Universit Jean Moulin Lyon 3cole doctorale : Droit
La libert de la recherche en matire de biothique
Sous la direction de Thierry DEBARD Prsente et soutenue
publiquement le 4 dcembre 2009
Thse de doctorat de Droit public
Par Vanessa REA
Membres du jury : Thierry DEBARD, Professeur des universits,
Universit Lyon 3 Louis DUBOUIS, Professeur mrite, Universit Aix
Marseille 3 Mireille COUSTON, Professeur des universits, Universit
Lyon 3 Brigitte FEUILLET, Professeur des universits, Universit
Rennes 1 Etienne VERGES, Professeur des universits, Universit
Grenoble 2
Table des matires[Avertissement] . . [Remerciements] . . Ddicace
. . Table des principales abrviations . . Introduction . . I. La
biothique, une transdiscipline15
5 6 7 8 12. Quelles consquences sur le droit ? . .
A. Les enjeux de la biothique dans un contexte
multidisciplinaire . . B. Le choix du droit de la biothique . . II.
Le cadre des droits fondamentaux : pour une approche de la
biothique en droit public. Regard sur le droit interne et
international . . A. La conception des droits fondamentaux . . B.
Les fondements dun droit europen et international de la biothique .
. Premire partie. Lindispensable mutation du droit a lpreuve du
progrs scientifique . . Titre I. La biothique et le droit . .
Chapitre 1. Biothique et mutation du droit . . Chapitre 2.
Biothique et lgitimit du droit . . Titre 2. Les incertitudes du
droit en matire de biothique . . Chapitre 1. tude du travail
normatif et prnormatif du conseil dtat, du parlement et du conseil
constitutionnel en biothique . . Chapitre 2. tude des sources du
droit de la biothique en France : de 1988 a 2009 . . Deuxime
partie. La recherche scientifique canalise par le droit . . Titre
1. La libert de la recherche dans le droit . . Chapitre 1. tendue
de la libert de la recherche en droit . . Chapitre 2. Libert de la
recherche : tude compare des rgles et poids de lconomie . . Titre
2. La libert de la recherche en droit europen et international . .
Chapitre 1. Vers un droit europen de la biothique . . Chapitre 2.
Pour une dynamique normative universelle de la biothique . .
Conclusion Gnrale . . Glossaire . . Bibliographie . . Ouvrages
gnraux, manuels et dictionnaires . . Ouvrages spciaux, monographies
et thses . . Ouvrages collectifs . . Ouvrages individuels . .
Articles de doctrine et autres contributions . . Rapports . . Avis
du comite consultatif national dthique . . Contributions dans des
supports lectroniques . . Principales rfrences jurisprudentielles .
.
15 15 22 26 26 32 39 40 41 93 144 145 184 226 227 227 278 318
319 365 412 415 417 417 418 418 422 428 453 457 458 458
Jurisprudence nationale . . Jurisprudence rgionale . .
Principales rfrences normatives . . Droit interne . . Droit tranger
. . Droit communautaire . . Textes europens et internationaux . .
Dcisions de lagence de la biomdecine . . Dcisions de loffice
europen des brevets . .
459 462 463 463 465 466 467 467 468
[Avertissement]
[Avertissement]LUniversit Jean Moulin Lyon III nentend accorder
aucune approbation, ni improbation aux opinions mises dans les
thses. Ces opinions doivent tre considres comme propres leurs
auteurs.
5
La libert de la recherche en matire de biothique
[Remerciements]Je tiens exprimer ma profonde reconnaissance au
Professeur Thierry Debard, pour mavoir dirige et accompagne durant
la ralisation de cette thse. Je remercie galement Madame Christiane
Bessueille, Monsieur Ren Proriol et mes parents pour avoir relu
attentivement cette thse, ma famille pour sa patience et ses
encouragements.
6
Ddicace
DdicaceA Liv, Grgory et mes parents
7
La libert de la recherche en matire de biothique
Table des principales abrviationsABM Agence de la biomdecine
Actu. Jurisant Actualits JuriSant ADPIC Accords sur les aspects des
droits de proprit intellectuelle relatifs au commerce ADSP Actualit
et dossier en sant publique AFSSAPS Agence franaise de scurit
sanitaire des produits de sant AJDA Actualit juridique de droit
administratif al. alina AMP Assistance mdicale la procration ANRT
Association nationale de la Recherche Technique Archives Phil. dr.
Archives de philosophie du droit Art. Article BGBI
Bundesgesetzblatt (Journal officiel) Bull. CE Bulletin des
Communauts europennes Bull. civ. Bulletin des arrts de la Cour de
cassation, chambres civiles Bull. crim. Bulletin des arrts de la
Cour de cassation, chambre criminelle Bull. Ordre md. Bulletin de
lOrdre des mdecins Bull. Ordre pharm. Bulletin de lOrdre des
pharmaciens BVerfG Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle
fdrale) BVerfGE Amtl. Slg der Entscheidungssammlung des BVerfG
(Recueil officiel des arrts de la Cour constitutionnelle fdrale) C.
civ. Code civil C. pn. Code pnal C. trav. Code du travail CA Cour
dappel CAA Cour administrative dappel Cah. hosp. Les Cahiers
hospitaliers CAHBI Comit Ad Hoc dexperts sur la biothique Cass.
Ass. pln. Cour de cassation, Assemble plnire Cass. ch. mixtes Cour
de cassation, chambres mixtes Cass. civ. Cour de cassation, chambre
civile Cass. com. Cour de cassation, chambre commerciale Cass.
crim. Cour de cassation, chambre criminelle Cass. req. Cour de
cassation, chambre des requtes8
Table des principales abrviations
Cass. soc. Cour de cassation, chambre sociale CC Conseil
constitutionnel CCNE Comit consultatif national dthique CDBI Comit
directeur de la biothique CE Conseil dEtat CEDH Cour europenne des
droits de lhomme Cellule ES Cellule embryonnaire souche CGCT Code
gnrale des collectivits territoriales ch. chambre chron. chronique
CIB Comit international de biothique CJCE Cour de justice des
communauts europennes CNRS Centre National de la Recherche
Scientifique coll. collection comm. commentaire concl. conclusions
contracontrairement, solution contraire CPI Code de la proprit
intellectuelle CPP Code de procdure pnale CSP Code de la sant
publique CSS Code de la scurit sociale D. Recueil Dalloz dir.
direction doct. doctrine Dr. adm. Droit administratif Dr. soc.
Droit social d. dition d. perm. dition permanente fasc. fascicule
Gaz. Pal. Gazette du Palais GEE Groupe europen dthique des sciences
et des nouvelles technologies Gest. hosp. Gestions hospitalires
Ibid. Ibidemau mme endroit infra voir ci-dessous9
La libert de la recherche en matire de biothique
INRA Institut national de la recherche agronomique INSERM
Institut national de la sant et de la recherche mdicale IR
Informations rapides J. Cl. Juris-Classeur JCP d. E Juris-classeur
priodique (semaine juridique) dition entreprise JCP. d. G
Juris-classeur priodique (semaine juridique) dition gnrale JCP. d.
N Juris-classeur priodique (semaine juridique) dition notariat JO
Journal officiel JOCE Journal officiel des communauts europennes
JOUE Journal officiel de lUnion europenne jurisp. jurisprudence
LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence loc. cit.
lendroit cit LPA Les Petites Affiches Md. et droit Mdecine et Droit
n numro NIH National Institutes of Health not. notamment obs.
observations OCDE Organisation de coopration et de dveloppement
conomique OEB Office europen des brevets OMC Organisation mondiale
du commerce OMS Organisation mondiale de la sant op. cit. dans
louvrage prcit Ord. Ordonnance p. page prc. prcit PUAM Presses
universitaires dAix-Marseille PUF Presses universitaires de France
rapp. rapport RD sanit. soc. Revue de droit sanitaire et social RDP
Revue du droit public et de la science politique Rp. Civ. Dalloz
Rpertoire civil Dalloz Rev. fr. aff. soc. Revue franaise des
affaires sociales10
Table des principales abrviations
Rev. fra. ad. pub. Revue franaise dadministration publique Rev.
pol. et parl. Revue politique et parlementaire Rev. Revue Rev. sc.
crim. Revue de sciences criminelles et de droit compar RFDA. Revue
franaise de droit administratif RGDM Revue gnrale de droit mdical
RID comp. Revue internationale de droit compar RRJ Revue de la
recherche juridique Droit prospectif RTD.civ. Revue trimestrielle
de droit civil RTD.com. Revue trimestrielle de droit commercial S.
Recueil Sirey s. suivant somm. sommaire sp. spcialement ss la dir.
de sous la direction de suppl. supplment supravoir ci-dessus T.
civ. Tribunal civil T. confl. Tribunal des conflits T. correc.
Tribunal correctionnel TA Tribunal administratif TGI Tribunal de
grande instance TI Tribunal dinstance V. Voir vol. volume
11
La libert de la recherche en matire de biothique
IntroductionLa biothique ne peut tre dfinie comme une discipline
ou une science. Le terme 1 biothique renvoie un ensemble de
recherches, de discours et de pratiques . Son dveloppement a lieu
dans un contexte pluraliste, pluridisciplinaire et son objet vise
clairer des problmatiques thiques, engendres par lavance et
lapplication des sciences biomdicales. La difficult lie la
diffusion des sciences et des techniques tient 2 notamment au fait
quelles se dveloppent en tant affranchies de tout dogme . La
biothique tente alors dapporter des rponses cet essor. Deux voies
lui sont ouvertes. Soit la biothique opte pour une solution
pragmatique des problmes, en tentant de rsoudre des difficults
dordre moral avec des rponses concrtes, ce que G. Hottois appelle
la 3 casuistique concrte . Soit la biothique sessaie des rponses
plus gnrales et soriente vers des normes plus consensuelles pour
remporter un agrment universel. Cest 4 luniversalisme formel , qui
tente de runir tous les points de vue, philosophiques, religieux,
idologiques, dans un contexte pluraliste. Lcueil est la production
dune norme, certes universelle, mais vide de substance donc
d'intrt. La biothique doit permettre de concilier limpratif de
libert de la recherche avec 5 le primat de la protection de la
personne et la sauvegarde de lhumanit . Le droit doit-il
sastreindre aux mmes impratifs quand il traite des questions de
biothique ? Les difficults ontologiques, qui envahissent le dbat de
la libert de la recherche en biothique, npargnent pas le droit. Il
se heurte une ralit de la personne humaine qui ne peut tre limite
qu une conception juridique. Cette acception juridique est
fictionnelle et naturellement nourrie de valeurs qui sont autres
que juridiques. La biothique jongle avec diffrentes sphres, de
lthique au droit, de la thologie la philosophie et de lconomie la
politique. Ces disciplines inspirent la biothique, tout en
semparant delle pour satisfaire des intrts propres. Ainsi, elle est
un enjeu de pouvoir lorsquelle est capture par les 6 cercles
dirigeants en mme temps quelle est investie par les milieux
daffaires . Le droit doit tenir compte de ces ralits et des
pressions qui en dcoulent. Il ne doit donc pas se tromper de
questions lorsquil tente de rgir les rapports de la science avec la
personne humaine. Il doit, la fois, articuler la libert de la
recherche avec lactivit du scientifique et la rguler juridiquement
afin quelle respecte la personne humaine. G. Durand propose trois
concepts pour aborder le thme de la normativit, dont on retient
trois niveaux : la valeur, le principe et la rgle. Le terme valeur
regroupe lesG. HOTTOIS, M-H. PARIZEAU, Les mots de la biothique. Un
vocabulaire encyclopdique, Bruxelles, De Boeck Universit, 1993,
Ibid., p. 49. Ibid., p. 50 ; Ibid.5 7
1
pp. 49-60.2 3 4
Union interparlementaire, La biothique : enjeu international
pour la protection des droits de la personne , Rsolution me er
adopte par consensus par la 93 confrence interparlementaire,
Madrid, 1 avril 1995.6 7
L. SEVE, Quest-ce que la personne humaine ? Biothique et
dmocratie, Paris, La Dispute, 2006, p. 33. G. DURAND, Introduction
la biothique. Histoire, concepts et outils, Canada, Fides Cerf,
1999, p. 165.
12
Introduction
grands idaux et sanalyse comme le mot le plus gnral et le plus
dynamique par rapport au principe . Le principe dsigne la
proposition initiale dun raisonnement , partir duquel on dduit des
consquences et des propositions. Sa nature est abstraite,
impersonnelle , universelle et objective. Cest l sa grande
diffrence avec la rgle , qui se concrtise et se prcise bien plus
que le principe. Lautre distinction, entre ces deux notions, tient
leur nombre et leur stabilit : les principes sont peu nombreux et
stables ; les rgles sont nombreuses et peuvent varier. Une
dynamique sarticule donc entre ces trois fonctions, puisque ces
trois concepts sont dpendants les uns des autres, sauf ne rester
que pure thorie. Les principes traduisent les valeurs et les rgles
concrtisent les principes. Mais cette dynamique se joue aussi dans
lautre sens, puisque laction est dirige par la rgle, qui est
contrle par les principes et les valeurs. Des exceptions sont
possibles cette relation triangulaire, des exceptions aux rgles,
faites au nom des principes et des valeurs. Or, on saperoit, dans
la problmatique de la biothique, et notamment celle de la recherche
sur lembryon humain in vitro, que cest le principe et la valeur qui
risquent dtre modifis, la faveur de la rgle. Tous les cinq ans, le
droit franais prvoit que sa loi de biothique sera rvise, cela pour
sadapter et coller au plus prs des avances scientifiques. La
premire tape est donc la modification de la rgle. Le lgislateur
sest engag dans une procdure sans fin, puisque la science est
toujours appele se modifier. Le droit tend la satisfaire toujours
plus. Ainsi, alors quil a pralablement pos des principes
fondamentaux essentiellement fonds sur des valeurs ontologiques,
pour ce qui touche lembryon, la rgle, elle, protge la dignit de la
personne humaine et, pour le cas de lembryon in vitro, le Code de
la sant publique lui accorde un cadre de dispositions le protgeant.
Larticle L. 2151-5 de ce code dispose que La recherche sur lembryon
humain est interdite . La rgle fait pourtant lobjet dune drogation
qui laisse supposer que cest le socle des principes fondamentaux,
qui motivent le respect, qui est appel voluer, tre relativis en
fonction des besoins de la loi et non pas au nom des principes ou
des rgles. Cest la seconde tape qui semble ruiner la base des
droits fondamentaux et la logique de la normativit. Lappropriation
de lhumain et de son corps est une question centrale qui repose sur
deux axiomes. Le premier est la distinction des choses et des
personnes. Les personnes sont hors commerce et ne peuvent tre
appropries. Elles bnficient de droits subjectifs. Le second
distingue les choses appropriables et les choses non appropriables.
la problmatique de lappropriation et de la commercialisation de
lhumain, le droit rpond en objectant plusieurs rgles. La premire
est celle du respect de la dignit : La loi assure la primaut de la
personne, interdit toute atteinte la dignit de celle-ci et garantit
le respect de l'tre humain ds le commencement de sa vie , selon
larticle 16 du Code civil. Larticle 16-1 complte cette disposition
: Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est
inviolable. Le corps humain, ses lmetns et ses produits ne peuvent
faire lobjet dun droit patrimonial . Pourtant, le droit se heurte
une difficult lie la pratique de la science sur le corps humain.
Lusage du corps nest pas exclu et la mdecine lutilise lgalement
pour des raisons sanitaires. Il faut donc distinguer lusage et le
commerce du corps. Le droit fait cette diffrence et place le corps
hors commerce , ce qui signifie quaucune convention ne peut tre
conclue sur lui. Cest ce que lon dduit de larticle 1128 du Code
civil qui affirme cette indisponibilit. La jurisprudence sinscrit
dans le mme sens mais trs discrtement, 8 puisque trs peu de
dcisions ont t prononces ce sujet. M-A. Hermitte na recens que 9 me
deux dcisions , au cours du XIX sicle, et il faut attendre les
annes 1990 pour que8
M-A. HERMITTE, Le corps hors du commerce, hors du march ,
Archives de philosophie du droit, tome 33, 1988, p. 324. Trib.
Corr., Seine, 14 mars 1884, GP., 15 mars 1844 ; C. Cass. Civ., 27
juin 1913, note H. LADOU, D. 1914. II. 73.
I. ARNOUX, Les droits de ltre humain sur son corps, Bordeaux,
PUF de Bordeaux, 2003, 575 p., p. 192.9
13
La libert de la recherche en matire de biothique
la rgle soit de nouveau cite dans la jurisprudence. Seulement,
la biothique bouscule les fondements du droit, en explorant
toujours plus loin les parties du corps humain. Certaines navaient
pas t imagines par le droit. Aussi est-il question de savoir jusquo
lhumain est inappropriable. Deux principes fondamentaux offrent un
socle au droit en matire de biothique : le principe de dignit de la
personne humaine et la libert de la recherche. Ils doivent
saccommoder lun et lautre tout en sopposant parfois. La science
rpond des exigences dordre conomique. Cest ce qui cre lambivalence
du cadre du droit de la biothique. Des rgles de respect de la
dignit humaine, issues des droits de lhomme, sont affirmes 10 tout
en tant dmenties ou dtournes. Prcisment parce que la biothique
traverse diffrents champs, de lthique la philosophie, du droit
lconomie, elle se construit partir de rgles, en rivalit parfois,
qui ne permettent pas de se positionner franchement. Cela dautant
plus que la biothique, bien que guide par des principes fondateurs,
s'arrange aisment du pragmatisme des scientifiques. Elle est comme
un espace dans lequel se 11 dveloppent des pratiques qui ne sont
pas en osmose totale avec les valeurs de la socit. La biothique
offre alors un espace de rflexion, comme un jardin dacclimatation
pour 12 N. Fresco , qui dcrit comment la biothique parvient
autoriser linterdit et permet de laccepter pour lavenir. La manuvre
qui permet de passer de linterdiction ladhsion semble possible grce
une logique qui organiserait avec succs la cohabitation des
principes fondamentaux. Pourtant, cette logique est difficile
atteindre au regard des visions les plus classiques qui animent le
dbat sur la libert de lhomme. La premire vision revendique la
libert de lhomme et laborde de manire subjective, alors que la
seconde lui prfre une vision objective, dans un contexte humaniste.
Ainsi, pour le premier courant, la libert sanalyse comme tant
individualiste et conditionne par laptitude la libert de celui qui
en est le 13 titulaire . Pour le second courant, la dignit ne rpond
aucune condition et surtout pas de laptitude tre libre. Mais il est
possible de se trouver entre ces deux doctrines. Cest la position
du droit positif qui est mi-chemin entre la protection des droits
fondamentaux et la reconnaissance des exigences scientifiques, sans
trancher en la faveur de lune ou lautre lorsquelles sont en
conflit. Un postulat de dpart peut confirmer cette situation : sans
libert de recherche, lhomme nest pas un tre totalement libre, et
sans cette libert, il nest pas non plus parfaitement digne.
Cependant, la libert du scientifique doit tre relativise pour ne
pas entamer ce qui constitue la dignit de ltre humain. Le principe
semble acquis et ne soulve pas de difficults majeures au premier
regard. Pourtant, deux points dachoppement font buter le
scientifique, le lgislateur et le juge. Labsence de dfinition
univoque de la dignit de la personne humaine est un premier
obstacle qui tend dnaturer la valeur, au sens de G. Durand, et le
contenu de ce principe. La question du titulaire de ce principe
constitue le second problme. Qui peut se prvaloir de la dignit de
la personne humaine ? Selon les dfinitions donnes la vie humaine,
les rponses varient, ainsi que les rgles juridiques appliques
lactivit scientifique. La biothique est donc un phnomne dpendant de
la socit dans laquelle elle se dveloppe et constitue un10
B. MATHIEU, Plaidoyer dun juriste pour un discours biothique
engag , inN. LE DOUARIN, C. PUIGELIER (dir.), M. CANTO-SPERBER
(dir.), Dictionnaire dthique et de philosophie morale. Voir
lanalyse de R. OGIEN propos du terme N. FRESCO, Le clonage humain,
Paris, Le Seuil, 1999, 207 p. B. MATHIEU, op. cit., p. 272.
Science, thique et droit, Paris, O. Jacob, 2007, pp.
253-277.11
valeur, pp. 1052-1064.12 13
14
Introduction
phnomne culturel . La biothique stend aussi de manire
universelle. Les systmes juridiques commencent percevoir son
dveloppement et ses consquences, tant en droit interne quen droit
international. Bien que la situation franaise occupe la majorit de
nos dveloppements, le rayonnement de la biothique est international
et mrite quon sy intresse. Pour dlimiter cette tude, le choix sest
port vers des Etats dans lesquels on retrouve la mme problmatique,
celle de lquilibre, dans le droit, entre le respect des valeurs
fondamentales protectrices de la personne humaine et la libert de
la recherche en biothique. Mme si le passage de lthique au droit
permet dlever les exigences du respect de la dignit de la personne
humaine dans les lois, et bien que lordre public soit solidement
ancr dans des principes respectueux de la personne, le socle
juridique est imparfait et la science tire son profit des
insuffisances du droit. La biothique transcende plusieurs
disciplines, ce qui ne peut tre sans effet sur le droit dans son
processus dlaboration (I), ni sur le cadre des droits fondamentaux
qui la soustendent, et cela, aussi bien dun point de vue du droit
public national quinternational (II).
14
I. La biothique, une transdiscipline . Quelles consquences sur
le droit ?15
La question de la dfinition de lhomme et de sa protection se
pose spontanment lorsquon entre dans le domaine de la biothique et
du droit. Quelle libert doit-on lui accorder et quelle libert
peut-on laisser la recherche scientifique qui investit ltre humain
et son corps, en linstrumentalisant ? Les deux liberts, celle de
lindividu et celle du chercheur, ne sont pas opposes. La science
est lgitime et rpond aux besoins de connaissance de lhomme. La
rponse pour une conciliation quilibre des liberts simpose donc dans
le processus dmocratique de cration des normes. Mais en biothique,
le droit souvre dautres points de vue qu la seule rflexion
juridique.
A. Les enjeux de la biothique dans un contexte
multidisciplinaireLa conjonction des matires explique la mthode de
la biothique, qui volue dans un 16 17 contexte multidisciplinaire
(1). La biothique vhicule des valeurs et des principes , le droit,
ensuite, voque ses rgles quil applique tous les niveaux qui
participent la biothique. Dans ce contexte, se jouent des enjeux de
pouvoirs (2).
1. La biothique : dfinition et contexte14
C. BOUFFARD, Biothique de la recherche et diversit culturelle.
Passer du dfi lobjectif , inC. HERVE, B-M.
KNOPPERS, P-A. MOLINARI (dir.), Les pratiques de recherche
biomdicale visites par la biothique, Paris, Dalloz, 2003, pp.
51-72, sp. p. 51.15
G. HUBER, C. BYK, La biothique au pluriel : lHomme et le risque
biomdical, Paris, Association Descartes, J. Libbey
Eurotext, Coll. Ethique et sciences, 1996, 137 p.16 17
G. DURAND, Introduction la biothique. Histoire, concepts et
outils, Canada, Fides Cerf, 1999, p. 165. Voir A. FAGOT-LARGEAULT,
Lhomme biothique, Paris, Ed. Maloine, 1995, pp. 5-6.
15
La libert de la recherche en matire de biothique
La biothique sanalyse selon diffrentes approches. Au dbut du
sicle, la dontologie mdicale est un lment principal qui prcde la
biothique. Cest dans un contexte essentiellement corporatiste de
mdecins et de chercheurs quelle se dveloppe. La consquence est la
confidentialit de la matire puisque les scientifiques, indpendants,
18 se sont peu exposs la collectivit et leur responsabilit . Mais
lvolution biomdicale a modifi leurs mthodes, ouvrant la discipline
dautres spcialistes comme le juriste et lthicien. La recherche a
gliss vers la sphre publique, notamment parce que lEtat sy est
investi. Les nouvelles pratiques ont donc cr un besoin de
rglementation, mlant le lgislateur ce cadre. La vision
interdisciplinaire de la biothique peut se complter par une
approche sculire, qui prtend une apprhension de la biothique dtache
du niveau religieux. Elle sest, par ailleurs, progressivement dgage
de la morale pour privilgier 19 une approche ouverte et prospective
. Les dveloppements scientifiques ont modifi le rapport du mdecin
et du chercheur la discipline. En tant de plus en plus spcialiss,
il fallait quils se recentrent sur une vision plus globale,
envisageant lhomme comme un tout, inscrit dans une collectivit,
donc comme un tre social. G. Durand complte ces diffrentes voies
pour aborder la biothique, en proposant une analyse systmique qui,
selon ses termes, se veut la fois inclure et dpasser ces deux
aspects : paternaliste 20 et casuistique . La biothique distancie
la tendance paternaliste qui caractrise la dontologie et lthique
mdicales, sans sen dfaire totalement, et poursuit son analyse la
fois de cas concrets et de problmes gnraux. Une seule dfinition de
la biothique parat difficile, mais on peut regrouper ces diffrentes
approches et lui reconnatre une qualit 21 danalyse
interdisciplinaire, sculire, prospective, globale et systmique . Le
droit fait des choix face aux progrs scientifiques. Tant que ces
derniers restaient confins la matire et navaient pas encore pntr le
vivant, le droit les encadrait sans transformations notables de ses
valeurs. Son volution simpose depuis que la science remet en cause
les fondements des droits de lhomme. Les questions suscites
obligent le droit saccommoder dune situation concrte qui est celle
de la cohabitation de la science et des valeurs fondamentales de la
socit. La combinaison des connaissances biologiques et des valeurs
humaines offre une premire piste au droit pour affronter ce
problme. Cette combinaison dfinit la biothique selon Van R. Potter.
Cest ce cancrologue qui introduit, pour la premire fois, le terme
biothique . Dans son ouvrage Bioethics : Bridge to the Future
(Prentice-Hall, Englewood-Cliffs, 1971), il la dfinit comme la
science de la 22 survivance et lassimile un projet normatif de bon
usage des sciences biomdicales , dans un objectif damlioration de
la qualit de vie de chacun.Est-ce la modification de lthique ou mme
une nouvelle thique ? Cest la question pose par D. Folschied et J23
J. Wunenburger . La biothique peut se rapprocher dune rflexion
prudente sur les fins de la mdecine et de ses pouvoirs, face aux
risques pour lhumanit lis aux pratiques
18
C. BERNARD, Introduction ltude de la mdecine exprimentale,
Paris, Garnier-Flammarion, 1966 1865, pp. 149-156 ; Voir Ibid., pp.
117-118. Ibid., p. 119. Ibid., p. 120.22 23
G. DURAND, loc. cit., p. 115.19 20 21
G. HOTTOIS, op. cit., p. 54. D. FOLSCHIED, B.
FEUILLET-LE-MINTIER, J-F. MATTEI, J-J. WUNENBURGER, Philosophie,
thique de la mdecine,
Paris, PUF, 1997.
16
Introduction
biomdicales . Cest, ici, la vision propose par B.
Feuillet-Le-Mintier . D. Callahan , sans la dfinir prcisment mais
en dterminant ce que doit tre le rle de lthicien, propose un
contenu de la biothique qui sorganise autour des rapports entre la
mdecine 26 et la biologie. J-L. Funck-Brentano pose un regard plus
ferm sur la biothique, en la rduisant la science de la morale
mdicale, qui est une vision peu loigne de celle 27 de J-F. Malherbe
, qui envisage la biothique comme une thique de la mdecine. Cette
dfinition se rapproche galement de celle de G. Hottois qui associe
la biothique lthique 28 mdicale. La biothique serait ainsi une
branche de cette thique . Plus largement, J. 29 Bernard lenvisage
travers les rapports entre lme et lenvironnement . La biothique
tire son existence des avances scientifiques dans le domaine
biomdical, notamment des prouesses biotechnologiques et gntiques,
qui ont eu pour consquences douvrir des perspectives scientifiques
mais aussi de bouleverser lordre de la socit. Les valeurs thiques
et morales sont touches par la perce scientifique qui envisage
lhomme sous un nouveau jour. La capacit de la science pntrer le
vivant se concrtise sous des formes indites qui modifient son
rapport lhumanit tout entire. Les valeurs qui prsidaient
jusqualors, mme si elles ne sont pas ncessairement altres, sont
mises en concurrence avec dautres principes. Cest la raison pour
laquelle le recours lthique et au droit sest impos pour rguler la
science. Le droit de la biothique sorganise ainsi en sinspirant de
sources thiques et juridiques. Les juristes ont une responsabilit
importante dans lmergence de la biothique. Ils ont eu seconder
lEtat qui na pas toujours pris part aux dbats issus de la
biothique. En parallle, la rvolution scientifique ne pouvait plus
se contenter des prceptes jusqualors dicts par lEglise catholique,
aux Etats-Unis, o mergea, effectivement, la notion de biothique.
Linfluence juridique sest donc mle celle des thiciens, des
philosophes mais aussi des thologiens, qui ont t 30 lorigine de
diffrentes pistes de rflexion notamment au sujet du patient . La
rencontre du droit et de la biothique souligne le caractre
interdisciplinaire de la biothique. Pour que slabore ce droit, il
est ncessaire de savoir de quoi est faite la biothique. Ses
origines et ce quelle reprsente aujourdhui ont une influence sur ce
que sera le droit dans ce domaine. En comprenant que la biothique
est une conjonction de plusieurs matires, il est plus ais
dapprhender le droit et son rapport la recherche24
24
25
B. FEUILLET-LE-MINTIER, La biomdecine, nouvelle branche du droit
? , in B. FEUILLET-LE-MINTIER (dir.), Normativit D. CALLAHAN,
Bioethics as a Discipline , Hastings Center Studies, vol. I., n 1,
1973, pp. 66-73. Voir M-H. PARIZEAU, J-L. FUNCK-BRENTANO, la
biothique, science de la morale mdicale , Dbats, n 25, mai 1983,
pp. 59-82. J-F. MALHERBE, Pour une thique de la mdecine, Paris,
Larousse, 1987. G. HOTTOIS, Biothique , inG. HOTTOIS, J-N. MISSA
(dir.), Nouvelle Encyclopdie de biothique, De Boeck, 2001, J.
BERNARD, De la biologie lthique, Seine, 1998. Dictionnaire
permanent Biothique et biotechnologie, Biothique , mise jour 51,
pp. 191-198. Les philosophes et
et biomdecineEconomica, 2003, p. 4.25
Biothique : mthodes et fondements , Cahiers scientifiques de
lAcfacs, n 66, 1989, pp. 183-189.26 27 28
p. 124.29 30
thologiens catholiques amricains, Mc CORMICK, CURRAN, MAGUIRI et
CALLAHAN crent, dans les annes 60, un nouveau courant de lthique
mdicale qui tait, jusqualors, trs marque par linfluence catholique.
CALLAHAN est lorigine dun centre o le dbat entre la science, la
thologie et lthique a pu sexercer plus librement quau sein de
lEglise. Ainsi, en 1969, apparat le Hastings Center, New-York et,
en 1971, le Kennedy Institute of ethics, Washington DC, sous
limpulsion de HELLEGERS. Le mouvement suit au Canada (conduit par
D. ROY), voyant merger le Centre de biothique de lInstitut de
recherches cliniques de Montral. Le courant protestant prend
galement part au dveloppement de cette nouvelle rflexion
thique.
17
La libert de la recherche en matire de biothique
biomdicale. Cela permet aussi de saisir ce qui participe son
laboration et sa mutation, car le droit, en contact avec la
science, mute. La biothique traverse diffrentes matires qui
linspirent et qui, rciproquement, sen inspirent. Elle opre une
connexion entre plusieurs liberts et diffrentes disciplines dont
lthique. Le droit de la biothique rsulte de ces rencontres. Il
prsente des spcificits en ce quil ressortit une nature juridique
mais aussi lthique et la dontologie. Or, lthique et la dontologie
ne relvent pas de la norme juridique. Le dialogue, entre lthique et
le droit, nous intresse plus particulirement car il conduit des
consquences sur le processus de normalisation du droit et donc sur
les horizons normatifs de la biothique. Le droit de la biothique,
appuy sur des principes fondateurs et directeurs, que sont
principalement le principe de sauvegarde de la dignit et celui du
consentement libre et clair, est donc empreint dinternormativit et
largement inspir de lthique. Des principes issus de lthique
procdurale et mdicale assoient un certain nombre de rgles de la
biothique. Les rgles de respect du patient, comme le consentement
libre et clair et lautonomie de lindividu, sont des conditions
poses par lthique mdicale qui apparaissent trs clairement dans
lnonc des principes fondamentaux, en droit franais. Bien quici
lthique soit particulirement souligne, elle ne doit pas faire
croire quelle est la biothique. Linterdisciplinarit explique la
mthode de la biothique, qui se situe la convergence de diffrentes
matires pour approcher de nouvelles questions propres aux
dveloppements scientifiques et biotechnologiques. Ainsi, il serait
contradictoire de rsumer la biothique une assise seulement thique.
La nature de la biothique est en partie thique, son objectif
galement, mais sa mthode ne lest pas puisquelle souvre dautres
disciplines. Lthique participe lvolution du droit en tant un lment
de la biothique. Ainsi, elle prcde ltape de la cration du droit de
la biothique en oprant un glissement, celui de lthique au droit.
Lthique a inspir le droit quand les questions sur linterruption
volontaire de grossesse (IVG) ont investi le domaine du droit, en
1974, lors des dbats qui ont prcd 31 la lgislation sur lIVG . La
rflexion thique a donc pris sa place dans llaboration du droit et
cela selon trois dimensions : la micro-thique, la macro-thique et
la mso-thique. La premire concerne le champ du patient et du
chercheur ou du mdecin. La deuxime est attache lquilibre qui
sorganise entre les droits, la socit et linfluence des dcisions sur
la collectivit en gnral. Enfin, la mso-thique se situe dans une
relation au niveau de lindividuel et de la socit, lun et lautre
tant concerns lors de leurs dcisions. Ce qui sest dit dans lordre
thique sest alors concrtis dans lordre juridique. La situation sest
rpte, loccasion des premires lois de biothique, en 1994. Lthique
stait, entre temps, institutionnalise. Cest ainsi quen 1983 le
Comit consultatif national dthique a relay lthique de faon
officielle. Mais cette institutionnalisation souligne, nanmoins,
une tendance de lthique officielle qui renvoie une thique domine
par un courant majoritaire, essentiellement dontologique. Cest un
reproche qui continue de lui tre fait. Le recours lthique anticipe
donc llaboration du droit, qui simprgne de la nature de lthique.
Mais si on observe le passage de lthique au droit, on note galement
une influence du droit sur lthique. Lthique est touche par le droit
qui la devance parfois. Le droit lui confre ainsi une autorit
quelle navait pas. En marquant lthique du sceau du droit, le
lgislateur parvient intgrer, dans le droit, des normes thiques qui
ny avaient31
Dcision n 74-54 DC du 15 janvier 1975, loi relative
linterruption volontaire de grossesse. JO du 16 janvier 1975, p.
671.
18
Introduction
pas encore leur place. Lthique gagne donc de la force en
rejoignant le droit et cest l un moyen dassurer le respect
juridique de principes thiques. Le vivant devient un objet
conomique en plus dtre un matriau. Le juriste doit sen proccuper et
aborder la question, qui se pose en filigrane, de la remise en
cause des valeurs et des droits fondamentaux qui servent de support
la socit. Lexprimentation scientifique sur lembryon humain et ses
cellules ou le dveloppement du droit en faveur de la brevetabilit
du vivant soulvent des interrogations juridiques et thiques, qui
ont du mal trouver une rponse. Le recours lthique est alors
ncessaire pour alimenter la rflexion du juriste et faire voluer le
contenu du droit. Cette discipline ne sert donc pas juste le droit
lors de son laboration. Elle intervient en permanence. Le
lgislateur nhsite pas la solliciter lorsque lapplication du droit
se heurte des contradictions ou des difficults. Cest donc avec le
concours de lthicien que le juriste peut faire voluer la norme et
la rviser, quand cest ncessaire, et cest parfois sous son impulsion
quil sengage se rformer. La question de la rforme du droit est un
autre aspect de cette tude. On se demande si le droit doit voluer
et sadapter favorablement aux exigences et aux avances
scientifiques. Cela renvoie lide dune pression de la science sur le
droit et son pouvoir en gnral. La science ne se prsente-t-elle pas
comme une autorit, en justifiant ses pratiques et en les faisant
accepter moralement et socialement ? Cest une faon de normaliser
ses techniques. H. Gaumont-Prat nhsite pas parler dun imaginaire
contemporain du lgislateur lorsquil se croit engag dans une ncessit
dadaptation de sa matire la science. Le droit semble enclin se
plier aux exigences de la communaut scientifique, si lon observe
lvolution des lois en matire scientifique. Mais alors, comment
composer entre les revendications scientifiques et ce qui est
socialement acceptable ? Le premier point est que le droit franais
doit saccommoder dune tradition juridique et philosophique trs
attache des principes fondamentaux de la personne. Cette tradition
est, par ailleurs, assez loigne de la tradition anglo-saxonne,
galement tourne vers lindividu mais dans une approche qui privilgie
lautonomie de ce dernier sur son corps. Lide dune proprit sur le
corps semble ainsi admise comme un droit individuel, alors que la
conception franaise laborde autrement, en rigeant deux rgles
primordiales : lindisponibilit et la non-patrimonialit du corps
humain et de ses lments. Le second point, pour rpondre la question
de lvolution du droit vers une adaptation aux techniques
scientifiques, est une rponse rechercher du ct des droits de
lhomme. Les droits de lhomme permettent dvaluer la protection de la
communaut humaine, en offrant un ventail de rfrences. Cette
protection doit sinstituer comme une limite lvolution du droit.
Seulement, les failles de ce systme rveillent des ambiguts. Les
droits de lhomme ne sont pas clairs sur lensemble des titulaires
qui ils 33 sadressent et ne sont parfois daucun secours . La place
de lembryon au sein des droits de lhomme est pose. Cette question
subsiste en droit interne mais aussi dans le contexte largi du
droit international. lchelle internationale, la rgle thique domine
la rglementation du droit de la biothique. Les recommandations
thiques contenues dans les textes internationaux ont favoris et
stimul llaboration dun cadre juridique. Le droit europen et le
droit international se sont largement inspirs des dispositions
thiques mises par les instances internationales comme lUnesco, le
Comit international de la biothique (CIB) ou dinstitutions
europennes comme le Conseil de lEurope, lUnion europenne, le
Comit32 32
H. GAUMONT-PRAT, Gnie gntique et brevetabilit du vivant : de la
science au droit , inN. LE DOUARIN, C. PUIGELIER G. HOTTOIS, op.
cit., p. 159.
(dir.) Science, thique et droit, Paris, O. Jacob, 2007, pp.
229-241.33
19
La libert de la recherche en matire de biothique
directeur de la biothique (CDBI) ou encore le Comit europen
dthique (GEE). Une tude hors des frontires permet de comprendre
linfluence de lordre juridique international sur le droit interne,
en gnral. Dans le domaine plus particulier de la biothique, o le
droit international de la biothique nest pas contraignant, on
observe un mcanisme intressant entre ces deux droits. Cela se
traduit par une incitation du droit international sur les droits
nationaux. Il les encourage sengager dans un processus dvolution de
leurs propres lgislations. En invitant les Etats participer aux
dclarations internationales et universelles, 34 qui ne prsentent
pourtant pas de caractre obligatoire , les Etats sont incits
prendre part la rflexion biothique. Lincitation la rflexion du
droit international tant, en partie, thique car labor avec le
soutien dinstances thiques, on peut donc affirmer que lthique
participe la cration du droit de la biothique tous les chelons du
droit. On observe donc une forme de paralllisme entre ce qui se
passe en droit interne et en droit international. Chacun se dote
dune rflexion thique pour alimenter sa construction juridique.
Lautre impact intressant du droit international sur le droit
interne intervient quand les pays sont dpourvus dun droit spcifique
la biothique. Linfluence du droit europen et international prpare
ainsi le terrain, pour les Etats qui souhaitent se munir dune
lgislation particulire ou aller au-del dune simple codification des
pratiques. Les directives europennes agissent en ce sens, mme si
elles ne sont pas toutes accueillies favorablement. Le retard de la
transposition de certains instruments exprime souvent le dsaccord
du droit interne avec ce qui est dict lchelle europenne ou
internationale. Ainsi en a-t-il t de la directive 98/44/CE du
Parlement europen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative la
protection juridique des inventions biotechnologiques ou de la
ratification de la Convention sur les droits de lhomme et la
biomdecine du Conseil de lEurope, du 4 avril 1997 (dite Convention
dOviedo). Le rejet qui se manifeste, sil traduit une contradiction,
cache aussi, parfois, une lutte de pouvoirs entre les strates
politiques, scientifiques, conomiques et juridiques.
2. La biothique : un enjeu de pouvoirLa rflexion biothique est,
ici, oriente sur lembryon humain. Lutilisation de ce dernier, par
la science, na rien dvident car elle soulve des problmes juridiques
mais avant tout ontologiques. Ce qui rend difficiles la
qualification et ltablissement dun statut de lembryon par le droit.
La science a donc saisi cette occasion pour enrler lembryon dans
ses activits. Les motivations sont dordre thrapeutique et cognitif
en premier lieu. Seulement, des objectifs dindustrialisation et de
commercialisation compltent ces finalits. Ainsi objectiv par la
science, lembryon est absorb par une sphre o se confrontent toutes
sortes dintrts, mlant la fois des dsirs de pouvoirs sur ce quil
est, des objectifs scientifiques et des motivations conomiques.
Comme la recherche scientifique est troitement lie des questions
financires et industrielles, on ne peut ignorer le rle de lconomie
dans le primtre de la science mais aussi du droit. Lascendance
conomique rejaillit sur le droit de faon trs significative,
notamment sous langle du droit des brevets. Cette influence
sanalyse ici travers la question de linterdiction ou de la
limitation des recherches scientifiques au regard des droits
fondamentaux. Au fond, on se demande si le droit peut cder devant
des enjeux thrapeutiques et conomiques et si ces enjeux peuvent
intgrer34
Exception faite de la Convention sur les droits de lhomme et la
biomdecine, dite Convention dOviedo, du Conseil de
lEurope, du 4 avril 1997, qui est un texte contraignant.
Seulement, elle na pas t ratifie par tous les Etats, ce qui limite
sa porte. Un autre facteur vient attnuer sa force et lallger de sa
substance : sa volont dassurer un consensus le plus large
possible.
20
Introduction
et modifier le contenu du droit. Doit-il se transformer leur
contact, en acceptant dignorer le dbat sur les droits fondamentaux,
dbat plus naturellement maintenu par lthique ? La lutte des
pouvoirs, loccasion de la rflexion sur les droits fondamentaux et
la libert de la recherche dans le domaine de la biothique porte, en
particulier, sur le risque de linstrumentalisation de la personne
humaine. Une premire difficult apparat, celle de la dfinition de la
personne humaine. De cette dfinition va dpendre la protection de ce
sujet. Ltymologie est donc centrale pour apprcier le ressort de la
protection. Le sens qui est donn lhumain dtermine le respect qui
lui est alors d. Mais une seconde difficult est lie au primtre de
la catgorie juridiquement protge. Lembryon entre-t-il dans cette
catgorie ? Tant que lambigut demeure sur la qualification de
lembryon humain, il se montre vulnrable et sa rification reste
envisage par la science. Cest un premier problme auquel le droit
doit rpondre. Mais, un second aspect vient emmler le dbat. Selon
quon envisage les objectifs de lutilisation de lembryon sous un
angle thrapeutique ou sous un angle conomique, lacceptation de sa
manipulation se modifie. Cela signifie que les risques sont
diffremment apprcis en fonction de lutilisation de lembryon humain.
Quand elle a pour but dlaborer des thrapies qui allgeront les
souffrances des malades, la technique semble recevable. En
revanche, ladhsion y est moins facile si les recherches
scientifiques sont menes des fins conomiques ou purement
utilitaires. Ce quon fait de la recherche scientifique dtermine
donc le jugement quon porte la fois sur la recherche mais surtout
sur lembryon. Ainsi, le statut de lembryon varierait selon son
usage. Et ce nest donc pas la recherche elle-mme qui proccupe, mais
plutt ce quon en fait. Cela nous permet de tirer deux conclusions.
La premire, contestable, est quil nest sans doute pas de bonnes ou
de mauvaises recherches mais plutt des utilisations discutables de
leurs rsultats. La seconde est que lembryon est totalement mpris,
puisquon sengage dans une voie qui, dune part, lui refuse un statut
clair en droit et, dautre part, rend modulable lbauche de son
statut, en fonction de son utilit pour la science. Le droit a
choisi cette piste qui manifeste le souci dlaborer des rgles
favorables lorientation de la recherche, en ne pnalisant surtout
pas le progrs scientifique. Pourtant, le droit doit se plier une
exigence de respect des principes fondamentaux lorsquil nonce ses
rgles. Deux remarques peuvent tre faites ce sujet. Lune tient
laffaiblissement des principes fondamentaux, affaiblissement
inhrent aux principes en raison dun manque de clart dans leur
dfinition. Lautre procde du droit, en contradiction avec lui-mme.
Cette contradiction a lieu en droit interne et en droit
international. Labsence de consensus entre les textes de porte
nationale et internationale dlite ainsi le contenu de ces principes
et minimise leur efficacit. Ce travers est dautant plus grave que
la biothique se dploie mondialement. Le contexte dans lequel se
dveloppe la recherche scientifique est un environnement mondialis
qui creuse le foss entre des considrations thiques et des
proccupations conomiques. Ces dernires sont ncessaires pour
alimenter le march de la recherche qui ne peut avoir lieu
autrement. Il y a un vritable enjeu dterminer les rgles qui doivent
rgir la libert de la recherche, pour tenter dquilibrer des
objectifs de sant publique tout en rpondant des intrts dordre
conomique. Les stratgies de recherche rpondent donc un march, mais
sont aussi dpendantes des rgles juridiques. La question est donc de
savoir dans quel sens tout cela sorganise. Est-ce le droit qui
sadapte un march et lconomie de la recherche scientifique ? Ou
est-ce la recherche qui doit composer avec le cadre qui lui est
offert ? La situation, en pratique, est videmment moins schmatique
; il serait simpliste de vouloir la trancher ainsi. Seulement, il
nest pas totalement faux de penser
21
La libert de la recherche en matire de biothique
que lun et lautre sinfluencent. Il reste savoir ce qui est
juridiquement et thiquement acceptable, quand on value limpact de
la volont scientifique et conomique sur le droit. Les consquences
sont de plusieurs ordres, mais lon retiendra deux effets principaux
de cette influence sur le droit. Le lgislateur peut, dune part,
subir le poids des contraintes conomiques et des pressions
scientifiques. Il peut, dautre part, voir la physionomie du droit
partiellement modifie, en raison de la diffrence de temporalit des
disciplines. Le 35 temps du droit , celui de la science et de
lconomie sont radicalement opposs. Or, le temps du droit fait
lobjet de pressions qui tendent le raccourcir. La rflexion
juridique ne saccorde pas la rapidit de la science ni aux
proccupations du march conomique. Le temps juridique est long.
Cette longueur, par ailleurs, est interprte comme une tentative de
ralentissement alors quelle est lgitime. En second lieu, dautres
consquences peuvent tre releves, qui touchent la science. Celle-ci
peut subir les impulsions de lconomie qui la contraint, parfois,
des obligations apparentes des obligations de rsultats. La
solvabilit de la recherche en dpend. Cette situation va lencontre
de la dmarche de la connaissance, qui nest plus le centre
nvralgique de la science et laquelle on substitue des objectifs
daboutissement de la recherche. La motivation de la connaissance
est alors dplace. Une proposition peut alors tre faite la science,
en lorientant dans une voie o elle se ferait du droit un alli afin
de poursuivre ses perspectives. Cela pourrait tre une solution de
barrage contre lenvahissement du paradigme conomique. dfaut, la
science devra se plier au rythme de lconomie et le droit ces deux
disciplines. Le rsultat de cette relation pyramidale, entre
lconomie, la science et le droit, se rpercute sur la nature du
droit. Cest un droit qui devient, alors, mallable. La rvision
systmatique du droit en est une caractristique. Le droit franais de
la biothique a adopt ce profil, et cest selon un calendrier dfini
par avance quil est rvis tous les cinq ans, conformment ce que les
premires lois de biothique de 1994 noncrent. Cette spcificit donne
rflchir. Il semble illogique de pouvoir modifier le droit de faon
rgulire et de faire ce choix avant sa mise en pratique. En effet,
tant que le droit nest pas mis en uvre, il est prmatur de prvoir ce
qui devra tre chang. Enfin, le mcanisme de rvision automatique
laisse songeur, puisquil est question de rviser des pratiques qui
tirent leur fondement de principes fondamentaux, par essence
intangibles.
B. Le choix du droit de la biothiqueLe droit de la biothique est
fond sur une base de principes lisibles et dont la permanence est
sans quivoque, puisquils organisent le respect et la primaut de la
personne humaine. Lintangibilit de ces principes est la rgle. Il
est alors difficile de comprendre comment une rvision rgulire de la
loi peut se justifier. Si les progrs scientifiques sont vidents et
36 comme la loi ne peut pas tout rsoudre , rien ne justifie la
modulation force des normes produites par le lgislateur. Si ces
rgles freinent la libert de la recherche par certains aspects,
elles maintiennent aussi un rgime de protection, qui na pas voluer
en raison des avances scientifiques, sauf remettre en cause les
principes fondateurs du droit de la biothique (1). Seulement, la
science a profit des quelques failles juridiques pour35 36
F. OST, Le temps du droit, Paris, O. Jacob, 1999.
Ibid., J-C. AMEISEN dcrit la situation dans laquelle le droit se
trouve face un champ de possibilits telles que la loi est dans
lincapacit de tout rsoudre et tout expliquer.
22
Introduction
simmiscer dans le champ des droits fondamentaux. Ainsi, le champ
de lembryon humain sest ouvert la recherche. La science a profit du
silence de la loi (2).
1. Le poids de la science sur le droitLe droit, en devenant
modulable, affiche une faiblesse : la systmaticit de la rvision
quinquennale. Linscurit juridique en est la consquence. Le droit
est alors amput de toute permanence. En tant soumis des pressions
extrieures, le lgislateur agit comme 37 sous la contrainte .
Toutefois, le lgislateur a sa part de responsabilit dans cette
situation. Il a commis des erreurs en laborant les lois de la
biothique. Les plus importantes se concentrent dans le texte de
2004. La loi n 2004-800 du 6 aot 2004, relative la biothique, recle
des incomprhensions. Leur explication nest pas justifie par
lurgence ou les pressions qui auraient pouss le lgislateur acclrer
son processus lgislatif. Si le manque de recul a pu jouer, parfois,
pour expliquer certains dfauts de la loi, des aberrations existent
sans quon parvienne les motiver. La plus importante est
certainement la rgle qui interdit lutilisation des recherches sur
lembryon humain in vitro, assortie dune drogation dune dure de cinq
ans. Le moratoire ainsi fix est justifi par lavance des
connaissances qui pourrait confirmer ou infirmer cette drogation.
Une premire remarque peut tre signale. Comment le lgislateur a-t-il
pu mettre en oeuvre une telle procdure dans la loi ? Sans se
proccuper immdiatement du fond, il est intressant dobserver la mise
en pratique dune autorisation fonde sur la drogation une
interdiction. La manuvre est originale. Une seconde observation
nous oblige nous demander comment le droit pourra revenir en
arrire. lissue de ce dlai, comment le lgislateur dcidera-t-il
quaucune recherche ne sera plus permise sur lembryon humain, si le
droit devait sengager dans ce sens ? En effet, le cycle du droit
est ainsi fait que ce qui est reconnu par les textes est accept par
la socit puis parfaitement intgr la norme. Ainsi, il devient
impossible de retirer un droit. Pourtant, il y a l une incohrence
qui appelle une solution : celle dinterdire quon droge des
principes intangibles. Car admettre une interdiction sur la base de
tels principes pour, finalement, contrevenir cette rgle, et donc
aux principes, est impossible, sauf admettre une absurdit et vider
les principes de leur contenu et de leur porte. La loi est donc ce
point mal crite quelle permet une autorisation drogatoire sur la
base dune interdiction. Le droit interne alimente ses propres
contradictions, le droit international galement. La relation entre
la science et le droit doit tre envisage lchelle internationale. La
science ne connat pas de frontire et se dploie dans un contexte de
multiculturalisme o la diversit peut la fois offrir un avantage et
un relais la science mais aussi la bloquer ou la ralentir.
Respecter la diversit culturelle apparat donc indispensable et doit
tre pris en compte lors de llaboration des normes juridiques. Ceci
est valable aussi bien lchelle nationale quinternationale. On sait
que les Etats sont construits sur des philosophies et des histoires
qui diffrent, dun pays lautre, et qui conditionnent les rgles
fondamentales de leur droit. Toutefois, et dans un contexte dEtats
dmocratiques, on peut considrer que les fondements sont semblables
et articuls autour de la protection de la personne humaine.
Cependant, chaque Etat a ses particularits et une faon propre de
dfinir ses principes fondamentaux. Se pose alors le problme de la
mise en perspective des principes fondamentaux de chacun, lorsquil
est question de sentendre internationalement37
A. CLAEYS, J-S. VIALLATE, La loi biothique de demain, tome 1,
Office parlementaire dvaluation des choix scientifiques et
technologiques, AN n 1325, Snat n 107, 2008, p. 30.
23
La libert de la recherche en matire de biothique
sur un texte. La rvaluation de la valeur des principes
fondamentaux peut tre un obstacle au projet et la ralisation dun
instrument international, comme une convention ou une dclaration.
En dpit de luniversalisme des principes, qui fondent le systme des
droits fondamentaux, la mise en oeuvre des rgles de la science,
dans un souci de respect de la socit et de son pluralisme, nest pas
simple. Les principes du respect de la personne humaine, de sa
dignit mais aussi de sa libert, sont des concepts unanimement
dfendus dans les socits dmocratiques. Ils sont les lments centraux
de la rflexion dans le rapport de la science lhomme. La libert de
la recherche rencontre une limite qui est universellement admise :
la dignit de ltre humain. Seulement, le concept de dignit ne reoit
aucune dfinition gnrale et valable cette chelle. Cela signifie que
la pertinence de ce principe, comme dautres galement, peut tre
revisite au gr des socits dans lesquelles il est dbattu. Dun systme
de rgles universelles, on peut donc glisser vers une attitude qui
relativise lensemble de ces rgles. Cest la fois la manifestation
dun grand respect de la culture dans laquelle la recherche sera
amene se dvelopper, mais cest aussi le signe dune plus grande
inscurit de la protection de la personne humaine. On ne peut
ignorer la cration de territoires plus ouverts lexprimentation. La
concrtisation de cette situation va lencontre du caractre universel
des principes qui organisent le droit et la biothique. Cela nous
conduit une autre question, qui est le choix des normes en matire
de biothique. Quelles peuvent tre ces normes qui doivent, tout la
fois, respecter les droits de lhomme et le droit la connaissance,
la recherche, en tenant compte galement de paramtres conomiques et
politiques ?
2. Le choix des normes de la biothiqueQuelles normes peuvent
simposer pour rguler laction scientifique dans le domaine du 38
vivant ? Le terrain du vivant sest ouvert la science avec lappui du
droit qui a autoris quelques transgressions pour rpondre aux
exigences scientifiques. Cependant que le droit posait pour la
premire fois les bases du droit de la biothique en France, il
admettait que les ncessits de la science devaient repousser
certaines limites. La premire tape du lgislateur, lorsquil
entreprit de rguler laction scientifique et de protger les tres
humains, fut tout dabord daffirmer les premires exigences de
respect de la personne humaine. Cette tape sest formalise par deux
groupes de lois : la loi n 88-1138 du 20 dcembre 1988, relative la
protection des personnes se prtant des recherches biomdicales, dite
loi Huriet-Srusclat, et un ensemble de lois qui regroupe les 39
trois lois dites de biothique de 1994 . Ces exigences nallaient pas
cesser de crotre au fur et mesure que la science avanait. Le droit
a donc install des rgles de respect de 40 la personne de plus en
plus strictes, en les faisant reposer sur la nature humaine . Il
les a faites intangibles. Malgr tout cela, la science na pas
ralenti son avance sur le territoire du vivant en linvestiguant de
toutes parts, davant la naissance jusqu la mort. Si la recherche
scientifique a pu ainsi stendre lhumain dans son entier, cest aussi
que les limites, que le lgislateur croyait imposer, ont cd. Leur
recul a remis en cause des38
N-J. MAZEN, J-R. BINET, Ethique et droit du vivant , Revue
gnrale de droit mdical, , 30, 2009, pp. 311- 324, sp. p. 311. 39 er
Loi n 94-548 du 1 juillet 1994, relative au traitement des donnes
nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine
de la sant et modifiant la loi n 78-17 du 6 janvier 1978
relative l'informatique, aux fichiers et aux liberts ; la loi n
94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain ; la
loi n 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et l'utilisation
des lments et produits du corps humain, l'assistance mdicale la
procration et au diagnostic prnatal.40
N-J. MAZEN, ibid., p. 312.
24
Introduction
principes annoncs comme indrogeables. La raison cela est
rechercher du ct du mouvement perptuel de la science vers lavant et
de la volont, ou de la croyance, du lgislateur de devoir poursuivre
le rythme scientifique. Le lgislateur a ainsi cru que la loi devait
coller aux pratiques de la science. Le cadre lgislatif sest donc
engag dans un mouvement de rvision quasi permanente, charg de
rguler lactivit scientifique. En 1994, les lois dites de biothique
marquaient le point de dpart dune longue remise en cause du travail
lgislatif. Lanne 2009 a vu sengager les tats gnraux de la biothique
en prvision de la rvision de la loi de biothique de 2004. Lvolution
incessante de la recherche en biothique a laiss croire que les
ralits juridiques devraient suivre cette mme impulsion. Cette
confusion porte quelques consquences, qui font apparatre le droit
comme un socle mouvant, alors quil revendique la stabilit et la
scurit juridiques dans ses droits fondamentaux. N-J. Mazen illustre
le rsultat de cette situation en disant 41 quelle finit par
ressembler une sorte de construction par strates et quelle est,
selon le regard que lon y porte, soit la marque positive dune
volution, la fois des ides et des pratiques, soit la manifestation
dune perte de valeurs de plus en plus assaillies. La situation
maintient un tat dhsitation pour le lgislateur, qui nest pas un
spcialiste scientifique mais qui, en tant quauteur du droit, doit
anticiper la raction du droit et de la socit. En faisant voluer le
droit, juste raison parfois, il faut tre conscient que ce qui 42
sera dornavant accept sera normalis . Il semble alors impossible
denvisager un retour en arrire. Cest ici lune des difficults du
lgislateur face aux avances scientifiques quil est tent dautoriser
mais dont il ignore vritablement les effets long terme. Une autre
difficult est celle du contexte dans lequel le lgislateur doit
uvrer. Dans un systme mondialis, la science connat peu de frontires
et sexpatrie volontiers l o le cadre est plus souple et
conomiquement plus favorable. La pression exerce sur celui qui fait
la loi est ncessairement prsente, quand il sagit de faire des choix
qui sarticulent autour de la protection de lindividu. Celui-ci ne
doit pas ptir dun systme juridique qui interdirait tout la science
et qui le couperait de ses avances et de ses bnfices scientifiques.
Enfin, largument conomique semble incontournable dans un
environnement scientifique concurrentiel et globalis. Opter pour
une conduite ferme la science, cest assurment se couper dune frange
de la modernit et de ce quelle engendre dun point de vue conomique
et industriel. Le dbat sur le droit de la biothique sort donc des
sphres plus classiques du questionnement juridique, thique, moral
et religieux. Mais toutes ces tapes sont ncessaires et
incontournables lors des confrontations qui animent les
interrogations du lgislateur et des acteurs qui concourent sa
mission. Linterrogation fondamentale qui se pose dans le dbat de la
biothique est de savoir et de comprendre quoi sert le droit dans
cette matire : est-il au service de la personne, en organisant sa
protection, ou est-il loutil dintrts scientifiques et conomiques ?
J-R. Binet souligne cette question et propose plusieurs rponses qui
font osciller le droit du reflet de la socit la concrtisation dun
plus petit commun dnominateur ou la matrialisation 43 de la volont
dun projet nouveau et cohrent . cet ensemble dinterrogations et de
propositions sajoute une autre demande de fond, lie la forme de la
rgle de droit. La loi de biothique doit-elle garder cette forme,
alors quelle est voue la rvision quinquennale ? Quel aspect
peut-elle prendre alors quelle organise des techniques
scientifiques destines se modifier ? Et sur la base de quels
principes peut-on instituer des rgles dure limite ?41 42 43
Ibid. Ibid., p. 13. Ibid., p. 317.
25
La libert de la recherche en matire de biothique
Le Conseil dEtat, qui participe ltude sur la rvision des lois de
biothique, a raffirm, en avril 2009, la ncessit de se rfrer aux
principes fondamentaux en tant que fondements du droit de la
biothique. En aucun cas ces principes ne peuvent tre modifis la
guise de la science. Cest dans une optique de prennit quils
sinscrivent et ils sont un socle qui doit rsister aux exigences de
la science. Cest la raison pour laquelle le Conseil dEtat se montre
favorable labandon de la pratique de la rvision tous les cinq ans
des lois de biothique, afin de prserver le caractre fondamental de
ces principes. Mais que sont ces principes et que protgent-ils au
fond ?
II. Le cadre des droits fondamentaux : pour une approche de la
biothique en droit public. Regard sur le droit interne et
internationalLes droits de lhomme abritent des principes fondateurs
et rgissent les relations des individus entre eux. Ces principes
contiennent des droits fondamentaux qui constituent loutil
essentiel du droit pour assurer sa mission de protection lgard de
lhomme. Le systme des droits de lhomme propose un socle de valeurs
qui se heurtent les unes avec les autres dans la pratique. En
thorie, le droit sert les droits de lhomme. Mais dans le contexte
dune socit fort dpendante du dveloppement scientifique, le droit,
en devant rguler les pratiques scientifiques, a largi son rle la
dfense de la libert de la recherche. Il est maintenant acquis que
la libert de la recherche est une libert fondamentale. Peut-on la
relativiser au regard dautres droits ? La rponse est positive
puisquon lui oppose, comme limite, le respect de la dignit de la
personne humaine, qui est le principe suprieur de lensemble des
droits fondamentaux. Cette situation est reconnue en droit franais
comme en droit international. Mais quen est-il dans la pratique,
alors que la dfinition des droits fondamentaux peine saffirmer (A)
? Peuvent-ils servir de soubassements un droit europen et
international de la biothique en pleine construction (B) ?
A. La conception des droits fondamentauxLa rfrence aux droits
fondamentaux offre un instrument juridique pour le droit lorsquil
assure sa mission de protection des droits de la personne humaine
(1). La porte de la science a modifi certains rapports, notamment
ceux du droit et de la science ainsi que la relation du droit et de
lindividu. Le socle fondateur est branl par lintrusion de la
science dans lespace juridique. Son emprise sur le droit est telle
quelle remet en cause la dfinition et la lgitimit des droits
fondamentaux (2).
1. Les droits fondamentaux. DfinitionDe la Dclaration des droits
de lhomme et du citoyen de 1789 aux Conventions du Conseil 44 45 de
lEurope , aux Dclarations des Nations-Unies , on retrouve de
multiples rfrences44 45
Voir la Convention sur les Droits de lHomme et la biomdecine,
Oviedo, 4 avril 1997. Voir la Dclaration universelle sur le gnome
humain et les droits de lhomme, adopte par lAssemble gnrale de
lONU, le
10 dcembre 1998.
26
Introduction
aux droits de lhomme. Les affirmations du juge constitutionnel
mais aussi des juges de la Cour europenne des droits de lhomme ou
de la Cour de justice des communauts europennes voquent galement
ces principes fondamentaux, perus comme un systme 47 porte
universelle, comme un droit naturel . Tous sont regroups autour
dune notion principale : la dignit de la personne humaine. Organiss
autour du respect de la dignit de la personne mais aussi des
liberts, les droits fondamentaux dpassent la catgorie des droits
subjectifs. Ils sont inhrents lhomme et sont la base dautres
principes en tant que principes matriciels, selon la thorie 48 de
B. Mathieu . Mais larticulation des deux principes sorganise selon
une hirarchie qui fait prvaloir la dignit sur la libert, en tant
que principe absolu, alors que la seconde est relative. La
protection de lindividu prime alors. Dans un premier temps, cela
confre aux droits fondamentaux un caractre individualiste. Mais ce
trait est aussitt tempr par une approche collective de ces droits,
lorsquils sont envisags une chelle qui dpasse lindividu, alors
imagin en collectivit. Le systme des droits fondamentaux permet
daffirmer des droits adresss lensemble de lhumanit. Cette
perspective sassocie un souci de solidarit. Ainsi en est-il du
droit la solidarit et au partage. Il peut alors sagir du partage
des connaissances dans un contexte de progrs scientifique o chacun
peut revendiquer le droit de profiter des bnfices de la science,
qui sinscrit galement dans une optique du droit la sant. Ce dernier
droit peut tre approch de deux faons : individualiste et
collective. Individualiste car le droit la sant constitue un droit
subjectif auquel lindividu peut aspirer, mais aussi collectif dans
la mesure o lEtat doit loffrir en tant quobjectif constitutionnel.
Le onzime alina du Prambule de la Constitution de 1946 dit que la
Nation garantit tous () la protection de la sant . La dcision n
74-54 DC, relative linterruption volontaire de grossesse, consacre
ce droit 49 la sant, voqu plus rcemment par le Conseil
constitutionnel . En offrant les moyens de 50 raliser ce type de
droits, sans pour autant crer de droit obtenir leur ralisation ,
lEtat les assure. Le juge est aussi un acteur du systme des droits
fondamentaux et un relais de lEtat, puisquil assure galement le
respect de ces droits. Cependant, et bien que ces principes soient
assurs et dfendus par le juge constitutionnel, le lgislateur leur
propose des drogations, dans la limite du droit. Ce qui laisse
penser que les droits fondamentaux peuvent tre relativiss. Ils le
peuvent dj en raison de la porte de certains droits, qui peut tre
relative. Il en est ainsi du droit la dignit. Si le principe de la
dignit est, thoriquement, absolu, ses prescriptions ne le sont 51
pas ncessairement ; tel est le cas pour le droit la vie . Lvolution
de linterprtation de46
46
Cons. Const., 27 juillet 1994, n 94-343 DC, loi relative au
respect du corps humain et loi relative au don et lutilisation des
Voir Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologies, mise jour
54, 15 dcembre 2008, pp. 804-810-10, sp. p. 805.48
lments et produits du corps humain, lassistance mdicale, la
protection et au diagnostic prnatal, JO, 29 juillet 1994.47
B. MATHIEU, Pour une reconnaissance de principes matriciels, en
matire de protection constitutionnelle des droits de
lhomme , DC 1995, p. 211 ; ibid., Gnome humain et droits
fondamentaux, Paris, PUF, 2000, 143 p. Dc. n 2009-584 DC du 16
juillet 2009, loi portant rforme de lhpital et relative aux
patients, la sant et aux territoires , me au 3 considrant, on lit
que : lexigence constitutionnelle du droit la sant pour tous et son
corollaire quest lgalit daccs aux soins soient pleinement
satisfaits , JO du 22 juillet 2009, p. 12244.50 51 49
Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologie, op. cit., p.
809. Ibid., p. 810. Le droit la vie ne figure pas dans la
Constitution franaise quand bien mme le Conseil constitutionnel
le
reconnat comme un principe garant du principe de la dignit
humaine. Voir Cons. const., 27 juillet 1994, n 94-343 DC.
Seulement, des limites interfrent avec cette reconnaissance
lorsquil nest pas prcis quel titulaire ce principe sapplique. Les
textes peuvent
27
La libert de la recherche en matire de biothique
ce principe vient galement nuancer sa porte. Sil tait
intangible, le juge constitutionnel, en 1994, sest charg de
laffaiblir, en acceptant de le mettre directement en concurrence
avec le principe fondamental de la libert. Jusqualors ce dernier
pliait au bnfice du premier, conformment la typologie des principes
fondamentaux absolus et des principes 52 fondamentaux relatifs. En
2001 , le juge constitutionnel a franchi une tape de plus, en
dcidant de limiter le principe de la dignit lui-mme, plutt que de
viser lune de ses prescriptions. Il est ainsi parvenu affaiblir le
principe matriciel majeur la faveur du principe de la libert. Quel
est-il ? Le principe de la libert peut tre observ sous plusieurs
angles, dont trois se dgagent spcialement en matire de biothique.
Il peut tre entendu du point de vue du patient dans son rapport
lautonomie dune part, sous langle du respect de sa vie prive,
dautre part, puis, enfin, travers la libert de la recherche. Le
principe du consentement du sujet de la science et de la mdecine
est la rgle fondamentale qui prcde toute intervention. La rgle
apparat dans le Code de Nuremberg, en 1947, et est reprise dans les
diffrents textes qui participent ltablissement des rgles de la
biothique. En droit interne, la loi Huriet-Srusclat introduit ce
principe. Le consentement, dans le contexte mdical et de la
biothique, est une garantie procdurale dont le patient bnficie et
peut se prvaloir en vertu des multiples dispositions du Code 53 54
55 civil , du Code de la sant publique et du Code pnal . Le
principe est, par ailleurs, de 56 porte universelle, puisque son
exigence est reconnue par les textes internationaux . La rgle du
consentement se dcline ensuite sous laspect du respect de la vie
prive. Elle est la fois un lment du secret mdical mais aussi un
mode de protection du sujet lgard des informations qui le
concernent. Le respect de la vie prive est un principe 57
constitutionnel en lien direct avec la libert individuelle. Il
dcoule de larticle 2 de la Dclaration des droits de lhomme et du
citoyen et se retrouve larticle 9 du Code civil. On retrouve sa
protection dans la Dclaration universelle des droits de lhomme, de
1948, article 12, ainsi que dans larticle 8 de la Convention
europenne des droits de lhomme, de 1950, mettre en relation avec
larticle 10 du mme texte, sur la libert dexpression. Linformation
relative la personne est protge et obit la rgle du consentement de
cette personne 58 dvoiler ou manipuler linformation en question .
Les diffrentes occasions dutiliser des donnes concernant la sant ou
des particularits mdicales ou gntiques de la personnedonc poser la
rgle du droit la vie, mais sa porte peut tre relativise par
limprcision quils gnrent. La Convention dOviedo dclare le droit la
vie dans son article 2 mais ne vise pas prcisment les sujets de ce
droit. Il subsiste donc un doute qui ne permet pas de savoir si
seule la personne ne peut se prvaloir de ce droit ou sil stend ltre
humain ds sa conception.52 53 54 55
Cons. const., 27 juin 2001, n 2001-446 DC, loi relative lIVG et
la contraception, JO, 7 juillet 2001. Article 16-3 du Code civil
(rgle du consentement en matire thrapeutique). Article L. 1122-1 L.
1122-2 du Code de la sant publique. La Cour de cassation a condamn
un mdecin pour dfaut de consentement de son patient. Il lui avait
administr un produit
sans respecter la condition du consentement. Cette situation
est-elle si rare ? Sil ny a pas eu de cas ports devant les
tribunaux, il est difficile de croire que toutes les recherches
font lobjet dun respect scrupuleux des procdures lgales. La future
rvision de la loi de biothique devrait tre loccasion dune reflexion
sur cette absence deffectivit pnale. Cass. Crim. 24 fvrier 2009, n
08-84436, JCP, n 25 juin 2009, p. 29. Voir larticle 223-8 du Code
pnal.56
Notamment par la Dclaration universelle sur le gnome humain,
adopte lunanimit, par acclamation la 29 Dc. n 2004-499 DC du 29
juillet 2004. Voir le site internet de la Commission nationale de
linformatique et des liberts (CNIL),
http://www.cnil.fr/la-cnil/
me
Confrence gnrale de lUnesco, le 11 novembre 1997.57 58
28
Introduction
sont autant de risques de porter atteinte la confidentialit de
ces informations et au respect 59 de la vie prive. Les dispositions
sont donc nombreuses pour organiser leur protection , 60 protection
complte par la jurisprudence du Conseil dEtat, du Conseil
constitutionnel et 61 de la Cour europenne des droits de lhomme .
La libert peut, enfin, sapprcier sous langle de la libert de la
recherche reconnue 62 en droit comme un principe valeur
constitutionnelle . Mais cette libert nest pas que juridique. Elle
revt des aspects politiques et conomiques ainsi que sociologiques,
historiques ou bien encore culturels et religieux. Elle fait lobjet
de nombreuses revendications et fut trs tt dfendue, soit en tant
rattache la libert de pense ou la 63 libert dexpression, notamment
par les philosophes comme Socrate ou Cicron, soit pour me elle-mme,
directement ds le XVIII sicle. Elle se dveloppe travers dautres
liberts, comme la libert dexercer librement une activit
intellectuelle ou de participer la science et son progrs. Profiter
des bnfices de la science relve, par ailleurs, de cette mme libert,
puisque la participation la libert de la recherche sexerce aussi
bien activement que passivement, en sy investissant directement ou
en attendant simplement les rsultats du progrs scientifique. La
libert de la recherche est passe dun territoire qui ne connaissait
pas de limite une libert encadre par le droit. Une fois inscrite
dans le droit, il fallait se demander de quel ordre cette libert
relevait. Est-elle une libert publique ? Une autre question sest
immdiatement pose, relative la valeur des limites qui lui sont
fixes et la validit du droit qui lui impose 64 des rgles .
Diffrentes branches du droit ont particip cette mission
dencadrement, mais cest langle du droit public qui nous intresse.
Quelles sont les modalits du droit public pour oprer lencadrement
de la libert de la recherche ? Quelles sont les questions qui
dcoulent de la limitation dune libert ?59
Article L. 1110-4 du Code de la sant publique (secret mdical) ;
Loi n 78-17 du 6 janvier 1978 relative linformatique, aux CE, 3
juillet 1998, n 188 004, Syndicat des mdecins de lAin, D. 1998, IR,
p. 231 (le consentement du patient est une
fichiers et aux liberts, JO du 7 janvier 1978 et rectificatif au
JO du 25 janvier 1978.60
garantie ncessaire pour respecter sa libert individuelle en cas
denregistrement de donnes mdicales) ; Cons. cons., 25 juillet 1991,
n 91-294 DC, loi autorisant lapprobation de la convention
dapplication de laccord de Schengen du 14 juin 1985 entre les
gouvernements des Etats de lUnion europenne Benelux, de la
rpublique fdrale dAllemagne et de la Rpublique franaise, relatif la
suppression graduelle des contrles aux frontires communes ; Cons.
const., 20 janvier 1993, n 92-316 DC, loi relative la prvention de
la corruption et la transparence de la vie conomique et des
procdures publiques (la protection contre les fichiers
informatiques est une condition du respect de la libert
individuelle); Cons. const., 13 aot 1993, n 93-325 DC, loi relative
la matrise de limmigration et aux conditions dentre, daccueil et de
sjour des trangers en France ; Cons. const., dc. 13 mars 2003, n
2003-467 DC, Petites affiches, 2003, n 187, p. 7, note B. MATHIEU,
M. VERPEAUX (sous certaines conditions et pour des personnes
condamnes pnalement, des fichiers peuvent tre, cependant, tablis en
dpit du principe du respect de la vie prive qui garantit la libert
individuelle, principe constitutionnel) ; Cons. const., dc., 15
novembre 2007, n 2007-557 DC (reconnaissance du recours la preuve
gntique pour tablir la filiation des mres dans le cadre du
regroupement familial des trangers sous certaines rserves notamment
du recours ltablissement des caractristiques gntiques). Voir
Dictionnaire permanent Biothique et biotechnologies, mise jour 54,
15 dcembre 2008, p. 810-7.61
CEDH, 25 fvrier 1997, n 22009/93, Z. c/Finlande (affirmation du
principe du respect des donnes personnelles mdicales, Cons. const.,
29 juillet 1994, n 94-345 DC, loi relative lemploi de la langue
franaise, JO, 2 aot 1994. I-F. STONE, Le procs Socrate, traduit de
langlais par G. SARTORIS, Paris, O. Jacob, septembre 1990, 320 p. ;
P. JOCKEY, M-A. HERMITTE, La libert de la recherche et ses limites.
Approches juridiques, Paris, Rommillat, 2001.
avec un contrle strict pour les informations sensibles et
intimes ).62 63
La Grce antique, Paris, Cavaliers bleus Eds, 2005, 124 p., p. 31
et s.64
29
La libert de la recherche en matire de biothique
Lexercice de la libert de la recherche peut donc tre limit. Deux
obstacles viennent se mettre en travers de cette libert. Le premier
est li au droit. La libert peut tre restreinte en raison de la
protection qui est due la personne humaine. La primaut de cette
dernire justifie que les objectifs de la recherche scientifique
soient circonscrits. Cest au nom de la dignit humaine que cette
limite fait barrage. Ainsi, le chercheur ne peut librement exercer
son art, en arguant de lintrt de sa mission, ni sen prvaloir au nom
du droit la libert de la recherche. La finalit de la recherche et
lintrt individuel du scientifique ne suffisent pas lgitimer une
libert de la recherche sans borne. Seulement, riger la dignit
humaine contre la libert de la recherche nest rellement efficace
que si lon sait ce que ce concept abrite. Cerner le principe de
dignit cest donc comprendre ce que peut tre la limite la libert de
la recherche. La difficult est l. On peine comprendre le concept,
qui est la fois un produit du droit mais aussi de la philosophie et
de la morale. Mme en droit, la dignit nest pas clairement dfinie,
bien quelle soit constitutionnellement reconnue. Lanalyse juridique
65 de ce principe naurait-elle pas brouill les pistes et affaibli
sa porte ? La deuxime limite cette libert se trouve du ct des
conditions requises pour exercer la science. Celle-ci nest possible
que si les exigences dun environnement propice la recherche
scientifique sont runies. LEtat est ainsi troitement associ cette
question. Il dtient, en partie, les rnes pour organiser un terrain
favorable la science, en lui offrant, dune part, les conditions
matrielles dexercice et, dautre part, en dlimitant un espace
raisonnable dautorisations pratiquer la science. LEtat doit donc
sinvestir dans cette recherche mais aussi sabstenir dans certains
cas. Sa responsabilit peut donc tre mise en jeu. En assurant
lexercice de cette libert et de ses corollaires, comme la
production, linformation et la diffusion scientifiques, et en les
empchant lorsquelles enfreignent le droit, il concrtise le droit la
libert de la recherche. Cela pose encore une fois la question de la
limitation de la libert de la recherche, en tant que droit
fondamental. Le primtre de cette interrogation est de nouveau
national et international.
2. Quelle lgitimit pour les droits fondamentaux ? Le choix dune
tude principalement nationale. Quelques lments de droit
comparEnvisage sous langle du droit public, la question du rapport
du droit et de la libert de la recherche en biothique appelle une
tude des mcanismes qui prcdent llaboration du droit de la
biothique. Ltude de textes nationaux et internationaux est donc
indispensable. Du point de vue national, le commencement de notre
tude a t fix en 1988 et sa fin en 2009. La loi Huriet-Srusclat pose
les premiers principes de la biothique alors quelle nest pas une
loi de biothique. Le texte annonce cependant les prmices de cette
discipline applique au droit. Lanne 2009 prcde lanne de rvision de
la loi de biothique, annonce en 2010. Le changement de nature des
dbats qui samorcent justifie ce terme. Jusqu prsent, ce qui a
aliment la rflexion sur la question de mener des recherches sur
lembryon humain in vitro tait li des considrations de connaissance
de ce qui constitue le continuum de la vie et, donc, des
interrogations sur ce quest le dbut de la vie. Dsormais, ce qui
pourrait justifier lautorisation des recherches sur lembryon humain
devrait probablement trouver une rponse dans des arguments attachs
la confirmation des enjeux thrapeutiques issus de telles
recherches. Si ces potentialits taient confirmes, il serait alors
possible de les autoriser. Ainsi, on glisse dun dbat un autre.
65
Ibid., pp. 11-15.
30
Introduction
Il est important de percevoir ltendue de la libert de la
recherche dans le territoire juridique. Il faut donc comprendre sa
nature, se demander si elle est une libert publique et envisager
les conditions dans lesquelles elle peut lgitimement sexercer. Cest
pourquoi il convient dexaminer la mission du lgislateur, lorsquil
investit le champ de la science et de la biothique. Cest tape par
tape quil opre lamnagement dun droit susceptible de respecter
lquilibre entre le respect des droits fondamentaux et la libert
ncessaire la recherche scientifique. Ltude de son travail normatif
et pr-normatif a t organise selon une mthode qui regroupe les
acteurs en deux catgories. La premire runit des parlementaires qui
ont particip llaboration des premires lois de biothique. La seconde
concerne le Conseil dEtat et le Conseil constitutionnel. On sest
donc intress quatre tudes en particulier, quatre missions
parlementaires dinformation. Il sagit des rapports Srusclat,
Bioulac, Lenoir et Mattei. Le choix a t guid par limportance de ces
tudes et leurs rpercussions sur ce quont t les lois de biothique de
1994. Lobjectif tait de runir des rapports refltant des
caractristiques particulires, car lies la qualit de chacun des
auteurs. Ainsi on a examin ltude dun snateur, dun dput, dun mdecin
et dune juriste. Leur faon daborder la science et lapprhension de
la science par le droit a guid les orientations de leurs rapports,
mme si le cadre dune mission dinformation na pas pour objectif de
donner une opinion personnelle. Ces rapports ont t dcisifs et ont
marqu un tournant dans le droit engag dans la 66 biothique. Ainsi,
le rapport de F. Srusclat a identifi cinq principes fondamentaux
qui servent dsormais de cadre la biothique, en droit interne, et
pos la question de la place 67 de lembryon humain dans le droit. B.
Bioulac , dans son rapport, souligne sa farouche opposition
lutilisation conomique du corps humain. Ainsi, le brevet sur le
vivant fait lobjet de vives contestations. La mise en perspective,
entre ce qui a prcd les lois de biothique de 1994 et lenvironnement
juridique actuel, permet de percevoir lacclration 68 du droit en
une dcennie. N. Lenoir insiste sur la ncessit daccorder les
positions juridiques franaises avec les pays voisins, notamment en
ce qui concerne le principe de non-patrimonialit qui peut ouvrir la
voie la marchandisation du vivant. Cela nous permet douvrir la
rflexion lchelle du droit compar et du droit europen de la
biothique. Cest donc trs tt que N. Lenoir prne la coopration
internationale en biothique ainsi que la promotion de la pense
thique au sein dune instance europenne ddie lthique. Sa
dtermination est mettre en parallle avec lide dune thique de la
responsabilit, 69 envisage comme un impratif, pour lgifrer en
consquence. Cest ce que J-F. Mattei sest appliqu dmontrer. Enfin,
ltude de ces rapports nous montre que le risque de la rvision
systmatique des lois de biothique est dj abord dans les annes 90.
N. Lenoir, qui traite de cette question dans son travail, oriente
son choix vers une loi-cadre. On observe qu cette poque, les
problmatiques taient semblables celles qui ont cours la veille de
la rvision de la loi de 2004. Quelles consquences doit-on tirer de
ce constat ? Le lgislateur, ensuite, a fait appel au Conseil dEtat
et au Conseil constitutionnel. cette occasion, le Conseil dEtat a
fourni un rapport Sciences de la vie : de lthique auF. SERUSCLAT,
Sciences de la vie et droits de lhomme : bouleversement sans
contrle ou lgislation la franaise, AN me n 2588 (IX lgislature),
Snat n 262 (1991-1992), fvrier 1992.67 68 69 66
B. BIOULAC, Rapport dinformation sur la biothique, AN n 2565,
fvrier 1992. N. LENOIR, Aux frontires de la vie : une thique
biomdicale la franaise, 2 volumes, 1991. J-F. MATTEI, La vie en
question : pour une thique biomdicale, novembre 1993.
31
La libert de la recherche en matire de biothique
droit, men par G. Braibant, en 1988, dans lequel des rgles
fondamentales sont affirmes. Parmi ces rgles, lindisponibilit du
corps humain et lindivisibilit de la personne humaine ressortent
tout particulirement et sont leves au rang de principe gnral. Le
rapport justifie le recours la loi et explique pourquoi la norme
simpose dans un contexte o la libert de la recherche est admise trs
librement, en tant que libert fondamentale. Labsence relle de prise
de position dans ce rapport a t critique, mais le passage aux lois
de biothique na pas rsolu ce problme. Lexamen de la dcision n
343/344 du 27 juillet 1994 permet au Conseil constitutionnel
dapprcier le contenu des lois de biothique de 1994 et damorcer la
constitutionnalisation du droit de la biothique, sans rsoudre leur
imperfection. Linsuffisance de ces textes ne suffit pas, nanmoins,
effacer la ncessit des lois de biothique et leur ambition
circonscrire la recherche scientifique dans un cadre respectueux de
la personne humaine. Le relais de la loi n 2004-800 du 6 aot 2004,
relative la biothique, est donc une tape indispensable, alors mme
qua posteriori son bilan est insatisfaisant, puisquelle ne remplit
pas ses objectifs. Elle ouvre mme la voie une procdure pour le
moins controverse : lintroduction dun moratoire, dune dure de cinq
ans, sur la recherche sur les embryons humains in vitro. Lultime
tape vers la rvision de cette loi offre un dbat encore consacr
lembryon humain et au fait quil est devenu objet de recherche. De
nouveau, les intrts qui en dcoulent font lobjet dune lutte entre
les scientifiques, lindustrie et le lgislateur. Les intrts lis la
biothique attirent les Etats, tout comme lindustrie, ce qui nest
pas sans consquences sur le travail du lgislateur. Chacun tente de
participer au dveloppement de ce domaine. Cela nest pas sans effet
sur lorganisation de la recherche elle-mme. On assiste ainsi une
interfrence de volonts. Ltude compare dune slection de pays permet
davoir une vision diversifie de llaboration du droit de la
biothique et de son rapport la recherche. Le choix des pays a t
guid par la particularit de chacun dans leur relation au droit et
la biothique. Leur culture et leur propre histoire ont influenc la
connexion entre droit et science. On sest donc tourn vers les cas
les plus diffrents possibles. Un premier groupe de pays se dessine,
situ en Europe. La Grande-Bretagne et lAllemagne offrent deux
profils diamtralement opposs. La premire sengage dans une course au
progrs. Elle sappuie sur une philosophie dans laquelle lindividu a
une place trs particulire, qui la dcomplexe par rapport un certain
nombre de questions relatives lutilitarisme et la rification de la
personne humaine. LAllemagne, de son ct, entretient un rapport
extrmement tendu avec la science et produit un droit en consquence.
Lattention qui est porte ces deux pays, appartenant lUnion
europenne, laisse entrevoir ce que cette communaut peut offrir ses
membres en matire de recherche scientifique, tant dun point de vue
juridique quconomique. Les Etats-Unis offrent, ensuite, un exemple
atypique dans lorganisation de la recherche scientifique. Tout
comme dautres pays, linstar de la France, les Etats-Unis bnficient
dun systme de recherche publique et dune recherche prive. Mais la
diffrence se situe au niveau du droit amricain, qui offre des
options et des solutions diffrentes selon que la recherche profite
de fonds publics ou de fonds privs. Les Etats-Unis constituent donc
la seconde catgorie de pays dont nou