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Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?69
par Marie-Pierre Feuvrier70
Rsum
Cet article vise ouvrir des perspectives pour le management des
hommes, au-del de la gestion du mal-tre et du stress. En effet, les
nouvelles recherches sur le bonheur, via la psychologie positive,
montrent que les salaris plus heureux sont plus performants. Parmi
les voies daccs au bonheur, certaines rendent primordiaux les
aspects relationnels. Dautres expliquent en quoi sengager dans des
expriences avec des buts clairs, prsentant une optimisation entre
aptitudes et dfis, procure un sentiment de bonheur ou flow, se
traduisant par un investissement majeur de la personne dans son
activit. Aprs une synthse comparative qui dcline les
caractristiques du bonheur au travail, une enqute qualitative auprs
de partenaires de la GRh nous permet de vrifier que danciens
manageurs mettent leurs comptences au service des entreprises pour
contribuer revaloriser plaisir, bien-tre ou bonheur, par des
formations incluant comptences sociales et dterminants du bonheur.
Des freins subsistent, cependant, au lieu denvisager le bonheur
comme un sujet mivre ou priv, il peut faire lobjet dune rflexion
stratgique permettant de concilier responsabilit sociale des
entreprises et performance. Un changement de paradigme effectuer au
service dune GRH qui deviendrait ainsi un pilier stratgique de
lentreprise.
Abstract
This paper explores the possibility of opening perspectives for
Human Resource Management Practices, taking account not only stress
and settlement, but also happiness. Indeed, new researches in
positive psychology, highlight that the happier employees are more
successful. There are various access roads to the happiness. It can
put forward relationship, goals, or flow. When people is completely
immersed in an activity and perceive a balance between the
challenge of a situation and their own skills to deal with this
challenge, they can live optimal experience , or flow. Obviously,
the incentive for engaging in that activity lay in the performance
of the activity itself. First, a comparative study about happiness
components and happiness at work, allowed us to establish a
parallel between the happiness components and the social skills of
the organizations. Even if its not obvious to deal with happiness
in HRM practises, results of qualitative
69. Le prsent texte fait suite une communication au colloque de
lISC Paris Management des hommes, hommes de management , sous le
titre Bonheur et travail dans la socit franaise au 21e sicle en mai
2012.70. mArie-Pierre FeuVrier, Doctorante Ph D Education,
Universit de Sherbrooke et Universit Catholique de lOuest,
[email protected]
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survey with partners of the HRM show that training teachers
begin to train managers ou workers to develops, for professional
purposes, social skills to be more happy at work. So, instead of
envisaging happiness as a precious or private subject, it can be
the object of a strategic reflection allowing to reconcile social
responsibility of companies and performance. A change of paradigm
to be made in which HRM should become a strategic pillar of the
company.
Cet article a pour objectif dclaircir les liens possibles entre
bonheur et travail, en mettant en confrontation la fois la demande
socitale de bonheur, les avances scientifiques sur le bonheur, et
la GRh au travers du capital humain, des comptences sociales et du
mal-tre en entreprise. Cette recherche ouvre le sujet avec une
focale volontairement large, car elle constitue un dpart des
recherches plus fines.
Plusieurs conceptions philosophiques anciennes, tel lpicurisme
ou le stocisme, ont suggr une incompatibilit entre le bonheur et la
sphre du travail. Ce nest quau xVIIIe sicle que lide de bonheur
commence tre associe au travail (Baudelot et Gollac, 2002). La
rationalisation scientifique et technique ayant chass la pense
magique et les voies visant percer linexplicable, le travail est
devenu en fin de XIXe sicle un acteur du mouvement avec son
organisation capitaliste rationnelle. Le travail tait le moyen de
subvenir aux besoins vitaux. Il est devenu un moyen dexister via un
statut (Baudelot et Gollac, 2002). Le bonheur se trouvait dans ce
statut, dans louverture aux loisirs, dans laccs au bien-tre
matriel. Le taylorisme ayant montr ses limites (Zarifian, 2010),
une revalorisation des tches et la reconnaissance des relations
humaines a apport une amlioration, mais a priori une satisfaction
en de du bonheur (Baudelot et Gollac, 2002). Mais paradoxalement,
ces dernires annes ont prouv que le travail pouvait aussi
contribuer son malheur. Nous sommes dans une socit en mutation
conomique et sociologique (Montaclair, 2010), entranant les
entreprises demander des performances et des comptences de plus en
plus grandes. Outre la mdiatisation des suicides au travail, le
malheur sexprime dans laugmentation du mal-tre des salaris, du
stress ou autres risques psychosociaux (Bourion et Persson, 2010 ;
Dejour, 1993 ; Montaclair, 2010 ; Thvenet, 2010, 2011).
La DRH se voit donc imposer par le ministre du Travail la prise
en compte du bien-tre et de la sant mentale des salaris, au-del
dune simple gestion du stress (Lachmann, Larose, Penicaud, 2010).
Outre la qualit de vie au travail, le rapport Sen-Stiglitz, qui
remet en cause le PIB comme lunique indicateur de la performance
conomique et du progrs social, propose le bonheur comme une des
pistes exploiter (Giraud, 2010). Dans le champ de lconomie, le
bonheur du plus grand nombre est envisag comme possible (Layard,
2005 ; Veenhoven, 2007).
Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?
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Lentreprise est en droit de se poser la question, est-ce de son
ressort, ou celui de ltat ? (Capron, 2009). Mais la GRH est remise
en question par la crise (Thvenet, 2009), et elle doit faire face
de nouveaux comportements induits par une politique prcdente froide
et cynique (Montalan et Vincent, 2010), tout en prservant la
rentabilit conomique de lentreprise. Les salaris accusent une perte
de confiance dans lentreprise (Capron, 2005), et activent des
stratgies comme la dfiance, la dmotivation, lengagement minimal
dans la tche, refusant dtre considrs comme des briques assembler
(Montalan et Vincent, 2010). Le capital humain, ensemble des
connaissances et des comptences dun individu (Guillard et Roussell,
2010), lui appartenant, il peut trs bien dcider de le mettre en
uvre ou pas, a minima ou a maxima (Coff, 1997).
Depuis les annes 90, lindividu naspire pas travailler pour son
sacrifice, et la notion dpanouissement est dsormais associe celle
dinvestissement (Baudelot et Gollac, 2002, p. 33). En parallle, la
demande socitale de bonheur explose (Algoud, 2004 ; De Smedt, 2003
; Tkach et Lyobomirsky, 2006). Une tude montre quen Europe, ceux
qui travaillent de longues heures sont moins heureux que ceux qui
travaillent moins dheures, mais aux tats-Unis cest linverse
(Brownstein, 2011). Il semble que dans la socit franaise, bonheur
et travail soit devenu un oxymore - le terme travail rappelle cette
ralit puisquil drive du latin tripalium, un instrument de torture
-, conduisant les gens rechercher le bonheur en dehors de la sphre
conomique. Lier travail et plaisir nest plus dans lair du temps
(Thvenet, 2010). Des salaris qui convoitent le bonheur hors du
travail et ne sy investissent plus pour les uns, ou se transforment
en agents conomiques maximisateurs pour les autres (Montalan et
Vincent, 2010), la gestion du capital humain, richesse immatrielle
de lentreprise, se pose. Or, le capital humain, en termes de
comptences sociales, est faible (Cappelletti, 2010).
Au niveau scientifique, Jusquau tournant des annes 1960 et 1970,
les scientifiques dlaissent ltude du bonheur au profit dobjet de
recherches plus dignes (Pawin, 2013, p. 177). Les recherches sur le
bonheur se multiplient, et remettent en cause un bonheur uniquement
matrialiste . En dehors de nos frontires, les sciences de la
psychologie en ont fait un courant scientifique, la psychologie
positive ou science du bonheur, qui gagne les milieux scientifiques
franais : le premier congrs de psychologie positive francophone
aura lieu en 2013, lentreprise fait partie des thmes traits.
Notre article vise donc dterminer de quelle faon ces avances
peuvent venir clairer la GRH. Sans se substituer ltat, lentreprise
peut avoir un rle de rgulateur relatif des attentes sociales
(Persais, 2004). Nous proposons donc dtudier, non pas sous son
aspect thique, mais utilitariste, la possibilit pour la GRH
dexploiter le lien positif entre la performance sociale de
lentreprise (lie la
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question du mal-tre et aux attentes de bonheur) et sa
performance conomique. Nous analyserons les avances scientifiques
sur le bonheur, prciserons dans quelles mesures le bonheur au
travail est envisageable et quels en sont les freins, prsenterons
les comptences sociales dune entreprise, puis tudierons les
rsultats dune enqute exploratoire visant vrifier si ces nouvelles
considrations sont prises en compte par des accompagnateurs
innovants de lentreprise, affichant des intentions en termes de
bonheur, plaisir ou bien-tre.
1. Le bonheur et le bonheur au travail, contexte
scientifique
La psychologie positive tudie de faon scientifique les
conditions et processus qui contribuent lpanouissement ou au
fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions
(Seligman, 2002). Bonheur et bien-tre sont ses objets dtude. Le
bonheur dpendrait non seulement de notre capacit prouver du
plaisir, mais aussi nous engager dans des expriences enrichissantes
et donner un sens notre existence (Ibid.). Envisager le bonheur
professionnel comme lment de GRH part du postulat quil existe bien
une activit intentionnelle permettant dintervenir sur la variable
bonheur, et autorisant ainsi une action capable de la faire varier.
Si les prdispositions gntiques sont relles (Bouffard, 1997), le
bonheur na pas seulement un caractre inn. Lyubomirsky, Sheldon, et
Schkade (2005), ont en effet dcouvert que les conditions extrieures
nagiraient que pour 10%, tandis que lactivit intentionnelle dun
sujet pourrait tre proche de 40%. Le bonheur est possible et
atteignable (Seligman, 2002 ; Csikszentmihalyi, 2004 ; Veenhoven,
2007).
Notre recherche globale vise rpondre la question de lducation au
bonheur partir de cette intentionnalit, cest donc bien le bonheur
qui nous intresse, et non celui de qualit de vie. Gosselin (2005)
affirme que les concepts de bien-tre, de qualit de vie et de
bonheur sont proches.
Selon Veenhoven (2007), le bonheur au sens large est li la
qualit de vie ou bien-tre. Il nous permet ainsi dy distinguer des
qualits extrieures et des qualits intrieures, comme le montre le
Tableau 1 ci-dessous.
Tableau 1 : Les niveaux de bonheur selon Veenhoven (1997)
Possibilits ou chances dans la vie
Qualits extrieures (viabilit de lenvironnement)
Qualits intrieures (habilets)
Rsultats (ce que lon fait des possibilits) Utilit ou
signification de la vie
Satisfaction- le bonheur au sens restreintcombine intensit et
dure
Les qualits intrieures donnent le bonheur au sens restreint, qui
lui-mme est de quatre types, combinant une intensit et une dure :
le plaisir (hdonisme),
Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?
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prsent comme passager ; la satisfaction dans des domaines de la
vie (le bonheur peut tre la satisfaction dans la carrire), prsente
comme durable ; une exprience au sommet (comme une extase
mystique), passagre ; la satisfaction de vivre sa vie comme un
tout, qui rejoint la conception eudmonique dun bonheur durable. Ces
diffrents niveaux nous clairent quant aux diffrences entre les
concepts lis au bonheur, qui parlent tantt du bonheur global, tantt
du bonheur passager.
Deux grandes voies encadrent le bonheur restreint de Veenhoven.
Les thories ascendantes proposent que le bonheur global provienne
de la somme de petits bonheurs. Le travail peut en constituer un
aspect modulable. Par contre, les thories descendantes proposent
une prdisposition interprter des expriences ou des vnements en
positif ou en ngatif : ce ne serait pas la satisfaction au travail
qui contribuerait au bonheur global, mais le bonheur global qui
rendrait lindividu heureux dans son travail (Bouffard, 1997).
Nous avons relev trois concepts qui tentent de reprsenter le
construit de bonheur. En premier lieu le bien-tre subjectif ou BES
(Diener, 1984) reprsente le bonheur hdonique. Il est mesur par les
motions positives et la satisfaction dans la vie. En second, le
bien-tre psychologique ou BEP (Voyer et Boyer, 2011) reprsente un
bonheur eudmonique, li au dveloppement de ses potentiels. Ryff
(1995), ou Mass, Poulin, Dassa, Lambert, Blair et Battaglini (1998)
ny donnent pas les mmes attributs (Tableau 2).
Le Tableau 2 ci-dessous propose une synthse des dterminants
principaux du bonheur global, ou eudmonique, partir de quelques
auteurs.
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Tableau 2 : Analyse comparative de concepts et dterminants du
bonheur
Critres Ryff (1995), Voyer et Boyer (2001) Mass et al. (1998)
Layard (2005)Finhenauer et Baumister (1997)
type de concepts Bien-tre psychologiqueBien-tre psychologique
Bonheur Bonheur
attributs intrapersonnels
- acceptation de soi- autonomie- croissance personnelle
- estime de soi - contrle de soi - bonheur (se sentir bien dans
sa peau, jouir de la vie, avoir un bon moral et se sentir en
forme)
- libert personnelle- sant- valeurs personnelles
ensemble de valeurs (choisies ou acceptes)- sentiment defficacit
personnelle- sens de la valeur personnelle- traits de personnalit-
capacit dadaptation
attributs interpersonnels relation avec lautre sociabilit
- relations familiales- confiance en les gens
attributs super- personnels
- but dans la vie- matrise sur lenvironnement
engagement social (intrts et got dentreprendre)
travail - projet de vie- but personnels hirarchiss
Moyens extrieurs
quilibre (activit professionnelle et familiale)
satisfaction financire
Au niveau de lindividu, nous retiendrons que le bonheur dpend de
sa satisfaction de soi (quelle se nomme estime de soi, acceptation
de soi ou sentiment defficacit personnelle) dune part, et
dautonomie dautre part (autonomie, libert, capacit dadaptation).
Les bonnes relations sociales sont indispensables, ainsi quun but
ou projet dans la vie, que le travail peut incarner.
Le troisime concept mesurant le bonheur est le flow, dans la
voie eudmonique. Csikszentmihalyi (1990, 2004) a mis en vidence le
concept de flow, ou exprience optimale, qui permet dobtenir un
sentiment denchantement si intense que les gens sont prts investir
beaucoup dnergie afin de le ressentir nouveau . Cest pourquoi
lauteur qualifie la psychologie de lexprience optimale comme la
recherche du bonheur par la matrise de sa vie intrieure. Les
conditions du flow comportent huit caractristiques mentionnes dans
le Tableau 3.
Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?
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Tableau 3 : Dterminants du bonheur dans lactivit
Critres Csikszentmihalyi (1990, 2004) Argyle, 1997
Type de concepts Exprience optimale ou flow Satisfaction au
travail
Attributs intrapersonnels
- lindividu se centre sur ce quil fait- engagement profond dans
la tche- contrle sur ses actions- aptitudes, talents- disparition
de la proccupation du soi
- varit de lhabilet- autonomie
Attributs interpersonnels compris dans le sens global de la
tche, au service des autressignifications de la tche (impact sur la
vie des autres)
Attributs super-personnels (ou supra-personnels)
- dfi- cible vise claire- lactivit en cours fournit une
rtroaction immdiate
- une tche claire et dfinie- rtroaction sur son efficacit au
travail
Temporalit- perception de la dure altre- heureux aprs avoir vcu
lexprience
Nous y avons ajout comparativement Argyle (1997), pour constater
quon retrouve la fois lautonomie, et certains attributs du flow.
Une fois les conditions de lexprience optimale runies, toute action
de lindividu devient autotlique, cest--dire motivante et valable
pour elle-mme. La Figure 1 nous permet de mieux comprendre ce qui
peut se drouler en situation de travail. Lorsquune personne a des
dfis et que ses talents ou comptences ne sont pas suffisants pour
le raliser : elle est dans lanxit. Si au contraire le dfi nest pas
assez important, cest lennui. Les deux entranent une baisse de
motivation.
Figure 1 : Exigences de la tche et comptences leves
(Csikszentmihalyi, 1990)
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Le bonheur (ou enchantement, ou bonne qualit de vie) est
ressenti uniquement lorsque les motions sont le flow, lexcitation
et la matrise, et dans ce cas les personnes seront plus
performantes dans leur travail, car elles bnficieront dune
meilleure sant motionnelle (Amherdt, 2005). Toute amlioration de
sant mentale ou de bien-tre psychologique amne plus de prsence et
dengagement dans lentreprise, et cet tat est donn la fois par le
sens du travail (contenu), et le sens au travail (contexte) (Morin,
2010). Le flow est en lien avec les deux. Alors quun des paradoxes
du travail est dopposer deux images, celle de la contrainte et
celle de lpanouissement (Thvenet, 2011), le flow tente de les
rapprocher. Autrement dit, en situation de flow, la personne ne
peroit plus la tche comme une contrainte, et gagne en
panouissement. Cela implique un changement de paradigme, celui de
passer dun bonheur diffr, o le travail nourrit dautres buts et la
personne doit sadapter un poste, un bonheur ici et maintenant, o
cest le poste qui doit sadapter la personne, qui sera ainsi
intrinsquement motive. Les salaris plus heureux sont plus
performants (Amherdt, 2005 ; Csikszentmihalyi, 2004 ; Lyubomirsky,
King et Diener, 2004).
Le flow est li au niveau dhabilits de chacun, qui englobent
aussi des attitudes ou savoir-tre, des aptitudes et des talents
dont il faut parvenir prendre conscience (Csikszentmihalyi, 2004).
Or si certaines comptences techniques peuvent sacqurir sur les
bancs de lcole, les autres talents se contractent dans les
expriences de vie. Par contre on peut arriver, en formation, via la
thorie du flow, faire acqurir la prise de conscience des talents ou
comptences non techniques (Amherdt et Bousadra, 2007). Nous nous
sommes alors intresss aux comptences sociales de lentreprise qui
vont, elles aussi, au-del des comptences techniques.
2. Comptences sociales de lentreprise
2.1. Comptences sociales et bonheur au travail
Longtemps exprimes en termes de savoir, savoir-faire et
savoir-tre, les comptences sont des notions qui doivent prsent tre
envisages de manire plus complexes (Le Boterf, 2001). Elles peuvent
comprendre des connaissances, des capacits, des attitudes, mais le
savoir agir doit se combiner avec les pouvoir et vouloir agir
(Ibid.). De surcrot, pour agir avec comptence, un individu devra
aussi combiner ses savoirs avec ceux des autres, crant la comptence
collective (Amherdt et al., 2000).
Les comptences sociales, parfois exprimes en savoir-tre , sont
utilises de prime abord davantage auprs des cadres et personnels de
direction, et se gnralisent travers trois types de comportement
attendus des travailleurs : autonomie, prise de responsabilit,
communication (Zarifian,
Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?
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1999). Dautres auteurs dfinissent les comptences sociales comme
la facult de disposer et dutiliser habilement de comptences
cognitives, motionnelles et comportementales de faon obtenir, dans
une situation donne, des jugements sociaux favorables (Nadisic,
2008). Dutrnit (1997) envisage les comptences sociales comme un
ensemble de capacits essentielles dont la motivation,
lanticipation, limage de soi positive, la responsabilit, la matrise
de lenvironnement et lutilisation des acquis. Segal (2005) met
laccent sur les comptences relationnelles et motionnelles, et
Dutrnit (1997) suggre que ces comptences comportent de manire
implicite, lide que lon peut se construire et se reconstruire
soi-mme, en permanence.
Comme pour les dterminants du bonheur, nous retrouvons en commun
les concepts dautonomie, estime de soi, relations avec autrui, et
matrise sur lenvironnement, qui peuvent se nommer ici
responsabilits, mais aussi de croissance personnelle. Outre
lapproche flow, envisager au travail les liens entre performance
sociale, conomique et bonheur des individus par les comptences
sociales semble galement pertinent. Pourquoi na-t-on pas cherch
activer ces attitudes plus tt ? Outre le fait que laccs aux
connaissances scientifiques est rcent, les freins paraissent
nombreux.
2.2. Freins au dveloppement du bonheur au travail
Nous hritons en occident de la religion chrtienne (Gauchet, 2001
; Pawin, 2013) o le plaisir pulsionnel terrestre est associ au mal,
et a entretenu le mythe selon lequel le bonheur aurait t perdu
suite une catastrophe initiale, do son caractre inaccessible sur
terre. La consquence du pch originel nest pas le travail, mais sa
pnibilit : la sueur de ton front tu mangeras ton pain (Gn 3, 19),
verset connu sous ladage populaire Tu travailleras la sueur de ton
front .
Nous venons de voir que les dterminants du bonheur, comme les
comptences sociales, sexpriment en termes daccomplissement de soi,
motions etc., et relvent plutt dun savoir-tre, et que jusqu prsent,
la formation professionnelle ou continue sest applique dvelopper
des savoir-faire et oublier le savoir-tre (Segal, 2006).
Vinel (2011) sindigne propos de la formation continue, car ce
domaine est depuis des annes lobjet de toutes les attentions
paranoaques des groupements antisecte . En effet, daprs lui, en
2007 la Milivitude, dans son manuel lentreprise face au risque
sectaire , avait dress une liste de mots-cls pour dtecter les
entreprises de formation sectaires . Il cite quelques exemples qui
concernent notre sujet : accomplissement de soi ; enthousiasme ;
bien-tre ; confiance ; panouissement ; estime de soi ; vitement des
conflits ; gestion de la vie relationnelle ; matrise motionnelle,
etc. . La DRH fait rgulirement
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appel des partenaires extrieurs pour la formation et pour
accompagner le changement, aussi confusion et peur de la secte
peuvent sans doute constituer un autre frein.
Dautres freins manent de nos choix ducatifs. En effet, lcole
ayant pour fonction principale et officielle de prparer les jeunes
leur avenir et lobtention dun mtier (Snyders, 1986), elle ne se
proccupe pas de lintrapersonnel, des champs motionnels ou
relationnels (Tarpinian, 2006,) de bien-tre ou de bonheur. Les
courants pdagogiques dominants raffirment le rle de lcole dans la
transmission de savoirs, et lducation nationale ne vise pas le
dveloppement des aptitudes et savoir-tre permettant le bonheur.
Enfin, deux tudes situent les Franais parmi les plus pessimistes du
monde (BVA, 2011 ; Bjrnskov, Datta Gupta et Pedersen, 2007). Nous
pourrions galement rajouter le frein li aux reprsentations quant la
sparation sphre personnelle et professionnelle.
3. Vrifications exprimentales
3.1. Mthodes
Nous avons alors effectu une tude exploratoire, descriptive et
qualitative auprs des partenaires du management de lentreprise,
pour dterminer si laccompagnement RH par des cabinets spcialiss se
positionne au-del de la simple gestion du stress (Lachmann et al.
2010), si les notions de bonheur, ou autres notions proches
(bien-tre, plaisir) apparaissent dores-et-dj en France, si les
freins sont effectifs sur le terrain, et si les formations
interviennent de manire globale sur les comptences sociales.
Nous avons ralis des entrevues semi-diriges, avec un guide
contenant un certain nombre de questions principales qui servent de
grands points de repre (Deslauriers, 1991). Lchange est verbal
(avec prise de notes), le chercheur se laissant guider par le flux
de lentrevue, en abordant les thmes gnraux quil souhaite
(Savoie-zajc, 1997), relanant par des probes si besoin.
Nous avons vis les sites dployant des formations affichant dune
part un lien avec le management des hommes, et affichant un apport
en termes damlioration du bonheur et/ou bien-tre, des salaris et/ou
des quipes. Lchantillon est slectionn par double entre entre les
pages jaunes et les sites Internet contenant bonheur ou ses
synonymes (Rey, 2005) : joie, plaisir, srnit, panouissement,
bien-tre. Le caractre innovant de la formation est un critre de
slection supplmentaire, pour viter le simple coaching individuel,
laccompagnement au changement, ou de la simple formation gestion de
stress . Nous nous sommes centrs sur les rgions Bretagne et Pays de
Loire, pour des raisons pratiques de dplacement. 45 sites web ont t
visits, 9 cabinets ont t contacts, 6
Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratgique de
lentreprise ?
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entrevues ont eu lieu. Pour exploiter les donnes, nous avons
effectu une analyse thmatique partir des traces crites sur les
sites web et les programmes de formation ou daccompagnement et des
entretiens.
3.2. Rsultats
Sur les 9 sites web (ou plaquettes) slectionns, nous avons repr
explicitement dans 4 sites le bien-tre des salaris annonc comme un
devoir pour lentreprise ou comme un lment fondamental du capital
humain. Bonheur na t point que sur un seul site, mais pour tous les
autres au moins un synonyme de bonheur a t point en page daccueil,
et ce pour un cadre exclusif professionnel, sauf pour un des sites
pour lequel le travail constituait un lment parmi dautres. Les
rsultats sont prsents en quatre grands thmes.
- Profils et parcours : Les 6 personnes interroges, grantes de
leur centre de formation ou de consulting, ont toutes un long
parcours prcdent avec lentreprise, 4/6 comme grants (allant de la
TPE la trs grande entreprise), 2/6 comme consultants. 3/6
travaillent avec un partenaire ou associ, les trois autres
fonctionnant en quipes de quelques collaborateurs. Deux groupes
plus importants taient viss, mais nont pas donn rponse la demande
dentrevue. Mme sils ne lemploient pas tous, lexpression bonheur au
travail nen a choqu aucun, tous ont t capables de donner
spontanment leur propre dfinition du bonheur au travail. la
question pourquoi avez-vous mis en place ces formations et/ou
accompagnements , nous avons constat quils avaient tous vcu des
situations de souffrance au travail, relates de faon vcue
directement par quatre dentre eux, les deux autres par le biais du
constat direct de situations. 5/6 expriment avoir expriment sur
leur cas personnel et/ou sur leur propre entreprise la mthode quils
divulguent avant de crer leur cabinet : On ne peut pas donner ce
que lon na pas en soi , exprime lun dentre eux. Le tableau suivant
donne une ide du nombre de personnes quils ont accompagnes ou
formes avec leur statut de formateur et/ou consultant (les lettres
dsignant au hasard les cabinets interrogs).
Tableau 4 : Prsentation des entreprises de formation interroges
A B C D E F
Salaris 8000 pers. 7000 - - milliers -Manageurs Non diffrencis
800 100 40 Non prcis 15Entreprises - - - - 50 3Anciennet (1) 25 ans
13 ans 4 ans 3 ans 11 ans 4 ans
(1) Lanciennet est celle du cabinet ou centre de formation cr,
souvent plus rcente que lexprience de chacun.
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- Besoin de bonheur ou bien-tre :Un seul utilise le mot bonheur
dans sa communication avec les entreprises ou salaris, un autre
lutilise mais lintrieur dun outil daccompagnement. 3/6 utilisent le
terme de bien-tre, 3/6 labordent par laugmentation des potentiels
ou de capacits humaines, joie , plaisir , paix , panouissement tant
la rsultante attendue.
Tous expriment le besoin, la ncessit, voire lurgence, de
dvelopper la connaissance de soi (3), lamlioration des relations
(2) ou les deux (1), 3/6 exprimant que lamlioration de la
connaissance de soi contribue laccroissement de ses capacits et
donc permet de mieux travailler avec les autres. Le bonheur ou
bien-tre nest pas pour eux le point de dpart, mais la rsultante.
Lun, accompagnant uniquement des manageurs, cite que le plus
important rsultat obtenu est que Les dirigeants comprennent que le
bien-tre de toute lentreprise passe dabord par leur propre bien-tre
. Un autre parle de confiance retrouve . Un autre explique que :
Cest une volution socitale des comportements de lhumain. Avant,
commander tait facile, les salaris obissaient aux ordres. On est
pass ensuite dobir comprendre, puis participer, et maintenant les
salaris veulent vivre ce quils font . Deux expriment quils
interviennent sur lautonomie des personnes de faon ce quelles
deviennent actrices de leur parcours. Un consultant qui ralise
aussi des diagnostics mal-tre en entreprise a employ le terme fort
de maltraitance au travail .
- Comptences ciblesLes mthodes, outils, dures daccompagnement
sont trs diffrentes entre les uns et les autres, mais le point
commun concerne la prsentation des bases de fonctionnement de
lhumain et/ou de ses relations, puis de les faire appliquer, vivre,
exprimenter de suite par les participants, en pratique sur eux
et/ou pour la comprhension et la satisfaction de soi, puis en
application au travail (avec retour dexprience le plus souvent).
4/6 utilisent laccompagnement en groupe, un privilgie la phase
coaching individuel avec des regroupements, le dernier quilibre les
deux. Tous ont cit explicitement quils permettent une prise de
conscience de soi, de son comportement ou de ses capacits, et cette
prise de conscience permet au form dvoluer sur ses relations soi,
aux autres ou la vie. Quelques exemples tirs de chacun dentre eux
:
1) jai compris quil sagissait dun problme dadaptation au
changement, et que la faon de manager habituelle, en logique de
processus, ne suffisait plus, et mme ne fonctionnait plus. Le modle
le plus efficace devient alors celui de lhumain ; agir sur les
relations entre : les personnes et elles-mmes, elles et leur
travail et entre les travailleurs entre eux .2) Je travaille sur la
connaissance de soi, cest un vritable besoin ; comme les gens nont
pas eu lhabitude de chercher cela avant, ils ne savent pas chercher
en eux leurs potentiels .
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lentreprise ?
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3) Cela relve dun comportement, du savoir-tre et non du
savoir-faire. On ne peut pas former les personnes, mais les aider
trouver elles-mmes .4) dans lentreprise, on gre davantage la
comptence et non le comportement. Nous avons des potentiels
insouponns dcouvrir, cela nous permet damliorer notre
fonctionnement .5) Nos formations visent le mieux-tre par le mieux
se connatre et mieux se comporter au quotidien ; cest cette prise
de conscience de soi et des autres, qui peut entraner justement la
remise en question de certains fonctionnements par la personne
elle-mme, au lieu de rejeter classiquement la faute sur lautre .6)
Depuis 15 ans nous formions la gestion du stress. Depuis 2003, la
vision par le bonheur ou bien-tre est une autre faon de voir ; Nous
utilisons un outil qui permet daider les personnes construire leurs
valeurs, distinguer ce qui relve de lindividu et ce qui relve de
lorganisation. Nous travaillons aussi sur les motions, nous
faisions dj de la psychologie positive sans le savoir, mais de
manire morcele .
- Freins relevs par les intervenants : la question ouverte des
freins, tous ont eu spontanment des rponses. force de fonctionner
en logique de processus, lun voque que les chefs dentreprise
acquiesaient, mais en rajoutant quils feraient de lhumain quand ils
auraient le temps . Il a constat dans trois grosses entreprises
avec lesquelles il a travaill que plus le contexte est difficile,
plus on joue sur la contrainte et plus on asservit les salaris . Il
propose la logique inverse, en expliquant que cest un changement
dans la faon de penser, donc difficile. Un 2me voque que si les
besoins sont normes face aux problmes actuels de souffrance au
travail, la rponse ne peut pas tre avec les outils RH habituels,
ils nont pas les cls, car tant que les personnes nont pas fait la
propre dmarche sur eux, cela ne peut pas marcher . Trois expriment
explicitement la difficult de se placer sur un terrain de
dveloppement personnel vise professionnelle, car en France les
barrires dveloppement personnel/thrapie sont grandes, ou les OPCA
ne reconnaissent pas ces formations. Deux autres voquent
explicitement le systme de pense judo-chrtienne qui ninvite pas
considrer le travail comme un plaisir.
Ces extraits de chacun des 6 entretiens donnent des prcisions
:
1) Les freins principaux proviennent des croyances des gens. Les
gens ne croient pas quon peut russir, quon peut avoir du bonheur
travailler ou encore : ils croient que ce sont les autres ou les
aspects extrieurs qui vont leur apporter le bonheur .2) Manque de
temps, et les gens ont lhabitude de fonctionner cerveau gauche ,
aussi ils ne voient pas ce que cela peut leur apporter []. Quand
ils lont vcu, ce nest plus pareil .3) Beaucoup de gens ne prennent
pas conscience quil y a quelque chose changer en eux, et accusent
les autres. Ensuite, ils ont du mal se reconnatre une vulnrabilit
et une fragilit .
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4) Les dirigeants ne veulent pas que cela se sache quils se font
accompagner []. Se faire accompagner est un signe de faiblesse dans
notre nature occidentale .5) On na jamais appris tout cela lcole
.6) la thmatique du bien-tre au travail na pas de sens pour encore
beaucoup de chefs dentreprises, et mme des RH, car ce nest pas la
problmatique des oprationnels ; Les PME sont fragiles, manquent de
temps, travaillent sans cesse dans lurgence .
3.3. Synthse et discussion
Les limites de cette tude proviennent du fait quil sagit de
rcits des intervenants et non dobservations directes. Nanmoins,
leurs expriences de grances dentreprise, la convergence entre leurs
discours, les contenus de leur site Internet, et des tmoignages
crits de personnes accompagnes auxquels nous avons eu accs,
relativisent cette limite. Dautre part, lchantillon est petit,
nanmoins tous sont indpendants les uns des autres et mais ce qui
nous a surpris est quils empruntent des mthodes diffrentes, pour
aboutir une conclusion similaire sur limportance de dvelopper la
connaissance de soi et les comptences relationnelles. Rappelons
nanmoins quil sagit dune premire tude dans le cadre dune recherche
plus approfondie.
Nous constatons que les consultants interviews ne sont pas des
psychologues mais danciens dirigeants ou cadres avec un fort vcu de
lentreprise, et de ce fait nous retrouvons dans leurs discours les
constatations sur la dgradation du travail relates en introduction.
Ces formateurs tentent dagir sur le mal-tre en agissant sur le soi
(motions, savoir-tre, connaissance de soi) et/ou sur les relations,
et, mme sils ne lexpriment pas en termes de comptence sociale, avec
une proccupation de faire progresser la personne dans ses capacits.
Ils valident le fait que le bonheur (ou joie, ou plaisir) a sa
place dans le champ du travail, et leurs formations et
accompagnements vont dans ce sens, auprs aussi bien de salaris que
de manageurs. Un seul a exprim sa connaissance directe dans les
travaux de la psychologie positive. Il sagit de consultants
formateurs innovants et, par leur vcu, ils semblent apporter une
contribution qui va dans le mme sens que les conclusions des
travaux en psychologie positive. Les conditions daccs au bonheur
sexpriment davantage dans les termes de notre Tableau 2. Tous
tentent dagir par des conditions intrieures plutt quextrieures,
celles-ci ne sont en effet pas dterminantes pour laccs au bonheur
(Csikszentmihalyi, 2007). Finhenauer et Baumister (1997) prcisent
en effet qu en occident, la plupart des gens ont une conception du
bonheur qui repose gnralement sur des ralits objectives (p. 100).
Or la recherche montre quen ralit, les facteurs objectifs
influencent peu le bonheur, part les relations interpersonnelles.
Limportance de la relation, quelle soit aborde en direct, ou comme
une rsultante du travail sur soi, est rapporte dans toutes nos
enqutes. Or les relations interpersonnelles
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sont dterminantes pour le bonheur, et leur gestion va bien
au-del dune simple amlioration de la communication, car elle peut
impliquer soit un travail sur lmotionnel (Amherdt, 2005 ; Segal,
2005), soit la prise en compte par le manageur de la relation comme
besoin fondamental de ltre humain (Forest, 2010). Ces aspects ayant
peu t pris en compte jusqu prsent. Au lieu de chercher diminuer le
stress, la dmotivation, la dtresse, ou autres maux dont les tudes
abondent, la science du bonheur ouvre de nouvelles perspectives sur
les conditions dpanouissement de lhumain et de sa performance, et
permet de retrouver le plaisir travailler, qui est revaloriser
(Thvenet, 2010 ; Zarifian, 2010). Ne soccuper que de la production
et de lconomique, sans se soucier de la personne en croissance,
condamne les dispositions managriales, comme linverse le ferait
galement (Thvenet, 2006).
Enfin, ltude a valid que les freins envisags sont effectifs au
terrain. Le frein supplmentaire est la vision des oprationnels qui
nenvisagent pas le lien bien-tre/bonheur et performance conomique,
qui devra tre vrifi par dautres tudes. Notons que la plupart des
intervenants suggrent quil faut soi-mme avoir fait une dmarche en
profondeur de ses savoir-tre pour accompagner les autres vers leur
bien-tre, ce qui logiquement devrait sappliquer tous les chelons de
lentreprise. Segal (2006) souligne que si les savoir-tre ont dj t
ngligs de la gestion des comptences, les normes comportementales
posent un problme de rationalisation, mais doivent prsent faire
partie des axes forts de la nouvelle gestion des salaris. Mais ce
quvoquent sans exception les personnes interviewes, cest quil sagit
dun changement de perception des ressources humaines et non de la
gestion de nouvelles normes. Il semble que le chemin soit encore
long parcourir, mais la crise pourrait avoir acclr la ncessit de
lemprunter.
Personne na voqu le flow dans lenqute, mais nous avons relev
chez deux interviews les conditions indirectes : juste niveau
dadquation aptitudes et dfis qui active la motivation intrinsque.
Le premier en aidant la personne reprer ses talents et ses valeurs,
et progresser dans sa carrire en choisissant une progression en
accord avec eux. Le second aide les personnes trouver une mission
de vie (dfi) la fois suffisamment motivante et proche de ses vraies
valeurs pour devenir crateur de sa vie. Le modle dcrit par
Csikszentmihalyi (1990, 2004), valid en cadre professionnel, a t
labor par ltude de personnes particulirement investies dans leur
travail (artistes, chirurgiens, entrepreneurs etc.), recherchant en
permanence revivre les conditions dune exprience optimale, car elle
leur apportait lenchantement (ou bonheur), et pour laquelle on en a
dduit les caractristiques. La thorie explique galement la crativit.
Lintgration de cette connaissance pourrait savrer trs utile pour
accompagner les personnes qui ne les ont pas encore trouves,
recruter des talents (Amherdt, 2005), faire voluer la motivation
dun individu ou dune quipe,
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ou encore amliorer les changements technologiques par la prise
en compte de la dimension humaine, via le flow (Agarwal &
Karahanna, 2000).
Conclusion : Bonheur et management des hommes
Notre tude visait faire prendre conscience aux acteurs de la GRh
que sintresser au bonheur nest pas une considration mivre et
sentimentale (Lyubomirsky, 2008), lentreprise qui mise sur
laugmentation du bonheur pourrait la fois augmenter son capital
social, diminuer ses facteurs de contre-performance, et le salari y
trouverait une contrepartie de srnit. Cela implique daccorder un
vritable rle stratgique la DRH. Argyle (1997) a montr que le
bonheur est fortement corrl (coefficient de 0,3 0,5) la
satisfaction au travail. Mme si les tudes sur le bonheur
proviennent au dpart dun contexte nord-amricain, elles traversent
prsent locan, et lapproche bonheur selon la psychologie positive
est une autre manire de rpondre aux futures obligations de la
qualit de vie au travail. Elle ouvre un changement de paradigme
dans la manire denvisager le capital humain.
Nous navons pas indiqu de relles pistes oprationnelles, les
freins sont encore prsents, mais notre enqute, point de dpart dune
recherche plus large, indique que dores-et-dj en France des
partenaires de la GRH se positionnent dans ce sens et lenvisagent
comme vritable facteur davenir. Il ne sagit pas de simples recettes
appliquer, nous avons tent de montrer quil sagit dune vritable
stratgie dans laquelle les entreprises, disposes investir lalliance
efficace de la performance sociale et de la performance conomique,
peuvent simpliquer. La recherche est en pleine progression dans ces
domaines, un regard pluridisciplinaire (sciences gestion, sciences
ducation, sociologie, psychologie) est clairant.
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