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Penser, cest arriver au non-stratifi []penser nest pas lexercice
inn dunefacult mais doit advenir la pense []penser [] se fait sous
lintrusion dundehors qui creuse lintervalle, et force,dmembre
lintrieur.
Gilles Deleuze, Foucault.
Le virtuel exige le geste. Gilles Chtelet, Les Enjeux du
mobile.
La notion de diagramme tant a priori associe aux
mathmaticiens,architectes, gographes et statisticiens pour lusage
instrumental quils enfont, nos lecteurs pourront se demander ce qui
nous pousse nous y intresserde si prs au point mme denvisager que
la notion puisse tre lorigine dunrgime de pense : pense du
diagramme ou par le diagramme, pensediagrammatique.
Disons tout de suite que la notion naurait sans doute pas retenu
notreattention si, dune part, Gilles Deleuze nen avait fait,
pendant onze ans, unconcept in progress, en lempruntant, pour le
retravailler, une fois MichelFoucault (Critique n 343, 1975), une
autre fois (en compagnie de FlixGuattari) Peirce comment par
Jakobson (Mille Plateaux, 1980), unetroisime fois Francis Bacon
(Francis Bacon. Logique du sens, 1981), pourfinalement revenir
Foucault quelques annes plus tard (Foucault, 1986) ; etsi, dautre
part, Gilles Chtelet nen avait fait lun des concepts cls autour
TLE 22 2005
LEXPRIENCE DIAGRAMMATIQUE:UN NOUVEAU RGIME DE PENSE
Nolle Batt
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desquels se dploient les Enjeux du mobile. Que la notion
revienne de faontangentielle mais dcisive dans le travail
deWittgenstein a aussi t un facteurdterminant. Quelle se trouve au
cur de la lecture philosophique du Yi King laquelle se livre
Franois Jullien sous le titre Figures de limmanence ne
faitquaccrotre son intrt.
Un tel parcours pour une notion quon et pu croire relativement
banale ettechnique ne manquera pas dtonner, dintriguer et de
susciter uneinterrogation raisonne. Et lon se permettra de juger
quune notion nauraitpu se prter ce nomadisme systmique sans une
plasticit smantiquecertaine, celle-ci ayant pour origine possible
soit une nature paradoxale due la conjonction en une mme unit
dlments contraires voire contradictoires,soit un certain flou, une
certaine instabilit dans ses associations.
Diagramme vient du latin diagramma lui-mme emprunt au
grecdiagramma, issu dune combinaison de deux autres mots grecs
dia-graphein(inscrire) et gramme (une ligne). lorigine de ces mots,
lassociation dedeux racines indo-europennes : grbh-mn ; grbh-
gratter, qui engendreratracer, dessiner, crire mais aussi le crabe
qui inscrit ses dplacements dans lesable, et la gravure qui se fait
en incisant le bois, la pierre ou le cuivre (enanglais to scratch,
to draw, to write), et mn- qui donnera naissance : image,lettre,
texte (en anglais : picture, written letter, piece of writing).
Inscriptiondonc, qui peut se faire lettre ou image, lettre et
image.
Regardons maintenant ce quen disent les dictionnaires courants,
le PetitRobert pour le franais et The American Heritage Dictionary
of the EnglishLanguage pour langlais.
1) Diagramme (Petit Robert)Apparition isole en 1584 ; usage
confirm en 1767 ; du grec dia-grammadessin.1 Trac gomtrique
sommaire des parties dun ensemble et de leurdisposition les unes
par rapport aux autres. V. plan, schma. Ex. diagrammedune fleur.2
Trac destin prsenter sous une forme graphique le droulement et
lesvariations dun ou plusieurs phnomnes. V. Courbe, graphique.
Ex.diagramme de la fivre, de la natalit, du chiffre des
importations.3 Logique, Mathmatiques. Diagramme de Venn,
reprsentation graphiquedoprations (intersection, runion) effectues
sur des ensembles.
2) Diagram (The American Heritage Dictionary of the English
Language)1 A plan, sketch, drawing, or outline, not necessarily
representational,designed to demonstrate, or explain something, or
clarify the relationshipexisting between the parts of a whole.
Nolle Batt
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2 Mathematics. A graphic representation of an algebraic or
geometricrelationship.3 A chart or graph.
Nous retrouvons, dploy par les dfinitions, le sens des racines
dgagpar lanalyse tymologique. Et nous notons que le diagramme a
pour fonctionde reprsenter, de clarifier, dexpliciter quelque chose
qui tient aux relationsentre la partie et le tout et entre les
parties entre elles (quil sagisse dunensemble naturel comme une
fleur ou dun ensemble mathmatique,algbrique ou gomtrique), mais
quil peut aussi exprimer un parcoursdynamique, une volution, la
suite des variations dun mme phnomne.
On peut imaginer que Peirce sest souvenu de sa double
nature(criture et image) lorsquil a fait le choix du diagramme pour
en faire unesous-catgorie de licne ; et quil a tenu compte du fait
que le diagrammeexprimait une relation puisquil la dvolu au rle d
icne relationnelle. Eneffet, cest aprs avoir tabli sa clbre
distinction de trois varits derepresentamen : lindice, licne, le
symbole, quil subdivise licne en deuxsous-catgories : limage et le
diagramme dfini comme un representamenqui est, de manire
prdominante, une icne de relation et que desconventions aident
jouer ce rle. Jakobson (1966), qui prsente cettedistinction dans le
cadre dune discussion sur le traitement compar du signepar Saussure
et Peirce, dclare : Un exemple de ce genre dicne derelations
intelligibles est donn par un couple de rectangles de
taillediffrente illustrant une comparaison quantitative entre la
production dacierdes tats-Unis et celle de lURSS. Les relations au
sein du signifiantcorrespondent aux relations au sein du signifi.
Dans un diagramme typiquecomme les courbes statistiques, le
signifiant prsente avec le signifi uneanalogie iconique en ce qui
concerne les relations entre leurs parties. [] Lathorie des
diagrammes occupe une place importante dans la recherchesmiotique
de Peirce ; celui-ci reconnat leurs mrites considrables dus aufait
quils sont vridiquement iconiques, naturellement analogues la
chosereprsente. Lexamen critique de diffrents ensembles de
diagrammes leconduit reconnatre que toute quation algbrique est une
icne, dans lamesure o elle rend perceptible par le moyen des signes
algbriques (lesquelsne sont pas eux-mmes des icnes), les relations
existant entre les quantitsvises. Toute formule algbrique apparat
comme tant une icne et ce quila rend telle, ce sont les rgles de
commutation, dassociation, et dedistribution des symboles. Cest
ainsi que lalgbre nest pas autre chose
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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quune sorte de diagramme et que le langage nest pas autre chose
quunesorte dalgbre. Peirce voyait nettement que par exemple, pour
quunephrase puisse tre comprise, il faut que larrangement des mots
dans son seinfonctionne en qualit dicnes (p. 28).
Jakobson prcise ultrieurement que ltude des diagrammes peut
profiterde la thorie moderne des graphiques. Il tire de la lecture
de Structural Modelsde Harary, Norman et Cartwright (1965) la
conclusion que les graphiques dimensions multiples prsentent des
analogies manifestes avec les schmasgrammaticaux. Il dcle un net
caractre diagrammatique non seulement dela combinaison des mots en
groupes syntactiques mais aussi de lacombinaison des morphmes en
mots, et raffirme que tant dans la syntaxeque dans la morphologie,
toute relation entre parties et tout se conforme ladfinition que
donne Peirce des diagrammes et de leur nature iconique. Ilsachemine
ainsi vers une perception gnralise dune dimensiondiagrammatique
dans le langage ordinaire et dans le langage littraire qui
leconduira donner tout son poids laffirmation de Peirce selon
laquelle lesigne idal est celui dans lequel le caractre iconique,
le caractre indicatif, etle caractre symbolique sont amalgams en
proportions aussi gales quepossible. Jakobson va jusqu affirmer que
le systme de diagram-matisation, dune part manifeste et obligatoire
dans toute la structuresyntactique et morphologique du langage,
dautre part latent et virtuel dansson aspect lexical, ruine le
dogme saussurien de larbitraire, cependant que lesecond de ses deux
principes gnraux le caractre linaire dusignifiant a t branl par la
dissociation des phonmes en traits distinc-tifs. Il revendique donc
que lide suggestive et lumineuse de Peircequun symbole peut
comporter une icne ou un indice ([] ou les deux la fois) lui
incorpors, propose la science du langage des tchesnouvelles et
urgentes et lui ouvre de vastes perspectives (p. 36).
Et Jakobson de terminer sur une proposition exprime par Peirce
dans lunde ses ouvrages posthumes : Existential Graphs, laquelle
nest pas sans lienavec notre interrogation prsente, savoir que cest
en combinant les pouvoirsdu symbole, de lindice et de licne que le
langage est dabord tourn verslavenir : Tout ce qui est vritablement
gnral se rapporte au futurindtermin, car le pass ne contient quune
collection de cas particuliers quise sont effectivement raliss. Le
pass est du fait pur. Mais une loi gnralene peut se raliser
pleinement. Elle est une potentialit ; et son mode dtre estesse in
futuro. On se souviendra de cette affirmation lorsquon
examineralassociation que fait Deleuze entre le diagramme dun ct et
le virtuel, ledevenir, de lautre.
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Cest donc dans un premier article consacr au travail de
MichelFoucault et publi en 1975 dans le numro 343 de la revue
Critique (texterepris et modifi en 1986 en vue de son insertion
dans louvrage entirementddi au philosophe), que Deleuze reprend au
bond le terme de diagrammeque Foucault avait employ pour dfinir,
dans Surveiller et Punir, lePnitentiaire-Panopticon architecture
carcrale dessine par JeremyBentham en 1791 pour permettre au
surveillant de tout voir sans tre vu et auxdtenus dtre vus sans
rien voir. Voici ce que dit Foucault : Le Panopticonne doit pas tre
compris comme un difice onirique : cest le diagramme dunmcanisme de
pouvoir ramen sa forme idale ; son fonctionnement, abstraitde tout
obstacle, rsistance ou frottement, peut bien tre reprsent comme
unpur systme architectural et optique : cest en fait une figure de
technologiepolitique quon peut et quon doit dtacher de tout usage
spcifique (p. 207,dition originale ; p. 239, collection Tel). On
notera que Foucault emploieaussi relativement au Panopticon les
expressions : schma panoptique,programme panoptique, dispositif
panoptique. Dans un article tardif(1989), Deleuze parlera des thmes
dvelopps par Foucault en substituantpresque systmatiquement le
terme de dispositif celui de diagrammedans des contextes nonciatifs
o diagramme prvalait jusque-l.
la question Quest-ce que le panoptisme? Deleuze rpond : cenest
pas une thorie et ce nest mme pas un modle proprement parler,cest
une machine, [] une machine abstraite. [] Dfinie comme purefonction
et pure matire, elle fait elle-mme abstraction des formes o
cesfonctions sont effectues, comme des substances o ces matires
sontqualifies. Et Deleuze ajoute : Ce nest pas un modle qui
sappliquerait.Cest un diagramme, dit Foucault (1975, p. 1209).
Vient alors la dfinitionde Foucault que nous venons de citer.
Diagramme est immdiatement distingu et cart de concepts tels que
ide transcendante , suprastructure idologique ,
infrastructureconomique. En effet, la notion va servir
principalement une redfinitiondu pouvoir et la redistribution de
ses rapports avec lensemble du champsocial dans les socits modernes
dites disciplinaires par opposition auxanciennes socits de
souverainet. Ce qui caractrise le diagramme, cest sonimmanence
immanence qui est aussi un trait caractristique du pouvoir. Cequi
justifie son emploi, cest le caractre de machine abstraite
duPanopticon. En effet, les principes directeurs du Panopticon,
dfinis pour uneprison, peuvent aussi fonctionner pour une cole, une
caserne, un hpitalLa matire dont il tait question plus haut, ce
sont des multiplicits humaines contrler. Mais il y a une
substance-soldat qui nest pas la mme que lasubstance-ouvrier, ou la
substance-lve ou la substance-prisonnier (1975,
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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p. 1219). Un peu plus loin, Deleuze rsume : Cest donc le
diagrammecoextensif tout un champ social, 1) qui dfinit la machine
sociale en tantquabstraite, 2) qui organise et articule tel moment
les machines socialesconcrtes charges deffectuer celle-ci, 3) qui
exerce mme un rle slectif surlensemble des techniques au sens troit
du terme, travers les machinessociales qui les mettent en uvre
(1975, p. 1221). Chaque socit a sondiagramme. On peut passer
insensiblement dune socit une autre parmutations de diagramme. Le
diagramme dfinit, organise, exerce une action.
Deleuze prcise alors la nature non reprsentationnelle du
diagramme, sonlien avec lexpression des relations et son rle
stratgique dans lmergencede ce qui est venir. Esse in futuro.
[] un diagramme ne fonctionne jamais pour reprsenter un
mondeobjectiv ; au contraire il organise un nouveau type de ralit.
Le diagramme nestpas une science, il est toujours affaire de
politique. Il nest pas un sujet delhistoire, ni qui surplombe
lhistoire. Il fait de lhistoire en dfaisant les ralits etles
significations prcdentes, constituant autant de points dmergence ou
decrationnisme, de conjonctions inattendues, de continuums
improbables. On nerenonce rien quand on abandonne les raisons. Une
nouvelle pense, positive etpositiviste, le diagrammatisme, la
cartographie. (1975, p. 1223)
Cest dans le chapitre V de Mille Plateaux, Sur quelques rgimes
designes que Deleuze, en compagnie de Guattari, revient sur le
diagramme, aumoment o il sinterroge sur ce quest une smiotique : un
rgime de signesou une formalisation dexpression? Les rgimes de
signes sont prsentscomme la fois plus et moins que le langage.
Citant Foucault, Deleuze ditqu ils sont seulement des fonctions
dexistence du langage ; cest en cesens quils sont des agencements
dnonciation dont aucune catgorielinguistique ne suffit rendre
compte. Il est exclu que lagencement puissesexpliquer par le
signifiant, ou bien par le sujet, puisque ceux-ci renvoient
aucontraire des variables dnonciation dans lagencement. [] Les
rgimesde signes se dfinissent ainsi par des variables intrieures
lnonciationmme, mais qui restent extrieures aux constantes de la
langue et irrductiblesaux catgories linguistiques (p. 174-175).
Mais, poursuit Deleuze, lagencement nest dnonciation, il ne
formalise lexpression, que sur unede ses faces ; sur son autre face
insparable, il formalise les contenus, il estagencement machinique
ou de corps (p. 175). Deleuze insiste ici sur le faitque les
contenus ne sont pas assimilables aux signifis associs
auxsignifiants ni en relation avec des objets qui entreraient dans
un rapport decausalit avec le sujet. La forme de contenu et la
forme dexpression sont en
Nolle Batt
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prsupposition rciproque ; ce sont les deux faces dun mme
agencement, etce qui en rend compte, cest la machine abstraite.
Comme dans larticle prcdent, les concepts de machine abstraite
et dediagramme vont se prsupposer lun lautre, sinterdfinir. Cest
pourexpliquer que la machine abstraite est totalement dstratifie,
dterritorialise,quelle na en soi ni forme ni substance, quelle ne
distingue en elle-mme niforme du contenu ni forme de lexpression,
et que pourtant cest elle qui rglela distribution hors delle de
toutes ces distinctions, que Deleuze dfinit sanature comme
diagrammatique (p. 176). Deleuze renvoie alors au texte dePeirce
ainsi quau commentaire de Jakobson cit plus haut, et tout en
rendanthommage Peirce (Peirce est vraiment linventeur de la
smiotique, cf.note 38, p. 177), il affirme quindices, icnes et
symboles ne se distinguentpas tant par une diffrence de relation
entre signifi-signifiant que par unediffrence de relation entre les
termes du couple territorialit-dterritorialisation. Il propose
alors dmanciper le diagramme de licnepeircienne et de lui confrer
un rle irrductible licne (dereterritorialisation) et au symbole (de
dterritorialisation). Il donne de lamachine abstraite une dfinition
qui reprend certains des traits dj relevsdans larticle prcdent, et
en ajoute dautres :
Une machine abstraite ou diagrammatique ne fonctionne pas pour
reprsenter,mme quelque chose de rel, mais construit un rel venir,
un nouveau type deralit. Elle nest donc pas hors de lhistoire, mais
toujours plutt avantlhistoire, chaque moment o elle constitue des
points de cration ou depotentialit. Tout fuit, tout cre, mais
jamais tout seul, au contraire, avec unemachine abstraite qui opre
les continuums dintensit, les conjonctions dedterritorialisation,
les extractions dexpression et de contenu. Cest un Abstrait-Rel qui
soppose dautant plus labstraction fictive dune machine
dexpressionsuppose pure. Cest un absolu, mais qui nest ni
indiffrenci ni transcendant.(p. 177)On verra, au fil du chapitre,
se tisser une quivalence entre niveau
diagrammatique et plan de consistance, ce qui revient reformuler
le lienentre diagramme et immanence tabli dans larticle de
Critique. On verraaussi Deleuze affirmer vigoureusement tout ce que
le diagramme nest pas, etattaquer dans ce contexte laxiomatisation
: Loin de tracer des lignes de fuitecratrices et de conjuguer des
traits de dterritorialisation positive, laxio-matique barre toutes
les lignes, les soumet un systme ponctuel, et arrte lescritures
algbriques et gomtriques qui fuyaient de toutes parts (p. 179).
Pour finir, Deleuze nomme diagrammatique lune des quatre
compo-santes dun rgime de signes qui contribue, avec trois autres,
fonder la
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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pragmatique. Il la dfinit comme ltude des machines abstraites,
du pointde vue des matires smiotiquement non formes en rapport avec
des matiresphysicalement non formes (p. 182). Elle consiste prendre
les rgimes designes ou les formes dexpression pour en extraire des
signes-particules quine sont plus formaliss, mais constituent des
traits non forms, combinablesles uns avec les autres. Cest l le
sommet de labstraction, mais aussi lemoment o labstraction devient
relle ; tout y passe en effet par des machinesabstraites-relles
(nommes et dates). Cette abstraction ne doit pas treconfondue avec
les mthodes de transcendantalisation du langage quiaboutissent par
exemple la cration des universaux, lesquels sont la foistrop
abstraits et pas assez. La conclusion de Deleuze sur le langage
sera lasuivante :
Ce ne sont pas les rgimes de signes qui renvoient au langage []
cest lelangage qui renvoie aux rgimes de signes, et les rgimes de
signes des machinesabstraites, des fonctions diagrammatiques et des
agencements machiniques quidbordent toute smiologie, toute
linguistique et toute logique. Il ny a pas delogique
propositionnelle universelle, ni de grammaticalit en soi, pas plus
que designifiant pour lui-mme. Derrire les noncs et les
smiotisations, il ny a quedes machines, des agencements, des
mouvements de dterritorialisation quipassent travers la
stratification des diffrents systmes, et chappent auxcoordonnes de
langage comme dexistence. (p. 184)On notera le nombre lev des
verbes de mouvement : dborder,
chapper, passer travers, qui vont spcifier la conception mme de
lapense diagrammatique et que lon retrouvera dans le discours de
GillesChtelet.
Cest dans le livre consacr la peinture de Bacon : Francis
Bacon.Logique de la sensation, que Deleuze rinvestit le concept de
diagramme dansun contexte diffrent de ceux dans lesquels nous
lavons vu fonctionnerjusque-l. Au chapitre 12 intitul Le diagramme,
Deleuze entreprend dedcrire le travail prparatoire la ralisation
des tableaux du peintre FrancisBacon, en se fondant, comme toujours
dans ce livre sur les paroles du peintrerapportes dans les
Entretiens raliss par David Sylvester (1975, 80, 87) etdont Deleuze
cite la version franaise (1976).
Ce travail prparatoire consiste pour le peintre faire des
marques auhasard (lignes, traits) ; nettoyer, balayer, ou
chiffonner des endroits ou deszones (taches, couleur) (p. 65) afin
doblitrer les marques figuratives qui setrouvent, plus ou moins
virtuelles, plus ou moins actuelles, sur la toile, etce faisant,
dune part de brouiller les clichs et dautre part de crer les
Nolle Batt
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conditions pour que quelque chose merge, se prsente, suggre au
peintre quise trouve alors dans un tat de vacuit, de non volition,
un prolongement quilui parle. Ces marques forment, dit Bacon, a
sort of graph (1975, p. 56),qui a t traduit en franais par une
sorte de diagramme.
Le diagramme est alors dfini par Deleuze comme lensemble
opratoiredes lignes et des zones, des traits et des taches (p. 66),
accidentels,involontaires, non reprsentatifs, non illustratifs, non
narratifs, nonsignificatifs et non signifiants, dont la fonction
est de suggrer, dintroduiredes possibilits de fait (une notion
emprunte Wittgenstein) que lepeintre transformera en faits.
Dans une digression historique, Deleuze mettra en avant la
notion pour enfaire le critre qui lui permettra de diffrencier
trois grandes voies de lartmoderne. La peinture abstraite labore
moins un diagramme quun codesymbolique, suivant de grandes
oppositions formelles. Dans lExpression-nisme abstrait, le
diagramme envahit tout et devient le tableau lui-mme.galement
critique de ces deux voies, Bacon en invente une troisime. Il
nestpas attir par le code auquel manque la sensation. Mais il est
oppos laprolifration du diagramme qui gche le tableau. Du diagramme
doit sortirquelque chose . Les donnes figuratives ne doivent pas
disparatrecompltement. Une zone dindtermination se cre entre elles
et unenouvelle figuration, celle de la Figure, doit sortir du
diagramme et porter lasensation au clair et au prcis (p. 71).
Dans le chapitre suivant, intitul Lanalogie, Deleuze poursuit
sarflexion sur lavnement dune voie moyenne de la peinture
reprsentepar la conception de la figure chez Bacon, entre le
tout-code et le tout-diagramme, faisant travailler le rapport entre
le digital et lanalogique, etsuggrant une opration qui rapporte la
gomtrie au sensible, et la sensation la dure et la clart (p. 73).
De l dcoulent deux questions : Quest-cequi rend possible ce rapport
dans le diagramme? (question sur la possibilitdu fait) ; et Comment
ce rapport est-il constitu en sortant du diagramme(question sur le
fait lui-mme). La classification de Peirce (qui
faisait,rappelons-le, du diagramme une icne de relation) est
nouveau voquepour fonder la nature analogique du diagramme par
opposition la digitalitdu code. Mais Deleuze propose, pour
expliquer la nature analogique dudiagramme, un glissement de la
notion de similitude la notion de modulationqui na pas, notre sens,
reu toute lattention quelle mritait (p. 76).
ltape du diagramme, nous dit Deleuze, les corps sont en
dsquilibre,les plans tombent les uns sur les autres, les couleurs
se confondent. Il faut qupartir de l :
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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1) les plans assurent leur jonction ;2) la masse du corps intgre
le dsquilibre dans une dformation (nitransformation, ni
dcomposition, mais lieu dune force) ;
3) la modulation trouve son vritable sens et sa formule
techniquecomme loi danalogie, et quelle agisse comme un moule
variablecontinu [] qui invente un nouveau modle par la couleur.
ce stade, se produit un double mouvement dexpansion et
decontraction : expansion dans laquelle les plans, et dabord
lhorizontal et levertical, se connectent et mme fusionnent en
profondeur ; et en mme tempscontraction par laquelle tout est ramen
sur le corps, sur la masse, en fonctiondun point de dsquilibre ou
de chute. Cest dans un tel systme que lagomtrie devient sensible et
les sensations claires et durables []. On estpass de la possibilit
de fait au Fait, du diagramme au tableau (p. 77).
Le diagramme agit comme le modulateur dun synthtiseur (il
ingre,digre et redistribue). Il brise les coordonnes figuratives et
dfinit des possi-bilits de fait en librant les lignes pour
larmature et les couleurs pour lamodulation.Alors lignes et
couleurs sont aptes constituer la Figure ou le fait,cest--dire
produire la nouvelle ressemblance dans lensemble visuel o
lediagramme doit oprer.
Lexemple qui sert de rfrence ce que Deleuze labore sur le
dia-gramme baconien est emprunt aux dclarations de Bacon dans les
Entretiensque nous avons cits. Il sagit du tableau de 1946 intitul
Peinture proposduquel Bacon dit quil voulait dabord faire un oiseau
en train de se poserdans un champ, mais que des traits tracs
composant le diagramme est sorti quelque chose de tout fait
diffrent : lhomme au parapluie devenantlanimal de boucherie cartel.
Mais attention : sortir de ne veut pas dire setransformer en, car
il ny a pas danalogie figurative, de ressemblance entreune forme et
une autre. Il y a redistribution des rapports qui composaient
lapremire figure loiseau , en dautres rapports qui rglent la
compositionde la seconde. Les traits doisellit se translatent dune
figure lautrecomme un principe conducteur et non comme une
forme.
Cest la srie ou lensemble figural qui constitue lanalogie
proprementesthtique : les bras de la viande qui se lvent comme des
analogues dailes, lestranches de parapluie qui tombent ou se
ferment, la bouche de lhomme comme unbec dentel. loiseau, sest
substitu non pas une autre forme, mais des rapportstout diffrents
qui engendrent lensemble dune figure comme lanalogueesthtique de
loiseau. Le diagramme-accident a brouill la forme
figurativeintentionnelle, loiseau : il impose des taches et des
traits informels quifonctionnent comme des traits doisellit,
danimalit. Et ce sont ces traits non
Nolle Batt
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figuratifs dont, comme dune flaque, sort lensemble darrive [].
Le diagrammea donc agi en imposant une zone dindiscernabilit ou
dindterminabilitobjective entre deux formes, dont lune ntait dj
plus et lautre pas encore. Ildtruit la figuration de lune et
neutralise celle de lautre. Et entre les deux, ilimpose la Figure
sous ses rapports originaux. Il y a bien changement de forme,mais
le changement de forme est dformation, cest--dire cration de
rapportsoriginaux substitus la forme : la viande qui ruisselle, le
parapluie qui happe, labouche qui se dentelle. [] Do le programme
de Bacon : produire laressemblance avec des moyens non
ressemblants. (p. 100-101)On notera linsistance sur la dimension
physique, gestuelle dont on verra
quelle occupe une place importante dans lapproche de Gilles
Chtelet etdont on se souvient quelle se trouvait inscrite dans les
racines du motdiagramme. Le diagramme procde du geste du peintre.
Mais ce gestemanuel est orient vers un ensemble pictural qui sera
saisi visuellement. Cestla main qui trace la possibilit de fait (le
diagramme), mais de la possibilitde fait au fait lui-mme (le
tableau) sopre un saut qualitatif qui conjoindrale visuel et le
tactile dans lhaptique : [] le fait lui-mme, ce fait picturalvenu
de la main, cest la constitution du troisime il, un il haptique,
unevision haptique de lil, cette nouvelle clart. Cest comme si la
dualit dutactile et de loptique tait dpasse visuellement, vers
cette fonction haptiqueissue du diagramme (p. 103).
La question de limmanence nest pas aborde ici, mais elle
seraomniprsente dans le texte qui en constitue la suite logique,
savoir latroisime partie de Quest-ce que la philosophie?. Et il
nest pas difficile, encaptant rtroactivement les effets de ce texte
postrieur, de se rendre compteque le passage de la possibilit de
fait au fait lui-mme, par dformation etnon par transformation, ne
peut se drouler que sur un plan dimmanence quiest lanticipation
directe du plan de composition esthtique.
Le terme de machine abstraite, qui semblait insparable du
diagrammedans les deux textes prcdents, a compltement disparu ici
mme si on voitpersister certaines de ses caractristiques : la
prdominance de labstractionsur la matire et de la fonction sur la
forme. On retrouve dans loisellitmentionne plus haut un principe
abstrait qui peut se rinjecter dans dessubstances et des matires
diffrentes. On peut lire dans la rsistance lanotion de forme la fin
du paragraphe prcdent une inclination vers lafonction. Dailleurs,
les expressions employes par Deleuze : la viande quiruisselle, le
parapluie qui happe, la bouche qui se dentelle dcrivent bien
desfonctions et plus du tout des formes. On voit aussi subsister
plusieurs desattributions antrieures du diagramme. Comme le
diagramme introduit par
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
15
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Foucault, le diagramme de Bacon redistribue les composantes et
les rapportsdune situation picturale donne pour en inventer une
autre. Il articule lepassage dun pass un futur. Les deux
effectuations se font ici par le biaisdune sorte despace
transitionnel : la zone dindiscernabilit oudindtermination (encore
appele zone dindistinction ou zonedindcision). Il faut noter que
cest la seule fois que cette notion dontlimportance en relation
lart sera largement confirme dans Quest-ce quela philosophie? et
dans Critique et Clinique, se trouve associe au diagramme(Batt,
2003). En revanche, la notion de devenir, mentionne ici
viendracomplter les dfinitions de larticle de Critique retravailles
pour leFoucault. Nous y reviendrons.
Lorsque Deleuze reparle de diagramme, cest cinq ans plus
tard,dans le livre quil consacre Foucault (1986), livre pour lequel
il modifietrs largement deux tudes prcdemment publies, dont celle
que nous avonsanalyse plus haut (1975), et auxquelles il adjoint
quatre autres textes. Il estbien sr intressant de voir ce qui a t
ajout, retranch et chang dun texte lautre. Disons, pour faire bref,
que les mmes informations se trouvent dansles deux textes, mais
diffremment distribues. On voit trs nettementquentre le texte de
1975 et le texte de 1986, Deleuze a affin sa rflexion surluvre de
Foucault (les formulations gagnent en nettet et en prcision ;
cf.par exemple 1986, p. 41-42), mais surtout quil a poursuivi son
proprecheminement. Le produit des rflexions sur le diagramme menes
dans MillePlateaux et dans Francis Bacon. Logique de la sensation
ont t intgres sa pense, et la prsentation du diagramme est la fois
plus prcise et pluscomplexe la suite de la conversation instaure
entre le diagramme et denouveaux concepts, tel le devenir. Si nous
revenons par exemple sur ladfinition donne dans larticle de
Critique (1975) p. 1223 (infra, p. 10), voicicomment elle est
libelle dans ltude du Foucault (1986) intitule UnNouveau
Cartographe :
Cest que le diagramme est minemment instable et fluant, ne
cessant debrasser matires et fonctions de faon constituer des
mutations. Finalement, toutdiagramme est intersocial, et en
devenir. Il ne fonctionne jamais pour reprsenterun monde
prexistant, il produit un nouveau type de ralit, un nouveau modle
devrit. Il nest pas sujet de lhistoire ni ne surplombe lhistoire.
Il fait lhistoire endfaisant les ralits et les significations
prcdentes, constituant autant de pointsdmergence ou de crativit, de
conjonctions inattendues, de continuumsimprobables. Il double
lhistoire avec un devenir. (p. 43)
Nolle Batt
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-
On y voit le devenir situ en bonne place, ce que confirmeront
deux autresoccurrences :
Il y a une histoire des agencements, comme il y a un devenir et
des mutationsde diagramme. (p. 49)
Lhistoire des formes, archive, est double dun devenir des
forces,diagramme. (p. 51)De plus en plus, on voit se former autour
du diagramme une configuration
conceptuelle dans laquelle on reconnat certains des personnages
conceptuelsles plus marquants de luvre philosophique de Deleuze :
le devenir, lapuissance de , les forces, la machine abstraite.
Paralllement, on voit le diagramme cart de notions appartenant
dautres rgimes de pense, mais qui taient omniprsentes dans le
paysageintellectuel de lpoque, ainsi la notion de structure :
Le diagramme manifeste ici sa diffrence avec la structure, pour
autant que lesalliances tissent un rseau souple et transversal [],
dfinissent une pratique, unprocd, ou une stratgie, distincts de
toute combinatoire, et forment un systmephysique instable, en
perptuel dsquilibre au lieu dun cycle changiste ferm.(p. 43)La
co-extensivit avec le champ social est toujours fortement affirme.
Le
lien avec limmanence est prcis :
Il nen reste pas moins que le diagramme agit comme une cause
immanentenon-unifiante, coextensive tout le champ social : la
machine abstraite est commela cause des agencements concrets qui en
effectuent les rapports ; et ces rapportsde forces passent non pas
au-dessus mais dans le tissu mme des agencementsquils produisent.
(p. 44)Le diagramme est aussi associ des notions nouvelles : la
dimension,
linformel, les multiplicits, et lon voit rapparatre le
dispositif : Commentappeler cette nouvelle dimension informelle?
Foucault lui donne son nom leplus prcis : cest un diagramme (p. 42)
; les machines concrtes ce sontles agencements, les dispositifs
bi-formes ; la machine abstraite, cest le dis-positif informel (p.
47). Ou bien : Sil y a beaucoup de fonctions et mmede matires
diagrammatiques, cest parce que tout diagramme est une multi-plicit
spatio-temporelle. Mais cest aussi parce quil y a autant
dediagrammes quil y a de champs sociaux dans lhistoire (p. 42).
Deleuzeparle dune chelle deffectuation du diagramme (p. 48).
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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-
Deleuze insiste davantage dans cette tude, me semble-t-il, sur
le fait quele diagramme va permettre Foucault de formuler un
rapport qui le hantaitentre la forme du visible et la forme de
lnonable. Et la manire dontDeleuze formule ce rapport en associant
au diagramme linformel, en insistantsur une disjonction entre deux
ordres, en introduisant cette notion de non-lieuqui nest pas
trangre la zone dindtermination et lancrage spatio-temporel, me
parat marque par le passage par llaboration du diagrammechez Bacon
:
Entre le visible et lnonable, une bance, une disjonction, mais
cette disjonc-tion des formes est le lieu, le non-lieu dit
Foucault, o sengouffre le dia-gramme informel, pour sincarner dans
les deux directions ncessairementdivergentes, diffrencies,
irrductibles lune lautre. Les agencements concretssont donc fendus
par linterstice suivant lequel seffectue la machine abstraite.(p.
46)Se dgage de la fin de cette deuxime tude du Foucault, la ncessit
de
sintresser dun point de vue topologique la gomtrie du
diagrammedeleuzien et de suivre son volution dans ces termes. Cest
ce quoi inviteprcisment le titre gnral de : Topologie penser
autrement, sous lequelsont ranges les trois tudes qui suivent,
parmi lesquelles celle que nousallons considrer maintenant : Les
stratgies ou le non-stratifi : la pense dudehors (pouvoir).
Cette tude, la quatrime du Foucault, revient sur le diagramme et
lesnotions qui lui ont t rgulirement associes, mais dans une
perspectivebeaucoup plus large puisquelle repose la question du
pouvoir chez Foucault,non plus seulement dans Surveiller et punir,
mais dans lensemble de sonuvre. Rappelons que ce livre sur Foucault
est publi en 1986. Suivront LePli (1988) qui senchane
remarquablement avec lavant-dernire tude deFoucault ; puis Quest-ce
que la philosophie? (1991) et Critique et Clinique(1993) qui
reviendront trs largement sur la question de lart.
La dfinition du Panopticon, qui y est donne synthtise un plus
grandnombre de donnes que les dfinitions que nous avons eu
loccasion de citerprcdemment :
Ainsi Surveiller et punir dfinit le Panoptique par la pure
fonction dimposerune tche ou une conduite quelconques une
multiplicit dindividus quelconque,sous la seule condition que la
multiplicit soit peu nombreuse, et lespace limit,peu tendu. On ne
considre ni les formes qui donnent des buts et des moyens
lafonction (duquer, soigner, chtier, faire produire), ni les
substances formes surlesquelles portent la fonction ( prisonniers,
malades, coliers, fous, ouvriers,
Nolle Batt
18
-
soldats). Et en effet le Panoptique, la fin du XVIIIe sicle
traverse toutes cesformes et sapplique toutes ces substances : cest
en ce sens quil est une cat-gorie de pouvoir, pure fonction
disciplinaire. Foucault le nommera donc dia-gramme, fonction quon
doit dtacher de tout usage spcifique, comme de toutesubstance
spcifie 3. Et La Volont de savoir considrera une autre fonction
quimerge en mme temps : grer et contrler la vie dans une
multiplicit quelconque, condition que la multiplicit soit nombreuse
(population), et lespace tendu etouvert. Cest l que rendre probable
prend son sens, parmi les catgories dupouvoir, et que sintroduisent
les mthodes probabilitaires. Bref, les deux fonc-tions pures dans
les socits modernes seront lanatomo-politique et la bio-politique,
et les deux matires nues, un corps quelconque, une population
quelconque.On pourra donc dfinir le diagramme de plusieurs faons
qui senchanent : cestla prsentation des rapports de forces propres
une formation ; cest la rpartitiondes pouvoirs daffecter et des
pouvoirs dtre affect ; cest le brassage des puresfonctions
non-formalises et des pures matires non-formes. (p. 79)Le savoir (
stratifi, archiv, dou dune segmentarit relativement
dure), soppose toujours au pouvoir (diagrammatique, mobilisant
des ma-tires et des fonctions non stratifies, et procdant avec une
segmentarit trssouple). Une nouvelle spcification viendra sajouter
ici, la dterminationpar le passage par des points singuliers : En
effet, il [le diagramme] ne passepas par des formes mais par des
points, points singuliers qui marquent chaquefois lapplication dune
force, laction ou la raction dune force par rapport dautres,
cest--dire un affect comme tat de pouvoir toujours local
etinstable. Do une quatrime dfinition du diagramme: cest une
mission,une distribution de singularits (p. 80). Lon voit ici se
confirmerlorientation topologique de la dfinition et le caractre
dynamique dudiagramme que nous retrouverons souligns par Gilles
Chtelet.
De cette dfinition, couple une analyse sur les rapports entre
pouvoir etsavoir (p. 81-88), Deleuze tire cette conclusion (p. 88)
: Le diagrammatismede Foucault, cest--dire la prsentation des purs
rapports de forces oulmission des pures singularits, est donc
lanalogue du schmatismekantien : cest lui qui assure la relation do
le savoir dcoule, entre les deuxformes irrductibles de spontanit
[pouvoir daffecter] et de rceptivit[pouvoir dtre affect]. Et cela
en tant que la force jouit elle-mme dunespontanit et dune rceptivit
qui lui sont propres, bien que non formelles,ou plutt parce que non
formelles (p. 88).
On voit aussi le diagramme dfinitivement associ lexercice des
forces,donc linstabilit et au devenir :
Les forces sont en perptuel devenir, il y a un devenir des
forces qui doublelhistoire, ou plutt lenveloppe suivant une
conception nietzschenne. Si bien que
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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-
le diagramme, en tant quil expose un ensemble de rapports de
forces, nest pas unlieu, mais plutt un non-lieu : ce nest un lieu
que pour les mutations. [] Sansdoute le diagramme communique-t-il
avec la formation stratifie qui le stabilise oule fixe, mais
suivant un autre axe, il communique aussi avec lautre diagramme,les
autres tats instables de diagramme, travers lesquels les forces
poursuiventleur devenir mutant. Cest pourquoi le diagramme est
toujours le dehors desstrates. Il nest pas exhibition des rapports
de force sans tre, du coup, mission desingularits, de points
singuliers. Non pas que nimporte quoi senchane avecnimporte quoi.
Il sagit plutt de tirages successifs, dont chacun opre au
hasard,mais dans les conditions extrinsques dtermines par le tirage
prcdent. Le dia-gramme, un tat de diagramme, est toujours un mixte
dalatoire et de dpendant,comme dans une chane de Markov. [] Il ny a
donc pas enchanement parcontinuit, mais r-enchanement par dessus
les coupures et les discontinuits(mutation). (p. 91)La dernire
notion nouvelle que nous envisagerons ici en rapport avec le
diagramme est celle de rsistance, qui survient lorsque se
dveloppe lanotion de dehors. En effet, dehors des strates, le
diagramme a pourtantlui-mme un dehors. La force dispose dun
potentiel par rapport au dia-gramme dans lequel elle est prise, ou
dun troisime pouvoir qui se prsentecomme capacit de rsistance. En
effet, un diagramme des forces prsente, ct (ou plutt vis--vis) des
singularits de pouvoir qui correspondent ses rapports, des
singularits de rsistance, tels points, nuds, foyers quiseffectuent
leur tour sur les strates, mais de manire rendre le
changementpossible. Bien plus, le dernier mot du pouvoir, cest que
la rsistance estpremire, dans la mesure o les rapports de pouvoir
tiennent tout entiers dansle diagramme, tandis que les rsistances
sont ncessairement dans un rapportdirect avec le dehors dont les
diagrammes sont issus. Si bien quun champsocial rsiste plus encore
quil ne stratgise, et que la pense du dehors est unepense de la
rsistance (p. 95-96).
En fait, un peu comme dans Francis Bacon. Logique de la
sensation, on alimpression ici que le diagramme doit laisser la
place autre chose, quilnest certainement pas une fin en soi, quil
sefface peu peu et quil estmme en train de cder certaines de ses
qualits ce dehors qui apparatcomme signant les conditions de la
pense1.
Cest vers le livre de Gilles Chtelet, Les Enjeux du mobile, que
nousnous dplacerons maintenant, pour tenter dapprcier les points
communs etles diffrences entre le diagramme du philosophe et celui
du philosophe-mathmaticien.
Nolle Batt
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-
Le diagramme du mathmaticien est dans le droit fil de ltymologie
duterme, et Gilles Chtelet insistera sur limportance du geste (et
donc du corps)qui le trace. Le trac ouvre sur le virtuel qui est
ainsi enclench par lediagramme. Le virtuel exige le geste, dit
Gilles Chtelet, et Jean-ToussaintDesanti, qui introduit Les Enjeux
du mobile, commente : Voil qui demandequon sy attarde un peu. Cest
l quest le nud de toute laffaire : dans laconnexion indchirable du
corps propre (comme germe de mouvement), duvirtuel et du visible
(p. 15). Dans son introduction, Gilles Chtelet lui-mmecite Cavaills
qui, dans Mthode axiomatique et formalisme (p. 178), crit enrfrence
lintuition centrale dune thorie : Comprendre, est en attraperle
geste et pouvoir continuer. Et Chtelet de commenter : Ce concept
degeste nous semble crucial pour approcher le mouvement
dabstractionamplifiante des mathmatiques. []. On doit parler de
gestes inaugurant desdynasties de problmes (p. 32). Il dit encore :
Un diagramme peutimmobiliser un geste, le mettre au repos, bien
avant quil ne se blottisse dansun signe, et cest pourquoi les
gomtres ou les cosmologistes contemporainsaiment les diagrammes et
leurs pouvoirs dvocation premptoire. Ilssaisissent les gestes au
vol ; pour ceux qui savent tre attentifs, ce sont lessourires de
ltre (p. 33). On ne pourra videmment qutre frapp par lessimilitudes
entre ce rapport du mathmaticien au diagramme et celui delartiste
Francis Bacon faisant des marques et des traits au hasard sur la
toilepour quils brouillent les clichs et quils attirent la Figure
venir, celle quifait encore partie du non-su, du non-encore-pens.
Comme le peintre, lemathmaticien poursuit par le geste une
exprience de pense dont lapremire tape est la dsorientation :
Le diagramme ne se dmode jamais : cest un projet qui vise ne
sappuyerque sur ce quil esquisse ; cette exigence dautonomie en
fait le complice natureldes expriences de pense ; [] [ces]
preuve[s] par l[es]quelle[s] le physicien-philosophe prend sur lui
de se dsorienter, de connatre la perplexit inhrente toute
situation, o le discernement ne va nullement de soi. Il sagit pour
luidorchestrer une subversion des habitudes associes des clichs
sensibles et dese transporter par la pense dans les enceintes hors
causalits, labri des forces,pour se laisser flotter entre
mathmatiques et physique, [] de mettre en scnela dsorientation pour
orienter et imposer un projet physico-physique qui sedonnera
ensuite pour le plus vident. (p. 35)Comme chez Bacon, les traits
qui constituent le diagramme sont non
reprsentatifs, non illustratifs, non narratifs. Ils ne sont pas
dirigs vers leschoses, dit Chtelet. Ils sont orients vers le
non-encore-pens : pas plusque lobjet technique ne vient aprs un
savoir, le diagramme nillustre ou netraduit simplement un contenu
dj disponible.
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
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Esse in futuro. Le diagramme nest pas tourn vers le pass, mais
verslavenir ; il anticipe, il fait advenir. Il est associ la pense
en marche etcaractrise un certain rapport au savoir. Souvenons-nous
de cette formulationdeleuzienne pour voquer le diagramme-Panopticon
: [le diagramme] nefonctionne jamais pour reprsenter un monde
prexistant, il produit unnouveau type de ralit, un nouveau modle de
vrit. Il nest pas sujet delhistoire ni ne surplombe lhistoire. Il
fait lhistoire en dfaisant les ralitset les significations
prcdentes, constituant autant de points dmergence oude crativit, de
conjonctions inattendues, de continuums improbables. Ildouble
lhistoire avec un devenir (1986, p. 43). Gilles Chtelet parle du
retentissement historial de ces diagrammes qui abolissent la
cloison rigideentre lalgbre, qui explicitait les oprations de
dtermination des variables etla gomtrie dont les figures assuraient
le gardiennage du contemplatif(p.35). Le diagramme est un lieu de
transition, qui assure le passage entre deseffectuations diffrentes
dune mme ralit mathmatique, qui faitcommuniquer des sries
divergentes. Le diagramme nest un lieu que pourles mutations
(Deleuze, 1986, p. 91).
Et pour accentuer ce rapport du diagramme au corps, Chtelet
voque ceparler avec les mains ou plutt ce parler dans les mains
quemploientles physiciens entre eux : Une philosophie du
philosophico-mathmatique nesaurait ignorer cette pratique
symbolique en amont du formalisme, pratique decondensation et
damplification de lintuition (p. 34).
La fin de la citation introduit trois lments qui ne nous sont
pas inconnus.Le symbolisme dont Peirce disait quil est, avec
liconisme, un lmentindispensable la compltude du signe ; la
condensation voque par Deleuze propos de Bacon sous la forme dun
processus de contraction qui permet lepassage du diagramme au
tableau ; et la situation du diagramme en amont duformalisme que
lon peut rinterprter comme en amont du form, en amontdu formel.
Chez Foucault, le diagramme concernait de la mme manire unematire
non forme, non stratifie, en amont, peut-on dire, des processus
deconformation et a fortiori de toute formalisation.
Le diagramme est aussi le moment propice dune rverie
bachelardiennequi autorise une mise en jeu de lanalogie, dont il
nest pas exclu quellepuisse prendre des formes un peu frustres, un
peu primaires parfois peut-tre,autorisant pour cela mme des
aboutements, des connexions peu orthodoxes(comme une espce de soupe
primitive o des choses a priori fort loignespeuvent sassocier et se
fconder) et qui permet de progresser dans la pense,
Nolle Batt
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mme si cette progression suit un trajet erratique ou turbulent.
Il y a dans leserrements productifs du diagramme quelque chose qui
tient du caminacaminando de Garcia Lorca. Le chemin se fait en
marchant. La pense sefait en diagrammatisant.
Lorsque Gilles Chtelet parle de la ncessit d apprcier
lenjeuimmense dune dignit ontologique propre du figural qui rend
possible lacinmatique et la gomtrie analytique bien avant la
dcouverte du calculdiffrentiel (p. 34), il commence construire la
transition trs intressantequil mnagera plus tard dans son livre
entre la figurativit de limage traceet la figuralit de limage
potique.
Les diagrammes sont un peu les complices de la mtaphore potique.
Mais ilssont un peu moins impertinents il est toujours possible de
trouver refuge dans letrac ordinaire de leurs traits gras et plus
persvrants : ils peuvent se prolongeren une opration qui les sauve
de lusure. Comme la mtaphore, ils bondissentpour crer des places et
rduire les carts : ils bourgeonnent de pointills pourdborder les
images dj figures en traits gras. Mais le diagramme ne spuise
pascomme la mtaphore : sil immobilise un geste pour dposer une
opration, cesten esquissant un geste qui en dcoupera une autre. Le
pointill ne renvoie ni aupoint et sa dsignation discrte, ni la
ligne et son trac continu, mais lapression de la virtualit (cf.
chap. I) qui inquite limage dj disponible pour faireplace une
dimension nouvelle ; ce mode dexistence du diagramme est tel que
sagense fait partie de son tre. On pourrait parler son propos de
techniquedallusions. (p. 33)Cest propos de la vis de Maxwell que
Chtelet tudiera lalliance du
diagramme et de la mtaphore cratrice. Le passage du livre qui
traite de laquestion sera repris et dvelopp dans un article publi
dans un livredhommage Ren Thom, La Passion des formes : Sans le
diagramme, lamtaphore ne serait quune fulguration splendide, mais
sans lendemain parcequincapable doprer ; sans la mtaphore, le
diagramme ne serait quuneicne gele, incapable de sauter par-dessus
les traits gras qui retiennent lesimages dun savoir dj acquis ;
sans la subversion du fonctionnel par lesingulier, rien ne pourrait
retentir, rien ne viendrait bousculer la coursepaisible des points
mobiles et lvidence pesante de leurs paramtrages etaucune chance ne
serait donne aux connivences de la nature qui sort desgonds de
lobjectivit (p. 154).
Il est intressant de retrouver ici par le biais de cette
alliance inattendueentre diagramme et mtaphore, le lien abondamment
soulign par Jakobsonentre le diagramme et le langage (grce au rle
de lanalogique, cf. infra).Encore plus intressant de trouver le
diagramme associ la vie. Foucault
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
23
-
disait : la limite, la vie, [] cest ce qui est capable derreur
[]. Ainsise comporte aussi le diagramme, qui se donne
ontologiquement, le droit lerreur.
Dans un article dhommage publi aprs la mort de Deleuze,
Agamben(1998) considre que le titre du dernier texte de Deleuze :
Limmanence : unevie est quelque chose comme un diagramme qui
concentre en son sein ladernire pense de Deleuze. Il continue : Il
visualise au premier regard lecaractre fondamental de limmanence
deleuzienne cest--dire le faitquelle ne renvoie pas un objet et
quelle nappartient pas un sujet, endautres termes, le fait quelle
nest immanente qu elle-mme mais quelleest cependant en mouvement.
Cest sur cette notion de mouvement,intimement lie au geste qui, en
accompagnant le diagramme rend visibles lesconditions de conception
dun parcours de pense, que nous souhaiterionsinterrompre notre
rflexion et passer le relais aux auteurs de ce numro qui,chacun
dans le cadre de leur discipline, vont sattacher dessiner les
parcourspossibles de ce que pourrait tre une pense
diagrammatique.
Alexis de Saint-Ours prsente ce quest le diagramme en
math-matiques et en physique en le diffrenciant bien de notions
avoisinantes tellesque : figures , schmas , graphiques la fonction
purementillustrative, et en insistant sur les spcificits de ce mode
de raisonnement paropposition dautres types de dduction ou de
calcul. Il montre aussicomment les diagrammes, surgis du trac de la
main, et devanant lesmouvements de lesprit, ont le pouvoir de
convoquer le virtuel et mme de lemultiplier. Cest bien une nouvelle
pense de la science quinaugure uneconception de la comprhension qui
associerait au concept les conditions deson engendrement.
La contrainte littraire joue un rle crateur indiscutable dans
les textesproduits par les crivains qui se rclament de lOulipo
(OUvroir de LIttraturePOtentielle) mais elle na pas toujours bnfici
des efforts de thorisationquelle aurait mrits. Alison James
entreprend donc de sattaquer cettetche en faisant lhypothse
audacieuse et sduisante que la contraintepourrait jouer pour
lengendrement de ces textes, le rle dun diagramme telque Deleuze le
dfinit, entre Foucault et Bacon. Cest sur les textes oulipiensde
Georges Perec La Vie mode demploi, La Disparition, Alphabets
quelleteste son hypothse et montre que ce sont les impossibilits
mmes tabliespar la contrainte qui crent du possible pour le texte,
que les contraintescaptent lnergie les forces dirait Deleuze pour
crer la sensation de la vie.
Nolle Batt
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Cest en rfrence aux rflexions sur le diagramme de Gilles Chtelet
etde Jean-Toussaint Desanti que Charles Alunni dveloppe ce quil
appelle uneorientation diagrammatique de la pense, quil articule la
Thorie desCatgories. La division exprime par le dia de diagramme
est rinterprtecomme diffrence de potentiel engendrant la pulsation
(qui est contraction etexpansion), et le mouvement (qui implique un
dploiement et un repli). Lafigure topologique qui lemblmatise est
le ruban de Mbius.
La Thorie des Catgories est convoque pour son apport conceptuel
auxmathmatiques mais aussi, et surtout, parce quelle optimise les
passagesentre le domaine des mathmatiques et celui de la
philosophie, ou mme de lasociologie. Et si Jean-Toussaint Desanti
et Wittgenstein sont rassembls lafin de larticle de Charles Alunni,
cest parce quils saccordent sur limpor-tance du lien entre
dynamique et signification, entre mobilit et concept.
Wittgenstein, le lien entre le diagramme et le mouvement de la
pense, laproximit entre la cration et le virtuel sont au cur de la
rflexion que nouslivre Mathieu Duplay sur The Merry Men de Robert
Louis Stevenson. Lediagramme enclenche un processus de rversion,
nous disait Charles Alunni.Ce nest pas la rgle qui gouverne laction
mais laction qui fait merger largle. Le langage nexiste que ralis
dans un acte de parole et le sens est unemergence. Mathieu Duplay
montre ce propos comment la narration dansThe Merry Men renvoie
constamment limprvisible de significationsnouvelles []
manifestations dun virtuel [qui est] lenvers indtermin detout ce
qui est dit. Les discours dans The Merry Men sont dfaits, etrduits
des lments disparates qui, au mieux, rsonnent les uns avec
lesautres. Contemporain de James, Stevenson crit son art du roman
dans saprose autant que dans ses essais. Son personnage-narrateur
essaiedinterprter des formes, de dchiffrer des lettres, de pntrer
lautre dudiscours, de voir la langue comme du dehors, la voir comme
un dehors. Telserait peut-tre lordre de la relation entre la
philosophie et la posie. Elles sediagrammatiseraient mutuellement
au sens o elles seraient chacune lehors de lautre.
Cest toujours avec Wittgenstein mais sans Deleuze que
Jean-PhilippeNarboux aborde le diagramme. Aprs avoir emprunt Nelson
Goodman leslments ncessaires pour distinguer entre les espces de
diagrammes,diffrencier le diagramme de limage et tablir que la
dimension synoptiquedans son dynamisme et son oprativit est
essentielle la notion, Jean-Philippe Narboux entreprend de montrer
comment Wittgenstein quintablissait pas de diffrence de nature
entre un diagramme et une image
Lexprience diagrammatique : un nouveau rgime de pense
25
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dans le Tractatus, entreprend ultrieurement de thmatiser la
dimensionsynoptique si importante pour le fonctionnement du
diagramme. En effet, lediagramme se caractrise par sa gnralit et
par sa lisibilit alors que leTractatus ne fait pas de place des
contenus gnraux. Cest pourquoi lediagramme ny avait pas sa place.
Cest le lien entre gnralit et ngation,dterminant son tour celui
entre le caractre synoptique et la slection dedimensions qui
aboutira une prise en compte tardive du diagramme.
Cest partir du texte de Gilles Chtelet, Les Enjeux du mobile,
queKenneth Knoespel envisage la possibilit de dployer ce quil
appelle unediagrammatologie en soumettant la rflexion critique les
modes dcriturediagrammatiques pratiqus par un large ventail de
disciplines. Dclinant lesenjeux des diagrammes dans le cadre des
mathmatiques, mais aussi de laconceptualisation de lespace et
finalement de la pense elle-mme,K. Knoespel entreprend dcrire un
chapitre de notre histoire cognitive. Cestpourquoi, aprs avoir
rendu compte des avances les plus dcisives du livrede Chtelet, il
envisage la synergie qui pourrait sinstaurer entre la
diagram-matique et la linguistique de Cadiot et Visetti dune part,
la diagrammatiqueet les recherches en neurophysiologie de Maturana
et Varela dautre part.
Aprs avoir situ la fonction du diagramme dans le parcours
philo-sophique de Deleuze effectuer le passage entre la notion de
dispositif depouvoir labore par Foucault et celle dagencement de
dsir dveloppeavec Guattari Yves Abrioux entreprend de dconstruire
dans ce cadre, lafois la conception deleuzienne de la peinture qui
saffiche dans FrancisBacon. Logique de la sensation (une conception
historienne) et le style qui lasert (une rhtorique de la lutte et
de lemphase).
Cest au lecteur quil appartient maintenant de faire sienne cette
notion, desapproprier ces sourires de ltre qui lui ouvriront la
pense du devenir etdu virtuel, dans le geste qui les fera
advenir.
Universit Paris VIII
Nolle Batt
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Note
1. Nous ne rendrons pas compte de la cinquime tude du Foucault
(1986) intituleLes plissements ou le dedans de la pense, qui porte
sur le thme du double,de la mmoire et sur la naissance dune
dimension nouvelle et fondamentale pourFoucault ce stade : celle de
la subjectivation, pour la simple raison que lediagramme ny est
plus vritablement convoqu. Foucault passe autre chose, etDeleuze
avec lui. Je ninsisterai pas non plus sur la toute fin de cette
cinquimetude si souvent commente par nos collgues amricains o
figure undiagramme, lgend le diagramme de Foucault suivi dune page
et demie decommentaire inspir.
Rfrences bibliographiquesAGAMBEN, Giorgio1998 Limmanence
absolue, dans Eric Alliez (ed.), Gilles Deleuze,
Une vie philosophique, Paris, PUF, coll. Les Empcheurs detourner
en rond.
BATT, Nolle2003 Zone dindiscernabilit , dans Sasso et Villani
(eds.), Le
Vocabulaire de Gilles Deleuze, Les Cahiers de Noesis, CRHI,UMR
6045, CNRS, Universit de Nice ; rdition Vrin.
CHTELET, Gilles1993 Les Enjeux du mobile, Paris, ditions du
Seuil.1994 Mtaphores, diagrammes et singularits, dans La Passion
des
formes. Ren Thom, Tome 1, Paris, ENS ditions.DELEUZE, Gilles1975
crivain non : un nouveau cartographe, Critique n 343, Paris,
ditions de Minuit (repris et modifi sous le titre Un
nouveaucartographe dans louvrage : Foucault, Paris, ditions de
Minuit,1986).
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