-
Monsieur Philippe Steiner
Vilfredo Pareto et le protectionnisme : l'conomie
politiqueapplique, la sociologie gnrale et quelques paradoxes.In:
Revue conomique. Volume 46, n5, 1995. pp. 1241-1262.
AbstractPareto's position on protectionism has many facets but
this paper shows that his position contains insighfull analytical
ideas.Alongside his papers on pure international econo-mics, Pareto
was a polemist fighting against the modern plague (protectionism)
by the spread of the liberal doctrine. In the early 90' he was
dissatisfied with this and he tried to understand whyprotectionism
was expanding. In doing so, he gave one of the first study of the
paradox of collective action in the second volumeof his Cours
[1897]. In his Trattato di sociologia gnrale, he developped a new
paradox first raised in his Manuale : because ofthe links between
economic and social events, a sub-optimal deci-sion (protectionism)
in a sub-optimal situation can,paradoxically, lead to a better
situa-tion.
RsumLa position de Pareto face au protectionnisme est complexe
en raison des dif-frents points de vue qu'il adopte au cours de
satrajectoire intellectuelle ; mais l'article montre que ses
rflexions sur ce sujet sont riches et analytiquement nova-trices.
Au-delde ses travaux d'conomie pure, il se fait polmiste pour
diffuser les saines doctrines librales de faon faire reculer la
peste protectionniste. Mais cette attitude ne satisfait pas
pleinement l'auteur qui, au dbut des annes 1890, s'efforce de
comprendrele maintien d'une telle politique conomique. cette
occasion, il donne, ds le Cours (1897), une des premires
formulations duparadoxe de l'action collective. Par la suite, avec
le Trait de sociologie gnrale, // dveloppe l'objection qu'il s'tait
faite lui-mme dans le Manuel : en raison des interactions
socio-conomiques, une mesure sous-optimale dans un tat de socit
sous-optimal peut, paradoxalement, produire une amlioration de
l'tat de socit.
Citer ce document / Cite this document :
Steiner Philippe. Vilfredo Pareto et le protectionnisme :
l'conomie politique applique, la sociologie gnrale et
quelquesparadoxes. In: Revue conomique. Volume 46, n5, 1995. pp.
1241-1262.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1995_num_46_5_409732
-
Vilfredo Pareto
et le protectionnisme
L'conomie politique applique, la sociologie gnrale et quelques
paradoxes
Philippe Steiner
La position de Pareto face au protectionnisme est complexe en
raison des diffrents points de vue qu'il adopte au cours de sa
trajectoire intellectuelle ; mais l'article montre que ses
rflexions sur ce sujet sont riches et analytiquement novatrices.
Au-del de ses travaux d'conomie pure, il se fait polmiste pour
diffuser les saines doctrines librales de faon faire reculer la
peste protectionniste. Mais cette attitude ne satisfait pas
pleinement l'auteur qui, au dbut des annes 1890, s'efforce de
comprendre le maintien d'une telle politique conomique. cette
occasion, il donne, ds le Cours (1897), une des premires
formulations du paradoxe de l'action collective. Par la suite, avec
le Trait de sociologie gnrale, // dveloppe l'objection qu'il s'tait
faite lui-mme dans le Manuel : en raison des interactions
socio-conomiques, une mesure sous-optimale dans un tat de socit
sous-optimal peut, paradoxalement, produire une amlioration de
l'tat de socit.
Classification JEL : B13, B31
E non parlo solo dlia protezione doganale, ma dlia protezione
sotto tutte le sue forme, dal socialismo al militariursmo! Eppure
il pericolo li. L'uomo ehe sapr fare la storia naturale di quella
rea peste, ehe ci mos- trer le condizioni favorevoli al suo
sviluppo, come i popoli la subiscono, come vi sia chi in buona fede
non ne scorge le magagne, quell' uomo avr recato un utile
grandissimo al gnre umano [Pareto 1960, 1, lettre du 25 XII 1891
Maffeo Pantaleoni].
Dans ses premiers crits conomiques, Vilfredo Pareto dfend avec
pret la validit thorique et pratique du libralisme en matire de
commerce international. On sait que ce point particulier de la
science conomique a servi de mot d'ordre et de pierre de touche aux
libraux europens du XIXe sicle, et la ligue de Cobden en Angleterre
a t le point de rfrence en la matire. F. Bastiat s'en est
directement inspir pour mettre ses qualits de polmiste au service
d'un mouvement qu'il dsirait comparable celui de l'Anti Corn Law
League.
* ENS Fontenay-Saint-Cloud, 31, avenue Lombart, BP 81, 92260
Fontenay-aux- Roses Cedex.
1241
Revue conomique N 5, septembre 1995, p. 1241-1262.
-
Revue conomique
Au dbut de sa carrire, Pareto a, sans aucun doute, t dsireux
qu'un mouvement analogue se produise en Italie comme le montrent sa
correspondance1 et nombre de ses premiers crits. Toutefois, ce
point de dpart, en grande partie polmique, de l'uvre de Pareto ne
nous intressera ici que comme entre en matire : il s'agira plutt de
voir comment, face la monte du protectionnisme en Europe partir de
la fin des annes 1880, Pareto va ragir pour contenir cette vritable
peste . D'autres avant lui, et nous pensons tout particulirement
J.-B. Say, avaient ds le dbut du sicle esquiss une prise en compte
du dcalage entre la suprmatie thorique du libre change et la ralit
pratique du protectionnisme. D'autres, au mme moment que l'auteur^,
continuaient mettre leur plume au service de la noble cause bafoue
; d'autres encore dsespraient3. Sans vouloir trop accentuer
l'antithse, l'originalit de Pareto tient au fait qu'il s'est efforc
de penser les raisons d'un tel hiatus entre la thorie et la ralit
conomique.
Cet effort qui dbouche sur des dveloppements analytiques
importants va nous occuper ici car, outre son intrt spcifique,
cette question - au moins lorsqu'il s'agit de Pareto - a t peu
aborde ou mal comprise. De par son volution et son ampleur, l'uvre
de Pareto n'entre pas facilement dans nos catgories
institutionnelles, aussi ses prises de position sont parfois mal
interprtes et considres trop rapidement comme contradictoires (cf.,
par exemple, L. Gomes [1990], p. 63), ou bien leurs particularits
sont renvoyes la psychologie de leur auteur (cf. par exemple T.
Hutchison [1953], p. 216 ; B. Valade [1990], p. 37). Nous allons
montrer, en nous centrant sur l'aspect analytique de l'effort
partien - et donc en dlaissant le travail de comparaison d'avec ce
que disaient les contemporains que sa position n'est pas
idiosyncratique et que, non seulement, elle est dote d'une forte
consistance, mais qu'elle est thoriquement intressante puisqu'elle
dbouche sur une formulation prcise du paradoxe de l'action
collective en matire du bien public que constitue le libre- change.
Finalement, nous verrons que cela ne sera pas le dernier mot de la
rflexion de Pareto qui sera amen dpasser ce point de vue conomique
dans sa sociologie gnrale pour donner une formulation synthtique
(au sens prcis que Pareto donne ce terme, c'est--dire de rflexion
rassemblant les analyses dveloppes titre de premires approximations
par les sciences spciales) et dynamique du problme. Il aboutit un
nouveau paradoxe selon lequel une mesure sous-optimale, introduite
dans un tat de socit sous-optimal, peut entraner une amlioration de
l'tat de la socit.
1. Si j'en avais les moyens, je voudrais publier par milliers
des opuscules brefs, clairs et prcis comme ceux du Cobden Club pour
faire savoir aux Italiens comment ils sont scandaleusement dpouills
par leurs gouvernants (Pareto [1975], lettre Cola- janni du 31 XII
1891) ; voir aussi les lettres Pantaleoni du 25 IV et du 7 X 1891
ou, plus tardivement, la lettre Antonucci du 7 XII 1907 (Pareto
[1975], p. 613) ; voir aussi la correspondance rassemble par G.
Busino [1989].
2. Comme, par exemple, Y. Guyot [1905] ; sur cette question et
pour ce qui concerne la France, voir le travail de J. Ravix
[1991].
3. C'est le cas de H. Spencer - une des sources laquelle Pareto
a puis dans sa jeunesse et qu'il reniera plus tard dans son ouvrage
de 1884 et dans l'ouvrage conclusif des Principles of Sociology
(Spencer [1896], 141, 187, 189-193, etc.) ; sur ce point, voir
l'ouvrage de J.D.Y. Peel ([1971, p. 204 et suiv.]).
1242
-
Philippe Steiner
LA SUPRMATIE DU LIBRE-ECHANGE ET L'ORIGINE DE LA PROTECTION
Aprs avoir critiqu, ds 1887, la mise en place du nouveau tarif
douanier italien en montrant son caractre protecteur plutt que
fiscal et les aberrations doctrinales (la balance du commerce) et
pratiques sur lequel il repose, Pareto va s'employer en dnoncer les
effets dltres dans les annes qui suivent. Le rappel lancinant des
principes libraux, le dploiement d'une verve dialectique destine
pourfendre ce qu'il considre comme les pseudo-arguments des
protectionnistes, sont accompagns par des investigations
statistiques destines prouver par les faits la validit du rejet des
contraintes douanires. Premirement, il se saisit des statistiques
du commerce extrieur italien pour faire voir qu' la suite de la
mise en place du nouveau tarif douanier italien entre la France et
l'Italie, ce dernier pays voit chuter ses exportations et se
dgrader le solde de sa balance commerciale (Pareto [1890-1893], p.
42, 114 et suiv.). Il poursuit dans cette direction en faisant
progressivement1 le lien entre la mise en place du tarif protecteur
et la crise qui affecte l'conomie italienne au dbut des annes 1890
(Pareto [1891], p. 112). Deuximement, Pareto tablit le budget d'une
famille florentine modeste de faon chiffrer le cot du
protectionnisme pour une famille populaire italienne et montrer,
par comparaison avec des budgets anglais, la lourdeur de ce
prlvement en Italie et son effet nfaste sur le niveau de vie
italien. Troisimement, il utilise les statistiques fiscales de la
Saxe pour montrer que des mesures radicales visant plafonner
autoritairement les revenus et redistribuer l'excdent ceux qui sont
moins riches, ne procureraient ces derniers qu'une amlioration
relativement mdiocre de leurs revenus et, surtout, que le cot de la
protection est, pour le peuple, quasiment identique au gain que
permettrait cette redistribution.
En prenant ce rle de champion du libre-change, Pareto a
nettement conscience de poursuivre une uvre commence bien avant lui
par les J.-B. Say, F. Bastiat, G. de Molinari, etc., pour ne citer
que quelques auteurs francophones dont le nom est fameux sur ce
champ de batailler . H n'est donc pas tonnant de
1. Dans un premier temps, Pareto ([1889], p. 20) se montre rserv
sur cette liaison en raison de l'interdpendance des faits
conomiques. Toutefois, il perd rapidement de vue ses propres
rserves mthodologiques et, sur la base de comparaisons statistiques
limites (quatre six annes seulement), il conclut ensuite
l'existence d'un lien causal entre le tarif protectionniste et la
crise conomique, en ngligeant un peu lgrement le fait que la crise
ne touche pas seulement l'Italie.
2. Sans doute s' inspire- t-il de la mthode de Le Play - la
monographie de familles dans laquelle il voit un outil pour
atteindre la vrit (Pareto [1896-1897], 388, [1900a], p. 182 ;
[1916], 2234).
3. Pareto donne alors de l'importance cet aspect des choses.
Ainsi, il crit Pantaleoni (Pareto [1960], I, p. 131 ; lettre du 25
XII 1891) qu'en dpit de tout le respect qu'il a pour Walras il
tient l'uvre de Molinari comme la meilleure lorsqu'il s'agit de
combattre le protectionnisme. Et si, dans sa correspondance avec
Walras (Pareto [1975], p. 162, 166 ; lettres des 6 et 21 IX 1891),
il reste mesur, en se contentant de dclarer que son intrt porte
surtout sur l'application de l'conomie pure, il crit alors plus
nettement Pantaleoni : Avec tout le respect que j'ai pour Walras,
il me semble que si, dans son enseignement Lausanne, il avait
combattu le protectionnisme, il aurait fait uvre plus utile qu'en
donnant une dmonstration plus ou moins rigoureuse de l'quilibre de
march lorsque le prix s'lve avec la demande .
1243
-
Revue conomique
constater que Pareto, titre de polmiste, se met explicitement
dans la ligne de F. Bastiat1 et ainsi qu'il considre le
protectionnisme comme une forme de la spoliation - c'est--dire une
acquisition de bien obtenue par la force ou la ruse et non par le
travail - et qu' titre de spoliation mise en uvre grce la loi,
Pareto l'associe au socialisme, comme Bastiat l'avait fait ds 1849.
Il n'est pas non plus tonnant de constater que Pareto suit les
libraux franais dans les propositions qu'il assortit sa
condamnation des mesures protectionnistes. Ainsi, il conclut
l'article de 1892 sur une note d'optimisme que Say, Bastiat ou les
hommes des Lumires n'auraient pas renie :
Les traits de commerce sont destins disparatre quand le progrs
des connaissances conomiques, des murs et de la moralit, aura fait
triompher la libert du commerce. Alors on regardera nos droits
protecteurs actuels comme nous considrons les pages et les autres
exactions que les seigneurs du moyen ge imposaient aux marchands
qui par malheur passaient auprs des manoirs fodaux. Et nos traits
de commerce seront regards comme une attnuation des injustices de
notre sicle, ainsi que les sauf-conduits l'taient de celles qui se
commettaient autrefois. Les unes et les autres doivent disparatre
avec les pratiques spoliatrices qui les rendaient ncessaires.
(Pareto [1892], p. 80-81.)
Lorsqu'il s'engage dans cette voie, Pareto part avec un handicap
considrable vis--vis des matres franais en la matire. Prcher pour
une pdagogie base sur la connaissance de l'conomie politique ou
pour une action appuye sur les intrts des consommateurs suppose une
belle foi dans l'efficacit des Lumires et cette foi-l Pareto ne la
partage pas avec les deux libraux franais de la premire moiti du
sicle2. Mais, surtout, au-del des positions de principe sur
l'impact de la science sur la socit, Pareto considre qu'il faut
affronter sans dtour le problme pos par la permanence des manuvres
protectionnistes-spoliatrices qu'une minorit exerce sur la majorit,
alors mme que les libraux se sont employs diffuser le savoir
conomique. C'est sur ce point qu'il convient de suivre Pareto pour
saisir l'volution de sa pense.
Sans revenir sur la dmonstration formelle de l'quilibre du
commerce international (Pareto [1895a], [1896-1897], 294, 856), il
faut rappeler comment est analys le commerce dans le cadre de la
premire approximation qu'est l'conomie pure :
Le commerce transforme les biens conomiques dans l'espace et
dans le temps. L divise ces biens et les distribue aux diffrents
consommateurs (commerce de dtail). Enfin, par le marchandage et la
spculation, il contribue tablir l'quilibre conomique. Comme toute
marchandise, pour tre consomme, doit tre mise notre porte, le
commerce n'est
1. Par exemple, Pareto ([1895b], p. 225) en concluant son
article -dont le titre est celui-l mme qu'avait employ Bastiat
[1849] - crit : Ce rsultat que nous fournit la statistique [fiscale
de la Saxe PS] est important. Il complte utilement le pamphlet de
Bastiat sur le socialisme et le communisme . Cela, outre la reprise
du terme et du thme de la spoliation dvelopps par Bastiat [1848a,
1848b, 1850], n'est bien sr pas la seule rfrence au polmiste
franais (par exemple, Pareto [1887], p. 15-16, 19 ; [1890-1893], p.
50-52 ; [1902-1903], IL p. 52-54, etc).
2. Que cela soit imputable la complexion psychologique de M.
Vilfredo Pareto ou (non exclusif) l'esprit fin de sicle ne nous
importe pas ici ; on trouvera dans le Trait [cf. 2016] la faon dont
Pareto explique cette situation.
1244
-
Philippe Steiner
qu'une des phases de la transformation des biens conomiques, non
moins importante ni moins essentielle que celle dans laquelle les
objets subissent des changements matriels, et laquelle on a rserv
le nom de production. (Pareto [1896-1897], 844.)
En consquence de cette identit entre commerce et production,
Pareto indique que le commerant est un entrepreneur comme les
autres, ce qui veut dire que, dans le cadre de la libre
concurrence, cet entrepreneur ne fait, l'quilibre, ni bnfices ni
pertes (ibid., 849).
Le libre-change, toujours au point de vue de la thorie pure, est
le moyen d'obtenir la situation la meilleure possible, c'est--dire
le maximum d'ophlimit pour la socit (Pareto [1894b]). La
concurrence entrane les entrepreneurs - agissant pour obtenir le
gain le plus grand - rechercher les coefficients de fabrication
procurant le maximum d'ophlimit la socit ce qui, du mme coup, amne
ce que les gains des entrepreneurs soient, l'quilibre, nuls1. De l
surgissent les problmes. Une telle situation est propice l'mergence
d'une demande de rglementation qui va facilement trouver une offre.
Voyons comment Pareto introduit ces deux points et comment il les
rattache la cration de rentes et la destruction de richesses2.
Lorsqu'il est question de l'intrt conomique, Pareto distingue
entre l'individu, la classe et la socit : en effet, pour chacun de
ces niveaux, il y a des valeurs diffrentes des coefficients de
production qui maximisent l'ophlimit du groupe retenu (ibid.,
726-727). En consquence, le processus suivant se met en place :
Les entrepreneurs ressentent vivement la pression de la libre
concurrence. Pour s'y soustraire, ils demandent au gouvernement
toutes sortes de protections : protection contre la concurrence des
pays trangers ; protection contre les ouvriers (grves, associations
ouvrires, etc.) ; protection au moyen de l'altration des monnaies ;
protection contre les possesseurs d'pargne, le gouvernement se
chargeant de faire des prts un taux moindre que celui qui s'tablit
librement sur le march ; protection pour les transports par terre
et par eau ; subventions maritimes ; primes, etc., etc. (ibid.,
725.)
1. Pareto [1894a] insiste particulirement sur cet apport qu'il
ajoute aux travaux de Walras. Il lui crit en ce sens : Vous avez
parfaitement vu que la variation des coefficients de fabrication
est essentielle pour la thorie du libre-change. C'est en effet en
suivant cette voie que j'espre qu'on pourra tablir cette thorie sur
des bases rationnelles (Pareto [1975], p. 251 ; lettre du 23 Vu
1894).
2. Sous cet angle, Pareto apparat comme un thoricien de la rent
seeking society et cela d'une manire qui n'est en rien allusive. Sa
dfinition de la spoliation - reprise en grande partie de celle de
Bastiat-en est une preuve parmi d'autres. conomiquement, dit-il, la
spoliation peut tre divise suivant deux effets : 1 le transfert de
richesses qui est l'effet vis ; 2 la destruction de richesses
(effet indirect) qui l'accompagne toujours ([1896- 1897], 1043).
Pareto ajoute que ce deuxime effet est souvent quantitativement
plus important que le premier. Par ailleurs, il tablit sur la base
de sa formulation de l'quilibre du commerce extrieur, quelle est la
perte subie par une nation en raison du protectionnisme (ibid.,
885) et il chiffre cette destruction de richesses dans le cas
italien (ibid., 886). Toutefois, l'approche de Pareto ne peut pas
tre entirement assimile celle de la rent seeking society car il
manque chez lui l'hypothse, considre comme cruciale, de processus
concurrentiel pour l'obtention des rentes (A.O. Krueger [1974], p.
291, 293) et il manque, encore plus compltement, l'ide de l'analyse
conomique du politique.
1245
-
Revue conomique
Pour Pareto, il ne s'agit pas l d'un comportement conomiquement
aberrant puisqu'il est sans doute le plus avantageux du point de
vue du demandeur de rglementation. Lorsqu'il compare le sort de
deux entrepreneurs dont le premier travaille amliorer la production
sous l'aiguillon de la libre concurrence alors que le second fait
la cour au politicien, Pareto indique quels sont les rsultats que
l'on peut respectivement en attendre : Les rsultats sont bien
diffrents. Le premier industriel obtiendra, grand peine, d'pargner
2 ou 3 % sur ses frais ; le second pourra obtenir un droit
protecteur de 50 % et plus. (ibid., 1061.) Par ailleurs, Pareto
indique l'effet pervers de l'existence de cette demande de
protection : celui qui n'en demande pas n'a rien et il court le
risque d'tre sacrifi ; il est donc rationnel de participer la
formation de cette demande (Pareto [1902- 1903], I, p. 126). Le
texte de Pareto est sans doute moins clair pour ce qui concerne la
dfinition de l'offre de protection. On peut, d'une part, trouver
des rfrences - classiques depuis Smith - sur le politicien comme
malin compre qui aime pcher en eau trouble (Pareto [1890-1893], p.
90] et qui, ce titre, a intrt complexifier les relations conomiques
pour en tirer parti. D'autre part, d'une manire plus intressante
peut-tre que ces remarques dsabuses, Pareto pense que l'offre de
protection faite par les politiciens se comprend par le fait que
les droits de douanes (sous-entendu par leurs effets fiscaux)
permettent d'accrotre le budget, ce qui permet l'homme politique
d'accrotre ses dpenses (Pareto [1909], IX, 63). Mais, finalement,
comme nous aurons l'occasion d'y revenir propos du paradoxe de
l'action collective, puis de la dynamique de l'quilibre social li
au protectionnisme, Pareto considre 1' offre de protection plutt
d'un point de vue politique qu'conomique (Pareto [1896-1897], 1062
et suiv. ; 1960, p. 100-101 ; lettre du 6 XII 1891).
La consquence thorique d'une telle demande de protection est
claire : Tout gouvernement qui accorde ces protections empche les
entrepreneurs de remplir leur fonction sociale (ibid., 725),
c'est--dire les empche de dfinir les valeurs pour lesquelles les
coefficients de production fournissent le maximum d'ophlimit pour
la socit et les valeurs de ces coefficients se fixent maintenant au
niveau du maximum d'ophlimit pour un individu (un entrepreneur
particulier) ou pour une classe (particulire d'entrepreneur).
De l provient le jugement de Pareto sur l'effet conomique de la
protection : Les mesures protectrices ont pour but d'augmenter les
quantits de services consomms [en dfinissant des valeurs des
coefficients de production sous-optimales pour la socit PS]. [...]
C'tait la conclusion laquelle arrivait l'conomie politique
classique ; l'on voit qu'elle est entirement confirme par les
nouvelles thories (ibid., 865). Aussi Pareto, dans sa
classification des individus suivant leur rapport la production,
range ceux qui vivent de la protection conomique dans la catgorie
des spoliateurs, c'est--dire de ceux qui s'approprient, lgalement
ou non, le travail d'autrui sans contrepartie (ibid., 1039).
On peut revenir maintenant la question de la prnit de la
spoliation et du protectionnisme en particulier. Pareto en donne la
formulation suivante : L'appropriation illgale, par la violence,
s'explique facilement par la raison du plus fort. On conoit de mme
que la majorit qui fait les lois, puisse imposer en sa faveur tel
tribut qu'il lui plat. On comprend moins bien comment, par des
voies dtournes, un petit nombre d'individus peuvent se faire payer
un tribut par la majorit. Pourquoi celle-ci se laisse-t-elle
enlever ses biens ? (ibid., 1046). Comme cela a dj t not (J.
Bhagwati [1988], p. 77), Pareto affronte ici le dcalage entre
l'lgance des dmonstrations de la thorie conomique et la ra-
1246
-
Philippe Steiner
lit sordide du protectionnisme. Pour interprter correctement sa
position et l'apport de sa rflexion scientifique en la matire, il
faut replacer rapidement la perspective dans laquelle il prend
place ; nous nous en tiendrons ici essentiellement la filiation
entre Pareto et deux conomistes libraux franais : J.-B. Say et F.
Bastiat.
Le premier est un des promoteurs du libre-change en France ds la
premire dition de son Trait [1803] o il explique quels sont les
errements thoriques (la balance du commerce) et pratiques (les
intrts personnels des commerants) la base du systme mercantile. En
1814, la deuxime dition de l'ouvrage aborde diffremment le problme
en demandant pourquoi la dmonstration du caractre avantageux du
libre-change ne se traduit pas dans les faits1. Say apporte
plusieurs lments de rponse qui tournent autour de la perception par
les agents de leur intrt vrai ou intrt bien entendu. Selon lui, les
comportements errons bass sur l'intrt sinistre doivent tre modifis
par la diffusion des connaissances, toutefois il avance un argument
dont la porte va au-del de l'argument fond sur l'ignorance des
agents :
Qu'on mette un droit d'entre sur les toiles de coton : c'est
pour un citoyen d'une fortune mdiocre, une augmentation de dpense
de 12 15 francs par an tout au plus ; augmentation de dpense qui
n'est mme pas, dans son esprit, bien claire et bien assure, et qui
le frappe peu, quoiqu'elle soit rpte plus ou moins sur chacun des
objets de sa consommation ; tandis que si ce particulier est
fabricant de chapeaux, et qu'on mette un droit sur les chapeaux
trangers, il saura fort bien que ce droit enchrira les chapeaux de
sa manufacture, et augmentera annuellement ses profits peut-tre de
plusieurs milliers de francs. (Say [1814], I, p. 206-207.)
Cette perspective amne Say, comme l'ont dj expliqu P.J. Euzent
et T.L. Martin [1984], dvelopper des arguments similaires ceux
employs par les thoriciens de la rent seeking society pour
expliquer l'origine de la demande de protection ; mais cela peut
aussi bien expliquer V inertie des consommateurs. F. Bastiat, de
son ct, s'empare de l'ide avance par Say selon laquelle le
protectionnisme est le fruit de l'ignorance pour insister sur la
diffusion des vrais principes mme d'y mettre fin progressivement
(cf. Bastiat [1848a], passim) - ce que J. Bhagwati ([1988], p. 92)
a joliment appel l'effet Dracula . L'apport du polmiste vient avec
le thme de la spoliation par la loi et l'ide que le protectionnisme
pave la voie du communisme (Bastiat [1849, 1850]).
Aprs Say et Bastiat, Pareto, dans un premier temps, retient
l'ignorance comme explication de la persistance du protectionnisme
(Pareto [1890-1893], p. 48, 52, 59-60 ; [1892], p. 80-81). Il
prcise une des raisons du maintien de cette ignorance : les
phnomnes conomiques sont compliqus et bien peu de
1. Pourquoi faut-il que des notions si claires, si conformes au
simple bon sens, et des faits constats par tous ceux qui s'occupent
de commerce, aient nanmoins t rejets par tous les gouvernants de
l'Europe ? (Say [1814], I, p. 198).
2. Exposer le mal la lumire du soleil amne sa destruction.
L'ingniosit de la formule ne doit pas faire ngliger celle, tout
aussi vigoureuse, d'un auteur que Pareto apprciait : Quand une
erreur est accrdite auprs de tous les hommes ou de la majeure
partie d'entre eux, je crois que c'est faire uvre utile que de la
rfuter souvent. [Machiavel, Discours sur la premire dcade de
Tite-Live, HI, 10 ; je souligne].
1247
-
Revue conomique
personnes en ont une connaissance ne serait-ce que superficielle
(Pareto [1896- 1897], 1046) ce qui fait que les gens ne comprennent
pas l'appropriation de richesses qui se cache derrire des primes
l'exportation, ce qui fait aussi que la classe dirigeante ne
comprend pas la similitude entre socialisme et protectionnisme.
Mais l'essentiel est ailleurs car Pareto ne se satisfait pas
longtemps de cette explication .
LA PROTECTION ET LE PARADOXE DE L'ACTION COLLECTIVE
Ds 1893, Pareto roriente sa rflexion en modifiant, d'une manire
en apparence mineure, sa perspective : Le peuple souffre de la
protection sans en bien discerner la cause. Ce ne serait que par
une propagande des plus actives qu'on pourrait lui donner des ides
saines sur ce sujet. Mais cette propagande sera inutile si elle ne
se propose pas clairement pour but d'obtenir la vie bon march.
([1893], p. 88). Cette argumentation diffre en fait assez
sensiblement de la prcdente puisque Pareto ne fait plus fond ici
sur la diffusion des connaissances et des vrits obtenues par la
thorie conomique, il fait appel ici la propagande et l'intrt
immdiat des consommateurs. L'objectif est d'obtenir l'action de la
part des spolis et non pas tant de les clairer : Les distinctions
entre droits fiscaux et droits protecteurs sont fort bonnes pour
les thories conomiques, mais il est absolument indiffrent au
consommateur, qui paye plus cher son pain, que ce soit cause d'un
droit fiscal ou d'un droit protecteur. {Ibid.). En consquence de ce
dplacement, Pareto pense dsormais que les droits protecteurs
s'lvent partout en raison de l'inaction des spolis : notre avis, la
cause principale du succs de ces spoliations doit tre cherche
simplement dans l'inertie des gens qui les souffrent. (Pareto
[1894a], p. 202 ; je souligne). C'est en recherchant les causes de
cette inertie que, par des approfondissements successifs, Pareto va
dvelopper le thme du paradoxe de l'action collective1.
N'acceptant plus les explications habituelles des libraux,
Pareto dgage une perspective mthodologiquement fondamentale :
L'conomie politique a parfaitement dmontr que la protection
douanire entrane une destruction de richesses et seuls ceux qui
ignorent l'conomie politique peuvent nier cette proposition, et
pourtant, chaque jour, on entend rpter d'antiques sophismes pour
dmontrer le contraire et Pareto de poursuivre :
On ne peut dire que l'exprience apprend aux collectivits comme
il arrive qu'elle le fasse, et encore pas toujours, aux individus.
Par exemple, en Italie, le protectionnisme et la mgalomanie ruinent
le pays et les plus dures leons ne servent mme pas assagir
1. Ce paradoxe est maintenant associ au travail de M. Oison
[1966]. Assez curieusement, l'exception d'une brve allusion
contenue dans les confrences de J. Bhagwati ([1988], p. 77),
personne ne semble avoir remarqu ou tudi la formulation du paradoxe
donne par Pareto. Le problme est aussi voqu par ceux qui
s'intressent l'apport de Pareto la thorie des finances publiques
(E. Giardina [1992], p. 153), mais l'interprtation porte surtout
sur une hypothse d'asymtrie dans les comportements des agents mme
d'expliquer la croissance des dpenses publiques.
1248
-
Philippe Steiner
les classes gouvernantes. [...] De tels faits doivent tre
expliqus par la thorie, ce qui n'est pas difficile si on abandonne
l'ide errone assimilant une collectivit un individu et quand on
cesse de parler de la volont de la nation et d'autres conceptions
mtaphysiques de la mme farine [...] (Pareto [1899b], p. 176 ; je
souligne.)
Pareto, s'oriente ainsi vers ce que l'on appelle maintenant
l'individualisme mthodologique1. En effet, dans les annes
1894-1897, Pareto va utiliser ce principe mthodologique pour donner
une formulation prcise du paradoxe de l'action collective.
Ds 1894, Pareto construit l'exemple hypothtique suivant :
Supposons [...] une opration par laquelle une dizaine
d'individus se diviseront le produit d'un impt de 1 franc par tte
sur chaque Italien. Chaque personne qui paye cet impt n'est frappe
que d'une perte minime, et il sera assez difficile de la dcider se
donner quelque peine pour l'viter. Vous ne russirez peut-tre mme
pas la persuader de renoncer une promenade la campagne pour aller
voter en faveur d'un candidat qui est contraire l'impt ; plus forte
raison elle se gardera bien de sacrifier pour ce malheureux franc
par an des amitis prcieuses ou des appuis utiles. Mais les dix russ
compres qui, se divisant le produit de l'impt, empocheront 3
millions par an chacun, seront bien autrement actifs. Ils payeront
les journaux et les lgislateurs, mettront en mouvement le ban et l'
arrire-ban de leurs amis et de leurs connaissances, et ne se
donneront nul repos que le succs ne soit assur. ([1894a], p.
202.)
Cette premire formulation paretienne du paradoxe de l'action
collective fait apparatre nettement une opposition entre le petit
nombre des bnficiaires et le grand nombre des spolis et les
diffrences qui en dcoulent en termes de l'activit dploye par les
uns et par les autres pour obtenir le bien (collectif) dsir.
Toutefois, cette formulation est encore assez imprcise pour ce qui
concerne l'inertie des individus appartenant au grand groupe. C'est
avec la publication du deuxime volume du Cours d 'conomie politique
(1897) que cette problmatique va tre affine et cela de faon dgager
les divers arguments psycho-conomiques de l'argument organisational
qui, du coup, apparatra dans toute sa puret.
Pareto suppose toujours une nation compose de 30 millions
d'individus o, sous un prtexte quelconque, on se propose de faire
payer un franc chacune de ces personnes et de distribuer le total
trente personnes. Chacun des spolis paiera donc 1 F et chaque
spoliateur recevra 1 000 000 F (Pareto [1896-1897], 1047]. Les
spoliateurs vont dpenser une grande nergie pour aboutir en payant
les journaux de faon ce que cela leur gagne des partisans, en
corrompant parlementaires et ministres. Que se passe-t-il du ct des
spolis ? Pareto
1. H reviendra sur ce point dans le Trait lorsqu'il tudie le
comportement de la classe des spculateurs. cette occasion, Pareto
explique qu'il ne faut jamais concevoir l'action des spculateurs
comme l'action logique dlibre faite par une personne unique ; au
contraire, chaque spculateur se proccupe de faire ses affaires et
de gagner de l'argent sans qu'il y ait dlibration ou concertation
entre eux : Mais l'accord se produit spontanment, parce que si, en
des circonstances donnes, il y a une ligne de plus grand profit et
de moindre rsistance, la plupart de ceux qui la cherchent la
trouveront (...) La voie suivie est la rsultante d'une infinit de
petites actions, dtermines chacune par l'intrt prsent. (Pareto
[1916], 2254 ; cf. aussi 2328, 2542).
1249
-
Revue conomique
avance tout d'abord deux arguments d'ordre psychologique pour
expliquer les diffrences entre les deux groupes. Le premier
concerne la relation entre une quantit de monnaie et l'action qui
en dcoule : II faut noter que l'intensit des actions des hommes
n'est pas proportionnelle aux gains ou aux pertes qui provoquent
ces actions. Cent hommes auxquels on enlve, chacun, un franc
n'agiront pas pour dfendre leur bien avec autant de vigueur qu'un
homme mu par le dsir de s'approprier ces cent francs. {Ibid.,
1046.) Puis, plus loin, il invoque un deuxime argument qui n'est
pas sans rappeler l'argument d'insensibilit utilis par Say : Un
homme ne reoit pas la mme impression de la perte d'une somme ou de
la perte d'un grand nombre de parties en lesquelles on peut diviser
cette somme. {Ibid., 1048.) Toutefois, l'originalit tient l'arrive
d'un nouvel argument qui n'a plus rien de psychologique et qui
repose sur des considrations organisationnelles et conomiques
dcoulant de la taille des groupes.
la diffrence de ce qui se passe dans le petit groupe des
spoliateurs, chez les spolis
l'activit est bien moindre. Pour faire une campagne lectorale,
il faut de l'argent, or il y a des difficults matrielles
insurmontables qui s'opposent ce qu'on aille demander quelques
centimes chaque citoyen ; il faut demander un petit nombre de
personnes des contributions plus considrables. Mais alors celles-ci
risquent de dpasser le montant de la perte laquelle est expos le
donateur. Ce n'est que par philanthropie qu'un individu souscrira
10 F dans l'espoir d'empcher qu'on tablisse un impt qui ne le
grverait que d'un franc. conomiquement, il fait une mauvaise
opration {ibid., 1046)1.
Donc, mme en supposant que l'argument d'insensibilit ne joue pas
et, de surcrot, que chaque membre du groupe des spolis connat
l'intrt du groupe, il y a des difficults ce que le groupe obtienne
le bien public qui correspond son intrt. L'argument de Pareto est
remarquable en cela qu'il fait ici trs explicitement intervenir la
question de la taille du groupe et ses consquences
organisationnelles2. Pour intervenir publiquement et agir contre le
petit groupe des
1. Ce qui ne veut pas dire que certains individus n'agiront pas
de cette faon non conomique mme si Pareto constate que ceux qui, en
Italie, se disent tre en faveur de la libert, ne veulent faire
aucun sacrifice ni en argent, ni en temps, ni relations, ni en rien
d'autre (Pareto [1989], p. 375 ; lettre Papafava du 13 II 1901). En
effet, pour reprendre la terminologie du Trait, certains genres du
rsidu de la 4e classe - rsidus en rapport avec la sociabilit -,
peuvent amener les hommes agir ainsi et se trouver dans la
situation de l'engagement {commitment) telle que dcrite par A.K.
Sen [1976].
2. Ce point ressort encore plus nettement dans deux autres
textes (cf. Pareto [1894a, 1902-1903]). Pareto indique que, pour
que la spoliation ait de bonnes chances de russite, il faut runir
deux conditions : 1 une condition rhtorique obligeant trouver une
argumentation permettant de contourner des scrupules du genre de
celui qui indique que l'on ne doit pas voler son prochain. Cela
n'est pas bien difficile estime-t-il puisque les hommes se font
facilement des convictions de leurs intrts ; 2 une condition
organisationnelle qui demande que les spoliateurs forment un groupe
restreint facilement identifiable. En d'autres termes, il faut
qu'ils forment un groupe rel et non pas seulement nominal. Pareto
sous-entend donc une troisime condition, savoir que les spolis -
les consommateurs par exemple - soient eux dans la situation de
n'tre qu'un groupe nominal comme il l'indique explicitement
ailleurs (Pareto [1899b], p. 176), d'o le paradoxe de l'action
collective qui s'applique lui (Pareto [1902-1903], I, p.
121-122).
1250
-
Philippe Steiner
spoliateurs, le groupe doit s'organiser pour ne pas rester un
groupe latent (au sens de M. Oison). Les agents ont intrt agir
contre la minorit spoliatrice pour ne pas perdre 1 F chacun : en
effet, si tous agissent ils obtiendront gain de cause -le maintien
du libre-change par exemple -pour quelques centimes chacun. Le
comportement rationnel doit donc dterminer les individus l'action.
Mais l'organisation de cette action est impossible si elle doit
prendre en compte tous les membres du groupe en raison des
difficults que Pareto appelle matrielles et qui peuvent sans
difficult correspondre aux cots d'organisation introduits par M.
Oison ([1966], p. 71) : on ne peut aller demander, sauf un cot trs
lev, chaque citoyen de verser les quelques centimes qui constituent
sa participation l'action. Et Pareto ne croit pas que l'on puisse
contourner ce problme organisationnel aisment. En effet, si l'on
diminue la taille du groupe qui s'oppose activement aux
spoliateurs, alors il peut se trouver que, pour chacun des membres
de ce plus petit groupe, le cot d'obtention du bien public (10 F)
soit suprieur aux bnfices que chaque membre agissant en retire (1
F), en consquence de quoi il est rationnel de ne rien faire.
Certes, aucun moment, Pareto n'indique qu'un individu n'agit pas
parce qu'il est avantageux pour lui de ne pas agir alors que les
autres agiront1. Pareto ne dveloppe pas non plus une formalisation
du type de celle de M. Oison et, notamment, il ne dveloppe pas
l'argument selon lequel, dans le petit groupe, l'action a plus de
chance d'aboutir parce qu'en raison de l'importance du gain
individuel un spoliateur peut rationnellement assumer, lui seul, le
cot du bien public. Mais il n'en reste pas moins que Pareto a donn
ds 1897 une expression trs prcise et dj trs labore du problme.
Toutefois, Pareto ne poursuivra pas dans cette voie au cours des
travaux qu'il publie dans les annes ultrieures. Aprs le Cours,
Pareto roriente sa rflexion en mettant dsormais l'accent sur la
sociologie et en dveloppant progressivement sa thorie de l'action
qui distingue entre les actions logiques et les actions non
logiques. Du point du vue qui nous proccupe ici, cette rorientation
peut tre associe son valuation pessimiste de la situation
europenne. Dans sa correspondance avec Pantaleoni, il crit que tout
espoir de victoire est vain pour les libraux et qu'il convient de
dlaisser l'activit politique pour se cantonner la recherche de la
vrit (Pareto [1960], II, lettre du 22 II 1898). Ce sentiment amne
Pareto juger svrement l'conomie politique : face la monte du
protectionnisme c'est une science inutile qui manque de base car on
ne sait rien de la physiologie et de la pathologie sociale (ibid.,
lettre du 24 DC 1900)2.
Avec la publication du Manuel d'conomie politique, Pareto dploie
son analyse concernant la faiblesse des thories lorsqu'il s'agit de
faire agir les gens : De mme pour la protection douanire. Toutes
les thories pour ou contre n'ont pas eu le moindre effet pratique ;
des tudes ou des discours sur ce sujet ont bien pu avoir un certain
effet, non point raison de leur contenu scientifique, mais parce
qu'ils veillaient certains sentiments et qu'ils poussaient s'unir
les gens qui avaient certains intrts communs. ([1909], VII, 117.)
Ou
1. Pareto se rapproche une occasion de ce type de raisonnement
lorsqu'il discute du sophisme de rpartition dans le Trait (
1495-1496).
2. Sa correspondance indique aussi combien il marque la distance
entre la position qui tait la sienne sur ces questions jusque dans
les annes 1891-1893 et celle qu'il occupera ensuite (Pareto [1975],
lettre Antonucci 7 XH 1907 et lettre Sella du 11 VI 1913).
1251
-
Revue conomique
encore : Mme si on dmontrait d'une faon tout fait vidente que la
protection entrane toujours une destruction de richesse, si on
arrivait l'enseigner tous les citoyens, tout comme on leur apprend
Y abc, la protection perdrait un si petit nombre de partisans, le
libre-change en gagnerait si peu, que l'effet peut en tre peu prs
nglig, ou compltement. Les raisons qui font agir les hommes sont
tout autres. (Ibid., IX, 62.)
Pareto ne modifie pas sensiblement son tude de l'inertie des
spolis qui explique le maintien de la protection puisqu'il reprend
rapidement les points de vue psychologiques et analytiques que nous
avons rencontrs dans le Cours ; ce qui est nouveau tient dans
l'largissement des perspectives sous lesquelles Pareto envisage la
question de la protection. Pareto repart de l'ide qu'conomiquement
la protection signifie cration de rentes. La protection agricole
augmente les rentes des propritaires fonciers ; la protection
industrielle favorise de faon permanente les propritaires de
terrains industriels et d'une faon temporaire les entrepreneurs,
puis elle favorise les ouvriers habiles des secteurs protgs (en
obtenant des salaires plus levs) mais au dtriment des ouvriers des
autres secteurs et des ouvriers agricoles. Finalement, la
protection favorise la bourgeoisie appartenant aux carrires
librales (ingnieurs, avocats, notaires, etc.) qui travaillent pour
les industries protges (ibid., 56). Pareto en vient ensuite aux
effets sociaux de la protection et selon lui : dans les pays
agricoles, la protection agricole favorise l'aristocratie foncire
et lui vient en aide pour empcher qu'elle ne soit dtruite par
d'autres aristocraties alors que la protection industrielle dans
les pays agricoles, ou le libre-change dans les pays industriels,
favorisent l'industrie et constituent de puissants moyens de
slection sociale pour la classe ouvrire et la bourgeoisie (ibid.,
57).
L'aspect sociologique va progressivement prendre plus de place.
Le dpassement de la perspective conomique dans le cadre de la
sociologie devient un leitmotiv de Pareto ; il l'explique ds 1891
Pantaleoni (Pareto [1960], I, p. 47) et, aprs le Cours, il revient
sans cesse sur cette question et ainsi il considre que : Les
conomistes libraux ont des concepts trop troits ; ils font prvaloir
la partie conomique et ils ne tiennent pas assez compte de la
partie sociologique. (Pareto [1989], p. 404 ; lettre Papafava du 12
VII 1902.) Cela ne va pas tre sans consquence sur les jugements que
Pareto va porter sur le phnomne protectionniste. En effet, Pareto
en dduit que le raisonnement suivant, qui tait le sien dans le
Cours, est inexact : La protection entrane une destruction de
richesse, donc toute poque et pour tout pays la protection est
nuisible et le libre-change avantageux. (Ibid., 61). Il est inexact
car, si la premire proposition issue de la thorie pure est vraie et
ne saurait tre remise en cause, la deuxime proposition prsente
comme consquence de la premire n'est pas toujours vraie. Pourquoi
ce revirement de position ? Tout simplement parce qu'un tel
raisonnement nglige des lments importants du problme, c'est--dire
les lments sociologiques qui ont un effet en retour sur l'aspect
conomique.
Pareto range en quatre classes les gens dsireux de voir
s'installer la protection : a) ceux qui esprent tirer un produit
notable d'une telle protection par accroissement de leurs rentes
(propritaires, entrepreneurs, bourgeois ; Pareto ne mentionne pas
alors les ouvriers) ; b) les politiciens qui esprent ainsi accrotre
le budget de l'tat, et tous ceux qui vivent des dpenses de l'tat et
ont compris que pour accrotre les dpenses il faut lever les
recettes ; c) ceux dont on russit veiller le sentiment nationaliste
; d) ceux qui sont assez intelligents pour voir que la dmocratie
tend dpouiller les riches et qui, dfaut de
1252
-
Philippe Steiner
volont et de courage pour s'y opposer directement, choisissent
ce moyen dtourn pour rattraper une partie de ce qui leur est
enlev1. Ainsi, par exemple, le dveloppement du protectionnisme en
Angleterre est le fait des (d) et des (c) - au nom d'une union plus
troite avec les colonies -, les (a) et les (b) se dissimulant
derrire les (c) (ibid., 65). Pareto poursuit en rappelant, suivant
une tradition bien tablie, que le motif d'une action n'est pas un
lment suffisant pour condamner les rsultats de l'action car il peut
y avoir une grande diffrence entre la fin poursuivie et le rsultat
obtenu. Il ne saurait donc tre question de condamner le
protectionnisme au nom des motifs, aussi sordides soient-ils, des
protectionnistes. Mais, surtout, il insiste sur le fait que les
considrations conomiques sur le protectionnisme ne doivent pas
faire oublier les effets conomiques de ses consquences
sociologiques, en l'occurrence les effets conomiques obtenus par
l'intermdiaire des effets sur la slection sociale2. Aussi Pareto
conclut-il sur cette perspective originale et provocatrice :
Si la politique protectionniste triomphe en Angleterre, elle
entranera certainement une certaine destruction de richesse ; mais
si, d'autre part, la nouvelle organisation sociale qui sera la
consquence de cette politique permet de mettre un frein au
socialisme municipal, au systme de contrainte humanitaire, ou mme
simplement de diminuer la puissance des syndicats ouvriers, on
sauvera une quantit considrable de richesse, qui pourra compenser,
ou mme plus que compenser, la perte due la protection. Le rsultat
final pourrait donc tre une augmentation de prosprit3. (Ibid.,
72.)
Le dveloppement de cette nouvelle proposition paradoxale va
retenir l'attention de Pareto dans les annes o il rdige le Trait de
sociologie gn-
1. Pareto explique que les dmocraties ont tendance remplacer les
impts indirects par des impts directs et notamment l'impt
progressif sur le revenu - pour lequel le jugement de Pareto
comporte de nombreuses facettes (Pareto [1899a, 1903]) - qui n'est
plus pay par tous -ce qui a des consquences contradictoires (Pareto
[1896-1897], 797 et [1909] IX, 59). Aussi la protection est-elle un
moyen dtourn pour obtenir ce que l'on ne saurait atteindre par la
fiscalit : faire payer tout le monde, d'o : Dans certains cas, la
protection restitue une partie des personnes aises une fraction de
ce qui leur a t enlev par l'impt progressif, ou mme par les autres
impts [...] (Pareto [1909], IX, 59).
2. Pour Pareto, la socit humaine est caractrise par l'ingalit,
c'est--dire par l'existence d'une hirarchie sociale. H en rsulte
que la socit est toujours gouverne par un petit nombre : l'lite. La
hirarchie n'est pas parfaitement stable, ce qui signifie que l'lite
au pouvoir doit tout la fois se dfendre contre d'autres lites et en
tirer profit pour se renforcer en gagnant sa cause, en introduisant
dans ses rangs les meilleurs lments de ces contre-lites. C'est le
processus de slection sociale qui, lorsqu'il fonctionne bien,
assure vigueur et courage l'lite au pouvoir (Pareto [1909], Vu,
97-115).
3. C'est par ce type de proposition paradoxale que la dmarche de
Pareto nous semble rejoindre celle de J. Bhagwati plutt que celle
des thoriciens de la rent-seeking society (A.O. Krueger [1974],
R.D. Tollison [1982]). Ils partent tous deux de l'ide qu'un
comportement intress directement non productif (DUP activities, dit
J. Bhagwati) dans le contexte d'une situation non optimale
(existence pralable de distorsions) peut conduire une amlioration
de la situation pour l'ensemble de la socit ; il y a toutefois une
diffrence importante entre les deux raisonnements puisque Pareto
laisse entendre que cela peut conduire un accroissement de la
production des biens et services alors que J. Bhagwati raisonne en
termes de bien-tre.
1253
-
Revue conomique
rale. Dans les chapitres XI et XII de cet ouvrage, il revient
longuement sur cette question pour expliciter son argumentation et
ainsi souligner la nouveaut de sa position1.
L'QUILIBRE SOCIAL, LE PROTECTIONNISME ET LE CYCLE CONOMIQUE
Selon l'analyse partienne du Trait de sociologie gnrale, quatre
lments interviennent principalement dans la dtermination de
l'quilibre social : les rsidus (r), les intrts (i), les drivations
(d), l'htrognit et la circulation sociale (s). Le premier et le
troisime lment dsignent bien videmment les catgories analytiques de
la thorie partienne de l'action. Les rsidus sont les manifestations
des instincts et des sentiments des hommes (Pareto [1916], 874).
Les drivations, quant elles, sont les ides, les doctrines et les
thories avec lesquelles les hommes recouvrent (vis--vis des autres
et d'eux-mmes tout autant) leurs rsidus (ibid., 1400). Les rsidus
sont les lments explicatifs principaux de l'action sociale,
essentiellement non logique, puisque c'est en fonction de leurs
rsidus que les hommes agissent de telle ou telle manire. Pareto
retient six sortes de rsidus dont deux sont plus particulirement
importantes pour la dtermination de l'quilibre social : L'instinct
des combinaisons (rj) ou capacit saisir les opportunits dans un
monde changeant et la persistance des agrgats (r2) qui est comme un
principe d'inertie (ibid., 991). Les drivations sont un phnomne
social important en cela qu'elles masquent les rsidus, mais il
serait parfaitement erron de croire qu'elles soient vritablement
l'origine de l'action ou qu'elles jouent un rle persuasif. Les
intrts dont il est question ici constituent une catgorie plus large
que l'intrt conomique objet de l'conomie politique pure, en
intgrant les simples apptits, les gots, les dispositions (ibid.,
851). Finalement, l'htrognit et la circulation sociale dsignent le
fait, incontournable pour Pareto, de l'ingalit et de la hirarchie
sociale d'une part et, d'autre part, de l'existence de processus de
changement l'intrieur des etes gouvernementales.
En raison du principe de mutuelle dpendance Pareto trouve quatre
formes d'interelations entre ces quatre lments : soit les
combinaisons (I), (H), (JE) et (IV).
Tableau 1 . combinaison
(D (H) (m) (IV)
agit sur (r) (i) (d) (s)
(r)
+ + +
(i) +
+ +
(d) (s) + + + +
+ +
1. Il insiste d'ailleurs auprs de divers correspondants sur
l'importance qu'il attache ce point (Pareto [1960], EU, lettre
Pantaleoni du 17 VI 1913 ; Pareto [1975], lettre Pietri-Tonelli du
14 m 1913 ; lettre Vinci du 17 IV 1914).
1254
-
Philippe Steiner
Mais, bien sr, chaque lment n'agit avec la mme importance pour
dterminer l'quilibre social et Pareto s'efforce de pondrer chaque
moment des quatre combinaisons. Il aboutit au rsultat suivant :
Tableau 2A. Mutuelle dpendance (courte priode) combinaison
(I) (n) (m) (IV)
agit sur
(r) W (d) (s)
(r)
- - -
(i) F
- F
(d) F F
-
(s) F F f
(F, dsigne une relation forte ; f, une relation faible ; -, une
absence de relation ou une relation ngligeable)
Chaque combinaison a un impact diffrent parce que les lments (r,
i, d, s) n'ont pas la mme importance dans la formation de
l'quilibre social. Pareto considre que la combinaison (I) explique
une partie trs importante du phnomne social parce que les rsidus
sont la base de la plupart des actions (non logiques) sociales
puisque les hommes se laissent surtout persuader - et donc agissent
-par les sentiments (ibid., 1397). La combinaison (II) explique une
partie assez importante du phnomne social car les intrts, outre
leurs aspects plus gnraux, sont l'origine de nombre d'actions
logiques dont la science conomique est la thorie (ibid., 2209). La
combinaison (III) est la moins importante car les drivations
n'influent pas ou trs peu sur les rsidus (qui ne changent gure),
trs peu sur les intrts et assez faiblement sur la composition de
l'lite sociale (ibid., 2211). La combinaison (IV) est importante,
comme on le verra plus longuement par la suite, en ce qu'elle
introduit les effets sociaux et conomiques des changements
politiques.
Comment Pareto applique-t-il ces principes sociologiques la
question du protectionnisme ? Il semble supposer que par
l'intermdiaire des rsidus les mesures protectionnistes ont t prises
et donc que la combinaison (I) a jou son rle initiateur de l'action
des hommes. La combinaison (II) va essentiellement faire intervenir
la relation entre (i) et (s) (ibid., 2209) : les effets dynamiques
de la protection c'est--dire les effets de courte priode dus la
mise en place des mesures protectionnistes - vont favoriser les
individus habiles, forts, en les enrichissant. En effet, comme on
l'a vu lorsqu'il s'agissait d'expliquer la demande de protection,
les individus dous pour les combinaisons, les manuvres, ont plus de
chance de savoir courtiser les hommes politiques pour bnficier des
droits protecteurs. En termes de composition de l'lite sociale,
cela veut dire que l'lite aura tendance se composer plutt
d'individus o les rsidus de la premire classe (r{) - les instincts
de combinaisons - seront prdominants au dtriment des individus chez
lesquels les rsidus de la deuxime classe (r^) la persistance des
agrgats - seront puissants. Pour finir sur cette combinaison
(II),
1. En effet, il n'aborde pas explicitement le rle de la
combinaison (I) dans l'exemple qu'il dveloppe. On peut se reporter
ce qu'il en a dit dans le Manuel (IX, 65, passage que nous avons
rapport plus haut) pour avoir une ide de ce quoi Pareto pouvait
penser en la matire.
1255
-
Revue conomique
Pareto rappelle que la relation de (i) (r) est ngligeable car
les rsidus ne changent que trs peu ; puis il indique que la
relation de (i) (d) sera forte et qu'il va se produire une
floraison de thories en faveur du protectionnisme (ibid., 2210).
Cette dernire partie de la combinaison (II) n'a d'importance que
pour autant que la combinaison (III) en ait elle-mme. Ce qui est
loin d'tre le cas.
La combinaison (III) concerne l'impact des drivations sur
l'quilibre social, aussi n'explique-t-elle qu'une faible partie des
phnomnes sociaux. La relation de (d) (r) est quasi nulle et celle
de (d) (i) trs faible (ibid., 2211) ; seule apparat notable, bien
que faible, la relation de (d) (s) qui n'est pas ngligeable par
cela que les gens habiles louer les puissants peuvent accder la
classe gouvernementale . Seul ce dernier effet est retenir de par
son rle de renforcement de la combinaison (II).
L'interprtation de la quatrime combinaison est complique. Il est
difficile de distinguer ce qui appartient en propre cette
combinaison et ce qui tient de la mutuelle dpendance des phnomnes.
Cette combinaison joue un rle par l'intermdiaire de la relation de
(s) sur (i) : Une fois que, grce cette protection, les intrts ont
port dans la classe gouvernante des hommes largement pourvus de
rsidus de la premire classe, ces hommes agissent leur tour sur les
intrts, et poussent la nation entire vers les occupations
conomiques, vers l'industrialisme (ibid., 2215). On remarquera le
fait que l'impact sur (i) qui est ici avanc par Pareto concerne
l'ensemble de la socit et non pas seulement l'lite gouvernementale
; nous verrons la signification de cette prcision dans l'tude en
longue priode.
Pour essayer de rsumer cette mutuelle dpendance des phnomnes,
nous avons donc les actions et les ractions suivantes : avec la
combinaison (I), les rsidus (r) agissent sur (s), (i) et (d) ; par
la combinaison (IV), la transformation de la composition de l'lite
(s) joue sur les intrts (i) et, finalement, il faut prendre en
compte la raction de (i) sur (s) due la combinaison (II). Ce sont l
les lments essentiels de la dtermination de l'quilibre social en
courte priode dans le cas considr par Pareto. En appoint de cette
squence se rajoute le fait que les combinaisons (I) et (II) jouent
sur (d) qui influe son tour et dans le mme sens que la combinaison
(I), par l'intermdiaire de la combinaison (III) sur (s).
Graphique 1 .
[I]
[I] (r) (s) ^1^ (i)
[II]
[II]
1. Pareto vise alors G. Schmoller dont il n'a jamais cach le
mpris que son uvre lui inspirait.
1256
-
Philippe Steiner
Pareto dgage la squence centrale (s - i) de cette mutuelle
dpendance et s'en sert pour expliciter le rsultat nonc par lui dans
le Manuel, savoir :
Les intrts ont agi sur l'htrognit ; celle-ci son tour agit sur
les intrts. Ainsi par une suite d'actions et de ractions, il
s'tablit un quilibre o deviennent plus intenses la production
conomique et la circulation des lites. La composition de la classe
gouvernante se trouve ainsi profondment modifie. L'augmentation de
la production conomique peut tre telle qu'elle surpasse la
destruction de richesses produite par la protection. D'o somme
toute, la protection peut donner un profit et non une perte de
richesses. (Ibid., 2216-2217.)
L'effet bnfique de la protection provient de son impact sur la
slection sociale (s) puis des interactions entre (s) et (i) et ces
effets conomiques des changements sociaux sont la base de l'opinion
synthtique de Pareto sur le protectionnisme. Toutefois, il adjoint
deux remarques de faon prciser sa pense. Premirement, si on peut
obtenir ces interactions entre (s) et (i) sans la cause particulire
qu'est le protectionnisme, on n'en obtient pas moins l'effet
conomique favorable. Deuximement, il distingue le protectionnisme
industriel en ce qu'il peut accrotre la circulation des lites et en
favoriser la recomposition dans le sens indiqu ci-dessus et le
protectionnisme agricole qui lui, au contraire, tendance agir en
sens inverse (ibid., 2218).
Il faut maintenant introduire certaines considrations de longue
priode que nous avons cartes jusqu' prsent de faon montrer comment
l'quilibre social est susceptible d'voluer dans le temps.
Dans l'examen de l'impact du protectionnisme sur l'quilibre
social, Pareto fait intervenir deux reprises des considrations
concernant la longue priode. Il s'agit premirement de la
combinaison (II) selon laquelle les effets statiques de la
protection - les effets de longue priode qui correspondent ce qui
se passe lorsque les mesures protectionnistes ont t mises en place
depuis longtemps sont analogues aux effets de courte priode
c'est--dire que les intrts (i) agissent dans un sens favorable aux
individus chez qui les instincts de combinaison prdominent.
Deuximement, Pareto mentionne propos de la combinaison (II) ce fait
important que la relation de (i) sur (r) peut devenir non
ngligeable et peut mme devenir considrable si elle s'exerce durant
de longue annes : Chez une nation proccupe exclusivement de ses
intrts conomiques, les sentiments qui correspondent aux
combinaisons sont exalts, ceux qui correspondent la persistance des
agrgats sont mpriss. On observe donc des changements dans ces deux
classes de rsidus. Les genres des rsidus, et spcialement les formes
sous lesquelles ils s'expriment, se modifient, et les drivations
changent. (Ibid., 2213 ; cf. aussi 2250.) Cette dernire
considration, si on la rapproche de ce que nous avons vu plus haut
propos de la combinaison (IV), est tout particulirement importante
dans la mesure o elle procure un bouclage systmique, pourrait-on
dire, au schma d'interdpendance. Dsormais, les transformations
portent non seulement sur les caractristiques sociales (les rsidus)
que l'on favorise l'intrieur de la socit, mais sur l'importance
relative de ces rsidus dans la socit1.
1. Cela ouvre la voie de nombreuses perspectives pour comparer
les approches de Pareto avec celles d'autres sociologues conomistes
(comme M. Weber par exemple) pour laborer le thme des mentalits
conomiques dans le cadre de la sociologie conomique des annes
1890-1920.
1257
-
Revue conomique
En effet, si l'on prend en compte cette remarque pour tablir le
tableau des interrelations (tableau 2B et graphique B) on obtient
:
Tableau 2B. Mutuelle dpendance (longue priode) combinaison
(I) (H) (m) (IV)
agit sur (r) (0 (d) (s)
(r)
f/F - -
(i) F
- F
(d) F F
-
(s) F F f
Graphique B
[II]
CI] [I] [IV]
[III]
> (it-
[II]
[il]
L'analyse de courte priode a montr comment s'tablit une nouvelle
slection sociale telle que la prminence des rsidus de combinaisons
(r{) sur les rsidus de la persistance des agrgats (r2) peut
entraner un effet bnfique sur la production des richesses de par
l'action sur les intrts de l'lite et des classes non
gouvernementales au point de compenser, et au-del mme, la
destruction de richesses qu'entrane le protectionnisme. L'analyse
de longue priode indique que le mcanisme explicatif bas sur les
combinaisons (II) et (IV) se prolonge par un effet en retour sur
l'expression des rsidus eux-mmes de faon perptuer les
transformations de courte priode. Et il faut intgrer alors le fait
que ces modifications peuvent toucher l'ensemble de la population
et non pas seulement les lites. Dit d'une autre faon, cela veut
dire que Pareto introduit ici l'effet d'une modification des
mentalits conomiques pour employer un terme gnral -et ses
consquences long terme sur l'activit conomique. Toutefois, cela ne
va pas aller indfiniment dans le mme sens : les mcanismes de
slection d'une telle lite et les modifications subsquentes des
rsidus vont rencontrer des limites. Pareto en indique trois.
Premirement, la protection industrielle va de pair avec la
protection agricole. Or les deux ont des effets contraires sur la
composition des lites puisque la protection agricole se fait
l'avantage des propritaires terriens plutt porteurs des rsidus
(r2). Deuximement, le mcanisme de slection des lites qui favorise
les individus dots de rsidus (rj) et la modification de la classe
gouvernementale qui lui fait suite peut affaiblir cette dernire par
rapport aux classes gouvernes et aux contre-lites. En effet, pour
Pareto, la premire classe de rsidu signifie une prdominance de la
ruse alors que c'est la fiert et la force qui prvalent avec la
deuxime classe de rsidu, et il ajoute que ces deux diff-
7255
-
Philippe Steiner
rents rsidus sont ncessaires pour pouvoir rester une classe
gouvernementale (ibid., 2176). Troisimement, le gouvernement par
les rsidus de la premire classe demande que l'on dpense beaucoup
pour obtenir des partisans la dpense aide la ruse - dfaut de
pouvoir obtenir les choses par la force, alors qu'en mme temps
l'industrie des nations modernes exige un flux croissant de
capitaux. La croissance du capital, combine celle des dpenses
publiques, suppose son tour celle de l'pargne. Or, selon Pareto, la
formation de l'pargne est plutt lie la persistance des agrgats (r2)
qu' l'instinct des combinaisons (rj)1, ce qui signifie que la
dynamique de longue priode rencontre l une limite conomique, limite
dont la force se fera d'autant plus sentir que l'effet de longue
priode favorisant les rsidus (r{) dans l'ensemble de la population
sera lui-mme fort.
CONCLUSION
Cette tude transversale de l'uvre de Pareto sur le thme du
protectionnisme a permis d'tablir quelques rsultats. Premirement,
l'analyse des textes a montr que ce que l'on a pu considrer comme
des inconsquences de Pareto ne sont pas telles lorsqu'on les
rapporte l'volution de la problmatique par- tienne et aux divers
niveaux d'analyse qu'il distingue. Deuximement, la problmatique de
Pareto est tout la fois insre dans une tradition librale, y compris
dans sa version polmique, et solidement construite du point de vue
analytique avec sa formulation spcifique du paradoxe de l'action
collective ; et il s'agit l sans doute d'une des toutes premires du
genre. En s 'arrtant ces deux premiers points, il est alors
possible de faire ntre, la conclusion de K. Wicksell ([1899], p.
158) - qui n'tait pas, on le sait (P. Hennipman [1982], p. 47-48),
un inconditionnel de Pareto : Quels que soient les dfauts que l'on
trouve chez Pareto, personne ne pourra jamais l'accuser du pire des
dfauts que l'on puisse trouver chez un auteur : le manque
d'ides.
Un troisime rsultat vaut sans doute la peine d'tre dgag.
L'accent mis, dans le Cours, sur la formulation du paradoxe de
l'action ne doit pas conduire ngliger le fait que, si Pareto
utilise encore cet argument dans le Manuel, tel n'est plus le cas
du Trait. De toute vidence, avec le recul historique, on ne peut
vouloir expliquer cette inflexion par le fait que Pareto s'tait
avanc dans une impasse : tout au contraire, il y aurait plutt lui
reprocher de n pas aller plus loin dans la voie dfriche dans le
Cours. L'inflexion provient de ce que I' object de ses rflexions
s'est transform. Pareto veut aboutir un point de vue synthtique sur
le social ; cela veut dire qu'il recherche une explication de
l'action sociale qui n'est pas rductible l'explication conomique.
Il n'y a
1. Ds le Manuel, Pareto dclare explicitement que la formation de
l'pargne n'est dtermine ni exclusivement ni mme principalement par
le taux d'intrt et qu'il n'y a pas de liaison dtermine entre les
variations du taux d'intrt et les variations de l'pargne (Pareto
[1909], VDI, 11). Dans le Trait, il associe l'pargne aux rsidus de
la persistance des agrgats ([1916], 2228) et il dconnecte encore
plus fortement qu'avant la formation de l'pargne du taux de l'intrt
(ibid., 2232) pour insister sur sa dpendance vis--vis de
caractristiques instinctives (les rsidus).
1259
-
Revue conomique
donc pas chez lui, la diffrence de ce qui se fera plus tard au
cours de la deuxime moiti du XXe sicle, de tendance 1' imprialisme
conomique . Sa dfinition large de l'action non logique (action qui
n'a pas de sens subjectif pour l'acteur ou bien qui n'a pas de sens
objectif pour l'observateur ou, finalement, dans laquelle le sens
objectif et le sens subjectif ne concident pas) l'amne, d'une part,
penser que les actions conomiques ne sont pas seulement des actions
logiques (o les sens subjectifs et objectifs existent et
concident)1 et, d'autre part, refuser d'appliquer le raisonnement
conomique hors des frontires traces par lui alors que, de son
vivant, certains comme P. Wicksteed2, levrent la voix en ce sens.
ce titre, Pareto est bien, au-del de ses apports en conomie
politique pure, un des fondateurs de la sociologie conomique.
RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bastiat F. [1848a], Physiologie de la spoliation , dans Bastiat
[1863], t. 4, p. 127-148. [1848b], Proprit et spoliation , dans
Bastiat [1863], t. 4, p. 395-434. [1849], Protectionnisme et
communisme , dans Bastiat [1863], t. 4, p. 504-545. [1850]
Spoliation et loi , dans Bastiat [1863], t. 5, p. 1-16. [1863],
Sophismes conomiques, uvres compltes de Frdric Bastiat, t. 4 et
5,
Guillaumin, 2e d. Bhagwati J. [1980], Lobbying and Welfare ,
Journal of Public Economies, p. 355-
363. [1982], Directly Unproductive, Profit-Seeking (DUP)
Activities , Journal of Poli
tical Economy, p. 988-1002. [1983], DUP Activities and
Rent-Seeking , Kyklos, p. 634-637. [1988], Protectionnisme, trad,
franaise, Paris, Dunod [1990]. BUSINO G. [1974], Gli studi su
Vfredo Pareto oggi, Bulzoni. [1989] (dir.), L'Italia di Vfredo
Pareto : economia e societ in un carteggio del
1873-1923, Banca commerciale italiana.
1. Il ne faut pas oublier que l'entrepreneur en situation de
concurrence pure et parfaite agit pour partie d'une manire non
logique : le but subjectif est la maximisation de ses gains alors
que le but objectif est l'quilibre conomique et l'annulation des
gains pour les entrepreneurs (ibid., 159). Cette dissociation des
deux buts introduit donc des actions non-logiques au cur mme du
processus conomique.
2. II est impossible d'lever le traitement des usages
alternatifs des biens conomiques un quelconque degr d'abstraction
(comme c'est le cas avec la mthode diagram- matique ou la mthode
mathmatique) sans percevoir que l'on s'occupe en ralit de la
psychologie des choix dont l'application s'tend bien au-del des
problmes conomiques. (P. Wicksteed [1906], p. 816).
1260
-
Philippe Steiner
Euzent P.J. - Martin T.L. [1984], Classical Roots of the
Emerging Theory of Rent Seeking : the Contribution of Jean-Baptiste
Say , History of Political Economy, p. 255-262.
Giardina E. [1992], The Italian Tradition in Public Finance and
the Theory of Public Choice dans A. Peacock, Public Choice Analysis
in Historical Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press,
p. 145-167.
Gomes L. [1990], Neoclassical International Economic, an
Historical Survey, Londres, Macmillan.
GUYOT Y. [1905], La comdie protectionniste, Paris, E. Fasquelle.
HENNIPMAN P. [1982], Wicksell and Pareto : their Relationship in
the Theory of Public
Finance , History of Political Economy, p. 37-64. Hutchison T.W.
[1953], A Review of Economic Doctrines : 1870-1929, Greenwood
Press [1975]. Kayaalp O. [1987], Early Italian Contributions to
the Theory of Public Finance : Pan-
taleoni, De Viti de Marco, and Mazzola , dans D.A. Walker (ed.),
Perspectives on the History of Economic Thought, vol. 1, Edward
Elgar, p. 155-166.
Krueger A.O. [1974], Political Economy of the Rent-Seeking
Society , American Economic Review, p. 291-303.
Olson M. [1966], La logique de l'action collective, trad,
franaise Paris, PUF [1978]. Pareto V. [1887], Le nouveau tarif
douanier italien , dans Pareto [1965], p. 1-19. [1889], La crise
conomique en Italie , dans Pareto [1965], p. 20-39. [1890-1893],
Lettres d'Italie , dans Pareto [1965], p. 40-102, 114-123,
126-136,
164-169. [1891], Le protectionnisme en Italie , dans Pareto
[1965], p. 103-113. [1892], Traits de commerce , dans Pareto
[1966], p. 73-81. [1893], Les effets de la protection douanire en
Italie , dans Pareto [1966], p. 82-88. [1894a], Les finances
italiennes , dans Pareto [1965], p. 200-222. [1894b], II massimo di
utilit dato dalla libra concorrenza , dans Pareto [1982],
p. 276-294. [1895a], Teoria matematica del commercio
internazionale , dans Pareto [1982],
p. 305-327. [1895b], Protectionnisme et communisme , dans Pareto
[1965], p. 223-225. [1896-1897], Cours d'conomie politique, uvres
compltes, t. 1, Droz [1964]. [1897], L'tatisme en Italie , dans
Pareto [1965], p. 226-254. [1899a], L'impt progressif, dans Pareto
[1966], p. 136-138. [1899b], I problemi dlia sociologia , dans
crits sociologiques mineurs, uvres
compltes, t. 22, p. 165-177, Droz [1980]. [1900a] c.r. P. du
Maroussem "Les enqutes : thorie et pratique" , dans Pareto
[1966], p. 182-183. [1900b], Le pril socialiste , dans Pareto
[1965], p. 322-339. [1902-1903], Les systmes socialistes, uvres
compltes, t. 5, Droz [1965]. [1903], Protection et impt , dans
Pareto [1966], p. 226-228. [1909], Manuel d'conomie politique,
uvres compltes, t. 7, Droz [1981]. [1916], Trait de sociologie
gnrale, uvres compltes, t. 12, Droz [1968]. [1960], Lettere a
Maffeo Pantaleoni, sous la direction de G. Di Rosa, Banca
Nazio-
nale del Lavoro. [1965], Libre changisme, protectionnisme et
socialisme, uvres compltes, t. 4,
Droz. [1966], Mythes et idologies de la politique, uvres
compltes, t. 6, Droz. [1975], Correspondance, uvres compltes, t.
19, Droz.
1261
-
Revue conomique
[1982], crits d'conomie politique pure, uvres compltes, t. 26,
Droz. [1989], Lettres et correspondances, uvres compltes, t. 30,
Droz. PEEL J.D.Y. [1971], Herbert Spencer, the Evolution of a
Sociologist, Heinemann. Ravk J. [1991], Le libre change et le
protectionnisme en France , dans Y. Breton,
M. Lutfalla (dir.), L'conomie politique en France au XIXe sicle,
Paris, Econo- mica, p. 525-553.
ReismanD. [1990], Theories of Collective Action, Downs, Olson
and Hirsch, New York, St Martin's Press.
Say J.-B. [1814], Trait d'conomie politique, 2e d., Paris,
Renouard. Sen A.K. [1976], Rational Fools, a Critique of the
Behavioral Foundations of Econo
mic Theory , Philosophy and Public Affairs, p. 317-344. SPENCER
H. [1884], L'individu contre l'tat, trad, franaise, Paris, Alcan
[1892]. [1896], Les institutions professionnelles et industrielles,
trad, franaise, Paris, Alcan
[1898]. Tollison R.D. [1982], Rent Seeking : a Survey , Kyklos,
p. 575-601. TORRISI G.P. [1981], La dmarche scientifique de Vfredo
Pareto : pour une relecture du
Trait de sociologie gnrale , Louvain-la-Neuve. Valade B. [1990],
Pareto, la naissance d'une autre sociologie, Paris, PUF. WlCKSELL
K. [1899], Vilfredo Pareto's "Cours d'conomie politique" , dans
Selected
Papers on Economie Theory, Kelley [1969], p. 141-158. Wicksteed
P.H. [1906], Pareto's "Manuale di economia politica" , dans The
Com
mon Sense of Political Economy, Londres, Routledge and Kegan, 2e
d. [1933], vol. 2, p. 814-818.
InformationsAutres contributions de Monsieur Philippe
Steiner
Pagination1241124212431244124512461247124812491250125112521253125412551256125712581259126012611262
PlanLa suprmatie du libre-change et l'origine de la protectionLa
protection et le paradoxe de l'action collective L'quilibre social,
le protectionnisme et le cycle conomiqueConclusion Rfrences
bibliographiques
IllustrationsTableau 1.Tableau 2A. Mutuelle dpendance (courte
priode)Graphique 1.Tableau 2B.Mutuelle dpendance (longue
periode)Graphique B