Top Banner
Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons adolescents Janik Bastien Charlebois, Ph.D. Université du Québec à Montréal [email protected] 2527, boul. de Maisonneuve Est Montréal, Qué., H2K 2G3 Tél : 514-504-1598
26

Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Jan 28, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai »

dans le parler des garçons adolescents

Janik Bastien Charlebois, Ph.D.

Université du Québec à Montréal [email protected] 2527, boul. de Maisonneuve Est

Montréal, Qué., H2K 2G3

Tél : 514-504-1598

Page 2: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

1

Résumé

Problématique : On remarque l’utilisation fréquente des épithètes « gai », « fif », « moumoune »

et « tapette » chez les jeunes garçons. Le sens et la portée de ces épithètes, cependant, sont

largement débattus. Les jeunes qui les emploient se défendent de faire référence aux hommes

gais, et certains des auteurs qui se sont penchés sur le sujet abondent dans ce sens. Toutefois, ceci

entre en conflit avec la réception qu’en font beaucoup de jeunes gais et d’acteurs du terrain. Qui

plus est, les auteurs qui refusent le lien direct entre ces insultes et l’homosexualité se contentent

d’examiner les représentations que les garçons adolescents ont de celles-ci pour tirer leurs

conclusions, négligeant celles qu’ils ont des hommes gais. Ce chapitre a comme objectif de

vérifier s’il existe ou non un lien entre les épithètes « gai », « fif », « moumoune » et « tapette »,

et les hommes gais, en examinant les perspectives qu’entretiennent les garçons adolescents à cet

égard.

Méthode : Pour mener à bien notre recherche, nous avons adopté l’approche méthodologique

qualitative et inductive de la théorie ancrée, nous préparant ainsi à accueillir les sens que les

jeunes attribuent aux insultes et aux hommes gais. Nous avons cueilli nos données par le biais

d’entrevues individuelles semi-directives auprès de vingt-et-un garçons âgés de 14 à 16 ans.

Résultats : Plusieurs jeunes offrent des réponses défensives lorsqu’ils évoquent leur pratique de

l’insulte. Selon plusieurs d’entre eux, ces épithètes sont plutôt utilisées pour désigner le fait, pour

un homme, d’être stupide, d’avoir peur d’entreprendre des actions risquées, de réaliser des actes

considérés comme « féminins » et celui d’être faible, trait qui est également associé aux femmes.

Certains associent tout de même directement ces termes et les hommes gais. En matière de

représentation des hommes gais, si certains dissocient initialement ceux-ci de l’efféminement,

plusieurs d’entre eux opèrent ensuite des glissements et finissent par rapprocher l’un et l’autre, si

ce n’est de façon subreptice.

Discussion : Les usages et les sens attribués à la gamme d’épithètes « gai », « fif »,

« moumoune » et « tapette » impliquent effectivement directement les hommes gais, mais ce lien

n’est pas remarqué chez beaucoup de garçons adolescents. De plus, en examinant les fondements

de ces insultes, on retrouve à l’œuvre un système qui renforce et cristallise la division des sexes,

puis du coup l’oppression des femmes.

Page 3: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

2

1. Les épithètes « gai », « fif », « moumoune » et « tapette » dans le quotidien des garçons

adolescents

Si l’on remarque une amélioration générale des attitudes envers les personnes

homosexuelles et bisexuelles, elles sont encore en butte à une forte animosité en milieu scolaire

(Grenier, 2005; Herek et Capitanio, 1999; Kite et Whitley, 1998; Kosciw et Diaz, 2006; Simoni,

1996). Elles sont plus souvent qu’à leur tour la cible de violences diverses prenant la forme

d’évitement, de rejets, d’insultes, d’actes de vandalisme, de bousculades, de harcèlement,

d’agressions ou autres (Williams, Connolly, Pepler et Craig, 2005; Émond et Bastien Charlebois,

2007).

Chez les jeunes garçons homosexuels, la forme de violence qu’ils subissent le plus

fréquemment est l’insulte (Émond et Bastien Charlebois, 2007; Kosciw et Diaz, 2006, Otis, Ryan

et Bougon, 2005). Ils se font traiter qui de « fif », de « tapette », de « gai », de « moumoune » ou

de « pédé ». Qui plus est, même s’ils ne sont pas directement ciblés, ils sont exposés à

l’utilisation constante de ces termes entre pairs. Beaucoup d’entre eux s’en sentiront blessés, car

ils estiment qu’on fait malgré tout référence à l’homosexualité de façon péjorative (Burn, Kadlec

et Rexer, 2005).

Quand on se penche sur les pratiques de ces insultes, on relève rapidement le fait qu’elles

sont presque exclusivement utilisées par des garçons adolescents (Burn, 2000; Martino, 1999;

Martino et Pallotta-Chiarolli, 2003, Nayak et Kehily, 1996; Pascoe, 2005; Plummer, 1999, 2000).

Cependant, ces pratiques sont plus compliquées qu’elles n’en paraissent. Les garçons

n’emploient pas uniquement les termes « fif », « tapette », « gai » et « moumoune » à l’endroit de

personnes qu’ils savent ou présument homosexuelles. Ils les adressent à leurs amis ou à divers

autres garçons indépendamment de leur orientation sexuelle (Burn, 2000; Nayak et Kehily, 1996;

Pascoe, 2005). Qui plus est, ils se défendent généralement bien de les utiliser dans un sens faisant

référence aux hommes gais, ainsi que dans le but de les diminuer (Burn, 2000) – ce que

corroborent certains adultes étant en contact étroit avec des jeunes1. Résultat, il y a une tension

1 Nos multiples contacts avec des membres du corps professoral du niveau secondaire, déployés depuis dix ans dans

le cadre de congrès et de colloques, nous indiquent que nombre d’entre eux ne considèrent pas que les termes « gais

», « tapette », « moumoune » et « fif » ont forcément un lien avec l’homosexualité. D’autres, indépendamment de

Page 4: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

3

entre les intentions affichées par les garçons qui saupoudrent leurs échanges de ces termes et

l’interprétation qu’en font les jeunes gais qui en sont témoins ou qui les reçoivent.

Quelques chercheurs, tels que Martino (1999, 2000), Martino et Pallotta-Chiarolli (2003),

Nayak et Kehily (1996), Pascoe (2005) et Plummer (1999, 2000) se sont penchés sur la

compréhension des conglomérats de termes associés à l’homosexualité, mais ils sont peu

nombreux et empruntent chacun un angle propre. Dans l’ensemble, ils développent leurs travaux

à partir du postulat selon lequel ces épithètes constituent véritablement des insultes, mais ils

n’arrivent pas aux mêmes conclusions quant au sens à leur donner. Aucun, du moins, ne vérifie si

les pratiques qu’adoptent les garçons adolescents ainsi que les significations qu’ils attribuent à la

gamme des « fif », « tapette », « moumoune » et « gai » n’ont effectivement aucun lien avec les

hommes gais ou si leurs dénégations sont des stratégies défensives. Or, cette dernière éventualité

se doit d’être envisagée puisque la réprobation sociale croissante des discriminations flagrantes

pousse l’expression non équivoque de préjugés dans les retranchements de la subtilité, dont le

« je ne suis pas raciste, mais… » est une des manifestations (Billig, 1991; van Dijk, 1991). Ceci

vaut autant pour le racisme, que pour le sexisme et l’hétérosexisme (Brickell, 2001, 2005;

Burridge, 2004; Peel, 2001).

2. Des sens et des ancrages structurels possibles de la gamme d’épithètes

Nous entendons répondre à la question de la signification et des usages de la gamme

d’épithètes « fif », « tapette », « moumoune » et « gai » en adoptant une démarche comparative.

Avant d’être en mesure de statuer qu’un référent (ici les insultes) correspond ou non à un autre

référent (les hommes gais), il est absolument nécessaire d’examiner les représentations propres à

l’un et à l’autre. Dans la même logique, pour pouvoir conclure qu’un usage (encore une fois

l’insulte) s’inscrit ou non dans une finalité quelconque (le développement identitaire des garçons,

l’infériorisation des hommes gais, l’infériorisation des femmes), il est tout aussi nécessaire de

définir clairement ces deux parties. Nous ne pouvons dire si les épithètes que nous étudions sont

des insultes exprimant l’homophobie, l’hétérosexisme ou le sexisme si nous ne déterminons ni ne

justifions notre définition opérationnelle de ces formes d’oppression.

s’ils y attribuent un lien ou non, s’y résignent en affirmant que l’ubiquité de ces mots dans les discours des garçons

adolescents procède de leur développement identitaire.

Page 5: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

4

Tout aussi populaire qu’il soit, nous préférons éviter l’emploi du terme homophobie, car

son étymologie suggère une analyse se limitant au plan psychologique (Haaga, 1991; Adam,

1998). L’hétérosexisme, par contre, ouvre sur une réalité sociale et structurelle, dont les

manifestations de haine et d’animosité à l’endroit de personnes non hétérosexuelles sont une

extension. Sears (1997) définit l’hétérosexisme: « (…) as the belief in the superiority of

heterosexuals or heterosexuality evidenced in the exclusion, by omission or design, of non-

heterosexual persons in policies, in procedures, events or activities » (p. 16)

En matière de sexisme, nous nous appuyons sur les analyses de Guillaumin (1992) pour

qui l’oppression des femmes – comme celle des populations racisées – s’assoit sur la constitution

de catégories binaires complémentaires, cloisonnées, naturalisées et hiérarchisées. Sous les

dehors du « masculin » et du « féminin » se cachent des rôles et des positions de pouvoir

respectives, toutes subtiles puissent-elles être souvent. Si la réalité de la diversité sexuelle est

beaucoup plus complexe, il demeure qu’elle est très simplifiée dans les représentations

populaires.

Cependant, Rubin (1975) est celle qui, à nos yeux, articule de façon plus complète

l’oppression et l’exploitation matérielle des femmes, la création et la naturalisation des genres

complémentaires, la prescription du mariage hétérosexuel, l’hétérosexualité obligatoire – que

Rich (1993) nommera plus tard contrainte à l’hétérosexualité –, ainsi que la répression des

homosexuels hommes et femmes. Elle s’appuie sur l’analyse qu’effectue Lévi-Strauss des

systèmes de parenté et de l’échange des femmes tout en la subvertissant. À la base, elle affirme

que « l’organisation sociale du sexe repose sur le genre, l’hétérosexualité obligatoire et la

contrainte des femmes » (Rubin, 1975, p. 31). Elle considère le mécanisme de l’échange des

femmes entre groupes d’hommes, seuls sujets sociaux, comme un mode de production et de

maintien des conventions sur la sexualité et de cette organisation sociale du sexe:

Les systèmes de parenté reposent sur le mariage [hétérosexuel]. Ils transforment donc des

mâles et des femelles en ‘hommes’ et ‘femmes’, chaque catégorie étant une moitié

incomplète qui ne peut trouver la plénitude que dans l’union avec l’autre (…) Et ceci

exige la répression: chez les hommes, de ce qui est la version locale (quelle qu’elle soit)

des traits ‘féminins’, chez les femmes, de ce qui est la définition locale (quelle qu’elle

soit) des traits ‘masculins’. (Rubin, 1975, p. 32)

Page 6: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

5

Elle poursuit plus loin:

Le genre n’est pas seulement l’identification à un sexe; il entraîne aussi que le désir

sexuel soit orienté vers l’autre sexe. La division sexuelle du travail entre en jeu dans les

deux aspects du genre – elle les crée homme et femme, et elle les crée hétérosexuels. Le

refoulement de la composante homosexuelle de la sexualité humaine, avec son corollaire,

l’oppression des homosexuels, est par conséquent un produit du même système qui, par

ses règles et ses relations, opprime les femmes. (Rubin, 1975, p. 33)

Bien que les réseaux d’alliances entre hommes ne se construisent plus, dans notre société,

sur la base d’échanges de femmes entre groupes d’affins, nous estimons que l’analyse de Rubin

demeure riche et pertinente. Car derrière les groupes familiaux, c’est fondamentalement la

collectivité des hommes qui bénéficie de la division sexuelle du travail, ainsi que les principes de

complémentarité et de naturalisation des sexes sur laquelle elle repose.

La constitution de cette division sexuée ne signifie toutefois pas qu’il n’existe pas de

diversité des rapports au sein de la collectivité des hommes et de celle des femmes. Une

hiérarchie entre hommes existe, ayant à son sommet un statut de masculinité hégémonique et

trouvant à sa base des masculinités subordonnées, incarnées généralement par les hommes

efféminés et homosexuels (Connell, 1987, 1995; Connell et Messerschmidt, 2005). Cette

hiérarchie intra-hommes n’opère pas en vase clos, elle s’articule étroitement avec celle qui existe

entre le groupe des hommes et celui des femmes (Connell, 1987).

Le modèle hégémonique puiserait en partie sa robustesse dans la construction et

l’incorporation d’une masculinité perçue comme véritable, authentique et présociale. La façon

dont les corps seraient présentés et utilisés conforterait ou ferait appel au modèle dominant

auquel on souhaiterait adhérer. Chez les jeunes hommes, l’adresse et l’excellence sportive

seraient des ingrédients essentiels dans cette quête, de même que la possession d’une partenaire

de l’autre sexe (Connell et Messerschmidt, 2005; Mac an Ghaill, 1994; Martino, 1999, 2000;

Martino et Pallotta-Chiarolli, 2003, 2005). Par ailleurs, l’investissement corporel dans les

pratiques risquées comme moyen d’établir la réputation masculine au sein du groupe de pairs

serait une des résistances les plus fortes à la remise en question de la naturalisation du corps des

hommes (Connell et Messerschmidt, 2005). À l’inverse, les jeunes hommes définis comme doux

et non sportifs sont souvent représentés comme étant des échecs hétérosexuels. Ils sont sujets au

harcèlement et au ridicule, particulièrement s’ils établissent des liens avec des filles « non

Page 7: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

6

désirables » ou si leur mode d’interaction avec les filles en général est de nature émotive au lieu

d’être ouvertement et physiquement sexuelle. (Martino et Pallotta-Chiarolli, 2003, 2005).

3. Cueillir les perspectives de garçons adolescents

Pour examiner les significations et les usages de la gamme d’épithètes « fif », « tapette »,

« moumoune » et « gai », nous nous appuyons sur une série d’entrevues individuelles semi-

dirigées que nous avons menées avec des garçons adolescents âgés de 14 à 16 ans, recrutés en

milieu scolaire. Nous les avons invités à décrire les contextes de leur usage, puis à développer sur

les sens qu’ils attribuent à ces épithètes, d’une part, et aux hommes gais, d’autre part2.

Nous sommes consciente de la probable expression de biais de désirabilité, notamment

d’attitudes défensives concernant les pratiques et les attitudes qu’un consensus naissant qualifie

d’homophobes ou d’hétérosexistes. Cependant, les répondants ne peuvent surveiller l’ensemble

des propos qu’ils tiennent (Rubin et Rubin, 1995). Qui plus est, au-delà des formules de

convenance, il est difficile pour des personnes hétérosexistes d’employer un vocabulaire et de

présenter des perspectives propres à une personne acceptant pleinement l’homosexualité puisque

souvent elles ignorent ce en quoi consiste une véritable ouverture. Par ailleurs, nous avons

privilégié les entrevues individuelles, car nous désirions réduire l’influence de la pression des

pairs sur les réponses des participants3.

Vingt et un jeunes ont été rencontrés par le biais d’entrevues individuelles semi-directives

à travers différentes écoles de la grande région de Montréal4. Ils correspondent à des profils

socioéconomique, culturel et religieux diversifiés. Ils présentent par ailleurs une diversité de

perspectives, certains s’opposant vivement à toute forme de visibilité (dévoilement de son

homosexualité, signes d’affection, célébrations collectives) et de revendication gaies, tandis qu’à

l’opposé certains se montraient très confortables et ouverts, sinon même critiques de préjugés et

de pratiques hétérosexistes. Entre ces pôles s’articulaient différentes positions intermédiaires, au

2 Nous savons qu’il est possible que les épithètes à l’étude ne signifient pas exactement la même chose. Mais comme

ils se trouvent tous au centre de la tension sémantique, nous voulons les examiner de façon globale, quitte à relever

les nuances propres à chacun. 3 S’il est intéressant de voir quels consensus émergent dans les significations attribuées aux épithètes étudiées, il est

difficile pour les garçons adolescents d’offrir une richesse de détails sur ce qu’ils pensent des hommes gais étant

donné la délicatesse du sujet. 4 Ces entrevues ont duré en moyenne une heure par personne et ont été tenues dans des espaces isolés.

Page 8: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

7

sein desquelles on retrouvait néanmoins une réprobation des comportements efféminés chez les

hommes.

Pour analyser le contenu des entretiens, nous avons adopté l’approche méthodologique et

analytique de la théorie ancrée, qui favorise l’émergence de catégories et de conceptions

inattendues et réduit les risques de s’empêtrer dans les notions de sens commun qu’aurait

intériorisées la chercheure (Glaser et Strauss, 1967; Strauss et Corbin, 1994). Dans la section qui

suit, nous exposons quelques portions essentielles de notre matériau.

Il est à noter, cependant, que ce matériau comporte des limites possibles. Si les entrevues

étaient suffisamment longues pour nous permettre d’aller au-delà des discours de convenance à

propos des hommes gais et de recueillir les positions des répondants dans toute leur complexité,

nous n’avons pas disposé de suffisamment de temps pour explorer à fond les représentations

qu’ils se font également des femmes. C’est donc principalement à travers les implications que

comportent leurs discours sur les hommes gais qu’il est possible de les cerner.

4. Un regard à travers les propos de garçons adolescents

4.1 Le déploiement des discours défensifs ou la dissociation des épithètes des hommes gais

Les significations exactes de l’agglomérat « fif », « tapette », « moumoune » et « gai » ne

sont pas aisément dégagées. Beaucoup de jeunes semblent être sur la défensive dès les premiers

moments où ils évoquent leur utilisation, ajoutant fréquemment que ces termes sont inoffensifs et

sans rapport avec l’homosexualité, et ce, sans qu’aucune justification ne leur ait été demandée5.

Peut-être sont-ils conscients de l’émergence récente d’un discours condamnant leur emploi, puis

en anticipent-ils la présence chez la chercheure. Lorsque, justement, nous évoquons finalement ce

discours6, les réactions d’autoprotection sont un peu plus prononcées. Une fois dégagées, les

rationalisations se résument globalement à celles présentées ci-après et se reconnaissent souvent

par l’emploi de la convention langagière « c’est juste... » pour les introduire.

5 Nous prenions bien soin, dans le ton de notre voix et dans l’orientation de nos questions, de faire en sorte qu’ils ne

sentent pas désapprouvés dans l’évocation de leurs expériences personnelles reliées à l’utilisation de ces termes. 6 Nous leur faisions part de la mobilisation de groupes gais et d’organismes communautaires réclamant la cessation

de l’emploi des termes « fif », « tapette », « moumoune » et « gai » (dans un contexte d’insulte, en ce qui concerne

ce dernier) et leur demandions ce qu’ils en pensent.

Page 9: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

8

D’abord, on mentionne assez fréquemment que l’intention n’est pas grave et n’est jamais

sérieuse, n’étant qu’une marque de taquinerie entre pairs. Ces termes ne seraient donc dans leur

ensemble que des expressions ne recelant aucune malice ni arrière-pensée à l’endroit des hommes

homosexuels : « Ça a pas rapport [avec les gais]… souvent, tu fais ça pour niaiser » (Olivier),

« j’ai appris [que] c’est juste comme un mot là, comme n’importe quel. » (Julio). Et s’il arrive

parfois que des hommes gais soient concernés, ce ne serait que léger : « Des fois on les niaise,

mais t’sais c’est rien de personnel » (Maxime).

Ces termes auraient acquis leur indépendance des liens d’autrefois, n’évoquant désormais

plus l’homosexualité. Ils seraient entrés dans une pratique commune et coutumière, et la patine

d’un usage répandu les aurait rendus inoffensifs : « Ça veut même pu dire gai » (Hugo), « j’pense

pas que ce soit [associé] au terme euh, homosexuel, ça devient plus un mot comme n’importe

quoi » (Philippe). Les « même pu » et les « devient » signalent la transformation et le passage du

temps. Ce n’est que sous les formes « ancestrales » des « fif », « moumoune », « tapette » et

« gai » que plusieurs répondants reconnaissent une association avec l’homosexualité. Que cette

collection de mots soit utilisée à l’extérieur ou à l’intérieur du groupe, elle n’exprimerait qu’une

forme de dépréciation générale au même titre que « t’es laid, t’es cave, t’es con, t’es stupide » ou

dénoterait les choses qu’on n’apprécie pas. « Ça a d’l’air gai, ça a d’l’air de quelque chose de pas

le fun à faire… c’est pas intéressant » (Félix).

4.2 L’association des épithètes à l’efféminement

Néanmoins, on identifie souvent ces épithètes avec la nébuleuse de l’efféminement, qui

embrasse l’apparence, les gestes et comportements, la peur, puis la faiblesse. On qualifie un

homme de « fif », en somme, lorsqu’il se rapproche de l’univers des femmes :

Ça doit tourner autour de l’infémination (sic). (Julien)

(…) y ont la manie de dire : « ça, c’est smooth, ça ressemble à fille là, c’est fif là ».

(Philippe)

Ouin… ça veut dire : « T’es pas masculin, le gros, t’es fif toi » (petit rire). (Gabriel)

Page 10: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

9

J’viens d’acheter une casquette « Von dutch »… le patch y’est rose… finalement ça l’air

d’une casquette de filles là, t’sais… « ah c’est fif mettre ça ». (Julio)

Un emploi fréquent de l’amalgame « fif », où « moumoune » occupe un rôle saillant, est

l’incitation à poser un acte risqué ou délinquant, pouvant entraîner des blessures physiques, des

mesures punitives de la part d’autorités ou des sanctions légales. Utilisé principalement entre

pairs, il annonce le jugement qui sera passé sur le membre s’il hésite ou ne s’exécute pas. Le type

d’action peut aller de l’exploit physique, réalisé dans le cadre d’une pratique sportive, au

cambriolage d’une maison ou au vol dans un dépanneur.

Comme un moment donné – mais y [mon chum] l’a fait pareil là – j’ai demandé à mon

chum : « fais comme une grosse affaire de bois » genre qui allait haut. Pis là y’ont demandé

de passer avec son BM, y’avait pas grande distance entre le mur (…) pis y’avait pas de

frein, pis on lui a demandé de le faire. Au début, y voulait pas pis y l’a fait en fin de

compte. Pis y s’est pété la gueule. (Matthieu)

(…) moi, je me tenais avec du monde avant pis y faisaient toujours des mauvais coups.

Comme un moment donné, y’ont voulu faire une maison. T’sais, une maison y’ont voulu

rentrer dedans, mais moi, j’suis parti après mais avant que je parte, les autres, ils avaient

déjà rentré dans maison pis y’en a un qui voulait pas rentrer pis y voulait s’en aller avec

moi. Faique là y y’ont dit : « ah t’es une faggot, ah estie de fif, tu rentres pas avec nous

autres, va-t-en », pis toute… (Marco)

Derrière la condamnation du caractère « moumoune » se profile la valorisation de la

puissance. Une fois la peur rejetée, les prouesses physiques ou la contestation de l’autorité

peuvent se réaliser sans entrave. Les répercussions possibles ne devraient pas limiter l’exercice

de la volonté de ces acteurs. Implicitement, la peur de courber l’échine devant les risques n’est

qu’un visage de la faiblesse, antithèse de l’idée de puissance. Montrer une vulnérabilité signifie

qu’on se laisse dominer par l’adversité, qu’il s’agisse de pleurer en des circonstances

« mineures » ou d’exprimer la douleur ressentie lors d’un choc « léger ». La faiblesse est aussi la

défaillance des capacités physiques, outil ultime d’expression de la volonté.

(…) quand tu dis fif, ça veut pas dire « homosexualité », ça veut peut-être juste dire

« faible » (…)(Hugo)

Page 11: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

10

Quand les débuts que je commençais à skater j’avais onze ans ou douze ans pis des fois

quand je tombais, j’tombais dur. Genre je me scratchais toute le coude là, c’était toute

démanché. Faique là je commençais à pleurer, faique là y me disaient « mmm7 », y’me

gossaient un peu avec ça. (David)

À mettons que tu joues au hockey… tu manques un jeu facile (...) mais là nous autres, on le

regarde : « t’es bin fif! »… c’est con mais c’est ça. (Olivier)

Moumoune?… ah quand ‘mettons que… t’sais souvent on se tiraille parce que dins gars on

va se tirailler tout le temps, pis quand qu’y’en a un qui nous voit se tirailler : « ah, t’es

moumoune, tu peux pas te battre, t’es trop fif euh ». (Benoît)

En somme, les « fif », « moumoune », « tapette » et « gai » ciblent la nébuleuse de

l’efféminement dans tous les rayonnements de sa faiblesse, même lorsqu’elle n’est réfléchie que

dans l’image du féminin et de ses repères visuels. Ils en guettent et en circonscrivent les

impressions à la surface des hommes. Toutefois, bien qu’une liaison souterraine unisse

l’efféminement aux hommes homosexuels, on ne l’isole pas toujours d’emblée.

4.3 Les glissements sémantiques des épithètes vers les hommes gais

Cette association jaillit souvent indirectement ou inconsciemment, au détour de réflexions

ne s’attardant pas à la sémantique des termes. On la reconnaît notamment lorsque certains jeunes

hommes considèrent que les hommes gais sont justifiés de se sentir outrés devant leur usage :

« Si j’étais gai pis j’en entendrais un dire ça, j’partirais après, j’y crisserais une volée. » (Gabriel);

lorsque d’autres admettent une ambiguïté minimale en se corrigeant ou en se restreignant auprès

de personnes homosexuelles : « Je déteste un gars, j’y dis "sale fif", pis là je me retourne (y’a un

autre gars [gai]) "ah non, c’est pas ça que je voulais dire" »; ou encore lorsque des garçons

effectuent un glissement entre l’insulte et l’homosexualité :

Euh pour le waterpolo (petit rire)… j’arrête pas de me faire niaiser… y m’appellent euh

speedoman… (rires) pis y disent : « vous êtes toutes des gais qui se tripotent », c’est

comme ok… (Marc-André)

7 C’est ainsi que le répondant évoque une fois où il s’est fait traiter de « tapette ».

Page 12: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

11

Ça veut rien dire parce qu’y sait pas si je suis tapette ou non, parce que moi, j’suis pas

tapette, j’ai une blonde. Je m’habille chic, mon oncle y me niaise parce que y a beaucoup

d’homosexuels qui s’habillent de même. (Marco)

Néanmoins, quelques jeunes établissent un lien net entre la constellation des « fif » puis les

hommes gais. Ils voient soit une filiation minimale, circonstancielle, soit un lien absolu :

(…) fif c’est comme, bin t’agis comme les gais pis t’as un comportement de fille pis toute.

(Simon)

Fif? Ça veut dire comme homosexuel comme… comme euh… tendance féminine (…)

(Marc-André)

(…) Je sais qu’au primaire en troisième année, on se niaisait avec « gai » là. Pis là, c’était le

temps où ce que « gai », c’était comme « ahhh » (dégoût). (…) pis là, on disait gai #1, pis

gai #2. C’était dans le dictionnaire, y’avait gai genre « joyeux », pis « gai »… c’était

vraiment, c’était… stupide. (Julien)

L’ambivalence ne s’arrête pas à l’admission d’un lien, toutefois. Certains oscilleront encore

entre sa reconnaissance, son amenuisement et son déni, passant d’une position à l’autre. Ceci

traduirait non seulement une forme de malaise, mais également un attachement à l’emploi de ces

« formules » qui jouerait un rôle important dans le processus de socialisation entre pairs.

Tenaillés entre des attentes normatives condamnant l’expression de préjugés hétérosexistes et

d’autres appuyant l’affirmation d’une puissance masculine par le rejet de toute faiblesse

féminine, ces garçons adolescents responsabilisent les hommes gais de leur sensibilité aux

insultes :

(…) j’trouve pas que c’est quelque chose de méchant envers les gais parce que ça pas

rapport là. Peut-être le monde associe ça un peu à ça, mais t’sais c’est nous autres…

« fifs », j’pense pas que ça a un lien dans le dictionnaire avec euh… homosexualité là, c’est

pas parce que les « fifs » ont commencé à s’appeler « fifs » qu’on a pu le droit de dire le

mot « fif » même si ça a été inventé peut-être pour eux autres là ou je sais pas là. (Thomas)

Page 13: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

12

Je trouve qu’y’abusent un peu là. Si y se déterminent comme « fifs », c’est parce qu’y’ont

pas une bonne estime de soi. Que tu sois gai ok, que tu sois fier d’être gai ok, mais désigne-

toi pas comme « fif ». Fif, c’est plus… un autre truc. (Julien)

4.4 Les représentations des hommes gais

D’entrée de jeu, la plupart des répondants que nous avons rencontrés font emploi de

nuances lorsqu’ils décrivent l’homme gai. Ils affirment qu’il existe une diversité d’hommes gais,

ces derniers n’étant pas tous des efféminés. Nonobstant le fait que la contestation spontanée et

régulière de l’association entre homme homosexuel et efféminement signifie qu’on en reconnaît

la prépondérance parmi les représentations courantes qui circulent au sein de notre société,

certains jeunes hommes sont cohérents dans la distinction qu’ils effectuent.

D’autres, cependant, ne présentent pas la même cohérence, glissant finalement vers des

représentations effectuant un lien entre homosexualité et efféminement. Nous le voyons soit au

travers des corrections initiales, soit au cours d’associations subites et non sollicitées. Un jeune

homme peut donc affirmer une nuance et l’infirmer quelques moments plus tard :

(…) y’a du monde des fois que j’ai connu pendant cinq-six ans pis là, je savais pas [qu’ils

étaient gais], pis du jour au lendemain, j’sais qu’y sont gais, faique ça, je le savais pas…

y’en a d’autres qui ont vraiment l’air de s’habiller serré pis y’ont des manières féminines

sauf que tu vois qu’y le sont pas pis y’ont des blondes pis toute, faique ça, c’est bin

trompeur des fois. Tu peux pas te fier à ça. (Félix)

(…) t’sais un gars, tu peux savoir si y’est plus gai parce que y’est efféminé pis toute.

(Félix)

On confondra aussi les termes « fif » et « gai » après avoir spécifié qu’il n’existe pas de lien

obligatoire entre efféminement et homosexualité, et alors qu’on associe manifestement « fif » à

féminin :

Intervieweuse : Est-ce que certaines personnes vont avoir un genre « fif », ou un genre

« tapette » ?

Page 14: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

13

Ah c’est sûr là, c’est… t’sais habillé toute moulant genre avec la petite coupe vraiment

toute aplatie pis là, ça marche pis ça fait une démarche disons comme féminin vraiment…

(pause)… t’sais, ça veut pas dire qu’y l’est pour autant là.

Intervieweuse : T’en connais du monde autour de toi qui rentre dans ce genre là?

Bah pas vraiment non… bin j’ai un oncle, mais lui, y’est vraiment fif, faique… bin fif…

y’est gai. (Benoît)

(…) y’ont d’l’air fif… ça veut pas dire qu’y le sont vraiment là mais… (…)(Joël)

La confusion sémantique entourant le terme « fif » est fréquente. On l’utilise à la fois pour

désigner une personne homosexuelle et une personne efféminée. Ainsi, bien que l’on souligne

que les homosexuels ne sont pas tous « fifs », on peut parler d’une personne comme étant

« vraiment fif » ou « fif pour vrai » en faisant allusion à son orientation sexuelle et non à ses

comportements de genre. Ces glissements découlent possiblement du désir de paraître mesuré en

écho aux discours d’activistes homosexuels et d’alliés hétérosexuels s’appliquant à dissocier

homosexualité et efféminement. Ils sont peut-être également le résultat d’un conflit intérieur entre

une sincère volonté d’adhésion à ce principe et la persistance de l’impression intime que la

majorité ou la totalité des hommes gais possèdent des traits efféminés.

Tous ne s’exercent pas à la nuance. Quelques jeunes font d’emblée un parallèle entre les

hommes gais et l’efféminement, soit en critiquant la tentative de dissociation, soit en associant

homosexualité et confusion des genres : « Bin y disaient ‘non les gais sont pas efféminés pis

toute’. Moi, je dis qu’y sont toute un peu efféminés, ceux que j’ai vus, y’ont toute leur petit côté

là. » (Étienne). Par ailleurs, la connaissance de variantes possibles n’entame pas nécessairement

l’idée d’un substrat féminin. Elle la reconfigure ou la remodèle à la baisse :

(…) Y’ont plus de gènes féminins en eux, sont moins masculins là, on s’entend. Mais des

fois, je reste surpris genre au gym, y’en a un qui fait genre six pieds quatre, trois cents

livres, c’est une grosse brute là, y’a un gros pinch pis… tête rasée, y’arrive au bronzage pis

« salut » (petite voix efféminée). « Oh » (manifeste sa surprise), ça fesse me semble. T’sais

y’a d’l’air d’un gros dorman pis c’est un dentiste pis y’est gai. Ça fait bizarre. Moi, c’est

vrai, j’avais le stéréotype genre du gai gros de même (montre son petit doigt) pis habillé en

femme, t’sais, tout petit, mais t’en vois un gros thug arriver là, avec la petite voix…« ow »,

ça fesse. (Gabriel)

Page 15: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

14

Les propos sous-tendant un lien entre hommes gais et féminité peuvent être de plusieurs

ordres. Ils se manifestent lorsqu’on évolue dans l’ambiguïté du « fif », mais ils le font également

lorsqu’ils présument qu’un ami gai présenterait des comportements efféminés. Qui plus est, ils se

laissent deviner à travers le discours du « doute » où l’on estime possible de relever

l’homosexualité d’une personne lorsqu’on perçoit chez elle un ensemble d’indices qu’on relie à

l’efféminement. Corollairement, on peut exprimer de l’étonnement devant l’absence d’indices et

l’impossibilité du doute à l’endroit d’une personne homosexuelle en affirmant que « ça ne paraît

pas » : « (…) le chum du cousin à mon père, lui, y’est vraiment, j’sais pas comment dire ça (…)

y’est pas vraiment, pas de stéréotype des gais, mais y’est pas comme mettons : habillement serré

ou une voix un peu plus aiguë (…) dans le fond, moi, j’avais jamais pensé que lui était gai là »

(David). L’homme gai emprunterait aux femmes leurs formes d’agir et de paraître :

(…) les gais aussi, on dirait, sont plus féminins, me semble. T’sais, plus de la manière qu’y

marchent. Je dis pas que tous les gais sont de même. Mais la plupart là, que j’ai vus pis que

j’ai rencontrés là, c’est plus de la manière qu’y marchent, pis un petit peu de la manière

qu’y parlent aussi là. (…) c’est comme un très bon français (…) tu serais capable

d’entendre une fille parler avec lui pis t’entendrais les mêmes affaires, comme les mêmes

expressions, comme quasiment le même accent français. (…)(Maxime)

L’attribution de capacités et de formes d’être, cependant, est globalement plus subtile. On

la reconnaît au détour de commentaires et de réflexions indirectes, tout particulièrement lorsqu’il

y a comparaison avec l’homme « universel » ou hétérosexuel. Les plus saillants sont ceux reliés à

la nébuleuse de la faiblesse et de la non-agressivité, suivis des différences dans les activités et les

champs d’intérêt. Lorsque nous avons soumis l’affiche de Gai-écoute présentant deux joueurs de

hockey étant sur le point de s’embrasser, certains jeunes ont émis des réflexions sur l’incongruité

de voir des joueurs de hockey gais :

(…) un joueur d’hockey, ça se comporte comme plus agressif, alors tu te dis… tu penses

pas que ça se pourrait genre un gai qui serait agressif là mais… ouin… (Julio)

(…) d’habitude quand qu’on voit à TV des gars, des joueurs de hockey qui se plaquent pis

qui se tapent sur la gueule là, t’sais, pis la plupart des gais t’sais sont plus féminins, ça

lèvera pas tellement. J’sais pas, c’est bizarre là parce qu’un joueur de hockey me semble

Page 16: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

15

c’est masculin là. C’est fort, ça tape s’a gueule, ça shoote une rondelle, ça reçoit des

placages pis ça donne des placages, ça se fait des placages… j’sais pas. (Maxime)

En fait, nombreux sont les jeunes qui dissocient le sport contact de l’homosexualité. De

façon sous-jacente se manifeste l’impression que ce type d’activité, qui nécessiterait de bonnes

doses d’agressivité, de force, de robustesse et de « masculinité », serait contraire au caractère

essentiellement féminin – donc dépourvu des traits susmentionnés – des hommes homosexuels.

Ici, la féminité ou l’efféminement n’est pas un trait artificiel inscrit sur la superficie de l’homme

gai et dont il pourrait aisément se dépouiller pour participer à de telles activités, mais bien une

caractéristique intrinsèque qui le restreindrait d’emblée.

Corollairement au manque d’agressivité se trouve l’impression d’une certaine faiblesse

physique et psychologique devant l’épreuve. Exprimant les éléments qui l’ont amené à

soupçonner l’homosexualité de son cousin, Olivier affirme : « (…) c’est rare qu’un gars fait

jamais de sport. Y’a peur euh des affaires pis toute. (…) Bin y’a peur de faire du sport là t’sais

y’a peur de se faire mal ou quelque chose. (…) ». Cette faiblesse, la peur et l’appréhension

devant la possibilité de se faire mal, seraient surtout d’ordre psychologique. Des limites

physiques s’imposeraient également, mais elles ne sont jamais directement mentionnées. On y a

fait allusion plus tôt avec l’insuffisance de force et de robustesse pour la pratique de sports

contacts, mais on y réfère également en rapportant ce qu’on estime être l’opinion des autres :

[C’est] pas parce que c’est un gai qu’y peut pas boire de la bière, mais j’sais pas là t’sais,

y’en a qui perçoivent « ah, lui, y’est gai, y’est pas capable de faire ci, y’est pas capable de

faire ça », j’sais pas là, ya bin réussi dans’ vie là, y’est travailleur social pis y fait ce qu’y’a

à faire là.

Intervieweuse : Penses-tu qu’il y a quelques personnes qui pensent que les gais sont

généralement faibles un peu?

Bin c’est vrai que… j’sais pas là… tu peux voir un fif bin musclé pis toute comme tu peux

voir un fif faible là, comme tu peux voir un hétérosexuel bin musclé comme tu peux voir

euh, j’sais pas là, t’sais ça dépend de la personne là.

Intervieweuse : Plus de gais faibles que d’hétéros faibles?

Ça, c’est sûr là. C’est sûr que le monde pense plus qu’un gai, c’est… comme qu’on dit

qu’une fille, ça peut pas faire une affaire qu’un gars peut faire. En fin de compte,

Page 17: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

16

homosexuel aux yeux des gars, tu deviens plus féminin pis vu que t’es plus féminin, tu

peux pu faire ça, j’sais pas… (Hugo)

Au-delà du glissement sémantique reliant « fif » à homosexuel, le lien associant

l’homosexualité à l’efféminement aboutit éventuellement aux femmes, expliquant ainsi la racine

de leur faiblesse. On tempère d’abord en faisant valoir que l’ensemble des types sont présents

chez chaque orientation sexuelle, mais lorsque la proportion est soulevée, on reconnaît la

primauté de profils marqués : la faiblesse est plus prononcée du côté des homosexuels, sous-

tendant inversement la prédominance d’une force raisonnable chez les hétérosexuels.

Les caractérisations soulignées ici ne sont pas toutes intégrées de la même façon chez

l’ensemble des répondants. Certains professent une distance critique qui est respectée par la

cohérence unissant la totalité de leurs propos. C’est le cas notamment de Philippe qui partage sa

perplexité devant la construction d’un profil gai efféminé : « Mais c’est ça, mais ça revient

toujours aussi à dire que, y’associent ça aux filles, pis si le moindrement que le gars va se

rapprocher de la fille, bin y’est gai, t’sais... ». Tandis que d’autres, placés devant des scénarios

qu’ils n’avaient pas imaginés, s’ouvrent à la possibilité de leur existence. Il en va de même avec

les joueurs de hockey gais, par exemple, dont ils n’avaient pas soupçonné la présence, mais qu’ils

envisagent néanmoins lorsqu’une allusion est faite à ce propos : « Quand je regarde le hockey,

j’pensais pas que y’en a un entre eux qui pourrait être gai là t’sais… » (Julio).

En somme, le portrait de l’homme gai, avec ses nuances et ses fluctuations, se condense

néanmoins autour de la nébuleuse de la féminité. Parfois cosmétique, parfois caractérielle, elle

s’exprimerait chez une proportion significative – ou totale – d’hommes homosexuels. Derrière

des déclarations mesurées quant à l’étendue de ses manifestations persisteraient des

représentations de genre tenaces : la dissociation entre homosexualité et féminité n’est pas

achevée.

5. Analyse des usages des épithètes et des représentations des hommes gais

Un regard attentif sur les significations de cette nébuleuse d’épithètes nous indique qu’elles

comportent effectivement des nuances. Seulement, la plupart du temps, ces épithètes couvrent

trois champs sémantiques s’interpénétrant et se superposant : l’efféminement (pratiques de

Page 18: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

17

l’apparence et gestuelle), la faiblesse (crainte, vulnérabilité, couardise, soumission à l’autorité) et

– selon les propos de certains – l’homosexualité. S’il peut être d’abord affirmé que ceux qui

associent directement les épithètes aux hommes gais sont une minorité, les glissements

sémantiques opérés par ceux qui s’en défendent nous indiquent que ce lien est plus étendu qu’il

n’y paraît. Qu’il s’agisse de se « tromper » lorsqu’on utilise le mot « fif » ou « tapette » ou

« moumoune » alors qu’on fait référence à un homme gai; qu’il s’agisse aussi de spécifier que

quelqu’un n’est pas « fif », « tapette », « moumoune » « pour vrai »; ou qu’il s’agisse finalement

de mentionner d’abord que ces épithètes désignent la faiblesse et/ou l’efféminement, pour ensuite

associer cette dernière aux filles et aux hommes gais.

Si le seul examen des significations de cette gamme de termes ne nous permettait pas de

conclure sur l’étanchéité de la distinction entre les hommes gais et l’efféminement dans l’esprit

des jeunes garçons, notre exploration des représentations des hommes gais apporte des éléments

de plus à cette réflexion. Nous voyons d’abord que si ces représentations sont souvent les mêmes,

elles sont tout de même variées dans l’absolu. Certains associent les hommes gais fortement et

exclusivement à l’efféminement ainsi qu’à la faiblesse, certains moyennement et d’autres les

dissocient. Si quelques-uns de ce dernier groupe demeurent consistants à travers l’ensemble de

leurs propos, ce n’est pas le cas des autres. Encore une fois, un glissement sémantique fait passer

leur discours de la distinction à l’association, les faisant ainsi rejoindre subrepticement la

majorité de ceux qui rattachent l’efféminement et la faiblesse aux hommes gais.

Il est difficile de spéculer sur les intentions des garçons adolescents. Il demeure possible

que les associations entre les termes « gai », « tapette », « moumoune » et « fif », et homme gai

se fassent inconsciemment dans leur esprit. Une chose se confirme, cependant, c’est que malgré

les affirmations du contraire, un lien solide existe entre cette gamme d’épithètes et les hommes

gais. S’il n’est pas conscient, il est souterrain et indirect. S’il est conscient, il est direct, mais nié.

Le type de propos défensifs que certains produisent, néanmoins, est indicatif d’une absence de

préoccupation pour les implications des usages de l’insulte, laissant poindre chez eux la présence

de préjugés à l’endroit des hommes gais.

Page 19: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

18

En examinant les caractéristiques et les comportements que les termes « gai », « fif »,

« tapette » et « moumoune » désapprouvent et – à l’inverse – promeuvent chez les hommes, nous

voyons émerger un système normalisant et naturalisant les rapports femmes-hommes. Ayant en

leur cœur l’affirmation d’une force, d’une agressivité, d’une autorité, d’une invulnérabilité et

d’une puissance (virile), ces épithètes annoncent ce qui est valorisé et réservé aux hommes, puis

ce qui est en contrepartie non reconnu et déprécié chez les femmes. Si le refus de la passivité et

l’assise de sa volonté de pouvoir font un homme plutôt qu’une femme, c’est que ces postures ne

sont pas propres aux femmes, ou s’y retrouvent sous des formes atrophiées.

Qui plus est, nous voyons que l’affirmation d’un modèle ou d’une « nature » d’homme

« vrai » repose sur des pratiques de surveillance collective entre hommes, qui utilisent des

instruments dissuasifs ou punitifs tels que la gamme d’épithètes que nous avons examinée. Ces

pratiques construisent du coup une hiérarchie intramasculine au sein de laquelle les hommes

gais/efféminés occupent une position défavorisée. Par ailleurs, la recherche et l’affirmation d’une

« nature d’homme vrai » doivent être incarnées dans tout espace, impliquant d’une part les

hommes gais/efféminés, puis d’autre part les femmes, auprès desquelles les relations sensibles et

émotives sont souvent ridiculisées (Mac an Ghaill, 1994). Et si l’éruption de ces marques de

puissance est particulièrement forte chez plusieurs jeunes hommes adolescents, cela ne signifie

pas qu’elles soient ensuite désavouées chez les autres groupes d’âge. Elles demeurent latentes

sous la surface, puisque le statut d’homme adulte lui-même procure suffisamment d’autorité pour

pouvoir exercer sa volonté sans démonstration constante de la force.

Le système soutenant le modèle de masculinité hégémonique est tout en complexité et en

subtilité. Il est vrai que peu de garçons correspondent véritablement à l’idéal qu’il représente. De

même, la valorisation de l’agressivité, de l’autorité, de la puissance, de la prouesse physique et de

l’invulnérabilité n’est pas portée avec le même degré d’intensité d’un individu à l’autre, ce qui

refléterait d’ailleurs la réalité de nos entrevues. Un jeu habile se déploie selon les contextes où

l’on tangue du côté de l’ouverture au non-conventionnel, puis de celui du désaveu de la faiblesse

(Korobov, 2004; Martino, 1999, 2000; Nayak et Kehily, 1996). En outre, bien que ce système

intrahiérarchique en coûte à plusieurs, il n’est pas simplement répressif (Martino, 1999). Presque

tous les garçons y trouvent leur compte, d’autres personnes leur demeurant inférieures.

Page 20: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

19

Qu’il y ait une association entre les hommes gais et les femmes illustre l’ascendance de la

représentation de la complémentarité des sexes, ainsi que de l’hétérosexualité obligatoire à

laquelle cette dernière est soudée. À rebours, ceci signifie que le statut de « vrai » homme se doit

d’être travaillé et démontré par la manifestation d’intérêts ainsi que de pratiques (hétéro)sexuelles

avec des femmes, de même que par l’affirmation de pouvoir, d’agressivité, de force et

d’invulnérabilité. Il semblerait que hors ces relations intimes avec les femmes, la « nature »

d’homme s’étiolerait ou s’évanouirait. Qu’il y ait ensuite association entre les hommes gais, les

femmes et la faiblesse témoigne de la position de pouvoir que les garçons adolescents attribuent à

l’un et à l’autre sexe. Bien qu’en apparence, l’exhortation à la démonstration de force et à

l’affirmation d’une nature masculine à l’aide de la gamme des épithètes « gai », « fif »,

« moumoune » et « tapette » ne semble concerner que les hommes, elle touche directement les

femmes. Car non seulement l’affirmation de pouvoir se construit-elle à partir du personnage

« femme », mais elle annonce également le déploiement de certaines formes d’agir chez les

hommes. Formes d’agir qui ne supposent pas de suspension lorsque des femmes sont présentes.

Finalement, qu’il y ait dépréciation des hommes gais et des femmes révèle le système

hiérarchique et contraignant qui est à la base de cette complémentarité. Ce qu’on exhorte les

hommes à être, c’est ce qu’on demande aux femmes d’accepter dans leurs relations avec ces

derniers, puis c’est également, en matière d’agentivité et de force physique, ce qu’on suppose

qu’elles ne possèdent pas ou que très peu.

Si nous suivons la réflexion de Rubin (1975), les représentations mobilisées et constituées

par la pratique de ces insultes n’ont pas que des effets symboliques. Elles entraînent des

répercussions matérielles divergentes pour les hommes et les femmes. Elles contribuent à asseoir

la division sexuelle du travail, l’exploitation des femmes et l’appropriation de leur corps8. Le fait

que les insultes soient principalement utilisées par des garçons sur d’autres garçons et que

8 Nous considérons qu’elles « contribuent », plutôt que d’en être clairement « l’origine » parce que nous estimons

que déterminer si la matérialité précède l’idéologie ou si l’idéologie précède la matérialité correspond au dilemme de

l’œuf ou la poule. Ni l’une ni l’autre ne peut pleinement se constituer de façon isolée. Nous supposons donc qu’elles

se nourrissent et se consolident progressivement. Par ailleurs, les représentations et la matérialité n’agissent pas

seules. La recherche du statut de « vrai » homme par les garçons n’est pas supportée uniquement par les

représentations, mais également par les rapports matériels qui font en sorte que certaines représentations des hommes

soient dominantes. À titre d’exemple, les compagnies de production de vidéos de musique, possédées par des

hommes et dont les scénaristes, les réalisateurs et les cameramen sont principalement des hommes, diffusent des

images qui valorisent la masculinité hégémonique, réaffirment leur pouvoir et objectivent le corps des femmes.

Page 21: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

20

beaucoup d’entre eux soient réticents à s’ouvrir aux positions de faiblesse et de vulnérabilité que

représentent l’homosexualité et l’efféminement témoigne des avantages et des privilèges

symboliques et matériels qu’ils retirent de cette discipline de soi. Si les comportements dits

féminins étaient pleinement acceptés chez les garçons adolescents (et les hommes), les insultes

n’auraient plus aucun mordant et encore moins de pertinence. Puis plus en amont, si le statut des

garçons adolescents (et des hommes) ne dépendait pas en bonne part de l’acquisition et du

maintien d’une aura de puissance, la nébuleuse des formes de vulnérabilité ne serait pas si

vivement rejetée.

6. Conclusion

L’analyse que nous venons de compléter nous permet d’affirmer qu’il y a bel et bien un lien

entre les épithètes « gai », « tapette », « fif » et « moumoune », d’une part, et les hommes gais,

d’autre part. Si sa dénégation entre possiblement dans une stratégie de déni chez certains, ce lien

est minimalement présent à un niveau inconscient et souterrain. Les adolescents gais sont donc

justes lorsqu’ils se sentent concernés par les épithètes, dont le caractère prescripteur et les

blessures qu’elles entraînent consacrent l’attribut d’insultes.

Ce qui apporte une solidité à cette réponse est le fait que les principaux objets concernés par

la réflexion ont été examinés. En d’autres termes, nous n’avons pas statué sur le lien avec les

hommes gais sans également examiner ce qu’ils représentent aux yeux des garçons adolescents,

puis nous n’avons pas extrapolé sur les implications des sens relevés sans d’abord présenter quels

sont nos ancrages analytiques par rapport au sexisme et à l’hétérosexisme. Qui plus est, compte

tenu de la présence d’une désapprobation sociale des préjugés flagrants et des formes de

violences marquées, il importe d’être prudent lorsqu’on recueille et interprète les propos de

personnes présentant leurs perspectives sur un groupe opprimé. Sans douter systématiquement de

la bonne foi de ces personnes, nous devons porter une attention soutenue à l’ensemble de leurs

propos, et par extension, disposer de suffisamment de temps avec elles pour dégager les contours

des sujets qu’elles évoquent, au-delà des scénarios désirables qui leur sont connus et que

plusieurs d’entre elles soumettent initialement. Ceci vaut non seulement pour les positions

entretenues à l’endroit des personnes homosexuelles, mais également à l’égard de populations

immigrantes, de groupes racisés, de femmes et de pauvres – pour ne nommer que ceux-ci.

Page 22: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

21

L’exploration de notre sujet, s’il nous a permis de répondre à notre question de recherche, a

dégagé des pans que nous n’avons pu explorer. Tout d’abord, celui des relations entre l’usage des

insultes « gai », « tapette », « fif », « moumoune » par les garçons et leur faible usage par les

filles. Ou encore, celui de l’absence de parallèle chez les filles à l’endroit des lesbiennes et des

femmes dérogeant aux règles des conventions de genre. Si le mot « lesbienne » ou « lesbo » ou

« gouine » peut être lancé comme insulte, sa pratique n’est pas aussi répandue que celle des

épithètes que nous avons analysées.

Qui plus est, en cette époque où l’on est prompt à affirmer qu’il n’existe plus d’inégalités

dans les relations entre hommes et femmes au sein des nouvelles générations, il serait intéressant

d’aller examiner plus en détail les représentations que se font les garçons des femmes, de leurs

traits, de leurs attributs et de leur potentiel, étant donné qu’elles sont le levier par lequel ils

dévalorisent ceux d’entre eux qui s’en rapprochent. Et plus fondamentalement, il reste à explorer

ce que signifie la recherche de puissance aux yeux des garçons, s’ils sous-tendent que c’est ce

dont les filles sont dépourvues.

Page 23: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

22

7. Bibliographie

Adam, B.D. (1998). « Theorizing Homophobia », Sexualities, vol. 1, no 4, p.387-404.

Billig, M. (1991). Ideology and Opinions, Londres, Sage.

Brickell, C. (2001). « Whose ‘Special Treatment’? Heterosexism and the Problems with

Liberalism », Sexualities, vol. 4, no 2, p. 211-235.

Brickell, C. (2005). « The transformation of Heterosexism and its Paradoxes », dans Chrys

Ingraham (dir.), Thinking Straight: the Power, the Promise and the Paradox of

Heterosexuality, New York et Londres, Routledge, p. 85-108.

Burridge, J. (2004). « ‘I’m not Homophobic But…’ Disclaiming in Discourse Resisting Repeal of

Section 28 », Sexualities, vol. 7, no 3, p. 327-344.

Burn, S.M., K. Kadlec et R. Rexer (2005). « Effects of Subtle Heterosexism on Gays, Lesbians,

and Bisexuals », Journal of Homosexuality, vol. 49, no 2, p. 23-38.

Burn, S.M. (2000). « Heterosexuals’ Use of ‘Fag’ and ‘Queer’ to Deride One Another : A

Contributor to Heterosexism and Stigma », Journal of Homosexuality, vol. 40, no 2, p. 1-11.

Connell, R.W. (1987). Gender and Power: Society, the Person and Sexual Politics, Standford,

Standford University Press.

Connell, R.W. (1995). Masculinities, Berkeley et Los Angeles, University of California Press.

Connell, R.W. et J.W. Messerschmidt (2005). « Hegemonic Masculinity : Rethinking the

concept », Gender and Society, vol. 19, no 6, p. 829-859.

Émond, G. et J. Bastien Charlebois (2007). L’homophobie, pas dans ma cour!, Montréal, Gris-

Montréal.

Glaser, G.B. et A.S. Strauss (1967). The Discovery of Grounded Theory: Strategies for

Qualitative Research, Chicago, Aldine Publishing Company.

Grenier, A. (2005). Jeunes, homosexualité et écoles : Rapport synthèse de l’enquête exploratoire

sur l’homophobie dans les milieux jeunesse de Québec. Présenté au Groupe Régional

d’Intervention Sociale de Québec (GRIS-Québec), Québec.

Guillaumin, C (1992). Sexe, Race et Pratique du pouvoir: L’idée de Nature, Paris, Côté-femmes

éditions.

Haaga, D.A.F. (1991). « Homophobia? », Journal of Social Behavior and Personality, vol.6, no 1,

p. 171-174.

Herek, G.M. et J.P. Capitanio (1999). « Sex Differences in How Heterosexuals Think About

Lesbians and Gay Men: Evidence From Survey Context Effects », Journal of Sex Research,

vol. 36, no 4, p. 348-360.

Kite, M.E. et B.E. Whitley Jr. (1998). « Do Heterosexual Women and Men Differ in their

Attitudes Toward Homosexuality? A Conceptual and Methodological Analysis », dans G.

Page 24: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

23

Herek, Stigma and Sexual Orientation: Understanding Prejudice Against Lesbians, Gay

Men, and Bisexuals, Thousand Oaks, Sage, p. 39-61.

Korobov, N (2004). « Inoculating Against Prejudice: A Discursive Approach to Homophobia and

Sexism in Adolescent Male Talk », Psychology of Men and Masculinity, vol. 5, no 2, p.

178-189.

Kosciw, J.G. et E.M. Diaz (2006). The 2005 National School Climate Survey : The Experiences

of Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Youth in Our Nation’s Schools, New York,

GLSEN.

Mac an Ghaill, M. (1994). The Making of Men, Buckingham, Open University Press.

Martino, W. (1999). « ‘Cool Boys’, ‘Party Animals’, ‘Squids’ and ‘Poofters’: Interrogating the

Dynamics and Politics of Adolescent Masculinities in School », British Journal of

Sociology of Education, vol. 20, no 2, p. 239-263.

Martino, W. (2000). « Policing Masculinities: Investigating the Role of Homophobia and

Heteronormativity in the Lives of Adolescent School Boys », The Journal of Men’s Studies,

vol. 8, no 2, p. 213-236.

Martino, W. et M. Pallotta-Chiarolli (2003). So What’s a Boy ? : Adressing Issues of Masculinity

and Schooling, Philadelphia, Open University Press.

Martino, W. et M. Pallotta-Chiarolli (2005). Being Normal is the Only Way to Be: Adolescent

Perspectives on Gender and School, Sidney, University of New South Wales Press.

Nayak, A. et M.J. Kehily (1996). « Playing it Straight: Masculinities, Homophobias and

Schooling », Journal of Gender Studies, vol. 5, no 2, p. 211-230.

Otis, J., B. Ryan et M. Bougon (2005). État de santé psychologique et facteurs associés chez les

personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres. Rencontre sur la santé et le bien-

être des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres, Coalition Santé arc-en-ciel

Canada, Montréal, 9 juin 2005.

Pascoe, C. J. (2005). « ‘Dude, You’re a Fag’: Adolescent Masculinity and the Fag Discourse »,

Sexualities, vol. 8, no 3, p. 329-346.

Peel, E. (2001). « Mundane Heterosexism: Understanding Incidents of the Everyday », Women’s

Studies International Forum, vol. 24, no 5, p. 541-554.

Plummer, D.C. (1999). One of the Boys: Masculinity, Homophobia and Modern Manhood, New

York, Londres et Oxford, Harrington Park Press.

Plummer, D.C. (2000). « The Quest for Modern Manhood: Masculine Stereotypes, Peer Culture

and the Social Significance of Homophobia », Journal of Adolescence, vol. 24, no 1, p. 15-

23.

Rich, A. (1993). « Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence », dans H. Abelove, M.A.

Barale et D.M. Halperin (dir.), The Lesbian and Gay Studies Reader, New York, Routledge,

p. 227-254.

Rubin, G. (1975). « The Traffic in Women: Notes on the ‘Political Economy’ of Sex », dans R.R.

Reiter (dir.), Toward an Anthropology of Women, New York et Londres, Monthly Review

Press, p. 157-210.

Janik
Note
Accepted définie par Janik
Janik
Note
Unmarked définie par Janik
Page 25: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

24

Rubin, H.J. et I.S. Rubin (1995). Qualitative Interviewing: The Art of Hearing Data, Thousand

Oaks, Sage.

Sears, J.T. (1997). « Thinking Critically/Intervening Effectively About Homophobia and

Heterosexism », dans J.T. Sears et W.L, Williams (dir.), Overcoming Heterosexism and

Homophobia, New York, Columbia University Press.

Simoni, J.M. (1996). « Pathways to Prejudice: Predicting Student’s Heterosexist Attitudes With

Demographics, Self-Esteem, and Contact With Lesbians and Gay Men », Journal of

College Development, vol. 37, no 1, p. 68-78.

Strauss, A et J. Corbin (1994). « Grounded Theory Methodology : An Overview », dans N.

Denzin et Y. Lincoln (dir.), Handbook of Qualitative Research, Thousand Oaks, Sage, p.

273-285.

Van Dijk, T.A. (1991). « Discourse and the Denial of Racism », Discourse and Society, vol. 3, no

1, p. 87-118.

Williams, T. et al. (2005). « Peer Victimization, Social Support, and Psychological Adjustment

of Sexual Minority Adolescents », Journal of Youth and Adolescence, vol. 34, no 5, p. 471-

482.

Page 26: Bastien Charlebois 2009 Insultes ou simples expressions Les déclinaisons de gai dans le parler des garçons adolescents

Insultes ou simples expressions? Les déclinaisons de « gai » dans le parler des garçons

adolescents

25