdiats. Mais
si cette plus-value va une classe privilgie et que la rente foncire
des kolkhozes prend le mme chemin (ainsi que le dmontre Trotski) et
elle ne va pas LEtat, comme Naville voudrait le prouver par un
exemple naf sur le kolkhoze, cela prouve que la classe
bureaucratique sovitique nest pas un fantme ; mais elle prend les
qualifications de classe dirigeante et exploiteuse.Voici lexemple
de Naville sur le kolkhoze par lequel il nous montre comment les 37
% seulement de la production vont aux travailleurs, et le reste
lEtat, cest seulement en partie que ce reste va directement la
bureaucratie : Un exemple. Voici comment la rente foncire retourne
lEtat. La rpartition des produits et de largent dans un kolkhoze se
fait suivant des rglements dicts par le gouvernement. Tout dabord,
un prlvement est effectu au profit de lEtat, prlvement dont
limportance varie suivant la fertilit de la rgion et qui atteint
jusqu 41 % de la rcolte. Puis il est dduit 2 3 % pour les dpenses
administratives, et 13 25 % pour lamortissement des tracteurs et
machines agricoles, enfin 10,5 % pour le fonds de rserve. Le reste
est rparti entre les travailleurs au prorata de la quantit et de la
qualit du travail effectu par eux. Le point essentiel, cest de voir
si, par les pourcentages verss directement pour les frais
dadministration, les bureaucrates sont pays en raison du salaire
moyen de louvrier ; mais il est encore plus intressant de voir ce
quil en fait, lEtat sovitique, des 60 % de la production accapare.
Est-ce quil remet totalement en circulation cette plus-value, dans
lintrt de la masse trangre au gouvernement, ou bien il lui faut
prendre - la plus-value - des directions particulirement chres ses
qualits spcifiques dEtat de classe ? La rponse est presque oiseuse
: Jsus-Christ aussi lava dabord ses pieds pour laisser ensuite leur
tour aux Aptres. Toute la littrature des chevaliers dAgramant,
toute, nous disons, est l pour accuser : La diffrenciation extrme
des rtributions dentre les citoyens sovitiques, la diffrenciation
croissante des classes, la nouvelle bureaucratie, laristocratie
sovitique, la part du lion, les 40 % de la production avals par la
bureaucratie, laccroissement des antagonismes sociaux, de lingalit
et ainsi de suite. Il ne fallait que la navet candide du philistin
Naville pour supposer que la plus-value, extorque aux travailleurs
sovitiques, revienne eux en grande partie par le moyen dun
soi-disant Etat Ouvrier .En ralit, lEtat bureaucratique verse, de
diffrentes manires, la plus-value ses fonctionnaires formant une
classe privilgie, installe directement dans lEtat. Nous non plus,
nous navions jamais vu une classe dominante sans une bureaucratie
place directement la direction de lEtat, ni une bureaucratie qui ft
aussi classe dominante. Pourtant aujourdhui nous le voyons et nous
sommes aussi persuads de ne pas prendre des vessies pour des
lanternes. Nous le regrettons pour les chevaliers dAgramant qui,
aujourdhui, se battent contre des moulins vent, ou, mieux encore,
nous le regrettons pour des Don Quichotte envahissant le camp damn
de la discorde quun Archange vindicatif y avait jete ; mais nous
croyons que la ralit sociale est prcisment celle-ci. Ce sont des
plaisanteries de lhistoire, de petits contretemps rvolutionnaires
aux grands marxistes sci