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Recherches sur Diderot et surl'Encyclopdie33 (2002)Varia
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Paolo Quintili
Sur quelques sources de Diderotcritique
dart................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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Rfrence lectroniquePaolo Quintili, Sur quelques sources de
Diderot critique dart, Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopdie
[Enligne], 33|2002, document 5, mis en ligne le 03 mars 2011,
Consult le 10 octobre 2012. URL: /index81.html;DOI:
10.4000/rde.81
diteur : Socit
Diderothttp://rde.revues.orghttp://www.revues.org
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le fac-simil de l'dition papier.Proprit intellectuelle
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Paolo QUINTILI
Sur quelques sources de Diderotcritique dart
1. Les caractres philosophiques de la critique dart laube des
Lumires Cette recherche entend recueillir et commenter des textes
dauteurs
qui ont jou un rle dterminant dans linitiation artistique, assez
tardive,de Diderot1. Ce sont des sources reconnues, dont les propos
retentissentdans les pages des Salons, des Essais sur la peinture
et des Pensesdtaches2. Ces textes, par ailleurs, sont importants
dans une perspectivegnrale dinterprtation qui voit la critique dart
de Diderot sinscrire dansle cadre (et au sommet) dun courant plus
vaste de pense critique3connot, dans le domaine spcifique des beaux
arts, par :
1 lirruption du sujet (spectateur) dans luvre des deux
cts,productif et rceptif et, par consquent, la chute des barrires
conven-tionnelles entre lauteur et le spectateur. Ce trajet
hermneutique sachvesur le processus de synthse de la dcouverte et
de linvention potique,ordonne sur les trois axes de lexprience :
vision, rflexion, opration/exprimentation (dans lart, cest la
synthse du sujet et de lobjet dans lesystme de la nature-exprience
: les promenades diderotiennes dansles tableaux) ;
2 le rejet de lautorit et des ides reues dans lopration
dejugement : libert/libration dun regard second de la critique4
;
1. Cf. J. Proust, Linitiation artistique de Diderot , dans
Gazette des Beaux-Arts, t. 55, 1960, pp. 225-32.
2. Cf. E.-M. Bukdahl, Diderot critique dart, traduit du danois
par J.-P. Faucher, vol. I : Thorie et pratique dans les Salons de
Diderot , Copenhague, Rosenkilde & Bagger, 1980.
3. Voir larticle de M. Modica, Diderot philosophe et critique
dart. Essai surlesthtique de Diderot, ci-dessus ; et mon livre : La
pense critique de Diderot.Matrialisme, science et posie lge de
lEncyclopdie. 1742-1782, Paris, HonorChampion, 2001, chap. 7, La
critique dart.
4. Voir mon article : La couleur, la tchne, la vie. Lesthtique
pistmologique desSalons (1759-1781), dans RDE n 25, octobre 1998,
pp. 21-39, 1 : La chose, la mimesiset le regard second de la
critique .
Recherches sur Diderot et sur lEncyclopdie, 33, octobre 2002
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3 un renvoi normatif lide de nature en tant que critre
rgulateurdans les choses de got, pour mieux cerner ce qui est d
lartifice, ltude, la culture (tchne) de lartiste.
Voil les instances philosophiques communes plusieurs auteurs
decette poque, dans un courant de pense o lon voit la moderne
critiquedart, sa naissance, se dployer partir, conventionnellement,
despremires protestations classicistes de Roland Frart de Chambray
etdAndr Flibien contre les uvres contraires au grand got, ds
lapremire moiti du XVIIe sicle, jusquaux synthses pr-diderotiennes
deLouis Petit de Bachaumont et de labb Jean-Baptiste Du Bos, un
sicleplus tard. Les textes suivants aideront le lecteur des Salons
et des ouvragesde critique dart de Diderot saisir les nuds
historiques et conceptuels quimarquent ce passage au nouveau style
le ralisme expressif queprconise Diderot lui-mme dans ses
comptes-rendus, et couronnent lessorde la premire critique dart
matrialiste de lpoque contemporaine, lacritique diderotienne.
2. Les thories classicistes de Frart de ChambrayAu cur du Grand
Sicle, slvent dabord les protestations
classicistes de Roland Frart, Sieur de Chambray (1606 - 1676),
contre les peintres libertins de son sicle. Frart est lauteur dune
Ide de laperfection de la Peinture (1662) qui porte comme long
sous-titre : Demonstre par les principes de lArt, et par des
Exemples conformesaux observations que Pline et Quintilien ont
faites sur les plus clbresTableaux des Anciens Peintres, mis en
parallle quelques ouvrages de nosmeilleurs Peintres Modernes,
Lonard de Vinci, Raphal, Iules Romain, etle Poussin. Par Roland
Frart sieur de Chambray .
Lauteur prsente, quelques dtails prs, la mme partition
quedonnera Roger De Piles dans ses Conversations sur la
connoissance enPeinture (1677), la Table des articles de ce trait ,
p. 135 : De lInvention,premire partie de la peinture. p. 11. De la
Proportion, 2e partie. p. 11. Dela Couleur, ou application des
Ombres et des Lumires, 3e partie. p. 12. DesMouvements, ou
Expression des passions, 4e partie. p. 13. De laPerspective, ou
position rgulire des Figures, 5e partie. p. 17 . Contre legot des
modernes, le dbat de Frart souvre sur lide de perfection parune
sorte de rcusation des peintre de son sicle, accuss de libertinage
:
Presque tous les Modernes ne regardent que lutilit presente
(...). Pour ceteffet ils ont introduit par leur Cabale, je ne say
quelle Peinture libertine, &entierement degage de toutes les
sujetions qui rendoient cet Art autrefoissi admirable; et si
difficile (...). Voil lIdole du temps present, qui levulgaire de
nos Peintres sacrifie tout son travail; mais ceux qui ont delesprit
(...) disent avec autant de compassion que de mepris, Auldus sit
qui
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 99
Cithardus esse non possit, & ont piti de ceux qui la nature
nayant pasdonn lesprit ncessaire pour se pouvoir eslever iusques
aux connoissancesoriginelles de lArt, sont forcez par leur
impuissance, de demeurer dans unesimple pratique de faire
mechaniquement les choses ainsi quils les ontapprises de leurs
Maistres peu esclairez (p. 2).
La peinture, selon Frart, jouit de la plus haute estime parmi
lescontemporains mais ce nest peut tre qu cause dun Amour aveugle
&dune flatterie indiscrette & trop gnrale , ce qui fait
quaujourdhui elleserait corrompue par les murs . Frart insiste sur
la svrit dejugement ncessaire pour le rtablissement des arts avec
un effet positifsur les murs. Lart devrait avoir, ainsi, une
fonction sociale mais conueen fonction dun but esthtique de
rtablissement du got ancien :
Il faudroit donc necessairement, pour luy rendre sa puret
originelle,rappeller aussi cette premire Severit avec laquelle on
examinoit lesproductions de ces grands Peintres que lAntiquit a
estimez (...). Pourarriver ce but, il ny a certainement point
dautre voye que lexacteobservation de tous les Principes
fondamentaux dans lesquels consiste saperfection, & sans quoi
il est impossible quelle subsiste (ibidem).
Frart partage lopinion qui sera celle de De Piles : Raphal
dUrbin est leplus parfait peintre, universellement reconnu pour tel
par ceux de laProfession . Et Michel-Ange, est, par rapport lui, le
libertin :
plus grand en rputation mais beaucoup moindre en mrite que
Raphael,[il] nous fournira pleinement, dans ses extravagantes
Compositions, la matirepropre dcouvrir lIgnorance et la temerit des
libertins, qui, foulant auxpieds toutes les Regles de lArt, nen
suivent point dautres que leurs caprices(pp. 2-3).
Frart revendique, au nom du travail moral-social de lArt, une
place noble pour la peinture parmi les arts, en la dmarquant des
artsmcaniques :
Et cest un abus insupportable de la ravaler parmi les Arts
mcaniques,puisquelle est fonde sur une science demonstrative
beaucoup plus claireet plus raisonnable que cette philosophie
pedantesque qui ne nous produitque des Questions et des Doutes (p.
3).
Mais il a, lui aussi, ce double regard du critique :
Mais il faut avoir deux sortes dyeux pour savoir jouir
veritablement de sabeaut : car lil de lEntendement est le premier
et principal juge de sesOuvrages (pp. 3-4).
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Il y a des avantages et des dsavantages dans le rapport avec les
anciensmodles. Quel est le sens de la recherche de leffet sur le
spectateur, si lonse rapporte encore eux ?
Ca est un grand bon-heur, & un avantage singulier pour le
restablissementde cette excellente profession, que sa partie
mechanique se soit parfaitemententretene, que ie ne crois pas quen
ct gard l il nous reste rien desirerdes Anciens (...) Si bien quil
nest plus question maintenant que de bienconnoistre en quoy pouvoit
consister ce rare Talent de nos Maistres delAntiquit ; et le
merveilleux effet que les historiens crivent de leursOuvrages (pp.
6-7).
Lintention de Frart est celle de poursuivre les propos de Lonard
de Vinci :dun art prs de la nature, connue techniquement. Mais il
oppose, en mmetemps, contre lidal de la Renaissance, le grand
nombre douvriers de lapeinture , au fort peu de vray Peintres . Ces
derniers suivent attentifsles cinq Parties de la peinture des
Anciens. A travers la critique dunaturalisme lonardien, Frart peut
distinguer les aspects propres dunetechnique historique spare de la
nature et de ses lments :
Qui sont proprement ses principes fondamentaux [...] lInvention,
oulHistoire ; la Proportion, ou la Symetrie ; la Couleur, laquelle
comprendaussi la juste dispensation des lumires et des ombres ; Les
Mouvemens, osont exprimes les Actions et les Passions ; et enfin la
Collocation, ouPosition regulire des Figures en tout lOuvrage (p.
10).
La premire partie de la peinture, la plus importante, est donc
linvention :
LInvention ou le Gnie dhistorier et de concevoir une belle Ide
sur leSujet quon veut peindre, est un Talent naturel qui ne
sacquiert ny parlestude , ny par le travail : Cest proprement le
feu de lesprit, lequel excitelImagination et la fait agir. Or comme
cette Partie de lInvention tientnaturellement le premier lieu dans
lordre des choses [...] aussi monstre-elleplus quaucune autre la
qualit de lesprit ; sil est Fecond, Iudicieux, &Releu: ou au
contraire, sil est sterile, confus et bas (p. 11).
Il manque, dans le classement de Frart, une Partie relative au
desseinproprement dit. Lon trouve deux sections consacres, lune la
Proportion (pp. 11-12) lautre la Position regulire des figures
ouCollocation, Base de tout lEdifice de la Peinture, et pour ainsi
dire le lienet lassemblage des quatres premires, qui sans celle-cy,
nont ny forme nysubsistance . Cette partie contient un discours sur
le dessein (pp. 17-23),mais il est dtach du contexte et isol dune
analyse correspondante,parallle au rapport avec la couleur que plus
tard, suivant Diderot ayant
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 101
tudi la technique du dessein lcole de Jean Cousin (1500-1590)5
donne la vie aux figures. Donner la parole aux objets dans
lareprsentation travers le dessein, selon Frart, est lentreprise du
grandpeintre qui a affaire avec Des mouvements, ou de lexpression.
4 Partie :
Cette quatrime [partie] est excellente par dessus les autres, et
tout faitadmirable: car elle ne donne pas seulement la vie aux
Figures par larepresentation de leurs gestes et de leurs passions,
mais il semble encorequelles parlent et quelles raisonnent. Et cest
de l quon doit juger ce quevaut un Peintre, puisquil est certain
quil se peint luy-mesme dans sestableaux (p. 13).
Frart distingue le Coloris, lart de disposer et de mler les
diffrentesteintes de couleur entre elles, et la Couleur proprement
dite, lie leffet(des lumires et des ombres ainsi obtenus) sur le
spectateur :
La science des ombres et des lumires, laquelle est en quelque
sorte unebranche de la perspective, o le centre du corps lumineux
reprsente loeil;et la section qui se fait de ses rayons sur le
plan, ou sur toute autresuperficie, exprime precisment le vray
contour, et la forme mesme ducorps esclair (p.12).
Une pointe de moralisme descriptif caractrise le propos du
critique. Cetaccent de Frart sera bien retenu par Diderot :
Un peintre qui se voudra signaler dans sa profession, doit
sestudier dautres meilleures Ides, et tenir pour une maxime trs
assur, que rien nepeut estre beau sil nest honneste (p. 16).
Selon Frart, la cinquime partie de la Peinture est celle qui
joue un rlecognitif, la Position regulire :
Parce que lOrdre est la source, et le vray principe des Sciences
: et pour leregard des Arts, il a cela de particulier et de
merveilleux, quil est le pre dela beaut, et quil donne mesme de la
grce aux choses les plus mdiocres,et les rend considerables (p.
19).
5. Cf. J. Cousin, LArt de Desseigner, Paris, Chez Iollain, 1685,
p. ii. Sous-titre : Reveu, Corrig et Augment par Franois Iollain,
Graveur Paris, de plusieurs Morceauxdaprs lAntique avec leurs
mesures et proportions, dune descrition exacte des Os etMuscles du
Corps humain et de leurs offices et usages, et dune instructions
facile pourapprendre Desseigner toutes ces figures selon les
differens aspects quelles peuventavoir . Il sagit dun trait
didactique classique pour coliers de dessin, riche en exempleset en
courtes explications.
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Frart ritre son opinion : la Peinture est une science plutt quun
artmcanique. Elle vise un effet totalisant de ses parties,
finalises pour leregard du spectateur :
Voyons donc en quoy consiste cette partie si importante, et par
manire dedire, si Totale, qui acheve non seulement de former un
Peintre, mais quicomprend tout ce que la Peinture a de
scientifique, et qui la tire dentre lesArts mchaniques pour luy
donner rang parmi les Sciences (p. 19).
Pour la peinture, le caractre de science vient de lalliance avec
la gomtrieoptique. Le peintre apprend voir les choses avec les yeux
delEntendement . Ce ne sera rien dautre que lart de la Perspective,
ouCollocation regulire des figures dans un Tableau ; v que cest par
ellequon dcide precisment, et avec demonstration, ce qui est bien
et ce quiest mal dans lart :
Comme le Peintre fait profession dimiter les choses selon quil
les void, ilest certain que sil les void mal, il les reprsentera
conforme sa mauvaiseimagination, et fera une mauvaise peinture; si
bien quavant que de prendrele crayon et les pinceaux, il faut quil
ajuste son oeil avec le raisonnement,par les principes de lArt qui
enseigne voir les choses, non seulement ainsiquelles sont en elles
mesmes, mais encore selon quelles doivent estrefigures. Car ce
seroit bien souvent une lourde faute de les peindreprcisement comme
loeil les void; quoy que cela semble un paradoxe. Orcet Art si
ncessaire que les savans ont nomm lOptique, et que lesPeintres et
tous les Desseignateurs appellent communement la Perspective,donne
des moyens infaillibles de reprsenter prcisement sur une
surface(...) tout ce que loeil void et peut comprendre dune seule
oeillade, pendantquil demeure ferme en un mesme lieu (pp. 20-21)
.
La position que Frart tient lgard de la peinture de son temps
est, dansses propos, celle dun conservatisme classique qui taye ses
thses surlautorit des grands et ne conoit pas que lart de peindre
puisse serabattre en fondant ses rgles sur les arbitres, les
caprices dauteurs libertins , ou sur lopration des sujets crateurs
mme de gnie, commeMichel-Ange. Pourtant, ses remarques sur le
rapport art-sciences-techniques et sur le type de lgislation que
doit exercer la nature dans lart,le rapprochent de la tendance
moderne, tant dcrie.
3. Lacte cognitif du critique : Roger De PilesUn auteur cheval
de deux poques qui, comme Frart, va dans cette
direction de mdiation entre classique et moderne, mais qui se
montrebeaucoup plus libre par rapport aux schmes classiques dans
notre
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 103
division, ci-dessus (1), il accepte, partiellement, les points 2
et 3 etnaccueille pas le point 1 cest Roger De Piles (1635-1709)
dans sesConversations sur la connoissance de la peinture et sur le
jugement quondoit faire des Tableaux (1677). Sous-titre : O par
loccasion il est parlde la vie de Rubens, & de quelques uns de
ses plus beaux Ouvrages. Si vousen voulez savoir davantage, voyez
le Dictionnaire des arts de M. Flibien6 .
Ds la Prface, le propos critique de lauteur nest pas normatif ;
etlesprit de la prsentation rappelle de prs celui des Essais de
Diderot :
Mon cher lecteur, je ne pretens pas vous donner cet Ouvrage
comme desdecisions ; mais comme des penses qui me sont venus sur
les parties lesplus essentielles de la Peinture. Jai divis ce petit
livre en deuxConversations : Dans la premire je tche de disposer
lesprit recevoir lesimpressions que jay cru les plus capables de
laider dans le jugement quildoit faire des Tableaux ; & cest
pour cela que jy donne une ide desfausses connoissances & de
celles qui ne sont que superficielles (p. ii).
Ce passage doit tre rapproch du dbut de la Lettre de Diderot
Grimm,quouvre le Salon de 1765. Diffrence essentielle : Diderot
accepte unesorte de dmocratie du jugement. Toutes les impressions
reues, partir decelle de lenfant jusqu celle de lhomme de lettres,
auront leur droit decitoyennet dans la dynamique dialogique du
jugement et gardent, ainsi,leur valeur propre, particulire, de
vrit. Vrit philosophique est cellequi rend le sens de lexprience
connue esthtiquement et rside dans lasynthse socialise a fortiori
des diffrentes vues quopre le critique, parson double regard.
Lirruption de ce sujet collectif dans luvre marque ladistance entre
Diderot et ces thoriciens du got classique. Lintention deDe Piles
se justifie, encore, lintrieur des cadres classiques du grand got
:
Jy explique ce que cest que le Goust dans les beaux Arts ; jy
parle desOuvrages Antiques & de ceux dentre les modernes qui
ont le plus dereputation, je veux dire de Raphal & de
Michelange. Mais jy dmande unesprit net & epur & qui soit
vide de toute proccupation (ibidem).
Ensuite, De Piles manifeste le sens dialogique de ses
Conversations :
Dans la seconde conversation jy introduis cinq personnes qui
parlent selonleurs diffrents caractres, & selon les diverses
connoissances que chacun
6. Andr Flibien des Avaux (Chartres 1619-Paris 1695), premier
des thoriciensclassiques, il fut ami du Poussin et secrtaire
dambassade de France Rome. Protg parColbert et Fouquet, il crivit,
outre le Dictionnaire, des Entretiens sur les vies et sur
lesouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes
(1666-68), des Principes delarchitecture, de la sculpture, de la
peinture et des arts qui en dpendent (1676) et unRecueil historique
de la vie et des ouvrages des plus clbres architectes (1687).
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deux a, ou croit avoir de la Peinture ; en sorte quil ne sagite
presque pointde question dans cet Entretien, dont ils ne fassent
voir le pour & le contre.Et ces questions regardent
ltablissement des principes que je propose lesprit, quil faut
supposer exempt de toute prvention (p. iii).
Le caractre dmonstratif, ou bien lacte de vrit contenu dans
lacte depeindre, se rvle lorsque De Piles note que lart a affaire
avec lesprit,lequel ne se borne pas regarder, mais construit,
invente, compose :
A la reserve du gnie tout est demonstratif dans la Peinture,
& le Peintre faitles choses plus ou moins fines, &
legantes, proportion quil a lespritdlicat. Les passions quil
exprime dans les figures auront de la noblesse sila lesprit lev (p.
74).
La source de la beaut, du ct subjectif comme du ct objectif,
nest doncpas dans limitation des anciens mais dans ltude de la
nature que font lesmeilleurs peintres :
Rubens (...) a puis la mme source, il a cr ne pouvoir mieux
chercherles beautz de la Nature que dans la Nature mesme. Il la
choisie autant quecelle de son pays luy a p permettre, en y
ajoutant ce que son ide luyfournissait de grand et de noble, mais
toujours convenable son sujet (p.255).
Un loge du Poussin comme restaurateur des anciennes figures
desmurs romaines et grecques est ritr maintes fois par De Piles
(pp. 40,245-246, 266-267). Lexpression des passions et leurs
fonctions construc-trices de la forme, sont au cur de son discours
:
Les passions de lme, reprit Philarque, sexpriment par les
mouvements,non seulement des parties du visage, mais encore de
celles du corps : Et detoutes les passions il y en a de violentes,
il y en a de douces, et les doucessont beaucoup plus difficiles
exprimer, car le mouvement en estimperceptible la vue des yeux,
mais seulement celle de lesprit (p. 268)
Ce que De Piles appelle Got est un produit mtaphorique de
lactionde juger, cest la synthse des reprsentations de cet esprit
constructeurqui allie limagination et linvention au raisonnement
:
Le mot de Goust dans les arts est Mtaphorique : Nous lavons
transportde la langue pour le faire servir lesprit ; et de la mme
faon que nousdisons que lesprit voit, nous disons encore quil
gouste [...] le Goust danslesprit generalement parlant, nest autre
chose que la manire dont lespritest capable denvisager les choses
selon quil est bien ou mal tourn ; cest--dire, quil en a conue une
bonne ou mauvaise ide. Et que le bon Goustdans un bel Ouvrage est
une conformit des parties avec leur tout, et du toutavec la
perfection (Ibidem).
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 105
Sur le Clair-obscur, par exemple, De Piles semploie claircir les
procduresde construction de luvre dans son ensemble : Le
Clair-obscur regardeles objets particuliers, les Groupes & le
Tout-ensemble (p. 275). Il est lefondement du coloris, son
quivalent formel qui tient un acte cognitif delimagination et de
lentendement la fois, qui mle les teintes en vue deleffet7. En
revanche :
La couleur se considre de trois faons ; ou dans son unit &
par rapport lobjet quelle represente, ou dans sa pluralit & par
rapport lunion queles couleurs doivent avoir les unes avec les
autres, ou enfin dans sonopposition. Dans limitation des objets
particuliers, le grand secret nestpoint de faire en sorte quils
ayent leur veritable couleur, mais quilsparoissent lavoir : car les
couleurs artificielles ne pouvant atteindre lclat de celles qui
sont en la Nature, le Peintre ne peut les faire valoir quepar
comparaison [...] La couleur distingue parfaitement les corps les
uns desautres, selon lide exterieure que nous en avons conue : les
chairs, le linge& les toffes de diffrentes faons ; tout ce quil
a mis dans le ciel paroitceleste & ce quil a peint sur la terre
conserve le caractre de sa Nature (p. 290).
Le critique est celui qui introduit cette vue de lesprit dans
luvre. Ilveut duquer le spectateur dans le travail de dvoilement du
sens cach,produit du technique, derrire le sens apparent. Le moyen
critique est aussiun fait du technique ; sa magie pratique, dit De
Piles, consiste restituer,pour le sujet observant, la vie de la
chose travers lart du coloris propos quon retrouvera chez le
Diderot de la maturit8. Diffrenceremarquable entre les deux : De
Piles nutilise pas le mot technique pour indiquer lensemble des
procdures du mtier dun artiste. Il seprvaut du terme, plus gnral,
de Rgles , au pluriel. Il en suit un primatde lart sur la nature
:
LArt est au dessus de la Nature, repartit Philarque, & bien
quelle soit laMatresse des Peintres, il y a beaucoup de choses
quelle ne leur apprendpas toujours, & en quoi elle est
redevable lArt de les mettre en pratiquepour la faire parotre
davantage. La Nature est ingratte qui ne la sait pointfaire valoir
; elle est journalire, & ses beaux moments dpendent decertaines
dispositions dans lesquelles lobjet se trouve, ou de la lumiresous
laquelle il est. Le Peintre doit savoir indispensablement toutes
ceschoses, & le secours quil en peut tirer: car ce nest point
assez quil voye
7. Cf. B. Teyssdre, Roger de Piles et les dbats sur le coloris
au sicle de Louis XIV,Paris, La Bibliothque des Arts, 1965, sur
lensemble des dbats qui opposent les partisansdu Dessin et du
Coloris lge classique.
8. Cf. La couleur, la techn la vie cit., 4 : La couleur, souffle
divin des tres, vieet sentiment de la chair .
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la Nature comme elle se presente devant ses yeux, il la doit
voir des yeuxde son esprit, de toutes les faons quelle est visible
ceux du corps, & senservir de la manire la plus avantageuse (p.
279).
Cependant, la peinture devrait sa rsurrection la sculpture qui
auraitappris aux mmes peintres un nouveau regard sur la chose , au
del dela manire :
Ce nest que par les restes qui ont evit la fureur des Barbares,
que Raphalet Michelange, se sont tirs de la manire seche &
petite qui a est pratiquepar Cimabue, Ghirlandaio, le Perugin,
& par tous les autres qui les ontprecedz dans les derniers
sicles (p. 95).
Le concept de Rgle (synonyme de principe infaillible ) est
employ,par De Piles, ct de celui de Gnie . La diffrence par rapport
ladoctrine de Diderot consisterait en ce que la nature mme est au
dessus des rgles . Celles-ci ne sont que les instruments dont lart
tire la quintessence de son ordre. Les rgles modrent le gnie, et
celui-ciimpose ses principes oprationnels son art :
Il est constant que la nature & le gnie sont au dessus des
rgles & sont cequi contribue davantage faire un habile homme
[...]. Il faut donc une mequi ait les mouvements prompts &
faciles, qui ait du feu pour inventer, &de la fermet dans
lexecution. Et ces choses qui sont un present de lanature, ne sont
pas toujours donnes avec une msure si juste, quellesnayent besoin
de rgles pour se contenir dans des bornes raisonnables [...].Rubens
a bien cr que la peinture estant un art & non pas un pur effet
ducaprice, elle avait des principes infaillibles dont il tireroit
bien-tost laquintessence par lordre quil savoit donner ses estudes.
Il a cherch cesprincipes, il les a trouvz, & sen est servi
utilement comme on le voit dansses Ouvrages (pp. 226-227).
De Piles conclut contrairement Diderot, pour ce qui concerne
lemploides techniques lautonomie absolue de lesprit dans la cration
:
Cest lesprit tout seul qui a travaill ses tableaux; & lon
peut dire qulimitation de Dieu, il a souffl ce mesme esprit dans
ses Ouvrages plustostquil ne les a peints (ibidem).
Les principes de Rubens, matre coloriste, ne sont enfin autre
chose queceux de la Peinture elle-mme (pp. 304 ss.). Dabord, le
critique observe uncaractre particulier de la technique des
couleurs. Aprs avoir remarqu queles mlanges des teintes ont des
effets ngatifs sur la lumire, il note :
Rubens sest dispens autant quil a p de noyer ses couleurs, &
comme ondit ordinairement, de les tourmenter, se contentant de les
mettre en leur
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place & de ne les mler qu proportion de la distance du
Tableau, car cestdelle de qui il attendoit en cela un fort grand
service. Il a peint tous lesTableaux dans cette intention [...].
Ainsi Rubens qui avoit fortement dans lateste le Tout-ensemble de
son Tableau, songeoit plustost faire bien aller samachine quil ne
prenoit soin den polir les roues (p. 304).
Par cette intention, de ne pas sarrter sur les particuliers
dtachs, DePiles, en principe, distingue dans la machine picturale
un caractre de lamain [...] cest lhabitude que chaque Peintre a
contracte de manier lePinceau , par opposition un caractre de
lesprit qui nest autre choseque
le Genie du peintre. Il paroit dans ses inventions, & dans
lair particulierquil donne aux figures, & aux autres objets
quil represente, & selon quece Genie est bon ou mauvais dans
les Peintre, nous disons que leursouvrages sont dun bon ou mauvais
goust (p. 305).
Diderot va essayer de runir ces deux caractres, celui de la main
et celuide lesprit, dans lacte mme il faut le souligner du
jugementesthtique sur luvre. Cette opration est propre des peintres
et desspectateurs, mais dune manire diffrente, dans les deux cas.
De Piles, lafin de son livre, propose un glossaire trs intressant,
des Termes dePeinture . Il fournit une riche nomenclature technique
dont la rception at immanquable, chez Diderot. Voici les mots plus
intressants quil vautla peine de lire intgralement, en parallle
avec les articles encyclopdiquessous les mmes titres, concernant
les mots dart :
CONSTRASTE. Le contraste est une diversit dans la disposition
desobjets & des membres des Figures. Par ex., si dans un Groupe
de troisFigures lune se fait voir par devant, lautre par derrire,
& la troisime parle cost, lon dira quil y a du contraste. Lon
dit encore quune figure estbien contraste, lors que dans son
ATTITUDE les membres sont opposz lesuns aux autres, quils se
croisent ou quils se portent de differents costez.
ATTITUDE. Vient du mot italien Attitudine, qui veut dire laction
& laposture o lon met les Figures que lon reprsente.
CHARGE, CHARGER. Charge est une exageration burlesque des
partiesles plus marques & qui contribunt davantage la
ressemblance, en sorteneantmoins quon reconnoisse la personne dont
on a fait la Charge. On ditun Portrait Charg, ou une Charge,
Charger quelquun.
CARNATION. Cest en gnral les chairs qui sont peintes dans
unTableau. On dit ce Peintre a une belle Carnation, pour dire quil
donne auxchairs une veritable & belle couleur ; mais lon ne dit
point dune partie enparticulier, quelle est dune belle CARNATION,
mais quelle est bien de chair.
CLAIR-OBSCUR. Clair-obscur est la science de placer les jours et
lesombres. [...] Pour dire quun peintre donne ses Figures un grand
relief &
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une grande force, quil debrouille et quil fait connoistre
distinctement tousles objets du Tableau, pour avoir sceu disposer
les corps en sorte querecevant de grandes lumires, ils soient
suivis de grandes ombres, on dit, cethomme-l entend fort bien
lartifice du Clair-obscur.
COLORIS, COLORIER. Le Coloris est une des parties de la
Peinture, parlaquelle on donne aux Objets quon veut peindre les
lumires, les ombres,& les couleurs qui leur conviennent. On
dit, Colorier en peinture & non pasColorer9.
COULEUR. Il y en a de deux sortes, la naturelle et
lartificielle. LaCouleur naturelle est celle des objets qui se
trouvent dans la Nature & quele peintre se propose dimiter :
lArtificielle, est celle dont le Peintre se sertpour imiter la
naturelle.
COULEUR ROMPUE. On appelle Couleur rompue, celle qui est
diminue& corrompue par le melange dune autre. [...] Les C. R.
servent lunion & laccord des couleurs, soit dans les tournans
des corps & dans leursombres, soit dans toute leur Masse.
DESSIN. En peinture se peut entendre de deux faons. Il signifie
lesjustes mesures, les proportions & les formes exterieures que
doivent avoirles objets qui sont imits daprs Nature ; & pour
lors il est pris pour lunedes parties de la Peinture. Il se prend
encore pour la pense dun plus grandOuvrage, soit quil ny paroisse
que des contours, soit que le Peintre y aitajout les lumires &
les ombres, ou quil y ait mesme employ de toutesles couleurs10.
GOUST. Goust en peinture est une ide qui suit linclination que
lesPeintres ont pour certaines choses : Lon dit, Voil un ouvrage de
grandGoust, pour dire que tout y est grand & noble ; que les
parties sontprononces & dessines librement ; que les airs de
teste nont rien de baschacun en son espce ; que les plis des
Draperies sont amples, & que lesjours & les ombres y sont
largement tendus. Dans cette signification lonconfond souvent Goust
avec Maniere, et lon dit tout de mesme: Voil unOuvrage de grande
Maniere.
HISTOIRE. Il y a plusieurs sortes de Tableaux : ils
represententordinairement, ou des fruits, ou des fleurs, ou des
pasages, ou des animaux,ou enfin des figures humaines ; ces
derniers sont appellz TableauxdHistoire, & lon dit dun Peintre,
quil fait bien lHistoire quand il reussitdans lassemblagede
plusieurs figures.
MANIRE. Nous appellons Manire lhabitude que les Peintres
ontprise, non seulement dans le maniement du pinceau; mais encore
dans lestrois principales parties de la Peinture, Invention, Dessin
& Coloris : & selonque cette habitude aura est contracte
avec plus ou moins dtude & deconnoissance du beau Naturel &
des belles choses qui se voyent de Peinture& de Sculpture on
lappelle bonne ou mauvaise manire. Cest par cettemanire dont il est
icy question que lon reconnoit lOuvrage dun Peintre
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9. Ibidem.10. Cf. Ibidem, 3 : lheuristique de la vision et la
monte sur scne du spectateur .
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dont on a dj veu quelque Tableau, de mesme que lon reconnoist
lcriture& le stile dun homme de qui on a dj receu quelque
lettre. Lon ditmesme, connoistre les Manires, pour dire connoistre
de plusieurs TableauxlOuvrage de chaque Peintre en particulier.
PROPORTION. Est une justesse des mesures convenables chaque
objetpar rapport des parties entrelles, & de ces mesmes parties
avec leur Tout.Il se dit ordinairement du corps humain. Pour bien
dessiner il faut savoirles proportions, cest dire, les mesures du
Corps humain. Et cest dans cesens que les Proportions sont une des
parties de la Peinture que lon appelleDessin. LES REPOS. Dans un
Tableau les Repos sont les Masses & les grandsendroits de
clairs ou dombres, lesquels tant bien entendus empeschent
laconfusion des objets, & ne leur permettent pas dattirer la
veue tousensemble: mais la font jour quelque temps de la beaut dun
Groupe & puisdun autre successivement & sans
inquietude.
SEC, DUR, TRENDRE, MOELLEUX. Sec, ou dur se dit dun Ouvrage
dePeinture dont les clairs sont trop prs des Bruns & dont les
contours ne sontpas assez meslez. Tendre, & Moleux signifient
le contraire.
TOUT-ENSEMBLE. Quoique ce terme selon sa force veuille dire
leffetbon ou mauvais que produisent dans un Tableaux les parties de
la Peinturetoutes ensemble: neantmoins il se prend ordinairement en
bonne part, &signifie une harmonie qui resulte de la
distribution des objets qui composentun Ouvrage. Ainsi lon peut
dire dun Tableau par exemple quil est beaupartie partie : mais que
le Tout-ensemble y est mal entendu.
UNION. Accord & simpathie que les coleurs ont les unes avec
lesautres. On dit, voil un Tableau dune grande union. et quand
cette union estgrande & bien entendue lon peut appeller
suavit.
GROUPPE. Est un amas de plusieurs corps assemblez en un peloton
; &lon dit Grouppe de Figures, Grouppe danimaux, Grouppe de
fruits, &c. Ily en peut aussi avoir des corps de diverse
nature, & lon dit telle & tellechoses font grouppe avec
telle & telle autres. Les Italiens disent, Groppo,quils ont
pris du mot latin, Globus.
4. La traduction du De Arte Graphica: De Piles et DufresnoyDe
Piles se prte aussi un travail dinterprte et de traducteur. Il
ajoute ses notes et un commentaire un ouvrage classique, en
latin, queDiderot a bien connu. Il sagit du livre de
Charles-Alphonse Dufresnoy(1611-1668), LArt de Peinture (1667).
Sous-titre : Traduit en Franois.Enrichi de Remarques, rev, corrig,
& augment par Monsieur de Piles.Quatrime dition (1751).
Le type de rvision opre par De Piles est clair. Plusieurs termes
dePeinture qui sont exposs rapidement dans le texte de Dufresnoy,
reoiventdes dfinitions dtailles, analogues celles du glossaire vu
ci-dessus : Tout-Ensemble, Carnation, Grouppe, etc. . De Piles
intgre ainsi louvrageoriginal de Dufresnoy, compos en vers latins
(De arte graphica, Paris,
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1667), avec une explication technique en franais. Le titre
complet deloriginal fait sienne la devise horacienne que Diderot
son tour ferasienne. Nous y retrouvons, la p. 2, le ut pictura
poesis qui aura tantdimportance pour la potique des Salons :
De Arte Graphica Liber. Ut Pictura Poesis erit ; similisque Posi
SitPictura, refert par aemula quaeque sororem Alternantque vices
& nomina ;muta Poesis Dicitur haec, Pictura loquens solet ille
vocari.
De Piles traduit :
La peinture & la posie sont deux Soeurs qui se ressemblent
si fort en touteschoses, quelles se prtent alternativement lune
lautre leur office & leurnom. On appelle la premire une posie
muette, & lautre une Peintureparlante (p. 3).
Si lon suit Dufresnoy, en ce qui concerne la machine picturale
et sonrapport linvention, lordre hirarchique de peinture et posie
est celuidune subordination de la seconde la premire :
INVENTIO, prima Picturae pars. Tandem opus aggredior,
primoqueoccurrit in albo. / Disponenda typi concepta potente
Minerva / Machina,quae nostris Inventio dicitur oris. / Illa quidem
pris ingenuis instructaSororum / Artibus Aonidum, & Phoebi
sublimior aestu (p. 14)
Dufresnoy est cohrent lgard de ses canons classiques, o
linventionest la premire partie de lart :
Car il y a un milieu dans les choses & de certaines mesures
hors desquelles cequi est bien ne se trouve jamais. Cela pos il
faudra choisir un sujet beau &noble, qui tant de soi-mme
capable de toutes les graces et de tous les charmesque peuvent
recevoir les couleurs & llgance du dessein donne ensuite lArt
parfait & consomm un beau champ & une matire ample de
montrertout ce quil peut, & de lui faire voir quelque chose de
fin & de judicieux[...]. Enfin jentre en matire & je trouve
dabord une toile nue: o il fautdisposer toute la machine (pour
ainsi dire) de votre Tableau, & la pense dungnie facile &
puissant, qui est justement ce que nous appelons INVENTION.
Lauteur claircit le caractre de cette dernire partie de lart
:
Cest une muse qui tant pourvue des avantages des Soeurs, &
echauffe dufeu dApollon, en est plus eleve, & en brille dun
plus beau feu. Il est fort propos en cherchant les attitudes, de
prevoir leffet & lharmonie deslumires & des ombres avec les
couleurs qui doivent entrer dans le tout,prnant des unes & des
autres ce qui doit contribuer davantage produireun bel effet. Que
vos compositions soient conformes au texte des anciensAuteurs, aux
coutumes & au temps.
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De Piles commente : un tableau bien invent, toutefois, est,
voire doit trecomme une machine. Et Diderot retiendra la mme
opinion :
74. (O il faut disposer toute la Machine de votre Tableau). Ce
nest passans raison ni par hasard que notre Auteur se servit ici du
mot Machine. UneMachine est un juste assemblage de plusieurs pieces
pour produire unmme effet. Et la disposition dans un Tableau nest
autre chose que unassemblage de plusieurs Parties, dont on doit
prevoir laccord & la justesse,pour produire un bel effet, come
vous verrez dans le 4e Prcepte, qui est delOeconomie ; aussi
appelle-t-on autrement Composition, qui veut dire ladistribution
& lagencement des choses en gnral & en particulier (p.
127)11.
Le traducteur et commentateur va ensuite rapprocher le mcanisme
de lacomposition avec les ressorts mmes de lInvention : 75. (Qui
est ce quejustement nous appellons Invention) (pp. 127-129). Chez
Dufresnoy, enrevanche, la reconnaissance des aspects proprement
techniques du travailde lart le porte une sorte de survaluation de
lacte compositeur, uncontrle intellectuel dtach de la mise en uvre
matrielle du tableau (lestechniques au sens propre) ; cela dbouche,
ensuite, sur la prminence des rgles et des intentions du sujet au
dtriment des descriptions des effetsobjectifs de linvention.
5. Les principes de la peinture selon De PilesUn ouvrage o lon
remarque, de nouveau, ce mlange originel de
thses classiques et de principes novateurs est le Cours de
peinture parprincipes (1708) de De Piles. Nous y retrouvons des
ides sur la fonctiondu sujet observant qui se reprsenteront, peu
changes, dans lesthtiquediderotienne. Il sagit ici prcisment dune
exposition plus systmatiquedes arguments traits dans les
Conversations sur la connoissance de lapeinture, vues auparavant.
La table des matires donne une ide de la richessethmatique : 1)
Lidee de la Peinture. 2) le Vrai dans la Peinture. 3) Copiedune
Lettre de Monsieur du Guet sur le Trait du Vrai dans la Peinture.
4) LInvention. 5) LEcole dAthenes. 6) La Disposition. 7) Le
Dessein. 8) Les Draperies. 9) Les Portraits. 10) Le Coloris. 11) Le
Clair-obscur. 12) LOrdre pour lEtude. 13) Dissertation o lon
examine si la Poesie estprferable la Peinture. 14) Descriptions de
deux Ouvrages de Sculpture,faits par Monsieur Zumbo, Gentilhomme
Sicilien. 15) La Balance desPeintres .
11. Cf. Enc., IX, p. 798a : MACHINE (Peinture), terme dont on se
sert en Peinture,pour indiquer quil y a une belle intelligence de
lumire dans un tableau. On dit voil unebelle machine ; ce peintre
entend bien la machine. Et lorsquon dit une grande machine,
ilsignifie non seulement belle intelligence de lumires, mais encore
grande ordonnance,grande composition (Diderot ?).
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La partie la plus importante de lart, selon De Piles, avant
mmelinvention, est celle qui apprend composer, en ensembles
cohrents, leslments ou parties de luvre. Cette partie devient la
premire, en incluantlinvention des classiques :
DE LA DISPOSITION. Dans la division que jai faite de la
Peinture, jai dit quela composition qui en est la premire partie,
contenoit deux choses,linvention & la Disposition. En traitant
de lInvention, jai fait voir quelleconsistoit trouver les objets
convenables au sujets que le Peintre veutreprsenter. Mais quelque
avantageux que soit le sujet, quelque ingnieuseque soit lInvention,
quelque fidelle que soit limitation des objets que lePeintre a
choisis, sils ne sont bien distribus, la composition ne
satisferajamais pleinement le Spectateur desinteress, & naura
jamais uneapprobation gnrale. Lconomie & le bon ordre est ce
qui fait tout valoir,ce qui dans les beaux arts attire notre
attention, & ce qui tient notre espritattach jusqu ce quil soit
rempli des choses qui peuvent dans un Ouvrage,& linstruire
& lui plaire en mme temps. Et cest cette conomie quejappelle
proprement Disposition. Dans cette ide, la Disposition contientsix
parties. 1. La Distribution des Objets en general. 2. Les Grouppes.
3. Lechoix des Attitudes. 4. Le contraste. 5. Le Jet des Draperies.
6. Et leffet duTout-ensemble; o par loccasion il est parl de
lHarmonie & delEnthousiasme (p. 94).
La totalit des parties de luvre, unies par la composition, nest
pas lasomme numrique de ces parties mmes ; de l vient que le
Tout-ensemble est quelque chose de plus de ses parties, cest un
organisme,mme une composition politiquement organise. Lauteur le
dit enutilisant une mtaphore :
Le Tout ensemble est un resultat des parties qui composent le
Tableau, ensorte neanmoins que ce Tout qui est une liaison de
plusieurs objets ne soitpoint comme un nombre compos de plusieurs
units independantes &gales entrelles, mais quil ressemble un
Tout politique, o les grands ontbesoin des petits, comme les petits
ont besoin des grands. Tous les objetsqui entrent dans le Tableau,
toutes les lignes & toutes les couleurs, toutesles lumires
& toutes les ombres ne sont grandes ou petites, fortes
oufoibles, que par comparaison. Mais quelle que soit la qualit de
toutes ceschoses, & quelque soit ltat o elles se trouvent,
elles ont une relation dansleur assemblage, dont aucune en
particulier ne peut se prvaloir. Car leffetqui en resulte consiste
dans une subordination gnrale o les bruns fontvaloir les clairs,
comme les clairs font valoir les bruns, & o le meritte dechaque
chose nest fond que sur une mutuelle dpendance. Ainsi pourdfinir le
Tout ensemble, on peut dire que cest une subordination gnraledes
objets les uns aux autres, qui les fait concourir tous ensemble
nenfaire quun. Or cette subordination qui fait concourir les objets
nen fairequun, est fonde sur deux choses, sur la satisfaction des
yeux, & sur leffetque produit la vision (p. 104).
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De Piles ajoute dautres arguments lappui de sa thse de lunit de
lobjetdans la vision (perception subjective) qui tablirait la
ncessit, pour le peintre, de soigner dabord le tout-ensemble. Son
exemple se rfre un moyen mcanique, une machine de mesure de leffet
du coup dil proprit de luvre elle-mme sur le spectateur :
Je rapporterai encore ici lexprience du Miroir convexe, lequel
encherit surla Nature pour lunit dobjet dans la vision. Tous les
objets qui sy voientfont un coup doeil & un Tout ensemble plus
agrable que ne feroient lesmmes objets dans un miroir ordinaire,
& jose dire dans la nature mme[...]. Je dirai en passant que
ces sortes de Miroirs qui sont devenus assezrares pourroient tre
utilement consults pour les objets particuliers, commepour le gnral
du Tout ensemble [...]. Il reste encore parler dun effetmerveilleux
du Tout ensemble, cest de mettre tous les objets en harmonie.Car
lharmonie quelque part quelle se rencontre, vient de larrangement
&du bon ordre. Il y a de lharmonie dans la Morale comme dans la
Physique ;dans la conduite de la vie des hommes, comme dans les
corps des hommesmmes. Il y en a enfin dans tout ce qui est compos
de parties, qui bien quediffrentes entrelles saccordent nanmoins
faire un seul Tout, ouparticulier ou gnral. Il y a dans la Peinture
diffrens genres dharmonie ...(p. 109).
De Piles conclut, avec la reprise de la mtaphore machiniste:
Voil lide que je me suis forme de ce quon appelle en Peinture
Toutensemble. Jai tch de la faire concevoir comme une machine dont
lesroues se prtent un mutuel secours, comme un corps dont les
membresdpendent lun de lautre, et enfin comme une conomie
harmonieuse quiarrte le Spectateur, qui lentretient, & qui le
convie jouir des beautsparticulires qui se trouvent dans le Tableau
(ibidem).
Le critique, ensuite, rattache lart de la Disposition, qui est,
avec lInvention,lune des parties de la Composition, lenthousiasme
panthiste quprouveraitle sujet en tant quil est un tout un avec la
substance sous-jacente lareprsentation : se transporter, pour ainsi
dire, hors de soi mme , celadonne accs un art du Sublime. La bonne
Disposition fait valoir tout ceque lInvention lui a fourni et
ouvre
Tout ce qui est de plus propre faire impression sur les yeux
& sur lespritdu Spectateur [...]. LEnthousiasme est un
transport de lesprit qui faitpenser les choses dune manire sublime,
surprenante, & vraisemblable. Orcomme celui qui considre un
ouvrage suit le degr dlevation quil trouve,le transport desprit qui
est dans lEnthousiasme est commun au Peintre &au Spectateur ;
avec cette diffrence neanmoins, que bien que le Peintre aittravaill
plusieurs reprises pour chauffer son immagination, & pourmonter
son Ouvrage au degr que demande lEnthousiasme, le Spectateurau
contraire sans entrer dans aucun dtail se laisse enlever tout coup,
&
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comme malgr lui, au degr dEnthousiasme o le Peintre la
attir.Quoique le Vrai plaise toujours, parce quil est la base &
le fondement detoutes les perfections, il ne laisse pas dtre
souvent insipide quand il esttout seul ; mais quand il est joint
lEnthousiasme, il transporte lesprit dansune admiration mle
dtonnement ; il le ravit avec violence sans lui donnerle temps de
retourner sur lui-mme (p. 114).
Le rapport troit entre lenthousiasme et le sublime dans la
peinture, est unfait de jugement, le rsultat dune action du
spectateur dans le tableau :
Jai fait entrer le Sublime dans la dfinition de
lEnthousiasme.LEnthousiasme contient le Sublime comme le tronc dun
arbre contient sesbranches quil repand de diffrents cts ; ou plutt
lEnthousiasme est unsoleil dont la chaleur & les influences
font natre les hautes penses, & lesconduisent dans un tat de
maturit que nous appellons Sublime [...].LEnthousiasme nous enleve
sans que nous le sentions, & nous transporte,pour ainsi dire,
comme dun pays dans un autre sans nous en appercevoirque par le
plaisir quil nous cause. Il me parot, en un mot, quelEnthousiasme
nous saisit, et que nous saisissons le Sublime. Cest donc cette
levation surprenante, mais juste, mais raisonnable que le Peintre
doitporter son Ouvrage aussi bien que le Pote ; sils veulent
arriver lun &lautre cet extraordinaire Vraisemblable qui remue
le cur, & qui fait leplus grand mrite de la Peinture & de
la Posie (p. 115).
Diderot a sans doute reu ces ides et ces principes le sublime li
lenthousiasme, le vrai dans la composition, laction du spectateur
etc. grce la lecture de luvre multiforme de De Piles. A ct des
Salons, ilfaut relire les articles HARMONIE, COMPOSITION, GNIE de
lEncyclopdie etles chapitres des Essais sur la Peinture sur le thme
de la Compositiondensemble . On saperoit que le tableau, suivant De
Piles et Diderot, doitfonctionner comme un appel au spectateur.
Appeller le spectateur doittre le premier effet dun Tableau , dit
De Piles. Mais les tableaux quimettent en cause ce spectateur
universel sont rares. Pourquoi ? :
Il y aura tel Tableau, qui avec plusieurs dfauts le considerer
dans le dtail,ne laissera pas darrter les yeux de ceux qui passent
devant, parce que lePeintre y aura fait un excellent usage de ses
couleurs & de son Clair-obscur[...]. Quelques-uns objectent que
cette grande & parfaite imitation nest pasde lessence de la
Peinture, & que si cela toit, on en verroit des effets dansla
pluspart des Tableaux. Quun Tableau qui appelle ne remplit pas
toujourlide de celui qui va le trouver, & quil nest pas
necessaire que les figuresqui composent un Tableau, paroissent
vouloir entrer en conversation avecceux qui le regardent ; puisquon
est bien prvenu que ce nest que de laPeinture (p. 10 ).
Lessence de la peinture cest de surprendre les yeux et de les
tromper par un bon usage des lumires, du coloris et du
clair-obscur, les parties les
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 115
plus rationnelles de la Peinture qui demandent tant de temps et
font unraisonnement continuel, qui exerce le gnie.... 12. Luvre de
De Piles setermine sur un essai de jugement esthtique qui tente
dexercer cette facultdu tout-ensemble, issue de sa doctrine du
coloris. Cest un expos fortintressant, la clbre Balance des
Peintres que William Hogarth, unsicle plus tard, tournera en
ridicule13. De Piles y tente une dfinitionquantitative, numrique,
de lexcellence dun peintre. Chaque forme dujugement, relative aux
diffrentes catgories picturales les quatre classi-fications
acadmiques : Composition (relation) ; Dessein (quantit) ;Coloris
(qualit) ; Expression (modalit) reoit un numro, une note de0 20 qui
mesure la valeur des auteurs, le degr de mrite de chaquePeintre
dune rputation tablie :
Comme une Balance dans laquelle je misse dun cot le nom du
Peintre &les parties les plus essentielles de son Art dans le
degr quil les apossedes, & de lautre cot le poids de mrite qui
leur convient ; en sorteque ramassant toutes les parties comme
elles se trouvent dans les Ouvragesde chaque Peintre, on puisse
juger combien pese le tout. Jai fait cet essaiplutt pour me
divertir que pour attirer les autres dans mon sentiment (p.
489).
Sur le caractre la fois objectif et subjectif de la catgorie du
jugementcritique, De Piles est explicite ; il y a, dune part de la
balance , le poidsde la chose, dautre part le poids de mrite dans
le jugement (videmmentsubjectif) du critique. Mais la liaison qui
articule les deux parties du beaupictural nest pas encore bien
dfinie :
Je divise mon poids en vingt degrs, le vingtime est le plus
haut, &je lattribue la souveraine perfection que nous ne
connaissons pas danstoute son tendue. Le dix-neuvime est pour le
plus haut degr de perfectionque nous connoissons, auquel personne
nanmoins nest encore arriv. Et ledix-huitime est pour ceux qui
notre jugement ont le plus approch de laperfection, comme les plus
bas chiffres sont pour ceux qui en paroissent lesplus eloigns. Je
nai port mon jugement que sur les Peintres les plusconnus, &
jai divis la Peinture [on pourrait dire : la connaissance de
lapeinture, suivant le titre de lautre ouvrage de De Piles] en
quatre colonnes,comme en ses parties les plus essentielles, savoir,
la Composition, leDessein, le Coloris & lExpression. Ce que
jentens par le mot dExpression,nest pas le caractre de chaque
objet, mais la pense du cur humain. On
12. Cf. La couleur la tchne la vie cit., 5 : Aisthsis et
fonction cognitive de latchne .
13. Dans son tableau Enthusiasm Delineated (1761) ; cf. B.
Krysmansky, Upsetting theBalance : William Hogarth and Roger de
Piles, The Site for Research on William Hogarth.Updated October
2000.
http://www.fortunecity.de/lindenpark/hundertwasser/517/balance.html.
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verra par lordre de cette division quel degr je mets chaque
Peintre dontle nom rpond au chiffre de chaque colonne (p. 490).
Les peintres qui reoivent la note la plus haute sont Raphal et
Rubens ;derrire eux, dans lordre, le Poussin, Le Brun, Le
Dominiquin, Rembrandt,Titien, Tintoret et Lonard, pour marquer la
fidlit de lauteur un gotclassique que toutefois il a dj abandonn,
avec ses thories surlexpression et ltude du rle de leffet, de
lappel du tout-ensemble ,sur le spectateur.
6. Du Bos, ou lirruption du sentir du sujetAprs De Piles, et
plus proche encore de Diderot, nous retrouvons un
critique dont luvre a connu un retentissement remarquable dans
lesmilieux intellectuels du dbut du sicle. Labb Jean-Baptiste Du
Bos(1670-1742), auteur des Rflexions critiques sur la posie et sur
la peinture(17191) en 3 volumes, rdits plusieurs fois (je citerai
partir de lditionde 1733), donne des matriaux textuels plusieurs
articles de lEncyclo-pdie sur les beaux arts. Cet ouvrage est
universellement reconnu commelun des plus influents dans la
formation esthtique de Diderot. Jen analysela Premire Partie (vol.
I, pp. 504) ; il sagit den tirer les lieux qui montrentle
glissement, soprant au dbut du sicle, vers un type de critique o
semanifestent consciemment les trois connotations saillantes vues
ci-dessus :irruption du sujet, rejet de lautorit, renvoi normatif
lide de nature.
Les thses fondamentales de cette premire partie des Rflexions
sont :1 Les arts naissent dun besoin second de lhomme de
rechercher
lagrment, une fois quil a pourvu aux ncessits de la vie. Mais
ilsnaissent aussi en vue de lutilit morale qui tient un intrt que
lmeattache aux arts pour sentretenir elle-mme , pour fonder
sonautonomie de jugement14.
2 Thse classique revisite : la posie et la peinture jouent de
lamme faon pour satisfaire ces besoins contre lennui naturel de
lhomme,contre sa paresse, lorsquil nest pas occup quelque travail.
Mais ellessont expression des passions au sens quelles oprent un
travail oisif qui sexerce travers la pratique de limitation
reproductrice, suscite dansle spectateur jugeant15.
116 PAOLO QUINTILI
14. Cf. Rflexions critiques sur la posie et sur la peinture,
Paris, 1733, Section I., p. 5 : De la necessit dtre occup pour fuir
lennui ; & de lattrait que les passions ontpour les hommes
.
15. Ibidem, pp. 5-6 : Les hommes nont aucun plaisir naturel qui
ne soit le fruit dubesoin & cest peut-tre ce que Platon voulait
donner concevoir, quand il a dit en son styleallegorique que lAmour
toit n du marriage du besoin avec labondance [...]. Plus lebesoin
est grand plus le plaisir dy satisfaire est sensible [...] lme a
ses besoins comme lecorps, & lun des plus grands bsoins de
lhomme est celui davoir lesprit occup. Lennuiqui suit bientt
linaction de lme, est un mal si douloureux pour lhomme, quil
entreprendsouvent les travaux les plus pnibles afin de spargner la
peine den tre tourment .
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-
SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 117
Lauteur commence par lanalyse du sentiment de plaisir li
auspectacle des arts. Donc, il le fait directement du ct du sujet
qui regardeet prouve, dit-il, un sentiment particulier 16. Ltude de
la peinture et dela posie est abord, en ce sens, de faon technique,
la recherche desmoyens matriels efficaces pour produire un tel
effet. Quelle est loriginedu plaisir esthtique dans lhomme ? La
doctrine de limitation sallie aveccette vise nouvelle, de faire
travailler lme oisivement :
Enfin plus les actions que la Posie & la Peinture nous
dpeignent, auroientfait souffrir en nous lhumanit, si nous les
avions vs veritablement, plusles imitations que ces Arts nous en
prsentent ont de pouvoir sur nous pournous attacher. Ces actions,
dit tout le monde, sont de sujets heureux [...]. Uncharme secret
nous attache donc sur les imitations que les Peintres &
lesPotes en savent faire, dans le temps mme que la nature tmoigne
par unfremissement interieur quelle se soulve contre son propre
plaisir. Joseentreprendre declaircir ce Paradoxe & dexpliquer
lorigine du plaisir quenous font les vers & les tableau (pp.
2-3).
Ce paradoxe de lhumanit souffrante en nous, spectateurs, par
leplaisir pris la vue de la vrit dun tableau ce qui est en de
delimitation cest lun des thmes reus par Diderot, qui voit dans
leffetexpressif de la reprsentation un produit de l il froid et
insensible delartiste-scientifique. Quelle est lintention de son
uvre ? Selon labb DuBos, il sagit de rechercher le fondement dun
sensus communis aestheticus,capable dtendre au plus grand nombre
possible de sujets laccord sur ceplaisir quon prouve singulirement
:
Chacun a chez soi la rgle ou le compas applicable mes
raisonnements, &chacun en sentira lerreur ds quils scarteront
dune ligne de la vrit[...]. Un livre qui, pour ainsi dire,
dploeroit le cur humain dans linstanto il est attendri par un pome,
ou touch par un tableau, donneroit de vstrs-tendus & des
lumires justes nos Artisans sur leffet gnral deleurs ouvrages quil
semble que la plpart dentre eux aent tant de peine prvoir. Que les
Peintre & les Potes me pardonnent de les dsigner souventpar le
nom dArtisan dans le cours de ces Rflexions [...] cest par la
craintede repeter trop souvent la mme chose (pp. 3-4).
Du Bos, comme De Piles et Diderot, tend assimiler lacte crateur
delinvention lopration formatrice (tchne) sur luvre. Et ce
processus derunification sexplique sur la base dun prsuppos
mtaphysique : lmedun artiste bien duqu runit, dans son geste
constructeur, ces deuxactes mentaux du sujet, le sentir et le
mditer. Il ny a que deux moyens
16. Ibidem, p. 5.
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pour chapper lennui mtaphysique, et fuir labsence de travail de
lme,vers un eudmonisme aristotlicien et horacien :
Ou lme se livre aux impressions que les objets exterieurs font
sur elle ; &cest ce quon appelle sentir : ou bien elle
sentretien elle-mme par desspeculations sur des matires, soit
utiles, soit curieuses ; & cest ce quonappelle reflechir &
mediter [...]. Un petit nombre peut apprendre cet art [lareflexion
ordonne] qui, pour me servir de lexpression dHorace, fait vivreen
amitie avec soi-mme. Quod te tibi reddat amicum [...]. La
premiremanire, le sentir [...] est lunique ressource de la plupart
des hommescontre lennui ; & mme les personnes qui savent
soccuper autrement sontobliges, pour ne point tomber dans la
langueur qui suit la dure de la mmeoccupation de se prter aux
emplois & aux plaisir du commun des hommes(pp. 6-9).
Le premier but des arts est atteint : la mise en valeur des
passionhumaines, au niveau de la reprsentation
cognitive-artistique, do vientlattrait des spectacles anims, dj
chez les anciens (Section II. Delattrait des spectacles propres
exciter en nous une grande motion. DesGladiateurs , p.12). Du Bos
affirme ce primat mtaphysique des passionsdans lart :
Les passions qui leur donnent les joes les plus vives leur
causent aussi despeines durables & douloureuses; mais les
hommes craignent encore pluslennui qui suit linaction & ils
trouvent dans le mouvement des affaires &dans livresse des
passions une motion qui les tient occups [...].Veritablement
lagitation o les passions nous tiennent, mme durant lasolitude, est
si vive, que tout autre tat est un tat de langueur auprs decette
agitation. Ainsi nous courons par instinct aprs les objets qui
peuventexciter nos passions [...]. Cette motion naturelle qui
sexcite en nousmachinalement, quand nous voions nos semblables dans
le danger ou dansle malheur, na dautre attrait que celui dtre une
passion dont lesmouvements remunt lme & la tiennent occupe
[...]. Un mouvement quela raison rprime mal, fait courir bien des
personnes aprs les objets les pluspropres dchirer le cur (pp.
10-12).
Passions et travail oisif de lme sont apparents dans la mme fin
: joueravec nous-mmes, nous occuper, sans effort, sans vrai travail
ou peine, denos facults intellectuelles, tout en gardant la rfrence
formelle lactematriel propre du travail ordinaire. Du Bos le dit
carrment, la paresseesthtique contient un but moral, au sens
spinoziste, cest une espcedAmor dei intellectualis lgard des
passions de lme.
Ils [les jeux de dez et des cartes] tiennent donc lme dans une
especedextase, & ils ly tiennent encore sans quil soit besoin
quelle contribue son plaisir par une attention serieuse dont notre
paresse naturelle cherche
118 PAOLO QUINTILI
05-Paolo Quintili 27/02/03 9:11 Page 118
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 119
toujours se dispenser [...]. La paresse est un vice que les
hommessurmontent bien quelquefois, mais quils ntouffent jamais ;
peut-tre est-ce un bonheur pour la socit que ce vice ne puisse pas
tre dracin. Biendes gens croent que lui seul il empche plus de
mauvaises actions quetoutes les vertus (p. 23)17.
Or, il ne sagit plus, suivant le critique, dimiter les objets de
la nature maisde faire la copie de la passion que ces objets
auraient suscit dans lmedu spectateur (Section III). Loriginalit de
lanalyse est saillante. Du Bossouligne le fait que limitation mme
la plus parfaite, en soi, ne suscitequun plaisir faible, impur, dun
tre artificiel (pp. 26-27). La puret duplaisir esthtique, faible et
incertain par rapport la ralit de lobjet, estforte, toutefois, par
rapport la capacit et lutilit mme de son effet surlme. Dans les
plaisirs de lart, des passions pures sont mises en cause,sans intrt
lexistence de lobjet. Ces vnements psychologiquessouvent nuisibles
dans la vie sociale sont toujours utiles pour lhomme entant que
sujet dexprience critique en gnral:
Le plaisir quon sent voir les imitations que les peintres &
les potessavent faire des objets qui auroient excit en nous des
passions dont laralit nous auroit t charge, est un plaisir pur. Il
nest pas suivi desinconveniens dont les motions serieuses qui
auraient t causes par lobjetmme, seroient accompagn (p. 28).
Du Bos, dans les Sections suivantes (IV-V-VI-VII), poursuit son
enqutesur les effets des techniques dimitations et sur leur pouvoir
de susciter despassions dans lme. Il soccupe ensuite des genres
potiques (SectionsVIII-IX), en reprenant finalement ses rflexions
sur la peinture, pourmarquer sa thse principale : cest lart , et
non lobjet imit, qui susciteintrt. Du Bos conclut cette ide que
Diderot mme sapproprieracomme principe : nimporte quel objet peut
devenir sujet de reprsentation,certes, suivant le principe
classique de la mimsis. Mais il laisse entendre,en creux, que lart
qui touche le spectateur ne se borne pas imiter :
Un tableau peut plaire par les seuls charmes de lexecution,
indepen-damment de lobjet quil rpresente : mais je lai dj dit,
notre attention ¬re estime sont alors uniquement pour lart
de limitation qui sait nousplaire mme sans nous toucher. Nous
admirons le pinceau qui a sucontrefaire si bien la nature (p.
68).
17. Cf. des thses analogues dans Enc., XI, p. 446b : OISIVET
(Mdecine) (Diderot ?) ;pp. 445b-446a, art. OISIVET (Droit naturel,
Morale & politique) (DJ) ; et p. 939a, art.PARESSE (Morale)
(DJ).
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Un primat de lobjet, dans la reprsentation, se donne uniquement
en ce quiconcerne la peinture dhistoire, qui implique une
participation active delme du sujet observant, dans le rcit ; elle
sinscrit sur la toile et lintresse la premire personne (p. 67). Du
Bos parle ici dun
intrt de rapport ou lintrt qui nous est particulier, excite
autant notrecuriosit, il nous dispose du moins autant que lintrt
gnral nousattendrir, comme nous attacher. Limitation des choses
auxquelles nousnous interessons, comme citoyen dun certain pays, ou
comme Sectateursdun certain parti, a des droits tout puissants sur
nous (p.75).
Finalement, cest lintrt gnral qui anime les passions humaines et
jetteles bases dune esthtique de lexpression (pp. 78-79). Lauteur,
par la suite(Sections XIII-XXV), bauche une doctrine du choix des
sujets propres dechaque arts et de chaque genre (Comdie, Tragdie,
Posie Pastorale,Pome Epique etc.) ; il arrive ensuite dmler un
caractre propre de lacration artistique en gnral, cest la dcouverte
de la vrit de lachose et linvention suivant la loi de nature ,
comme le rpteraDiderot, dans les Essais et les Penses dtaches :
Un homme n avec du genie voit la nature, que son art imite avec
dautresyeux que les personnes qui nont pas de gnie. Il dcouvre une
diffrenceinfinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes
paroissent lesmmes, & il sait si bien sentir cette diffrence
dans son imitation, que lesujet le plus rebatu devient un sujet
neuf sous sa plume ou sous son pinceau.Il est pour un grand peintre
une infinit de joes & de douleurs diffrentesquil sait varier
encore par les ges, par les temperaments, par lescaractres des
Nations & des particuliers, & par mille autres moyens.
Comme un tableau ne rpresente quun instant dune action,
unPeintre n avec du gnie, choisit linstant que les autres nont pas
encoresaisi, ou sil prend le mme instant, il lenrichit de
circonstances tires deson imagination, qui font paroitre laction un
sujet neuf. Or cest linventionde ces circonstances qui constitue le
Pote en peinture (p. 221).
Le vrai pote-peintre (Horace) fait plus, il ne prend pas comme
modle deson art les uvres de ses devanciers mais celles de la
nature elle-mme,rejetant ainsi lautorit des anciens (p. 227).
7. Aux sources de lesthtique thtrale de Diderot :le modle idal
chez Du Bos
En nature, ce qui saute aux yeux de lartiste cest lirrductible
indivi-dualit des caractres des tres. Il ny a que des diffrences
particulires,qui se mlent et passent, lune dans lautre,
imperceptiblement, au cours dudevenir universel. La dcouverte du
personnage comme un acte critique
120 PAOLO QUINTILI
05-Paolo Quintili 27/02/03 9:11 Page 120
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 121
fondateur, dune sorte dantinomie de la raison thtrale18 ce
sujetcompos de plusieurs lments caractristiques qui se mlangent
etforment une individualit unique, nous la reprons chez Du Bos.
Cela jetteune nouvelle lumire sur lorigine de lesthtique du
Paradoxe :
Qui dit un caractre, dit un mlange, dit un comps de plusieurs
dfauts &de plusieurs vertus, dans lequel mlange certain vice
domine si le caractreest vicieux ; cest une vertu laquelle y domine
si le caractre doit trevertueux. Ainsi les diffrents caractres des
hommes sont tellement varispar ce mlange de dfauts, de vices, de
vertus & de lumires diversementcombin, que deux caractres
parfaitement semblables sont encore plusrares dans la nature que
deux visages entierement semblables (p. 231).
Le processus de formation dun modle idal de nature, en devenir,
quifait le caractre dun personnage au thtre, sachve sur la
reproductiondes essences individuelles, immanentes, qui lui sont
propres. La lecturede Du Bos permet Diderot un retour au spectacle
du monde , cette fois-ci travers le processus dabstraction pure du
modle idal de la totalit.La formalisation de la loi de ncessit
universelle loi de nature seproduit par lentremise de ce nouveau
regard pur, jet sur les essencesindividuelles produites dans le
devenir.
Ainsi nous visons les sources du Paradoxe lauteur cite-t-il
desvers de Boileau-Despreaux :
La nature fconde en bizarres portraitsDans chaque Ame est marque
de diffrents traits,Un geste la dcouvre, un rien la fait
parotre,Mais tout mortel na pas des yeux pour la connotre .Pour
dmler ce qui peut former un caractre, il faut tre capable de
discerner entre vingt ou trente choses que dit, ou que fait un
homme, trois ou quatre traits qui sont propres spcialement son
caractre particulier (pp. 232-33).
Ensuite, il faut crer un modle reproductif qui deviendra lobjet
de lareprsentation vraisemblable, partir des traits , des parties
dont la totalit humaine est compose, un objet dexpriences et
dtudetechnique. Le processus procde par rduction aux essences et
r-assemblage de la totalit. Cest dit, chez Du Bos, avec limage de
la sphre,symbole de la rondeur ontologique du sujet thtral, tel
quil apparat surscne :
18. Cf. La pense critique de Diderot. Matrialisme, science et
posie lge delEncyclopdie. 1742-1782 cit., chap. 7.3.6 : Lantinomie
de la raison pratique dans lethtre de Diderot .
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Il faut ramasser ces traits, & continuant dtudier son modle,
extraire,pour parler ainsi, de ses action & de ses discours les
traits les plus propres faire reconnotre le portrait. Ce sont ces
traits qui separs des chosesindifferentes que tous les hommes
disent & font peu prs les uns commeles autres, qui, rapprochs
& runis ensemble, forment un caractre, & luidonnent, pour
ainsi dire, sa rondeur thatrale. Tous les hommes
paroissentuniformes aux esprit borns. Les hommes paroissent
diffrents les uns desautres aux esprits plus tendus ; mais les
hommes sont tous des originauxparticuliers pour le Pote n avec le
gnie de la Comdie (p. 233).
Et la mme chose devrait se passer en peinture :
Tous les portraits des Peintres mdiocres sont placs dans la mme
attitude.Ils ont tous la mme air, parce que ces Peintres nont pas
les yeux assezbons pour discerner lair naturel qui est diffrent
dans chaque personne, &pour le donner chaque personne dans son
portrait. Mais le Peintre habilesait donner chacun dans son
portrait lair & lattitude qui lui sont propresen vertu de sa
conformation (p. 233).
Selon Du Bos, la dcouverte du naturel dans lart et la loi de
ncessituniverselle qui lui est propre, sont des oprations
spcifiques delinvention :
Le peintre habile a le talent de discerner le naturel qui est
toujours vari.Ainsi la contenance & laction des personnes quil
peint, sont toujoursvaries (ibidem).
Le moyen critique permettant datteindre ce but aprs ltude
desfonctions organiques propres de chaque tre cest la
formalisationdescriptive du sujet, la suite du second regard
critique, puis lexprimen-tation et la reproduction de ce qui semble
tre le mme sujet :
Lexprience aide encore beaucoup trouver la diffrence qui est
rellemententre des objets qui au premier coup doeil nous paroissent
les mmes. [...]cest quil ne sensuit pas que tous les sujets de
Comdie soient puiss...(p. 234)
Voil le gnie formateur et reproducteur de linvention :
Le commun des hommes est donc bien capable de reconnotre un
caractrelorsque ce caractre a reu sa forme & sa rondeur thtrale
; mais tant queles traits propre ce caractre, & qui doivent
servir le composer demeurentnoyez & confondus dans une infinit
de discours & dactions que lesbiensances, la mode, la cotume,
la profession & lintrt font faire tousles hommes, peu prs du
mme air & dune manire si uniforme que leurcaractre ne sy decele
quimperceptiblement, il ny a que ceux qui sont nsavec le gnie de la
Comdie qui puissent les discerner (p. 235).
122 PAOLO QUINTILI
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 123
Or, la facult pre-visuelle de concevoir le personnage rel dans
sa totaliten devenir, de rendre la chose vivante , suivant Du Bos,
est luvre duseul crivain de thtre. Voil la diffrence avec Diderot,
qui reoit la leon,et dplace la facult crative-reproductrice (gnie)
du pote lacteur, legrand comdien (Paradoxe). Du Bos observe :
Eux seuls [les potes] peuvent dire quel caractre resulteroit de
ces traits, sices traits taient dtachez des actions & des
discours indiffrents, si cestraits, rapprochs les uns des autres,
taient immdiatement runis entreeux. Enfin discerner les caractres
dans la nature, cest invention (p. 235).
La capacit de prvoir des rsultats particuliers partir dun
ensemble decauses dtermines, cest le gnie exprimental de la
philosophie naturelle,le mme gnie reproducteur du grand comdien
(Diderot) et du pote (DuBos) :
Ainsi lhomme qui nest pas n avec le gnie de la Comdie ne les
sauroitdemler, comme celui qui nest pas n avec le gnie de la
Peinture nest pascapable de discerner dans la nature quels sont les
objets les plus propres tre peints. Quam multa vident Pictores in
umbris, & in eminentia, quae nosnon videmus. Combien de choses
un Peintre nobserve-t-il pas dans unincident de lumire que nos yeux
napperoivent point, dit Cicron (Acad.Quest. lib. IV) (pp.
235-236).
Du Bos tablit un lien dj bien troit, que Diderot achvera de
serrer, entrevoir les rapports cachs de la nature ( travers les
objets reprsents),concevoir la nature de la chose vivante, et
sentir, chez le spectateur, labeaut de la peinture issue de ces
deux premiers passages du travailcritique.
8. Vrit et vraisemblance dans lart. La prsence du spectateur
selonDu Bos
Dans la Section XXVIII, De la vraisemblance en posie (p. 236),Du
Bos touche la question du rapport entre la chose de lart et
sonapparence sensible, problme que Diderot aborde dans ses Essais
etPenses dtaches19. Il donne une dfinition anodine de ce concept :
lavraisemblance correspondrait une forme de la vrit possible, sous
desconditions dexistence donnes :
Un fait vraisemblable est un fait possible dans les
circonstances o on le faitarriver. Ce qui est impossible en ces
circonstances ne sauroit paratre
19. Cf. La couleur, la tchne, la vie cit., 1.
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vraisemblable. Je nentends pas ici par impossible ce qui est au
dessus desforces humaines, mais ce qui parot impossible, mme en se
prtant toutesles suppositions que le pote sauroit faire
(p.237).
Mais la premire dfinition acquiert plus de sens par rapport la
thorieque le critique propose, ensuite, sur lalliance de la raison
(qui produit levraisemblable) avec limagination (qui engendre le
merveilleux). Lune etlautre donnent vie, ensemble, la grande uvre ,
celle du gnie :
Il ne me parat donc pas possible denseigner lart de concilier le
vraisem-blable & le merveilleux. Cet art nest qu la porte de
ceux qui sont nsPotes & grand Potes. Cest eux quil est reserv
de faire une alliance dumerveilleux & du vraisemblable, o lun
& lautre ne perdent pas leursdroits. Le talent de faire une
telle alliance est ce qui distingue minemmentles Potes de la classe
de Virgile des versificateurs sans invention, & desPotes
extravagants (p.239).
Reste, toutefois, une prminence que Du Bos accorde linvention
:
Javouerai cependant quun pome sans merveilleux me dplairait
encoreplus quun Pome fond sur une supposition sans vraisemblance.
En cela jesuis de lavis de M. Despreaux, qui prefere le Voyage du
monde de la Lunede Cyrano aux Pomes sans inventions de Motin &
de Cotin (p. 241).
Il faut que lartiste respecte une certaine mesure de vrit
dart,comme laccord du vraisemblable et du merveilleux, possible
grce auxconnaissances quil doit avoir de lHistoire, de la Gographie
et de laChronologie dans ses uvres (Section XXIX, p. 243). Les mmes
rgles de vrit vont tre appliques aux sujets de la Peinture.
Premirement, ence qui est largument de la Section XXX : De la
vraisemblance enPeinture, & des gards que les Peintres doivent
aux Traditions reues (p. 254), Du Bos part de lanalyse de la
mcanique picturale, de ltude desforces motrices et des lois de
loptique, et tablit une distinction bien reuedans les articles
homonymes de lEncyclopdie :
Il est deux sortes de vraisemblance en Peinture, la
vrai-semblance potique& la vrai-semblance mcanique. La
vrai-semblance mcanique consiste ne rien rpresenter qui ne soit
possible, suivant les lois de la statique, lesloix du mouvement
& les loix de loptique.
La vrai-semblance mcanique consiste donc ne point donner
unelumire dautres effets que ceux quelle aurait dans la nature :
par ex. nelui point faire clairer les corps sur lesquels dautres
corps interposslempchent de tomber. Elle consiste ne point sloigner
sensiblement dela proportion naturelle des corps ; ne point leur
donner plus de force quilest vraisemblable quils en puissent avoir
(pp. 241-42).
124 PAOLO QUINTILI
05-Paolo Quintili 27/02/03 9:11 Page 124
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 125
Lorganique de la cration vraisemblable rside, par contre, dans
laconnaissance des cotumes et de la vie des choses reprsentes, les
forcesformatrices des passions. Cest la source du potique et de
lexpressionpicturale :
La vrai-semblance potique consiste donner ses personnages
lespassions qui leurs conviennent suivant leurs ge, leur dignit,
suivant letemperament quon leur prte, & lintrt quon leur fait
prendre danslaction. Elle consiste observer dans son tableau ce que
les Italiensappellent Il Costume ; cest dire sy conformer ce que
nous savonsdes moeurs, des habits, des btiments & des armes
particulires des peuplesquon veut reprsenter.La vrai-semblance
potique consiste enfin donner aux personnages duntableau leur tte,
& leur caractre connu, quand ils en ont un (pp. 255-256).
ce point, prcisment lorsquil sagit de dfinir les conditions
propres dela vrai-semblance potique, Du Bos met en jeu la prsence
dun spectateurqui, lintrieur du tableau, doit pouvoir le
reconstruire dans son sens ; etil souligne lintrt quil prend
laction raconte dans la toile, dont il peutparticiper suivant une
rgle prcieuse de la composition picturale :
Quoique tous les spectateurs deviennent des Acteurs dans un
tableau, leuraction nanmoins ne doit tre vive qu proportion de
lintrt quilsprennent lvenement dont on les rend tmoins (p.
256).
Laccent du discours porte encore sur le problme de la
connaissance quele peintre doit possder de lensemble quil envisage
reprsenter, commesil tait dedans; et en ce sens seulement, daprs Du
Bos, on peut se rfreraux grands peintres comme des exemples, des
essais, des ttonnements,mais jamais comme des autorits. Cest un
concept que Du Bos souligneaussi dans la Section XXXVIII, Que les
Peintres du temps de Raphalnavoient point davantage sur ceux
daujourdhui. Des peintres delantiquit (p. 351)20 :
La vraisemblance potique consiste encore dans lobservation des
reglesque nous comprenons, ainsi que les Italiens, sous le mot de
Costume :observation qui donne un si grand merite aux tableaux du
Poussin. Suivantces regles, il faut rprsenter les lieux o laction
sest passe tels quils ontt si nous en avons connaissance (...).
Monsieur Le Brun a suivi ces regles
20. Cf aussi la Section XXXIX, pp. 386-92 : En quel sens on peut
dire que la naturese soit enrichie depuis Raphal ; cest la thse de
lavantage des modernes sur les anciens(suite de la clbre Querelle),
taye par Du Bos, qui porte sur un seul argument : laconnaissance de
la nature, aujourdhui plus approfondie, donne aux peintres modernes
unesupriorit du point de vue des moyens reproductifs.
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dans ses tableaux de lhistoire dAlexandre avec la mme ponctualit
(pp.259-60).
Grce la considration de la position du peintre comme de celle
duspectateur, Du Bos attribue une double connotation au concept de
composition , potique et pittoresque, deux qualifications qui
dcoulentde lide du Plan , le projet densemble du tableau (pp.
264-65). Ilconsacre la Section XXXI cet argument, De la disposition
du Plan.Quil faut diviser lordonnance des Tableaux en composition
Potique & encomposition Pittoresque (p. 265). Sur le premier
plan, les forcesmcaniques motrices de la combinaison et de
larrangement font le Pittoresque :
Jappelle composition pittoresque larrangement des objets qui
doivententrer dans un tableau par rapport leffet gnral de ce
tableau. Une bonnecomposition pittoresque est celle dont le coup
dil fait un grand effetsuivant lintention du Peintre & le but
quil se propose. Il faut pour cela quele tableau ne soit point
embarrass par les figures, quoiquil y en ait assezpour bien remplir
la toile. Il faut que les objet sy demelent facilement. Il nefaut
pas que les figures sestropient lune lautre en se cachant
recipro-quement la moiti de la tte ni dautres parties du corps,
lesquelles ilconvient au sujet que le Peintre fasse voir. Il faut
enfin que les groupessoient bien composs, que la lumire leur soit
distribue judicieusement, &que les couleurs locales loin de
sentretuer, soient disposes de manirequil resulte du tout une
harmonie agrable loeil par elle-mme (pp. 266-67).
La force de la pense de lart et lide dunit produisent le
potique,qui doit correspondre lintention formelle et historique du
peintre :
La composition potique dun tableau, cest un arrangementingnieux
des figures inventes pour rendre laction quil rpresente
plustouchante & plus vraisemblable. Elle demande que tous les
personnagessoient lis par une action principale, car un tableau
peut contenir plusieursincidens, condition que toutes ces actions
particulieres se runissent enune action principale, & quelles
ne fassent toutes quun seul & mme sujet.Les regles de la
Peinture sont autant ennemies de la duplicit daction quecelles de
la posie dramatique. Si la Peinture peut avoir des Episodes commela
Posie, il faut dans les tableaux, comme dans les Tragedies, quils
soientlis avec le sujet, & que lunit daction soit conserve dans
louvrage duPeintre comme dans le Pome.
Il faut encore que les personnages soient placs avec
discernement, &vetus avec dcence par rapport leur dignit comme
limportance dont ilssont. Le pre dIphigenie, par ex., ne doit pas
tre cach derriere dautresfigures au sacrifice o lon doit immoler
cette princesse (pp. 267-68).
126 PAOLO QUINTILI
05-Paolo Quintili 27/02/03 9:11 Page 126
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SUR QUELQUES SOURCES DE DIDEROT CRITIQUE DART 127
La potique du tableau, selon Du Bos, ne doit pas tre supplante
par lasimple mcanique, mme gniale, du pittoresque . Il faudrait
russir concilier les deux :
Surtout il ne faut pas quil se trouve dans le tableau des
figuresoiseuses, & qui ne prennent point de part laction
principale. Elles neservent qu distraire lattention du spectateur;
il ne faut pas encore quelArtisan choque la dcence ni la
vraisemblance pour favoriser son desseinou son coloris, & quil
sacrifie ainsi la Posie la mcanique de son art (p. 268).
Or, la vraie magie de vrit serait, encore, de sapprocher tout
prs de lanature, comme dans lidal classique, mais ce faisant,
lartiste peut sloignerdes rgles reues, il peut mme, en quelques
cas, les briser sans dommage,sil en a besoin pour des raison
expressives lies loccurrence, lintention potique de produire un
sens prcis, un effet ponctuel sur lmedu spectateur (eu gard toutes
les diffrences de moyens linguistiques quepeuvent y avoir dans les
genres dart considrs). Cest le sujet de laSection XXXII, De
limportance des fautes que les Peintres & les Potespeuvent
faire contre leurs regles (p. 272), sur laquelle Du Bos achve
sonanalyse du problme de la vrit et du vraisemblable dans lart.
9. Les inversions linguistiques et lexpression des passions. Le
polype de Du Bos
La section la plus remarquable des Rflexions est la XXXV : De
lamcanique de la Posie qui ne regarde les mots que comme de
simplessons. Avantages des Potes qui ont compos en Latin sur ceux
quicomposent en Franais (pp. 296-339), Du Bos y aborde un
problmecommun plusieurs mtaphysiciens et thoriciens du beau de la
mmepoque qui se sont penchs sur la question de lexpressivit du
langage etde ses origines (Port-Royal, Condillac, Batteux,
Rousseau) : la nature desinversions linguistiques21. En ce qui
concerne ce problme vu dans lecontexte de la critique dart, Du Bos
le rattache la difficult technique querencontre le pote en
choisissant la juste expression linguistique despassions.
Lauteur souligne que l ordre naturel de la phrase simpose sur
labase dun critre qui na rien faire avec la logique des
grammairienscartsiens, mais dpend des besoins pratiques des sujets
parlants. Avec lameilleure efficacit et suivant la disposition
propre du sujet lgard de
21. Cf. La pense critique de Diderot cit, chap. 4.2.2 :
Lexprience du muet deconvention : lanatomie mtaphysique et M.
Modica, Lestetica di Diderot. Teorie delle artie del linguaggio
nellet dellEncyclopdie, Roma, Pellicani Editore, 1997, pp.
152-62.
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laction quil veut accomplir, la phrase naturelle prsente, dans
lordre,les lments que le sujet parlant veut oprer, mettre luvre les
premiers,daprs ses intentions pratiques. Dans ce contexte
desthtique thtrale,Du Bos distingue donc, comme il avait fait pour
la peinture, une mcanique de la posie, qui ne relve que dun choix
musical dessuccessions des mots, dune potique de la phrase:
Comme la posie du style consiste dans le choix & dans
larrangement desmots, considerez en tant que les signes des ides :
la mcanique de la Posieconsiste dans le choix & dans
larrangement des mots, considerez en tantque de simples sons
ausquels il ny auroit point une signification attache.Ainsi comme
la Posie du style regarde les mots du ct de leurssignifications qui
les rend plus ou moins propres reveiller en nouscertaines ides, la
mcanique de la Posie les regarde uniquement commedes sons plus ou
moins harmonieux, & qui tant combinez diversementcomposent des
phrases dures ou melodieuses dans la prononciation. Le butque se
propose la Pos