BabayagaTa-Marc Le thanh Rbecca DautremerEditions Gautier
Languereau, 2003.
Babayaga navait quune seule dent.Et cest probablement cela qui
lavait rendue si mchante. Ds son plus jeune ge, elle dut subir les
moqueries de ses camarades, et personne, pas mme Papayaga et
Mamayaga, ne pouvait la consoler. Malgr tout, elle voulait
ressembler aux autres enfants et apprit siffler, mentir, roter, et
surtout, mcher avec une seule dent. Pour sentraner, elle mangea un
chien Ouaouayaga car au fond, elle naimait pas vraiment les animaux
(sauf en ragot)
Mais les enfants se moquaient toujours et Babayaga devint
mchante. Le temps passait et Babayaga se sentait trs seule. Comme
elle avait une dent contre les autres enfants, elle en mangea
quelques-uns. Elle trouva a plutt goteux et dcida de devenir
ogresse (au grand dsespoir de Papayaga et de Mamayaga qui la
chassrent dans une fort de tnbres, loin du foyer familial). Elle ne
resta en bons termes quavec sa sur Cacayaga qui, pour des raisons
obscures, avait dcid de changer de nom. Babayaga navait aucun ami
et tous, dans son dos, lavaient surnomme
Gagayaga. Logresse devint encore plus mchante.
Devenue une vieille femme, Babayaga continuait de manger les
enfants : tartes aux mouflets, rtis de mmes aux citrons confits,
boudins de mioches aux olives, lardonsheuaux lardons. Elle ouvrit
alors un restaurant :
Au bambin qui rissole.En ogresse de got, elle avait porte une
attention toute particulire la dcoration de sa maison. Mais
personne ne vint, et cest l quelle devint vraiment, mais vraiment
mchante.
Un jour o la vieille ogresse navait rien se mettre sous sa dent,
elle sadressa sa sur Cacayaga quon appelait dsormais Martre. Cette
dernire stait marie avec un gars du pays, veuf et pre dune fillette
nomme Miette.
Miette tait jolie comme un cur,Martre jolie comme un pou. Martre
dtestait Miette. Aussi quand sa sur la contacta, elle dcida den
profiter pour se dbarrasser de lenfant. Un beau matin, elle prit sa
voix la plus mielleuse et lui demanda daller chez sa sur chercher
du fil et une aiguille pour lui coudre une chemise.
La fillette souponna vite sa belle-mre de prparer un mauvais
coup, mais Martre insista tant quelle dut se mettre en route.
En sortant de chez elle, elle buta contre un crapaud. Il tait si
mignon quelle lembrassa. Le crapaud se transforma aussitt en
crapaud qui parle : Tu as eu raison de membrasser. Pour te
remercier, laisse-moi te mettre en garde : je devine que tu ten vas
chez Gaga heu Babayaga. On raconte bien des choses sur cette
crature : cest une ogresse raffolant de chair frache, qui vit dans
une isba reposant sur des pattes de poulets. Elle se dplace dans un
mortier et efface ses traces avec un vieux balai ; on dit mme
quelle a deux dents, mais a reste vrifier. Mais, voyant la petite
fille plir, il tenta de la rassurer : Jai aussi entendu dire quil
est recommand celui qui va sur le chemin de la fort de tnbres de se
munir dun ruban, dun pot de graisse, de deux crotes de fromage et
dun morceau de lard. - Ecoute, crapaud, lui rpondit Miette, ne
prenons pas le moindre risque. Je partirai rejoindre ma tante
logresse avec tout cela dans un sac, aussi trange que cela puisse
paratre. Elle retourna rapidement chez elle pour se munir de tous
ces objets. Et cest ainsi que la fillette prit le chemin de la fort
de tnbres. Au bout dune longue marche, elle se retrouva face la
sinistre demeure de Babayaga. Miette frissonna et passa le portail
grinant. Elle frappa trois petits coups la porte et Babayaga lui
ouvrit. Mais contrairement ce quelle attendait, laccueil fut
chaleureux. Sa tante sempressa de lui ter son manteau. Miette sera
son sac contre sa poitrine. Comme ta visite me comble de joie, mon
lapin ! Laisse-moi te dbarrasser de ce sac ; ce que peux-tu donc
transporter de si prcieux ? Ce ne sont que quelques jouets, ma
tante , lui rpondit Miette.
Elle remarqua alors un filet de bave courant sur le menton de la
vieille ainsi quune lgre lueur de cruaut dans ses yeux jaunes.
Quand Miette lui murmura les raisons de sa visite, Babayaga
rpondit : Rien ne presse mon cur, je vais te chercher ce dont tu as
besoin, et je vais aussi te faire couler un bon bain chaud. Miette
resta seule en rflchissant ce quelle pourrait bien faire pour
savoir la vie sauve. Tout dans la pice lui inspirait mfiance : une
guitare deux cordes, une encyclopdie des verrues, une moulinette
poireaux, un pyjama en velours ctel, une gigantesque peau de koala
ray et une collection impressionnante de brosses dents. Visiblement
Babayaga navait besoin de rien. La vieille tante revint : Ton bain
est prt, mon poussin.
Miette tenta sa chance : Un peu de lard, ma tante ? Pas de
rponse. Une petite crote, peut-tre ?
Babayaga sortit chercher le fil et laiguille en haussant les
paules.
Miette se glissa alors discrtement dans la salle de bain. Mais
en sapprochant de la baignoire, elle saperut avec horreur qu sa
surface flottaient des morceaux de carottes, de patates et de
petits navets. La fillette tait si terrifie quelle attrapa le
hoquet.
Il tait temps de filer, et au plus vite !
En sortant de l apice, elle aperut un chat noir et dcharn. Il la
fixait mchamment de ses yeux verts perants. Lentement, il fit
jaillir ses griffes une une dans une srie de claquements
mtalliques. Miette eut peur quil ne lui crve les yeux. Elle fouilla
dans son sac et en sortit le ruban. Le chat continuait
davancer.
Elle refouilla et trouva le pot de graisse. Le chat tait
maintenant quelques mtres. Elle refouilla et finit par mettre la
main sur le morceau de lard. Elle le jeta au chat qui le goba dun
coup sec. Rassasi, il sallongea sur le dos en ronronnant. Miette
sapprocha et lui gratta le ventre. Le minet se racla la gorge :
Fameux , le bout de gras ! Y a bien longtemps que jen avais pas
senti lodeur ! Je te dois quelque chose Attrape donc ce peigne et
cette serviette, et foi de matou, ils taideront dans ta fuite. Il
nen dit pas plus et Miette continua sa route.
Elle se retrouva aussitt nez nez avec deux chiens pouilleux et
cumant de haine : On ta vue causer avec mssieur Chat ! Tes faite
comme un rat ! Aussi vrai qudeux et deux font cinq, les amis dnos
ennemis sont nos ennemis ! Cette fois, la fillette prit tout de
suite son sac par le fond et en dversa le contenu sur le sol. Les
chiens reniflrent le pot de graisse, puis ddaignrent le ruban pour
se jeter comme des goinfres sur les crotes de fromage.
Miette reprit sa fuite.
En traversant le jardin, la fillette se retrouva face un immense
saule. Le vent sifflant dans ses branches semblait lui murmurer :
Inutile de fuir Miette, tu ne passsssssseras pas : Miette ne
pouvait faire un pas de plus sans se faire agripper par les
branches menaantes. Elle prit alors le ruban et les noua
solidement.
La voie tait de nouveau libre.
Miette se dirigea vers la sortie o lattendait le grand portail
grinant. Elle poussa dessus de toutes ses forces pour essayer de
louvrir. Elle nentendit que des grincements qui semblaient la
prvenir :
Grr, crouic,tu nas pas entendu ce que te disait le saule,
grrrr,
crouic,
tu ne passeras pas, grrr... Elle se servit alors de la graisse
pour huiler les gonds du portail et parvint sortir. Mais Babayaga
stait aperue de sa disparition. Elle sortit de sa maison en
grondant : Tu as oubli ton fil et ton aiguille, ma cocotte ! Puis
se tournant vers le chat, les chiens, le portail et le saule :
Bande de sales tratres ! Vous avez laiss filer mon repas ; ds mon
retour, il vous en cuira ! Seul le saule risqua un timide : Pas
fait exprs... Miette prit ses jambes son cou. Babayaga se lana sa
poursuite.
Miette filait ventre terre. Mais bientt elle sentit sur sa nuque
le souffle brlant de Babayaga qui la talonnait. Elle sortit la
serviette que lui avait donne le chat et la mit sur sa tte. Rien ne
se passa. Elle la noua autour de sa taille... ... de sa jambe. ....
de son bras. Rien ne se passa et Babayaga approchait. De dpit,
Miette jeta la serviette au sol. Cest alors quelle se transforma en
une large rivire qui stoppa net logresse. Babayaga poussa un
hurlement terrible. Elle courut chercher ses deux bufs qui se
prlassaient dans un champ. Ils taient les seuls ne pas lavoir
trahie mais, parce quils avaient travaill dur toute la journe, ils
taient puiss. Double ration de foin, si vous buvez leau de cette
rivire ! Inutile de le rpter deux fois : les deux bufs taient
gourmands. Leau fut bue, les bufs repus : Babayaga put continuer sa
course. Mais Miette ne voulait pas se laisser surprendre de
nouveau. Elle saisit le peigne que lui avait donn le chat et, au
moment o logresse fondait sur elle, le jeta au sol. Une fort
immense et dense se dressa alors devant logresse, lempchant de se
saisir de la fillette. Babayaga tait furieuse et gronda travers les
branches : Que va dire Martre quand elle te verra revenir les mains
vides ? Elle sera due et elle te punira !
Mais Miette sen moquait bien car elle savait quelle venait
dchapper Babayaga, la terrible ogresse.
Miette atteignit enfin sa maison, puise mais saine et sauve.
Elle conta ses msaventures son pre qui se saisit aussitt de son
gourdin et chassa sa mauvaise femme : Jaurais d me mfier de toi ;
avec un nom pareil, jaurais d me mfier ds le dbut ! Martre senfuit
sans demander son reste. Miette se blottit alors dans les bras de
son papa et sa terrible aventure ne fut plus quun mauvais souvenir.
Le lendemain, la fillette rencontra le crapaud bavard, elle le
remercia de son aide et lembrassa une nouvelle fois : ce crapaud
tait dcidment trop mignon ! Dans son repaire, Babayaga tait
furieuse. Une fois de plus, un petit enfant stait montr bien plus
malin quelle. Le ventre norme de logresse laissa chapper un
sinistre gargouillement. Elle fit grincer sa dent.
Babayaga avait toujours faim.