UNIVERSITÉ STENDHAL GRENOBLE III U.F.R. SCIENCES DU LANGAGE Laboratoire LIDILEM KATERINA ZOUROU Apprentissages collectifs médiatisés et didactique des langues : instrumentation, dispositifs et accompagnement pédagogique (volume 1) Thèse présentée en vue de l’obtention d’un Doctorat en Sciences du Langage Thèse dirigée par Professeur F. Mangenot Membres du jury : M. Daniel Coste, Professeur Émérite, École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon M. Daniel Peraya, Professeur, Université de Genève M. Antonios Tsopanoglou, Professeur, Université Aristote de Thessaloniki M. François Mangenot, Professeur, Université de Grenoble –Stendhal III Soutenance le 22 février 2006 1
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Apprentissages collectifs médiatisés et didactique des langues - TEL - Thèses en … · 2014-10-04 · améliorer les pratiques de formation pour les enseignants de langue. Ces
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UNIVERSITÉ STENDHAL GRENOBLE III
U.F.R. SCIENCES DU LANGAGE
Laboratoire LIDILEM
KATERINA ZOUROU
Apprentissages collectifs médiatisés et
didactique des langues : instrumentation,
dispositifs et accompagnement pédagogique
(volume 1)
Thèse présentée en vue de l’obtention d’un Doctorat
en Sciences du Langage
Thèse dirigée par Professeur F. Mangenot
Membres du jury :
M. Daniel Coste, Professeur Émérite, École Normale Supérieure Lettres et
Sciences Humaines, Lyon
M. Daniel Peraya, Professeur, Université de Genève
M. Antonios Tsopanoglou, Professeur, Université Aristote de Thessaloniki
M. François Mangenot, Professeur, Université de Grenoble –Stendhal III
Soutenance le 22 février 2006
1
Cette thèse n’aurait pu exister
sans la précieuse collaboration et le soutien de François Mangenot,
de ma famille, de mes amis, de mes relecteurs et de mes collègues
que je remercie infiniment.
Besançon, Lyon, Limnos, Thessaloniki, 2002-2006
5
Sommaire du premier volume
Présentation de la recherche .......................................................... 5
1. Théories de référence.............................................................. 19 1.1. Au-delà du fonctionnement cognitif individuel : nouvelles perspectives dans la co-construction des connaissances ......................... 21 1.2. Le constructivisme ................................................................. 25 1.3. Théorie socioculturelle ............................................................ 39 1.4. Théorie socioculturelle et didactique des langues (DDL)............... 53 1.5. De l’intérêt du socioculturel en DDL .......................................... 62 1.6. La théorie de l’activité comme ancrage théorique possible ........... 72 Conclusion : Des limites théoriques à l’analyse des dispositifs ................. 82 2. Apprentissages collectifs médiatisés pour les langues ...... 85 2.1. De la dialectique homme - environnement informatique ............. 87 2.2. Apprentissages collectifs assistés par ordinateur (ACAO) ............. 2.3. De l’ALAO aux ACAO pour les langues....................................... 97 2.4. Interactions interculturelles et apprentissages médiatisés en
langues .............................................................................. 108 3. Formation des enseignants aux TICE : état des lieux......... 130
3.1. Formation continue des enseignants de langues aux TICE............ 132 3.2. Quelques formations universitaires innovantes aux TICE.............. 147 4. Objet de la recherche et démarche méthodologique.......... 154 4.1. Objet de la recherche : le projet « le français en (première) ligne . 155 4.2. Le cœur de notre analyse : le déroulement du dispositif en 2002-
2003 .................................................................................. 163 4.3. La démarche méthodologique .................................................. 175 ----------------------Analyse du projet expérimental---------------------- 5. Première notion-clé : le dispositif ........................................ 185 5.1. Vers une définition du dispositif ............................................... 187 5.2. Conception multimédia au sein du dispositif............................... 199 5.3. Aspects interculturels médiatisés.............................................. 211 5.4. Processus d’élaboration : l’exemple de la dyade Nicole- Céline ..... 221 5.5. Apprentissage situé et rôle des tâches ...................................... 229
6
5.6. Apport du dispositif à la formation des enseignants de langue ...... 239 5.7. Remarques conclusives sur la notion de dispositif ....................... 243 6. Deuxième notion-clé : l’accompagnement pédagogique ... 246 6.1. Quelques éléments théoriques ................................................. 247 6.2. Analyse de l’encadrement pédagogique du 1e semestre ............... 251 6.3. Analyse de l’encadrement pédagogique du 2e semestre .............. 269 6.4. Interactions au sein du groupe 9.............................................. 273 6.5. Interactions au sein du groupe 4.............................................. 285 6.6. Interactions franco-australiennes : retombées sur la formation
des futurs enseignants de langue ............................................ 302 7. Fonctionnements collectifs instrumentés ........................... 306 7.1. L’individuel et le collectif ......................................................... 308 7.2. Analyse des dynamiques collectives au sein du dispositif ............. 312 7.3. Effets de l’instrumentation sur l’élaboration des savoirs ............... 325 7.4. Effets de l’instrumentation sur la dimension collective des
apprentissages ..................................................................... 343 8. Conclusions et perspectives .................................................. 356 Références bibliographiques ............................................................... 368 Index des tableaux ........................................................................... 394 Index des figures.............................................................................. 395 Index des auteurs............................................................................. 396 Abréviations et acronymes ................................................................. 401 Table des matières ........................................................................... 402
Présentation de la recherche
7
I. Introduction générale
Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC)
suscitent des débats quant aux enjeux sociaux et philosophiques qu’elles
engendrent ; la généralisation de leur usage a des retombées dans le
domaine de la didactique des langues. Nul doute que le champ de
l’Apprentissage des Langues Assisté par Ordinateur (ALAO) qui se
développe depuis les années 80 s’est consolidé depuis et constitue un
champ de recherche en pleine évolution. A cet égard, l’avènement de
l’Internet dans la classe de langue n’invite-t-il pas à repenser ce que la
distance provoque en termes de pratiques d’enseignement et
d’apprentissage, d’usages technologiques, de dispositifs d’aide à
l’apprentissage ? Comme l’affirme Linard, « amplifiés par la distance, les
facteurs sociologiques, institutionnels et technologiques sont devenus
autant de variables déterminantes de la situation d’apprentissage » (1996,
p. 250).
En parallèle avec le courant de l’ALAO, plutôt tourné vers les
apprentissages langagiers, se développent des recherches visant à
améliorer les pratiques de formation pour les enseignants de langue. Ces
recherches, puisant souvent dans le domaine de la Formation Ouverte et à
Distance (FOAD), visent à mettre en œuvre des dispositifs1 de formation à
distance ou hybrides2, en direction des enseignants de langue. C’est cette
deuxième orientation, moins explorée à ce jour, qui sera au centre de la
présente étude.
1 Appliqué au domaine de la FOAD, le terme « dispositif » désigne « un système formel d’apprentissage et un ensemble de moyens matériels et humains, correspondant à une forme de socialisation particulière destinée à faciliter un processus d’apprentissage » (Blandin et al., 2002, p. 8). 2 Nous emprunterons à Charlier, Deschryver et Peraya la définition de dispositif hybride: « un dispositif de formation hybride se caractérise par l’introduction intentionnelle dans un dispositif de formation de facteurs innovants : l’articulation du présentiel et de la distance soutenue par un EIAH. Le fonctionnement d’un dispositif hybride repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation » (2005, p. 5).
Présentation de la recherche
8
Point de départ
Au début fut… la didactique des langues (DDL). Un séjour
professionnel au Centre Européen des Langues Vivantes à Graz, organisme
annexe du Conseil de l’Europe, et plus récemment nos fonctions d’experte
académique auprès de la Commission Européenne en matière de politiques
linguistiques (depuis 2003), ont correspondu à notre intérêt pour l’analyse
des situations d’enseignement et d’apprentissage en langues étrangères à
l’échelle locale, nationale et européenne. Cet intérêt s’est reflété
également à travers notre implication en tant qu’experte pour la sélection
des 50 meilleures pratiques de promotion de langues à l’échelle
européenne (Etude Lingo financée par la Commission Européenne3).
A l’intérieur du domaine de la DDL, notre prédilection pour l’ALAO a
trouvé naturellement son chemin avec un DEA à l’Université de Toulouse
Le Mirail (Zourou, 2001), puis, avec un DESS en ingénierie pédagogique à
l’Université de Franche-Comté (Zourou, 2003). Petit à petit, notre
penchant pour le champ de la communication pédagogique en ligne en
classe de langue s’est confirmé à travers un projet de thèse.
Le point de départ de ce travail coïncide avec l’année inaugurale
2002-2003 du projet « le français en (première) ligne 4» qui s’est réalisé à
l’Université de Franche-Comté. Associée en tant que doctorante à l’équipe
de conception du projet, nous avons participé activement à la mise en
place du dispositif de cette année là. Cette implication personnelle dans
des fonctions d’appui à la gestion et à la mise en place du dispositif et
surtout d’accompagnement pédagogique nous a conduite à prendre ce
dispositif comme objet d’étude. Ainsi, le présent travail trouve-t-il sa
source dans une implication active à un projet qui à cette époque faisait
ses premiers pas avant de devenir le projet de grande envergure qu’il est
aujourd’hui.
3 Etude publiée en novembre 2005 en 8.000 exemplaires et en six langues. Disponible gratuitement en ligne sur le site de la Commission http://europa.eu.int/comm/education/policies/lang/key/studies_en.html 4 Site Internet du projet : http://www.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/
Pour une meilleure compréhension de notre problématique de recherche, il
nous faut décrire brièvement le projet qui nous servira de terrain
d’analyse (pour plus de détails, voir 4.1). Il s’agit de la mise en place d’un
dispositif de formation pré-professionnelle pour de futurs enseignants de
langue. Le projet est fondé sur une idée simple : des étudiants5 en
Maîtrise de FLE, dans le cadre de leur formation universitaire, suivent
pendant le premier semestre un module sur les technologies éducatives
dans lequel ils créent des ressources multimédias pour un public cible
concret : des étudiants australiens aprenant le français. Lors du deuxième
semestre, les étudiants français « tutorent » en ligne les Australiens dans
la réalisation de ces activités, en complément des cours en présentiel que
ceux-ci suivent en Australie.
Questionnement général
La problématique de départ prend sa source dans le constat
suivant : tandis qu’il est largement accepté que les processus cognitifs se
forgent dans le rapport à l’autre et dans le rapport aux artefacts qui
médiatisent la cognition humaine, rares sont les études qui examinent la
double dimension de médiation sociale et technologique dans une situation
d’apprentissage. Par exemple, les sciences de l’éducation tentent de se
concentrer sur la nature sociale des apprentissages en laissant au second
plan le rôle des artefacts, tandis que les recherches en informatique, tout
en privilégiant les aspects instrumentaux6, ne se sentent en général pas
concernées par la question de la médiation humaine7 dans une situation
5 Dans notre étude le masculin est utilisé sans aucune discrimination et dans le seul but d’alléger le texte. 6 L’instrumentation désigne l’association des intentions des acteurs et des propriétés des artefacts. Pour P. Rabardel, initiateur de ce concept, « les processus d’instrumentation sont relatifs au sujet, à l’émergence et à l’évolution des schèmes d’utilisation et d’action instrumentée » (1995, p. 12). 7 La médiation est un terme « réservé à des sujets-acteurs sociaux et à l’intervention qu’ils exercent en vue d’aider un ou des partenaires à négocier ou résoudre une difficulté ou un conflit » (Linard, citée par Bélisle, 2003, p. 22). Cette notion s’oppose à la médiatisation, « terme réservé à
Présentation de la recherche
10
d’apprentissage médiatisé. Comment est-il donc possible de conjuguer ces
deux perspectives, à quel cadre théorique se référer et quels outils
méthodologiques peuvent venir à l’appui ?
Dans cette approche délibérément interdisciplinaire qui sera la
nôtre, nous assumons un parti pris pour la théorie socioculturelle comme
cadre de référence conceptuel. Par ailleurs, puisque cette théorie,
développée pour la première fois dans les années 30 par Vygotsky, s’est
développée depuis et s’est concrétisée par des réflexions en provenance
de divers champs disciplinaires, quatre approches souvent associées à la
théorie socioculturelle viendront à l’appui : la théorie de l’activité, le
paradigme de la cognition distribuée, le paradigme de la cognition située
et le paradigme de la cognition socialement partagée. Ces paradigmes qui
viennent renouveler la manière dont on perçoit la pensée humaine –
inséparablement liée au contexte humain et matériel dans lequel elle
prend source- s’inscrivent majoritairement, comme leur nom l’indique,
dans le champ des sciences cognitives.
Nous avons ainsi esquissé à grands traits le cadre théorique de
référence et nous avons identifié un domaine scientifique qui va nourrir
nos réflexions épistémologiques. Il n’est pourtant pas le seul : le champ
des Apprentissages Collectifs Assistés par Ordinateur (CSCL dans la
terminologie anglo-saxonne), champ interdisciplinaire né il y a une
quinzaine d’années et réunissant entre autres des chercheurs en
informatique, en sciences du langage, en psychologie cognitive, en
ergonomie, sera aussi une source théorique très utile.
Notre thèse s’inscrit par ailleurs dans le domaine des sciences du
langage et plus particulièrement de la didactique des langues. Ceci nous
amène petit à petit à la définition de l’objectif de la présente étude : nous
souhaitons contribuer à l’étude d’une double situation de formation et
d’enseignement/apprentissage en français langue étrangère dans ses
dimensions à la fois sociales et technologiques. Plus particulièrement,
tandis que les interactions sociales trouvent progressivement leur place
dans l’analyse des situations intégrant des échanges entre pairs et des
des objets physiques et à l’opération techno-sémiotique de transcodage d’un message en un autre mode d’expression» (loc. cit.).
Présentation de la recherche
11
échanges entre élèves/apprenants, le contexte technologique et la façon
dont se conjuguent les propriétés matérielles et humaines dans une
situation d’apprentissage (ou de formation) en langues sont, en général,
moins bien prises en considération. C’est donc sur la conjugaison des
pôles social et technique que nous nous focaliserons.
Il est maintenant temps de formuler sommairement notre
hypothèse globale : au sein d'un dispositif hybride de formation pré-
professionnelle pour des enseignants de langue, la médiation
sociale et la médiation technique constituent des entités
inséparables dans l’examen d’une situation d’apprentissage.
Par ailleurs, repérer et décrire les variables décisives à l’intérieur
d’un dispositif précis de formation peut éventuellement constituer une aide
au développement d’autres types de dispositifs de formation universitaire
aux TICE : l’analyse portant sur un projet expérimental de formation dans
ce domaine, on peut espérer en tirer certaines conséquences sur le plan
du changement des pratiques.
Ceci nous amène à l’annonce de la double visée de cette étude :
d’une part il s’agit d’une visée herméneutique, analysant des usages et
des processus inter-individuels comme étant situés dans l’environnement
technique et distribués entre acteurs. D’autre part, il s’agit d’une visée
praxéologique, dont l’objectif sera la conception de dispositifs et
l’amélioration des pratiques de formation.
D’un point de vue méthodologique, notre thèse s’inscrit
délibérément dans une approche holistique en vue de l’examen d’une
situation médiatisée de formation et d’enseignement/apprentissage. Le
découpage de la réalité en éléments d’analyse distincts n’est en effet pas
approprié à la mise au jour des variables situationnelles. Par le biais du
croisement de plusieurs types de données, notre étude tentera de mettre
en évidence la nature complexe des processus collectifs d’apprentissage.
Une présentation plus détaillée du cadre méthodologique fera l’objet de la
section 4.3.
Présentation de la recherche
12
II. Problématique de la recherche
En fonction du cadre général de la recherche décrit plus haut, nous nous
posons trois questions principales qui constitueront le fil conducteur de notre
analyse.
La première question est relative à la nature du dispositif réalisé :
Q1 : Quel est l’apport d’un dispositif situé, autodirigé et réflexif dans la formation
de futurs enseignants de langues ?
Cette question que nous traiterons majoritairement dans le chapitre 5
portera sur trois spécificités de la démarche pédagogique telle qu’elle a été mise
en place, à savoir la contextualisation (ou la situativité8), l’autodirection et la
réflexivité, spécificités présumées favorables à des apprentissages entre pairs.
Dans le cadre de notre analyse, nous nous intéresserons aux effets que cette
démarche a eus en termes de conception multimédia des étudiants, de savoir-
faire technologiques et d’interculturalité. Finalement, quelles ont été les
répercussions de cette démarche sur la formation professionnelle de futurs
enseignants de langue ?
Pierre angulaire de tout dispositif de formation, le suivi pédagogique
occupera une partie à part dans notre réflexion. Il est associé à la deuxième
question :
Q2 : Quel est le rôle de l’accompagnement pédagogique dans un environnement
de formation hybride ? Quel est l’apport de la pratique du tutorat en ligne à la
formation de futurs enseignants ?
Cette question que nous développerons dans le chapitre 6 à la lumière des
réflexions du chapitre 5 portant sur le dispositif, analysera les modalités du suivi
et ses répercussions sur la formation étudiée. Plus précisément, cette question
sera appuyée sur l’analyse de l’accompagnement du premier semestre, phase de
la conception multimédia, ainsi que sur l’accompagnement du deuxième
semestre, réalisé par les étudiants lors de leurs interactions avec les apprenants
8 Nous nous sommes permise de traduire littéralement le terme situativity (Greeno, 1998) en français. Sur le courant de la cognition située cf. 5.1.3.
Présentation de la recherche
13
australiens. La pratique du suivi pédagogique en ligne a-t-elle été bénéfique à la
formation professionnelle des futurs enseignants ?
Pour compléter la réflexion autour du rôle de la médiation dans les
apprentissages (développée dans le chapitre 6 en mettant l’accent sur le suivi
pédagogique), le chapitre 7 aura pour objet les interactions sociales entre pairs.
Ainsi, le troisième pilier de notre analyse concernera les modes de
fonctionnement collectif sans et à l’aide des outils technologiques. La question
peut se formuler de la manière suivante :
Q3 : Quelles sont les dynamiques collectives (aux plans à la fois cognitif,
métacognitif et socio-affectif) qui se font jour au sein d’un dispositif de formation
autodirigé et instrumenté par des outils technologiques de mise en commun ?
III. La démarche de recherche : entre une approche
praxéologique et une approche herméneutique
De manière générale, l’étude des dispositifs de formation médiatisés,
hybrides ou à distance, se placent souvent au carrefour de deux modèles : d’une
part l’étude de cas, à finalité interprétative ou herméneutique, et d’autre part la
recherche-développement, à finalité interventionniste ou praxéologique. Ces
études se situent donc souvent au croisement de deux types d’objectifs : d’une
part la description et l’analyse des pratiques réalisées au sein d’un dispositif et
d’autre part la transformation et l’amélioration de ce dispositif dans une
démarche itérative.
Un exemple typique de cette situation est présenté par Bernadette Charlier
et ses collègues (Charlier, Daele et Deschryver, 2002b). A l’examen du dispositif
Learn-Nett qui présente des similitudes avec le projet « le français en (première)
ligne » (cf. 3.2.1.), les auteurs optent pour la démarche de « recherche-action-
formation » selon laquelle le dispositif de formation est conçu, puis mis en
œuvre, décrit et analysé par la suite afin d’être évalué et réadapté. Cette
démarche est plutôt caractéristique des dispositifs reconduits sur plusieurs
années, comme c’est également le cas du dispositif « le français en (première)
ligne ».
Présentation de la recherche
14
La démarche de ces auteurs ainsi que la nôtre peuvent difficilement être
classées uniquement comme des études de type recherche-action ou recherche-
développement, qui ont toutes les deux une visée praxéologique (Dufays et al.,
2001). S’agissant de dispositifs expérimentaux, intégrés dans des dispositifs
préexistants universitaires, ces formations ne visent nécessairement ni à la
remédiation à un dysfonctionnement constaté ni au déploiement d’une stratégie
solide de changement de pratiques, comme c’est souvent le cas avec la
recherche-action (Van der Maren, 1999). Nous sommes également loin d’une
perspective de démarche de développement proprement dite qui implique
l’analyse de la demande, la réalisation de cycles de conception, de production,
des mises à l’essai et d’évaluation de la démarche-cadre au fil des années.
Pour revenir donc au type de recherche que nous appliquerons dans la
présente étude, il s’agira essentiellement d’une étude herméneutique, dans le
sens de l’explication de processus et de la mise au jour de significations
nouvelles (Dufays et al., 2001). Mais nous nous positionnerons également du
côté de l’agir, visant à proposer des réadaptations et des améliorations du
dispositif pour sa poursuite ultérieure.
IV. Limites de la présente étude
Il est utile de rappeler ici que la présente étude, suivant une approche
qualitative, est de type inductif. C’est à dire qu’elle tente, au-delà de la
description des faits empiriques, de découvrir les facteurs susceptibles
d’expliquer certains phénomènes associés à la situation observée.
En relation avec la démarche épistémologique holistique que nous
adopterons (cf. 4.3.), le découpage de notre étude en trois grands objets
d’analyse (dispositif, accompagnement pédagogique et fonctionnements collectifs
instrumentés) peut paraître relativement artificiel. Cette distinction est purement
organisationnelle et ne reflète pas une séparation en unités d’analyse que nous
considèrerions comme isolables. Au contraire, les variables contextuelles influant
sur une situation de formation aussi complexe que la nôtre demandent une
Présentation de la recherche
15
interprétation systémique9. Ainsi, notre étude se caractérise par les défauts et les
qualités d’une perspective holistique : d’une part la multiplicité des facteurs
entrant en jeu qui risquent de rendre l’interprétation de la situation moins
rigoureuse, et d’autre part la mise en exergue d’une réalité complexe sous-
tendue par des variables contextuelles indissociablement liées.
V. Plan de la thèse
Dans un premier temps, nous avons privilégié une démarche
rédactionnelle allant au-delà d’une séparation prononcée entre références
théoriques et analyse de terrain. Selon la vision systémique que nous adopterons
ici, nécessitant l’appui sur des références théoriques plurielles, nous avons opté
pour une association de ces deux plans. Tandis que les deux premiers chapitres
sont consacrés au cadre conceptuel général qui traversera la totalité de l’étude,
les chapitres 5 à 7 dans lesquels se développe notre analyse seront précédés par
de brèves parties introductives théoriques, complémentaires au cadre conceptuel
des deux premiers chapitres.
Un autre élément moins fréquent dans les travaux de thèse concerne la
présentation de l’analyse par objets d’étude, que nous appellerons ici « notions –
clés ». Ainsi, trois notions-clés nous intéresseront en particulier : le dispositif,
l’accompagnement pédagogique et les fonctionnements collectifs instrumentés.
Notre analyse des facteurs contextuels ayant influé sur le projet s’organisera
autour de ces trois pôles d’intérêt. Il va sans dire que nous considérons les trois
pôles de manière inséparable et que cette distinction a été adoptée pour des
raisons de facilitation de la lecture.
Le premier chapitre s’attache à rechercher des croisements entre la
théorie socioculturelle, cadre théorique de référence jusqu’ici très peu exploité en
sciences du langage, avec la didactique des langues. Avec le deuxième
chapitre, le cadre théorique s’élargit avec la prise en considération du rôle des
9 Nous emploierons les termes approche holistique et approche systémique de manière interchangeable. Selon Mangenot (2002a), la perspective systémique « s’intéresse moins à l’étude isolée de telle ou de telle variable (les logiciels, les enseignants, les apprenants, l’institution) qu’aux relations entre ces variables » (np).
Présentation de la recherche
16
outils technologiques, tout d’abord dans les apprentissages humains (à ce sujet
nous nous questionnerons sur les recherches en cognition distribuée et en ACAO)
et ensuite en didactique des langues.
Etant donné que notre étude porte sur la mise en place d’un dispositif de
formation aux TICE, le troisième chapitre est consacré à l’analyse de l’existant
à ce sujet, et ceci sur deux plans : au niveau de la formation professionnelle des
enseignants en service et au niveau de la formation universitaire pour de futurs
enseignants. Nous en tirerons certaines conclusions quant à la mise en œuvre de
dispositifs de formation aux TICE.
Le quatrième chapitre porte sur la description détaillée du projet « le
français en (première) ligne » ainsi que sur son déroulement durant l’année
2002-2003 qui nous occupe plus particulièrement. Il sera suivi par la
présentation de notre démarche méthodologique. Notre analyse sera développée
dans les chapitres cinq à sept, où nous traiterons respectivement du dispositif,
de l’accompagnement pédagogique et des types de fonctionnement collectif
instrumenté. Ces chapitres correspondent aux trois questions de recherche
posées plus haut.
VI. Définition de notre stratégie rédactionnelle (ou le
labyrinthe des normes de rédaction d’une thèse)
Existe-il un cadre rédactionnel unique pour la présentation d’une thèse de
doctorat ? Y a-t-il une norme qui permette au futur chercheur de définir une
stratégie de rédaction délivrée de toute équivoque ? Un certain nombre de
documents électroniques ou papier revendiquent le statut de « guide officiel » ou
de « document commun standardisé », issus de différentes structures qui se
sentent concernées par cette tâche : le Ministère de l’Education Nationale,
l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (ABES), les universités via
leurs Ecoles Doctorales, les Associations de chercheurs, le Ministère de la
Recherche, pour n’évoquer que le monde académique français. Quelle est
l’origine de cette « plurivocalité » ? Des divergences trop marquées pour pouvoir
se regrouper sous un modèle unique ? Une absence d’harmonisation ?
Présentation de la recherche
17
Par ailleurs, il existe une multitude d’ouvrages proposant des recettes et
des conseils à ce sujet10 . Les guides en ligne sont, hélas, encore plus
nombreux11. Le futur chercheur peut se sentir troublé par cette affluence de
sources d’information qui se contredisent souvent. Dans un souci de
standardisation, le Ministère de l’Education et le Ministère de la Recherche ont
conjointement tenté de produire des documents communs. Ainsi, un premier
« Guide de présentation d'une thèse à l'usage du candidat au doctorat » a été
diffusé en 199812 suivi d’un deuxième « Guide pour la rédaction et la
présentation des thèses » en 200113. Pourtant, même si les deux documents
présentent beaucoup de différences (au niveau de la présentation des références
bibliographiques par exemple), à l’heure de la rédaction de la présente thèse
(janvier 2006) ils sont tous les deux utilisés par les Ecoles Doctorales françaises
sans que l’un ne remplace définitivement pas l’autre.
Précisions sur notre stratégie rédactionnelle
Devant cette pléthore de modèles rédactionnels et devant la confusion des
normes qui, de plus, évoluent dans le temps comme c’est le cas des normes
AFNOR14, pour le respect de la réglementation et dans un souci d’exactitude
10 Entre autres : Beaud, M. L’art de la thèse, comment préparer et rédiger une
thèse de doctorat, un mémoire de DEA ou de maîtrise ou tout autre travail universitaire. La Découverte, 1985. Fragniere, J.- P. Comment réussir un mémoire, comment préparer une thèse, comment rédiger un rapport. Dunod, 1986. Plot, B. Ecrire une thèse ou un mémoire en sciences humaines. Champion, 1986.
11 Entre autres et uniquement en France : - Les normes de rédaction bibliographique. Université d’Angers, 2003 :
- Citer un document, Conseils aux Etudiants pour une Recherche d'Information Spécialisée Efficace (CERISE) : http://www.ccr.jussieu.fr/urfist/cerise/p85.htm
- Comment présenter des références bibliographiques, Bibliothèque Paris 8 : http://www-bu.univ-paris8.fr/Pub/Formation/RefBiblio.html
- Rédiger une bibliographie : Les supports papiers, les supports électroniques, les citations bibliographiques dans le texte, Bibliothèque de l'Université du Havre : http://gromit.univlehavre.fr/bibleHavre/pages/fiches/fichesP.asp
12 Disponible en ligne www.fabula.org/documents/guide.pdf 13 Disponible en ligne http://www.sup.adc.education.fr/bib/ et http://www.abes.fr/ 14 AFNOR : Association Française de NORmalisation
scientifique, il nous paraît d’emblée crucial de choisir et de suivre un modèle
déterminé. Notre prise de position se définit ainsi : nous suivrons –autant que
possible- la toute dernière publication officielle à ce sujet, le Guide pour la
rédaction et la présentation des thèses publié en 2001 par le Ministère de
l’Education et le Ministère de la Recherche, fondé sur la norme AFNOR AFNOR Z
41-006.
En matière de références bibliographiques, le Guide se réfère à la norme
française AFNOR Z 44-005 de décembre 198715. C’est selon ces normes que nous
saisirons l’ensemble de notre travail, notamment les références bibliographiques
papier et électroniques, citations courtes et longues, notes de bas de page,
abréviations, locutions et sigles, etc. La ponctuation, la numérotation, la mise en
forme, ainsi que toutes les parties du présent travail (résumé, index, annexes,
table des matières etc.) suivront également ce modèle. A propos des citations en
langue anglaise, nous privilégierons le recours au texte original estimant superflu
d’en donner la traduction.
15 Cf. le site de l’URFIST (Unité Régionale de Formation à l'Information Scientifique et Technique) de Nice http://www.unice.fr/urfist/URFIST-DEH/pages/Theses/normes.html
If we removed human activity from the system of social relationships and social
life, it would not exist and would have no structure. With all its varied forms, the
human individual’s activity is a system in the system of social relations. It does not
exist without these relations. The specific form in which it exists is determined by
the forms and means of material and mental social interaction.
(Leont’ev cité par Breen, 2001, np16).
Introduction
Ce premier chapitre a pour but d’analyser l’arrière plan théorique que
constitue la théorie socioculturelle, d’inspiration vygotskienne, du point de vue
de la didactique des langues. Nous ne nous contenterons donc pas de décrire
cette approche mais plutôt d’approfondir ce que la théorie socioculturelle
représente en termes de vision de l’apprentissage et de la formation.
Après avoir situé la théorie socioculturelle parmi les nouveaux
paradigmes en sciences cognitives (1.1.), nous nous interrogerons sur la
pensée théorique qui la sous-tend : le constructivisme (1.2.). Par la suite, nous
examinerons les notions-clés de la théorie socioculturelle (1.3.), ses rapports
avec la didactique des langues (1.4.) et finalement son potentiel dans ce
champ de recherche (1.5.). Nous terminerons le chapitre par une réflexion sur
la pertinence de la théorie de l’activité comme cadre théorique possible à
l’analyse de notre dispositif (1.6.).
La posture adoptée par ce chapitre est délibérément critique : nous
fournissons nos propres jugements à la fin de chaque sous-partie, notamment
au sujet des confusions interprétatives du constructivisme (1.2.4.), du rôle du
contexte dans la didactique des langues (1.3.4.), du courant de Sociocultural
SLA (1.4.3.) et de l’apport de la théorie socioculturelle à la didactique des
langues (1.5.3.). L’objectif ne sera ni d’attaquer ni de défier telle ou telle
approche mais de faire ressortir notre position dans le débat théorique autour
de la théorie socioculturelle.
16 Extrait non paginé. Abréviation qui s’applique aux références bibliographiques consultées sur Internet ou à des documents polycopiés.
1er chapitre : théories de référence
21
1.1. Au-delà du fonctionnement cognitif
individuel : nouvelles perspectives dans la co-
construction des connaissances
1.1.1. Introduction : quatre paradigmes et une théorie
L’examen du dispositif de formation « le français en (première) ligne »
sous deux angles d’analyse - collectif et médiatisé- exige d’adopter une
démarche conceptuelle qui prenne en compte conjointement ces deux angles.
Souhaiter aborder les effets de la médiation autant sociale que matérielle sur
les apprentissages nous amène à adopter un point de vue socioculturel. Par
conséquent, nous puiserons majoritairement nos références dans la théorie
socioculturelle qui, à notre avis, permet de définir la place que les
environnements humains et médiatisés occupent dans les fonctionnements
mentaux et les apprentissages individuels et collectifs. Tel est l’objet de la
présente partie, à caractère fortement pluridisciplinaire.
Cette nouvelle conception du rôle de l’environnement dans les
apprentissages sera expliquée à partir d’un certain nombre d’approches, telles
que :
la théorie socioculturelle, issue de la tradition historico-culturelle
soviétique en psychologie (Vygotsky, Leont’ev, Cole, Wertsch), et
quatre paradigmes17 conceptuellement proches :
o la cognition distribuée, issue des recherches en informatique
(Hutchins, Y. Rogers) et en ergonomie cognitive (Rabardel);
o la théorie de l’activité, développée à partir de la théorie
socioculturelle (Leont’ev) et reprise en ergonomie (Engeström,
Nardi) ;
17 Le paradigme sera défini ici comme « un ensemble de croyances, de valeurs ou de présupposés partagés par un groupe de chercheurs oeuvrant au sein d’une même communauté scientifique » (Claude Germain cité par Mangenot 2000a, p. 79).
1er chapitre : théories de référence
22
o la cognition située, issue du domaine de l’ethnographie et de la
sociologie (Lave, Wenger, Quéré) avant d’être développée en
sciences de l’éducation (Scardamalia et Bereiter, Brown, Collins
et Duguid) ;
o la cognition socialement partagée, regroupant des chercheurs
provenant des disciplines diverses comme les sciences de
l’éducation (Resnick), l’ethnographie (Lave), la psychologie
sociale (Cole, Wertsch), les sciences du langage (Schlegloff).
Pour des raisons d’organisation, nous examinerons la théorie
socioculturelle, colonne vertébrale de notre cadrage théorique, dans la suite du
chapitre. La théorie de l’activité sera traitée dans la partie 1.6., tandis que le
paradigme de la cognition située, lié aux notions de contexte et de dispositif,
sera examiné dans le chapitre 5. Le paradigme de la cognition distribuée,
relatif aux effets des outils médiateurs sur la cognition et l’apprentissage
humains, sera analysé dans le chapitre 2. Le paradigme de cognition
socialement partagée qui porte sur les apprentissages collectifs sera traité
dans le chapitre 7.
Nous commencerons par un bref historique sur la perception du
fonctionnement cognitif comme propriété exclusivement individuelle pour
passer ensuite à l’élargissement de ce modèle par la prise en compte du
contexte humain et technique.
1.1.2. Les modèles cognitiviste et connexionniste
Paradoxalement, nous repérons la naissance de l’intérêt systématique
pour les fonctionnements mentaux humains non plus dans les recherches en
cognisciences mais en informatique, dans les années 5018. Considérés comme
les pères de l’intelligence artificielle, John Von Neumann et son disciple, le
mathématicien Alan Turing, auront précédemment bouleversé la réalité
scientifique en traçant de nouveaux chemins dans les domaines de la logique
et des probabilités, considérés comme les fondements de la science
18 Pour une présentation détaillée du cognitivisme et du connexionnisme cf. Andler,1992.
1er chapitre : théories de référence
23
informatique. L’écho de leurs travaux, notamment l’impact de la fameuse
machine de Turing n’aura pas uniquement des retentissements dans
l’architecture des machines informatiques. Elle influera également sur les
recherches ayant pour but de déchiffrer le fonctionnement de l’esprit humain
et de saisir ses propriétés mentales.
Le courant du cognitivisme (ou computationnalisme) tel que présenté
par Jerry Fodor, McCulloch et Pitts, ainsi que par d’autres figures intellectuelles
comme Herbert Simon et Noam Chomsky, prétendra qu’on peut saisir le mode
de fonctionnement de l’esprit en utilisant la métaphore de l’ordinateur. Selon
cette théorie, la cognition consiste en la manipulation de symboles à la
manière des ordinateurs digitaux. Penser, ce serait manipuler des symboles, la
cognition serait une représentation mentale (Coste F., 2003). Le rôle des
variables contextuelles et de l’environnement est donc sous-estimé par rapport
à la primauté des représentations symboliques internes.
Quant au modèle connexionniste, une opération cognitive se présente
comme le résultat émergeant de petites unités interconnectées qui
interagissent entre elles, sans pilote central. Ce postulat mis en avant
par Marvin Minsky et Douglas Hofstadter repose cette fois sur le principe
suivant : « les tâches cognitives semblent s’effectuer de manière optimale par
des systèmes consistant en un grand nombre de composants simples, qui,
quand ils sont connectés selon des règles appropriées, donnent lieu à un
comportement global » (Coste F. 2003, p. 2). Pour ce courant qui tire ses
origines principalement de la neurobiologie, il ne semble y avoir dans le
cerveau ni règle ni dispositif logique central de traitement.
Du point de vue de leurs divergences, d’une part le modèle cognitif
puise dans les descriptions computationnelles symboliques pour expliquer les
modes de traitement de l’information dans le cerveau humain. D’autre part, le
paradigme connexionniste privilégie le monde des neurones, qui, lorsqu’ils
sont connectés de façon adéquate, présentent des propriétés globales
intéressantes. Par ailleurs, le premier trouve ses racines dans le domaine de
l’intelligence artificielle et de la cybernétique, tandis que le deuxième puise
dans la neurobiologie.
1er chapitre : théories de référence
24
1.1.3. Vers des nouveaux paradigmes en sciences
cognitives
Le point commun entre les courants cognitiviste et connexionniste
semble être l’assimilation du fonctionnement cognitif à un modèle en réseau
clos. Les représentations internes symboliques sont le centre d’intérêt de ces
deux approches et les ressources cognitives sont localisées essentiellement
dans le cerveau humain. A cet égard, les processus mentaux sont perçus
comme inscrits uniquement dans le cerveau de l’agent et par extension,
l’intelligence se réduit à un processus strictement individuel sans que
l’environnement influe sur ses fonctionnements.
Le mot « environnement » sera pourtant l’élément clé sur lequel se
fonderont les développements théoriques post-cognitivistes19. Les premières
réactions apparaîtront à travers les travaux de Lucy Suchman, notamment son
ouvrage Plans and Situated Actions (1987). Paradoxalement, le cognitivisme
classique issu de l’Intelligence Artificielle sera remis en cause ouvertement par
Winograd et Flores, eux-mêmes chercheurs en intelligence artificielle, qui
prendront des distances dans leur ouvrage Undertanding Computers and
Cognition, publié en 1986. Désormais, l’objet d’analyse ne se situe plus « dans
la tête de l’individu »20 , mais sur le plan de l’interaction de l’individu avec son
monde environnant, qu’il soit composé d’artefacts ou d’humains.
Afin d’expliquer le fonctionnement cognitif individuel, les nouvelles
conceptions en sciences cognitives placent l’objet d’analyse en dehors de
l’individu, dans l’espace où celui-ci réagit avec son environnement humain ou
médiatisé. Par « nouvelles conceptions » nous faisons allusion à la théorie
socioculturelle ainsi qu’aux paradigmes associés émergents, à savoir la
cognition située, la théorie de l’activité, la cognition socialement partagée et la
cognition distribuée. Plus particulièrement, ces recherches nous permettront
de reconsidérer la place des outils, longtemps appréhendés comme des
« éléments du décor », dans les apprentissages médiatisés par des humains et
des artefacts (cf. 2.1.).
19 Pour une définition des termes contexte, environnement et dispositif cf. 5.1. 20 Allusion au dualisme « knowledge in the head » vs « knowledge in the world » qui a incité le changement de perspective en sciences cognitives.
1er chapitre : théories de référence
25
Toutefois, l’étude des fonctionnements cognitifs intégrant individus21 et
artefacts sera le seul point commun parmi ces positions scientifiques, chacune
s’étant développée par la suite de manière divergente. Comme nous le verrons
par la suite, les frontières de chacune de ces positions génèrent, même de nos
jours, des confusions et des recouvrements. Ainsi, pour revenir à notre objectif
qui n’est que la reconsidération de l’environnement dans les apprentissages
collectifs, nous commencerons ce voyage conceptuel par la théorie
socioculturelle, autour de laquelle nous associerons petit à petit les
paradigmes avoisinants. Première étape donc : l’approche constructiviste dont
la théorie socioculturelle fait partie.
1.2. Constructivisme
1.2.1. Fondements philosophiques
Même si dans notre étude nous nous intéressons en particulier aux
orientations pédagogiques du constructivisme, il est presque impossible d’éviter
de parler du constructivisme en tant que réflexion philosophique. En tant que
tel, le constructivisme a tout d’abord des racines épistémologiques qui touchent
à la nature de l’objet à appréhender. Contrairement à la tradition philosophique
réaliste selon laquelle il existe une réalité dont l’homme essaie de se faire une
copie, le constructivisme postule que le monde réel n’aurait pas de forme
préétablie et ne pourrait être perçu ni connu directement. Ainsi, Ernst von
Glasersfeld, chef de file constructiviste, affirme que :
La différence radicale [entre le constructivisme radical et les
conceptualisations traditionnelles] concerne précisément la relation
entre connaissance et réalité. Alors que l’épistémologie traditionnelle
comme la psychologie cognitive considèrent cette relation comme
21 Mentionnons au passage que l’objet épistémologique en cognition distribuée et en intelligence artificielle est nommé « agent » (Salembier 1996, Jermann 1996).
1er chapitre : théories de référence
26
une correspondance plus ou moins figurative (ou iconique), le
constructivisme radical la conçoit comme une adaptation au sens
fonctionnel (von Glasersfeld, 1988, p. 23).
En étant construites par l’individu, les connaissances se créent dans son
univers mental et ne sont pas des réalités qui existent à l’extérieur de
l’individu. Mais, la réalité, comment est-elle définie par le constructivisme ?
Paul Watzlawick, figure majeure du courant constructiviste et de l’école de Palo
Alto, estime que :
L’invention (la construction) des réalités scientifiques, sociales,
individuelles et idéologiques [sont] le résultat de l’inéluctable besoin
d’approcher la réalité supposée indépendante, « là-bas », à partir des
hypothèses de base que nous considérons comme des propriétés
objectives de la réalité réelle, alors qu’elles ne sont en fait que les
conséquences de la matière dont nous recherchons la réalité22 »
(Watzlawick, 1988, p. 10)
En fait, les connaissances correspondent à des réalités subjectives et les
constructions mentales se rapportant à une même réalité extérieure diffèrent
passablement (Henri et Lundgren-Cayrol, 1998, p. 14). Ce que nous appelons
connaissances, ne sont pas des vérités absolues ; ce sont simplement des
interprétations viables de notre monde élaborées à un moment donné (Resnick
cité par Henri et Lundgren-Cayrol, op. cit.). Si dans la tradition « réaliste
métaphysique » -comme l’appelle Glasersfeld- les connaissances ont une valeur
de vérité, les constructivistes objectent que la connaissance se transforme de
manière évolutive et que sa viabilité dépend du consensus social qu’elle
suscite. Ainsi, Glasersfeld rend hommage à un des principes fondamentaux du
constructivisme évoqué par Piaget, le caractère évolutif de toute connaissance :
Le constructivisme radical est alors radical parce qu’il (…) développe une
théorie de la connaissance dans laquelle la connaissance ne reflète pas
22 En italiques dans le texte original.
1er chapitre : théories de référence
27
une réalité ontologique « objective », mais concerne exclusivement la
mise en ordre et l’organisation d’un monde constitué par notre
expérience. Le constructivisme radical (…) se trouve en parfait accord
avec Piaget quand il dit : « l’intelligence (…) organise le monde
en s’organisant elle-même » (von Glasersfeld, 1988, p. 27)
Avec les travaux de Piaget, notamment son modèle de psychologie
génétique, nous passons à l’étude du constructivisme du point de vue
pédagogique. A cet égard, la théorie du développement cognitif chez les
enfants apportera des nouveaux éléments de réflexion qui s’inscrivent dans le
domaine de la psychologie de l’éducation. Avant de définir le sens que
l’approche constructiviste prendra au sein de la présente étude, il serait
intéressant d’évoquer quelques définitions du constructivisme pour montrer les
« constructivisme(s) », « socioconstructivisme » ? Quel terme serait le plus
adapté à esquisser à grands traits l’ensemble des courants qui, s’écartant du
modèle cognitiviste, insistent à la fois sur la contextualisation et la médiation
socio-culturelle des apprentissages ?
Tâche très délicate sans aucun doute que de vouloir englober sous un
terme générique des courants issus de moments chronologiques et de besoins
épistémologiques différents… Néanmoins, il y a plus d’une décennie que ce
débat mène bon train sur les deux côtés de l’Atlantique, entraînant une
production scientifique toujours plus abondante, sans aboutir à un consensus.
Pis encore, certains termes proposés, comme nous le verrons par la suite, ne
consistent qu’à donner un nouvel habillage rhétorique à des pratiques
existantes… (Cunningham et Duffy, 1996 ; Legendre, 2000).
Notre objectif ne sera aucunement de trancher ce « nœud gordien »,
tâche qui concerne plutôt les spécialistes en sciences cognitives et en
1er chapitre : théories de référence
28
psychologie. Pour notre part, nous tenterons de justifier notre prédilection pour
le terme « socioculturel » tout en essayant d’argumenter à propos des autres
alternatives. Cela nous permettra de faire un bref tour d’horizon sur les
théories d’apprentissage en fonction du développement socio-cognitif des
individus et des interactions inter-individuelles.
Commençons par une idée reçue, largement répandue aujourd’hui : le
cognitivisme est à éviter à tous égards, tandis que le constructivisme est le
garant de toutes les vertus pédagogiques : collaboration, autonomie,
participation active, savoirs concrets et profitables, le tout orchestré par un
enseignant qui est à l’écoute, conseille et rend les apprenants responsables de
leur apprentissage… Or, ce schéma caricatural sur « l’abysse » qui sépare les
deux modèles éducatifs ainsi que sur les vertus (uniquement) du modèle
constructiviste se reflète aussi très souvent dans des écrits officiels.
Trois exemples viendront illustrer cet imbroglio terminologique autour
du constructivisme; une étude de l’UNESCO sur les TICE en 2004, un article
scientifique récent sur le constructivisme et un texte consulté sur Internet à
l’issue d’un colloque au Canada. Les textes sont choisis pour représenter des
types de discours différents (discours politique vs académique, etc.) conçus
pour servir des besoins différents (définition d’un programme mondial scolaire
relatif aux TICE vs réflexion scientifique). A travers ces trois écrits
d’expertise politique et académique, comment le « constructivisme » se
présente-t-il?
Selon le premier (UNESCO, 2004, p. 25), le constructivisme (par
opposition à l’instructivisme) se définit ainsi :
Une organisation dominée par le professeur en tant que principal
dispensateur du savoir disciplinaire a une philosophie centrée sur
l’enseignant. Une philosophie centrée sur l’élève, en revanche, décrit
une organisation où les contenus proviennent de diverses sources et
où les projets sont choisis et conçus par les élèves. Ces derniers
sélectionnent eux-mêmes ressources et outils technologiques qui
correspondent le mieux aux objectifs de leur projet. Ces approches
divergentes de la pédagogie sont parfois désignées respectivement
comme l’instructivisme et le constructivisme [1].
1er chapitre : théories de référence
29
A ce discours politique s’ajoute un article scientifique sur les
perspectives pédagogiques de l’avenir (Martel, 2002) :
Les constructivismes se rapportent à un paradigme éducatif post-
moderne qui postule que l’apprenant construit sa propre interprétation
des événements et de l’information. La connaissance n’est pas figée une
fois pour toutes. Les tâches et les projets authentiques sont considérés
comme étant motivants. La collaboration constante est une partie
intégrante des pratiques [2].
Le modèle constructiviste atteint un sommet de l’idéalisation dans le
texte suivant, issu d’une conférence à Paris en 199823 :
Le constructivisme privilégie l'apprentissage actif, les environnements
collaboratifs et communicatifs. Les formateurs prennent en compte les
connaissances antérieures et extérieures de l'apprenant, préalablement
évaluées. L'apprentissage est contextualisé en fonction de sa propre
situation. Une panoplie de stratégies est mobilisée pour développer
l'autonomie de l'élève, afin qu'il apprenne à apprendre. Internet, à cet
égard, est un environnement informationnel extrêmement riche, où
puiser directement des études de cas (…) Ces environnements
permettent de multiplier les entrées, en harmonie avec le style cognitif
de l'apprenant [3].
Y a-t-il une véritable différence dans le contenu du discours des
différents auteurs ? L’apprenant est d’emblée considéré comme actif [1,3],
autonome [3] appuyé par des ressources authentiques adaptées à ses besoins
[1, 2, 3] dans un processus collaboratif [2, 3] et où, bien sûr, tout est centré
sur lui [1, 2, 3]. Mais en fait, qu’est-ce que les auteurs entendent par
constructivisme ? Par ailleurs, parlons-nous de constructivisme ou de
23 « Internet va-t-il changer la formation ? » Conférence du 8 octobre 1998 organisée par le Forum français pour la formation ouverte et à distance (FFFOD) à Paris. Consulté sur http://archives.fffod.org/Resumes/081098.htm
comme, entre autres, les activités auto-dirigées, l’apprenant comme
constructeur actif et collaborateur, parfois expert, l’enseignant comme
facilitateur, parfois apprenant (!), où le ludique prime et se complète par des
jeux et des expérimentations. Dernier détail : les outils dans
l’ « épouvantable » modèle instructiviste consistent en « papier, crayon,
textes, films, vidéos », à l’opposé du modèle constructiviste qui intègre
« ordinateurs, lecteurs vidéo, technologies qui engagent l’apprenant dans
l’immédiat de sa vie quotidienne, livres, magazines, périodiques, films, etc. »
(op. cit.).
A nos yeux, la confusion est flagrante : trop de concepts ne tuent-ils pas
le concept, pour paraphraser Mc Laughlin ? Jusqu’à quand persistera l’idée que
les apprenants de l’ère « pré-constructiviste » s’assimilaient à des individus
passifs dont le rôle était d’ « avaler » des connaissances sans capacité de
traitement ? En lisant les textes qui font l’éloge du constructivisme au
détriment de l’instructivisme, les apprenants ressemblent, avec une dose
d’exagération bien sûr, à des « boîtes noires » sans défense face aux
enseignants qui les saturaient impitoyablement de connaissances abstraites.
Par ailleurs, le même auteur salue le passage des outils dits traditionnels
(le papier, le crayon et le tableau) aux outils technologiques comme le signe
d’un passage du modèle instructiviste au modèle constructiviste. Autrement dit,
d’après l’auteur, les outils traditionnels semblent médiatiser peu ou mal la
pensée humaine, comparés aux ordinateurs et aux lecteurs vidéo. A l’opposé
de cette vision typiquement technocentriste qui distingue « anciennes » et
« nouvelles » technologies, nous adopterons la perspective d’analyse des effets
qu’un tel ou tel outil produit sur les apprentissages humains, indépendamment
du support.
1er chapitre : théories de référence
31
Pour conclure, le « constructivisme » n’est-il pas employé comme un
nouvel habillage rhétorique de pratiques existantes ou bien comme une notion
fourre-tout où se croisent les espoirs pour le renouvellement des pratiques
pédagogiques de demain ? Le « constructivisme » apparaît dans tous les
discours, projets et rapports pédagogiques : une recherche en juin 2005 sur
Google donne 54.400 occurrences pour le terme français et… 604.000 pour le
terme anglais, sans mentionner les dérivés. Nous trouvons dans les passages
cités plus haut des clichés fort à la mode qui accompagnent le constructivisme,
sans pourtant définir précisément ses fondements théoriques, sa scientificité et
ses orientations praxéologiques. Dans ce tourbillon interprétatif, le
constructivisme n’est-il pas menacé par son utilisation approximative ?
De l’aventure terminologique du « socio-cognitif »
Il ressort de la partie précédente que dans les articles qui abordent
l’intérêt pédagogique du constructivisme, il n’est pas rare que des confusions
terminologiques surgissent. En fait, le « sociocognitivisme », terme souvent
employé comme synonyme de la théorie socioculturelle, n’échappe pas à ces
confusions. L’objectif sera de souligner le manque de clarté qui caractérise
souvent les interprétations abondantes du sociocognitivisme et du
constructivisme, tentatives qui, tout en essayant de défricher le terrain,
contribuent parfois à brouiller la signification de ces termes.
A titre d’exemple, dans leur article « Technologie et enseignement d’une
langue seconde », Warschauer et Meskill (2000) distinguent les approches en
technologies éducatives pour les langues en deux grandes catégories : les
approches cognitives, où l’importance est accordé au développement des
compétences cognitives individuelles pour l’apprentissage d’une langue, et les
approches sociocognitives. Outre le fait que les auteurs évoquent « des
approches sociocognitives » tandis qu’ils n’en présentent qu’une seule, ils
peinent à donner une définition claire de ce qu’ils entendent par « approche
sociocognitive ». Les termes qu’ils utilisent pour la décrire tels que « aspect
social de l’acquisition d’une langue », « interaction sociale authentique »,
« communication authentique », « socialisation dans des communautés de
1er chapitre : théories de référence
32
discours particuliers » nous semblent créer un amalgame conceptuel
composite fabriqué par des fragments de plusieurs approches.
Par exemple, l’approche communicative ne se reconnaît-elle pas en
didactique des langues dans la « communication authentique », en
sociolinguistique dans une « socialisation dans des communautés de discours
particuliers », et en interactionnisme social dans l’« interaction sociale
authentique », le tout agrémenté d’une pincée de Vygotsky (« aspect social de
l’acquisition d’une langue ») ? Par ailleurs, il est étonnant qu’auxdites
« approches sociocognitives » manquent totalement les références aux
fondateurs et aux successeurs de ce courant : par exemple, ne sont pas cités
les noms de Piaget, Wersch, Doise et Mugny, Salomon, Engeström,
Scardamalia et Bereiter pour n’en mentionner que quelques uns.
Somme toute, l’article de Warschauer et Meskill (2000) nous semble
typique du flou qui entoure souvent les tentatives de définir le cadre théorique
socioconstructiviste. La perspective adoptée par les deux chercheurs semble
consister en un assemblage de notions issues de traditions épistémologiques
diverses, appartenant à des courants de pensée différents. Ce flou notionnel
sous le générique « approche sociocognitive » nous semble fonctionner plutôt
comme une étiquette qualifiant une nouvelle ère qui révolutionnera les
pratiques pédagogiques en classe de langue. A l’instar du « constructivisme »,
dans plusieurs écrits, la théorie socioculturelle ou l’approche sociocognitive se
considèrent comme une sorte de recette magique qui porte en elle la
promesse pour une école « meilleure ». Dans le cadre de la présente étude
quelques définitions préliminaires sont indispensables.
1.2.3. Psycho-constructivisme et socio-constructivisme
La polyphonie interdisciplinaire a sans doute rendu le débat autour du
constructivisme plus complexe ; nous nous contentons par la suite de donner
quelques définitions qui ne seront valables que dans la présente étude. Tout
d’abord nous identifierons deux approches à la base du paradigme
constructiviste, le psycho-constructivisme et le socio-constructivisme. Parmi
1er chapitre : théories de référence
33
toutes les définitions du constructivisme, voici celle qui nous semble la plus
complète (Piaget cité par de Landsheere 1979, p. 101) :
Théorie selon laquelle la connaissance n’est ni une copie de l’objet ni
une prise de conscience de formes a priori qui soient prédéterminées
dans le sujet, c’est une construction perpétuelle par échanges entre
l’organisme et le milieu au point de vue biologique, et entre la pensée et
l’objet au point de vue cognitif.
Legros et Crinon (2002), qualifient de constructiviste toute approche qui
rompt avec le cognitivisme computationnel et le béhaviorisme tout en mettant
l’accent sur l’influence de l’environnement humain et matériel ainsi que sur la
co-construction des apprentissages24. Pourtant, les termes se référant à la
théorie de Piaget, à la théorie de Vygotsky et à la source de pensée commune
sont loin de faire l’objet d’un consensus. Le tableau 1 illustre la multiplicité des
termes proposés à ces trois approches. Cette variété terminologique semble
s’aggraver du fait que les dénominations sont proposées par des chercheurs
provenant de domaines de recherche différents : l’informatique, les sciences de
l’éducation, les sciences cognitives, la psychologie et les sciences du langage.
Toutes les marques orthographiques sont conservées (nombre, tirets) ainsi que
la caractérisation théorique (approche ou théorie).
Auteurs
(par date)
Théorie piagetienne
Théorie vygotskienne
Paradigme commun
O’Malley (1995) sociocognitive theory
sociocultural theory
---
Cobb (1994), Bonk et
Cunningham (1998)
cognitive constructivism
social constructivism
constructivism
24 A cet égard, Rézeau propose l’hyperonyme « néo-cognitivisme » (2001, p. 312).
1er chapitre : théories de référence
34
Dillenbourg, Baker, Blaye et O’Malley (1996)
approche
socio-constructiviste
approche socioculturelle
Constructivisme
Cunningham et Duffy (1996)
individual cognitive approach
sociocultural approach
----
Henri et Lundgren-Cayrol
(1998)
constructivisme sociocognitivisme ----
George (2001) approche
socio-constructiviste
approche
socio-culturelle
----
Legros, Maître de Pembroke et
Talbi (2002)
constructivisme approche socioculturelle
constructivisme
Martel (2002) psycho-constructivisme
socio-constructivisme
constructivismes
Daele et Lusalusa (2003)25
approche
socioconstructiviste
approche socioculturelle
---
Charlier et Peraya (2003)
psycho-constructivisme
socioconstructivisme
----
Felix (2005) cognitive constructivism
social constructivism
constructivism
Bourgeois (à paraître)
Constructivisme (piagétien)
Approche historico-culturelle
constructivisme
(Tableau 1 : Variations terminologiques sur le constructivisme et les théories
reliées)
En ce qui concerne la présente étude, par « psycho-constructivisme »
nous nous référerons aux travaux de Piaget et de ses successeurs, et par 25 Bien que l’article de Daele et Lusalusa (2003) paraisse dans l’ouvrage collectif de Charlier et Peraya (2003), les auteurs proposent des dénominations différentes de celles parues dans le glossaire du même ouvrage (« approche socioconstructiviste/ approche socioculturelle » pour Daele et Lusalusa (op.cit. p. 142), « psychoconstructivisme/ socioconstructivisme » dans le glossaire collectif (Charlier et Peraya, p. 204).
1er chapitre : théories de référence
35
« théorie socioculturelle » à l’approche historico-culturelle fondée par Vygotsky
qui se trouve à la base des courants de pensée tels que les quatre nouveaux
paradigmes en sciences cognitives (cf. 1.1.1.). Avant de passer à l’analyse de
la théorie socioculturelle qui constitue notre cadre théorique de référence,
nous évoquerons brièvement les postulats de l’approche psycho-
constructiviste. Selon cette perspective, le développement cognitif est
considéré principalement comme un processus individuel qui s’enrichit par les
interactions interindividuelles. Ainsi, Piaget à la fin des années vingt a cherché
à se distancier du paradigme dominant de l’époque qui expliquait le
développement cognitif individuel au moyen des actions cognitives elles-
mêmes. Piaget a donc tenté d’expliquer le développement cognitif individuel
dans un contexte d’interaction. Ses successeurs (principalement Doise, Mugny
et Levy qui ont formé l’école de Genève) ont suivi et développé cette théorie.
En outre, les adeptes du psycho-constructivisme tels que Doise, Mugny,
Perret-Clermont, ont avancé la notion de conflit socio-cognitif, notion dont la
valeur est déterminante dans la pensée des cogniticiens qui ont suivi. Selon ce
postulat « néopiagetien » (Bourgeois, à paraître), la confrontation des
représentations interindividuelles sur un sujet donné provoque un déséquilibre
sur deux niveaux : dans la sphère intra-individuelle et dans la sphère inter-
individuelle. Etant donné l’espace restreint de la présente étude, nous
retiendrons que grâce à cette confrontation de représentations antérieures, le
réajustement et la reconsidération des savoirs sont possibles et par
conséquent, le développement cognitif se déclenche.
Au-delà d’une séparation trop stricte des courants psycho-
constructiviste et socio-constructiviste, plusieurs recherches adoptent une
vision plutôt convergente tout en inscrivant les deux courants dans une vision
de la cognition qui valorise les interactions sociales (à l’opposé du
béhaviorisme et du cognitivisme par exemple). Le débat est encore ouvert,
avec des chercheurs qui se prononcent pour une distinction entre deux
approches (Cunningham et Duffy, 1996) et d’autres qui prennent des
distances par rapport à une distinction trop prononcée entre les pôles
individuel et collectif (Cobb, 1994 ; Resnick, 1991 ; Kaptelinin et Cole, 1997).
Pour Cole et Wertsch par exemple (1996), la distinction entre
constructivisme individuel (la psychogenèse pour Piaget) et constructivisme
1er chapitre : théories de référence
36
social (la sociogenèse pour Vygotsky) sert à nourrir une antinomie que les
auteurs considèrent comme artificielle. Ils situent plutôt la distinction des deux
courants sur le rôle de la culture en tant que médiation sociale mais aussi
matérielle dans le développement cognitif humain (Cole et Wertsch op. cit.).
Plus particulièrement, si pour Piaget les outils ne semblent pas jouer un rôle
dans la transformation des processus mentaux, cette spécificité des artefacts
culturels en tant que réorganisateurs mentaux est mise en exergue dans la
réflexion de Vygotsky (1.3.2.).
Sans nous positionner en spécialiste en psychologie de l’éducation, notre
domaine étant celui des sciences du langage, nous penchons pour une
considération circulaire des pôles individuel et social dans l’analyse d’une
situation d’enseignement/apprentissage et de formation en langues. Comme
nous le verrons plus tard dans l’étude des dynamiques collectives médiatisées
(7.1.2.), les pôles individuel et collectif s’auto-alimentent et se ressourcent
inlassablement dans un contexte d’interaction sociale, avec des effets aussi
bien sur le plan individuel que collectif.
Avec l’avènement des technologies multimédias, les courants
constructivistes se voient dotés d’une multitude d’outils informatiques
qui pourraient à terme médiatiser les savoirs et faciliter les échanges entre
pairs. Ainsi, même si le potentiel des interactions inter-individuelles pour le
développement cognitif n’est pas un concept récent -Vygotsky a publié son
fameux traité Pensée et langage en 1934 -, c’est plutôt après les années
quatre-vingt et surtout de nos jours que le concept de la collaboration s’est
développé au point de provoquer la naissance du paradigme des
Apprentissages Collectif Assisté par Ordinateur (CSCL, cf. 2.2.). Sans doute
s’agit-il de la revalorisation de cette notion, négligée pendant quelques
décennies, et du réexamen de sa valeur dans l’apprentissage et dans la nature
des processus mentaux. Nous reviendrons ultérieurement sur le domaine des
ACAO et des dynamiques interactionnelles dans l’apprentissage (2.2., 7.4.).
1er chapitre : théories de référence
37
1.2.4. Synthèse et définitions préliminaires
La partie précédente a servi à esquisser la difficulté rencontrée dans le
repérage d’un terme générique unique pour englober les diverses théories qui
ont assis sur une nouvelle base de discussion les apprentissages collectifs et
les interactions interindividuelles. Les tentatives de plusieurs auteurs (cf.
tableau 1, p. 33) visant à mieux saisir les courants constructiviste,
socioconstructiviste et socioculturel sont tout à fait louables et servent à
orienter le lecteur vers les nouveaux paradigmes en apprentissages.
Cependant, sans doute ont-elles relevé un défi trop ambitieux, puisque le
« constructivisme » n’est pas un concept unique mais recouvre une multiplicité
de significations qui ne sons pas toujours bien délimitées (Legros et Crinon,
2002).
Par exemple, plusieurs disciplines intègrent l’interaction sociale dans
leur approche à des degrés et des significations variés : la philosophie avec
von Glasersfeld (1998) et Watzlawick (1988), la sociologie avec Bourdieu (cf.
son concept de « constructivisme structuraliste », 1987) et Durkheim (avec la
notion de « représentations sociales», 1898). Du côté de la psycho-pédagogie,
nous pourrions évoquer les positions de Vygotsky (1978), Piaget (1967),
Bruner (et la notion d’ « apprentissage par la découverte », 1996), Bandura
(Bourgeois, à paraître) et encore Freinet avec la notion de pédagogie de projet
(Legrand, 1993), le constructionnisme de Papert (Resnick M., 1996), les
neurosciences avec Maturana et Varela (Varela, 1998), pour ne mentionner
que quelques unes de ces positions.
Toutefois, il serait absurde de chercher la genèse du « constructivisme »
dans un moment et un temps précis ainsi que de vouloir caractériser d’emblée
tous ces courants de « constructivistes ». Les rapprochements entre les
différentes perspectives ne devraient pas découler d’une vision uniformisante
des spécificités de ces approches. Ainsi, nous ferons usage du terme
« constructivisme » dans le contexte précis de la présente étude :
1er chapitre : théories de référence
38
Une autre idée reçue vient de la survalorisation du modèle
socioconstructiviste au détriment d’autres théories d’apprentissage. Nous
pensons, à la suite de Carbonneau et Legendre (2002), que la question n’est
pas tant de savoir s’il faut être constructiviste, cognitiviste, ou même néo-
behavioriste. Au contraire, ce serait plutôt d’examiner en quoi les différents
modèles peuvent servir à l’éclaircissement des modalités d’apprentissage, en
l’occurrence des modalités de fonctionnement collectif.
Le constructivisme, le socioconstructivisme et le cognitivisme
constituent de bons modèles de référence : le premier, parce qu’il
explique la connaissance comme résultant des actions, réelles puis
intériorisées, de l’individu sur les objets, sur leur représentation ou
sur des propositions abstraites ; le deuxième, parce qu’il souligne la
nature éminemment sociale de la pensée, les concepts étant des outils
sociaux servant de support à l’échange de points de vue et à la
négociation des significations ; le troisième, parce qu’il s’efforce de
rendre compte des processus permettant de transformer l’information
en connaissances, autrement dit d’intégrer de nouveaux savoirs au
système de connaissances d’un individu (Carbonneau et Legendre,
2002, np).
Henri et Lundgren-Cayrol, dans leur étude des fonctionnements
collaboratifs, adoptent elles aussi une vision similaire. Elles examinent la
contribution des trois générations théoriques, constructiviste,
psychocognitiviste et sociocognitiviste, dans la théorisation des apprentissages
Sous la dénomination « approches » ou « courants constructivistes », nous
désignerons le courant psycho-constructiviste piagétien, la théorie
socioculturelle et les quatre paradigmes associés à celle-ci. Nous éviterons
pourtant de qualifier ces approches de « socioculturelles » puisque ce terme
désigne pour nous uniquement la théorie qui porte ce nom et ne peut donc
pas être employé comme terme générique.
1er chapitre : théories de référence
39
collaboratifs (1998). Pour ces auteurs, le cadre théorique qui permet
d’expliquer les modalités de travail collectif puise dans divers modèles de
référence. Par exemple, la théorie psychocognitiviste est souvent désignée par
les fervents du constructivisme comme la « bête noire » de par la place
insuffisante qu’elle accorde aux interactions sociales. Pourtant, elle est
valorisée par les chercheurs pour l’intérêt qu’elle accorde dans les démarches
d’apprentissage mieux adaptées au fonctionnement cognitif des apprenants.
A la suite de Henri et Lundgren-Cayrol (op. cit.), nous adopterons le
point de vue d’après lequel les divers modèles théoriques constituent, chacun
à sa manière, une façon de se représenter certaines facettes du
fonctionnement cognitif. Nous examinons ci-après le modèle de référence qui
se trouve à la base de notre cadrage théorique, la théorie socioculturelle.
1.3. Théorie socioculturelle et apprentissages
collectifs
1.3.1 Éléments de caractérisation
Dans la présente partie seront abordées les notions fondamentales de la
théorie socioculturelle. Nous argumenterons aussi sur le choix du cadre
théorique spécifique.
Au lieu de théorie « socioconstructiviste », le terme « théorie socioculturelle »
sera privilégié étant donné son emploi aussi bien dans la littérature française
qu’anglo-saxonne (cf. l’existence du courant de Sociocultural SLA, 1.4.1.).
Par « théorie socioculturelle » nous ne désignerons que les travaux de
dimension psychosociale issus des travaux de Vygotsky et de ses successeurs
(Leont’ev, Luria, Wertsch). Afin d’éviter toute confusion terminologique, les
paradigmes y associés (par exemple la cognition située) sont placés sous
l’hyperonyme de constructivisme.
1er chapitre : théories de référence
40
L’interaction inter-individuelle et la fonction de la collaboration pour le
développement socio-cognitif de l’individu, et en particulier de l’enfant, font
l’objet de nombreuses recherches, notamment dans le domaine de la
psycholinguistique développementale. Parmi ces recherches, de nombreux
travaux expliquent en détail la théorie socioculturelle (cf. Bonk et Cunningham
1998, Lantolf et Appel 1994a, Lantolf 2000b, van Lier 2004, Wertsch, Del Rio et
Alvarez 1995, Wetsch 1991) ; nous ne proposons ici qu’un abrégé de cette
théorie pour aborder par la suite son importance pour les sciences du langage.
La théorie socioculturelle peut se définir comme une approche générale
des sciences humaines dont l’objectif est « d’expliquer les relations entre, d’une
part, le fonctionnement mental et, d’autre part, les situations culturelles,
institutionnelles et historiques dans lesquelles ce fonctionnement a lieu »
(Wertsch, Del Rio et Alvarez, 1995, notre traduction). Quant aux relations entre
ces deux pôles, une première définition peut être la suivante :
[En s’appuyant sur le contexte socioculturel de la cognition], la
connaissance est conçue comme l’effet d’une construction entre les
individus et les groupes et le résultat d’une interaction entre les facteurs
culturels et langagiers (Legros, Maître de Pembroke et Talbi, 2002, p.
30-31).
La définition ci-dessous sera plus claire quant à l’ancrage situationnel ainsi qu’à
la valeur du contexte (composé d’humains et d’outils) de l’apprentissage
humain :
Individual mental functioning is inherently situated in social
interactional, cultural, institutional, and historical contexts. Therefore,
to understand human thinking and learning, one must examine the
context and setting in which that thinking and learning occurs (Bonk et
Cunningham, 1998, np).
Etant donné l’intérêt croissant de plusieurs disciplines pour le paradigme
socioculturel, il existe une littérature abondante qui s’enrichit continuellement,
1er chapitre : théories de référence
41
également dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des langues (cf.
1.4.1. et 2.3.2.). Par manque d’espace, il ne s’agira pas ici de faire le tour des
interprétations données à la théorie socioculturelle. Tandis que plusieurs
chercheurs associent le paradigme socioculturel à la contextualisation des
apprentissages, à la collaboration, au rôle des outils cognitifs dans
l’apprentissage, à la co-construction et à la négociation du sens, nous mettrons
l’accent sur deux notions incontournables sur lesquelles se fonde l’édifice
socioculturel, d’une part celle de la médiation humaine et instrumentale et
d’autre part celle du contexte ou environnement d’apprentissage.
1.3.2. Du rôle de la médiation
Un des concepts-clés de la théorie vygotskienne concerne le caractère
médié de la pensée humaine. A l’opposé de la vision
cognitiviste /connexionniste de la pensée, Vygotsky a soutenu que l’homme
n’agit pas directement sur le monde physique mais, au contraire, il s’appuie sur
des outils et des activités qui lui permettent de modifier le monde environnant.
Ainsi, l’homme se sert d’outils26 et de signes pour médier ses actions, c'est-à-
dire pour réguler ses relations par rapport aux autres et à lui-même et agir sur
la nature de ces relations. Les outils, physiques ou symboliques, sont des
artefacts créés par des cultures humaines à travers le temps et que les
générations successives s’approprient, tout en les modifiant avant de les léguer
aux générations futures (Lantolf, 2000b). C’est cette vision de la pensée
humaine qui sera fondamentale : les outils servent à établir une relation
indirecte, médiée, entre la pensée humaine et le monde environnant, humain
et matériel.
En analysant le rôle de la culture dans le développement individuel,
Vygotsky avance l’idée que l’homme assimile et oriente vers lui-même les
différents outils pour gérer ses propres fonctions mentales. D’après sa
terminologie, apparaît un système de « stimuli artificiels et extérieurs » par
26 Nous nous contenterons d’utiliser ici le terme « outil » comme générique. Une plus fine distinction entre outil, artefact, instrument et outil cognitif suivra dans la partie 2.1.2.
1er chapitre : théories de référence
42
lesquels l’homme maîtrise ses propres états intérieurs (Ivic 1994). Ainsi, selon
Vygotsky, l’objectif de la psychologie serait de comprendre la manière dont
l’activité sociale et mentale s’organise à travers des artefacts construits
culturellement (Wertsch, 1991).
Dans la réflexion de Vygotsky, davantage que les conséquences
psychologiques, les effets de tels outils sur le développement de l’individu, les
spécificités interactionnelles donc de l’individu avec les outils, ont un rôle
primordial. Dans l’analyse de ces conséquences, le point de départ pour
Vygotsky est le fameux dicton de F. Bacon (que Vygotsky cite maintes fois) :
Nec manus, nisi intellectus, sibi permissus, multam valent : instrumentis et
auxilibus res perficitur [la main et l’intelligence humaines, privées des outils
nécessaires et des auxiliaires, restent assez impuissantes; inversement, ce qui
renforce leur puissance, ce sont les outils et les auxiliaires offerts par la
culture] (Ivic, 1994). L’existence même de ces outils change la nature du
processus qui reste propre à l’individu : ayant mené des études
ethnographiques auprès des communautés rurales des Républiques de l’Asie
centrale, Vygotsky et ses collègues ont montré que les modes de
fonctionnement cognitif sont profondément déterminés par les outils employés
dans des situations d’apprentissage diverses (Bourgeois, à paraître).
Pour revenir à la notion centrale de médiation, il est fréquent d’en
distinguer deux types : la médiation humaine, à savoir les interactions sociales,
et la médiation matérielle, véhiculée par les outils (cette dernière est aussi
connue dans la bibliographie francophone sous le terme de « médiatisation »,
cf. Barbot et Lancien, 2003). Dans la perspective socioculturelle, les outils
comprennent, pour n’en mentionner que quelques uns, la langue écrite et
parlée (ainsi que toute la « Galaxie Gutenberg », pour reprendre l’expression
de M. McLuhan), les rituels, les modèles de comportement dans les œuvres
d’art, les systèmes de concepts scientifiques, les techniques qui aident la
mémoire ou la perception humaine, etc. Tous ces outils culturels sont des «
extensions de l’homme », c’est-à-dire des prolongements et des amplificateurs
des capacités humaines (Ivic, 1994).
Pour conclure, il nous semble que plusieurs recherches, dans leur
tentative d’expliquer les travaux socioculturels, sous-estiment souvent le rôle
que la médiation joue dans la construction des apprentissages. Avec la montée
1er chapitre : théories de référence
43
de l’intérêt porté à l’ACAO, il est de plus en plus fréquent que la
« collaboration27 » soit directement liée à théorie socioculturelle. Il est
certainement vrai que la mutualisation des apprentissages collectifs (re)trouve
son importance à travers les écrits socioculturels, mais cela ne constitue qu’un
seul aspect de ladite théorie. De nombreux ouvrages en apprentissages
collectifs médiatisés se focalisent sur plusieurs aspects de la médiation
humaine : négociation de sens, verbalisation et extériorisation des schèmes
mentaux individuels, médiation enseignante etc.
Pourtant, le rôle des outils médiateurs dans la construction et la
transformation de la réalité environnante, ainsi que leur potentiel dans la
transformation des schèmes mentaux sont souvent ignorés ou relégués au
deuxième plan. A titre d’exemple, la fonction des outils dans une situation
d’enseignement/apprentissage d’une L2 est encore assez peu exploitée,
notamment dans le domaine de la DDL ou de Sociocultural SLA (1.4.3.),
l’exception étant l’émergence des travaux en ACAO pour les langues (2.3.2.).
En ce qui concerne la présente étude, la médiation sociale et la médiation
matérielle (ou médiatisation) seront traitées indissociablement dans l’examen
d’une situation d’enseignement/apprentissage en langues. La problématique
liée à l’appropriation des outils par des acteurs dans des situations
d’apprentissage collectif pour les langues fera partie intégrante de cette
approche.
1.3.3. Culture et contexte
Culture
Maintes définitions sont proposées pour le terme « culture » selon les
diverses traditions épistémologiques (sociologie, anthropologie, psychologie,
philosophie etc.). Dans l’espace limité de notre étude, nous commencerons par
un bref tour d’horizon sur la notion de culture sous l’angle des sciences du
langage pour aborder la conception de la culture selon la théorie
socioculturelle. D’après le Dictionnaire de Linguistique Larousse, 27La « collaboration » constitue par définition un objet d’étude complexe. Sur le plan théorique elle sera développée dans 2.2.4. et sur le plan de l’analyse dans 7.2.4.
1er chapitre : théories de référence
44
La culture est l’ensemble des représentations, des jugements
idéologiques et des sentiments qui se transmettent à l’intérieur d’une
communauté (…) La culture comprend ainsi notamment toutes les
manières de se représenter le monde extérieur. (Dubois et al. 1994,
128).
A cet égard, Claire Kramsch, chercheur en DDL, souligne le caractère
partagé de la culture parmi les membres d’une même communauté discursive.
Pour elle, la culture se définit essentiellement en termes de communauté de
discours.
[Culture is] Membership in a discourse community that shares a
common social space and history, and a common system of
standards for perceiving, believing, evaluating and acting (Kramsch
1998, p. 127).
A partir de la conception de la culture comme histoire et espace social,
Leo van Lier met en avant non seulement le caractère socialement partagé de
la culture mais aussi son caractère dynamique :
Both culture and language are discursively constructed, that is, they are
shaped as they are enacted and discussed in social contexts” (van Lier
2004, p. 184).
Van Lier tente de mettre en parallèle la manière dont la culture et la
langue se forment, se développent et se négocient. Cette conception évolutive
de la culture (« shaped, enacted and discussed ») que propose van Lier ne
fait-elle pas penser au concept de Bruner selon lequel « la culture donne forme
à l’esprit »28 ? Selon Bruner (1996), la culture façonne l'esprit des individus
(« shape » dans le texte de van Lier) et les significations sont toujours
culturellement situées. Ainsi, une signification est toujours liée à une
28Allusion à son ouvrage du même nom, Eshel, 1991.
1er chapitre : théories de référence
45
communauté culturelle de référence qui lui attribue un sens particulier. Par
conséquent, apprendre et penser sont des activités toujours situées dans un
cadre culturel :
Complex processes have an integrity in their own right and must be
understood as reflecting evolutionary, cultural, and situational
interactions (Bruner, 1996, p. 170).
Il n’est pas étonnant que les définitions de Bruner et de van Lier
convergent sur plusieurs points : sur la perception de la culture comme une
construction essentiellement sociale et évolutive, sur l’idée que la culture est
ancrée socialement (« enacted ») et susceptible de transformations
(« discussed », « interactions »). Même si van Lier et Bruner s’engagent dans
des traditions épistémologiques différentes –la psychologie pour Bruner, la
linguistique pour van Lier – ils appartiennent, à notre avis, à la grande famille
du paradigme socioconstructiviste. Edwin Hutchins, dont les travaux en
sciences cognitives s’inscrivent dans le même paradigme, complète et
développe les conceptions de Bruner et de van Lier :
Culture emerges out of the activity of human agents, in their historical
contexts, as mental, material and social structures interact (…) Culture
in the form of a history of material artifacts and social practices, shapes
cognitive processes, particularly cognitive processes that are distributed
over agents, artifacts and environments (Hollan, Hutchins et Kirsh 2000,
p. 178).
La notion de culture selon l’approche socioculturelle
Pour conclure, la définition de Hutchins et de ses collaborateurs nous
semble refléter de la manière la plus exacte la conception de la culture selon la
théorie socioculturelle. Nous nous pencherons plus particulièrement sur la
phrase « la culture, sous la forme d’histoire des artefacts matériels et des
pratiques sociales, modèle les processus cognitifs distribués » et nous
préciserons l’apport de ce concept à l’analyse de notre dispositif expérimental.
1er chapitre : théories de référence
46
L’impossibilité d’étudier la cognition humaine en dehors de son contexte
culturel et social est le credo des fervents de la théorie socioculturelle et du
paradigme socioconstructiviste. De surcroît, l’élément qui différencie la
définition de la culture selon Hutchins de celles citées ci-dessus se situe au
niveau de la dimension sociale et matérielle de la culture.
Tandis que dans les deux premières définitions (et peut-être aussi dans
celle de van Lier) la culture est caractérisée essentiellement par sa nature
sociale (via les communautés discursives), pour Hutchins la dimension
matérielle est indissociablement liée à la notion de la culture. Dans la
définition de Kramsch, de van Lier et du Dictionnaire de Linguistique, la
médiation culturelle se réalise à travers un système symbolique, la langue.
Dans la perspective de Hutchins, la culture se reflète dans les outils
médiateurs qui véhiculent les pratiques sociales : à ce propos, Stahl emploie le
terme artefacts culturels (Stahl et al., 2003). Selon l’auteur, les connaissances
produites en interaction sont souvent incorporées dans des types d’artefacts
culturels qui, à leur tour, créent une base commune (« common ground ») à la
signification partagée socialement.
De surcroît, la culture a un caractère fortement diachronique dont
l’histoire se répercute à travers les pratiques sociales. Hutchins a une
conception de la culture qui rejoint celle de Vygotsky : les artefacts sont créés
par des cultures humaines et chaque génération les modifie avant de les
transmettre à la suivante. Ainsi, chaque génération retravaille son héritage
culturel selon ses besoins individuels et collectifs (Lantolf, 2000b, p. 2).
La section 7.3.et 7.4. porteront sur la dialectique qui émerge entre les
pratiques sociales (les processus d’apprentissage collectifs médiatisés) et les
artefacts culturels médiatiques. D’une part, nous aborderons la manière dont la
plate-forme de travail collectif a non seulement véhiculé l’activité mentale des
acteurs mais aussi a influé sur les modes de construction collective des
connaissances. D’autre part, nous nous pencherons sur les modalités
d’aménagement de l’espace médiatisé par les acteurs comme signe
d’appropriation et d’adaptation de l’outil à leurs besoins cognitifs (cf. 7.3.).
1er chapitre : théories de référence
47
Contexte
Dans la section 5.1.1. nous consacrerons une partie de notre analyse à
la définition des trois termes souvent utilisés de manière interchangeable, à
savoir le contexte, l’environnement et le dispositif. Nous livrons ici une brève
définition du contexte selon la théorie socioculturelle par Luria :
Explanation of any human condition is so bound to context, so
complexly interpretative at so many levels, that it cannot be
achieved by considering isolated segments of life in vitro, and it can
never be, even at its best, brought to a final conclusion beyond the
sound of human doubt (Luria cité par Lantolf, 2000b, p.18).
Comme nous venons de le voir également pour la notion de la culture, le
contexte est intrinsèquement lié aux propriétés cognitives individuelles et
collectives; contexte et cognition forment un tout indissociable. De plus, le
contexte selon Vygotsky se compose essentiellement de trois aspects : social,
historique et culturel (van Lier 2004, p. 18). Son caractère est à la fois
physique et social ; les outils y possèdent une place primordiale et sont
examinés sous l’angle de leur potentiel de réorganisation mentale dans une
activité (d’apprentissage ou autre). Nous rencontrons la même conception du
contexte que dans la perspective écologique de van Lier, selon qui le contexte
inclut le monde physique, social et symbolique.
Par ailleurs, il serait intéressant d’évoquer une anecdote sur la définition
du contexte selon Luria ci-dessus. Il semble que la définition appartienne
initialement à Bruner que Luria reprend dans son ouvrage The mind of
a Mnemonimist (cité par Lantolf 2000b, p. 19). A notre avis, il est révélateur
que Luria s’identifie totalement à la définition de Bruner, même si ce dernier
n’appartient pas explicitement au courant socioculturel. Le rôle primordial
qu’occupe le contexte socioculturel dans la détermination des activités
humaines est déterminant pour plusieurs traditions épistémologiques,
notamment les quatre paradigmes néo-cognitivistes que nous examinerons en
détail ultérieurement. Dans le cadre de notre étude, nous consacrerons une
partie importante de notre analyse aux répercussions du contexte social et
1er chapitre : théories de référence
48
matériel sur les apprentissages individuels et collectifs (chapitres 5 à 7). Ci-
après nous examinerons la notion de contexte sous l’angle de la didactique des
langues.
1.3.4. Le contexte : une notion nouvelle en DDL ?
De nombreux écrits avancent que la notion de contexte humain et
matériel, longtemps ignorée dans l’examen des situations d’apprentissage,
retrouve sa place avec l’importance que lui accorde la théorie socioculturelle.
Cette critique est-elle légitime ? Est-il donc vrai que le contexte
d’apprentissage soit une notion nouvelle ou méconnue dans le domaine des
langues étrangères ?
La notion de contexte, employé majoritairement en sciences du langage
(contexte d’interaction) et en sciences de l’éducation (contexte pédagogique),
renvoie généralement à l’ensemble de facteurs linguistiques, interactionnels et
sociaux qui influent sur une situation de communication ou d’apprentissage.
Au sein des sciences du langage, on ne peut pas ignorer un domaine d’études
propre à la valorisation du contexte dans l’examen des interactions humaines :
la pragmatique. Ayant comme objet d’étude le rôle de la situation
d’énonciation sur le sens des énoncés, la pragmatique « décrit l’usage des
formules par les interlocuteurs visant à agir les uns sur les autres » (Ducrot et
Schaeffer 1995, p. 776).
De nombreux autres domaines comme l’ethnographie de la
communication, l’analyse du discours, la sociolinguistique interactionnelle,
l’anthropologie de la communication, bien que considérés comme des
domaines séparés, sont fondamentalement tournés vers la description de
l’usage de la langue dans son contexte social et culturel (Zarate et al. 2003).
En ce qui nous concerne, nous adoptons ici le point de vue de la DDL.
L’idée qui apparaît dans les premières recherches en pragmatique
d’Austin et de Searle est que le langage est avant tout une activité sociale
intrinsèquement liée à son contexte d’emploi. Cette idée rejoint notamment les
études en sociolinguistique de William Labov, John Gumperz et en
1er chapitre : théories de référence
49
communication avec Gregory Bateson, Erwin Goffman et Edward Hall, figures
de proue du collège de Palo Alto. Winkin (1981) nous rappelle qu’en 1964, Dell
Hymes et John Gumperz projettent les fondements d’un vaste programme où,
selon les auteurs, « l’ethnographie et non la linguistique, la communication et
non le langage, doivent fournir le cadre de référence au sein duquel la place du
langage dans la culture et la société pourra être définie » (op. cit. p. 84).
Effectivement, la didactique des langues n’est pas sortie indemne des
nouvelles données scientifiques en pragmatique, sociolinguistique et en
communication. L’apparition de l’approche communicative dans les années
quatre-vingt introduira une nouvelle perspective de
l’enseignement/apprentissage des langues fondée non plus sur les structures
linguistiques mais sur les fonctions de communication29. Si cette approche
porte une attention particulière aux pratiques de communication, désormais
les choix méthodologiques et les supports d’apprentissage visent de manière
plus ciblée les besoins des apprenants en matière de compétences
communicatives (Boyer et al., 1990).
Progressivement, les voix qui appellent à une plus grande
« contextualisation » des apprentissages en langues se multiplient. Les écrits
de M.A.K. Halliday sur le langage comme phénomène contextualisé et construit
socialement (Halliday et Hasan, 1989) seront vite adoptés et développés par
des chercheurs comme Claire Kramsch, selon qui :
The notion of context is a relational one. (…) Because language is at the
intersection of the individual and the social, of text and discourse, it
both reflects and construes the social reality called “context” (1993,
p. 67).
Le contexte n’est qu’une réalité sociale, affirme Kramsch. A la suite de
Halliday, elle s’inspire des écrits de l’anthropologue Bronislaw Malinowski qui
dès les années 30 a été le premier chercheur à fonder une théorie du contexte
29 Il est intéressant de noter que la notion de compétence communicative, appartient à un non didacticien, l’anthropologue Dell Hymes selon lequel la performance de la parole est le produit de règles culturelles et sociales autant que le langage lui-même (Winkin, 1981, p. 84).
1er chapitre : théories de référence
50
de situation, à travers ses études ethnographiques sur le langage (Halliday et
Hasan 1989, p.5). La définition du contexte se présente souvent sous une
double acception de contexte de situation (ou situationnel) et de contexte
culturel. Le premier se définit comme « l’environnement physique, spatial,
temporel et social dans lequel les échanges verbaux ont lieu » (Kramsch,
1998, p. 126, notre traduction). D’autre part, le contexte culturel se définit par
« les savoirs historiques, les convictions, les attitudes et les valeurs partagées
par des membres d’une communauté de discours qui contribuent au sens des
échanges verbaux » (op. cit.).
Par ailleurs, plusieurs autres tentatives vont dans le sens de
l’identification des facteurs influant sur une situation
d’enseignement/apprentissage. Entre autres, Byram, Zarate et Neuner (1997,
p. 67) dans leur tentative de saisir les facteurs qui déterminent l’enseignement
du contenu socioculturel dans le cours de langue, identifient des facteurs
individuels, institutionnels, sociopolitiques, des facteurs propres à la culture et
à l’approche didactique. Dans la définition du Dictionnaire de Linguistique aux
éditions Larousse, le contexte de situation renvoie à :
l’ensemble des conditions naturelles, sociales et culturelles dans
lesquelles se situe un énoncé, un discours. Ce sont les données
communes à l’émetteur et au récepteur sur la situation culturelle et
psychologique, les expériences, les connaissances de chacun des deux
(Dubois et al. 1994, p. 116).
Sur la même longueur d’ondes mais dans le domaine des TIC, Mangenot
(2000b) opte pour l’adoption d’une approche systémique dans l’examen des
situations d’apprentissage langagier à l’aide des TIC. Selon sa conception,
l’intégration des TIC dépend de cinq grandes familles de variables :
l’institution, les enseignants, les apprenants, les logiciels disponibles et le
dispositif spatial et humain. Cette approche s’inspire de la perspective
écologique de van Lier (1998, 2004) qui considère l’environnement
d’apprentissage comme un réseau d’interactions entre apprenants et
enseignant unis par un engagement social (van Lier, 1998, p. 13).
1er chapitre : théories de référence
51
Pour revenir à notre question initiale, il nous semble que la DDL, surtout
avec l’avènement de l’approche communicative, accorde une place de plus en
plus importante aux facteurs contextuels ; ce qui a des répercussions sur deux
niveaux. Premièrement, la place centrale qu’occupent désormais les situations
de communication authentique a provoqué un vif intérêt quant aux
fonctionnements réels de la parole et donc à l’ancrage contextualisé de ces
situations. De ce point de vue, la littérature abondante sur le potentiel des
ressources authentiques en classe de langue ne fait que souligner le caractère
indissociable de la langue et du cadre culturel et social dans lequel ces
situations ont lieu. Cela renvoie effectivement au caractère fortement
contextualisé d’une situation de communication.
Deuxièmement, le contexte d’apprentissage se trouve au cœur de la
problématique de la DDL avec l’identification des besoins spécifiques des
apprenants. Les contributions méthodologiques et pédagogiques au sujet du
Français sur Objectifs Spécifiques et en général autour de l’offre de formation
sur mesure en matière de langues en est la preuve. De ce point de vue, la
prise en compte des facteurs contextuels (ou socioculturels) lors de la
conception d’une séquence d’apprentissage est de plus en plus orientée vers
les spécificités d’un public cible. Evidemment, nous ne sommes pas loin de
l’intérêt toujours croissant en DDL pour l’approche centrée sur les tâches (Ellis,
2003 ; Nunan, 1989 ; Mangenot, 2003). Pour montrer à quel point la tâche est
liée au contexte d’apprentissage, Nunan inclut la notion de setting (dispositif
ou contexte) dans les six paramètres qui déterminent une tâche
communicative (1989, p. 11)30.
Pour récapituler, puisque la DDL accorde de plus en plus d’importance à
la notion de contexte, à la fois à travers l’authenticité des situations de
communication dans la classe de langue et à travers la centration sur les
besoins spécifiques des apprenants, en quoi la définition du contexte selon la
théorie socioculturelle se différencierait-elle ?
C’est la fonction de la médiation matérielle qui semble échapper aux
définitions du contexte proposées par les chercheurs en DDL. La médiation
humaine est présente dans l’ensemble des définitions de Kramsch (« contexte
30 Pour une analyse du rôle de la tâche dans la conception d’une formation voir section 5.5.
1er chapitre : théories de référence
52
social »), de Byram et al. (« facteurs interindividuels »), de Mangenot
(« variable apprenants et enseignant ») et de van Lier (« interactions entre
enseignant et apprenants »). Elle est aussi présente dans la définition du
Dictionnaire de Linguistique (Dubois et al., 1994) à travers « les valeurs
sociales partagées entre communicants ».
Or, le rôle médiateur des outils et instruments dans une situation
d’enseignement/apprentissage et de formation qui trouve toute son ampleur
dans la théorie socioculturelle est absent dans la littérature en DDL. A notre
avis, les outils médiateurs, considérés non pas comme des éléments neutres
avec des propriétés prédéfinies, mais comme des outils influant sur la nature
des processus d’apprentissage, semblent être négligés par les définitions du
contexte en DDL, ce qui les distingue de celles proposées par les spécialistes
en théorie socioculturelle. A travers le paradigme de la cognition distribuée
cette idée se consolidera, notamment avec la considération des outils comme
« outils cognitifs » d’après Jonassen (cf. p. 52).
Dans la définition du contexte selon les spécialistes en DDL, les outils
véhiculant une situation d’enseignement/apprentissage, ont -dans le meilleur
des cas- une place d’arrière-plan dans le contexte d’apprentissage. Nous
revenons ainsi sur les deux apports majeurs de la théorie socioculturelle en
didactique des langues : d’une part l’examen d’une situation d’apprentissage
en termes de dispositif (intégrant ressources humaines et matériels) et d’autre
part la place des outils médiateurs dans ces situations. La DDL a certainement
évolué depuis le temps du structuralisme ; la médiation humaine dans
l’enseignement/ apprentissage a acquis une place importante depuis. Sans
doute la reconsidération de la médiation technique (ou de la médiatisation)
présente-elle un nouveau défi avec, bien sûr, des retombées scientifiques,
pédagogiques et méthodologiques. Nous développerons ces deux perspectives
dans la partie suivante.
1er chapitre : théories de référence
53
1.4. Théorie socioculturelle et didactique des
langues (DDL)
Comme nous l’avons signalé dans le chapitre précédent, la théorie
socioculturelle telle qu’elle a été développée par Vygotsky et ses successeurs
(Leont’ev, Luria, Zinchenko, Wertsch), a profondément influé sur la réflexion
épistémologique de champs de recherche variés, allant de la psychologie à
l’informatique et des sciences cognitives aux sciences de l’éducation. Dans
cette partie nous traitons de l’influence que la théorie socioculturelle a eue
dans la recherche en didactique des langues. Pour ce faire, nous nous
pencherons sur les recherches anglo-saxonnes, plus abondantes à l’heure
actuelle que les recherches francophones. Plus particulièrement, nous
aborderons les travaux du courant de Sociocultural Second Language
Acquisition qui s’inscrivent explicitement à l’intersection de la DDL et d’autre
part dans la théorie socioculturelle. Nous élargissons cette réflexion
ultérieurement en incluant des recherches en technologies éducatives pour les
langues (2.3.).
1.4.1. Le courant de Sociocultural Second Language
Acquisition
Avant de passer à l’examen du courant de Sociocultural Second
Language Acquisition31, il serait intéressant d’évoquer brièvement la discipline-
mère, celle de Second Language Acquisition (SLA) qui a déjà une longue
tradition dans le monde anglo-saxon et qui semble être l’équivalent de la
didactique des langues dans le monde francophone.
31 Que le lecteur nous excuse de conserver ce terme en anglais sans le traduire ; Une traduction du type « Acquisition Socioculturelle d’une Langue Seconde » ne nous semble pas pertinente. En effet, les termes « Acquisition » et « Langue Seconde » dans l’acronyme SLA sont significatifs du parcours historique de ce champ. De nos jours, le domaine de SLA ne traite pas uniquement d’ « acquisition » ou de « langue seconde » (voir supra).
1er chapitre : théories de référence
54
Le domaine de Second Language Acquisition
Les rapports entre Applied Linguistics et SLA ressemblent de manière
générale aux rapports entre Linguistique Appliquée et Didactique Des Langues
dans le monde francophone. Issu de la linguistique appliquée à laquelle il est
historiquement lié, une fois sorti de « l’applicationisme », le domaine de SLA
s’est vite consolidé en une discipline et s’est fixé comme objet épistémologique
l’étude de l’apprentissage d’une langue seconde et étrangère. Selon Kramsch
(2000, p. 315), les recherches en SLA couvrent autant l’acquisition naturelle
d’une langue seconde que l’apprentissage d’une langue étrangère dans un
contexte formel, notamment scolaire.
Evidemment, la distinction entre acquisition (acquisition) et learning
(apprentissage) du modèle interactionniste de Krashen (1983) semble toujours
valable dans les orientations scientifiques en SLA. Par ailleurs, Mangenot
estime que « l’expression « language acquisition » fait très probablement
référence à la didactique et non à la linguistique de l’acquisition (…) les
chercheurs du domaine relèvent institutionnellement de la linguistique
appliquée (« applied linguistics »), sans que cela traduise un applicationnisme
plus grand qu’en France » (Mangenot 2000a, p. 75).
Si on adopte le point de vue du linguiste William Grabe (2004) qui fait le
tour des recherches en Linguistique Appliquée aux USA pendant la dernière
décennie, le SLA fait incontestablement partie de la Linguistique Appliquée. La
raison en est que le SLA dépend fortement d’autres domaines de la discipline-
mère loin desquelles elle ne peut pas se concevoir, comme par exemple les
psychologiques et socioculturelles en apprentissage langagier.
Les débats autour de la délimitation des champs de recherche en SLA se
poursuivent, comme par ailleurs en DDL du côté francophone. Plus
particulièrement, Kramsch note :
the greatest source of debate right now (…) is whether the many
empirical studies that have led to several foundational hypotheses
about SLA are pointing to one overarching theory of SLA or to multiple
1er chapitre : théories de référence
55
theories, and whether this is to be welcomed or deplored (2000, p.
319).
A quel type de débats au sein de la communauté de chercheurs en SLA
fait-elle allusion ? En effet, Kramsch évoque en partie les débats énergiques
autour de l’émergence du paradigme socioculturel qui non seulement a nourri
des discussions mais a aussi provoqué des polémiques quant aux orientations
épistémologiques et l’avenir de SLA traditionnel (mainstream SLA). Regardons
de près les revendications du domaine de Sociocultural SLA avant de passer
aux débats qui s’en sont suivi (1.4.3.)
Sociocultural SLA
Malgré la parution de nombreux écrits socioculturels en psychologie et
en sciences cognitives, le paradigme socioculturel ne se reflète en sciences du
langage dans le monde anglo-saxon que dans un nombre très limité de
recherches qui datent à peine de la dernière décennie. Il s’agit évidemment
d’un passé très court, étant donné que la première tentative collective apparaît
en 1994 avec l’ouvrage de Lantolf et Appel Vygotskian Approaches to Second
Language Research (Lantolf et Appel, 1994a). Pourtant, ce premier ouvrage
qui contribue à faire connaître le potentiel de la théorie socioculturelle et des
écrits de Vygotsky en DDL nous semble avoir un impact éminent mais à une
échelle limitée.
Ce sera le deuxième ouvrage collectif coordonné par Lantolf
Sociocultural Theory and Second Language Learning en 2000 qui marquera
l’apparition de ce paradigme en SLA (Lantolf, 2000a). Quelles sont les
thématiques traitées par les chercheurs de ce domaine ? Ci-dessous sont
regroupés les travaux qui apparaissent dans les deux ouvrages mentionnés
plus haut ainsi que d’autres recherches qui s’identifient à ce paradigme.
langage privé et langage intérieur
Vygotsky décrit les mécanismes au moyen desquels le langage en tant
qu’instrument des relations sociales se transforme en instrument
d’organisation psychique intérieure de l’enfant (l’apparition du langage privé,
1er chapitre : théories de référence
56
du langage intérieur et de la pensée verbale). Ces mécanismes dans
l’apprentissage d’une langue étrangère sont examinés par Donato (1994), van
Lier (2000).
zone proximale de développement (ZPD) et étayage
Comme nous l’avons vu dans 1.3.2., l’apprentissage est un mouvement
d’intériorisation individuelle progressive qui prend sa source dans une
interaction sociale. La zone proximale de développement signifie que tout
apprentissage suppose à un moment donné une interaction sociale
asymétrique, avec un partenaire plus avancé dans la maîtrise de la
compétence visée. A cet égard, Amy Ohta (2000) examine à la fois les
modalités d’interactions entre apprenants et enseignants sous deux angles :
celui de l’apprenant (angle de la ZPD) et celui de l’enseignant (angle de
l’étayage ou scaffolding dans la littérature anglo-saxonne). Toutefois,
Kinginger (2002) souligne que dans la bibliographie anglo-saxonne en
didactique des langues, le concept de ZPD revêt des interprétations très
variées, élément qui va à l’encontre de sa définition consensuelle.
régulation et contrôle
Les mécanismes d’auto-régulation et d’hétéro-régulation sont au centre
de cette thématique. Ohta (2000) développe les ajustements et les régulations
qu’établissent deux apprenants adultes en japonais. L’idée centrale est que le
langage permet à l'individu de s'autoréguler (langage intérieur) et à demander
à être guidé (langage social). Comme dans le cas de la ZPD, l’étude de Ohta
(op. cit.) examine les modalités auto- et hétéro-régulatrices à travers les
interactions qui découlent de cette situation d’apprentissage. Le contrôle que
les apprenants exercent sur la tâche à accomplir ainsi que la nature
dynamique de la tâche font également partie de cette thématique.
médiation et artefacts
Le domaine le plus proche de nos préoccupations est effectivement celui
du rôle médiateur des outils dans l’apprentissage d’une L2. L’intérêt des
didacticiens pour le rôle des outils technologiques dans l’apprentissage d’une
1er chapitre : théories de référence
57
L2 a une longue histoire, notamment dans le domaine de l’ALAO. Pourtant,
c’est l’angle sous lequel les outils sont examinés qui différencie les travaux de
Kramsch et Thorne (2002) puis de Thorne (2002, 2003) des recherches
antérieures en ALAO. Sous l’angle socioculturel, sont examinés la fonction
médiatrice des outils ainsi que les propriétés d’organisation et de
restructuration des fonctions mentales à travers les artefacts technologiques.
C’est donc cette perception vygotskienne des outils qui distinguera les travaux
en Sociocultural SLA de ceux en ACAO. Nous reviendrons sur ce point dans
2.3.3.
1.4.2. Débats autour du nouveau paradigme en DDL
Quel statut accorde la communauté scientifique en SLA à la théorie
socioculturelle pour les langues ? Comment ce nouveau paradigme est-il
perçu ? Plus particulièrement, les craintes de Kramsch qui évoque des débats
vigoureux suite à l’introduction du nouveau paradigme sont-elles fondées ?
Effectivement, l’article de Firth et Wagner (1997) a été le premier à faire
réagir la communauté des chercheurs en SLA pour deux raisons : par la
revendication explicite de la place du social dans la considération de
l’apprentissage des langues et par la critique directe du modèle théorique
traditionnel de SLA. De manière assez directe, l’article de Firth et Wagner
commence par la phrase suivante :
This article argues for a reconceptualization of Second Language
Acquisition (SLA) research that would enlarge the ontological and
empirical parameters of this field (op. cit., p. 285, notre traduction).
Sans détours, Firth et Wagner appellent à une remise en question des
fondements scientifiques du SLA, menant à l’opposition qui sera désormais
très courante, entre mainstream SLA et sociocultural SLA. Cette distinction
sera reprise par les travaux de Kramsch, Chapelle, Ohta, Thorne, van Lier et
Ellis évoqués plus haut.
1er chapitre : théories de référence
58
Le texte de Firth et Wagner (op. cit.), même s’il ne se positionne pas
explicitement du côté de la théorie socioculturelle, revendique une attention
particulière à la dimension sociale dans l’usage et dans l’apprentissage d’une
langue étrangère. A partir des écrits, entre autres, de Hymes et de Halliday,
les deux chercheurs avancent que la langue est un phénomène social et
culturel et qu’elle est acquise et apprise à travers des interactions sociales. En
effet, cette position n’est pas nouvelle et n’appartient pas à Firth et Wagner.
Pourtant, l’effet majeur de cet article fut de lancer une polémique contre la
recherche en didactique des langues qui avait tendance à considérer
l’apprentissage langagier comme un processus essentiellement produit sur le
plan cognitif individuel.
Il nous semble donc que le domaine de mainstream SLA a longuement
sous-estimé le contexte social et culturel dans lequel se situent les situations
d’apprentissage, ayant la tendance de le considérer comme une variable stable
qui affecte les activités cognitives individuelles (Mondada et Pekarek, 2004 ;
Thorne, 2000). A travers les différentes hypothèses théoriques32 en SLA, le
point de focalisation se plaçait (à des degrés variables selon l’hypothèse) du
côté des mécanismes individuels d’apprentissage. L’article de Firth et Wagner
(op. cit.) a suscité des réactions, comme il était attendu, de la part des
fervents du paradigme cognitif en SLA, notamment de Gregg, Long, John et
Beretta33. Brièvement, il est intéressant de retenir que ces débats et
notamment l’ouvrage collectif coordonné par Lantolf (2000a), ont ouvert une
discussion sur les orientations théoriques et méthodologiques qu’allait prendre
le domaine de Sociocultural SLA.
Nous avons mis en parallèle plus haut l’apparition des premières
recherches en Sociocultural SLA avec la parution de l’ouvrage collectif de
Lantolf (op.cit.), et pour cause. N’est-il pas assez significatif que cet ouvrage
apparaisse dans la prestigieuse collection Oxford Applied Linguistics de Oxford
University Press où se côtoient des chercheurs de renommée internationale en
didactique des langues comme Ellis, Brumfit, Widdowson et Kramsch ? S’il est 32 Notamment les input hypothesis de Krashen, interaction hypothesis de Richard Long, output hypothesis de Pica et Swain, Universal hypothesis de Long. Pour une analyse complète de ces hypothèses théoriques voir Chapelle (1997), Grabe (2004), Matsuoka et Evans (2004), van Lier (2000). 33 Tout l’historique des débats qui ont suivi est analysé en détail par Matsuoka et Evans (2004).
1er chapitre : théories de référence
59
assez hâtif de lier cette parution dans une collection de prestige et la
reconnaissance du domaine de Sociocultural SLA au sein de SLA, il est tout de
même vrai que cet ouvrage a été l’un des plus discutés dans le domaine de la
DDL ces cinq dernières années34. Prenant à titre d’exemple les réactions des
chercheurs majeurs en didactique des langues, Chapelle, Kramsch, Ellis et van
Lier, nous tenterons de répondre à cette question à partir de leurs
contributions récentes sur les mutations du domaine de SLA à la fois sur le
plan épistémologique et méthodologique.
Ainsi, pour Chapelle (2004) et Kramsch (2000) qui dressent le bilan de
SLA des dernières décennies, l’approche socioculturelle en DDL est saluée
comme un tournant vers une conception de la cognition comme socialement
située. Kramsch semble la présenter comme un renouveau pour le champ du
SLA, ancré pour longtemps dans la perspective cognitive en apprentissage
langagier. La position de Rod Ellis (2003) est comparable sur plusieurs points.
Dans son dernier ouvrage sur l’apprentissage des langues par tâches (task-
based language learning- TBLT) il consacre un chapitre entier au paradigme
socioculturel. D’après Ellis, la théorie socioculturelle peut être bénéfique en
SLA puisqu’elle occupe une place centrale dans les débats sur l’intégration des
approches qui s’orientent vers les processus sociaux dans l’acquisition
langagière (« socially-oriented approaches in mainstream SLA »). Van Lier
(2004), initiateur de l’approche écologique en didactique des langues qui a de
nombreuses ressemblances sur le plan théorique et méthodologique
socioculturel, ne pouvait qu’accueillir positivement les nouvelles perspectives
qu’ouvre ce paradigme.
Pour conclure, l’introduction de la théorie socioculturelle en
apprentissage des langues ne pouvait se faire sans réactions. Etant donné que
les écrits socioculturels en SLA sont encore assez peu nombreux, il nous
semble assez hâtif de prévoir si ce paradigme va constituer un domaine de
recherche à part (comme le souhaite Long cité par Matsuoka et Evans 2004)
ou s’il va permettre une plus grande considération des processus
interactionnels en apprentissage langagier (comme le souhaitent Mondada et
Pekarek, 2004). N’étant pas en mesure d’estimer l’impact de ces mutations
34 Il est certainement très difficile de tirer des conclusions à long terme de ces mutations en SLA.
1er chapitre : théories de référence
60
pour l’avenir de Sociocultural SLA, nous livrons ci-dessous une critique de ce
courant, fondée sur les travaux parus à ce jour.
1.4.3. Critique du courant de Sociocultural SLA
Nous avons catégorisé plus haut les travaux actuels de ce courant en
quatre grandes thématiques : « langage privé et intérieur », « ZPD et
étayage », « régulation et contrôle » et « médiation et artefacts ».
Néanmoins, l’examen de ces recherches montre que les travaux actuels en
Sociocultural SLA concernent majoritairement les trois premières catégories
tandis que la problématique autour des outils médiateurs à l’apprentissage
d’une L2 est sous représentée. Plus particulièrement, dans la quinzaine
d’articles parus dans les deux ouvrages collectifs de Lantolf (2000a ; Lantolf et
Appel, 1994a), une seule contribution, celle de Thorne (2000) examine le rôle
des outils, autrement dit, les effets du contexte matériel dans des situations
d’enseignement/apprentissage des langues.
Parmi les travaux existants, il nous semble que le domaine de
Sociocultural SLA s’occupe des questionnements sur la médiation humaine
véhiculée par la langue comme système culturel et symbolique, en mettant à
l’écart la problématique de la médiation technique (ou médiatisation dans la
littérature francophone). Ceci nous paraît encore plus étonnant du fait que
Sociocultural SLA, comme le nom l’indique, puise son cadre théorique dans la
théorie socioculturelle dont un des postulats majeurs est l’importance de la
médiatisation de la cognition humaine par les artefacts. Pourtant, les
questionnements relatifs à la médiatisation sont très peu nombreux au sein de
Sociocultural SLA et sont paradoxalement plus présents au sein du champ de
Network-based language learning qui n’adopte pas explicitement une position
socioculturelle.
S’agit-t-il d’une négligence théorique dans le champ de Sociocultural
SLA ou bien ce manque de références est-il lié à la précarité du domaine que
des travaux futurs viendront combler ? Il est extrêmement difficile de
pronostiquer les choix théoriques que cette communauté scientifique, assez
restreinte en ce moment, va adopter. Pourtant, il est clair que, délibérément,
1er chapitre : théories de référence
61
une place plus importante est accordée à la médiation sociale. Par exemple,
Jennifer Oden, chercheur à l’université de Iowa35, définit seize thématiques
distinctes dans sa catégorisation des travaux en Sociocultural SLA. Une seule
concerne l’impact des outils dans la construction collective des connaissances,
tandis que les quinze autres traitent des interactions sociales en langues sans
se référer à l’environnement technique.
Van Lier, linguiste qui s’occupe activement de la problématique des
« affordances » technologiques (cf. p.93), regrette lui aussi les préoccupations
encore marginales autour de la médiation technique qui lie, d’après lui,
apprenants et environnement (2004). Les seuls écrits qui examinent en
profondeur la médiatisation des apprentissages en langues semblent être ceux
de Steven Thorne (2000, 2003, 2005b) qui souligne dans un des ses articles
que :
The activity of foreign and second language learning occurs within
material and social conditions which must be taken into account in the
production of ecologically robust research (Thorne, 2000, p. 224)
Une autre remarque concerne les modes de fonctionnement des acteurs
dans une situation d’apprentissage langagier. Malgré le fait que les interactions
sociales sont considérées comme bénéfiques à l’apprentissage par l’ensemble
des chercheurs, il nous semble que les processus collectifs d’apprentissage
n’ont qu’une place marginale dans les recherches de ce domaine. Les
modalités d’apprentissage collectif, problématique primordiale dans l’ACAO et
dans le cadre de notre étude, sont largement absents en Sociocultural SLA. En
effet, on peut regretter le manque de références sur les travaux en
technologies éducatives concernant les processus collectifs d’apprentissage,
comme par exemple, ceux de Dillenbourg, Pea, Roschelle et Teasley, Salomon
et Perkins, Stahl, Koschmann pour ne mentionner que les auteurs les plus
cités. Ces quelques références issues du domaine de l’ACAO, bien qu’elles
puisent dans le même modèle théorique socioculturel sur le plan de la
construction collective des apprentissages, sont absentes des recherches en
une confusion avec la théorie socioculturelle, d’origine psychologique.
Le troisième passage (Warschauer, 1997b) se réfère à la théorie
socioculturelle, d’inspiration vygotskienne, que nous avons étudiée dans la
partie 1.3.. Désormais, nous utiliserons le terme « socioculturel » uniquement
pour nous référer à ce cadre théorique précis dans le domaine des langues.
1.5.2. Une vision élargie de la DDL : vers
l’interdisciplinarité
L’objectif ne sera pas ici de dresser l’historique de la DDL ou de ses
rapports à la linguistique, une littérature abondante existe à ce sujet (entre
autres : D. Coste et al., 1994, Boyer et al. 1990, Porcher, 1995). Il est
intéressant de noter au passage que longtemps la didactique, nommée
autrefois « linguistique appliquée » a été considérée comme « l’application » à
l’enseignement de théories liées à la description de la langue. Or,
« linguistique appliquée » est une désignation qui ne correspond plus à la
réalité du domaine dont les sources d’inspiration et d’influence se sont
diversifiées depuis.
1er chapitre : théories de référence
66
Par ailleurs, la DDL peut se caractériser comme une discipline
« intégrative » du fait qu’elle convoque ou emprunte des concepts et des outils
à d’autres disciplines, notamment les sciences de l’éducation, les sciences
cognitives, la psychologie, la sociologie, l’informatique (Martinez, 2002). A cet
égard, Daniel Coste (1994, p. 10) éclaire les liens –sur un plan diachronique-
que la didactique des langues a entretenus avec l’analyse du discours et la
linguistique de l’acquisition. Il serait donc logique de considérer la DDL comme
une discipline qui en sollicite d’autres dans une visée praxéologique. C’est
cette conception « large » et à caractère transdisciplinaire de la didactique qui
nous intéressera ici. Dans la même lignée, d’après R. Galisson et D. Coste, la
didactique recouvre l’ensemble des approches scientifiques de l’enseignement
des langues et constitue un lieu de synthèse entre les apports de la
psychologie, de la pédagogie, de la sociologie et de la linguistique, la
didactique étant une discipline charnière (Gagné et al., 1989).
Nous revenons ainsi sur les deux aspects fondamentaux qui constituent
à notre sens la nouvelle réalité de la DDL, d’une part la prise en compte des
références transdisciplinaires et d’autre part sa visée praxéologique. Si ce
deuxième aspect caractérise la DDL depuis quelque temps (Richterich, 1996),
il nous semble que l’ouverture explicite sur d’autres domaines paraît modeste :
cela peut s’expliquer en effet par une volonté de rompre avec d’autres
disciplines dans la quête d’autonomisation. Pourtant, la démarche allant vers
une plus grande transdisciplinarité que nous distinguons dans la dernière
décennie dans le domaine de la DDL a eu des conséquences sur la définition
de son objet d’étude.
Si l’on considère qu’à partir des années 1990 la DDL s’est développée en
un champ autonome avec ses propres hypothèses théoriques et propositions
méthodologiques –sans exclure les apports des autres domaines-, ceci est
surtout lié à l’adoption d’une vision plus large quant aux situations
d’enseignement-apprentissage. A ce sujet, Leo van Lier souligne que pendant
longtemps les chercheurs en DDL ont gardé leurs distances avec la pédagogie
en classe, considérée comme assez éloignée des questionnements théoriques
du domaine.
1er chapitre : théories de référence
67
Apart from work in the Vygotskian tradition (e.g. Lantolf et Appel
1994a), theories in relevant fields, such as cognitive science, linguistics,
and second language acquisition (SLA), do not generally address
language-pedagogical issues, neither at a theoretical nor at a practical
level. Indeed, some SLA researches explicitly distance themselves from
pedagogy, perhaps in order to bolster their theoretical stature. Such
theories, and the research conducted in their support, cannot be the
driving force behind pedagogical practice, however crucial they may
otherwise be (van Lier, 1996, p. 27).
D’après van Lier, linguiste de formation, c’est la quête de la légitimité
scientifique qui a mené des chercheurs en DDL à se démarquer et à
« mépriser » la pédagogie de la classe et plus particulièrement les pratiques
pédagogiques liées à l’apprentissage d’une L2. Il nous semble essentiel
d’adopter un point de vue systémique à la place d’une vision concentrée sur
les axes apprenant-savoir ou enseignant- savoir du triangle pédagogique
traditionnel (Houssaye, 1998). Ainsi, examiner une situation
d’enseignement/apprentissage et de formation en langues sous l’angle du
dispositif ou de l’environnement permet d’intégrer dans notre perspective des
facteurs relevant à la fois de la didactique et de la pédagogie, et surtout de
prendre en compte les processus d’apprentissage et les relations pédagogiques
en jeu, au sujet desquelles la DDL ne s’est pas toujours sentie concernée.
Malgré le fait qu’avec l’avènement des recherches sur l’autonomie de
l’apprenant, en autoformation, ou encore en TICE, le mouvement pédagogique
centré sur l’apprenant trouve progressivement sa place dans le domaine de la
DDL, il s’avère nécessaire d’insister dans cette direction. De plus, l’approche
socioculturelle dans l’examen des situations d’enseignement/apprentissage en
langues pourrait servir à une meilleure prise en compte de l’environnement
d’apprentissage, selon le discours socioculturel, ou le dispositif
d’apprentissage, selon le discours en psychologie et en éducation. C’est dans
cette optique que nous examinerons l’apport de la théorie socioculturelle en
didactique du FLE.
1er chapitre : théories de référence
68
1.5.3. La théorie socioculturelle concerne-t-elle vraiment la
DDL ?
Si nous considérons la DDL comme une discipline charnière et un lieu de
synthèse entre les apports de la psychologie, de la pédagogie, de la sociologie
et de la linguistique (Gagné et al. 1989), nous nous questionnerons ici sur
l’apport de la théorie socioculturelle, essentiellement psychopédagogique, en
didactique des langues. En effet, pour expliquer une situation complexe telle
qu’une situation d’enseignement/apprentissage et de formation en langues, on
a besoin d’outils théoriques et méthodologiques qui permettent de discerner
de manière holistique l’ensemble des composantes humaines et matérielles en
jeu. A cet égard, la notion d’environnement (ou contexte)37 d’apprentissage
selon la théorie socioculturelle constituerait un modèle d’analyse qui mérite un
examen approfondi.
Comme nous l’avons signalé dans la section 1.3., la théorie
socioculturelle se donne comme objet d’étude les processus d’interaction
sociale dans un contexte d’apprentissage socialement et culturellement
déterminé. Ce contexte où se placent les apprentissages joue donc un rôle
majeur dans leur construction : contexte et apprentissages sont
réciproquement alimentés et mutuellement influencés.
Si nous retournons un instant aux recherches en didactique des langues
pendant les deux dernières décennies, il est certain qu’un pas décisif vers la
reconsidération de la place de l’apprenant dans les situations d’apprentissage
en langues s’est effectué à l’aide de l’approche communicative et la centration
des contenus d’enseignement sur les besoins de l’apprenant. L’approche
socioculturelle serait un pas supplémentaire dans le réexamen de la fonction
des interactions sociales en classe de langue. Dans ce sens, si l’approche
communicative en DDL marque le tournant vers une conception plus réaliste
des besoins d’apprentissage, des compétences autres que linguistiques,
l’approche socioculturelle y contribuerait par l’attention particulière portée aux
modalités d’acquisition collective des savoirs partagés socialement ainsi que
sur les processus d’instrumentation dans une situation 37 Les deux seront utilisés ici de manière interchangeable. Pour l’examen approfondi de ces deux termes voir p.187.
1er chapitre : théories de référence
69
d’enseignement/apprentissage. C’est cette perspective que nous adopterons
dans l’analyse du dispositif « le français en (première) ligne.
1.5.4. La socialisation des apprentissages en langues : une
réalité
Mais l’approche socioculturelle est-elle véritablement éloignée de la
réalité de la DDL ? Nul doute que le domaine de la didactique des langues tel
que nous le connaissons aujourd’hui, a bénéficié abondamment des apports
transdisciplinaires pour se consolider au sein des sciences du langage, sans
pourtant perdre son autonomie. Prenons un exemple très récent : n’est-il pas
étonnant que l’importance de la socialisation des apprentissages, postulat
majeur de la théorie socioculturelle, ignorée pour longtemps, revienne dans le
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL, 2001) qui,
sans être un ouvrage à finalité épistémologique, est représentatif des
mutations dans le champ de la DDL ?
En tant qu’acteur social, chaque individu établit des relations avec un
nombre toujours croissant de groupes sociaux qui se chevauchent et
qui, tous ensemble définissent une identité (p. 9).
Lisant cet extrait, combien ne l’attribueraient-ils pas à Pensée et
Langage de Vygotsky, un des premiers auteurs à postuler que tout
apprentissage est ancré dans son environnement social ? Il appartient
pourtant à la préface du CECRL, référentiel de compétences en langues à visée
paneuropéenne (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
2001, p. 9). Il serait intéressant tout de même d’analyser discursivement
l’extrait cité plus haut. Premièrement, les compétences plurielles de
l’apprenant de langues, se fondent sur les « relations entre acteurs sociaux ».
Par conséquent, l’apprenant, loin d’être considéré comme une unité agissant
individuellement, s’inscrit dans un réseau d’interactions déterminées
socialement. Deuxièmement, d’après notre interprétation de l’extrait ci-
dessus, le contexte d’apprentissage est considéré comme un tissage
1er chapitre : théories de référence
70
permanent des savoirs construits collectivement. Ainsi, les auteurs placent les
interactions sociales au cœur de la problématique des apprentissages en
langues.
Le fait que ces réflexions, très proches du discours tenu par les fervents
du socioconstructivisme, soient exprimées par les plus grands spécialistes en
DDL et auteurs du CECRL (notamment D. Coste., M. North, J. Shiels, et J.
Trim), nous paraît très significatif quant aux nouvelles perspectives qui
s’ouvrent en didactique des langues. Cela n’est pas sans conséquences sur la
vision de la construction des savoirs en langues, désormais participative,
distribuée et guidée socialement. Il convient d’ailleurs de souligner un autre
passage du CECRL, très significatif des nouvelles orientations en DDL et, de
plus, proche des postulats socioculturels.
La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type
actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une
langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (…)
dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un
domaine d’action particulier. [Les actes de paroles] s’inscrivent à
l’intérieur d’actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine
signification (CECRL, 2001, p.15).
Essayons de voir à quel point les thèses socioculturelles et en général
socioconstructivistes sont proches du discours tenu dans le CECRL qui
constitue pour nous, bien plus qu’un référentiel de compétences en langues,
un texte représentatif des évolutions récentes de la DDL.
La théorie socioculturelle et les quatre paradigmes qui lui sont proches38,
malgré leurs divergences, adoptent une vision radicale de l’environnement (ou
contexte d’apprentissage selon l’origine disciplinaire), désormais considéré non
pas comme un « élément du décor » mais comme un cadre indissociable de la
cognition humaine. Ne retrouvons-nous pas cette vision de l’environnement
dans l’extrait ci-dessus ? D’après les auteurs du CECRL, « les circonstances et
l’environnement » jouent un rôle majeur dans l’accomplissement des tâches, 38 Cognition située, cognition distribuée, cognition socialement partagée et théorie de l’activité (1.1.)
1er chapitre : théories de référence
71
configurées par le contexte social dans lequel elles acquièrent leur
signification. En effet, nous ne sommes pas du tout loin des postulats
socioculturels ou en général socioconstructivistes que nous trouvons par
exemple chez des auteurs comme Bonk et Cunningham, fervents de la théorie
socioculturelle et selon lesquels « le fonctionnement individuel cognitif est
situé inséparablement du contexte social, institutionnel et historique » (Bonk
et Cunningham, 1998, notre traduction).
Hewitt et Scardamalia, tenants du paradigme de la cognition située,
soutiennent également que « les processus mentaux sont si étroitement liés à
des situations spécifiques qu’il serait impossible de dissocier la corrélation
cerveau – environnement » (1997, notre traduction). Hutchins, chef de file du
courant de la cognition distribuée, va dans le même sens : « la théorie de la
cognition distribuée étend la portée de ce qui est considéré comme "cognitif" »
au-delà de l’individu pour englober les interactions entre humains et avec les
ressources et matériaux dans l’environnement (Hollan, Hutchins et Kirsh 2000,
p.175, notre traduction).
Par ailleurs, Lucy Suchman, ethnologue de formation dont les travaux
ont révolutionné notre perception de l’environnement d’apprentissage, insiste
sur la détermination de l’action par différentes variables situationnelles
(Suchman 1987). Finalement, Kari Kuutti, chercheur en sciences cognitives
très connu pour ses travaux en théorie de l’activité postule que « du fait que le
contexte est inclus dans l’unité d’analyse, l’objet de recherche est toujours
essentiellement collectif, même si notre intérêt majeur repose sur les actions
individuelles ». (Kuutti, 1995, p. 7, notre traduction).
Enfin, l’énoncé « la perspective privilégiée très généralement aussi est
de type actionnel » du CECRL (ligne 1, loc. cit.) nous semble significatif de la
place de plus en plus grande que prennent les interactions humaines dans la
configuration d’une situation d’enseignement/apprentissage (en langues).
Cette importance du rôle de l’(inter)action sociale n’est pas une nouveauté en
sciences du langage : les recherches en interactions langagières (la
linguistique interactionnelle, l’analyse de discours ?, la sociolinguistique
interactionnelle de Gumperz) ont depuis longtemps postulé que le
développement langagier, comme le développement cognitif, relèvent de
pratiques sociales dans lesquelles l’interaction joue un rôle constitutif.
1er chapitre : théories de référence
72
A cet égard, Mondada et Pekarek (2004, p.501) soulignent que pendant
les deux dernières décennies les recherches sur les processus d’apprentissage
et la cognition sont essentiellement liées aux interactions sociales et sont de
plus en plus étudiées au sein de domaines différents tels que l’anthropologie
culturelle, l’acquisition langagière, la psychologie développementale. L’intérêt
toujours croissant de la didactique des langues envers la médiation sociale
confirme ce penchant épistémologique. D’autre part, cet accent mis sur les
interactions sociales ne devrait pas être perçue comme éloignée de la
problématique de la médiation technique dans des situations
d’enseignement/apprentissage langagier appuyées par les TICE, problématique
examinée par l’approche socioculturelle. C’est cette perspective socioculturelle
que nous tenterons de mettre en valeur à la lumière de notre analyse.
1.6. La théorie de l’activité comme ancrage
théorique possible
A la recherche d’un cadre de référence pour l’analyse des situations
d’apprentissage collectif et médiatisé, nous examinerons la pertinence de la
théorie de l’activité, d’inspiration socioculturelle, considérée comme une
approche systémique qui vise à mettre en valeur la complexité des paramètres
en jeu dans une telle situation. La question à la quelle nous tenterons de
répondre dans cette partie est la suivante : la théorie de l’activité pourrait-elle
constituer un contexte théorique et méthodologique approprié à nos objectifs
de recherche tels que nous les avons déterminés?
1.6.1. La théorie de l’activité
Avant d’aborder les fondements théoriques de cette approche, une
précision préliminaire s’impose : par « théorie de l’activité » nous faisons
référence aux recherches historico-culturelles des psychologues soviétiques
1er chapitre : théories de référence
73
(Leont’ev, Luria) reprises par Engeström, Nardi et Kuutti. Nous la
distinguerons des théories de l’action humaine qui traitent des interactions
interindividuelles de manière générale et qui, selon Linard (1998b), recouvrent
entre autres les champs de la psychologie du développement, de la
psychologie cognitive, de l’ethnosociologie et de la linguistique pragmatique.
Ces dernières ne feront pas l’objet de la présente étude (cf. Ladrière, Pharo et
Quéré, 1993).
De manière générale, la théorie de l’activité (Activity Theory) s’inscrit
dans la tradition épistémologique visant à investiguer les dynamiques qui
émergent des interactions humaines. Pour Cerisier (2000), la théorie de
l’activité est avant tout une approche systémique, essentiellement
« anthropocentrée » (à l’instar de Rabardel, 1995), qui contribue à analyser la
médiatisation des interactions sociales en situation collective. Dans la même
lignée que la théorie de l’activité, Cerisier inscrit d’autres modèles d’analyse,
tels que le modèle SAI (Situations d’Activités Instrumentés) de Rabardel (op.
cit.), le modèle systémique de Noros, les diagrammes triadiques d’une activité
collective de Kuutti et le modèle de Engeström, modèle de référence de la
théorie de l’activité. Nous nous référerons en détail aux deux derniers modèles
ci-après.
Issue de la tradition culturelle-historique soviétique en psychologie
(Vygotsky, Leont’ev, Luria), la théorie de l’activité consiste en un cadre
théorique qui sert à mieux appréhender la médiatisation des activités
collectives dans un contexte social. D’un point de vue épistémologique, il
conviendrait de parler plutôt d’approche que de théorie, puisque la notion de
« théorie » fait référence à un construit théorique ayant acquis une forte
reconnaissance parmi la communauté scientifique. Ce n’est pas le cas avec la
théorie de l’activité qui a plutôt le statut de paradigme ou d’approche. Les trois
principes-clés de cette approche se définissent ainsi (Kuutti, 1995) :
L’activité comme unité d’analyse
Vus comme deux entités indissociables, le contexte et l’activité entrent
en interaction constante, le premier étant l’élément clé pour l’interprétation du
second. La raison en est que les actions sont toujours situées dans un contexte
prédéfini sans lequel l’activité est dénuée de sens. Ainsi, l’objet d’analyse est
1er chapitre : théories de référence
74
essentiellement collectif, tandis que l’action individuelle constitue le point
d’intérêt fondamental.
Histoire et développement
Les activités sont perçues comme des entités qui se transforment
perpétuellement non sans discontinuités ou irrégularités lors de leur évolution.
Par conséquent, les activités se développent dans le temps et sont alimentées
par d’autres activités qui ont eu lieu antérieurement. Il se tisse donc un réseau
de relations dynamiques où les phases d’une activité précédente serviront de
ressource aux phases d’une activité suivante.
Artefacts et médiatisation
L’artefact, terme qui embrasse à la fois instruments, signes, procédures
et formes d’organisation, se caractérise avant tout par son rôle médiateur.
Ainsi, les relations entre les éléments d’une activité ne sont-elles pas directes
mais médiatisées. Etant donné que leur nature modifiable selon le contexte,
les artefacts sont perçus non plus « en soi » mais se transformant et
acquérant leur sens lors du développement de l’activité.
Pour conceptualiser la structure d’une activité et les interrelations entre
les différents paramètres en jeu, Engeström s’est appuyé sur le modèle
traditionnel de Vygotsky qui distingue trois pôles : sujet – objet – outil (ou
instrument). Par la suite, il l’a élargi afin de prendre en compte de manière
systématique les relations dynamiques entre l’individu et son environnement
pendant l’accomplissent d’une activité (Engeström, 1987, 1991 et 2000). Son
modèle comporte six pôles, sujet, outil, objet, division du travail, communauté
et règles qui se définissent de la manière suivante :
1er chapitre : théories de référence
75
(Figure 1 : la structure d’une activité humaine selon Engeström, 1987).
S’agit-il d’une volonté de repenser le rôle du social dans l’élaboration
d’un outil conceptuel systématisant l’activité humaine collective ? Nous en
sommes convaincue. En élargissant le modèle tripolaire initial par la
réintroduction du social, l’individu est perçu comme agissant collectivement
(pôles « communauté » et « division du travail ») et dans un contexte défini
par des lois explicites ou non (pôle « règles »). Effectivement, les adeptes de la
théorie de l’activité ont retrouvé dans le modèle d’Engeström la
conceptualisation des interactions sociales et la valorisation du rôle des
artefacts dans les processus cognitifs individuels.
1.6.2. Critique réflexive sur la théorie de l’activité
Comme nous venons de constater plus haut, le modèle conceptuel d’une
activité selon Engeström comporte six pôles : outil – sujet – objet – règles -
communauté et division du travail. Les deux questions que nous nous posons
sont les suivantes :
Ensemble de sujets qui partagent le
même objet
Normes, conventions explicites ou non
Répartition des actions entre sujets
Sujet d’analyse : Individu ou groupe
Transformation de l’environnement visé par l’activité
Outils matériels ou symboliques médiatisant l’activité
1er chapitre : théories de référence
76
Premièrement, qu’en est-il de la représentation schématique d’une activité
collective qui se déroule dans le temps ? Est-ce possible de faire apparaître le
caractère évolutif d’une activité, par définition complexe, à travers un
schéma bidimensionnel ?
Deuxièmement, comment prendre en compte les mutations qui peuvent avoir
lieu au sein de chaque pôle et, par conséquent, leurs retentissements sur les
autres pôles ? Autrement dit, est-il possible de représenter tous les processus
propres à une activité complexe, tels que ajustements, réadaptations,
irrégularités, déviations et discontinuités à travers le modèle d’Engeström ?
A notre avis, la difficulté provient de la conceptualisation -via le même
schéma- des paramètres d’une activité à la fois sur le plan synchronique (les
disposer donc selon les six pôles du modèle) et sur le plan diachronique
(montrer le caractère évolutif de cette activité). Ainsi, le modèle d’Engeström
sert à mettre à plat les éléments d’une activité de manière bidimensionnelle et
à les disposer schématiquement de manière simultanée. Il facilite donc une
schématisation essentiellement synchronique sans être en mesure de
représenter les mutations d’une activité tout au long de sa réalisation.
Il semble que le modèle proposé par Engeström doit être appliqué à un
moment précis du déroulement, associé donc au temps « t » de l’activité. Il
nous semble donc peu approprié à rendre explicites les processus transitoires
et les fluctuations entre les différentes composantes tout au long de l’activité
analysée, à moins que le chercheur n’emploie le schéma d’Engeström à tout
changement produit à un ou plusieurs pôles du modèle.
La distinction entre action et activité
La question suivante découle de cette constatation : est-il envisageable
de représenter schématiquement les interrelations entre les composantes
d’une activité qui se déroule dans le temps ? Un élément de réponse repose
sur la distinction conceptuelle entre action et activité.
Engeström distinguera comme objectif les actions de courte durée et
comme objet les activités durables. Ce qui nous semble encore plus important,
1er chapitre : théories de référence
77
c’est le fait qu’il emploie le modèle schématique à six pôles pour
conceptualiser des actions (et non pas des activités). Selon cet auteur :
les systèmes d’activité sont en mouvement constant et en contradiction
interne […] Dans la théorie de l’activité, la distinction entre actions
de courte durée orientées objectif et activités durables orientées
objet est d’une importance centrale. […] L’objet et le motif donnent aux
actions leur ultime continuité, cohérence et sens, même si l’objet
apparent de nombreuses actions ne coïncide pas avec l’objet de
l’activité globale (Engeström, 2000, p. 964).39
Cette distinction renvoie également aux travaux de Leont’ev selon lequel
les niveaux de l’activité humaine présente schématiquement de la manière
suivante :
Niveau Orienté/dirigé par Effectué par
Activité Objet/objectif Communauté
Action But Individu ou groupe d’individus
Opération Conditions Humain ou machine
(Tableau 2 : les niveaux de l’activité humaine selon Leont’ev, repris par
George, 2001, p. 56)
Pour Leont’ev comme pour Engeström dans la citation ci-dessus, une
activité consiste en une organisation qui évolue dans le temps et dont l’objet
est composé d’étapes ou de phases qui ne peuvent pas être transformées
immédiatement en résultats. Ces phases intermédiaires sont appelés actions
ou chaînes d’actions qui, à leur tour, sont composées d’opérations. Par 39 « Activity systems are in constant movement and internally contradictory. […] In activity theory, the distinction between short-lived goal-directed action and durable, object-oriented activity is of central importance. […] The object and motive give actions their ultimate continuity, coherence and meaning, even when the ostensible object of many actions do not coincide with the object of the overall activity », Engeström, 2000, op. cit., notre traduction.
1er chapitre : théories de référence
78
conséquent, les actions orientées but sont composées d’opérations de routine,
le tout subordonné aux activités orientées objet, définies comme la
transformation de l’environnement au sens large du terme. Pourtant, même si
les termes activité et action sont clairement déterminés dans la définition de
Leont’ev, des interrogations surgissent quant à l’application de cette distinction
dans l’analyse d’une situation collective. Nous résumons ces questionnements
dans la partie suivante.
1.6.3. Activité ou action ? Le paradoxe du modèle
d’Engeström
Faut-il appliquer le modèle d’Engeström lors de l’analyse d’une activité
ou d’une action ? Le nom de ce modèle (human activity system, Engeström
2000) ne fait-il pas clairement référence à la « structure d’une activité » ? La
confusion est certaine. Engeström lui-même tentera de répondre à ce
questionnement dans un de ses articles récents (Engeström, 2000).
Lors d’une étude qu’il a menée à l’Hôpital Pédiatrique de Helsinki, il a
pris comme unité d’analyse une activité collective précise, le traitement
médical d’un enfant. Ce système collectif l’a amené à étudier la manière dont
s’articulent les interrelations entre les pôles de son modèle, notamment les
objets (consultations, transfert des patients à des hôpitaux avoisinants,
décisions administratives), les acteurs (patients, administrateurs, chirurgiens
spécialistes, etc.), les outils variés (téléphones, ordinateurs, stéthoscopes),
etc.
Paradoxalement, l’auteur emploie son modèle non pas pour
conceptualiser l’activité globale (l’hospitalisation de l’enfant) mais pour décrire
des actions bien distinctes, comme par exemple le transfert du patient d’un
hôpital à l’autre, l’appel à un chirurgien spécialiste, etc. Il applique donc son
modèle à chaque action, le passage d’une action à l’autre étant déterminé par
une modification dans un des pôles du modèle. De ce fait, son étude d’une
activité globale se compose d’une chaîne de ces modèles qui illustrent chaque
action étape par étape.
1er chapitre : théories de référence
79
Nous soulignons au passage qu’Engeström, pour sa macroanalyse des
activités complexes, adopte des outils conceptuels tout autres que son modèle
traditionnel. Tel est le cas des répercussions que l’hospitalisation de ce patient
a eues sur le plan administratif et de manière diachronique. Pour ces
macroanalyses qui évoluent dans le temps il se sert de cercles, de cases
emboîtées les unes dans les autres, bref de modèles dynamiques qui lui
permettent de mettre en avant le mouvement perpétuel inhérent aux
systèmes évolutifs (op cit., p. 970-972).
L’application de la « structure de l’activité » à la « description des
actions » doit-elle se traduire par un manque de rigueur scientifique ? Ou bien
par une confusion entre les termes action et activité ? Nous ne sommes pas de
cet avis. Au contraire, il nous paraît tout à fait pertinent que l’auteur applique
son modèle à des actions, puisqu’une action a un caractère ponctuel
et fragmentaire, par opposition au caractère perpétuel et évolutif d’une
activité.
1.6.4. Conclusion sur la théorie de l’activité
Pour conclure, nous pensons que si l’analyse d’une activité vise
uniquement la description ponctuelle d’un système à un moment précis, un
modèle statique nous semble approprié, tel le modèle proposé par Engeström
ou autre (une présentation sous forme de tableau énumératif etc.). Par contre,
ce modèle nous semble moins adapté si l’on souhaite décrire des systèmes
complexes qui évoluent dans le temps et qui impliquent des processus
inhérents à la nature d’une activité évolutive, comme par exemple des
modifications, des ajustements, ou des irrégularités.
Dans la même logique, deux parmi les chercheurs les plus renommés du
courant de la théorie de l’Activité, Viktor Kaptelinin et Bonnie Nardi (Kaptelin,
Nardi et al., 1999), proposent un outillage méthodologique tout autre que le
modèle d’Engestrôm pour la conceptualisation de la complexité d’une activité
collective médiatisée. Leur objectif est de rendre compte de la complexité du
contexte dans l’analyse des interactions homme machine et faciliter la
conception d’un tel type d’environnement en permettant une conceptualisation
1er chapitre : théories de référence
80
des facteurs contextuels. Ainsi, les auteurs fournissent une activity checklist
qui consiste en cinq pôles d’analyse d’un système complexe d’activités
collectives : les moyens/objectifs (means/ends), l’environnement
Au sein de chaque pôle, les auteurs détaillent les processus mis en
œuvre et le tissage des paramètres contextuels dans l’analyse d’une situation
complexe médiatisée. Sans vouloir prétendre que l’approche méthodologique
de Kaptelinin et Nardi soit largement diffusée et adoptée à ce jour, elle est
significative des recherches allant vers un nouveau modèle conceptuel et
notamment des limites que présente la mise en œuvre du schéma
d’Engeström pour l’examen de toute situation collective médiatisée.
Jean-François Cerisier, dans sa thèse de doctorat (2000), emploie une
autre approche méthodologique pour l’examen du dispositif Chercheurs en
herbe, elle aussi issue de la théorie de l’activité. Il s’agit des diagrammes de
Kuutti qui sont formés par des triades de pôles du modèle d’Engeström
(Kuutti, 1995). Plus particulièrement, il s’agit d’un ensemble de dix triades
créées sur la base des six pôles du modèle d’Engeström qui servent de cadre
conceptuel à l’analyse de dispositifs d’activité collective40. Pourtant, Cerisier
identifie deux obstacles majeurs à l’utilisation des diagrammes de Kuutti :
[Premièrement, la] difficulté de rendre compte de la richesse
d’observations qui ne répondent pas nécessairement au découpage
proposé ; [deuxièmement, la] difficulté pour le lecteur qui se voit
proposer une grille de lecture qui lui semble arbitraire en ce qu’elle
ne restitue pas la logique des situations observées mais celle du
modèle sous-jacent (Cerisier, 2000, p. 247).
Revenons sur le questionnement du début, à savoir si la théorie de
l’activité peut constituer un cadre théorique et méthodologique adapté aux
objectifs de notre recherche. Les conclusions de Cerisier rejoignent ainsi les
nôtres quant aux limites des outils conceptuels d’Engeström (dans notre cas)
40 Pour une analyse détaillée cf. Cerisier, 2000, p. 235.
1er chapitre : théories de référence
81
et de Kuutti (dans le cas de Cerisier). Ceci est à examiner en fonction de
l’objet d’analyse : dans le cas de Cerisier comme dans notre cas, l’objet
d’analyse consiste en des dispositifs complexes d’apprentissage impliquant des
acteurs multiples (décideurs, concepteurs, participants, formateurs etc.) des
outils variés (ressources hors et en ligne, plate-forme, vidéo-projecteur,
tableau de classe, notes papier etc.), des objectifs qui sont loin d’être
déterminés dès le début et qui sont sujets à des réadaptations selon le
contexte, des règles ou normes de fonctionnement pas toujours explicites.
Enfin, la multitude des facteurs contextuels et surtout la richesse dans
l’articulation de ces facteurs rendent les deux dispositifs, Chercheurs en herbe
et le français en (première) ligne, difficilement représentables
schématiquement. A cet égard, l’application des modèles d’Engeström et de
Kuutti doit avant tout mettre en exergue la dimension dynamique d’une
activité, notamment son caractère « perpétuel » et en « contradiction
interne » selon l’expression d’Engeström (cf. supra). A notre avis, ce
positionnement en faveur d’une vision dynamique d’une activité ne se reflète
pas dans des recherches qui s’appuient sur le modèle d’Engeström comme
instrument d’analyse. Ces études (Docq et Daele, 2003 ; Schlager et Fusco,
2004 ; Blin et Donohoe, 2000) se contentent de représenter schématiquement
une situation collective selon le modèle à six pôles, sans pour autant aller au-
delà de la figuration iconique, dans l’examen de la logique interne, de la
dialectique des éléments placés sous les six pôles.
Par ailleurs, si l’on souhaite que le modèle adopté reflète une réalité
dynamique et si l’on prend comme unité d’analyse le système d’activité
collective de manière diachronique, deux options se présentent : reprendre le
modèle d’Engeström à chaque action du système pour en détailler ses
composantes ou bien opter pour des outils conceptuels plus dynamiques, de
type ethnométhodologique. Cela nous permettrait de prendre en compte
l’évolution du système et la fragilité du contenu de chaque pôle pour des
raisons contextuelles. Dans le cadre de notre analyse, le modèle à six pôles
d’Engestrôm nous permettra de mettre à plat les composantes d’une situation
d’enseignement/apprentissage collectif mais ne constituera pas un outil
méthodologique approprié à notre contexte. Nous allons donc opter pour un
1er chapitre : théories de référence
82
outillage ethnographique qui se fondera sur le croisement de données issues
de sources multiples (cf. 4.3.2., p. 176).
Conclusion : Des limites théoriques à l’analyse des
dispositifs
“Constructivism! The increase of frequency with which this word appears
in the discourse of educational research, theory and policy is truly remarkable.
Unfortunately much of the discussion is at the level of slogan and cliché”.
(Duffy et Cunningham 1996, p. 170)
Si ce premier chapitre a eu pour vocation de défricher le terrain du
constructivisme et de la théorie socioculturelle et de présenter son potentiel
pour la didactique des langues, cet objectif se heurte à la pluralité
interprétative autour de ces deux courants. Nous l’avons évoqué plus haut, les
deux modèles théoriques apparaissent massivement dans tous les types de
discours (pédagogique, scientifique, politique, théorique etc.) et mènent
souvent à des confusions terminologiques où le consensus est loin d’être
atteint.
Nous avons identifié trois raisons majeures qui contribuent à ce flou
notionnel. La première concerne les origines disciplinaires des travaux qui se
penchent sur le constructivisme et la théorie socioculturelle. La cognition
distribuée est issue du domaine de l’informatique et de l’intelligence
artificielle ; la cognition située est issue des sciences de l’éducation et de
l’ethnographie ; la cognition socialement partagée et la théorie de l’activité
trouvent leur source essentiellement dans la psychologie et les sciences
cognitives… L’ancrage disciplinaire de ces paradigmes que nous qualifions de
constructivistes n’est pas sans conséquences sur le discours véhiculé dans ces
écrits.
A ces deux obstacles s’ajoute un troisième : toute interprétation de ces
modèles théoriques se réalise à travers un « je » épistémologique, le « je » de
l’auteur, qui est plus ou moins explicite selon le cas et qui se superpose à une
1er chapitre : théories de référence
83
source de réflexion initiale. Effectivement, l’empreinte du « je »
épistémologique sur les origines théoriques du socioconstructivisme et de la
théorie socioculturelle est à double tranchant. Les premiers travaux de
Vygotsky et de Piaget, datant presque d’un siècle, se sont largement
développés au cours des dernières décennies et, loin de constituer des thèses
isolées, ont inspiré et nourri des approches psychopédagogiques à un niveau
tel qu’on parle aujourd’hui non plus d’un paradigme partagé par une
communauté scientifique limitée, mais de théorie reconnue et bien établie,
comme par exemple dans le cas de la théorie socioculturelle.
En ce qui nous concerne, dans une tentative de prendre position dans
ces excès définitionnels, la théorie socioculturelle sera associée à deux
principes fondamentaux qui nous guideront tout au long de cette étude :
l’environnement, y compris dans sa dimension matérielle, détermine la
nature des processus d’apprentissage qui, à leur tour, réorganisent
l’environnement de manière dynamique ;
le sujet apprenant n’est pas examiné individuellement mais en fonction
du contexte humain et matériel dans lequel il agit.
Néanmoins, si l’on essaie de sortir de l’impasse créée par la multiplicité
des interprétations données au constructivisme et à la théorie socioculturelle,
est-il vraiment raisonnable de définir très précisément les principes qui sous-
tendent une théorie ?
Vers une démarche praxéologique
Notre visée du début, essentiellement praxéologique, ne s’arrête pas au
discours théorique d’une approche mais s’intéresse surtout à l’analyse des
pratiques de classe à partir de ce cadrage théorique. A cet égard, Denis Legros
et ses collègues avouent qu’il est presque impossible pour la communauté
scientifique de se mettre d’accord sur les principes des théories
constructivistes puisque ce terme recouvre une abondance de significations qui
renvoient à une multiplicité de points de vue. Ils postulent que :
L’analyse des principes qui définissent les grands paradigmes de
l’apprentissage ne suffit pas pour clarifier les fondements des systèmes
1er chapitre : théories de référence
84
d’aide à l’apprentissage qu’ils ont inspirés, ni pour comprendre les effets
des TIC sur l’évolution de ces théories. C’est pourquoi (…) il nous
semble important de rendre compte des principaux types de designs ou
de modèles d’enseignement qui s’inspirent explicitement ou
implicitement de ces paradigmes (Legros, Crinon et Georget 2000, p.
22)
Deux conséquences découlent de ce constat :
la difficulté d’établir un consensus sur les notions-clés qui déterminent
un paradigme. Cette difficulté découle de la multiplicité des
interprétations variées à ce sujet et
le besoin d’examiner un cadre théorique précis non pas en soi mais en
fonction des composantes d’une situation d’apprentissage.
Comme le proposent les auteurs, nous tenterons de ne pas nous
focaliser uniquement sur le cadrage théorique et les débats épistémologiques
qui découlent de l’excès définitionnel du couple constructivisme/ théorie
socioculturelle. Après tout, « le socio-contructivisme n’est pas un répertoire
prédéfini de pratiques à imiter. (…) Il appartient à l’enseignant de
contextualiser dans sa pratique les principes qui en découlent » (Legendre,
2000). Dans le cadre de notre travail, nous venons de proposer les deux
principes-clés qui définissent selon nous le cadre socioculturel (cf. supra) et
qui serviront de fil conducteur tout au long de l’analyse de notre dispositif. La
démarche que nous suivrons, à caractère à la fois praxéologique et
herméneutique, sera donc d’établir un lien entre ces principes et le dispositif
en question, dans une tentative d’examiner des situations d’apprentissage
partagées collectivement et médiées par les technologies.
85
Chapitre 2
Apprentissages collectifs
médiatisés pour les langues
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
86
« Though we have not seen any single computer effect41 that guarantees
certain outcomes in Internet-based learning, we have learned how the
affordances of this new medium problematize some of our earlier notions of
interaction, culture, identity and literacy”
(Kern, Ware et Warschauer, 2004, p. 254).
Introduction
Si le premier chapitre a eu pour objectif d’ouvrir le débat au sujet de la
théorie socioculturelle pour la didactique des langues, le deuxième chapitre vise à
approfondir une thématique chère à cette théorie, celle des apprentissages
médiatisés. Pour ce faire, nous commencerons par la problématique des outils que
le terme de médiatisation sous-entend (2.1.). A cet égard, nous puiserons dans les
travaux en sciences cognitives et en informatique pour mieux saisir le fond
théorique de la dialectique homme-environnement informatique lors d’une situation
d’apprentissage. Liées à la place des outils technologiques dans les apprentissages
humains, les recherches sur les Apprentissages Collectifs Assistés par Ordinateur
(ACAO), qui constitueront un des cadres théoriques principaux de notre étude,
seront développées par la section 2.2. Une attention particulière sera donc portée
aux recherches en ACAO pour l’apprentissage d’une langue (2.3.). Toujours dans le
domaine des apprentissages langagiers en ligne, les interactions interculturelles à
distance feront l’objet de la section 2.4.
41 En italiques dans le texte original.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
87
2.1. De la dialectique homme – environnement
informatique
Le rôle des artefacts dans les traitements cognitifs est loin de concerner
exclusivement un champ de recherche : la « question de la technique » est
abordée sous plusieurs angles (philosophique, sociologique, historique,
épistémologique), elle constitue, entre autres, l’objet d’étude de la sociologie
des techniques et de l’ergonomie cognitive (cf. les écrits de Rabardel, 1995,
Akrich et al., 2000, Jouët, 2000) et une des thématiques privilégiées des
sciences cognitives et des sciences de l’information et de la communication.
Parmi les différentes approches, nous nous focaliserons sur le paradigme
de la cognition distribuée qui nous paraît fournir un cadre solide pour l’examen
des processus cognitifs médiatisés. Par la suite, dans une tentative pour
débroussailler ces notions, nous nous interrogerons sur la triade artefact-outil-
instrument et sur deux concepts connexes, la « genèse instrumentale » et
« les affordances ».
2.1.1. Le paradigme de la cognition distribuée
Dans le domaine des interactions homme-machine, les travaux de
Suchman (1987) et de Winograd et Flores, tout en s’inscrivant dans une
perspective socioculturelle au sens large, ont porté les germes de la
contestation du modèle cognitiviste dès les années quatre-vingt dix (cf.
1.1.3.). De nos jours, nous faisons allusion non plus à de réactions au modèle
prépondérant du « cognitivisme orthodoxe » mais de l’établissement d’un
nouveau paradigme, celui de la cognition distribuée, qui contribue par ses
recherches à l'analyse des mécanismes de l’instrumentation de la cognition
humaine42.
42 Le terme « cognition distribuée » est employé au pluriel par Salomon (1993) dans le livre qui porte le même nom. Pour cet auteur, « distributed cognitions » renvoie à une approche épistémologique qui vise à mettre au jour l’apprentissage comme étant socialement produit et médié par des artefacts.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
88
A l’instar du paradigme de la cognition située (p. 193), fortement
influencé par la théorie socioculturelle, le paradigme de la cognition distribuée
a pour objet d’étude le système fonctionnel, défini comme un espace commun
entre les individus et les éléments de la situation (Salembier, 1996). Ainsi, la
cognition est conçue comme distribuée entre agents et ressources
environnementales. En effet, ces ressources incluent tous les outils cognitifs
mis en place en vue de la résolution d’un problème. Celles-ci constituent une
forme de « représentation externe » qui va intervenir, en même temps que les
représentations internes, dans la constitution du système représentationnel
d'une tâche cognitive distribuée (op. cit., p. 9).
Edwin Hutchins (1995), considéré comme le chef de courant de la
cognition distribuée, a analysé une série de systèmes fonctionnels pour fonder
ce postulat. Ses premières analyses dans les années quatre-vingt ont été
conduites sur des bateaux de l’armée navale américaine. L’auteur a tenté de
démontrer que la route d’un bateau était déterminée non plus par les
propriétés cognitives d’un seul navigateur mais par l’interaction d’un groupe de
navigateurs entre eux et avec un ensemble complexe d’outils.
En outre, les observations de Hutchins dans les cabines de pilotage des
avions l’ont fait connaître au-delà du cercle des chercheurs en sciences
cognitives et en intelligence artificielle. Dans son ouvrage Cognition in the Wild
(1995), devenu aujourd’hui un classique, Hutchins considéra comme unité
d’analyse les propriétés cognitives du cockpit, constituées par les
représentations internes (propriétés cognitives individuelles du pilote
principal), inter-individuelles (interactions entre pilote et assistant pilote) et les
Dans le but de saisir la manière dont s’accomplissent les processus
cognitifs humains, le système fonctionnel est vu comme un ensemble de
composantes humaines et matérielles inséparablement liées qui se définit
comme un univers complexe constitué par des informations en réseau et des
Cette conception se trouve, à notre avis, au croisement de l’approche de la cognition distribuée et de la cognition socialement distribuée.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
89
interactions médiées par ordinateur. Ces observations ont amené Hutchins et
ses collègues (Hollan, Hutchins et Kirsch, 2000) à définir ainsi les postulats de
son modèle théorique :
• Les processus cognitifs sont distribués parmi les membres d’un groupe
social ;
• Les processus cognitifs impliquent une coordination entre structures
internes et externes (matérielles ou environnementales) ;
• Les processus sont distribués dans le temps de telle manière que les
résultats d’événements antérieurs peuvent transformer la nature d’événements
ultérieurs (ibid.) 43.
De plus, Hutchins (op.cit.) met en avant deux principes théoriques qui
lui permettent de se démarquer distinctement des construits théoriques
cognitivistes.
Les limites de l’unité d’analyse
Tandis que dans la perception traditionnelle de la cognition, les limites de
l’unité d’analyse coïncident avec les capacités cognitives individuelles, dans le
modèle de la cognition distribuée les processus cognitifs s’amplifient et
correspondent aux relations fonctionnelles des éléments qui y participent. Il
est important de souligner que cette délimitation n’est pas seulement
conditionnée par la distribution spatiale des composantes en jeu.
La diversité des mécanismes impliqués dans les processus cognitifs
Selon le modèle cognitiviste qui se focalise sur la manipulation des
symboles au sein de l’individu, le monde environnant ne modifie pas les
43 At least three interesting kinds of distribution of cognitive processes become apparent: - Cognitive processes may be distributed across the members of a social group. - Cognitive processes may involve coordination between internal and external (material or environmental) structure. - Processes may be distributed through time in such a way that the products of earlier events can transform the nature of later events (p. 176, notre traduction).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
90
processus cognitifs internes et se limite au rôle d’ « extension de la
mémoire ». A l’opposé de ce postulat, les tenants du courant distributionnel
considèrent que les propriétés physiques de l’environnement fournissent un
cadre dont la fonction ne consiste plus en une mémoire additionnelle externe.
Le monde environnant est perçu non seulement comme un appui occasionnel
supplémentaire à la cognition humaine, mais son rôle est déterminant dans la
restructuration et la transformation de celle-ci.
Afin de saisir globalement l’apport de la perspective distribuée, nous
procéderons au défrichage de notions connexes telles que l’outil, l’artefact et
l’instrument.
2.1.2. Outil, artefact, instrument. Définitions et
convergences
Dans l’examen des processus cognitifs médiatisés, il serait réducteur de
n’associer la notion d’outil qu’aux seuls outils technologiques. Le
développement des outils matériels, dans une perspective socioculturelle, est
lié à la culture d’une communauté tout au long de son histoire (Bruner, 1996 ;
Pea, 1993). Les outils sont souvent distingués en deux catégories, ceux qui
servent à maîtriser les objets (la réalité extérieure) et ceux qui produisent des
changements intérieurs (psychologiques), orientés vers l’homme lui-même,
pouvant être utilisés pour contrôler, maîtriser, développer ses propres
capacités.
Selon l’approche socioculturelle, ces outils comprennent, pour n’en
mentionner que quelques uns, la langue écrite et parlée et toute la « Galaxie
Gutenberg », pour reprendre l’expression de McLuhan, les rituels, les modèles
de comportement dans les œuvres d’art, les systèmes de concepts
scientifiques, les techniques qui aident la mémoire ou la perception humaine,
etc. Tous ces outils culturels sont des « extensions de l’homme », c’est-à-dire
des prolongements et des amplificateurs des capacités humaines (Ivic, 1994).
Dans la théorie de l’activité, issue de l’approche historico-culturelle, les
outils « condensent » – d’après l’expression de Kuutti (1995) - le
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
91
développement historique de la relation sujet – objet. L’outil, d’après l’auteur,
se caractérise par une dynamique transformatrice :
The tool is at the same time both enabling and limitating : it empowers
the subject in the transformation process with the historically collected
experience and skill « crystallized44 » to it, but it also restricts the
interaction to be from the perspective of that particular tool or
instrument only- other potential features of object remain invisible to
subject (Kuutti, 1995, np).
Nous repérons dans cette vision dynamique de l’outil une idée chère à
des chercheurs tels que Rabardel, Norman, Akrich, Gibson : la marge
d’interaction où outil et utilisateur se configurent mutuellement, cet « entre-
deux » appelé aussi « affordance » que nous développerons en détail un peu
plus tard. Transformés par l’usage que chaque génération en fait, les outils
consistent en des entités créées et recréées perpétuellement de génération à
génération, les outils sont donc associés nécessairement à des usages45. En ce
qui concerne la distinction artefact/instrument, nous adopterons la définition
de Pierre Rabardel (1995) qui considère que :
l’instrument [est] une entité mixte qui tient à la fois du sujet et de
l’artefact. L’instrument comprend dans cette perspective un artefact
matériel ou symbolique produit par l’utilisateur ou par d’autres [et]
un ou des schèmes d’utilisation associés résultant d’une construction
propre ou de l’appropriation de schèmes sociaux préexistants (p. 11).
A cet égard, l’artefact est perçu comme un objet physique ou
symbolique « neutre » ne spécifiant pas un type de rapport particulier à
l’objet, tandis que les instruments sont des artefacts (des « formes
44 Entre guillemets dans le texte original. 45 Sur la notion d’usage nous retenons la définition suivante : « un usage correspond à une certaine manière (ensemble de règles) d’utiliser quelque chose (objet matériel ou symbolique). Les usages sont socialement partagés par un groupe de référence et se construisent avec le temps » (Docq et Daele, 2003, p. 114).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
92
préorganisées auxquelles les sujets sont confrontés dans leurs pratiques
instrumentées », op. cit. p.14) qui sont associés à un ou plusieurs schèmes
d’utilisation. Ainsi, l’instrument est nécessairement lié à l’usage que l’homme
en fait, il s’inscrit donc dans une activité finalisée. A ce propos, Rabardel
avance le concept de « schème d’utilisation » pour désigner justement à la fois
les activités mentales relatives à la gestion des caractéristiques de l’artefact
(schèmes d’usage) et les activités orientées vers l’objet de l’activité et pour
lesquelles l’artefact est un moyen de réalisation (schèmes d’action
instrumentée, op. cit., p. 113).
Bien qu’il existe un consensus relatif sur la désignation de l’artefact
comme un outil « défini en dehors de son cadre d’usage » (Charlier et Peraya
2003, p. 20146), les termes « outil » et « instrument » sont sujets à des
interprétations variées. A titre d’exemple, Rézeau semble avoir une vision
semblable à celle de Rabardel quand il considère qu’un outil ne peut
fonctionner sans la main de l’homme ; pour le même auteur, un instrument
peut être relativement indépendant de son créateur (2001, p. 269).
On notera par ailleurs la notion d’ « outil cognitif » initiée par David
Jonassen (1994) qui désigne selon l’auteur « des outils informatiques qui
visent à engager et à faciliter les traitement cognitifs 47». Sans vouloir
prétendre que le terme « outil cognitif » se démarque de l’interprétation
socioculturelle d’outil (cf. supra), nous devrions plutôt l’inscrire dans la
considération des outils comme éléments médiateurs entre le sujet et l’objet
de son activité.
Avant de terminer ce bref tour de définitions préliminaires, il serait
intéressant d’examiner sommairement les définitions de la triade artefact/
outil/ instrument dans la bibliographie anglophone. En effet, le terme artifact
ne coïncide pas toujours avec son équivalent francophone. Pour Kuutti par
exemple, le terme « artifact/artefact » se présente comme hyperonyme de
« instruments, signs, procedures, machines, methods, laws, forms of work
organization, etc. » (Kuutti 1995). Cet avis semble être partagé par des
chercheurs en ACAO, notamment Stahl (2003), Pea (1994) et par Thorne
46 Point de vue partagé également par Docq et Daele (2003). 47 « Cognitive tools are generalizable computer tools that are intended to engage and facilitate cognitive processing » (Jonassen, 1994).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
93
(2003) en ACAO pour les langues. Dans les recherches anglophones nous
rencontrons également le terme cultural artifact qui ne fait que mettre en
exergue la dimension historique et culturelle des artefacts (Lantolf, 2000b).
Notons d’ailleurs une prise de position épistémologique autour de la
distinction artefact/ outil/ instrument : les chercheurs en cognition distribuée
ne semblent pas adhérer à la distinction de ces termes (cf. Hollan, Hutchins et
Kirsh, 2000 ; Rogers et al., 1994 ; Rogers, 2005 ; Halverson, 2002). Ils optent
plutôt pour les notions de « système fonctionnel » et d’ « environnement » qui
peuvent inclure à la fois tout élément matériel et humain entrant en
interaction avec les propriétés cognitives du sujet (ou des sujets) analysé(s).
La seule prise de position que nous avons repérée porte sur la distinction entre
d’une part l’environnement naturel (natural environment ou environmental
structuring) et d’autre part les artefacts conçus par l’homme (artifacts ou
specially designed artifacts), distinction établie par Hutchins (cité par
Karasavvidis, 2002).
2.1.3. « Affordances »48 des outils et « genèse
instrumentale »
Dans le but d’approfondir la manière dont les outils et les usagers se
déterminent mutuellement à travers une activité médiatisée, Josiane
Jouët nous apporte les premiers éléments de réponse :
Les ajustements qui s’opèrent entre le cadre socio-technique comme
porteur d’un projet d’usages et les pratiques effectives qui adoptent en
partie mais aussi tordent ce projet, conduisent à l’analyse des
compromis, des régulations, des médiations qui permettent la
coopération entre des univers, des « mondes » hétérogènes et la
construction de l’usage social (Jouët, 1993, p. 497).
48 Le terme « affordances » est mis entre guillemets car peu usité en langue française.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
94
Cette double dimension -facilitatrice et inhibitrice- des outils rejoint à
notre avis la notion d’« affordance » qui, à défaut d’un terme francophone, est
emprunté à l’anglais. C’est dans l’espace intermédiaire entre l’acteur et l’outil
que l’on devrait situer cette notion. Tandis que Ryder et Wilson B. (1996),
deux auteurs américains fréquemment cités pour leur définition de ce terme,
associent les « affordances » aux potentialités des outils à instrumenter le
désir d’action d’un usager49, plus pertinente nous semble la position de Van
Lier qui s’inspire des écrits de James Gibson, initiateur de ce concept :
Affordances refer to a reciprocal relationship between an organism and a
particular feature of its environment (…) An affordance is a property of
neither the actor nor of an object : it is a relationship between the two
(Van Lier, 2000, p. 252).
Quelques années plus tard, Van Lier développe ce concept de manière
plus synthétique :
The affordance fuels perception and activity, and brings about meanings
– further affordances and signs, and further high-level activity as well as
more differentiated perception (Van Lier, 2004, p.96).
Il propose le schéma que nous reprenons ci-après (Van Lier op. cit.) :
Perception
Environment Affordance agent
(meaning potential) (ability)
activity
(Figure 2 : conceptualisation de la notion d’« affordance » selon van Lier, 2004)
49 We use the term affordance to describe a potential for action, the perceived capacity of an object to enable the assertive will of the actor (…) In the process, the hand gradually transforms its object-ness to subject-ness. The affordance becomes an effectivity (Ryder et Wilson, 1996).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
95
Le schéma de van Lier, caractéristique de l’approche holistique de
l’auteur, nous paraît très pertinent pour la considération des « affordances »
comme partie intégrante d’un système composé d’agents et de
l’environnement, le système fonctionnel dans la tradition de la cognition
distribuée de Hutchins. Cette conception des « affordances » rejoint également
la position de Resnick qui, bien avant l’intérêt grandissant de la communauté
scientifique envers les « affordances », a intégré dans sa définition des outils
cognitifs cette double propriété -facilitatrice et inhibitrice- en renouant aussi
avec la tradition historico-culturelle :
Cognitive tools embody a culture’s intellectual history (…) The tools that
one uses not only enable thought and intellectual progress but also
constrain and limit the range of what can be thought. In these invisible
ways, the history of a culture is carried into each individual act of
cognition (Resnick, 1991, p. 7).
L’aspect dynamique des outils (Resnick, Hutchins plus haut) et de leurs
« affordances » (Van Lier) rejoint le caractère dynamique des signes, selon le
sémioticien Charles Sanders Peirce. Van Lier avance l’idée qu’à l’instar des
signes qui configurent de manière dynamique la perception humaine, les
« affordances » des artefacts configurent la perception médiatisée (2000, p.
258). Nous pourrions enrichir l’approche de van Lier par un rapprochement
conceptuel au niveau des acteurs. A notre avis, la centralité (dans la
philosophie de Peirce) de l’Interprétant comme catalyseur de toute activité de
signification en l’absence duquel l’interprétation des signes n’est pas
pleinement développée (Christidis 2002, Ducrot et Schaeffer 2002, p. 215) se
rapproche de l’importance de l’individu qui explore, interprète et transforme à
la fois les buts, les moyens et l’environnement technique et organisationnel
(Béguin et Rabardel, 2000).
Dans la même logique de la configuration bidirectionnelle homme-
environnement technique, il serait intéressant d’évoquer le concept de
« genèse instrumentale » initiés par P. Rabardel :
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
96
Le concept de « genèse instrumentale » permet de saisir, d’un même
mouvement, l’évolution des artefacts liée à l’activité de l’utilisateur et
l’émergence des schèmes d’utilisation comme participant d’un même
processus de genèse et d’élaboration instrumentale (Béguin et Rabardel,
2000, np).
Nous risquerons ici d’établir un parallèle qui peut paraître paradoxal,
voire audacieux. A notre avis, l’idée que les potentialités des outils (leurs
« affordances ») ne sont opératoires que par l’instrumentation réalisée par un
ou plusieurs sujets nous semble commune dans (au moins) trois traditions
épistémologiques différentes : celle de la théorie de l’activité (cf. Kuutti
supra), celle de la sociologie des techniques (la notion de « genèse
instrumentale » de Rabardel) et celle des sciences cognitives qu’endosse van
Lier50. Placer la dialectique usager – instrumentation au centre de l’examen du
rôle des artefacts est aussi révélateur d’un changement de paradigme : nous
nous éloignons d’une approche « technocentrée » des outils technologiques
selon laquelle ces derniers transforment seuls les processus cognitifs humains
de manière déterministe.
Nous somme donc de l’avis de Hert (cité par Mangenot, 2004) pour qui
« les effets dépendent énormément du rapport51 qu’établissent les individus
avec le dispositif (…) C’est l’ensemble des dimensions technologiques,
cognitives, sémiotiques ou encore sociales qui produit un effet à
travers l’hybridation des aspects sociaux et technologiques » (np).
Pour conclure, nous examinerons dans le cadre de notre analyse cet
espace transitoire où se situent les mutations entre le sujet et l’objet
technique qui, selon la perspective de la cognition distribuée, ne constituent
qu’un seul objet d’étude : le système fonctionnel. Cette approche
contextualisée (socioculturelle au sens large) qui perçoit les éléments humains
et matériels en jeu de manière inséparable traverse également le courant des
50 Le fait que van Lier, linguiste renommé, traite des apports des artefacts aux fonctionnements cognitifs, s’inspirant notamment de la théorie socioculturelle, symbolise pour nous, outre son caractère interdisciplinaire, l’ouverture de nouvelles pistes de recherche en sciences du langage qui méritent, à notre avis une plus grande attention. 51 C’est nous qui soulignons.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
97
Apprentissages Collectifs Assistés par Ordinateur que nous développerons ci-
après.
2.2. Apprentissages Collectifs Assistés par
Ordinateur (ACAO)
Cette partie nous permettra dans un premier temps d’évoquer les
études en CSCL que nous traduirons littéralement par Apprentissages Collectifs
Assistés par Ordinateur (ACAO, cf. infra). Elle servira d’introduction à la partie
suivante 2.3. où on abordera les travaux spécifiques en ACAO pour les
Nous nous intéresserons aux recherches en CSCL qui se positionnent
explicitement dans ce champ. Les travaux appartenant à des thématiques
contiguës seront traités séparément dans des parties spécifiques comme par
exemple la théorie socioculturelle (1.3.), la cognition distribuée (2.1.1.) et la
cognition socialement partagée (7.1.1.).
Le courant de Computer Supported Collaborative Learning (CSCL)
consiste en un champ interdisciplinaire émergent, dont les premiers travaux
remontent à peine à la dernière décennie. Pourtant, Roschelle (1992) ainsi que
Koschmann (2002) reconnaissent rétrospectivement John Dewey comme un
des fondateurs de ce paradigme. Dewey, d’après Roschelle et Koschmann, a
été un des premiers auteurs à ne localiser le changement conceptuel au niveau
ni de la personne ni de l’interaction, mais au niveau de l’interaction entre
l’individu et le contexte, à la fois physique et social (Roschelle, op. cit.).
Si l’on souhaite associer le paradigme CSCL à la réalité scientifique
existante, on le trouve inscrit dans le courant de nouvelles approches « visant à
prendre en compte, dans une logique d’usage, plus sérieusement la nature
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
98
située et sociale de la tâche et de l’activité effectuées avec des instruments
informatisés » (Derycke, 2005, np). Timothy Koschmann, une des figures de
proue du CSCL, le définit comme :
un champ d’analyse concerné essentiellement [d’une part] par le sens et
les pratiques de construction du sens lors d’une activité commune et
[d’autre part par] la manière dont les pratiques sont médiatisées à
travers des artefacts qui ont été élaborés dans ce but (Koschmann,
2002, p. 20, notre traduction52).
À partir de cette première définition plusieurs remarques s’imposent.
Premièrement, nous sommes loin d’une problématique strictement liée aux
pratiques de classe. Les modes de construction du sens sont examinés sous
leur double aspect collectif et médiatisé mais il existe encore une distance entre
la recherche en ce domaine et la mise en pratique dans le contexte scolaire. A
ce propos, Gerry Stahl, un des théoriciens de CSCL, note que la construction
collective de la connaissance peut être une problématique de pointe dans la
recherche scientifique, mais il a été prouvé très difficile de l’intégrer dans les
classes contemporaines (Stahl, 2002b, p. 2).
Deuxièmement, le rôle médiateur des outils et la manière dont ils
influent sur la construction du sens sont primordiaux dans l’examen des
processus d’apprentissage. Comme le note Lund A., le CSCL est « une vision
des technologies éducatives qui focalise sur leur rôle médiateur au sein des
processus d’apprentissage collectifs » (Lund, 2003, p. 14). Par ailleurs, autant
la définition de Koschmann (op. cit.) que celle de Lund, par l’importance
qu’elles accordent à la notion de médiation technique, rapprochent directement
le paradigme de CSCL de la théorie socioculturelle. Ceci n’est pas un hasard,
étant donné que les deux approches se donnent comme objectif théorique la
compréhension de la nature de la connaissance et des processus de
construction du sens médiés par des artefacts.
Troisièmement, la définition de Koschmann (op. cit.) nous semble
restrictive par rapport à la multiplicité des préoccupations des chercheurs au
52 « CSCL is a field of study centrally concerned with meaning and the practices of meaning-making in the context of joint activity and the ways in which these practices are mediated through designed artifacts».
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
99
sein de CSCL. Des chercheurs en cognisciences, en informatique, en sciences
de l’information et de la communication et en sciences de l’éducation
composent ce vaste paysage scientifique. Entre autres, nous y trouvons des
problématiques suivantes :
• la conception et la gestion des environnements favorisant l’apprentissage
collectif (Dimitracopoulou, 2005 ; Komis et al., 2003 ; Reffay et Chanier,
2003);
• la résolution synchrone et collective des problèmes (Roschelle et
Teasley, 1995; Dillenbourg et Traum, 1999 ; Avouris et al., 2003);
• la construction de ressources cognitives communes au sein de grands
groupes (Scardamalia et Bereiter, 1994 ; Pea, 2002);
• la théorisation du paradigme et les enjeux pédagogiques (Dillenbourg et
• la nature de l’acte de collaboration (Dillenbourg, 1999 ; Roschelle et
Teasley, 1995 ; Stahl, 2003) et
• l’unité d’analyse d’une activité collective se situant au niveau de l’activité
(Engeström 2000), de l’individu dans le groupe53 (Salomon, 1992 ;
Dillenbourg, 1999), du groupe entier54 (Koku et Wellman, 2004) ou d’un
groupe restreint de participants (Stahl, 2005).
Notons par ailleurs l’existence de champs de recherche en émergence,
notamment de Computer Supported Collaborative Work (CSCW, Halverson,
Rogers et al., 1994), Computer-Supported Problem Based Learning
(Koschmann et Stahl, 1998), Distributed Problem-Based Learning (dPBL,
53 Approche connue sous le nom de acquisition metaphor (Sfard, 1998). 54 Participation metaphor selon Sfard (1998).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
100
Lehtinen, 2002), Distributed Collaborative Learning (Guribye et Wasson, 2002)
et Computer-Supported Group-Based Learning (CSGBL, Strijbos, Martens et
Jochems, 2004)55.
De la traduction du sigle CSCL en langue française
Il serait intéressant de nous référer brièvement aux traductions
proposées pour le sigle CSCL en français. Par exemple, Baker et al. (2001)
proposent le terme « Environnements Informatiques d'Apprentissage
Coopérant» tandis que Mangenot (2003) emploie le sigle ACAO au singulier
(Apprentissage Collectif Assisté par Ordinateur, 2003). Bien que le terme
« apprentissage collaboratif » soit linguistiquement plus proche de
« collaborative learning », sur le plan sémantique le terme « Apprentissages
Collectifs Assistés par Ordinateur » (ACAO) nous semble refléter avec plus
d’exactitude le sigle CSCL. Plus précisément, nous adopterons le terme
« collectif » comme hyperonyme des modes d’apprentissage inter-individuels
(pour une analyse plus fine des différents modes de fonctionnement collectifs
cf. 7.2.).
La traduction de « collaborative » en « collectif », partagée par ailleurs
par des auteurs francophones tels que Baker (2004), Betbeder et Tchounikine
(2002), Derycke (2002), George (2001), Mangenot (2004), Mangenot et
Zourou (2005), sera employée dans la présente étude sans prétention de
généralisation, étant donné le nombre restreint des travaux à ce jour ainsi que
le caractère encore non-stabilisé de ce champ de recherche. Dans le cadre de
notre étude, nous reprenons le terme ACAO que nous emploierons au pluriel,
forme qui présente, à notre avis, un caractère plus global.
2.2.2. Les ACAO : un champ en émergence
Peut-on considérer que le cadre conceptuel des ACAO, tel que défini
précédemment, est associé à un modèle méthodologique unique ? 55 Vu le caractère encore peu établi de ces recherches, nous conserverons la terminologie anglo-saxonne.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
101
Certainement pas. Le fait que différents paradigmes méthodologiques se
côtoient sous le même toit des ACAO est apparu clairement lors du colloque
international CSCL 2002 à Boulder, Colorado. En fait, non seulement il existe
des articles qui puisent leur cadre méthodologique dans le paradigme
quantitatif ou qualitatif, mais dans les actes du colloque il existe une distinction
entre les recherches qui apparaissent sous la partie « analyses quantitatives »
(N= 34) et la partie « analyses qualitatives » (N=35) (cf. les actes du colloque,
Stahl, 2002a). La coexistence des deux paradigmes opposés et l’équilibre en
nombre de publications dans le même colloque prouvent de la meilleure
manière qu’il est impossible d’associer un paradigme méthodologique commun
au champ des ACAO. Cette situation a provoqué des critiques quant au manque
de rigueur méthodologique qui touche indirectement les fondements du
domaine (Lund, 2003).
L’absence de consensus sur le plan méthodologique est complétée par
des débats sur les orientations futures que devait prendre ce domaine.
Révélateur de cette situation, le colloque international CSCL 2005 à Taiwan
s’intitule « CSCL : les dix prochaines années56 ». Par ailleurs, Gerry Stahl
admet sans équivoque que :
Despite its healthy growth curve, [CSCL] research community is still
searching for its foundations; to date, there is little consensus on
theory, pedagogy, technology or methodology (Stahl, 2006, np).
Par ailleurs, un numéro spécial du périodique Computers & Education
(« Methodological Issues in Researching CSCL», vol. 46, no 1, janvier 2006)
est consacré aux aspects méthodologiques de la recherche en CSCL avec une
double visée : d’une part débroussailler le terrain méthodologique actuel et
d’autre part concrétiser des démarches méthodologiques appuyées par des
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
102
décrit plus haut, une modalité de travail, une approche ainsi qu’un
environnement numérique.
2.2.3. Les ACAO : approche, modalité de travail ou
environnement informatique ?
Au-delà de son identification à un champ de recherche distinct, les ACAO
peuvent aussi désigner une approche ou une représentation à travers laquelle
les technologies éducatives sont perçues. Nous commencerons par l’emploi de
ce terme pour désigner une approche quant au rôle des ordinateurs dans
l’apprentissage humain.
Les ACAO comme approche
Koschmann par exemple (dans Lund, 2003, p.73) distingue quatre paradigmes
dans la conception des outils technologiques en éducation, à savoir :
• L’enseignement assisté par ordinateur (Computer-Assisted Instruction -
CAI).
Ce paradigme né dans les années 1960 et issu du béhaviorisme, est
caractérisé par les exercices structuraux (drill and practice) et les objectifs
divisés en unités distinctes. La problématique liée à la technologie y occupe
une place prépondérante dans la conception des dispositifs.
• Les systèmes de tutorat intelligent (Intelligent Tutoring Systems -ITS).
Généré par les recherches en intelligence artificielle des années 1970, ce
paradigme comprend un degré plus grand d’interaction, de flexibilité et
d’habileté à gérer des problèmes complexes que le modèle précèdent. L’accent
est mis plus sur la sophistication des systèmes que sur le résultat cognitif.
• «Logo-as-Latin ».
Sous ce titre Koschmann fait allusion à la perspective cognitive associée
aux travaux de Seymour Papert. Tandis que les deux modèles précédents
étaient fondés sur le transfert de la connaissance, ce modèle favorise la
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
103
construction active des savoirs. L’apprenant progresse en programmant le
logiciel, notamment le logiciel homonyme Logo.
• Le paradigme ACAO (CSCL paradigm)
D’après ce paradigme, l’apprentissage est considéré comme un
processus essentiellement situé et social ; les artefacts médiatisés se placent
au cœur de cette problématique. La nature distribuée de la connaissance et les
approches collectives de la construction de la connaissance constituent deux
des axes fondamentaux de cette conception.
Les quatre paradigmes que distingue Koschmann peuvent constituer
également quatre conceptions ou approches sur le rôle des outils
informatiques dans les apprentissages humains sur le plan diachronique57.
Ainsi, plus qu’un paradigme scientifique émergent, le CSCL peut être considéré
comme une conception des situations d’apprentissage médiatisées qui se
démarque des conceptions antérieures, notamment du CAI et du ITS. Cette
nouvelle conception pourrait effectivement déboucher « sur la construction
d’une véritable approche instrumentale articulant la conception et les usages
afin d’en faciliter l’appropriation et en fin de compte l’utilité » (Derycke, 2005).
Les ACAO comme modalité de travail ou comme environnement
informatique
Les ACAO sont également considérés comme modalité de travail selon
Lehtinen et al. (1998). D’après les auteurs, « CSCL appears to engage students
to participate in in-depth inquiry over substantial periods of time and to provide
socially distributed cognitive resources for comprehension monitoring and other
metacognitive activities » (np). Pour ces auteurs le CSCL correspond à un mode
d’apprentissage participatif dans un environnement riche en ressources
cognitives. Pourtant, nous n’adoptons pas le point de vue de Lehtinen (op.cit.),
57 Plusieurs études proposent des historiques de l’évolution des technologies dans l’apprentissage et l’enseignement, entre autres Crook, 2001 ; Lehtinen, 2003 ; Warschauer, 1998.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
104
puisque les ACAO ne correspondent à notre avis ni à une modalité
d’apprentissage unique ni à un modèle pédagogique à suivre (cf. chapitre 7).
Par ailleurs, pour plusieurs chercheurs l’acronyme ACAO (ou CSCL) se
réfère non seulement au paradigme sous-jacent mais aussi à des
environnements informatiques. Par exemple, George (2001) fait allusion à la
conception d’ « un CSCL » (p. 45) ou « des CSCL » (p. 75) pour désigner des
systèmes ou dispositifs qui cherchent à favoriser l’apprentissage collectif à
distance. Le même point de vue est adopté par Baker, et al. (2001),
Dimitracopoulou (2005), Avouris et al. (2003) qui font allusion à des
« environnements CSCL » ou bien des outils CSCL (Lehtonen et Tuomainen,
2003).
Nous nous interrogeons par ailleurs sur la complémentarité des termes
« environnement CSCL » et « Environnements Informatiques pour
l’Apprentissage Humain » (EIAH), utilisés fréquemment par des concepteurs
de dispositifs informatiques. Il convient de mentionner ici le champ de
recherche des EIAH qui, selon le site Internet du laboratoire LIUM du Mans,
« correspond aux travaux sur la conception et la réalisation d'environnements
informatiques dont la finalité explicite est de susciter et d'accompagner
l'apprentissage humain58 ». L’acronyme EIAH se réfère donc aux recherches
pluridisciplinaires où se côtoient majoritairement des chercheurs en
informatique et en sciences de l’éducation, ainsi qu’à la conception de tels
environnements59.
Pour revenir aux termes « environnement CSCL » et EIAH, nous
pensons que les deux termes sont employés indifféremment pour désigner la
conception et la réalisation des supports informatiques d’aide à l’apprentissage
et à la communication médiatisés. Bien que ce champ d’expertise ne soit pas
le nôtre, il nous semble qu’il n’y ait pas de différence sémantique considérable
comme le montrent par exemple les titres des communications aux colloques
EIAH et CSCL à partir de 2001 qui emploient les deux acronymes sans une
différenciation significative.
58 http://archiveseiah.univ-lemans.fr 59 On notera que les EIAH sont un domaine reconnu par la 27e section du Comité National Universitaire (CNU) en Informatique.
multimédias en classe de langue (Chanier et Pothier, 1998 ; Mangenot, 1998 et
2001a), l’analyse des situations d’apprentissage en interaction (cf. section
2.2.). En ce qui nous concerne, nous nous intéresserons plus particulièrement
aux recherches qui se situent à l’intersection de l’ALAO et de l’ACAO pour les
langues. Les recherches en ALAO nous serviront donc de passerelle vers la
partie suivante, les apprentissages collectifs médiatisés pour les langues.
De très nombreuses définitions du domaine de l’ALAO sont proposées ;
une des plus complètes nous semble être celle qui paraît dans la déclaration
conjointe des trois plus grandes associations internationales de chercheurs en
ALAO : CALICO (Computer Assisted Language Instruction Consortium),
EUROCALL (European Computer Assisted Language Learning) et IAALT
(International Association for Language Learning Technology). Ainsi, d’après
cette déclaration qui vise à délimiter le champ de recherche ainsi qu’à poser
les bases pour les recherches futures :
The field of CALL is inherently multidisciplinary. It applies from the fields
of second language acquisition, sociology, linguistics, psychology,
cognitive science, cultural studies and natural language processing to
second language pedagogy, and it melds these disciplines with
technology-related fields, artificial intelligence and media/
communication studies. (CALICO, EUROCALL et IAALT, 1999, np).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
109
Tout en reconnaissant le caractère pluridisciplinaire de la DDL (cf. 1.5.2.),
son volet technologique suit cette position épistémologique. La référence
explicite aux domaines qui alimentent théoriquement et méthodologiquement
l’ALAO nous semble significative de l’évolution du domaine pendant la dernière
décennie. En effet, Kern et Warschauer (2000) définissent la dernière
génération de l’ALAO comme la plus interdisciplinaire et comme celle qui a le
plus bénéficié des avancées scientifiques de domaines complémentaires. Cette
constatation doit être juxtaposée à la première génération des logiciels pour les
langues. Issus de la tradition béhavioriste, ils étaient essentiellement constitués
d’exercices structuraux multimédias (ou « exerciseurs ») de type drill and
practice. Ce passé pas très lointain fondé sur le caractère transmissif des
savoirs a cédé sa place à une interdisciplinarité plus renforcée et bien sûr à un
réexamen de la place du social dans l’apprentissage langagier. Cette nouvelle
perspective nous occupera dans la partie suivante.
2.3.2. De l’ALAO en ACAO pour les langues : changement de
paradigme ?
Si la première génération des recherches en ALAO se plaçait au niveau de
la transmission des savoirs et insistait sur les aspects techniques de cette
transmission (Warschauer, 1998), les recherches courantes en ALAO laissent
entrevoir que ce paradigme fait place à l’approche socioculturelle, orientée sur
deux pôles qui peuvent se résumer ainsi : les apprentissages situés
socialement et les effets instrumentés de ces apprentissages. Bien que ce
tournant ne commence qu’à s’entrevoir à peine, les réflexions qui s’inscrivent à
l’intersection de l’ALAO et des ACAO se penchent sur la nature médiée de la
construction des savoirs véhiculés par les machines ainsi que sur la valorisation
du caractère social des échanges. Tout de même, si le premier pôle, celui de la
socialisation des apprentissages, était plus ou moins présent dans les
recherches en ALAO, la pierre angulaire de changement du paradigme est
composée par les effets médiateurs des outils, réflexion propre aux ACAO
(inspirées à leur tour majoritairement par la sociologie des techniques et la
cognition distribuée, cf. chapitre 6).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
110
Le nouveau paradigme apparaît timidement dans les premiers travaux
sur les apprentissages collectifs médiatisés en langues, notamment dans
l’article de Warschauer (1997a) faisant directement référence à la théorie
socioculturelle et à la notion de la médiatisation des outils. L’importance de ces
deux notions dans les recherches en ALAO sont notamment mises en valeur
par Salaberry (1999), dans sa réponse à Caroll Chapelle au sujet de l’agenda
scientifique de l’ALAO (Chapelle, 1997). A cet égard, Salaberry lui reproche de
ne pas évoquer dans son bilan épistémologique le paradigme socioculturel
émergent en ALAO (Salaberry, op. cit., p. 104). Chapelle semble réexaminer
l’apport de ce paradigme en lui accordant une place importante dans sa
dernière revue du domaine de l’ALAO (Chapelle, 2004). D’autres chercheurs
contribuent au changement de paradigme en appelant à une reconsidération
du rôle du contexte, physique et matériel, dans l’examen des situations
d’enseignement/apprentissage médiatisé pour les langues (Warschauer,
1998 ; van Lier, 2004). Dans un article récent Kramsch et Thorne postulent
que:
Network technologies have helped to initiate a significant pedagogical
shift, moving many language arts educators from cognitivist
assumptions about language and learning as a brain phenomenon, to
contextual, collaborative and social-interactive approaches to
language development and activity (Kramsch et Thorne, 2002, p. 86)
Les technologies en réseau existaient bien avant l’apparition du nouveau
paradigme des ACAO pour les langues, nous ne serons donc pas entièrement
d’accord avec les auteurs qui associent le changement de paradigme aux
avancées technologiques. A notre avis, c’est plutôt une prise de position
épistémologique différente, pas nécessairement associée avec l’avènement des
réseaux, qui a provoqué l’émergence du nouveau paradigme. Il existe une
littérature abondante sur les premiers projets d’interaction entre groupes
d’apprenants à distance dans les années 1980 ; toutefois, la problématique liée
à ces projets semble se focaliser majoritairement sur les aspects exclusivement
cognitifs et individuels des interactions en ligne.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
111
La reconsidération du contexte socioculturel et plus particulièrement des
modalités de fonctionnement collectif est, à notre avis, l’élément primordial de
ce renouvellement. Pour Kern, Ware et Warschauer (2004), tandis que les
recherches antérieures se penchaient sur les aspects linguistiques et cognitifs
des interactions, désormais, des perspectives nouvelles voient le jour. Parmi
elles, une attention particulière est accordée aux spécificités
interculturelles (Belz, 2003 ; Belz et Thorne, 2005b) socio-affectives (Lamy,
2001 ; Dejean et Mangenot, à paraître b) ou encore médiatisées de ces
échanges (Thorne, 2000 ; Springer et Aimard, 2005). Ces trois pôles sous-
tendent, à notre avis, le changement d’optique qui s’opère à travers les travaux
récents dans le domaine –encore embryonnaire- de l’ACAO pour les langues.
2.3.3. Approches récentes en apprentissage des langues
instrumentés : ACAO pour les langues, NBLT et
Sociocultural SLA
Le domaine extrêmement récent des ACAO pour les langues s’est nourri
des recherches en NBLT (Network-based language teaching, Warschauer et
Kern, 2000), domaine qui met l’accent sur le passage des logiciels interactifs
aux dispositifs favorisant les interactions (en France, la même orientation
scientifique est adoptée par Bouchard et Mangenot (2001). A titre d’exemple,
Mark Warschauer, fondateur du courant de NBLT était un des auteurs qui a
contribué à l’instauration du domaine des ACAO pour les langues (cf. supra).
Dans la même direction, Mangenot et Nissen (à paraître) mettent en exergue
la contiguïté des ACAO avec le courant de NBLT.
Par ailleurs, très proches sont les réflexions en Sociocultural SLA, en
Telecollaboration60 et en ACAO. Par exemple, il n’est pas surprenant que Julie
Belz, l’éditrice du numéro de « télécollaboration » sur les interactions
interculturelles en L2 (cf. supra), soit chercheur au Centre for Language
Acquisition de la Pennsylvania State University, où parmi ses collègues nous
trouverons James Lantolf et Steve Thorne, figures de proue du courant de 60 La dimension interculturelle des projets collectifs médiatisés fera l’objet de la partie 2.4.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
112
Sociocultural SLA. De surcroît, l’ouvrage collectif de Belz et Thorne (2005a) va
à l’encontre de toute tentative d’un découpage trop stricte de ces courants.
Au lieu de se donner comme objectif la différenciation des recherches en
Telecollaboration, en Sociocultural SLA, en ACAO pour les langues et en NBLT
nous devrions plutôt les considérer tous comme des efforts communs vers le
changement de paradigme en ALAO que nous avons évoqué plus haut. Toutes
ces réflexions, même si elles portent souvent sur des objets d’étude de longue
date (par exemple sur les interactions asynchrones entre groupes allophones),
visent à renouveler des problématiques existantes par l’adoption d’une posture
différente, davantage critique et holistique, sur la nature des interactions et
sur la manière dont elles influent sur les apprentissages socialement et
matériellement véhiculés en ligne.
Les spécificités des échanges en ligne en vue d’un objectif partagé et
distribué entre interactants et outils technologiques se regardent à la loupe : la
manière dont se co-construisent ces interactions, les spécificités culturelles et
identitaires véhiculées, les effets médiateurs sont quelques uns des
questionnements qui, en étant inscrits dans le nouveau paradigme des ACAO
pour les langues, intègrent des nouvelles perspectives à l’examen des
problématiques préexistantes.
La focalisation des études antérieures sur la performance linguistique
des apprenants en ligne a vite montré ses limites : elle ne réussit qu’à éclairer
très partiellement le phénomène complexe des situations d’apprentissage en
ligne, comportant des dimensions socioculturelles, interculturelles et
médiatisées, dimensions sur lesquelles porte le nouveau paradigme émergent.
La parution en 2005 et 2006 des ouvrages collectifs tels que Lantolf et Thorne
(2006), Belz et Thorne (2005a), Dejean et Mangenot (à paraître, a), Hauck et
Stickler (à paraître) et Thorne et Payne (2005) qui se positionnent à
l’intersection des dimensions socioculturelle, interculturelle et médiatisée des
échanges en L2 à distance, nous apporteront sans doute des éléments de
réponses sur les mutations conceptuelles dans ce domaine.
Nous allons nous focaliser par la suite sur les tentatives systématiques et
souvent collectives qui ont visé à poser les fondements du domaine des ACAO
pour les langues de manière décisive. Ce bref historique ne commence que très
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
113
récemment, vers la fin des années quatre-vingt dix, tout en rendant l’ensemble
des travaux extrêmement contemporains.
2.3.4. Trois moments-clés de l’établissement des travaux
en ACAO pour les langues
L’objectif de cette partie sera de tracer l’historique des recherches en
ACAO pour les langues. Pour ce faire, nous nous pencherons sur les recherches
anglo-saxonnes, plus abondantes à l’heure actuelle que les recherches
francophones. Dans ce bref parcours, relatif à l’état embryonnaire du domaine,
nous nous référerons à son apparition, puis à l’intégration de ces travaux au
sein de la didactique des langues. L’accueil réservé au domaine des ACAO pour
les langues à la fois par la communauté des chercheurs et par les revues de
référence en DDL sera aussi abordé.
Vouloir identifier rétrospectivement les moments décisifs de
l’établissement de ce nouveau champ de recherche nous amène devant certains
obstacles. Tout d’abord, les premiers travaux dans ce domaine, par manque de
moyens de publication propres, apparaissaient souvent dans des champs de
recherche complémentaires (en sciences de l’éducation, en formation ouverte
et à distance, en psychologie éducative, etc.), mais rarement via les moyens de
publications spécifiques en DDL. Pourtant, le plus grand inconvénient réside
dans le manque relatif de bibliographie et de recherches systématiques, en
raison du caractère émergent et expérimental de ce domaine en plein essor.
Souhaitant retracer l’historique des recherches en apprentissages collectifs
dans le domaine de la didactique des langues, il nous faudra remonter en 1994
où la théorie socioculturelle et le modèle méthodologique associé ont
sérieusement préoccupé les sciences du langage. A cette époque et
jusqu’aujourd’hui, cette théorie est parfois considérée comme peu intéressante
pour les sciences du langage, du seul fait qu’elle est issue de la psychologie
développementale. L’ouvrage collectif « Vygotskian approaches to second
language research » coordonné par James Lantolf et Gabriela Appel (1994a),
chercheurs nord-américains à Cornell University, sera la première tentative
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
114
d’extraire la théorie socioculturelle du cadre de la psychologie et de mesurer
son importance pour les sciences du langage.
Plus particulièrement, l’article de Lantolf et Appel (1994b) propose une
lecture approfondie de la théorie de Vygotsky tout en développant des notions-
clés de cette théorie, telles que la Zone Proximale de Développement, la
médiation, la sociabilité humaine, la fonction des signes et des instruments
dans le développement mental. Ainsi, commençant par l’état de la recherche
sur le développement mental à l’époque de Vygotsky, ils explicitent les
fondements philosophiques et psychologiques de sa pensée pour aborder par la
suite les concepts fondamentaux de sa théorie et sa portée pour ses
successeurs, entre autres Luria, Leont’ev et Zinchenko.
Selon nous, Lantolf et Appel (1994b) proposent un aperçu très complet
des concepts-clés d’un point de vue essentiellement psychologique. Toutefois,
ce sont plutôt les autres contributions de l’ouvrage qui se serviront de cette
théorie pour interpréter des pratiques scolaires de travail collectif, de
négociation du sens et d’étayage (Donato, 1994). Ce premier ouvrage sur la
théorie socioculturelle pour les langues a pour nous, d’une part, un avantage
majeur : celui de proposer un cadre de référence bien précis, complété par des
recherches à caractère praxéologique qui s’appuient sur ce plan théorique et
méthodologique ; mais, d’autre part, nous regrettons que la problématique sur
les outils cognitifs soit inexistante dans toutes les contributions considérées.
La médiation est considérée exclusivement comme médiation
symbolique, donc langagière. L’absence d’études sur le rôle des instruments
pour la médiation de la pensée humaine constitue pour nous un inconvénient
majeur. Cette carence sera compensée par le second livre que Lantolf a
coordonné (Lantolf, 2000a).
La deuxième tentative systématique a lieu également outre-atlantique, en
1997. Nous nous référons au numéro spécial de la revue américaine Modern
Languages Journal intitulé Interaction, collaboration and Cooperation : learning
languages and preparing language teachers, coordonné par une linguiste,
connue surtout pour ses travaux en stratégies d’apprentissages, Rebecca
Oxford. A ce deuxième échelon, l’article de Mark Warschauer « Computer-
Mediated Collaborative learning » (1997a) est considéré aujourd’hui encore
comme une référence-clé dans la mesure ou il cherche à créer des ponts entre
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
115
trois domaines qui de nos jours se veulent complémentaires : la didactique des
langues, la communication médiatisée par ordinateur et les apprentissages
collectifs médiatisés par ordinateur.
Ce numéro spécial attire notre attention pour trois raisons : outre le
regroupement collectif des recherches internationales sous un même ouvrage,
il sous-entend la volonté du comité scientifique de la revue -constitué de
spécialistes en didactique des langues- d’accueillir de manière officielle des
articles d’une orientation nouvelle, en sortant d’une certaine manière du
paradigme orthodoxe. Plus que la parution d’un ou deux articles dans un
numéro général, la création d’un numéro spécial manifeste la volonté de
déboucher sur d’autres perspectives, tout en intégrant de nouvelles
orientations dans le champ de la DDL. De plus, le moment de la publication de
ce numéro nous semble assez surprenant; aujourd’hui, dix ans environ après la
parution de 1997, cette tentative nous apparaît comme un défi scientifique
novateur, puisque même à présent les fluctuations épistémologiques sont
fréquentes dans ce champ de recherche en pleine évolution.
A l’avant-garde des recherches en ACAO pour les langues, ce numéro nous
surprend pour une raison supplémentaire : non seulement sont abordés les
potentialités des apprentissages collectifs à la fois pour l’apprentissage et pour
l’enseignement des langues, mais encore, dans son article de 1997, Oxford
traite de la distinction entre coopération, collaboration et interaction. Ceci nous
paraît fort remarquable, compte tenu que même à l’heure actuelle les modes
de fonctionnement collectifs constituent une thématique de recherche assez
peu étudiée et bien loin de faire l’objet d’un consensus.
Le troisième repère dans ce bref historique se situe en 2003. Le numéro
spécial de la revue Language Learning & Technology intitulé Telecollaboration
(Belz, 2003) va au-delà d’un rassemblement des analyses internationales en
matière de collaboration entre groupes allophones à distance. De notre point de
vue, ce numéro collectif sert à renforcer les bases conceptuels et
méthodologiques de la « télécollaboration » en tant que nouveau champ
d’analyses au sein de l’ALAO. Plus particulièrement, les études ressemblées
sous ce numéro mettent l’accent sur les dimensions linguistique (Belz, 2002 ;
Kötter, 2003), socioculturelle (Thorne, 2003, 2005b) et surtout interculturelle
(O’Dowd 2003 ; Belz, op.cit.) des apprentissages collectifs en ligne.
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
116
Les recherches au sujet de la « télécollaboration » s’inscrivent, à notre
avis, dans la grande famille des réflexions contribuant au renouvellement du
champ des ALAO. D’autres recherches verront le jour à la suite de ces
premières initiatives qui ont surtout permis de reconsidérer l’apport des
processus collectifs médiatisés pour la didactique des langues. Ci-dessous nous
présentons une synthèse non exhaustive d’un certain nombre des travaux qui
contribuent à faire progresser cette problématique, soit en développant les
bases théoriques du domaine soit en examinant des études de cas.
Auteurs (par ordre chronologique)
Objet de l’étude Type de recherche
Lantolf et Αppel (1994b)
Introduction à la théorie socioculturelle à l’apprentissage d’une L2
Oxford (1997) Introduction aux apprentissages collectifs pour la DDL.
Warschauer (1997a) Considérations théoriques en apprentissages collectifs médiatisés pour les langues.
Lantolf (2000a) Théorie socioculturelle en L2 : Poursuite de la problématique développée dans Lantolf et Αppel
Mangenot (2001a) Revue de question sur les ACAO pour les langues.
Réflexio
ns th
éoriq
ues
Lamy (2001) Aspects des dispositifs favorables à des interactions productives en termes d’acquisition du FLE
Evans et O’Brien (2001)
Apprentissage situé et collectif dans un dispositif orienté tâches pour des apprenants avancés en allemand.
Belz (2003) Dimension socioculturelle et interculturelle des projets collectifs entre équipes distantes
Mangenot et Zourou (2005)
Modes de fonctionnement collectif et travail autonome dans un dispositif de formation des enseignants de langues.
Pratiques, étu
des d
e cas
(Tableau 4 : Récapitulatif des principaux travaux en ACAO pour les langues)
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
117
Qu’en est-il de l’accueil réservé à ces travaux par les grandes revues
internationales en DDL, qui indiquent –et souvent confirment- les nouvelles
tendances scientifiques ? Les premières parutions datent, sauf exception, des
cinq dernières années environ. Les revues anglophones telles que Computer
Assisted Language Learning, ReCALL, Applied Linguistics, Language Learning &
Technology et Modern Languages Journal seront les premières à accueillir des
travaux qui portent sur le socioconstructivisme et son apport pour les langues
(voir par exemple : Warschauer, 1997a ; Kinginger, 2002 ; Firth et Wagner,
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
126
universités, etc.) qui communiquent via le même support technologique (forum
de discussion). Par exemple, pour l'automne 1999, une équipe d’apprenants de
français au Massachusetts Institute for Technology s’est associée à une équipe
d’ apprenants d'anglais de l'Institut National de Télécommunications à Paris. Le
projet de déroule en quatre phases65.
Dans la première étape du projet, celle des questionnaires, les étudiants
français et américains vont sur le site du projet pour répondre à une série de
trois questionnaires identiques, formulés dans les deux langues. Les étudiants y
répondent - et ceci est très important - dans leur langue d'origine. Il existe
trois types de questionnaires qui visent à cerner différentes attitudes vis-à-vis
de différents types de personnes (un parent/un voisin/un ami/un prof/...) dans
différents types de lieux (publics/privés), etc.
Dans la deuxième étape, celle des observations, les réponses aux
questionnaires des deux équipes viennent s'afficher simultanément sur le Web
permettant de découvrir, entre autres, les associations ancrées dans les
cultures respectives (exemple du côté américain : police/ doughnut ou du côté
français : école/Jules Ferry) ainsi que les connotations positives ou négatives
de certains termes (ex. individualisme/ individualism).
Les échanges sur les forums initient la troisième étape. En s'appuyant
au départ sur un mot, une phrase ou une situation, les étudiants sont
encouragés via le forum public et ouvert à émettre des hypothèses faites
individuellement ou en classe, à poser des questions à leurs homologues dans
le but d'en savoir plus et/ou d'éclairer un point ou un autre, à répondre aux
questions qui leur sont posées.
Dans la quatrième étape, celle de l’élargissement du projet, les
étudiants analysent ensuite une variété d'autres documents qui leur
permettront d'élargir leur champ d'investigation et de vision, ainsi que de
replacer le discours de leurs homologues dans un cadre socio-culturel plus
vaste. Ces matériaux incluent des sondages comparatifs publiés dans la presse,
des analyses parallèles de films français et de leurs « remakes » américains et
des extraits d'ouvrages comparatifs sur les cultures française et américaine, lus
dans leur version originale. 65 Le dispositif ne sera abordé ici que de manière succincte. Pour un descriptif détaillé cf. le site du projet : http://web.mit.edu/french/culturaNEH/ .
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
127
Nous retenons un élément qui nous paraît important sur la régulation du
projet : l'enseignant n'intervient en aucune façon et les échanges se font dans
la langue maternelle des étudiants afin de conserver la richesse culturelle et
linguistique d'une langue authentique.
2.4.5. Une lecture critique du dispositif Cultura
En examinant le dispositif Cultura, nous avons repéré trois qualités
majeures que nous exploiterons dans l’analyse du projet « le français en
(première) ligne :
• l’émergence de conflits socio-culturels dans un contexte d’interactions
authentiques.
Selon Byram, Zarate et Neuner, le conflit socio-culturel constitue un
moyen pour le développement de la compétence socio-culturelle et passe
essentiellement par une transformation des attitudes et des représentations
initiales (1997, p. 13). Comme le souligne Labov, « avec des sujets humains, il
est absurde de penser qu’il suffit de poser la même question à tout le monde
pour provoquer des stimuli identiques » (1978, p. 302). Cette transformation
des attitudes a pu avoir lieu grâce la mise en évidence et la juxtaposition des
schémas culturels préexistants et donc à leur mise en question. Selon nous, ce
dispositif tel qu’il a été conçu a permis aux étudiants de réfléchir et de
questionner leurs représentations culturelles antérieures et cela, dans un
contexte d’interactions authentiques. L’importance du contexte authentique de
productions culturellement riches nous occupera également au sein de notre
expérimentation (cf. 5.5.)
Dans le cadre du projet « le français en (première) ligne », à partir du corpus
des échanges en ligne, nous examinerons à quel point les interactions franco-
australiennes à distance ont réussi à provoquer des conflits socio-culturels
bénéfiques pour le groupe des apprenants australiens et d’un autre côté, ce
qui a empêché leur développement (6.4. et 6.5.).
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
128
• compétence interculturelle et linguistique.
Permettre aux apprenants de construire leur propre vision de la culture
étrangère était un des objectifs primordiaux des concepteurs du dispositif, qui
ont voulu immerger les étudiants dans un contexte culturel le plus authentique
possible. Il était donc prévu que les étudiants soient en contact direct avec la
langue et la culture enseignée, sans médiation de la part des enseignants. Par
conséquent, faire apparaître la dimension cachée de la culture lors de
l’apprentissage d’une L2 était incompatible avec le « filtrage », souvent
inconscient, des enseignants-médiateurs d’une langue et d’une culture. De
plus, le fait de communiquer dans sa langue d’origine a largement aidé à
produire un discours ancré le plus possible dans la culture d’origine, et a permis
de constituer ainsi un matériel authentique pour l’apprentissage d’une langue
étrangère. Comme le soulignent les concepteurs, « les apprenants peuvent
espérer accéder au côté « caché » uniquement en passant par un langage
totalement authentique, extrêmement riche et dynamique ». (Furstenberg et
al. 2001, note 4).
• Interactions réflexives asynchrones.
D’après les concepteurs, le projet Cultura vise à amener
progressivement les étudiants à se construire mutuellement leur
compréhension de l'autre culture. Selon nous, le choix des outils de
communication à distance, à savoir le forum asynchrone, a soutenu et favorisé
cet objectif. Les recherches en CMO tendent à converger sur le caractère plus
réflexif des échanges médiés par des outils asynchrones (Lamy et Goodfellow,
Au sein du dispositif « le français en (première) ligne, l’existence des
locuteurs natifs, à savoir les tuteurs français, était censée produire un
espace d’interaction authentique pour les Australiens. Ce potentiel
authentique a-t-il été suffisamment exploité ? Par ailleurs, le niveau
linguistique élémentaire des apprenants australiens a-t-il influé sur le
déroulement des échanges et quelles repercussions a-t-il eu sur les fonctions
des tuteurs français (6.6.) ?
2ème chapitre : apprentissages collectifs médiatisés pour les langues
129
1998 ; Warschauer, 1998). Cela renvoie aux spécificités des outils
technologiques, à la notion donc des « affordances » qui favorisent (ou
empêchent) l’accomplissement d’une activité cognitive humaine (cf. 6.1.). Dans
le contexte du projet Cultura, il semble que les participants soient conscients
du discours qu’ils produisent et qu’ils aient adopté une posture critique par
rapport à leurs textes grâce au temps plus long des échanges.
Par rapport aux inconvénients du projet Cultura, nous regrettons que la
compétence linguistique (apprentissage du français pour les Américains et de
l’anglais pour les Français) ait été relativement mis à l’écart par rapport à la
compétence interculturelle. Les concepteurs prétendent que par exemple, la
lecture des messages en anglais aurait pu développer les compétences des
Français dans cette langue et vice versa. Or, nous doutons que ce dispositif
puisse viser de manière holistique l’apprentissage d’une langue étrangère. De
plus, la compréhension écrite médiatisée n’a-t-elle pas été favorisée au
détriment de la compréhension et de l’expression orales ? Toutefois, il est vrai
que ce dispositif est conçu pour des situations d’apprentissage hybrides, où les
échanges sur Internet sont accompagnés de séances d’enseignement en classe.
Pour conclure, le projet Cultura nous semble avoir permis d’ouvrir de
nouvelles perspectives autour des apprentissages médiatisés et collectifs pour
les langues, en mettant l’accent sur les spécificités interculturelles véhiculées
en réseau. Ainsi, les potentialités de ce dispositif ont relancé le débat sur le rôle
des enseignants-facilitateurs (et non pas détenteurs des savoirs), sur le rôle
des outils et de leurs « affordances » pour un apprentissage langagier, sur le
contact direct et interactif à une culture étrangère, et finalement, sur les
modalités de travail collectif entre les groupes à distance. Nous reviendrons sur
ce dernier point dans le chapitre 6.
Dans la section 6.4.3. nous nous questionnerons sur les répercussions du
mode de communication à distance, exclusivement textuelle asynchrone,
sur la production des interactions réflexives en ligne.
130
Chapitre 3
Formation des enseignants
aux TICE : état des lieux
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
131
« Acheter des matériels était une décision administrative;
les utiliser a toujours relevé de la décision de l’enseignant »
(Cuban cité par Chaptal 2003, p.96).
Introduction
Avant de procéder à l’analyse du dispositif « le français en (première)
ligne », il convient d’effectuer une analyse de l’existant au sujet des formations
aux TICE pour les enseignants. Deux types de formations nous intéresseront en
particulier : d’une part celles s’adressant à des enseignants en service et se
déployant sur un plan national. A cet égard, nous nous appuierons sur une
sélection d’initiatives officielles en matière de formation continue des
enseignants aux TICE en France (3.1.3.) et en Grèce66 (3.1.4.), tout en
mentionnant succinctement les actions de formation au plan de l’Union
Européenne (3.1.2.).
D’autre part, l’analyse de l’existant sera complétée par l’évocation de
quelques dispositifs innovants de formation pré-professionnelle qui se
développent localement et s’adressent à de futurs enseignants (3.2.). Pour ce
faire, nous mettrons en parallèle quatre dispositifs de formation s’adressant
dans leur majorité à de futurs enseignants de langue (3.2.1.). Cette analyse de
l’existant nous confrontera avec les qualités et les défauts des plans de
formation pré-professionnelle, problématique qui se trouve à la base de la
conception du dispositif « le français en (première) ligne » que nous
analyserons en détail dans le chapitre suivant.
66 Le choix des pays n’a rien d’axiologique ou d’appréciatif.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
132
3.1. Formation continue des enseignants de
langues aux TICE
3.1.1. Les TICE à l’école
Sans placer l’intégration des technologies dans le système éducatif au
cœur de notre problématique, il est tout de même intéressant d’évoquer
brièvement un certain nombre de recherches au sujet de l’impact des politiques
régionales, nationales ou encore transnationales sur l’intégration des TICE à
l’école. Ces études s’appuient sur des réformes institutionnelles visant des
actions d’équipement en informatique dans les établissements scolaires ainsi
que la formation des enseignants aux TICE. De telles études dressent des
bilans assez complets sur l’apport de ces réformes dans l’espace européen
(Pouts-Lajus et Riché-Magnier, 1998), français (Brodin, 2002 ; Chaptal, 2003)
ou nord-américain (Cuban, 2001).
Souvent, les termes mêmes de « réforme » (Pouts-Lajus et Riché-
Magnier, 1998) ou d’ « innovation » (Brodin, 2002) sont remis en question.
Malgré les diverses optiques que les différents chercheurs adoptent, leurs
analyses nous semblent converger sur deux points : premièrement,
l’engouement techniciste qui précède une réforme et deuxièmement la lenteur
de l’intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques. L’étude de Larry
Cuban (2001) au titre évocateur Sous-utilisés et coûteux : les ordinateurs en
classe (Oversold and underused : Computers in the Classroom) est
caractéristique de ce constat. Cuban prend comme terrain d’analyse l’endroit
qui représente pour lui « le cœur de l’innovation high-tech », la Sillicon Valley
en Californie, et examine les TICE à tous les niveaux de scolarisation dans cette
région, de l’école maternelle à la prestigieuse Université de Stanford. Son
objectif ? Montrer, d’après une analyse d’inspiration ethnométhodologique, que
les équipements informatiques, même très haut de gamme, seuls, ne suffisent
pas à instaurer des usages innovants. Il estime que :
After two decades during which U.S. presidents, corporate executives
and educational policy makers extravagantly promoted new and
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
133
powerful technologies, most teachers and students now have far more
access than previously, but classroom use continues to be uneven and
infrequent (Cuban, op. cit., p. 93).
La formation des enseignants aux TICE, qui est plus particulièrement au
centre de notre analyse, n’a pas échappé à la « révolution numérique ».
Nouvelles compétences en informatique pour les enseignants et équipement
des établissements scolaires sont souvent couverts par le même plan
d’introduction des TIC à l’école. C’est le cas des deux dispositifs de formation
continue que nous analyserons un peu plus tard (cf. 3.1.3. - 3.1.4.).
3.1.2. Les objectifs de formation dans l’Union Européenne
Avant de passer à l’examen des plans concrets de formation pour les
enseignants en matière de TICE, nous aborderons brièvement les objectifs des
actions de formation d’enseignants, notamment au sein du programme
eLearning 2004-200667.
Selon les décisions des Conseils européens de Lisbonne, de Stockholm
et de Barcelone, la Commission Européenne a soutenu à partir de 2002, les
Plans d'Action eEurope2002 et eEurope200568. Au sein de ces initiatives, le
programme eLearning 2004-2006 doit être considérée comme un domaine
d’action spécifique à l’apprentissage en ligne (au sens large), comme son nom
l’indique. Ce qui nous paraît intéressant dans ce texte est l’importance donnée
non pas tant aux infrastructures technologiques mais à l’utilisation pédagogique
des TIC :
En ce qui concerne la formation des enseignants et la direction des
écoles, la tendance est de mettre l'accent moins sur la composante
"électronique" de l'apprentissage que sur l'aspect "apprentissage" du
processus (…) À cet égard, le contexte pédagogique est très important
67 Pour une analyse plus approfondie des programmes communautaires de formation cf. Zourou (2003). 68 Pour toutes les références officielles se référer à l’annexe C.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
134
et il convient de s'efforcer de mieux comprendre les facteurs de
réussite afin de dégager des bonnes pratiques (SEC (2001) 236, p. 6).
Le passage d’une problématique fondée sur les outils à une
problématique autour des usages se concrétise par des énoncés tels que « la
tendance est de mettre l'accent moins sur la composante "électronique" de
l'apprentissage que sur l'aspect "apprentissage" du processus » et par
l’importance accordée au « contexte pédagogique ». Selon nous, ces éléments
sont révélateurs du changement d’optique et sans doute de l’évolution de la
réflexion autour des TICE. Le transfert du centre de gravité des outils aux
usages que nous rencontrons dans les deux textes officiels ci-dessus est
également mis en évidence par Henri (2002), dans sa chronique de l’intégration
des technologies à l’enseignement et aux systèmes scolaires. Dans une étude
diachronique sur les TIC à l’école, l’auteur estime que nous nous trouvons
aujourd’hui dans un paradigme où l’élément prépondérant concerne les
pratiques.
Cette tendance au questionnement des usages se reflète également
dans un texte produit par une autre structure de l’U.E., la Commission
Européenne. Dans le rapport eLearning : Penser l’éducation de demain nous
lisons en page 3 : Le programme eLearning vise (…) la généralisation de
formations adéquates pour les enseignants et les formateurs, qui intègrent non
seulement la formation à la technologie mais surtout les formations à l’usage
pédagogique de la technologie et à la gestion du changement 69 .
Pourtant, nous constatons que le programme eLearning 2004-2006,
comme par ailleurs les orientations futures en matière d’éducation et de
formation 2007-201370, par leur implication sur plusieurs domaines de l’activité
humaine, de la lutte contre la fracture numérique à la e-gouvernance et des
campus virtuels universitaires à la citoyenneté européenne, visent à la
définition de grandes orientations politiques. Il est évident que les documents
communautaires cités plus haut s’appuient sur un champ très vaste
d’implantation, tandis que la conception et la mise en place des plans de 69 SEC (2001) 236. Cf. aussi Résolution du Conseil du 13 juillet 2001 sur l’e-learning. Journal Officiel des Communautés Européennes, 2001/C 204/02. 70 La nouvelle génération de programmes communautaires d’éducation et de formation post 2006. Bruxelles, le 9.3.2004 COM(2004) 156 final.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
135
formation sont prises en charge au niveau national avec l’appui financier de
l’Union Européenne. La prise en compte des spécificités du contexte
d’implantation national nous paraît une condition sine qua non au déploiement
d’un plan de formation prenant en compte les réalités du terrain. C’est donc
dans les actions de formation sur le plan national que nous nous focaliserons ci-
après.
3.1.3. Exemples d’initiatives en France
Les premières tentatives pour introduire les technologies dans le cursus
scolaire français datent des années 1970. Etant donné qu’il ne s’agit pas de
notre problématique principale, nous nous focaliserons principalement sur une
initiative, le plan IPT (« Informatique Pour Tous »), et nous essaierons de la
relier à des actions de formation plus récentes, comme par exemple le « Plan
national français pour l’équipement et la connexion » et les formations des
futurs enseignants dans les IUFM71.
La première initiative retenue ici est celle lancée en 1985 par le Ministre
du Plan et de l'Aménagement du Territoire, avec l'aide du Centre Mondial pour
l'Informatique et les Ressources Humaines et la Fondation X 2000, l'opération
étant soutenue également par le ministère de l'Éducation nationale, du
redéploiement industriel, de la Recherche et de l'Industrie72. Le plan IPT avait
un objectif double :
• introduire l’informatique dans tout le système éducatif, dès l’école
maternelle et
• offrir à tous les enseignants l’opportunité de se former à l’utilisation du
matériel informatique et des logiciels éducatifs.
71 Pour une analyse plus fine des actions de formation aux TICE en France cf. Pouts-Lajus et Riché-Magnier (1998) et Chaptal (2003). 72 Les renseignements relatifs à la description du plan IPT ont été tirés de Pouts-Lajus et Riché-Magnier (1998) et Chaptal (2003) et de l’« historique de l’introduction des TICE en France » consulté en ligne sur http://ecole.cravanche.free.fr/1_1_historique.htm
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
136
Ainsi, le plan IPT visait-il d’une part, à équiper les institutions scolaires
en matériel informatique (ordinateurs et logiciels) et d’autre part, à former le
personnel enseignant à l’utilisation de ce matériel. Nous soulignons par ailleurs
la volonté de la part des décideurs de planifier le développement de logiciels
éducatifs adaptés aux besoins des élèves et des enseignants. Un budget de 1,8
milliards de francs a correspondu à l’achat et l’installation des ordinateurs, à la
formation des enseignants ainsi qu’à la conception de logiciels éducatifs.
Concernant l’équipement des établissements, il a été décidé d’équiper
50.000 établissements avec 120.000 machines. Les modèles d’ordinateurs
destinés à équiper les salles informatiques étaient le Thomson TO7 et le MO5,
tous deux de première génération. Ces machines fonctionnaient avec un
système d’exploitation propriétaire, qui, à cause de cette spécificité, interdisait
l’utilisation d’autres logiciels, compatibles par exemple Apple ou DOS. A propos
de la formation des enseignants, celle-ci s’est adressée à 110.000 enseignants
à la rentrée scolaire 1985. Le calendrier des formations comprenait :
• un stage d’initiation d’une semaine où chaque enseignant était muni d’un
ordinateur ;
• 4 ou 6 semaines après, les premiers ateliers informatiques se déroulaient
en parallèle avec la mise en réseau de tous les ordinateurs ;
• Après deux ou trois mois, les personnes formées participaient de
nouveau à un stage de deux jours destiné à mettre en commun les pratiques.
Mais en fait, ce sont tantôt la forme, tantôt le contenu de cette
formation qui ont été jugés insuffisants. Le plan IPT était bien plus ambitieux
qu’un dispositif de formation expérimental. Pour Chaptal par exemple, « il ne
s’agissait désormais plus d’une expérimentation. L’objectif devenait, de fait,
celui d’une généralisation en vraie grandeur » (2003, p. 76). Les
formations prévues étant de courte durée, les enseignants n’ont pas pu
s’approprier les savoir-faire nécessaires, de manière effective. De plus,
l’initiation au langage informatique BASIC qui était l’objet de la formation a été
critiquée sur sa valeur pédagogique. Un facteur extérieur a aggravé cette
situation : la livraison des machines fut reportée de quelques mois, élément
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
137
qui, sans doute, a provoqué frustration et perte des savoir-faire chez les
enseignants formés au préalable73.
Malgré ces inconvénients, le plan IPT a été la première initiative de l’Etat
qui a eu pour objectif de former les enseignants et d’organiser des stages
rémunérés pour le personnel enseignant. Le développement de logiciels
adaptés aux besoins des enseignants et des apprenants a également connu un
certain succès. Ainsi, en 1986 et en 1987, un « Concours national de scénarios
de logiciels éducatifs » a été lancé par le Ministère de l’éducation, concours qui
a aussi tenté de remédier à l’équipement faible des écoles en logiciels74. Un peu
plus tard, le système des « licences mixtes » a été mis en place : le ministère
de l’Éducation nationale octroyait une somme forfaitaire aux éditeurs de
logiciels, qui vendaient alors le logiciel retenu par une commission de
spécialistes de ce ministère à bas prix. Ce système a perduré environ une
décennie et permis que d’intéressants logiciels soient développés et lancés sur
le marché.
Réflexions sur le plan IPT
Nous éviterons tout d’abord un rejet total du plan IPT. Une des qualités
de ce plan était de viser à la fois l’équipement des écoles et la formation du
personnel enseignant, ce qui n’est pas toujours le cas des initiatives
d’implantation des TICE à l’école. Sur le plan technique, la logique du réseau
d’ordinateurs dans les établissements scolaires a été initiée par le plan IPT,
notamment par la mise en place du nanoréseau. Cette mise en réseau était
permise par l’existence d’un ordinateur central qui pilotait plusieurs postes
informatiques. Sans doute pouvons-nous dire que ce dispositif technique portait
en germes l’idée d’une mise en commun des ressources informatiques des
différents postes, idée qui a été développée davantage avec l’avènement des
ordinateurs plus puissants.
73 Chaptal (2003, p. 80) note également qu’un des principales erreurs de ce plan était le fait qu’il s’inscrivait dans un calendrier délibérément politique. 74 A cet égard, des « valises » contentant de didacticiels avaient été distribuées, sans que leur nombre puisse combler les besoins du personnel enseignant.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
138
Par ailleurs, certains ont accusé les concepteurs du plan IPT de
favoritisme envers les fournisseurs informatiques nationaux. A ce propos, le
site Internet du Sénat désigne cette initiative comme « un exemple de plus des
gabegies auxquelles conduit un certain volontarisme étatique75 ».
Effectivement, ce favoritisme est critiquable. Toutefois, nous avons plusieurs
exemples où les Etats-Unis et l’Angleterre76 ont fait preuve d’actions analogues
pour soutenir les entreprises (et par extension l’économie) de leurs pays. Nous
ne pensons pas que ce point puisse être considéré comme le talon d’Achille du
plan IPT.
A notre avis, l’échec de cette initiative résulterait plus du manque de
réflexion sur les usages pédagogiques en jeu. La formation n’était pas pensée
en termes d’utilisation des TICE dans la salle de classe, mais elle était centrée
sur l’apprentissage des outils. Si cette formation avait été conçue en termes
d’usages pédagogiques des outils afin de donner la possibilité aux enseignants
de les intégrer dans les pratiques d’enseignement, nous pensons que les
enseignants auraient été moins réticents à cette initiative.
Dans le déploiement de cette formation sans doute trop ambitieuse en
termes d’objectifs et manquant de concertation, Chaptal (2003) ajoute
l’absence de dispositifs d’assistance et de soutien aux enseignants ; ces
derniers ont vite abandonné à cause du manque d’un suivi technico-
pédagogigue conséquent. Par rapport à ce dernier point, le chapitre 6 sera
consacré à l’importance de la médiation humaine dans le déploiement du
projet « le français en (première) ligne ».
Enfin, on notera qu’au moment du déploiement du plan IPT en 1985, les
usages personnels des ordinateurs étaient encore presque inexistants chez le
public, notamment chez les enseignants, situation qui a profondément évolué
aujourd’hui. Le fait que le dispositif bénéficiait d’une vision large de formation
massive s’est donc heurté à la réalité des usages. De plus, l’équipement en
machines peu puissantes, le manque de logiciels éducatifs et l’encadrement
technico-pédagogique insuffisant ont contribué à l’échec de ce premier plan de
formation aux TICE des enseignants en France.
75 Tiré du site du Sénat http://www.senat.fr/ 76 C’est le cas de l’opération BBC Micro lancé en 1983 au Royaume Uni, favorisant la marque Acorn (Chaptal, 2003, p.79).
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
141
plan universitaire mais de proposer quelques éléments de discussion fondés sur
notre propre expérience et sur des discussions avec de jeunes diplômés.
La mise en parallèle de deux formations aux TICE qui se sont déroulées
à dix ans d’intervalle, dans un même département (Département de FLE de
l’Université de Thessaloniki) nous serviront d’appui. Y a-t-il une évolution des
curricula en TICE durant ces dix dernières années ? Si oui, de quelle manière se
reflètent-t-ils les objectifs de formation aux TICE ? En 1994, la formation des
étudiants en maîtrise FLE consistait en deux TD optionnels d’environ 24
heures. Le premier était sensé initier les étudiants aux logiciels de bureautique
(Word, Internet, courriel, etc.). Des compétences de base en informatique
étaient visées sans référence à leur utilisation en contexte pédagogique. Le
deuxième TD consistait en un recensement des débats théoriques autour des
TICE à l’école sans même que les étudiants aient pris connaissance des logiciels
pédagogiques existants, ni de la réalité de leur intégration en classe de langue.
Dix ans après, en 2005, une formation aux TICE de ces mêmes
étudiants en maîtrise FLE s’opère différemment. De deux TD en 1994, la
formation passe à six TD en 2005. Bien que la dichotomie entre formation
pratique et formation théorique aux TICE persiste, la formation pratique qui se
fait en salle informatique et qui concerne les quatre TD contient, outre la
formation technologique, une grande partie de formation pédagogique à l’usage
des TICE. L’évolution est évidente et, à notre sens, elle est significative du
tournant pris en faveur de la problématique des usages pédagogiques de la
part des concepteurs du curriculum universitaire en FLE.
Pourtant, l’image d’une formation longue sur six semestres et d’une
mise en avant des usages ne peut pas être généralisable à toutes les
formations pré-professionnelles. A notre avis, les savoirs technologiques des
diplômés des départements de langues présentent une grande hétérogénéité.
De manière générale, il nous semble que les formations universitaires
s’arrêtent plus ou moins au niveau de l’initiation, voire de la sensibilisation aux
TICE, sans qu’il y ait une vraie problématisation sur les pratiques nouvelles que
génèrent les TICE (Zourou, à paraître b). Ainsi, la majorité des formations
initiales aux TICE servent à susciter légèrement l’intérêt des étudiants envers
les technologies éducatives, mais cela semble en rester à un niveau
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
142
embryonnaire quant à la problématique de l’intégration des TICE aux pratiques
de classe.
De surcroît, les formations universitaires aux TICE se heurtent à la
réalité des compétences préalables des étudiants. Nous revenons ainsi à la
formation en informatique des collégiens et lycéens. Malgré le discours
politique sur la Société de l’Information en Grèce, notre sentiment est que la
formation aux TIC au collège et au lycée est loin d’être homogène pour tous, en
termes d’équipement, de personnel enseignant, de salles informatiques
disponibles, etc. Par conséquent, il revient aux établissements universitaires de
prendre en charge à la fois les compétences de base en bureautique et la
formation aux usages des TICE dans la classe de langue, tâche trop lourde en
termes de logistique et de pédagogie pour les établissements universitaires.
Après ce bref bilan sur la formation initiale des enseignants de langues,
il est certain que de grandes disparités existent en terme de compétences
informatiques parmi les nouveaux diplômés, disparités auxquelles nous nous
confronterons dans notre analyse de la formation continue. Plus
particulièrement, d’une part l’absence d’une formation spécialisante pré-
professionnelle (à l’instar des IUFM en France) qui servirait à une remise à
niveau des compétences technologiques des futurs enseignants et d’autre part
les divergences en termes de savoir-faire, résultat des formations universitaires
déployées localement sans l’existence d’un référentiel de compétences unique,
laissent entrevoir un paysage mitigé dans lequel se déroulent les actions de
formation professionnelle.
Du plan « formation des enseignants à l’utilisation des TICE » (FEUT)
Au sujet de la formation continue, le vaste plan de « formation des
enseignants à l’utilisation des TICE » conçu par le Ministère de l’Education
Nationale grec se déroule depuis 2002 avec l’appui massif du Fonds Social
Européen. L’objectif de ce plan est formulé ainsi :
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
143
La formation de 76.000 enseignants des écoles grecques du 1e et du 2e
degré à l’usage des TIC dans le but de les exploiter en classe78.
S’agit-il véritablement d’une formation à l’exploitation des TIC en
classe ? Nous y répondrons à partir de la documentation consultée en ligne sur
le site du Ministère et de l’Institut Pédagogique d’Athènes. Tout d’abord, qu’en
est-il des contenus de cette formation ? L’un des deux manuels de cette
formation79 porte exclusivement sur des notions technologiques (l’ouvrage est
composé de six chapitres) : 1e chapitre : notions en informatique, utilisation
des ordinateurs, 2e chapitre : traitement de texte, 3e chapitre : tableur, 4e
chapitre : gestion de l’information et communication, 5e chapitre :
présentations Powerpoint, 6e chapitre : logiciels éducatifs (travaux pratiques et
exemples d’utilisation ; application des TIC à l’éducation).
Il est évident que les cinq premiers chapitres visent uniquement
l’acquisition de notions en bureautique et qui plus est, de savoirs à un niveau
élémentaire. C’est dans le sixième chapitre que nous aurions espéré distinguer
une orientation vers les usages des TIC en classe. Hélas, ce n’est pas le cas.
Par exemple, dans 6.1. intitulé « travaux pratiques : application des TIC à
l’éducation », nous trouvons succinctement la liste des idées théoriques les plus
répandues quant à l’apport des TICE (l’Internet comme outil d’échanges et de
documentation, l’apport du courriel pour la mise en réseau des classes etc.). De
plus, cette partie nommée « travaux pratiques » contient une liste de logiciels
éducatifs certifiés par l’Etat pour l’utilisation en classe. En effet, la confusion est
apparente entre usages des TIC en classe (que le titre du chapitre laisse
présager) et inventaire des ressources mises à disposition des enseignants. Le
second manuel est aussi orienté vers la transmission de savoirs
technologiques80.
En ce qui concerne l’exploitation des TICE pour les langues étrangères, il
existe quelques indications d’activités à partir d’un (seul) cédérom appelé 78 C’est nous qui soulignons. Passage tiré du site officiel http://www.de.sch.gr/epimorfosi/ (en grec). 79 Tiré de Papadakis, S. et Hatziperis, N. Compétences de base en TIC. Notre traduction avec des légères modifications. Disponible en ligne : http://www.pi-schools.gr/programs/ktp/yliko.html#book2 80 Document téléchargeable sur http://www.pi-schools.gr/programs/ktp/yliko.html
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
144
Xenios81, activités qui sont proposées par des professeurs de langue. Malgré la
bonne volonté des enseignants du terrain, nous regrettons que la formation
méthodologique relative à la pédagogie des TICE en classe de langue n’ait pas
été véritablement prise en compte par les concepteurs du plan de formation.
On ajoutera deux commentaires par rapport aux contenus pédagogiques
de la formation. Premièrement, les deux ouvrages d’auteurs pourtant différents
proposent indistinctement le même titre à savoir « Compétences de base en
TIC »82. Dans la mesure où ils sont loin d’être complémentaires, nous nous
posons une question quant à l’intérêt de cette double publication.
Deuxièmement, ces deux ouvrages très volumineux (le premier comporte
environ 510 pages et le deuxième 430), distribués gratuitement à tous les
enseignants, ne comportent que des savoirs élémentaires en bureautique.
Par conséquent, il ne s’agit pas de savoirs sur mesure qui tiendraient
compte des particularités du groupe cible mais, au contraire, de notions
générales pour tout utilisateur néophyte. Sans vouloir juger la gestion du
dispositif sur le plan de l’ingénierie de la formation, nous pensons que les
concepteurs ont donné plus d’importance à la création de contenus (qui, de
plus, préexistaient en abondance) qu’à la problématisation autour de la
méthodologie pédagogique en TICE.
Pour conclure, en se focalisant (trop) sur les aspects technologiques au
détriment des savoir-faire et de la contextualisation des apprentissages, la
problématique sur les usages des TIC à l’école a été mise à l’écart. Il va sans
dire que ce plan de formation très coûteux et centré sur les ordinateurs en tant
qu’outils et non en tant qu’instruments pédagogiques, a été couplé à un plan
national d’équipements technologiques qui n’a pas lui non plus retenu
l’attention de l’Etat sur la manière de les intégrer concrètement dans les
pratiques de classe.
Si nous retournons à l’objectif de ce plan de formation tel qu’il a été
formulé par les concepteurs (cf. supra), nous regrettons que les mots
« usage » et « exploitation en classe » ne se reflètent pas dans les contenus de
cette formation. De plus, seulement six heures sont consacrées aux questions
d’intégration des technologies en classe, horaire qui nous paraît assez restreint 81 http://xenios.cti.gr 82 Disponibles en ligne sur http://www.pi-schools.gr/programs/ktp/yliko.html
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
150
tutrice de la même université84. L’objectif d’apprentissage pour les étudiants-
futurs enseignants- appartenant à ces institutions était principalement de
collaborer à distance au sein des groupes composés de personnes de même
statut mais d’universités différentes autour d’une thématique relative aux
TICE ; cette collaboration visait une production commune, qu’il s’agisse d’une
analyse critique d’usages existants ou bien de la création d’un nouvel usage. Ce
type de travail collaboratif en ligne entre futurs enseignants d’universités
différentes en Belgique, en Suisse et en France a constitué un élément
organisationnel innovant qui se distingue clairement des autres formations
expérimentales en TICE, développées localement et visant explicitement la
remise à niveau des compétences technologiques des participants.
De son côté, le module « FLE et TICE » de la maîtrise FLE de l’Université
de Grenoble III et du CNED se déroule entièrement en ligne (Dejean et
Mangenot à paraître b, Mangenot 2003) : il s’agit de former à distance de
futurs enseignants de FLE à l’usage des technologies éducatives sur une
période de six mois. Ce module, qui correspond aux huit chapitres d'un cours
papier édité par le CNED, est organisé autour de tâches (de deux à quatre
tâches sont proposées toutes les trois semaines). Ces tâches, dont le produit
est socialisé sur le forum commun, sont commentés par le(s) tuteur(s) et sont
prises en compte pour l’évaluation finale.
A notre avis, l’avantage pédagogique majeur de cette formation est,
outre l’objectif de rendre les étudiants capables de réfléchir et d’analyser des
produits pédagogiques multimédias, la conception par les étudiants de
scénarios intégrant les TICE. Les étudiants – qui sont souvent déjà en situation
d’enseignement - se mettent ainsi dans la position de créer eux-mêmes des
matériels multimédias pour la classe de langue : cet objectif leur permet de se
confronter à la problématique de la production de ressources selon une
perspective à la fois située et partagée (grâce à la mutualisation permise par
le travail sur forum).
Il va sans dire que les différents dispositifs de formation initiale ci-
dessus présentent des divergences à tous les niveaux : pédagogique,
84 En 2003-2004 nous avons participé au dispositif en tant que tutrice d’un groupe composé de cinq étudiants, deux provenant de Genève, un de Liège et un de Louvain.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
151
méthodologique, technologique, institutionnel, même socio-affectif. Deux
explications sont possibles. Premièrement, ces dispositifs se développent au
sein de structures universitaires préexistantes mais fort différentes entre elles.
Deuxièmement, les compétences visées pour les enseignants de langue
divergent selon le dispositif : toujours en fonction de la maîtrise des outils
technologiques, la priorité est donnée à la pédagogie, à la technologie ou à la
didactique de la matière enseignée.
Cependant, malgré leurs divergences, il nous semble que nous pourrions
relever quatre caractéristiques communes aux dispositifs de formation initiale
ci-dessus :
• la souplesse de gestion et d’organisation,
• le caractère davantage situé,
• la mutualisation des apprentissages et
• la mise en œuvre d’un processus coproduit par les acteurs du dispositif
(apprenants et formateurs).
Ces éléments apparaissent à un degré variable dans les quatre
dispositifs examinés plus haut. En effet, chaque dispositif met l’accent sur une
ou plusieurs de ces caractéristiques. Par exemple, l’expérimentation en anglais
à l’IUFM de Paris semble se doter d’une souplesse de gestion et d’organisation
liée à l’adaptation d’un dispositif innovant dans une structure traditionnelle.
Dans le projet de l’Université d’Iowa, la caractéristique innovante principale
vient de la réponse aux besoins d’une plus grande spécialisation et par
conséquent l’attention plus grande à la réalité des compétences
professionnelles dont un futur enseignant doit disposer à la fin de la formation.
Le projet Learn-Nett se caractérise par la mutualisation et la co-
production des apprentissages, notamment à travers la mise en réseau des
apprenants formés à distance, pour la réalisation de tâches collectives. La
fonction principale d’un tuteur Learn-Nett est donc d’accompagner le groupe
des étudiants dans leur travail collaboratif à distance. Le dispositif « FLE et
TICE » vise moins à mettre en place une démarche collaborative en ligne qu’à
susciter des réflexions partagées et à impliquer les étudiants dans la production
de ressources multimédias dans une perspective de construction active.
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
152
Conclusions réflexives sur les quatre actions de formation
Pour conclure, tandis que les dispositifs de formation des futurs
enseignants aux TICE évoqués plus haut sont ancrés dans des contextes de
formation répondant à des besoins spécifiques, ils laissent entrevoir la volonté
de rompre avec une vision prescrite, décontextualisée, dissociée de la réalité
du terrain d’application des savoirs. Les quatre caractéristiques communes aux
formations initiales et pré-professionnelles en TICE que nous avons relevées
esquissent ce changement. Un premier élément de ce changement est relatif à
l’approche située : les étudiants, dans le cadre des formations aux TIC, sont
amenés à créer des ressources ou outils didactiques tout en développant leurs
compétences technologiques.
La formation au multimédia se concrétise donc à travers une pratique
technico-pédagogique, élément dont nous avons regretté l’absence dans la
mise en place des formations professionnelles pour des enseignants. Dans ce
dernier type de formations (plans IPT et FEUT, notamment), la maîtrise
technologique est perçue comme indépendante des pratiques de classe, elle est
donc décontextualisée des pratiques pédagogiques. Les enseignants sont alors
souvent obligés d’utiliser des outils et des ressources technologiques imposés,
par rapport auxquels ils ont peu de chances de développer des pratiques
pédagogiques.
Dans des contextes traditionnels de formation, cette absence de « mise
en œuvre d’un processus coproduit par les acteurs du dispositif », qui est
présente dans les dispositifs universitaires, empêche souvent les enseignants
de se sentir concernés par le processus d’intégration pédagogique. Ceci rejoint
l’avis de Chaptal qui, en reprenant Cuban, fustige « les directives d’innovation
non négociées » qui sous-tendent les plans massifs de formation continue des
enseignants. Pour Chaptal, « innover suppose que les acteurs soient prêts à
donner le meilleur d’eux-mêmes, ce qui implique d’abord que l’on prenne en
compte leurs situation présente, leurs difficultés et qu’on les mobilise autour
d’un projet collectif dans lequel ils se reconnaissent » (2003, p. 95)
A l’inverse, il convient de noter que les quatre dispositifs rapidement
analysés laissent entrevoir un changement dans la conception de dispositifs
pré-professionnels, visant à impliquer les participants dans l’élaboration des
3ème chapitre : formation des enseignants aux TICE : état des lieux
153
connaissances partagées. Cet objectif va de pair avec la volonté d’engager les
futurs enseignants dans des tâches signifiantes qui nécessitent souvent la
confrontation des idées dans une démarche collective, mettant en place donc
une pédagogie du projet, comme c’est le cas du dispositif Learn-Nett et du
« français en (première) ligne » analysé plus loin.
On ajoutera également le parti pris pour une démarche constructiviste
de transformation des savoirs, favorisée par la mise en commun des ressources
construites collectivement, qui se distingue d’une démarche traditionnelle
d’accumulation des connaissances. Nous retrouvons cette dimension de
démarche active dans le dispositif Learn-Nett et à un degré plus faible, dans la
formation FLE et TICE. Un autre élément fondamental qui nous semble
commun aux quatre dispositifs universitaires mentionnés plus haut est
l’importance d’un fort accompagnement pédagogique tout au long du
déroulement des formations, d’une médiation donc renforcée que nous
retrouverons lors de l’analyse de notre dispositif.
Nous garderons à l’esprit ces réflexions sur l’état des lieux des
formations innovantes adressées à de futurs enseignants lorsque nous
examinerons le dispositif expérimental qui va maintenant être décrit.
154
Chapitre 4
Objet de la recherche et
démarche méthodologique
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
155
Les pratiques doivent être saisies comme des phénomènes de signification
dans les lieux sociaux spécifiques
(Van der Maren 1999, p. 32).
Introduction
Après avoir présenté la nature et les objectifs du projet expérimental
pluriannuel « le français en (première) ligne » (4.1.), nous nous pencherons sur
la description de son déroulement en 2002-2003, année sur laquelle porte notre
étude (4.2.). L’organisation du dispositif, le contexte d’implantation, les fonctions
des acteurs et les ressources humaines et matérielles seront détaillées. Ensuite,
nous décrirons notre stratégie méthodologique en fonction du cadre conceptuel
(4.3.). Nous clôturerons ce chapitre par un aperçu des outils méthodologiques et
des types de données analysées.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
156
4.1. Οbjet de la recherche : le projet « le français en
(première) ligne »
La présentation du projet expérimental sera abordée sous deux angles :
une perspective diachronique sur le déploiement du projet sur trois ans et une
perspective synchronique sur le déroulement en 2002-2003. Cette description
servira de guide avant de passer à l’analyse de la période qui nous intéresse le
plus : le premier semestre de l’expérimentation 2002-2003. Le développement
sera étayé par des schémas et tableaux synoptiques dont la fonction est d’aider à
l’illustration et à la conceptualisation du dispositif dans son ensemble.
4.1.1. La nature du projet : une recherche-action en DDL
De manière assez ferme, les concepteurs du dispositif adoptent dès son
lancement, la démarche de la recherche-action en didactique des langues. Cette
démarche est significative, à notre avis, de la nature du projet. Le fait de se
positionner dans le champ de la recherche-action ouvre sur une perspective
d’analyse et d’intervention sur les pratiques de formation de futurs enseignants
de langue. Comme le souligne Rézeau (2001, p. 3), « si l’on compare les buts de
la recherche fondamentale et ceux de la recherche-action, on voit que la
première cherche à produire des connaissances tandis que la seconde vise à
améliorer une situation ou une pratique ». Ainsi, dès la première ligne du
descriptif du projet nous lisons :
« Cette recherche-action, initiée en 2002, consiste à… 85»
D’emblée, il s’agit d’un projet visant à développer et à améliorer une
situation d’enseignement/apprentissage préexistante. La finalité du projet, et
cela nous semble important de le souligner dès le début, est donc
essentiellement praxéologique. Ce terme désigne pour nous, à l’instar de Dufays
85 Toutes les citations ont été consultées sur le site du projet http://www.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne/
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
157
et al. (2001), non seulement une recherche dont l’objet est la pratique
enseignante, mais une recherche qui vise, par sa démarche, à transformer cette
pratique.
4.1.2. Objectifs du projet sous l’angle de l’ingénierie de
formation
Dans la bibliographie relative au domaine de la formation ouverte et à
distance (FOAD), fréquente est la distinction entre ingénierie de formation et
ingénierie pédagogique. Selon cette approche, l’ingénierie de la formation vise
l’élaboration de la stratégie de formation et, d’après Choplin et ses collègues
(2002), le ralliement « des deux mondes », à savoir le monde de la conception
d’un dispositif et celui de sa mise en œuvre. Les choix technologiques, la
sélection et la mise en ouvre des outils d’échanges entre acteurs sont des tâches
qui sont prises en charge par les ingénieurs de formation.
Le pôle de l’ingénierie pédagogique, toujours essentiel et complémentaire
au pôle de l’ingénierie de la formation, concerne plutôt la structuration des
actions de formation, la conception du scénario et des ressources pédagogiques.
A ces tâches s’ajoute la mise en place des démarches qui facilitent les échanges
entre enseignants et apprenants. Nous examinerons le dispositif tout d’abord
sous l’angle de l’ingénierie de formation, ensuite sur le plan des objectifs
pédagogiques. Nous distinguerons ces deux niveaux d’ingénierie pour spécifier
aussi les fonctions des acteurs de la formation (p. 164).
Selon les concepteurs, le projet « le français en (première) ligne a un
double objectif :
[la] création puis [le] tutorat d’activités multimédias pour des apprenants
distants (…) Cette recherche-action consiste d’une part à faire réaliser par
des étudiants en master de français langue étrangère des tâches
multimédias pour des apprenants australiens, d’autre part à susciter des
échanges en ligne entre les deux publics autour de ces tâches.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
158
Plus particulièrement, le projet a pour vocation de faire créer par des
étudiants en maîtrise de FLE en France des ressources multimédias sur Internet
pour des étudiants australiens, apprenants en français86. Après ce premier
semestre de création multimédia par le groupe français, le deuxième semestre
sert à mettre en contact les deux groupes distants : les étudiants français
interviennent dans le cadre d’un tutorat proposé aux apprenants australiens
quand ces derniers utilisent ces ressources à distance (cf. tableau 5, p. 159).
Au-delà de cet objectif, quel serait l’apport original du projet ? Selon
Choplin et al. (2002), le véritable potentiel d’un dispositif FOAD est d'associer le
déploiement de cette formation à une valeur ajoutée spécifique. D’après les
concepteurs du projet, la valeur ajoutée du projet se décline sur plusieurs plans.
Sur le plan pédagogique :
• Pour les apprenants australiens : être en contact avec des Français natifs,
lier l’apprentissage de la langue à une communication authentique, effectuer des
tâches comportant une dimension culturelle authentique. Rendre ainsi la France
un peu moins lointaine pour ce public.
• Pour les étudiants français : pratiquer la pédagogie du FLE, concevoir des
tâches contextualisées pour un public précis et réfléchir aux enjeux de
l’accompagnement pédagogique à distance.
Sur le plan de l’ingénierie de la formation :
• Réaliser une formation aux TICE centrée sur les apprentissages collaboratifs
et mixtes (en classe et à distance) où le rôle des enseignants est de faciliter le
travail de groupes.
• Rendre les futurs enseignants de langues sensibles aux enjeux culturels liés
à la conception des tâches multimédias.
• Créer un environnement de production multimédia pour les étudiants
français qui se rapproche le plus possible des exigences réelles de leur future
profession. Par conséquent, adopter une approche située et contextualisée des
apprentissages (situated learning). 86 Afin d’éviter tout malentendu, nous utilisons désormais le terme « étudiants » pour les futurs enseignants français qui ont suivi le module NTE en maîtrise FLE à Besançon. Les Australiens, étudiants eux aussi, seront mentionnés comme « apprenants ».
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
159
Sur le plan de la recherche, notamment pour les chercheurs en sciences du
langage et en didactique des langues :
• Etudier les formes de communication liées aux TICE.
• Analyser les interactions verbales entre les différents acteurs du dispositif.
Si les objectifs de formation semblent être identiques pendant les quatre
années consécutives, les objectifs pédagogiques varient d’année en année,
notamment en fonction du contexte institutionnel, humain et matériel (cf.
tableau 7, p. 162). Notre analyse se concentre sur la première année de la mise
en place du dispositif, 2002-2003.
4.1.3. Etapes du projet et rôles des partenaires
La recherche-action « Le français en (première) ligne » a vu le jour pour la
première fois en 2002-2003, à l’initiative de Christine Develotte, Visiting Lecturer
à l’Université de Sydney à l’époque. Elle a été reconduite en 2003-2004 et en
2004-2005 pour se poursuivre en 2005-2006. Le projet se déroule en 2 phases :
1er semestre
2e semestre
Les étudiants français de maîtrise ou
master FLE (Besançon ou Grenoble)
réalisent des activités multimédias
dans le cadre de cours universitaires
portant sur l’utilisation des TICE.
Les tâches multimédias sont mises
en ligne sur un site web pour
faciliter l’accès a consultation par les
Australiens.
Les apprenants australiens qui suivent
des cours de langue à l’université de
Sydney ou de Melbourne sont tutorés
en ligne par les étudiants français lors
de la réalisation des activités.
Les échanges se réalisent via une
plateforme de formation en ligne.
(Tableau 5 : les deux phases du projet)
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
160
Le partenariat et ses fonctions
Le tableau ci-dessous présente sommairement les acteurs et leurs fonctions lors
du déroulement du dispositif sur trois ans. Pour une description détaillée des
fonctions des acteurs du dispositif pour l’année 2002-2003 voir tableau 9, p. 165.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
161
(Tableau 6 : le partenariat et les fonctions des acteurs)
Pour 2002-2003 et 2003-2004 : • Conception et mise en œuvre du dispositif global (assurées par l’enseignant) • Organisation de la formation et suivi technico-pédagogique des étudiants français –concepteurs multimédia
Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines (ENS-LSH), Lyon
1 enseignante-chercheur Tout au long du déroulement du projet : • conception du dispositif (en collaboration avec l’enseignant de Besançon) • Suivi du tutorat en ligne sans intervenir
Université Stendhal Grenoble III
1 enseignant Pour 2004-2005 : • Conception et mise en œuvre du dispositif (assurées par l’enseignant) • Organisation de la formation hybride et suivi technico-pédagogique des étudiants français
Université Monash, Melbourne
1 enseignant
Pour 2003-2004 et 2004-2005 : • Accompagnement des étudiants français lors de la création des activités multimédias • Suivi des apprenants australiens sur place et en ligne
Université de Sydney
1 enseignante-chercheur (2002-2003) 1 enseignante
Pour 2002-2003 et 2003-2004 : • Assistance à la conception du dispositif • Accompagnement des étudiants français lors de la création des activités multimédias • Suivi des apprenants australiens sur place et en ligne
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
162
4.1.4. Aperçu du projet sur trois ans
Le tableau suivant présente une vue globale du projet sur trois ans87. Les
modalités du fonctionnement de la première année 2002-2003 suivront dans 4.2.
2002-2003 2003-2004 2004-2005
Concepteurs du
dispositif de
formation
Université de
Franche-Comté
et ENS-LSH
idem. Université de
Grenoble et ENS-
LSH
concepteurs
des activités
multimédias
16 étudiants de
l’Université de
Franche-Comté
idem. 14 étudiants de
l’Université de
Grenoble
Tuteurs
français en
ligne
12 étudiants
(Université de
Franche-Comté)
16 étudiants
(Université de
Franche-Comté)
4 étudiants
(Université de
Grenoble)
Groupe cible 20 étudiants de
l’Université de
Sydney
21 étudiants de
l’Université de
Sydney et de
Melbourne
35 étudiants de
l’Université de
Melbourne
Niveau
langagier des
apprenants
débutants et
faux-débutants
Intermédiaires Avancés
Guidage technico-
pédagogique pour les
concepteurs multimédia (1er
semestre)
sur place et en
ligne par deux
enseignants de
Franche-Comté
sur place et en
ligne par 3
enseignants : 1 de
Franche-Comté, 1
de Sydney et 1 de
Melbourne
sur place et en
ligne par un
enseignant de
Franche-Comté
et un enseignant
de Melbourne
Echanges entre tuteurs et
apprenants via :
WebCT QuickPlace Dokéos
(Tableau 7 : aperçu du projet sur trois ans)
87 Le projet se poursuit en 2005-2006 avec des partenaires différents (North Virginia Community College (USA) et Université de Léon (Espagne)et selon un rythme différent (sur un semestre).
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
163
4.2. Le cœur de notre analyse : déroulement du
dispositif en 2002-2003
Notre analyse s’appuie sur la mise en place du projet pendant la première
année (2002-2003), et notamment sur le premier semestre88. Nous nous
concentrerons donc sur la formation des étudiants français à la conception des
ressources multimédias pour un public précis. Le second semestre des
interactions franco-australiennes sera examiné sous l’angle de son apport à la
formation des étudiants français (6.3, p. 269).
4.2.1. Organisation du dispositif
Nous désignerons sous l’appellation d’« étudiants français » le groupe
entier d’étudiants ayant suivi la formation à Besançon, même si tous n’étaient
pas d’origine française. Nous appellerons « étudiants australiens » l’ensemble
des apprenants ayant participé à la formation à Sydney. Nous reviendrons sur
l’importance que nous accordons à la distinction entre étudiants français et
étrangers quand nous aborderons les aspects interculturels de la formation
(5.3.).
Voici ci-dessous un aperçu du cadre général du projet tel qu’il s’est déroulé
en 2002-2003.
Formation à Besançon Formation à Sydney
Type de
formation
Formation hybride,
majoritairement en
présentiel
Formation hybride,
majoritairement en
présentiel
Participants 16 étudiants en maîtrise
FLE 20 étudiants de disciplines
différentes à l’université de
Sydney, débutants et faux-
88 Cette partie s’inspire des recherches antérieures au sein de l’équipe scientifique effectuées par Mangenot (2005), Develotte, Mangenot et Zourou (2005), Zourou (2003).
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
164
débutants en français
Organisation de
la formation
13 séances présentielles de
2h, et 10 séances
d’accompagnement
supplémentaires.
Travail à distance via la
plate-forme Quickplace
15 séances présentielles
Travail à distance via la
plate-forme WebCT
Contexte
d’implantation
Module universitaire de 26h
« analyse et intégration
multimédia »
Cours de langue niveau
débutant à l’Université
Suivi
pédagogique
1 enseignant
1 assistante
occasionnellement deux
tuteurs technologiques
Une enseignante-chercheur
(Tableau 8 : organisation du dispositif en 2002-2003)
4.2.2. Fonctions des acteurs de la formation
Les tableaux suivants récapitulent les fonctions des acteurs de la
formation. Compte tenu de leurs fonctions différentes au premier et au second
semestre, nous avons choisi de les présenter dans deux tableaux distincts.
Toutefois, la réalisation du dispositif a nécessité des modifications sur le plan de
l’encadrement pédagogique que nous développerons en détail dans 6.2.1.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
165
Premier semestre
Etablis-
sement
Acteurs Fonctions
1 enseignant
Plan de l’ingénierie de formation
(en collaboration avec l’enseignante-chercheur à l’ENS-
LSH) :
• Conception et mise en œuvre du dispositif,
détermination des objectifs de formation
• Elaboration du projet pédagogique (choix de la démarche
pédagogique
• Fonction de responsable de la formation
• Choix des ressources humaines
• Choix du matériel informatique
• Recherche et administration des fonds
• Gestion des coûts de la formation (vacations, achat du
matériel, etc.)
• Décisions sur les réadaptations du dispositif en cours de
route (en fonction des apprenants, des objectifs, du contexte
etc.)
• Evaluation du dispositif et décisions sur sa poursuite
Plan de l’ingénierie pédagogique
• Coordination des acteurs (étudiants et assistante)
• Conception du scénario pédagogique
• Gestion et mise à jour de la plate-forme QuickPlace
(ouverture des comptes, validation des droits d’accès en
fonction de chaque utilisateur, aide à la mise en œuvre de la
plateforme etc.)
• Suivi de la formation sur place et en ligne
• Evaluation des savoir-faire
• Accompagnement technico-pédagogique
• Mise en ligne des activités multimédias après la fin de la
formation
Univ
ersi
té d
e Fr
anch
e-Com
té
1 assistante
Plan de l’ingénierie pédagogique
• Suivi de la formation sur place et à distance
• Aide à la mise en œuvre du dispositif
• Accompagnement technico-pédagogique
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
166
EN
S-L
SH
Lyon 1
enseignante
-chercheur
• Décisions sur le plan de l’ingénierie de formation, en
collaboration avec l’enseignant de l’Université de Franche-
Comté (voir plus haut)
Univ
. de
Syd
ney
1
enseignante
• Assistance à la conception du dispositif et à la
détermination des objectifs de formation, notamment pour le
groupe australien
Deuxième semestre
Etablis-
sement
Acteurs Fonctions
1 enseignant
Plan de l’ingénierie de formation
(en collaboration avec l’enseignante-chercheur à l’ENS-
LSH) :
• Détermination des objectifs de formation des tuteurs en
ligne
Plan de l’ingénierie pédagogique
• Organisation des groupes de tuteurs en ligne
• Organisation des séances de tutorat
• Suivi de la formation sur place et en ligne
• Accompagnement technico-pédagogique des tuteurs
Univ
ersi
té d
e Fr
anch
e-Com
té
1 assistante Plan de l’ingénierie pédagogique
• Suivi de la formation en ligne sans intervention
• Rédaction des bilans de progression
EN
S-L
SH
Lyon
1
enseignante
-chercheur
• Détermination des objectifs de formation des tuteurs en
ligne (en collaboration avec l’enseignant de l’Université de
Franche-Comté (voir plus haut)
• Suivi de la formation en ligne sans intervention
Univ
. de
Syd
ney
1
enseignante
• Prise en charge des cours de langue en présentiel
• Gestion de la plate-forme WebCT
• Suivi de la formation en ligne
• Evaluation des compétences en langue des Australiens
(Tableau 9 : fonctions des acteurs de la formation en 2002-2003)
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
167
4.2.3. Premier semestre : objectifs et contexte d’implantation
Parmi les différents modules de la maîtrise FLE à l’université de Franche-
Comté, le module « Analyse et intégration de matériel multimédia » constituait
une unité d’enseignement de 26 heures, bien avant la mise en place du
dispositif. Ce module avait pour but de familiariser les étudiants avec l’analyse et
la création d’activités multimédias pour l’enseignement du français. Les activités
créées par les étudiants faisaient l’objet d’une évaluation sommative. Il est donc
légitime de penser que ces activités étaient conçues dans l’absolu, sans
interaction avec un public potentiel qui aurait pu s’en servir, par exemple des
apprenants en français langue étrangère.
Or, avec la mise en place du dispositif, la production multimédia a pris un
tout autre sens. Les concepteurs du dispositif ont fait l’hypothèse que, les
apprenants devenant alors les destinataires de ce dispositif, le contact créerait un
environnement de production bien plus riche et ancré dans la réalité. Les
apprenants ciblés, loin d’être fictifs ou simulés comme c’était le cas auparavant,
étaient incarnés (littéralement) par de jeunes étudiants australiens débutants de
l’université de Sydney, débutants en français. Ces apprenants suivaient des cours
de langue en présentiel à l’Université. Les activités des Français d’une part, et
leur contact (capital, de notre point de vue) avec des natifs d’autre part, allaient
constituer, selon les concepteurs du dispositif eux-mêmes, une valeur ajoutée
pour leur propre apprentissage en classe.
Par conséquent, les objectifs pédagogiques pour le premier semestre
avaient pour visées d’une part de former et sensibiliser les étudiants du FLE à la
conception de ressources numériques pour l’enseignement du FLE et d’autre part
de réaliser des activités multimédias pour un public bien identifié. Le concept
initial de ce module est demeuré intact : une problématisation concernant les
potentialités des outils multimédias pour de futurs enseignants du FLE en classe
de langue.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
168
4.2.4. Organisation du travail et calendrier
Le groupe de seize étudiants se retrouvait au complet lors d’une séance
hebdomadaire obligatoire de cours (deux heures, considérées comme des
« travaux dirigés » ou TD), dans une salle informatique équipée de dix
ordinateurs. L’essentiel de la formation s’est déroulé selon un dispositif de travail
par dyades : huit dyades se sont constituées librement et ont travaillé
conjointement à la réalisation d’une partie des ressources. Dans tous les cas, les
étudiants étaient libres de se déplacer dans la salle, des échanges entre les
dyades pouvaient donc avoir lieu. A la fin du semestre, chaque dyade a présenté
le fruit de son travail à l’ensemble du groupe à l’aide d’un vidéo-projecteur ;
cette présentation était organisée comme une soutenance, à la suite de laquelle
une note a été attribuée à chaque dyade. Nous décrivons ci-après le déroulement
de la formation en fonction du suivi pédagogique que nous décrirons en détail
dans la section 6.2.
Semaine 1
Semaine 2
Semaine 3-8
Semaine 9-13
Evaluation
Progres-sion de la formation
-mise en route
du dispositif
-organisation
des dyades
-Choix sur les
unités de
Tempo
- début de la
création
multimédia
-début du
travail sur la
plate-forme
Suite de la formation
présentation
des activités
par chaque
dyade et
évaluation.
Accompa-gnement pédagogi-que
Suivi
standard
Suivi
standard
Nouveau
modèle d’en-
cadrement
mis en place
Accompa-
gnement
poussé « à
l’extrême »
_______
Heures de suivi par semaine
2 heures
2 heures
4 heures
7 heures
2 heures
(Tableau 10 : calendrier des séances, premier semestre 2002-2003)
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
169
4.2.5. Consignes pédagogiques
Deux consignes ont été données au début du semestre :
• Réaliser, par dyade, au moins une activité autocorrective et une tâche
ouverte destinées à faire pratiquer le français.
• Prendre en compte, dans une perspective interculturelle, les dimensions
culturelles de la Franche-Comté (ou d’autres régions) dans la création multimédia.
Ces consignes devaient s’adapter au matériel pédagogique employé dans
le curriculum australien. Les étudiants australiens se servaient du manuel Tempo
1 (Didier) et abordaient une nouvelle unité de ce manuel toutes les deux
semaines. Les différentes dyades se sont donc réparti les unités, ce qui
constituait une manière coopérative (division des tâches) d’organiser le travail du
groupe. Ainsi, la création multimédia a pris en compte les consignes et les
contenus linguistiques abordés par le manuel Tempo.
4.2.6. Profil des participants à la formation
Seize étudiants, quinze femmes et un homme, âgés de 20 à 45 ans ont
suivi la formation proposée. Il s’agit d’un public majoritairement de formation
initiale, à l’exception de deux étudiants en formation continue, Laura et
Alphonse. Quatre d’entre eux étaient étrangers, une Polonaise, un Malawien, une
Malaisienne et une Soudanaise. Par ailleurs, une étudiante, Aurélie, a dû
interrompre la formation pour raisons personnelles ; nous examinerons plus loin
l’impact que cet abandon a eu sur le travail de sa dyade (7.2.5.)
Tous les noms des acteurs sont fictifs afin de préserver leur anonymat.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
170
Nom Initia-
les
Nationalité Expérience
dans l’ensei-
gnement
Âge Sexe Savoir-faire
technolo
giques89
Disposant
un ordina-
teur
Apparte-
nant à la
dyade :
Ayant
travaillé sur
l’unité :
Candice Ca Française (FR) ~ 6 mois 21-24 F Οui Oui A 3
Αline Al FR Non 25-30 F Non Oui A 3
Karola Ka Polonaise Non 21-24 F Non Non B 6b
Sonia Sn FR Non 21-24 F Non Non B 6b
Sophie So FR > 3 mois 21-24 F Non Non C 1
Laura La Malaisienne ~ 4 ans 30-35 F Oui Non C 1
Christèle Ch FR Non 21-24 F Oui Oui D 5
Aziza Az FR Non 21-24 F Non Oui D 5
Viviane Vi FR Non 21-24 F Oui Oui E 4
Sylvie Sy FR Non 21-24 F Non Oui E 4
Bettina Be FR Non 21-24 F Oui Oui F 1 et 5
Aurélie Au FR Non 21-24 F Non Non F ---
Alphonse Alph Malawien ~ 4 ans 35-40 H Non Non G (Halloween)
Saëda Sa Soudanaise Non 25-30 F Non Non G (Halloween)
Claire Cl FR Non 21-24 F Oui Non H 6a
Nathalie Na FR ~ 8 ans 35-40 F Non Oui H 6a
(Tableau 11 : profil des participants à la formation)
89 Cf. section 4.2.1.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
171
4.2.7. Ressources humaines
Comme le curriculum de la maîtrise FLE le prévoyait, le module « Analyse
et intégration de matériel multimédia » correspondait à une unité d’enseignement
de 26 heures de travaux dirigés qui se sont déroulés en 13 séances de deux
heures, d’octobre 2002 à janvier 2003. Tel qu’il était prévu avant l’implantation
du dispositif, le module était assuré par l’enseignant et ne comprenait pas d’autre
type d’accompagnement des étudiants. Toutefois, même si le nouveau dispositif
nécessitait un encadrement renforcé, il était impossible d’augmenter les heures
de travaux dirigés, en d’autres termes de passer à un module de 25 à 50 heures
encadré par le professeur, M. Mauriac.
Le développement de ce dispositif a donc exigé un supplément de
ressources humaines. Par conséquent, l’appel à une deuxième personne-
ressource qui assisterait les étudiants dans l’élaboration de leurs activités pendant
les heures de cours a été considéré comme indispensable. Chistina, l’assistante,
ayant le statut de doctorante au département de FLE a pris en charge les heures
d’encadrement supplémentaire. Par ailleurs, en fin de projet, il s’est avéré
nécessaire de prendre Bernard comme troisième personne-ressource. Dans la
partie 6.2.1. nous exposerons en détail les ajustements auxquels les concepteurs
du dispositif ont procédé dans le but de compenser les demandes
d’accompagnement devenues très fortes au cours de la réalisation du projet90. Le
tableau ci-dessous esquisse à grands traits la fonction des acteurs ayant assuré
l’encadrement du projet. Nous développerons les modalités du suivi dans 6.2.
90Pour plus de clarté, nous désignerons sous le terme « enseignants » le professeur et l’assistante tout en étant consciente de la différence de leur statut et de leur rôle joué dans le dispositif.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
172
(Tableau 12 : encadrement de la formation en 2002-2003)
4.2.8. Moyens techniques
Les seize étudiants travaillaient en salle multimédia équipée de 10
ordinateurs reliés en réseau local et en réseau Internet à haut débit. Les
machines étaient équipées de processeurs Pentium 4 avec des outils bureautiques
qui suffisaient aux exigences du travail demandé (MSN Office 2000, Internet
Explorer 5, Adobe Acrobat Reader 5.0, le générateur d’exercices Hot Potatoes
et MSN Paint). En somme, le matériel informatique (hardware et périphériques)
que les étudiants et les enseignants avaient à leur disposition était composé de :
• 10 machines Pentium 4 à 2 GHz connectées sur Internet à haut débit
• 10 casques (écouteur + micro) pour chaque machine
• 1 scanner
• 1 appareil photo numérique
• 1 imprimante laser
• 1 enregistreur son numérique
91 Prénom fictif. 92 Idem.
Nom Fonction Statut Tâches
François
Mangenot
Enseignant Enseignant-
chercheur
Suivi permanent
(cf. tableau 9)
Katerina
Zourou
Assistante Doctorante et
étudiante en DESS
Suivi permanent
(cf. tableau 9)
Bernard91 Tuteur
technologique
Etudiant en DESS Accompagnement des
dyades après la 9e
semaine
Claude92 Tutrice
technologique
Etudiante en DESS Accompagnement des
dyades après la 9e
semaine
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
173
L’outil technologique de mise en commun
En outre, un espace de travail collectif à distance (plate-forme, collecticiel
ou LMS, Learning Management System) avait été prévu pour la publication des
travaux au fur et à mesure de leur élaboration, pour la communication entre
apprenants, également pour faciliter le travail des étudiants en dehors des cours
et en tant qu’espace de sauvegarde des travaux effectués. Le choix de la plate-
forme a été conditionné par le cadre institutionnel dans lequel le dispositif s’est
déroulé. A cet égard, l’Université de Franche-Comté détenait les droits
d’utilisation de la plate-forme WebCT et de Lotus QuickPlace. La conception d’une
plate-forme sur mesure n’était pas envisageable : d’une part, les besoins
pouvaient être suffisamment satisfaits par les deux plates-formes mentionnées ci-
dessus et, d’autre part, parce que les sources de financement ne le permettaient
pas.
Entre les deux outils proposés, les concepteurs ont opté pour Lotus
QuickPlace, et ceci pour deux raisons. La première en est que les étudiants
maîtrisaient l’outil bien avant l’implantation du projet, notamment dans le cadre
d’autres enseignements universitaires ; ceci pouvant se traduire par un gain de
temps considérable pour la prise en main de l’outil. Par ailleurs, cette plate-forme
permettait de créer des salles de travail pour chaque binôme et de donner libre
accès à toutes les salles pour tous les participants. A ce propos, l’attribution des
accès était une procédure beaucoup plus complexe sur WebCT que sur
QuickPlace. Nous reviendrons sur le rôle de l’instrumentation de la plate-forme
dans le chapitre 6.
4.2.9. Estimation des coûts de la formation
Déterminer les coûts de développement et de mise en œuvre d’une
formation fait incontestablement partie de la conception économico-pédagogique
d’un dispositif de FOAD (Naymarck, 1999 ; Morin, 2004). Une difficulté
supplémentaire à l’estimation des coûts de cette formation provient du fait que le
dispositif a été implanté dans une structure universitaire préexistante. En fait, il
est assez courant que l’implantation des dispositifs expérimentaux dans des
contextes universitaires rende la budgétisation extrêmement délicate. Nous en
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
174
identifions deux raisons majeures : d’une part l’investissement humain et
matériel est souvent pris en charge par l’institution. D’autre part, la mise en
place de tels dispositifs universitaires a souvent un caractère empirique, du fait
qu’elle est souvent guidée non pas par une stratégie d’amortissement des coûts
de la formation mais par la volonté d’expérimenter et d’étudier cette formation
en tant qu’objet scientifique.
Dans le cas du dispositif « le français en (première) ligne » réalisé pendant
le premier semestre de 2002-2003, plusieurs catégories de coûts ont été prises
en charge par l’institution. Par exemple, la mise en place du nouveau dispositif
n’a pas exigé d’investissements supplémentaires parmi les deux types des coûts
les plus importants : l’infrastructure et les ressources humaines. Pour les besoins
de la formation, des outils de communication asynchrones ont été utilisé, ayant
un coût faible comparé aux équipements synchrones (visioconférence, séances à
distance en présentiel, conférences téléphoniques, etc.).
Concernant les frais de personnel, le professeur était rémunéré par la
faculté en tant que fonctionnaire tandis que les heures du tutorat étaient
subventionnées par le CNRS (à travers l’EA 2534 de l’ENS LSH). Les frais
concernant l’équipement informatique et sa maintenance, les frais de mobilier et
de télécommunications ont été pris en charge par l’institution. Ce fut le cas
également pour les charges communes (loyer, entretien des locaux,
maintenance, chauffage etc.). Pour les besoins de la formation, un appareil photo
numérique Nikon Coolpix ainsi qu’un enregistreur son numérique Sony Memory
Stick Voice Editor ont été acquis à l’aide d’une subvention versée par
l’Ambassade de France en Australie et par la cellule TICE de l’Université de
Franche-Comté.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
175
4.3. La démarche méthodologique
4.3.1. Rapport entre le cadre conceptuel et le cadre
méthodologique
Vouloir examiner conjointement les propriétés humaines et matérielles
dans une situation d’enseignement/apprentissage et de formation médiatisée
présente deux obstacles majeurs. Le premier est relatif au dualisme
technique/social qui soit relève d’un technocentrisme en négligeant les aspects
sociaux de l’apprentissage, soit minimise le rôle des outils médiateurs par
rapport aux interactions sociales. Au-delà de ces approches réductrices, nous
tenterons d’expliciter les rapports de constitution réciproque des phénomènes par
l’adoption d’une approche essentiellement holistique.
Le deuxième obstacle concerne justement l’adoption d’une perspective
holistique. Vouloir englober toutes les variables qui influent sur une situation
analysée pourrait provoquer un manque de cohérence et de rigueur scientifique.
L’enjeu méthodologique consiste à prendre en compte la richesse des facteurs
contextuels sans pour autant perdre de vue la problématique initiale. Une
solution à cet écueil méthodologique consiste, à notre avis, en la triangulation
des données qui permet de mettre en parallèle des données obtenues par des
méthodes différentes.
En ce qui concerne la présente étude, la démarche méthodologique
adoptée a été déterminée par le cadre conceptuel, à savoir la théorie
socioculturelle et les paradigmes associés (cognition située, distribuée et
socialement partagée). Autant les chercheurs en théorie socioculturelle -et en
théorie de l’activité- (Kuutti, 1995 ; Engeström, 1987) que les chercheurs en
cognition située (Lave & Wenger 1991 ; Scardamalia & Bereiter, 1994), en
cognition distribuée (Hutchins, 1995, Rogers, 2005) et socialement partagée
(Resnick, 1991) favorisent une approche herméneutique qui permet « d’intégrer
le fait et sa signification, la vision subjective d’un acteur et celle objectivée,
incorporée et stabilisée dans des objets et des artefacts » (Olszewska, 1999, p.
81).
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
176
Bien que ces approches théoriques soient issues de traditions
épistémologiques différentes, elles convergent en une perspective herméneutique
quant à l’analyse d’une situation intégrant individus et environnement humain et
matériel93. Notre souci majeur sera donc de reconstituer et de relier les
significations qui émergent dans un contexte humain et matériel donné,
démarche qualitative par excellence :
L’analyse qualitative se présente comme un acte complexe à travers lequel
s’opère une « lecture » des traces laissées par un acteur (…) Pour qu’il y
ait lecture, il faut un contexte de lecture car rien ne signifie rien isolément,
en dehors de tout environnement, de toute relation, de toute histoire : le
sens émerge toujours d’une mise en contexte (Paillé et Mucchielli, 2003,
p. 27-28).
4.3.2. La démarche méthodologique privilégiée :
la triangulation
Parmi le grand éventail des méthodes d’analyse de données collectées sur
le terrain, de plus en plus d’études font appel à des démarches permettant une
mise en parallèle des sources multiples de données comme garantie d’une
meilleure validité des résultats de la recherche. Pour Tsopanoglou par exemple,
(2000, p. 87), l’agencement des méthodes multiples a été initié par Brewer et
Hunter94 qui l’ont proposé en tant que concept de « Multimethod reseach ». A cet
égard, Johnson et Onwuegbuzie (2004), dans leur article publié dans le fameux
périodique Educational Reseacher, postulent que les recherches employant des
méthodes « mixtes », (mixed methods research) constituent le nouveau
paradigme scientifique qui se place à l’intersection des méthodes quantitatives et
qualitatives et qui vise à augmenter la confiance dans les résultats par l’éclairage 93 Bien évidemment, la genèse de significations dans la mise en contexte rejoint aussi, outre les approches théoriques citées plus haut, les recherches en phénoménologie, en sociologie compréhensive, en ethnométhodologie (Mucchielli, 2003, p. 11). 94 Cf. Brewer, J., Hunter, A. Multimethod research: a synthesis of styles. Sage, Newbury Park, 1989.
4ème chapitre : objet de la recherche et démarche méthodologique
177
d’un seul fait sous plusieurs angles. La méthodologie triangulaire selon Van der
Maren (op. cit.) s’inscrit dans cette logique de croisement de données plurielles.
Cette démarche semble être assez adaptée à l’examen des situations
d’apprentissage médiatisées, comme le montre la mise en place de cette
démarche par Daele et Lusalusa (2003) et Charlier et al. (2002b).
Toutefois, la démarche triangulaire est loin d’être appliquée uniformément.
En réalité, il semble exister plusieurs modes de triangulation, comme l’évoque
Lien (2003 en citant les travaux de Taylor et Bogdan95) : la triangulation
référentielle, la triangulation opérationnelle et la triangulation méthodologique.
La triangulation référentielle a recours à plusieurs groupes d'individus comme
sources de données ; la triangulation opérationnelle a recours à plus d'un
investigateur dans un processus de recherche; la triangulation méthodologique
fait référence à l'utilisation de méthodes de recherches différentes dans le but de
rehausser la crédibilité des résultats.
Dans la même lignée, De Ketele et Roegiers (1991, p. 212) distinguent
trois modes de triangulation : le premier se réfère au croisement de trois sources
de même statut (trois étudiants, trois employés du même service, etc.), le
deuxième se rapporte à trois sources de statut différent et le troisième au
croisement de trois sources méthodologiques différentes. C’est ce troisième
mode qui nous semble le plus proche de la démarche triangulaire de Van der
Maren que nous adopterons dans le cadre de notre étude.
Plus particulièrement, le principe de triangulation selon Van der Maren
(1996, 1999) vise à identifier les différents types de données et à les catégoriser
pour finalement les mettre en relation et en tirer des interprétations. A cet égard,
l’auteur classe les différentes sources de données en trois catégories. La
première réunit les données invoquées qui regroupent des éléments constitués
indépendamment des expérimentateurs (par exemple documents d’archives,
interactions en ligne sans intervention du chercheur etc.). La deuxième concerne
les données suscitées et englobe tout élément obtenu dans une situation
d’interaction (récits de vie, entretiens etc.). La troisième catégorie, celle des
données provoquées, contient les données produites dans un contexte prédéfini,
elles sont donc conditionnées par le contexte de l’expérimentation (sondages,
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
188
ensemble de mesures constituant une organisation ». Si cette première définition
est encore loin d’embrasser les spécificités d’un dispositif de formation, elle réussit
à mettre l’accent sur une des idées les plus fréquemment associées à la notion de
dispositif : celle de l’agencement des paramètres qui entrent en jeu dans une
situation donnée.
Pour Jacquinot et Monnoyer par exemple (1999), la notion de dispositif
permet de reformuler la problématique de l'interaction selon plusieurs dimensions :
ergonomiques, cognitives, anthropologiques et sociales. Selon Poisson (2003),
penser en termes de dispositif permet de recentrer les situations d’apprentissage
(langagier ou non) sur l’apprenant et sur les processus de construction de savoirs
fondés sur la communication interpersonnelle, donc collective. S’inspirant des
travaux de Peeters et Charlier (1999), Linard ajoute que le dispositif est avant tout
un «objet entre deux : à la fois technique et symbolique, logique et empirique,
utilitaire et esthétique. C’est un moyen de médiation qui organise de façon plus ou
moins rigoureuse un champ de relations fonctionnelles entre humains et outils,
buts et moyens, intentions et actions » (Linard 2002, p. 144). Dans la même
lignée, Peraya affirme que :
L'économie d'un dispositif – son fonctionnement – déterminé par les
intentions, s'appuie sur l'organisation structurée de moyens matériels,
technologiques, symboliques et relationnels, naturels et artificiels qui
modélisent, à partir de leurs caractéristiques propres, les comportements et
les conduites sociales, cognitives, affectives des sujets (Peraya, 2000, p.
22).
Pour conclure, nous retenons deux éléments qui apparaissent dans toutes
les définitions du dispositif citées plus haut. D’une part l’allusion à une construction
ou un système réalisé en fonction d'un but à atteindre et selon l’intention des
acteurs. D’autre part, l’agencement des éléments humains et matériels ainsi que
des composantes « physiques et symboliques, naturelles et artificielles » d’une
action (Linard, 1998b). A cet égard, Peraya souligne que les dispositifs de
communication articulent trois niveaux que l'on ne peut réellement isoler : le
sémiotique, le social et le technique (1998). L’articulation de ces trois pôles dans la
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
189
conception des dispositifs de formation amène l’auteur au concept de dispositifs
« techno-sémiopragmatiques » (1998 et 2000).
A travers l’analyse du dispositif « le français en (première) ligne », nous
souhaitons contribuer aux débats épistémologiques au sujet de la notion de
dispositif en considérant une dimension supplémentaire : le caractère à la fois
facilitateur et contraignant du dispositif, par les actes d’apprentissage qu’il favorise
et les conditions d’action qu’il impose. Nous y reviendrons dans nos réflexions
conclusives sur ce chapitre.
Environnement
Si les différentes définitions de la notion de dispositif présentent des points
communs, ce n’est pas le cas du concept d’environnement qui a pris des
significations diverses au fur et à mesure de son évolution. L’emploi de ce concept
semble remonter sans doute au temps de l’Enseignement Assisté par Ordinateur
(EAO) et aux Environnements Interactifs d’Apprentissage avec Ordinateur (EIAO97).
Inscrits dans les recherches en Interaction Homme-Machine et en Intelligence
Artificielle, les EIAO préoccupaient essentiellement la communauté scientifique des
technologues. Aussi, la première acception du terme renvoie-t-elle à la conception
d’un système numérique facilitant l’interaction Homme-Machine et Homme-
Homme, problématique relevant de l’ergonomie et de l’informatique.
Si la première acception est souvent associée à une conception machinique
de l’apprentissage, la deuxième semble fortement influencée par l’approche
constructiviste, notamment socioculturelle. Des EIAO des années 80 on passe aux
Environnements Informatiques d’Apprentissage Humain (EIAH) des années 90 qui,
outre les différences sémantiques des deux sigles, annoncent un changement de
paradigme dans les technologies éducatives. Par exemple, pour Basque et Doré qui
adoptent une approche systémique, le terme environnement ne renvoie pas
uniquement au support informatique de base mais aussi au réseau de composantes
qui déterminent une situation d’apprentissage. Selon les auteurs :
97 Selon Rouet (2001) et Mangenot (2001b) le sigle EIAO désignait originellement l’Enseignement Intelligemment Assisté par Ordinateur. Les deux auteurs comparent aussi les intentions sous-jacentes de ces deux titres.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
190
L’environnement peut être considéré comme un ensemble de composantes
en interaction. (…) Dans un environnement d’apprentissage ces composantes
sont orientées vers un même but : l’apprentissage (Basque & Doré, 1998,
np).
Par ailleurs, une difficulté dans la délimitation du concept d’environnement
provient du fait que le terme « dispositif » n’a pas d’équivalent dans la littérature
anglo-saxonne, où seul le terme « environment » existe98. Après un bref tour
d’horizon nous avons recensé les termes Computer Supported Intentional Learning
Environment - CSILE - (Hewitt, Scardamalia et Webb, 1997 ; Scardamalia et
Honebein, Duffy et Fishman, 1993). Les environnements CSCL et les EIAH ont été
évoqués précédemment (cf. 2.2.3.).
Basque et Doré (1998) se réfèrent aux travaux anglo-saxons de Perkins,
Wilson et Jonassen pour qui la métaphore de l’environnement (environment
metaphor) reflète le paradigme constructiviste, davantage holistique, dans le
monde de l’éducation. Ainsi, l’emploi du terme environnement dans les travaux
d’inspiration constructiviste, notamment ceux qui s’inscrivent dans les nouveaux
paradigmes en sciences cognitives, nous semble coïncider avec celui de dispositif
(dans le monde francophone) et avec sa vision holistique d’une situation
d’apprentissage médiatisée.
Concernant les retombées que la définition d’environnement a sur la
conception des environnements d’apprentissage informatisés, nous adoptons le
point de vue de Basque et Doré qui en identifient deux conséquences (op.cit.). La
première renvoie à la démarche d’apprentissage facilitée par un tel système.
D’après les auteurs, les parcours d’apprentissage ne doivent pas être strictement
prédéfinis a priori afin d’être en mesure de répondre à des démarches libres et
exploratoires.
98 Nous rencontrons également le terme « settings » proposé par Nunan (1989) et Oliver et Herrington (2001) dans un sens proche de dispositif, moins holistique que le terme « environment ».
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
191
La deuxième conséquence se rapporte à la démarche pédagogique. Selon le
modèle constructiviste, la conception d’un environnement d’apprentissage
informatisé devrait s’orienter plutôt vers l’anticipation des démarches
d’apprentissage, les besoins des apprenants et l’accessibilité des ressources plutôt
que sur la définition des stratégies d’apprentissage. Cet élément n’est pas sans
conséquences sur la complexification de la réalisation d’un tel environnement de la
part des concepteurs (Henri et Lundgren-Cayrol, 1998, p. 40).
Contexte
La notion de contexte nous semble la plus ancienne parmi les trois, la plus
récente étant sans aucun doute celle de dispositif. Cette constatation implique que
la notion de contexte a subi des transformations sémantiques considérables. De
plus, ce terme peut être considéré comme la pierre angulaire de plusieurs théories
ou approches, notamment la théorie socioculturelle, la cognition et l’apprentissage
situés, l’enaction et la phénoménologie et a marqué les traditions épistémologiques
de plusieurs champs de recherche tels que la pragmatique, la sociolinguistique, ou
encore les sciences de la communication, l’ethnométhodologie etc. En ce qui
concerne la présente étude, nous avons détaillé ailleurs la signification du contexte
au sein de la tradition socioculturelle (1.3.3.) et de la didactique des langues
(1.3.4.), nous n’y reviendrons donc pas.
L’objectif ne sera pas ici d’énumérer les différentes tentatives
définitionnelles. De manière pourtant empirique, nous nous risquerons à dire que
l’emploi de la notion de contexte fait allusion au réseau de conditions préexistantes
dans lequel s’inscrit une activité humaine. Ce concept renvoie donc pour nous à
l’ensemble des facteurs (physiques, spatiaux, organisationnels, sociaux, etc.) qui
précèdent l’activité (ou l’apprentissage) et qui pré-déterminent le déroulement et
les modalités de fonctionnement.
Ceci nous amène à dire que le contexte recoupe la réalité de l’existant, avec
ses contraintes et ses potentialités (ou « affordances »), qui configure une activité.
En effet, le contexte n’est jamais associé aux termes de « mise en place » ou de
« réalisation ». Le contexte n’implique pas la conception d’un espace médiatisé
mais, au contraire, il se rapporte à l’intégration ou à l’assimilation d’une situation
d’apprentissage dans « un contexte donné ». Nous nous référons donc plutôt à la
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
192
réalisation d’un dispositif, d’un EIAH ou d’un environnement CSCL qui, eux,
renferment les notions de construction et de mise en place d’un système
informatique d’aide à l’apprentissage.
5.1.2. Conclusions définitionnelles préliminaires
Nous avons tenté de juxtaposer différentes définitions des notions de
dispositif, d’environnement et de contexte. Par ailleurs, d’autres termes sont
employés pour désigner une construction informatique médiatisée d’aide à
l’apprentissage, tels que artefact (Stahl, 2003), outil cognitif (Jonassen, 1994),
système, etc. La tentative d’examiner les définitions autour des trois notions
montre vite ses limites. Issus de plusieurs traditions épistémologiques et sujets à
des mutations sémantiques, les trois concepts présentent des divergences
rémarquables. Pourtant, ce qui nous intéressera ici sera de les examiner de
manière synthétique. Une première tentative dans cette direction est celle de
Linard (1998b) qui inscrit les trois concepts dans l’évolution du paradigme des
systèmes informatiques destinés à l’apprentissage :
En tant que concept, le dispositif converge avec « l'environnement » et le
« contexte » et s'inscrit dans l'évolution générale des conceptions vers des
modes plus ouverts, plus sensibles aux conditions existentielles,
subjectives et objectives, de production des objets et des tâches. Il
correspond au dernier stade d'évolution dans la conception de systèmes
logiciels : d'abord technique centré sur les contraintes de calcul de la
machine (années 50-60), puis cognitif, centré sur les impératifs de la tâche
(années 70-80), enfin écologique, centré sur les besoins de l'utilisateur et
sur les conditions de son activité en situation (Linard, 1998b, np).
Par ailleurs, ce qui nous semble particulièrement intéressant dans les
définitions du dispositif et de l’environnement d’apprentissage (qui les distingue de
celle du contexte), c’est le fait qu’elles sont souvent associées à une approche
systémique (Mangenot, 2000b) ou « dispositive » (Jacquinot et Choplin, 2002).
Ceci renvoie directement à la prise en compte des facteurs contextuels et
situationnels dans l’analyse du système humain et matériel. Dans ce sens la
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
193
majorité des chercheurs qui mettent en avant le concept de dispositif, même s’ils
proviennent de champs de recherche différents (les sciences de l’éducation pour
Jacquinot, Linard et Choplin, les sciences du langage pour Mangenot, les sciences
de la communication pour Peraya), tous adoptent une vision holistique, un parti
pris pour la mise en relation des différentes composantes en jeu.
C’est justement cette « mise en système » qui distingue les notions
d’environnement et de dispositif de celle de contexte. La notion de contexte, la plus
polysémique parmi les trois, nous semble assez floue pour éclairer la complexité du
réseau des dimensions techno-sémio-pragmatiques (Peraya, 1999a). Nous allons
donc opter pour les deux premiers termes. Si les termes dispositif et
environnement convergent sur plusieurs points, nous serions plus favorable à
l’emploi du terme dispositif qui, dépourvu de la connotation technique à laquelle la
notion d’environnement est souvent associée, constitue pour nous le terme le plus
approprié pour désigner « une mise en système délibérée des éléments et des
conditions d'une action, une construction cognitive fonctionnelle, pratique et
incarnée » (Linard, 1998, np).
Notre prédilection pour le terme de dispositif est aussi déterminée par la
prise en compte de l’aspect à la fois facilitateur et contraignant de ce terme : de
notre point de vue, le dispositif implique des degrés variés de liberté et de
contrainte sur plusieurs plans (technique, organisationnel, humain) qui ont des
retombées sur le déroulement d’une formation. Ce sera donc cette dimension qui
guidera notre analyse et que nous synthétiserons en 5.6.
5.1.3 Contextualisation des apprentissages : le paradigme de
la cognition située
A contrecourant de la conception traditionnelle de la cognition selon laquelle
le développement cognitif est conditionné par les fonctionnements mentaux intra-
individuels et que la genèse de l'intelligence est un processus à l'échelle de
l’individu, la conception située du développement consiste en la valorisation des
facteurs contextuels des actions humaines. Mis en avant par des chercheurs en
Intelligence Artificielle (Winograd et Flores), en sciences cognitives (Lave) et en
ethnométhodologie (Suchman), le postulat majeur de ce paradigme est que l’action
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
194
est déterminée par les différentes variables situationnelles et qu’elle ne peut être
interprétée que par rapport à un contexte donné. Ainsi, la construction du sens par
un individu est liée, voire déterminée par le contexte dans lequel le sens prend
forme. (Quéré, 1997 ; Hewitt, Scardamalia et Webb, 1997 ; Scardamalia et
Bereiter, 1994 ; Brown, Collins et Duguid, 1989).
Le développement du paradigme de la cognition située (Situated Cognition)
a été déterminant pour la genèse du courant de l’apprentissage situé (Situated
Learning), que nous considérons comme une transposition dans l’apprentissage et
l’éducation. A cet égard, l’approche de Anchored Instruction, mis en avant par le
Cognitive and Technology Group at Vanderbilt trouve sa source dans le champ de
l’apprentissage situé (cf. CTGV, 1991). Nous identifions au sein du nouveau
paradigme l’impact des travaux socioconstructivistes et l’importance accordée au
contexte social de tout apprentissage. De plus, ce courant souligne le besoin
d’inscrire toute connaissance dans des « situations réalistes » ou l’implication dans
des tâches réelles (Barab et al., 2000).
Il n’est pas étonnant que ce changement de paradigme vers des
apprentissages réalistes et contextualisés ait visé et vise encore de nos jours le
système scolaire pour son manque d’ancrage dans la réalité et son orientation vers
la résolution individuelle des problèmes par les apprenants. A ce propos, Hewitt et
Scardamalia et Webb soulignent que:
Il est erroné de distinguer le cerveau d’un individu de l’environnement qui
l’entoure. […] La relation entre le cerveau et l’environnement est si
complexe que les considérer séparément serait une simplification excessive.
L’alternative avancée par la perspective située consiste à reconnaître que les
processus mentaux sont si étroitement liés à des situations spécifiques qu’il
serait impossible de dissocier la corrélation cerveau-environnement (1997,
np) 99.
99 « [Proponents of the situative perspective take the view that] it is erroneous to consider the mind as something divorced from the individual’s surrounds. (…) The relationship between mind and environment is so complex that it is an oversimplification to consider them separately. (…)The alternative offered by the situative perspective is to recognize that mental processes are so tightly tied to specific situations that it is impossible to unravel the mind-environment relationship » (notre traduction).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
195
D’un point de vue critique, il est certain que l’approche de la cognition située
rompt avec l’unidimensionnalité dans l’examen du fonctionnement cognitif
individuel. Néanmoins, nous pensons que la valorisation des aspects socioculturels
ou de la composante sociale dans l’analyse des processus mentaux est loin d’être
pleinement développée par cette approche. La prédominance de l’aspect
socioculturel pour la cognition et l’apprentissage trouve toute son ampleur dans les
travaux constructivistes, en particulier socioconstructivistes. Cela étant, il nous
semble que le paradigme situé se concentre sur l’importance de la
contextualisation des apprentissages, sans pour autant proposer un modèle
d’analyse précis sur l’interrelation des variables contextuelles dans une situation
d’apprentissage.
Ainsi, il apparaît d’une part que ce paradigme opte pour la reconsidération
du rôle du contexte (social, institutionnel, économique, pédagogique) dans
l’examen d’une situation d’apprentissage, d’autre part qu’il ne fournit pas un
outillage méthodologique conséquent dans l’analyse des facteurs contextuels,
comme c’est le cas par exemple avec la théorie de l’activité (1.6.). Par conséquent,
nous ne prétendrons pas adopter le paradigme situé comme cadre théorique et
méthodologique unique mais plutôt comme perspective épistémologique
complémentaire à l’analyse du dispositif d’apprentissage en question.
Ancrage situationnel et « communautés »
Avant de compléter le tour d’horizon au sujet des recherches en cognition et
en apprentissages situés, il nous semble nécessaire de nous pencher sur un terme
très répandu chez de nombreux auteurs de différentes disciplines, celui de
« communauté ». Deux contextes d’utilisation de ce terme nous concerneront ici et
nous les aborderons successivement : le contexte ethnographique des
« communautés de pratique » et le contexte du réseau Internet, avec les diverses
« communautés » qu’il peut engendrer.
En relation avec le premier contexte, né en réaction aux conditions
d’apprentissage peu contextualisés dans le système scolaire, on notera les travaux
ethnométhodologiques de Lave et Wenger (1991). Ces deux auteurs avancent
l’idée de Legitimate Peripheral Participation, portant sur la manière dont un
nouveau membre s’intègre progressivement à une communauté de pratique.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
196
L’élément qui nous paraît primordial, est l’importance accordée à l’acculturation
(enculturation) dans une communauté de pratique. Selon Lave et Wenger (Lave et
Wenger, 1991 ; Wenger, 1998), l’apprentissage est associé avant tout aux
pratiques et aux discours véhiculés dans une communauté donnée. Resnick (1991)
ajoute que les individus s’approprient les outils cognitifs d’une communauté dans
leur tentative d’appartenir à sa culture. Selon cette perspective, l’apprentissage
consiste plutôt en un processus d’acculturation à la manière dont une communauté
pense et agit qu’en un enseignement formel et explicite (Putnam et Borko, 2000,
p. 5).
Le deuxième contexte d’utilisation du terme « communauté » recouvre des
champs d’intérêt beaucoup plus vastes. A ce jour, une bibliographie toujours
croissante se développe autour de la nature des interactions au sein des
regroupements humains en ligne ou en présentiel, notamment les différents types
de communauté : communautés virtuelles, cyber-communautés, communautés
virtuelles d’apprentissage, communautés d’intérêt, etc.
Ces rassemblements d’individus sont étudiés par des chercheurs en
sociologie (Castells, 1998 ; Jordan et al., 2003 ; Rheingold, 1993), en Information
et Communication (Breton et Proulx, 2002 ; Mattelart, 2001 ; Breton, 2000), en
linguistique (Marcoccia, 2004), en pédagogie (Scardamalia et Bereiter, 1994 et
1999 ; Henri et Lundgren-Cayrol, 1998 ; Barab et Duffy, 2000 ; Barab, Kling et
Gray, 2004), en ressources humaines (Wenger, 1998), en FOAD (Daele et Charlier,
2002 ; Henri, 2002 ; Develotte et Mangenot, 2004), en ergonomie (Brown et
Duguid, 2000) ou encore en économie mondiale (Stiglitz, 2001 ; Rifkin, 2000).
Les objets d’analyse varient également, allant de la construction et de la
négociation du sens aux thématiques identitaires en ligne, et de la gestion des
groupes à l’impact de ces rassemblements et à la « net-économie ». Les contextes
d’analyse sont encore plus variés : entre autres, les contextes professionnels, les
forums de discussion et les blogs, les dispositifs FOAD et les MOOs. Il est encore
prématuré de parler de la constitution d’un champ interdisciplinaire qui
regrouperait ces perspectives. De plus, elles ne sont pas toujours associées au
paradigme de la cognition située ni aux ACAO.
En ce qui concerne la présente étude, nous tâcherons de répondre à
une question bien précise en fonction du deuxième semestre du projet, portant sur
les interactions franco-australiennes en ligne. La question est la suivante : à partir
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
197
de l’analyse du corpus des échanges en ligne entre tuteurs français et apprenants
débutants australiens, échanges véhiculés par le canal textuel asynchrone,
pouvons-nous affirmer que les participants ont formé une communauté ? Si oui,
quel type de communauté ont-ils constituée et selon quelles conditions ? Quels
effets a eu la formation de cette communauté sur les apprentissages en ligne ?
Le concept de l’enaction
Dans ce bref aperçu du paradigme de la cognition située, nous ne pouvons
pas ignorer le concept de l’enaction qui, bien qu’appartenant à un registre
différent, celui des neurosciences cognitives, mérite aussi notre attention pour la
mise en valeur du contexte situationnel dans l’examen de l’activité mentale. Ce
concept a été élaboré par Francisco Varela, neurobiologiste chilien, dont les
travaux rejoignent la problématique autour des rapports indissociables entre le
traitement de l’information dans le cerveau humain et son monde environnant.
Inspiré par le courant phénoménologique, Varela soutient que la cognition émerge
de la relation entre un sujet et son environnement. Par ailleurs, dans un entretien
pour la revue La Recherche, Varela postule que :
Le contexte et le sens commun ne sont pas des artefacts résiduels
pouvant être progressivement éliminés grâce à des règles plus
sophistiquées. Ils sont en fait l'essence même de la cognition créatrice
(Varela, 1998, np).
Si le concept de l’enaction a des similitudes avec les nouveaux paradigmes en
sciences cognitives par son opposition au cognitivisme computo-symbolique et par
le lien inséparable qui unit le contexte humain et matériel aux propriétés cognitives
individuelles, l’enaction n’a pas pour autant le même statut épistémologique. En
effet, le paradigme de la cognition distribuée, de la cognition située et de la
cognition socialement partagée sont reconnus et largement répandus de nos jours,
notamment dans le monde scientifique anglo-saxon, tandis que l’enaction consiste
(à ce jour) en un principe bien moins répandu. Il contribue pourtant à l’association
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
198
des facultés cognitives à l’environnement où elles se situent, fondement majeur
des trois paradigmes évoqués plus haut.
5.1.4. Retombées méthodologiques
Avec l’avènement de nouveaux paradigmes en sciences cognitives et plus
particulièrement de la cognition située, l’idée que l’apprentissage est fortement lié
au contexte social et matériel dans lequel il s’enracine, devient de plus en plus
vivace. Cette conception théorique a également des retentissements sur la manière
dont on aborde méthodologiquement l’apprentissage humain. Puisque les facteurs
situationnels se placent comme centraux dans l’approche située, comment serait-il
possible d’examiner ces variables avec les outils méthodologiques existants,
adaptés à l’examen des processus mentaux individuels ?
Le transfert de l’objet d’étude du champ strictement intra-individuel à celui
des interactions inter-individuelles contextualisées a inévitablement provoqué un
changement de paradigme méthodologique et par suite la consolidation de la
démarche qualitative. Ainsi l’approche située se démarquera-t-elle de la démarche
purement quantitative où on cherche à contrôler le maximum de variables. D’après
Hewittt, Scardamalia et Webb (1997, np), « la tendance à analyser les processus
mentaux individuels au moyen d’expérimentations contrôlées présuppose que ces
processus s’opèrent indépendamment l’un de l’autre et qu’ils ne constituent pas
une partie d’un système plus large et interdépendant 100 ».
Par conséquent, la manière dont se conjuguent les variables d’une situation
et leurs effets sur les apprentissages sera au cœur de l’analyse contextualisée que
nous développerons au sein du dispositif en question. Cette tâche est rendue
complexe par l’affluence des facteurs variés qui déterminent la situation. Or, dans
la démarche résolument interprétative qui est la nôtre, nous viserons à mettre au
jour de nombreuses variables en interaction qui ont créé une réalité unique dont
les parties, à nos yeux, sont indissociables.
100 “The tendency to analyze individual mental processes through controlled experimentation assumes that such processes operate independently of one another, and not as a part of a larger, interdependent system” (notre traduction).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
199
Dans le cadre de notre analyse, nous mettrons en évidence l’interrelation
entre les variables qui ont influé sur le déroulement de la formation, notamment
lors de la première phase du projet. Plus particulièrement, nous nous
questionnerons sur la façon dont l’implication dans un projet de conception
multimédia a influé, entre autres, sur la nature de la conception, sur le degré
d’engagement, sur l’appropriation des outils et sur les savoir-faire des futurs
enseignants de langue. L’objectif est donc de montrer la nature indissociable de ces
phénomènes par l’adoption d’une démarche holistique.
5.2. Conception multimédia au sein du dispositif
Les différents éléments théoriques sur la contextualisation des
apprentissages (1.3.3., 1.3.4. et 5.1.3.) nous serviront d’appui conceptuel pour
l’analyse de la conception des ressources multimédias par les étudiants (5.2.1.-
5.2.6.) puis pour l’étude holistique du dispositif (4.6.).
5.2.1. Vers la mise en place de la formation technologique
La mise en place de la formation technologique des étudiants devait prendre
en compte les contraintes suivantes :
• l’hétérogénéité en matière de préacquis technologiques des étudiants et
• le niveau assez élevé des savoir-faire technologiques nécessités par la
formation
La première contrainte est apparue dès le début de la formation. Après une
brève présentation des compétences informatiques par chaque étudiant lors de la
première séance, il s’est avéré que la majorité des étudiants (N=10) faisait preuve
de compétences élémentaires (manipulations basiques du courriel, d’un traitement
de texte et d’un navigateur Internet. Nous pourrions donc rapprocher leur savoir-
faire en informatique du niveau « basic » selon la Computer capabilities matrix,
outil d’estimation des savoir-faire technologiques proposé par Hegelheimer et al.
(2004, p. 446).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
200
Les six autres étudiants, dont trois ayant suivi un module introductif aux
TICE en licence, affichaient un niveau un peu plus avancé (manipulations avancées
de traitement de texte et de recherche sur Internet, retouches simples d’une image,
aisance dans la gestion des fichiers) sans qu’on puisse pour autant les rapprocher
du niveau intermediate de Hegelheimer et al. (op. cit.). Seulement deux parmi les
seize étudiants avaient déjà employé un appareil photo et un scanner, dont Laura,
Malaisienne, affichant une maîtrise technologique avancée.
La deuxième contrainte ressort de l’examen des « données produites », à
savoir les productions multimédias finales. Ces productions montrent un choix
d’outils assez vaste (cf. colonne droite de l’annexe A5) tels les logiciels Office
(Word, PowerPoint), les six outils de Hot Potatoes101 et les logiciels de traitement
d’image, de son et du scanner. La production finale est aussi représentative des
compétences multiples nécessitées, allant des plus simples comme la sauvegarde
des fichiers et leur téléchargement sur la plate-forme, jusqu’à la conversion des
fichiers .wav en fichiers mp3, les réglages de l’appareil photo et de l’enregistreur
son numérique et les retouches d’images (ajustement de couleurs, réduction de
taille, conversion en ficher .jpeg, etc.).
Ainsi, d’une part les compétences informatiques de l’ensemble du groupe
étaient relativement faibles et d’autre part, le dispositif nécessitait un haut niveau
de compétences technologiques, notamment dans la maîtrise d’outils peu ou pas
connus par les étudiants. Deux modalités se présentaient quant à la mise en place
de la formation technologique des étudiants. Selon la première, il s’agissait d’offrir
une formation technologique dont le contenu aurait été commun à tous les
participants, suivant un cahier de charges et un référentiel de compétences
prédéfinis. Ce type de formation se serait déroulé tout au long du semestre, étant
donné l’étendue des compétences à acquérir, en limitant de ce fait le temps de
conception multimédia par les étudiants. Selon la seconde modalité, davantage
personnalisée, la formation consisterait dans une initiation aux fonctionnalités
élémentaires des logiciels commune à tous les participants, suivie d’un
accompagnement technologique en fonction des besoins spécifiques des participants
(démarche réactive).
Le choix d’un suivi technologique personnalisé a été privilégié pour deux
raisons supplémentaires. Tout d’abord, une formation technologique proactive 101 Générateur d’exercices.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
201
aurait risqué d’accentuer l’aspect technologique de la production des activités
multimédias tandis que le dispositif dans son ensemble devait favoriser la réflexion
sur les objectifs pédagogiques de la réalisation. Un accompagnement réactif était au
contraire conçu pour aider à la réalisation technologique en fonction des besoins de
conception pédagogique des étudiants. En second lieur, une formation
technologique proactive aurait risqué d’enfermer les étudiants dans une gamme
d’outils prédéfinie par les concepteurs de la formation tandis que selon le principe
réactif, le choix des outils était laissé aux mains des concepteurs, les tuteurs ayant
le rôle de facilitateurs par rapport à la réalisation technico-pédagogique. Comme
l’évoque Alphonse :
Au début on avait des niveaux assez variés dans la classe, alors s’il fallait nous donner tout dès
le début, on risquait d’avoir des gens qui peut-être avaient déjà fait ça, qui allaient s’ennuyer et
qui n’auraient pas eu besoin de ces informations supérieures102 (…) alors comme ça, moi j’ai
bien aimé, parce qu’on pouvait demander là où on avait besoin de faire quelque chose (Alph
1103).
5.2.2. Approche exploratoire du multimédia et évolution des
attitudes
Déterminée par les contraintes contextuelles (les disparités en préacquis
technologiques des étudiants et les exigences de la formation en termes
technologiques), l’organisation de la formation technologique personnalisée devait
prendre en compte un facteur supplémentaire : l’impossibilité d’anticiper la variété
des outils technologiques que les étudiants allaient employer dans la réalisation de
leurs activités et notamment la gamme des compétences nécessaires à cette
réalisation. Évidemment, la maîtrise technologique de ces outils ne pouvait pas faire
l’objet d’un enseignement, d’autant plus que tous les outils n’ont pas été employés
de manière égale par toutes les dyades.
Ainsi, la formation technologique s’est appuyée à la fois sur une démarche
exploratoire du multimédia et sur un accompagnement technico-pédagogique
réactif. Comment cette modalité a-t-elle été perçue par les néophytes comme 102 Lire : supplémentaires ou approfondies. 103 Les lettres se réfèrent aux deux premières lettres du prénom de l’étudiante et le chiffre au numéro de son extrait. Par exemple Cl1 : premier extrait de Claire.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
202
Claire, avec peu de connaissances préalables du multimédia, et par les utilisateurs
avancés comme Bettina ?
[Les nouvelles technologies], ce n’est pas quelque chose auquel je m’intéresse spécialement
mais ce cours-là m’a permis justement de m’y intéresser un peu plus (…) Techniquement aussi,
[la formation] m’a apporté beaucoup. Je vois ce que l’on peut faire maintenant grâce à
l’informatique (Cl 1).
Moi, de toutes façons, je suis partisane du multimédia… J’ai découvert l’appareil photo
numérique ici, j’ai travaillé et puis je m’en suis acheté un, c’est impeccable (…) [Avec le
multimédia] on a des possibilités qui sont grandes… Pour QuickPlace, je me suis renseignée
d’ailleurs pour ouvrir une plateforme pareille (Be 1).
L’implication dans la création multimédia a aussi permis de porter un regard
neuf sur les potentialités des outils technologiques. D’après Christèle et Candice, au
début de la formation le multimédia paraissait « compliqué » et certains des
étudiants éprouvaient des réticences :
J’avais l’impression que c’était un labyrinthe le domaine multimédia (…) Pour moi le multimédia
c’était assez compliqué, jusqu’à il n’y a pas très longtemps. Puis en fait je me suis rendue
compte qu’il fallait sélectionner les ressources, les matériels et puis qu’on pouvait se débrouiller
avec peu de logiciels pour faire des choses très bien (Ch 1).
Au début, je pensais que le multimédia était vraiment très compliqué (…) que c’était un beau
rêve mais qu’il était très difficile à réaliser. Au début c’était quelque chose d’assez inaccessible,
puis au fur et à mesure on voyait qu’il y avait des choses qu’on arrivait à faire finalement et puis
qu’on n’était pas tout seul et que ça marchait très bien finalement (Ca 1).
Dans les deux cas, il s’est produit un changement d’attitude vis-à-vis du
multimédia, provoqué par une transformation de leurs représentations au début et
à la fin de la formation. Si au commencement Christèle et Candice ressentaient une
hésitation face à l’outil considéré comme assez complexe (« c’était un labyrinthe »,
« un beau rêve très difficile à réaliser », « quelque chose d’inaccessible »),
l’investissement personnel dans la production multimédia ainsi que le suivi
technico-pédagogique tout au long de la formation (« on n’était pas tout seul ») ont
considérablement modifié les représentations du début (« on pouvait très bien se
débrouiller », « on arrivait à faire»). De même, Nathalie, institutrice sans aucune
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
203
connaissance préalable du multimédia, a cherché à « dédramatiser » l’outil à
travers un contact direct :
Il y avait un petit peu la volonté en ce qui me concerne d’amoindrir la distance que je pouvais
ressentir entre le multimédia et ma pratique pédagogique et dédramatiser un petit peu le
contact avec l’outil multimédia. (…) Donc ce module me permettait justement de combler un
petit peu ce vide que je ressentais (Na 1).
5.2.3. Construction active et « bricolage » technologique
Un principe qui traverse la littérature constructiviste est celui de
l’engagement actif de l’apprenant à la construction de ses connaissances dans un
contexte social. La connaissance, selon le constructivisme piagétien, est une
construction individuelle104 progressive dérivée de l’action effective (Linard, 1996, p.
107). Dans le cas concret de la production multimédia comment ce principe fut-il
ressenti ?
On ne se sent pas forcément capable de faire quelque chose. Comme on est en train de se
former, (…) on n’a vraiment pas d’expérience (…) c’est vrai que ça peut faire peur, mais en
même temps, c’est vraiment motivant, parce que faire des exercices qui vont être exploitables,
c’est autre chose (Sy 1).
Il y avait plein de choses que j’ai découvertes : HotPotatoes que je ne connaissais pas du tout,
euh, je ne m’étais jamais servie de PowerPoint, j’ai appris à m’en servir justement en faisant les
exercices et tout ce qui était ajout d’images et de liens. Donc, je me suis bien entraînée à la
maison et ici et puis, maintenant, à la maison, c’est nickel, j’arrive très bien quoi, donc, c’est
super (Ca 2).
J’ai trouvé ça très sympa, je ne me suis jamais autant accrochée à mon ordinateur depuis ça,
vraiment je cherchais à me servir du logiciel HotPotatoes, je cherchais tout ce qu’on peut faire
avec, les liens hypertexte, des choses comme ça que je ne connaissais pas du tout. Enfin, on a
beaucoup travaillé sans que ça semble difficile. Ca venait de nous-même (…) on était motivés,
quoi (Ch 2).
104 Nous analyserons le volet collectif de la création multimédia dans 7.3.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
204
Selon Gilberte Furstenberg, qui adopte une perspective constructiviste
(1997), le multimédia se prête à donner une forme aux informations et ressources
diverses à la disposition des apprenants. Selon l’auteur, l’enjeu du multimédia est
d’amener les apprenants « à associer ces éléments disparates, créer des liens,
établir des associations. Il leur incombera aussi la tâche de suivre des fils à travers
différents types de liens et d’associations, d’organiser l’information, de construire un
sens ou des sens » (Furstenberg, 1997, p. 67).
Les trois extraits ci-dessus sont assez représentatifs du plaisir créatif qui
découle de la mise en place d’une démarche exploratoire des outils technologiques.
Cette constatation tirée de notre analyse ne fait que confirmer les atouts de
l’approche (socio)constructiviste. Par exemple, David Jonassen et ses collègues
(Jonassen et al., 1993) soulignent que les contextes d’apprentissage les plus
effectifs sont ceux qui sont centrés sur la résolution collective de problèmes tout en
immergeant les apprenants dans une situation qui leur demande l’acquisition des
savoir-faire pour la réalisation d’une tâche concrète ou pour la prise en main de la
situation. Les auteurs résument leur postulat ainsi, partagé d’ailleurs par Vosniadou
(1992), Cole (1991), Cunningham et Duffy (1996) : la nécessité de mettre en place
des environnements contextualisés dans lesquels les apprenants réalisent des
tâches qui sont signifiantes pour eux (Jonassen et al., op. cit.)
De même, si la construction active des connaissances présente
incontestablement des avantages vis-à-vis d’une démarche plus directive, nous
souhaitons nous focaliser ici sur un autre élément qui paraît moins fréquemment
examiné : la centralité de la tâche et la démarche pédagogique du dispositif dans
son ensemble. De manière systémique, l’exploration, la motivation qui découle de
l’accomplissement d’une activité, les interactions autour d’une activité dépendent
fondamentalement de la conception du dispositif et plus particulièrement de la
démarche pédagogique qui le caractérise. Conséquemment, le plaisir créatif dont
les étudiants ont fait preuve a fortement dépendu du dispositif analysé. Dans 5.5.
nous développerons le rôle que la conception des tâches a joué au sein du dispositif
« le français en (première) ligne ». A l’instar de Furstenberg (1997), il est
intéressant de souligner ici que :
Il ne faut pas s’attendre à ce que l’utilisateur renouvelle sans cesse ses
explorations pour le simple plaisir (…) Il ne faut pas s’attendre non plus
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
205
à ce que l’apprenant poursuive spontanément des échanges avec les
autres utilisateurs. Il faudra passer par le biais de la tâche. (…) La
qualité de cette tâche est cruciale car seule la tâche bien conçue pourra
assurer la qualité de l’apprentissage (p. 68).
Par ailleurs, l’enthousiasme est sans aucun doute lié à la satisfaction de
fabriquer un objet, élément qui a constitué une motivation supplémentaire pour le
groupe des étudiants (« c’était vraiment motivant », « on était motivés »). Le
croisement des extraits d’entretiens avec les questionnaires confirme cette réalité :
le dispositif dans son ensemble est caractérisé à plusieurs reprises comme
« créatif » et « motivant », avec quatre occurrences pour le premier adjectif et
trois pour le second. Nous pouvons donc déduire que la démarche active de prise
en charge des ressources matérielles et de leur disposition (voire de leur mise en
contexte) à des fins pédagogiques a été considérée comme un des atouts de la
formation.
5.2.4. Idées en gestation et manipulations technologiques
Il y a des fois, je me disais « oh, je vais mettre deux heures pour le faire » et finalement j’étais
assise de huit heures du soir jusqu’à minuit dessus… Je voyais plein de problèmes, je n’arrivais
pas à faire fonctionner le logiciel du son malgré tout ce que j’essayais de faire… La recherche
des informations, la recherche des photos, des liens sur Internet, tout ça, ça m’a pris du temps
(Ca 3).
L’extrait ci-dessus nous rappelle que malgré l’enthousiasme et la satisfaction
provoqués par le plaisir de l’élaboration créative sur multimédia, des efforts
importants ont été mis en œuvre pour atteindre l’objectif visé. La réalisation ne
demandait pas un simple arrangement des ressources mais un investissement
socio-cognitif considérable (cf. 5.3.2.). De ce point de vue, la manière dont les
dyades ont procédé à l’élaboration de leurs activités présente un intérêt particulier.
A l’examen des entretiens, quels processus de réalisation les étudiants ont-ils
suivi ? Quel était le point de départ de la conception multimédia ? Nous nous
trouvons en fait au cœur de la problématique de la construction des connaissances
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
206
qui, sous l’angle constructiviste, implique entre autres des processus tels que la
confrontation d’idées, la réorganisation des schèmes mentaux, la mise en commun
et la transformation des représentations initiales (Henri et Lundgren-Cayrol, 1998) :
J’avais plein d’idées (…) je voulais faire des conversations téléphoniques dans une fromagerie,
on avait tellement d’idées au début (…) puis on a voulu travailler sur des personnalités de
Franche-Comté, Victor Hugo, Courbet… (So 1).
A l’examen des entretiens, il ressort qu’au début de la formation les dyades
ont fait preuve d’une imagination créatrice très riche et d’une abondance d’idées à
tel point que certaines idées n’ont pas été réalisées. Dans l’extrait ci-dessus,
Sophie, qui faisait partie d’une des dyades les plus productives, évoque les
différentes pistes qu’elle a voulu réaliser, tandis que leurs productions finales ont
été fondées sur des idées complètement différentes (les professions, les cartes
d’étudiant etc.). Dans le même registre, Nathalie, explique le travail complexe
fourni pour la conception multimédia :
On a tâtonné (…) Au départ, on est peut-être allé sur plusieurs sites (…) on se promenait, on
allait à droite, à gauche (…) et puis, petit à petit, encore une fois, ça a décanté et on a
sélectionné les sites en fonction de ce qu’on voulait faire par rapport à ce thème. (…) Je suis
partie me balader le premier week-end avec l’appareil et puis j’ai pris les photos de bateaux,
mais c’est après… quand on parle d’idées, d’interculturel, de relations, on met peut-être des
mots sur quelque chose qu’on n’avait pas au départ (Na 2).
Les processus tels que la sélection et l’assemblage des matériaux,
l’improvisation, la systématisation, la remise en question et le recul réflexif sont
caractéristiques de l’édification progressive d’une activité, à caractère
essentiellement socioconstructiviste. Dans l’extrait suivant, Nathalie illustre le
réseau de mécanismes complexes qui se forge lentement :
On se promène dans ce qu’on va utiliser, on se promène dans la ville aussi, dans la région, tout
ça, c’est dans notre tête et puis il y a des connexions qui se font, qui se parlent, par rapport à
ce qu’on est aussi, par rapport à ce qu’on veut traduire, et petit à petit, ça se forme, ça se met
en place, oui, c’est quelque chose qui se met en place petit à petit : c’est ça la création105 (Na
3).
105 Désormais, c’est nous qui soulignons les énoncés.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
207
Finalement on a trouvé la visite virtuelle de Besançon avec des endroits qu’on avait pris en
photos. Donc ça nous a donné l’idée de bâtir quelque chose avec (Ch 3).
À notre sens, le recours à des expressions telles que « on a tâtonné »,
«bâtir », « on est allé à gauche et à droite », « on se promenait » relèvent d’une
tentative de se repérer conceptuellement dans le vaste champ de la création, d’un
effort à tracer un chemin qui servira de trame à la réalisation. Cette démarche nous
rappelle la notion de « bricolage » et la capacité de combiner des matières
premières et des outils en vue de la réalisation d’un projet (Lévi-Strauss, 1962). Par
ailleurs, elle rejoint l’approche constructiviste que Trocmé-Fabre résume ainsi :
Apprendre ne consiste pas à ajouter quelque chose à autre chose sur une
ligne qu’on aimerait droite, tracée d’avance, si possible. Apprendre, c’est
changer, modifier, transformer, réorganiser, bifurquer vers un autre degré
de complexité » (Trocmé-Fabre, 1999, p. 38).
(Quel est votre apport personnel à l’issue de la formation ?106) L’apport personnel… ça m’a
permis de créer un document dans lequel cette dimension créatrice est très importante (Na 4).
C’était ludique (…) On apportait tout le matériel, la recherche de matériel pour faire nos
exercices (…) aller prendre des photos, enregistrer des sons… c’était assez amusant en fait (…)
C’est vraiment des choses qu’on fait assez rarement en fait (Ch 4).
Des processus tels que la recherche et la sélection des ressources en
fonction d’un objectif de réalisation, leur articulation et leur mise en cohérence qui
ressortent de l’extrait ci-dessus sont quelques uns parmi les fonctionnements
mentaux supérieurs surgis au cours de la réalisation de la tâche. Nous pouvons
donc retenir que l’élaboration des activités, née des conflits socio-cognitifs à la fois
sur le plan intra-mental (par exemple par la remise en question de ses propres
représentations) et inter-mental (par exemple par la négociation et la verbalisation
des processus intériorisés), a activé des processus mentaux supérieurs, jugés
indispensables au développement cognitif selon l’approche constructiviste,
notamment socioculturelle (Vygotsky, 1934 ; Wertsch 1991). Or, l'activation de ce
106 En italiques la question de l’intervieweur.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
208
type d’opérations supérieures n’est pas survenue sans efforts considérables de la
part des apprenants, efforts sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin (5.2.6.).
5.2.5. Rôle des outils technologiques et alphabétisation
numérique
Avant d’examiner le rôle qu’ont joué les outils technologiques dans la
conception des activités, il serait intéressant de s’interroger brièvement sur le
véritable apport de l’ordinateur à une activité humaine. Pour Salomon par exemple,
l’avantage que présente l’ordinateur est de soutenir l’engagement « conscient »
(mindful engagement) et l’appropriation du sens (meaning appropriation) dans un
contexte social (Salomon, 1992). Selon Salomon dont la pensée est largement
influencée par l’approche socioconstructiviste, l’ordinateur ne doit pas être examiné
en soi, comme un artefact coupé du contexte d’apprentissage, mais comme un
moyen qui déclencherait une réaction en chaîne, qui n’est autre qu’un
apprentissage à la fois réflexif, socialisant et construit sur le sens. Evidemment,
l’approche de Salomon est caractéristique du passage d’une réflexion
technocentriste qui se concentre sur les propriétés des outils en tant que tels à une
considération des outils comme moyens de réalisation d’une tâche.
La réflexion de Salomon rejoint ainsi naturellement l’approche située (Brown,
Collins et Duguid, 1989). Dans le cadre du dispositif « le français en (première)
ligne », l’appropriation de l’outil informatique suit cette tradition. Imbriqué dans les
objectifs pédagogiques que les apprenants se sont donnés, l’outil informatique était
considéré non pas comme l’objectif pédagogique per se mais comme un médium qui
contribuerait à la réalisation de ces objectifs. Ainsi, l’appropriation de l’outil a suivi
(et non pas précédé comme c’est parfois le cas dans un apprentissage
décontextualisé) les conceptions pédagogiques que les apprenants ont voulu mettre
en oeuvre.
On a voulu rendre la vie quotidienne à Besançon [...] On a présenté Besançon avec un
diaporama, on a fait une visite virtuelle de Besançon [...] on a été dans une soirée étudiante, on
a pris de photos [...] il fallait aller chercher des images, ce n'était pas pure description de la
ville »[...] je me suis rendue compte qu'il fallait sélectionner les ressources, les matériels et
qu'on pouvait se débrouiller avec peu de logiciels par exemple pour faire des choses très bien
(Ch 5).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
209
La recherche de matériaux authentiques pour réussir à donner corps à un
objectif pédagogique (« on a voulu rendre la vie quotidienne à Besançon ») n’est
pas uniquement représentative de l’investissement personnel dans la création. Elle
souligne bien plus la tentative de s’approprier l’outil, de le maîtriser suffisamment
pour être en mesure d’accomplir cet objectif. Cette approche rejoint Shetzer et
Warschauer (2000) pour qui les compétences technologiques sont le mieux acquises
si intégrées dans un projet nécessitant leur mise en application pratique, autrement
dit, leur contextualisation.
Une telle approche de l’alphabétisation numérique (electronic literacy) se
reflète dans l’utilisation de l’outil appliquée aux objectifs que les apprenants se sont
donnés et renvoient également aux potentialités de l’apprentissage situé, avec
l’importance de l’implication dans des tâches réelles (cf. Hewitt, Scardamalia et
Web, 1997). Les paroles de Christèle abondent dans ce sens (« on apportait tout le
matériel [pour la réalisation des activités], on est allé prendre des photos,
enregistrer des sons pour rendre la vie quotidienne de Besançon »).
5.2.6. Aspects socio-affectifs de la maîtrise technologique et
degré d’autonomie
L’appropriation des outils multimédias ne s’est pas toujours déroulée sans
obstacles. Comme il était attendu dans le déroulement d’une formation technico-
pédagogique, les problèmes techniques n’ont pas manqué. Ce qui nous paraît
davantage intéressant, c’est le retentissement des obstacles techniques sur le plan
socio-affectif. Nous avons évoqué plus haut les répercussions liées à la manipulation
technique sur le plan affectif dans la phase initiale de prise en main (« volonté de
dédramatiser le multimédia », « au début ça peut faire peur »). Au cours de la
formation, nous avons remarqué que les problèmes techniques (d’ordre donc
essentiellement cognitif) ont eu un impact important sur les processus affectifs, tels
que les « blocages » et les découragements :
On a l’idée et on est bloqués par la technique (…) La technique peut aider, comme ça peut
bloquer aussi, je crois qu’il y a un double tranchant (Ch 6).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
210
Il y a des moments où moi je me suis sentie perdue (…) le coup de main, on en a besoin sur le
moment : on ne peut pas attendre vingt minutes et rester bloqué… (Be 2).
De plus, ce qui nous paraît particulièrement intéressant dans la façon dont
les étudiants abordent le multimédia, c’est le degré d’autonomie et d’autorégulation
dans l’appropriation de l’outil. Il ressort que l’utilisation des mêmes outils
technologiques provoque des réactions différentes chez les étudiants. Dans le cas
des outils HotPotatoes par exemple, Candice et Christèle ont eu une attitude plus
autonome, mettant en place une démarche d’exploration libre (cf. Candice : « je ne
connaissais pas du tout HotPotatoes, j’ai appris à m’en servir justement en faisant,
j’arrive très bien quoi » (Ca 2) et Christèle : « je cherchais à me servir de
HotPotatoes que je ne connaissais pas du tout » (Ch 2). A l’opposé, Sophie, vis-à-
vis du même outil HotPotatoes, affiche un degré d’autonomie bien plus limité,
mettant en avant la nécessité d’encadrement technique :
Au début on a un petit peu ramé ! Il y a un moment où j’étais un peu découragée (…) Au début
on était parachuté, on ne savait pas se servir de la plate-forme, de Hotpotatoes… c’était
compliqué, une fois qu’on a compris c’est tout simple (So 2).
De manière intéressante, Sophie, compare la maîtrise de l’outil à un
« parachutage » au moment où pour les deux autres étudiantes Candice (Ca 2) et
Christèle (Ch 2), l’autorégulation a été ressentie comme un atout. Ainsi, tandis que
pour certains la confrontation avec les technologies relève de l’exploration
autorégulée des possibilités et des limites des outils, pour d’autres la maîtrise de
l’outil nécessite un encadrement permanent. Par exemple, l’extrait de Bettina (Be 2)
reflète le besoin d’un suivi en permanence.
De même, pour Glikman, une forte adaptation à un apprentissage autonome
se traduit par une plus grande aptitude à prendre en charge son propre
apprentissage et à tirer profit des diverses ressources éducatives, matérielles et
humaines disponibles (Glikman, 2002a). Nous pensons que la remarque de Glikman
peut être aussi valable dans le cas de notre analyse, avec Candice et Christèle
affichant un haut degré d’adaptation et avec Sophie et Bettina présentant un degré
assez faible.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
211
Pourtant, il nous semble difficile d’interpréter le niveau d’autonomie de
certains étudiants en fonction de leur niveau préalable en informatique. A notre
avis, les préacquis technologiques des étudiants n’ont que très peu déterminé
l’adaptation à un apprentissage autonome. A titre d’exemple, Bettina, ayant un
niveau technologique intermédiaire et donc une plus grande aisance dans la gestion
des ressources informatiques, a assisté à toutes les séances d’accompagnement
supplémentaires, organisées en principe pour assister les étudiants les plus faibles
techniquement dans leur production. C’est aussi le cas de Laura, l’étudiante la plus
forte techniquement, qui au début de la formation venait seule sans sa partenaire
aux séances supplémentaires.
Nous développerons plus loin le lien entre réalisation multimédia et tutorat
socio-affectif (6.2.2.). A ce stade nous pouvons constater que les étudiants ayant
une bonne maîtrise de l’outil n’ont pas été forcement ceux qui ont affiché la plus
grande adaptation au dispositif autonome. Dans le cadre de notre analyse, nous
rejetons donc l’hypothèse selon laquelle les apprenants les plus forts techniquement
nécessitent moins d’accompagnement technico-pédagogique tout au long du
dispositif. Nous avons constaté toutefois que les plus faibles techniquement sont
plus fréquemment sujets à des découragements et à des déceptions face à l’outil.
Comme l’évoque Claire, une des étudiantes ayant une faible maîtrise de l’outil :
Quand je suis face à l’informatique, j’ai tendance à m’énerver rapidement donc, le fait qu’il y ait
quelqu’un avec moi, qu’il y ait Nathalie, ça m’a calmée (Cl 2).
De ce point de vue, autant la démarche collective du dispositif que
l’accompagnement renforcé ont contribué à faire surmonter les blocages d’ordre à
la fois cognitif et affectif provoqués par l’utilisation du multimédia. Nous
analyserons plus loin le rôle des processus collectifs dans la création (7.3.) ainsi que
les effets du suivi pédagogique (6.2.).
5.3. Aspects interculturels médiatisés
L’implication des étudiants dans des projets de réalisation multimédia pour
des apprenants étrangers a eu des répercussions sur le caractère interculturel de
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
212
ces réalisations. Puisque ces effets ont résulté du dispositif qui, de par sa
conception même, impliquait l’existence d’un groupe d’apprenants allophones, nous
inclurons l’analyse des aspects interculturels médiatisés dans cette partie de notre
étude.
Parmi les recherches sur l’interculturalité, la problématique de la
médiatisation des dimensions interculturelles107 nous semble peu exploitée. Outre
cette entrée, nous examinerons également les aspects socio-affectifs qui influent
sur l’interprétation d’une culture étrangère. De quelle manière l’existence du groupe
cible australien a-t-elle déterminé la création multimédia, quelle image de la France
les concepteurs ont-ils voulu promouvoir ? Quelles ont été les retombées sur le plan
socio-affectif ?
5.3.1. Représentations du groupe cible et médiation
interculturelle
Je me disais « attends, des Australiens, qu’est-ce qu’ils en ont à faire de la Franche-
Comté ? (…) J’ai une copine qui est mariée à un Australien qui est de Sydney (…) donc je lui ai
demandé des petits éléments, enfin, des trucs comme ça, histoire de baigner un petit peu là
dedans quoi (Na 5). Je me suis renseignée auprès d’une amie qui était déjà allée en Australie pour savoir si elle
connaissait le pain et la viennoiserie et si c’était courant là-bas car je voulais que mon activité
sur la boulangerie soit intéressante et instructive pour eux » (A4/9)108.
Les dires de Nathalie ainsi que l’extrait du questionnaire de Aziza relèvent
d’un effort pour se représenter autant le mode de vie que les goûts du groupe cible.
A travers le corpus des données invoquées, plusieurs tentatives visent à concrétiser
conceptuellement l’image des apprenants australiens et à saisir la réalité culturelle
en Australie. Nous nous trouvons donc dans une optique que Furstenberg, Levet et
107 Nous empruntons à Abdallah-Pretceille la définition suivante : « par aspects interculturels nous entendons les éléments qui portent la marque d’une mise en relation et une prise en considération des interactions entre des groupes, des individus, des identités » (Abdallah-Pretceille, 1999, citée par Develotte, 2005, p.1). 108 Les extraits A4/1 à A4/11 se réfèrent aux réponses données aux questionnaires de l’annexe A4. Par exemple, l’extrait A4/2 renvoie au questionnaire n° 2.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
213
English (2001) désignent comme « alphabétisation culturelle » (cultural literacy) et
qui se réfère aux efforts d’un apprenant pour négocier le sens culturel et déchiffrer
les différences de perspective :
Cultural literacy can not be reduced to the idea or list of items, but must
be seen as an ongoing dynamic process of negociating meaning and
understanding differences of perspective (Furstenberg et al., 2001, np)
Or, malgré ces tentatives le groupe australien semble être encore assez
« loin ». Nathalie exprime sa frustration due au manque de repères concrets par
rapport au groupe cible :
« On a dit que c’était juste des étudiants en première année de fac et j’étais un peu gênée
parce que c’était trop vague en fait (…) ce n’était pas suffisant. (Na 6).
La distance géographique entre Besançon et Sydney semble se transformer
en éloignement psychologique. A plusieurs reprises les apprenants australiens sont
désignés comme des personnes « au bout », « à l’autre bout du monde » ou « de
l’autre côté de la barrière », comme le prouvent les énoncés tels que « il y a des
personnes au bout qui vont avoir ces exercices » (Christèle), « il y a d’autres
personnes à l’autre bout du monde qui vont pouvoir regarder les exercices »
(Alphonse), le fait qu'il y ait des gens au bout, c'est ça qui est le plus intéressant
(Claire) et « si j’avais été de l’autre côté de la barrière, j’aurais aimé qu’on me fasse
des activités qui soient efficaces » (Bettina)109.
Deux interprétations supplémentaires sont envisagées. Premièrement, il est
possible que la locution « au bout » fasse allusion à l’expression courante « au bout
du fil » : le réseau Internet, par analogie au téléphone, n’aurait-il pas pu être
désigné comme un moyen de communication qui rapprocherait les deux groupes
distants ? De surcroît, l’expression « de l’autre côté de la barrière » peut aussi être
considérée comme reflétant une distanciation de statut entre les étudiants-
109 Nous retenons ici une dimension de cette expression qu’un de nos anciens collègues à l’Université de Franche-Comté, Christian Bos, nous a fait découvrir. D’après lui, les expressions du type « au bout » manifestent un sentiment de motivation devant l’effort nécessaire pour établir un lien techniquement difficile, mais affectivement rétribuant, au bout donc de cette distance et des efforts de rapprochement.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
214
concepteurs et les apprenants du français, la réalisation des activités consisterait
donc en une passerelle qui aurait la capacité de limiter l’éloignement qui séparait
les deux groupes. De cette volonté de s’approcher conceptuellement du groupe cible
ressort l’effort de rendre les activités attrayantes :
[L’objectif était de les] guider dans la découverte de la France et de notre région en essayant
d’accroître leur curiosité » (A4/1). Dans nos textes qui étaient plus proches de la réalité (…) il n’y a pas de points précis
linguistiques (…) Au départ ce n’est pas [l’entrée par un point linguistique] qui nous a conduit,
c’est d’abord essayer de les intéresser (…) On s’est plutôt approché de leurs motivations. (Cl 3)
Nous constatons que la réalisation multimédia a reflété le désir des
concepteurs d’une part de s’approcher des apprenants de Sydney et d’autre part
d’attirer leur attention en faisant appel à leur vécu. Cela permet notamment de
réfléchir à la fois sur les deux cultures, sa propre culture (« qu’est-ce que les
Australiens en ont à faire de la Franche-Comté ? ») et l’étrangère (« on est parti sur
les bateaux parce que eux justement ont ce contact à l’eau, aux ponts, au sport
aussi avec les kayaks »). Les étudiants se positionnent aussi en médiateurs
(inter)culturels de référence, susceptibles de rendre l’image de la France (présumée
stéréotypée à travers les manuels) plus « objective ».
Si on regarde dans les méthodes, il y a encore ces stéréotypes là qui font que la France, c’est le
pays du luxe, du parfum, d’une bonne gastronomie, c’est vrai, c’est vrai c’est des points positifs
mais il faudrait qu’ils viennent voir que les grandes villes françaises, c’est plein d’étudiants, c’est
des bonnes soirées qu’on passe entre amis (…) et que ce n’est pas seulement le faste et
compagnie. (…) Nous on peut, c’est vrai, véhiculer ça sur des images mais il faudrait que des
étudiants comme nous le fassent (Ca 4).
Jusqu’ici nous nous sommes contentée de proposer une interprétation du
terme polyvalent de « représentation », tâche assez complexe comme le prouve la
Journée d’étude dédiée aux Représentations en Didactique des Langues et Cultures
(Zarate, 1997). Pourtant, l’extrait de Candice ci-dessous renvoie à la définition de
la représentation comme une construction sociale qui porte « l’empreinte de
l’identité de l’acteur dans la relation au réel » (Zarate, 1993, p. 29). La phrase de
Candice « si [les Australiens] pensent que le Français, c’est le monsieur avec son
chapeau, avec sa baguette de pain, son filet d’oignons et d’ail à côté, ce n’est pas
vraiment ça » pourrait être considérée comme une « méta-représentation » dans la
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
215
mesure où Candice procède à une projection personnelle sur les représentations
que les Australiens ont –éventuellement- sur la France. Elle se positionne donc en
tant que médiateur culturel par excellence afin d’offrir une image plus « originale »
qui, bien évidemment, relève de l’ordre du subjectif comme toute représentation
sociale.
5.3.2. Engagement personnel et collectif dans la construction
multimédia
[L’objectif] c’est de leur montrer notre vie à nous, à Besançon et en France, donc comme ça ils
allaient voir un peu comment ça se passe quoi. C’était vraiment aussi à titre informatif par
rapport à nos coutumes, notre culture, on espère qu’ils enverront aussi des choses par rapport à
la leur (Sy 2).
Les mécanismes de réalisation multimédia ont été déterminés par un
paramètre qui semble souvent sous-estimé dans la bibliographie concernant
l’appropriation des outils technologiques : l’engagement socio-affectif. Nous
montrerons ci-après que les étudiants, loin de réaliser simplement des activités
adaptées à un groupe cible, ont tenté de faire apparaître leur conception de la
réalité à travers les outils. En effet, ils ont éprouvé la volonté de véhiculer leur
vision du monde à l’aide de la production multimédia. Leur objectif, outre l’objectif
pédagogique d’activité, était de « soumettre » les outils aux représentations
collectives des dyades et de faire passer une vision personnelle du monde à travers
leurs activités.
On a surtout voulu rendre la vie quotidienne à Besançon, mais on n’avait pas envie de faire le
côté touristique, ville historique etc. (…) C’était plutôt la vie humaine, une ville vivante. Souvent
les gens qui sont loin, ils ont l’impression de la France, d’un pays où tout est vieux. On a
présenté Besançon avec un diaporama, on a montré les rues, on a montré les endroits pour les
étudiants, les soirées, les décorations de Noël. Enfin des choses assez, où il y a du monde qui
bouge, quoi… (Ch 7).
La création multimédia est donc considérée à la fois comme le partage et le
vécu d’une expérience. De cette constatation découle un engagement individuel et
collectif vis-à-vis de la création multimédia :
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
216
Comme je suis arrivée il y a simplement un an à Besançon, peut-être j’ai voulu transmettre ce à
quoi j’avais été sensible. (…) Ca procède en effet d’une influence personnelle sur une sensibilité
dans la région de Franche-Comté (…) Et j’en reviens toujours à cet élément très personnel, ce
besoin d’exprimer quelque chose de personnel et à l’intérieur d’un essai d’élaboration d’une
relation (…) C’est par mon expérience à l’étranger… quand on téléphone, qu’on tombe sur des
répondeurs téléphoniques, on n’y comprend absolument rien. C’est pour ça que je voulais
intégrer des choses comme ça (Na 7).
Par ailleurs, nous soulignons le besoin qu’ont éprouvé les étudiants
étrangers ou français d’origine étrangère de promouvoir une image de la France qui
se distancie de l’image qu’un natif privilégierait. Nous repérons trois cas de figure :
premièrement, le cas de Candice, Française d’origine cambodgienne, qui a souhaité
mettre en avant l’image d’une France pluriculturelle :
Moi je pense que s’ils pensent que le Français, c’est le monsieur avec son chapeau, avec sa
baguette de pain, son filet d’oignons et d’ail à côté ce n’est pas vraiment ça. Je pense que grâce
au multimédia c’est vrai qu’on peut éliminer justement certaines images qu’ils ont, les
stéréotypes sur la France, surtout si c’est nous qui le faisons quoi (…) Nous [en tant
qu’étudiants] on peut véhiculer ça (…) véhiculer une réalité, et pas de grandes têtes pensantes.
C’est pour ça qu’on a montré, on a des photos de l’accompagnement scolaire par exemple,
parce que je travaille à l’accompagnement scolaire, où on voit que les accompagnateurs sont de
toutes les ethnies. Il y a une personne qui vient des Antilles, il y a deux Marocaines, il y a une
Française, moi, une Cambodgienne et les élèves c’est des Marocains, des Algériens, des
Français, des Italiens, des Espagnols, on a de tout, et que la France ce n’est pas que les
Français, que c’est un amalgame de tout. Plein de nationalités qui viennent, qui cohabitent
ensemble quoi et que finalement on y arrive très bien (Ca 5).
Deuxièmement, la dyade de Sonia, Française, et de Karola, Polonaise, a
choisi de réaliser une activité sur le « voyage d’une Polonaise » :
Le voyage d’une Polonaise
Sonia Salut Karola, ça va ? La Pologne ne te manque pas trop ?
Karola Oui merci, ça va. Non, la Pologne ne me manque pas trop. J'aime beaucoup la France.
Sonia Alors raconte moi ton voyage !
Karola J'étais d'abord à Paris. C'est une ville très vivante, vraiment super ! Ensuite j'ai pris l'avion pour aller à Cannes […]
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
217
Troisièmement, la dyade de Alphonse, d’origine malawienne et de Saëda,
Soudanaise, a travaillé sur Halloween, considérée comme une « fête française ». A
ce propos, C. Develotte affirme :
Ce choix de « fête française » (…) est intéressant en ce qu’il produit un
éclairage de la réalité française vue par le prisme d’une culture étrangère.
C’est ce que nous appellerons le « décentrage » du regard porté sur la
réalité française ». (Develotte, 2005, p. 6).
Ce « décentrage du regard » facilité par les outils technologiques dans la
mesure où le concepteur fait appel aux artefacts pour réaliser un objectif concret,
renvoie au besoin de rendre plus « objective » ou de mettre à jour l’image que les
Australiens auraient de la France. Malgré le fait qu’aux yeux de Candice son
interprétation de la culture française permettra aux Australiens de voir ce que c’est
« réellement » que la France, notamment une société plus multiculturelle qu’ils ne
le pensaient, son point de vue est fortement marqué par un positionnement
identitaire (en tant que Française originaire du Cambodge) et par une réflexion
personnelle de ce que représente la France. Par extension, notre analyse nous a
permis de constater, à l’instar de Zarate que :
Si toute représentation relève d’une démarche identitaire, les
représentations de l’étranger constituent paradoxalement l’une des voies
les plus accessibles pour amorcer une réflexion sur le fonctionnement de
son identité (…) A l’instar de toutes les autres formes de représentations,
les représentations de l’étranger renvoient à l’identité du groupe qui les
produit (Zarate, 1993, p. 30).
Faire partager quelque chose de personnel à un groupe éloigné, véhiculer
ses propres représentations sur sa culture, tenter de faire tomber les stéréotypes à
l’aide du multimédia : il s’agit de stratégies sous-jacentes qui ont déterminé à la
fois le choix des outils technologiques (prise de photos des accompagnateurs
scolaires pour Candice, enregistrements de sons numériques pour Nathalie) et des
objectifs pédagogiques (familiarisation avec les expressions de salutation,
réservation d’un voyage en bateau à partir d’un répondeur téléphonique).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
218
Par ailleurs, la reprise du verbe vouloir dans tous les extraits ci-dessus
(« On a surtout voulu rendre la vie quotidienne », « j’ai voulu transmettre », « on
voulait qu’ils s’amusent un peu », Nathalie plus loin) est caractéristique de la
volonté de promouvoir, à l’aide des outils technologiques, une perception
personnelle et collective de la réalité environnante. Dans la même logique, une
interviewée confirme :
J’ai voulu montrer une image qui me séduisait : parler de quelque chose que j’aime me motive.
(A4/5)
5.3.3. Créer « des points d’entente » à l’aide du multimédia
Si la conception multimédia a été fortement déterminée par la volonté de
mettre en avant une conception personnelle de la réalité, elle a été influencée
également par le désir des étudiants-concepteurs de capter l’intérêt du groupe-
cible, de créer notamment « des points d’entente » entre eux-mêmes et les
apprenants éloignés, comme le suggère Nathalie :
J’avais pensé à différents trucs : montrer des sports de glisse ici parce que j’avais pensé au surf,
ils aiment bien le surf, donc j’avais pris des jeunes en skate, j’avais pensé orienter le thème sur
des activités de jeunes dans la rue, donc, je cherchais vraiment à trouver un point d’entente (Na
8).
Je me les représente jeunes, qui ont envie d’apprendre la langue avec des choses actuelles (…)
et puis ce que j’aurais voulu plus exploiter, c’est le rapprochement qu’on a au niveau de l’âge
aussi (Be 3).
Créer des affinités, essayer de repérer dans le groupe cible des centres
d’intérêt, tenter d’attirer leur attention. Si une activité sur les hommes célèbres de
Besançon a été vite abandonnée à raison de son peu d’attrait pour des jeunes
Australiens, la thématique de l’eau a été la plus privilégiée. Deux parmi les huit
dyades se sont servis de l’élément aquatique pour créer des points d’ancrage entre
eux-mêmes et les Australiens « au bout ». Claire et Sylvie, une étudiante de chaque
dyade ayant travaillé sur la thématique de l’eau expliquent ce choix:
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
219
Ca nous semblait difficile de les intéresser à notre région. (…) C’est pour ça qu’on s’est un peu
éloignées de la citadelle (de Besançon), Arc et Senans, tout ça… et qu’on est parti sur les
bateaux parce que EUX justement ont ce contact à l’eau, aux bateaux, au sport aussi avec les
kayaks (…) Donc on a privilégié ce qui pouvait nous rapprocher un peu d’eux. (Cl 4)
En Franche-Comté, surtout là où ce qu’on est, on a beaucoup de lacs ; eux ils ont la mer mais je
ne sais pas s’ils ont des lacs et comme ça on leur a un peu montré les beaux sites qu’on a aussi
en France, par rapport à nos sites, aux ponts, on avait le Mont Saint Michel…(Sy 3).
La sélection de la thématique –et par extension des outils de conception- a
donc dépendu du degré d’intérêt qu’elle pourrait présenter pour le groupe éloigné
des Australiens. Le désir de créer des activités multimédias au plus proche du vécu
des Australiens renvoie certainement à une meilleure prise en compte du public
apprenant et effectivement à une contextualisation de la production multimédia (cf.
5.5.). Alphonse, ayant conçu des activités autour de la fête de Halloween en France,
évoque une recherche sur Internet pour apercevoir la façon dont cette fête se
déroulait en Australie.
On avait cherché même sur Yahoo Australie pour voir comment ils fêtent Halloween en Australie
pour avoir des idées, pour savoir comment ils fêtent pour les guider un peu (…) Ensuite on a
voulu avoir une sorte d’échange culturel entre ce qui se passe en France pendant la fête de
Halloween et ce qui se passe en Australie à cette occasion (Alph 2).
De manière intéressante, Alphonse considère que le rapprochement culturel
sur Halloween effectué à travers ses activités facilitera les échanges
communicationnels avec les Australiens pendant le deuxième semestre du projet. Il
rejoint donc Nathalie pour laquelle les « points d’entente » à partir des activités des
Français servent de marchepied aux interactions à venir avec le groupe distant
(« essayer d’élaborer une relation », Na 7).
Intéresser les apprenants Australiens semble être une priorité absolue,
notamment pour Bettina pour qui réussir à attirer l’attention du groupe cible se
présente comme un véritable enjeu :
Je me dis « est-ce que c’est vraiment intéressant d’apprendre les ordinaux par rapport à des
monuments qu’on connaît pas ? », enfin, je me pose ce genre de questions, je me dis que oui,
c’est une belle activité, c’est des belles photos, les questions sont pertinentes et tout, mais est-
ce que ça les intéressera vraiment de savoir que l’église de la Madeleine a été faite au 17ème
siècle, quoi ? Et c’est ça qui me tracasse un peu, quoi (Be 4).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
220
Nous rencontrons le même soucis dans le questionnaire A4/6 : « cela m’a
posé beaucoup de problèmes au niveau de l’intérêt que ce travail allait susciter en
eux ». Dans le cas de Nathalie, le mot introductif « attends,… » dans « attends, des
Australiens, qu’est-ce qu’ils ont à faire de la Franche-Comté ? » nous semble
caractéristique du recul que nécessite une réflexion approfondie sur les moyens
technico-pédagogiques appropriés pour rendre les activités plus attrayantes pour le
groupe cible.
5.3.4. Aspects socio-affectifs et interculturels de la
médiatisation
La prise en compte des spécificités du groupe cible ne constitue pour nous
qu’une entrée parmi d’autres pour l’analyse du phénomène complexe de
l’élaboration des activités. Comme nous venons de le montrer plus haut, les
représentations personnelles des étudiants ont aussi influé sur la conception de
manière décisive. Nous nous éloignons donc d’une perspective purement
pédagogique, centrée exclusivement sur la production d’activités d’apprentissage,
pour englober un point de vue interculturel et socio-affectif.
Au sujet des représentations personnelles influant sur la conception
multimédia, nous discernons deux facteurs décisifs : d’une part l’image de la région
et du pays que les concepteurs ont voulu privilégier, non stéréotypée selon eux
(5.3.1.), et d’autre part le besoin de partager quelque chose de personnel qui relève
d’une implication socioaffective dans la production (5.3.2.). Ainsi, sur le plan
conceptuel, nous distinguons deux pôles d’influence :
le pôle cognitif qui renvoie à la prise en compte des spécificités et des
besoins du groupe cible et
le pôle affectif qui résume les tentatives de promouvoir « une image de ce
qui leur tient à cœur dans la réalité française » et de créer des points
d’entente par le partage de quelque chose de personnel.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
221
Pôle cognitif Pôle socio-affectif
-Contextualisation en fonction -Image culturellement
des besoins du public cible riche de la France
-Représentations des centres -Partage de quelque chose
d’intérêt et du mode de vie de personnel
Production multimédia
(Figure 3 : aspects cognitifs et socio-affectifs de la production multimédia)
A notre avis, la production multimédia s’est élaborée à partir de ce
continuum du pôle objectif (contextualisation en fonction du public) et du pôle
subjectif (image de la France et partage du vécu). Il s’agit bien évidemment d’une
relation dialogique dont les pôles sont indissociables comme le montre l’extrait
suivant :
CLAIRE c’est difficile de se représenter ce que eux aiment et puis entre eux, il doit aussi y avoir
des différences, donc on a plutôt fait par rapport à ce que nous on aimait et ce qu’on pensait
que eux préféreraient (Cl 5).
5.4. Processus d’élaboration : l’exemple de la dyade
Claire - Nathalie
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
222
Cette partie servira à éclairer le tissage complexe des mécanismes
d’élaboration des activités par l’analyse du fonctionnement d’une dyade. De
manière générale, nous avons constaté que la production finale n’a pas résulté
d’un processus linéaire qui débuterait par la négociation et la concrétisation d’un
objectif pédagogique, passerait par la suite à la recherche des matériels appropriés
et finirait par l’organisation des ressources en vue de la réalisation d’une activité.
A l’examen des entretiens, il résulte que chaque dyade a procédé à sa façon,
sans qu’il y ait un mode de fonctionnement unique. Cette même constatation
renvoie à la nature de la construction, « ouverte » par définition, et à la démarche
du dispositif analysé, favorisant les parcours libres.
Nous essaierons de rétablir le parcours d’élaboration tel qu’il fut réalisé par
une dyade, celle de Nathalie et de Claire. Nous nous focaliserons étape par étape
sur le tissage des processus qui sont à la fois d’ordre individuel et collectif.
L’objectif sera donc de montrer que le parcours effectué par la dyade n’a pas
découlé d’un plan ou d’une intention préétablis mais qu’il a été fortement
déterminé par les contraintes situationnelles et le contexte à la fois humain et
matériel de réalisation. Pour ce faire, nous juxtaposerons des données suscitées
(croisement d’extraits d’entretiens des deux étudiantes), des données invoquées
(observations ethnographiques) et des données provoquées (réalisation finale).
Le choix de cette dyade s’est fait sur la base de son parcours inhabituel qui
mérite à notre avis un examen approfondi. De plus, le fait que les étudiantes aient
été interviewées toutes les deux permet de juxtaposer leur discours et d’obtenir
une vision plus globale du parcours réalisé.
(Votre idée de départ était la balade en bateau-mouche ?) Il n’y avait pas d’idée de départ, ce
n’était pas ça, c’est petit à petit, en tâtonnant bien évidemment qu’on se donne nos objectifs.
On a opéré de la façon inverse de ce qu’il est convenu de voir dans le cheminement normal,
c'est-à-dire qu’on a un projet pédagogique et après on va mettre tout un tas de techniques et
d’outils pour arriver à cette intention pédagogique ; ben, en fait, là, non (Na 9).
Objectif
pédagogique
Recherche des
matériels
Réalisation des
activités
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
223
Dès le début Nathalie rejette de manière ferme le « cheminement
orthodoxe » illustré par le schéma ci-dessus. D’après elle, la dyade n’a pas
démarré par la conception d’un plan pédagogique pour passer à la recherche du
matériel approprié à son accomplissement. Claire, sa partenaire, nous éclaire sur la
première étape du parcours : le choix d’une thématique (« au début on voulait
faire les hommes célèbres de Besançon, les monuments »). Or, cette thématique a
été jugée peu intéressante pour un public si éloigné (« ce n’était pas ça qui nous
semblait prioritaire pour les intéresser, donc on a privilégié ce qui pouvait nous
rapprocher un peu d’eux »).
Il se met donc en place une première ébauche de conception sur le plan
thématique. La prise en compte des centres d’intérêt éventuels du public cible et
l’intérêt que cette thématique présenterait pour eux ont amené à une remise en
question de cette première ébauche. Le rejet collectif de la thématique sur la base
d’une non-conformité avec les caractéristiques du public cible renvoie
effectivement à une appréciation de l’ébauche comme « décontextualisée ». Nous
retenons donc deux processus sous-jacents : la résolution collective d’un problème
(au-delà d’un traitement purement individuel) et le déclenchement d’une certaine
prise de conscience du public cible, preuve d’un traitement métacognitif.
Conséquemment, le choix de la première thématique fut l’objet d’une
négociation verbale sur le plan inter-mental et d’un rejet sans une véritable
considération des outils médiateurs (à ce stade ni Claire ni Nathalie n’évoquent les
outils de réalisation). Nous pourrions donc qualifier ce processus de collectif et
non-instrumenté.
L’élaboration de la seconde thématique a jailli d’un ensemble de mécanismes
tout autres. Après la mise à l’écart de la première thématique et le retour au point
zéro de la conception, c’est Nathalie qui lors d’un week-end à la campagne prend
l’initiative de photographier des paysages aquatiques. Nous faisons l’hypothèse que
la prise de photos est dépourvue de tout objectif de didactisation pédagogique : le
motif fut à notre avis d’ordre plutôt psychologique (plaisir, détente dans la
campagne pendant un week-end en famille). Comme elle l’indique ci-après, la prise
des images provient d’un besoin personnel de disposer de matériel avant de passer
à l’acte d’élaboration.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
224
C’était ma façon de rassembler un tas d’informations et puis après, de saisir, de prélever ce qui
pouvait être pertinent dans le projet que nous avions à mener. Ce besoin au départ de,
justement, de s’approvisionner quoi. D’avoir du matériel, et puis après ça se met en place, ça se
décante selon le projet qui va se dessiner justement (Na 10).
De ce besoin de « s’approvisionner » en matériaux bruts provient l’idée de
l’exploitation des images. Cette constatation s’oppose évidemment à une
représentation linéaire du processus d’élaboration qui débuterait par la
concrétisation d’un plan pédagogique suivie par la recherche des matériels et des
outils de réalisation. Paradoxalement, Nathalie commence par l’accumulation des
ressources matérielles sans qu’il y ait un objectif pédagogique spécifique. Elle
explique cette approche : « on se promène dans ce qu’on va utiliser, c’est dans
notre tête et puis il y a des connexions qui se font, ça se met en place petit à
petit ».
Retenons l’énoncé « on se promène dans ce qu’on va utiliser », qui nous
semble révélateur du besoin de se pourvoir de matériaux bruts de tous types, sans
véritable intention pédagogique. Outre le besoin de prendre en images des
paysages d’eau, elle évoque ailleurs que : « J’avais pensé au surf, ils aiment bien le
surf, donc j’avais pris des jeunes en skate ». Pour Nathalie, la cristallisation d’une
idée passe par une étape nécessaire d’instrumentation qui constitue
vraisemblablement une source d’inspiration.
Du caractère collectif et non-instrumenté de la première ébauche nous
passons au caractère individuel et instrumenté de la deuxième. Si Nathalie éprouve
le besoin de « s’approvisionner » avant la réalisation, Claire, du fait qu’elle ne s’est
pas sentie impliquée dans la gestation de l’idée ni dans le recueil du matériel
visuel, ne réussit pas à saisir l’intérêt de l’activité à venir : « La pêche puis le
bateau-mouche c’était plutôt une idée de Nathalie, je ne voyais pas très bien
comment ça pourrait les intéresser ».
De ce point jusqu’à la prise de décision en faveur de la thématique de l’eau
intervient une phase réflexive de négociation. Très probablement, Nathalie met en
place une stratégie visant à convaincre Claire, hésitante quant à la valeur
pédagogique de l’ébauche. Ce processus, véritable source de conflit socio-cognitif,
renvoie à un postulat cher au courant socioculturel, selon lequel l’interaction entre
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
225
pairs et la négociation sont les principaux moyens de développement socio-cognitif
(Interaction as Apprenticeship, Brown, Collins & Duguid, 1989).
L’avantage majeur de ce processus serait, pour Warschauer, l’emploi des
savoirs partagés comme fondement du processus de la résolution collective d’une
tâche signifiante. Dans le cas que nous examinons, ce mécanisme n’a pas été
profitable que pour Claire ; il a permis aussi à Nathalie de s’interroger sur son
propre jugement par rapport à la qualité du projet à venir. D’ailleurs, Claire
demande un temps de réflexion plus long ainsi qu’une plus grande flexibilité de
conception :
[Nathalie] est rentrée très vite dans « on va faire ça, on va faire ça » ; je pense que je n’ai pas
eu assez le temps de réfléchir sur ce qu’on devait faire. Et elle, elle a réfléchi plus vite que moi,
du coup je n’ai pas eu l’impression de donner vraiment mon avis (…) Je lui ai dit quand je
n’étais pas d’accord avec ce qu’elle disait mais… ça m’a convenu finalement (Cl 6).
Cette renégociation collective de la thématique amène à une prise de
décision définitive en faveur du thème de l’eau et des balades en bateaux en
Franche-Comté. De manière intéressante, la conception pédagogique, la recherche
de matériaux et la médiatisation se confondent désormais sans cesse. Ainsi,
l’élaboration des activités se poursuit progressivement, déterminée par plusieurs
facteurs, entre autres par les choix technico-pédagogiques. Par exemple, l’emploi
du canal sonore fut jugé indispensable (« pour moi il faut absolument transmettre
de la voix »)110.
La production finale a été aussi déterminée par les « affordances » du
support multimédia (2.1.3.). Le caractère ouvert de PowerPoint permettant une
organisation plus libre du contenu de l’activité a influé sur le choix final du support
pédagogique. La médiatisation donc de l’activité a été déterminée par le type de
support (ouvert/fermé) sélectionné. D’après Nathalie, « toute de suite avec
PowerPoint on a vu qu’on pouvait mettre du son. C’était plus léger et ouvert que
Hot Potatoes tandis que l’autre était plus contraignant ».
En ce qui concerne l’adaptation au niveau linguistique des Australiens,
l’extrait ci-après nous informe de la sélection de ressources authentiques sur
Internet en fonction de compétences langagières des apprenants :
110 Sans que l’aspect socio-affectif soit exclut de ce choix.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
226
[Le site qu’on a choisi] était complet et clair, il y a un sommaire qui est clair et après dans
chaque page c’est bien aéré par paragraphes ; je pense que pour eux ça va, ce n’est pas de
grands textes (…) celui-là est vraiment clair et question langue ça devrait aller (Cl 7).
De même, pour Nathalie « il fallait que des photos apparaissent de la
région, que ces photos soient jolies, que ça donne envie d’y aller et que le texte ne
soit pas trop long ». La centration des activités autour du (présumé) mode de vie
des Australiens s’explique à la fois par le choix de la thématique (« on est parti sur
les bateaux parce que eux justement ont ce contact à l’eau ») et par une volonté
affichée de créer des activités attrayantes (« chercher quelque chose qui résonne
en eux »).
Le schéma récapitulatif ci-dessous doit être vu aussi bien comme un
ensemble inter-relié des processus d’élaboration de la dyade que comme une
tentative d’enchaîner les étapes en les dissociant.
« Au début on a voulu faire des hommes
célèbres de Besançon… » (Claire)
« On a vite abandonné parce que ce
n’était pas ça qui nous semblait prioritaire
pour les intéresser » (Claire)
« Je suis partie me balader le premier
week-end avec l’appareil et puis j’ai pris
les photos de bateaux » (Nathalie)
« La pêche puis le bateau-mouche c’était
plutôt une idée de Nathalie, je ne voyais
pas très bien comment ça pourrait les
intéresser ». (Claire)
Recherche d’une thématique
(1e ébauche)
Remise en question en fonction du
contexte d’apprentissage
Exploitation des ressources
(2e ébauche)
Renégociation de la thématique
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
227
Décision collective de travailler sur la
thématique de l’eau
« Pour moi il faut absolument transmettre
de la voix » (Nathalie) : conception d’une
activité fondée sur les répondeurs
téléphoniques.
« Toute de suite avec PowerPoint on a vu
qu’on pouvait mettre du son. C’était plus
léger (…) et ouvert que Hot Potatoes
tandis que l’autre était plus
contraignant » (Nathalie).
« Il fallait que des jolies photos
apparaissent de la région », « j’ai voulu
transmettre ce à quoi j’avais été sensible
à mon arrivée à Besançon » (Nathalie).
(Tableau 14 : étapes du processus d’élaboration du projet par Claire et Nathalie)
Conclusion sur le mode d’élaboration du projet par la dyade
L’essai de reconstitution des étapes du projet pédagogique tel qu’il a été
élaboré par la dyade Claire-Nathalie nous permet de mettre en lumière deux
dimensions fondamentales du projet réalisé : l’aspect situé de la formation et le
rôle du dispositif.
Premièrement, l’existence du groupe australien et surtout ses spécificités
(niveau de langue élémentaire, éloignement géographique considérable, rapports
avec la civilisation française supposés faibles) a déclenché des mécanismes de plus
haut niveau. De tels mécanismes, suscités par le caractère situé du dispositif, ont
été :
Cristallisation de la nouvelle
thématique
Début de la conception des
activités
Médiatisation des ressources et
affordances des outils
Adaptation des ressources au
contexte et ancragesocio-affectif
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
228
• l’examen et la prise en compte de la situation de production donnée
(analyse) ;
• le choix des matériels en conformité avec les besoins du public cible (posture
critique) ;
• la construction du projet par l’assemblage des ressources et des outils en
fonction des objectifs (synthèse).
Ces mécanismes liés à une activité intentionnelle ont bien sûr provoqué des
réajustements, négociations et modifications lors de l’élaboration du projet. C’est là
une véritable source de conflits socio-cognitifs issus du contexte d’apprentissage
collectif. La nature située du dispositif a donc conduit Claire et Nathalie à une série
de choix technico-pédagogiques plus complexes que dans le cas d’une conception
multimédia abstraite, sans groupe cible.
Tout au long de la conception multimédia par la dyade, les activités ont été
réexaminées en fonction de deux critères principaux, provoqués par le cadre
d’action située :
• l’adaptation aux spécificités du public cible, tant au niveau linguistique (choix
de ressources Internet en fonction des compétences élémentaires en langue) que
motivationnel (sélection d’une thématique jugée motivante) ;
• les aspects culturels et personnels que les conceptrices ont voulu
promouvoir : besoin de faire connaître le patrimoine culturel français (grandes
personnalités de Besançon), choix de la thématique de l’eau émanant d’une
sensibilité personnelle).
Deuxièmement, les processus complexes qui ont émergé à travers
l’implication dans une forme d’apprentissage situé sont en rapport étroit avec le
dispositif de formation. D’une part, la liberté de choix technico-pédagogiques a
incité la dyade à expérimenter différents outils de conception (PowerPoint,
HotPotatoes) et à en faire l’usage qui lui paraissait le plus conforme à ses objectifs
pédagogiques. Le potentiel d’une formation technologique réactive, à l’initiative des
étudiants, découle aussi de cette démarche ouverte d’exploration des ressources.
De plus, le déroulement de la formation suivant le rythme des concepteurs a
montré ses avantages. Le choix de laisser le temps aux concepteurs de réfléchir
sur la concrétisation de leur projet a été bénéfique. Par exemple, cette aisance
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
229
dans la gestion du projet sa permis à la dyade de disposer de suffisamment de
temps pour modifier à plusieurs reprises son idée de départ ainsi que d’explorer
des pistes (images de bateaux) qui émanaient plus d’une prédilection personnelle
(affective) que d’un objectif de réalisation concret, imposé par le dispositif. Les
stratégies de conception de la dyade ont été déterminées par la gestion du
dispositif, plutôt ouvert et favorisant les interactions entre pairs.
D’autre part, le dispositif a engendré un ensemble de contraintes. Les
conditions de création (spécificités du groupe cible) ou encore la nécessité de
l’appropriation des outils technologiques, ont créé un environnement de création
qui a modelé la conception du projet. Les consignes pédagogiques, le support
pédagogique (Tempo) qui a servi de guidage à la conception, le travail en dyades
doivent être considérés comme des limites définissant un cadre d’action dans
lequel se sont déroulés les projets. C’est cette notion de dispositif, facilitateur et
contraignant, que nous développerons dans la conclusion du chapitre (5.6.).
5.5. Apprentissage situé et rôle des tâches
Nous procéderons maintenant à l’investigation des répercussions que le
caractère situé du dispositif et le guidage par les tâches pédagogiques ont
provoquées sur la formation des étudiants. Par une réflexion menée sur la
scénarisation pédagogique par tâches, il deviendra alors possible d’analyser et de
mesurer l’effort que l’implication au projet a nécessité de la part des étudiants.
5.5.1. Appréciation du dispositif
Ci-dessous nous présentons schématiquement en quatre familles les
adjectifs qualifiant le dispositif dans son ensemble. Nous nous sommes fondées sur
la première réponse du questionnaire formulée ainsi : « Donnez 3 à 5 adjectifs
pour qualifier l’unité d’enseignement NTE à laquelle vous avez participé ». (cf.
Annexe A3). Entre parenthèses figure le nombre d’occurrences :
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
230
(Figure 4 : regroupement des adjectifs qualifiant le dispositif)
Nous mettrons en parallèle ces données avec des extraits d’entretiens et des
données ethnographiques.
Plaisir, créativité et originalité
L’un des objectifs principaux du dispositif était de permettre aux apprenants
de réaliser des activités multimédias selon leur propre conception dans une
perspective constructiviste et de manière à ce qu’ils se sentent concernés par ces
réalisations (principe situé et exploratoire). Plus précisément, chaque dyade a
choisi une unité parmi les six111 de la méthode du français Tempo qui a servi de
guide pour l’élaboration des activités (cf. Annexe A5). Une fois l’unité choisie,
chaque dyade était encouragée à déployer sa créativité pour concevoir les
111 Unités intitulées successivement « Premiers contacts », « premiers échanges », « premiers amis », « mon pays », « ma ville » et « mes voyages ». Les objectifs d’apprentissage déclinés en savoir-faire linguistiques, grammaire et compétence écrite figurent au début de la méthode.
Plaisir et créativité Intéressant (x 4)
Créatif (x4) Motivant (x3) Ludique (x2)
Très intéressant Agréable
Collaboratif Sympa
Imaginatif Stimulant Productif
« impliquant »
Effort Décourageant
« sous tension » Stressant Confus
Originalité Différent (x2)
Attrayant Original Innovant Nouveau
Utilité Enrichissant (x 4)
Formateur Informatif Pratique
Satisfaisant Instructif
Utile
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
231
activités, établir les objectifs pédagogiques et choisir les moyens technologiques
appropriés.
Ça a changé beaucoup par rapport à d'autres cours, on n'est pas habitué à travailler comme ça
[…] C'était très intéressant. On a eu beaucoup d'autonomie avec quelques directions à suivre
…une grande liberté de choix d'objectifs, au niveau des réalisations on avait une aisance totale
(Ch 8).
La liberté dans le choix des objectifs pédagogiques et des outils adaptés
qu’évoque Christèle a beaucoup influencé le degré d’investissement et de créativité
dont les étudiants ont fait preuve. L’implication dans une démarche créative a été
souvent appréciée en relation avec des expériences antérieures :
« Pour une fois ce n'était pas simulé, imaginer un public auquel vous allez vous adresser, pour
la première fois c'était vraiment du concret (So 3). On ne s'attendait pas à créer quelque chose, créer des exercices pour quelqu'un, on est habitué
à aller sur des sites pour voir des activités pédagogiques et c'est vrai que les créer est quelque
chose de beaucoup plus intéressant pour nous… (Sy 4).
Le problème qu'on a comme professeur c'est que nous avons toujours des matériels déjà faits,
alors le professeur devient l'utilisateur des matériels que les autres ont fait; mais ici nous avons
eu la chance de créer nous même des matériels et parfois voir même les problèmes quand il
s'agit de créer des matériels (Alph 3).
Le passage de l’apprenant récepteur passif de savoirs tout faits à l’acteur qui
mobilise ses ressources en vue de la réalisation de ses idées prend forme
progressivement. A titre d’exemple, certaines dyades ont centré leurs activités
autour d’un phénomène grammatical ; c’était le cas du groupe A qui s’est penché
sur les différentes formes de négation en français. D’autres dyades se sont
focalisées sur une compétence (la compréhension et l’expression orale par le
groupe H). Finalement, certains dyades ont construit leurs activités autour d’un
thème : l’un traitait d’une balade virtuelle à Besançon et l’autre abordait les
professions en France.
Les supports technologiques ont également varié de dyade en dyade :
emploi du son (extraits musicaux, monologues, dialogues), de l’image fixe, de la
vidéo et du texte. Une telle manière de travailler, mélange d'improvisation,
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
232
d'imagination et d'exploration est forcément liée à la motivation que les étudiants
ont manifestée :
(Comment se fait-il que vous ayez tellement d'idées?) Euh...parce que c'était du concret, c'était
l'occasion pour nous de produire quelque chose qu'on pouvait améliorer, ce n'était pas
seulement dire que c'était pas bien, c'était faire pour que ça aille mieux. Et puis bon, on a eu
l'occasion de faire ça sur la Franche-Comté, donc c'était motivant (So 4). Oui, on voit plus les possibilités qui sont offertes quand on est amené à créer que quand on est
amené à étudier. Quand on voit un site et des exercices qui sont faits, mais ils sont déjà
faits, donc ce n'est pas tout le travail qui est derrière (Ch 9).
Placés à un niveau de créativité supérieur à celui de la simulation ou du jeu
de rôle, les étudiants se sont trouvés dans un contexte de production réelle. Nous
pensons donc que l’élaboration des activités par les étudiants s’inscrit dans une
logique de « projet », défini comme une tâche qui amène un groupe à
communiquer avec le monde extérieur (Mangenot, Potolia et Coste 2001). La
valeur ajoutée dans ce processus d’élaboration des projets est la démarche
d’implication active et de création (dans le sens physique du terme) favorisées par
le dispositif, qui renvoie également à la notion de « bricolage » selon Lévi-Strauss
(1962) :
C’est vrai que ça va plus rester marqué parce qu’on a appris à s’en servir tout seul, donc je
pense que c’est mieux que d’avoir de la théorie. C’est vraiment en faisant que… je pense que
c’est beaucoup mieux comme approche quoi (So 5). C’est en forgeant qu’on devient forgeron comme on dit, et c’est bien qu’on fasse. Il faudrait
qu’on nous mette en situation plus souvent (Be 5)
L’implication active dans l’apprentissage et sa prise en charge rejoint l’une
des conditions chères à l’apprentissage autodirigé selon Holec, à savoir la capacité
d’autodiriger son apprentissage :
Diriger soi-même son apprentissage, c’est se construire et s’appliquer un
programme d’apprentissage, c’est-à-dire préparer et prendre toutes les
décisions concernant le contenu de ce programme, sa réalisation et son
évaluation (construction) et « suivre » ce programme (application)
(Holec, 1997, p. 14).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
233
5.5.2. « Production située »
Je pense qu’il est plus difficile de créer des activités pour un vrai public car c’est concret ; nous
savions que ce n’était pas fictif et donc je pense que tout le monde s’est donné à 100% dans sa
création d’activités pédagogiques. Tout le monde a fait des activités de qualité meilleure que si
le public était fictif car elles étaient vraiment destinées à un public d’apprenants (A4/9). Ah, la création, là, c'était vraiment intéressant et aussi avoir la possibilité de créer des activités
que vous pouvez utiliser à distance […] mais là, à partir des ordinateurs vous créez des
exercices ici et il y a des personnes à l'autre bout du monde qui peuvent tout de suite les
regarder (Alph 4).
Les extraits ci-dessus sont représentatifs de la nouvelle variable que le
dispositif a introduite, l’existence d’un groupe d’apprenants « à l'autre bout du
monde ». Il serait donc légitime de parler de « production située » des activités,
par analogie au paradigme de la cognition située (Develotte, Mangenot & Zourou,
2005). En effet, quelles retombées sur la production multimédia a eu l’existence
(réelle) d’un groupe cible d’apprenants ?
…et surtout le fait qu’il y ait des gens au bout, c'est ça qui est le plus… Ça permet de cibler un
peu plus, quand on a jamais enseigné on sait pas exactement, c'est un peu vague quand on
nous demande des fiches pédagogiques, mais le fait de savoir à qui on s'adresse ça permet de
mieux cibler quoi (Cl 8). Oui, ça change complètement la donne. On a créé des activités selon eux et leur profil. Le fait
qu’ils soient de «vrais » étudiants a évidemment été un grand facteur de motivation (A4/1).
Contraintes liées à la production située
Néanmoins, la contextualisation de la production en fonction des besoins
d’un public cible réel a eu également des effets négatifs sur le processus
d’élaboration. En effet, l’un des inconvénients majeurs fut l’exigence de concevoir
des activités adaptées à un niveau langagier élémentaire, puisque le groupe des
apprenants ciblés se composait de débutants et de faux-débutants en français.
Cette composante a amené les étudiants français à procéder à des réadaptations
fréquentes :
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
234
En travaillant on s'est rendu compte qu'il y a avait des choses qui peut-être étaient trop difficiles
pour nos élèves, il fallait modifier, reformuler pour que au moins les élèves essaient de
comprendre (Alph 5). Le fait de créer des matériels pour uniquement le niveau débutant ou intermédiaire a limité
notre créativité (A4/2).
La production située serait-elle alors une réalité à double tranchant ? A
l’examen des données invoquées, il ressort que les étudiants ont investi un temps
plus long dans la recherche des ressources brutes authentiques ainsi que dans
l’adaptation des activités au niveau linguistique du groupe cible. Cependant, toute
approche centrée sur les besoins de l’apprenant n’exige-t-elle pas une prise en
compte des besoins des apprenants et des contraintes du cadre dans lequel
l’apprentissage aura lieu ? Nous pensons que des limites dans la conception de
ressources pédagogiques s’imposent si l’on souhaite concevoir une formation
adaptée et « sur mesure » :
L’idéal évidemment, c’est, pour les étudiants débutants, en tenant compte de leur supposé
niveau quoi, d’avoir beaucoup de photos, d’avoir des textes écrits assez gros, pas trop longs,
avec des mots qui ressortent bien pour faciliter une lecture globale (Na 11). Quand on a conçu l’activité au départ, il ne fallait pas perdre de vue que c’était des débutants
(…) en même temps il fallait être original, pas coller au bouquin, être plus original, plus
authentique (So 6).
A notre avis, l’attention portée aux spécificités des apprenants australiens a
sans doute eu pour effet de limiter l’étendue de leurs capacités de production en
tant que futurs enseignants de langues. Celle-ci leur a toutefois permis de se
confronter à une réalité effective. Nous pouvons donc en conclure que l’approche
contextualisée a amené les étudiants à réfléchir sur les enjeux de l’enseignement
situé et orienté vers des objectifs d’apprentissage précis.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
235
5.5.3. Rapports entre tâches et dispositif
Parmi les différentes définitions proposées pour la notion de tâche, celle de
Mangenot nous paraît pertinente quant à la relation qu’elle établit entre conception
de tâches et mise en place d’un dispositif de formation. D’après cet auteur :
La tâche ou le scénario pédagogique incluent une ou des activités
faisant sens pour les apprenants, s’appuient sur des ressources et
prennent en compte le dispositif spatio-temporel et humain, à la fois en
termes de communication et d’accompagnement pédagogique (Mangenot
2003, p. 110).
De manière générale, la conception de tâches devrait s’inscrire dans une
démarche de design pédagogique qui sert à mettre en valeur toutes les
composantes en jeu dans une situation d’apprentissage médiatisé, véritable
domaine de l’ingénierie pédagogique (Henri, 2001 ; Depover, Quintin, De Lièvre
2003). Intégré dans une approche systémique de conception d’un dispositif,
l’enchaînement des tâches constitue le cœur de la conception d’un environnement
d’apprentissage médiatisé.
En outre, la position centrale de la tâche dans la conception des dispositifs
d’apprentissage langagier trouve toute son ampleur au sein du courant de Task-
Based Language Teaching (TBLT, Ellis 2003 ; Littlewood, 2004). Ainsi, Bob Nunn
(2001) procède à un rapprochement intéressant entre ce courant et la théorie
socioculturelle. D’après l’auteur, les deux approches convergent sur l’importance
qu’elles accordent à l’implication des apprenants dans des activités signifiantes
dans une tentative de re-contextualisation des apprentissages en classe scolaire.
Dans le cadre de la présente analyse, nous tenterons de montrer que la conception
des tâches a été primordiale dans la réussite du dispositif.
Comme il a été évoqué plus haut, les étudiants avaient pour tâche112 la
réalisation en dyades d’une activité ouverte et d’une activité fermée s’appuyant sur
112 A ce stade, il convient de distinguer deux niveaux en ce qui concernent les tâches. D’une part les étudiants français avaient comme tâche la création des ressources multimédias pour le public cible, dans le cadre de leur formation aux technologies éducatives, tâche assignée par leur enseignant. Au sein de ce
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
236
l’une des six premières unités du manuel Tempo, manuel que les Australiens
utilisaient en classe. Selon le principe de l’autodirection, ce manuel a joué pour les
Français d’une part le rôle de repère par rapport à leurs objectifs visés, mais
d’autre part il a constitué une ressource « pré-construite mais non pas pré-
adaptée » à leurs besoins de conception (Holec 1997). Ainsi, la conception des
tâches a voulu être à la fois suffisamment précise (consignes sur le type d’activités,
supports, ressources et accompagnement) et ouverte, laissant aux étudiants un
degré d’autorégulation et de flexibilité nécessaires. Furstenberg développe
pertinemment ce principe :
Il convient d’abord que la tâche soit suffisamment ouverte pour qu’il n’y
ait pas de réponse unique à aller chercher (ce qui contredirait la nature
même de l’exploration) et suffisamment circonscrite pour que l’utilisateur
n’erre pas sans fin à travers les matériaux (Furstenberg, 1997, p. 69).
(Le fait d’avoir une méthode derrière, c’était plutôt bien ou plutôt pas bien ?) C’était bien, il y
avait un thème à respecter. C’était une bonne aide. Des objectifs déjà donnés donc il fallait
peut-être aider les Australiens à retravailler ces objectifs (Ch 10).
De manière intéressante, le rapport entre le support Tempo et les tâches
conçues a été spécifié par les concepteurs eux-mêmes. Tandis que la dyade de
Candice et Aline semble avoir suivi d’assez près les objectifs de Tempo, Alphonse
et Saëda ont conçu leurs activités en complément des activités du manuel.
D’autres dyades, notamment celle de Claire et Nathalie, ne se sont que très peu
appuyées sur la méthode.
En fait, on a regardé surtout dans Tempo, les points grammaticaux qu’ils allaient travailler et
après on a inventé les exercices (Ca 6).
contexte, les étudiants devaient réaliser des tâches en langues pour le public australien : le deuxième niveau est déterminé par le désir des étudiants français d’impliquer les apprenants dans des tâches significatives en L2. Ce dernier niveau peut être considéré comme une volonté de la part des étudiants-concepteurs d’engager les apprenants dans des tâches originales, de scénariser en quelque sorte l’acquisition du français.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
237
C’est à partir de cela qu’on allait aussi voir ce qui n’était pas dans la méthode Tempo, c’est à
dire ce qu’on pouvait ajouter à la méthode (Alph 6).
Les extraits ci-dessus sont significatifs des parcours différents que peuvent
suivre les participants à une formation en termes de gestion et de sélection des
supports. La gestion différente du manuel Tempo comme support à la réalisation
des tâches en est un exemple : prise en compte exacte des objectifs des unités du
manuel pour Candice et Aline, complémentarité des objectifs pour Alphonse et
Saëda, différenciation pour Claire et Nathalie. L’interprétation de la contrainte
constituée par le manuel a donc varié considérablement de dyade en dyade, ce qui
explique que les activités des étudiants en tant que produits finalisés présentent
une grande diversité (cf. Annexe A5 et D).
L’extrême variété des activités conçues pour les Australiens en termes
d’objectifs d’apprentissage, de conception de parcours, de compétences visées et
de supports technologiques renvoie bien évidemment à la souplesse des tâches, à
la fois « ouvertes » et « circonscrites », selon Furstenberg (cf. supra). A cet égard,
le fait d’avoir fixé de tâches précises (au moins une activité fermée et une ouverte
par dyade) n’a pas empêché les concepteurs de diversifier à la fois les moyens de
réalisation et les produits finalisés. Nous revenons ainsi sur le rôle de la
scénarisation pédagogique qui doit en même temps proposer un contexte
d’apprentissage favorisant l’autodirection et la réflexivité et d’autre part présenter
des tâches signifiantes qui sont capables de guider l’apprenant dans son parcours.
Ce dernier point sera évoqué dans nos remarques conclusives sur le dispositif
(5.6).
5.5.4. Degré d’investissement
Il convient d’examiner ici ce que la réalisation des tâches a représenté en
termes d’investissement de la part des étudiants. Nous nous poserons la même
question à propos de l’accompagnement pédagogique des enseignants (cf. 6.2.1.).
La quatrième famille d’adjectifs qualifiant le dispositif concerne les efforts
que la réalisation des projets a nécessités (cf. « effort », figure 4, p. 230). Résultat
d’un fort engagement autant cognitif que socio-affectif, les étudiants ont consacré
un temps important au développement de leurs projets, d’autant plus considérable
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
238
qu’il ne s’agissait que d’une unité d’enseignement optionnelle de deux heures. A
partir de la question Q6 du questionnaire, le tableau suivant récapitule le nombre
d’heures investies, tout en tenant compte de la séance de deux heures prévue par
le cursus, les séances de tutorat supplémentaire (le Lundi) et les heures
consacrées par les étudiants à domicile ou dans la salle en libre service de
l’Université.
0
1
2
3
4
5
Nom
bre
d'ét
udia
nts
4-5h 5-6h 6-7h <8h
heures d'investissement par semaine
(Figure 5 : investissement hebdomadaire des étudiants)
Les extraits des entretiens qui suivent renforcent l’idée d’un investissement
très important. En effet, le temps de travail personnel pour une Unité
d’Enseignement de 24h dans l’enseignement supérieur est de 24h environ par
semestre (en dehors de l’UE). Le tableau précédent reflète un degré
d’investissement allant bien au-delà de cette estimation : la moyenne
d’investissement temporel à ce module s’est élevée à environ 47 heures pendant le
semestre, autrement dit, les heures que les étudiants ont consacrés à ce module
ont presque doublé l’investissement maximal prévu. Pour cette estimation, 11
parmi les 16 étudiants ont été pris en compte, soit le nombre des répondants au
questionnaire113.
113 La question était formulée ainsi : « Combien d’heures par semaine en moyenne avez-vous consacré à la conception et à la réalisation de vos activités, en dehors du cours du mercredi de 14.00 à 16.00? (en tenant compte des heures consacrées chez vous et/ou lors des séances du lundi après 14.00 et du mercredi après 18.00) ? » (cf. Annexe A3).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
239
En dehors des heures de cours, Claire qui affirme avoir investi dans ce
module six heures par semaine et Bettina entre quatre et six heures, expliquent :
Je ne dirais pas que c’est trop parce que j’ai appris beaucoup de choses … Oui, aussi en dehors
du cours, quand j’essayais de travailler seule puis … on perd beaucoup de temps quand on va
faire des recherches sur Internet … mais globalement, oui, il fallait prendre ce temps (Cl 9).
(Est-ce que l’investissement de quatre à six heures par semaine était trop pour vous ?) Non.
Non, je n’ai pas trouvé, dans la mesure où c’était intéressant. (…) Non, je n’ai pas trouvé ça
trop. Disons que c’est imposé aussi par l’outil, parce que ce n’est pas possible comme ça de
pondre une activité sur ordinateur en deux heures (Be 6).
Si d’après Claire et Bettina le temps consacré à ces réalisations a été jugé
indispensable pour la réalisation du projet, l’investissement supplémentaire
n’exclut ni la charge cognitive ni l’effort exigé, comme le montrent les adjectifs
employés : « décourageant », « sous tension » et « stressant ». A propos de
l’adjectif « stressant » Candice affirme :
C’était un de mes modules préférés même si c’est aussi celui qui m’a le plus stressée, c’est-à-
dire des fois j’en dormais pas la nuit à force de réfléchir, mais c’était le plus intéressant, parce
qu’on mettait en fait en pratique ce qu’on apprenait en théorie (Ca 6).
Les affirmations des étudiants concernant la charge de travail que
l’implication au projet a nécessité souligne le caractère très exigeant du dispositif.
Cette réalité est l’un des points qui ont fondé les réorientations du dispositif qui a
été repris en 2003-2004. Nous y reviendrons à propos du remaniement du
dispositif dans la section 8.3.
5.6. Apport du dispositif à la formation de futurs
enseignants de langue
Etant donné que le projet « le français en (première) ligne » a eu une visée
praxéologique visant à transformer les pratiques de formation de futurs
enseignants de langue aux TICE, nous nous interrogerons dans cette partie sur les
effets que l’implication au projet a eus en termes de réflexivité et de compétences
professionnelles pour les étudiants.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
240
5.6.1. Formation contextualisée
Plus intéressants que les réalisations multimédias finales nous semblent les
processus d’élaboration. De ce point de vue, l’avantage principal de la production
située provient de la réflexion que les étudiants ont été amenés à élaborer tout au
long du semestre. Ainsi, l’apport majeur de cette démarche fut à notre avis le
déclenchement de processus métacognitifs114 sur leur propre apprentissage :
J'ai découvert que c'est beaucoup plus difficile de cibler le public que quand on fait ça
vaguement, pour tout le monde ; ça fait plus réfléchir d'avoir de vraies personnes au bout (et
donc c'est plus profitable en fin de compte?) Oui, puis ça doit amener à une réflexion
pédagogique plus poussée. S’il n'y avait pas ces Australiens au bout je pense qu'on aurait fait
des choses peu importe le thème finalement, alors que là il a fallu réfléchir plus (Cl 10). Je me suis sentie plus responsable du résultat à produire. Cela m’a posé aussi beaucoup de
problèmes au niveau de l’intérêt que ce travail allait susciter en eux (A4/6).
Il est largement admis aujourd’hui que d’un point de vue
socio(constructiviste) la restructuration des schèmes mentaux antérieurs à la
lumière de nouvelles connaissances est jugée capitale pour le développement
humain. Les processus métacognitifs s’inscrivent dans ce cadre de réflexion où la
résolution collective des problèmes a une place primordiale. Dans le cadre du
dispositif analysé, l’adaptation des réalisations aux besoins d’apprenants éloignés a
constitué un type complexe de résolution de problème qui, de plus, devait être
résolu collectivement en dyades. Cette tâche a confronté les étudiants à des choix
multiples concernant des variables techniques, pédagogiques, organisationnelles et
contextuelles de leurs réalisations.
Si le déroulement des formations universitaires aux TICE se heurte souvent
au manque d’expérience pédagogique préalable des personnes formées et, par
conséquent, à une absence de confrontation avec des situations réelles
d’intégration des TICE, on notera que le dispositif analysé a sans doute permis aux
étudiants de se confronter avec cette réalité à un stade pré-professionnel.
114 Nous reprenons la définition de Marie-José Barbot selon qui la métacognition est « une réflexion critique sur tous les éléments qui interviennent dans l’apprentissage afin de pouvoir anticiper ce qu’on doit faire, puis contrôler et surtout améliorer les activités en cours » (2000, p. 118).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
241
L’affirmation suivante « cette situation m’a amené à réfléchir plus en tant
qu’enseignante » est caractéristique de cette démarche :
Et après il y avait une autre motivation parce qu’on savait qu’il allait y avoir des personnes qui
allaient se servir des exercices qu’on bâtit (…) je me suis beaucoup impliquée dedans. Ca
change parce que vraiment je n’ai jamais eu personne à qui enseigner le français langue
étrangère jusqu’à maintenant. Donc c’était une implication supplémentaire (Ch 11). C’était la première fois que j’étais presque en « réelle » situation d’apprentissage, ce qui m’a
amené à réfléchir non plus en tant qu’étudiante mais en tant qu’enseignante (A4/4).
5.6.2. Utilité de la formation et compétences professionnelles
Si les tenants des approches situées appellent à une re-contextualisation des
apprentissages scolaires tout en soulignant l’écart qui existe actuellement entre les
savoirs acquis en classe et les compétences réelles en dehors du cadre scolaire,
nous pensons que cet écart s’est amoindri dans le cadre du dispositif analysé, tout
au moins en matière de savoir-faire technologiques.
(Qu’est-ce que ce cours a modifié chez vous quant à l’image que vous avez du multimédia en pédagogie ?) Je suis bien formée, je suis en train de m’autoformer aussi, j’ai investi dans du
matériel pour pouvoir concevoir des activités, parce que je pense que c’est essentiel
maintenant… on a eu de la chance d’avoir une activité pareille. Le multimédia, si on ne veut pas
être relégué derrière, il faut savoir le manipuler (Be 6).
C'est quelque chose d'essentiel, je pense, les nouvelles technologies, surtout que ce n’est pas
quelque chose auquel je m’intéresse spécialement mais ce cours là m’a permis justement de m’y
intéresser un peu plus (Cl 11).
L’acquisition de compétences jugées essentielles pour l’avenir professionnel
des étudiants a constitué un facteur complémentaire d’investissement de leur part.
Cette formation technico-pédagogique jugée « utile », « instructive »,
« enrichissante » (cf. « utilité », figure 4, p. 230) a été généralement considérée
comme « pertinente » ou « très pertinente » (Réponse à la question : «Pensez-
vous que ce type de travail est pertinent dans le cadre de la maîtrise FLE ? »).
Nous confirmons donc l’hypothèse de Warschauer selon laquelle les apprenants
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
242
s’engagent à un niveau élevé à condition qu’ils considèrent l’objectif
d’apprentissage pertinent et profitable pour eux (Warschauer, 2000).
Ce type de travail est-il pertinent dans le cadre de maîtrise FLE?
5
6
Pertinent
Très pertinent/Tout à faitpertinent
(Figure 6 : pertinence du module) Pédagogiquement [le module] m’a paru très intéressant dans le sens où il abordait un domaine
auquel je n’avais pas tellement accès. [L’utilisation du multimédia en FLE] me semble quelque
chose d’incontournable quoi (Na 12). Je trouve que c’était une unité primordiale, très importante parce qu’on a abordé plein de
nouvelles choses et puis que c’était utile (Be 7).
Les compétences acquises ont-elles permis aux étudiants d’avoir une posture
autonome vis-à-vis des TICE et de développer seuls des activités multimédias ? A
présent, cinq d’entre eux se sentent tout à fait capables de mener à bien, et seuls,
un projet multimédia de ce type. Six autres pensent pouvoir y parvenir, mais avec
une aide extérieure, surtout technologique. Ceci nous paraît être un apport
considérable de la formation en comparaison de leur maîtrise faible en
informatique au début du projet (5.2.1.).
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
243
Vous sentez-vous capables de réaliser seul(e) un projet multiimédia?
5
6
Tout à fait capable
Capable avec une aideextérieure
(Figure 7 : Maîtrise du multimédia atteinte)
En ce qui concerne la mise en pratique des acquis dans un contexte
professionnel, Sophie et Christèle qui sont parties en stage après la formation, ont
opté pour un poste dans le domaine du multimédia en FLE. Par ailleurs, Sophie
souligne l’expérience pratique que cette formation lui a apportée, lorsqu’elle
rapporte que, au sein de l’organisme qui l’a engagé, elle a été confrontée à des
interlocuteurs qui imaginaient que les formations universitaires aux TICE restaient
plutôt théoriques :
Là où je vais en stage j’ai demandé s’il y avait une médiathèque, à faire du travail sur le
multimédia et tout ça donc je leur ai dit que j’avais fait ce module avec les Australiens ils ont dit
qu’en général c’était plus de la théorie alors j’ai bien insisté que non, justement, cette année
c’est de la pratique ! (So 7). (Ca va vous servir pour votre stage ?) Et bien peut-être parce qu’en fait je vais être chargée de
m’occuper de la salle multimédia dans un centre culturel français (Ch 12).
5.7. Remarques conclusives sur la notion de dispositif
Souhaitant contribuer au débat autour de la notion de dispositif à la lumière
de ce chapitre, nous proposons de mettre l’accent sur un aspect qui nous semble
crucial, le jeu entre contraintes et libertés que cette notion implique. A travers
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
244
l’examen de l’expérimentation du premier semestre, il ressort que le dispositif a
constitué une entité à la fois facilitatrice et contraignante par les initiatives qu’il
permet et les limites qu’il impose.
Plus particulièrement, parmi les contraintes imposées par le dispositif on
peut considérer :
l’existence du groupe cible (en termes de spécification d’un profil
d’apprenants bien précis) ;
les objectifs de formation des étudiants définis par les concepteurs du
dispositif (conception de ressources multimédias en FLE, bonne maîtrise
technologique) ;
la démarche pédagogique (hybridation de la formation et travail en dyades).
le cadre institutionnel (contraintes administratives liées à la formation
universitaire) et temporel dans lequel s’est déroulé le dispositif.
D’autre part, dans le déroulement du dispositif, peuvent être considérés
comme libertés :
le principe autodirigé,
l’éventail des moyens et des supports technologiques à disposition des
étudiants,
le type de suivi réactif (que nous détaillerons dans le chapitre suivant),
la liberté dans la définition des objectifs d’apprentissage pour les apprenants
australiens.
De manière générale, les espaces de liberté du dispositif proviennent de la
volonté de mettre en place une pédagogie de projet dans le sens de Freinet
(Legrand, 1993), qui vise à permettre à l’apprenant -en l’occurrence le futur
enseignant de langue- de construire lui-même un projet et de s’investir
intentionnellement dans une démarche auto-dirigée. Dans le cadre du dispositif
analysé, le potentiel de la pédagogie de projet se manifeste à travers la variété des
démarches et des réalisations des dyades: autant la manière dont chaque dyade a
procédé à l’élaboration de son projet que l’extrême variété des activités réalisées
reflètent une grande diversité. Cette diversité de démarches résulte, à notre avis,
de la volonté des concepteurs du dispositif de laisser aux étudiants la définition et
le « modelage » de leurs projets, de créer donc un espace de liberté propre au
déploiement d’une vision personnelle.
5ème chapitre: première notion-clé : le dispositif
245
Pour revenir à la notion de dispositif, la situation d’apprentissage dans
laquelle se sont trouvés les étudiants a été structurée par des contraintes qui ont
déterminé son déroulement et par des conditions favorables à la prise en main et à
la définition des projets par les acteurs. Dans cette direction, la médiation
pédagogique comme soutien à l’élaboration des projets, thème que nous
développerons dans le chapitre suivant, a joué un rôle capital.
246
Chapitre 6
Deuxième notion-clé :
l’accompagnement
pédagogique
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
247
La fonction enseignante (…) devient une fonction de médiation et d’aide à
l’apprentissage. Il ne s’agit plus de dispenser un savoir, mais de guider les
apprenants dans leur démarche, de les orienter, de les accompagner…
(Glikman, 2002b, p. 223)
Introduction
Pôle indispensable à la conception de tout dispositif de formation, la
médiation pédagogique sera détaillée ici, étant donné la place majeure dont
elle a disposé au sein du projet analysé. Elle sera donc abordée à part, tout en
constituant un pilier indispensable à l’examen du dispositif.
Le présent chapitre servira donc à mettre en valeur le rôle primordial
qu’a joué l’accompagnement pédagogique pendant les deux phases du projet.
Concernant la première phase, nous aborderons le type de suivi proposé aux
étudiants lors de la création pédagogique multimédia (6.2.). Plus
particulièrement, nous nous interrogerons sur les effets qu’un type
d’accompagnement réactif a eus sur le déroulement de la formation. Nous
examinerons les aspects cognitifs et socio-affectifs liés à cet encadrement. La
multiplicité des fonctions tutorales que nous avons identifiées au début et à la
fin de la formation feront également l’objet de cette partie.
D’autre part, nous aborderons les modalités de tutorat développées par
les étudiants-tuteurs en ligne. Nous nous focaliserons donc sur l’analyse de
deux groupes distants, le groupe 9 (6.4.) et le groupe 4 (6.5.) pour des
raisons que nous détaillerons ultérieurement. Les échanges franco-australiens
seront traités sous le prisme des fonctions tutorales en ligne : nous conclurons
ce chapitre avec quelques réflexions sur le potentiel des interactions en ligne
pour la formation des futurs enseignants de langue (6.6.)
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
248
6.1. Quelques éléments théoriques
Avant de procéder à l’analyse des modalités d’accompagnement
pédagogique privilégié, il convient d’évoquer quelques éléments théoriques,
comme par exemple la notion d’autodirection et les types de suivi dans des
environnements à distance.
6.1.1. Sur le principe de l’autodirection
La bibliographie récente sur les rôles et les fonctions des
enseignants au sein d’un dispositif à distance ou hybride nous semble
largement influencée par les écrits (socio)constructivistes au sujet du
développement socio-cognitif de l’apprenant. Les nouvelles exigences pour un
accompagnement « adapté » aux besoins de l’apprenant et notamment les
rôles de « facilitateur », d’ «accompagnateur » et de « personne-ressource »
nous semblent révélatrices d’un intérêt renouvelé pour les thèses
socioculturelles et constructivistes, notamment le concept de ZPD de Vygotsky
et d’ « étayage » de Bruner, sans pour autant qu’elles soient toujours
explicitement citées.
La notion d’autodirection (self-directed learning dans la littérature
anglophone) est apparue au XXème siècle, avec les travaux de Dewey et de
Rogers, qui ont été suivis plus récemment par les recherches du CRAPEL à
Nancy et consolidés entre autres par Holec (1997), Little (1991), Gremmo et
Riley (1995), Barbot (2000), Wenden (1991) pour ne mentionner que les
figures de proue de ce champ de recherche. Il est depuis longtemps reconnu
qu’un mode de travail autodirigé est généralement plus motivant pour des
adultes, qui ont ainsi l’impression d’être maîtres de ce qu’ils réalisent. Plus
particulièrement, David Little, associe directement autodirection et implication
responsable de l’apprenant dans le processus d’apprentissage. De manière
explicite, il souligne que les premiers pas vers l’autonomie de l’apprenant se
réalisent lors qu’il se rend compte de sa responsabilité vis-à-vis de son propre
apprentissage (Little, 1991).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
249
La tradition française de l’autoformation (Carré, Moisan et Poisson,
1997), très vivace dans les sciences de l’éducation, insiste pour sa part sur
l’accompagnement pédagogique, à travers la notion d’autoformation éducative
(appelée par d’autres auteurs « auto-apprentissage institutionnel », Barbot,
2000, ou « autoformation en contexte institutionnel », Albero, 2000). Comme
cette dénomination le laisse présager, il s’agit de proposer, dans l’institution
même (par opposition à l’autodidaxie), des démarches pédagogiques laissant
d’un côté une part importante d’autodirection aux apprenants, mais ne
négligeant pas, de l’autre côté, l’importance d’un accompagnement
pédagogique régulier et adapté aux besoins de chacun.
Or, dans le cas des dispositifs intégrant les technologies, ces besoins en
tutorat humain sont bien souvent largement sous-estimés ; Monique Linard
dénonce ainsi le « présupposé implicite d’autonomie » sous-jacent à de
nombreux dispositifs ayant recours aux TICE : souvent « les dispositifs
d'(auto)formation par TIC font appel implicitement à la capacité d'autonomie
des apprenants mais ils ne la prennent pas en charge. Ils se contentent de la
présupposer acquise » (Linard, 2003, p. 244).
6.1.2. Modalités de suivi dans les dispositifs entièrement à
distance
Dans le cadre des dispositifs FOAD, plusieurs auteurs distinguent deux
grandes types de fonctionnement tutoral : le suivi réactif et proactif. Par
exemple, Glikman (2002a), affirme que dans le cas du tutorat réactif, le rôle
du tuteur est de « répondre aux demandes explicites des apprenants sans
anticiper sur ces demandes et sans chercher au-delà, tandis que les tuteurs
plus proactifs prennent l’initiative de proposer une aide et s’appliquent à faire
émerger des demandes » (p. 64).
Il est intéressant de noter que cette distinction porte sur les formations
se déroulant entièrement à distance, comme c’est le cas pour la définition de
Duplàa, Galisson A. et Choplin (2003) et de De Lièvre et Depover (2001). Plus
particulièrement, pour ces derniers :
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
250
Les interventions du tuteur s’effectuent selon deux modalités : d’une
part, une modalité réactive à l’occasion de laquelle les apprenants
sollicitent l’aide du tuteur en lui adressant une demande à travers l’outil
de communication mis à sa disposition et d’autre part, une modalité
proactive consistant à intervenir lorsque les apprenants semblent être
en difficulté ou lors de certains moments bien définis considérés
comme des moments critiques de leur apprentissage, comme c'est
souvent le cas lors du passage d’une phase de travail à une autre » (De
Lièvre et Depover 2001, p. 324).
Il est de nos jours largement accepté que la réalité d’une formation à
distance, notamment l’absence de contact en face à face, détermine la nature
des interactions de manière décisive. La prédilection donc des auteurs cités
plus haut pour le tutorat proactif (anticipation des demandes, mobilisation et
orientation de l’attention des participants etc.) ne fait que souligner la
nécessité de la médiation pédagogique dans les dispositifs à distance et par
extension d’un suivi assidu qui éviterait les taux d’abandons très conséquents
et le sentiment d’isolement dans les formations entièrement à distance (Hara
et Kling, 1999 ; Arnaud, 2003).
Bien que la nature de la relation pédagogique dans un dispositif
médiatisé hybride, comme c’est le cas du dispositif analysé, puisse être assez
différente de celle dans un dispositif distant, nous pourrions dresser un
parallèle entre la formation de type réactif et l’autoformation guidée, dans le
sens où les deux modalités visent à rendre l’apprenant responsable de son
parcours tout en le soutenant dans ses démarches d’apprentissage.
6.1.3. Le mode d’accompagnement privilégié
Le scénario d’accompagnement mis en place ne pouvait qu’être
conforme à la démarche autodirigée, collective et située du dispositif. Le
modèle de suivi privilégié se rapproche donc de l’« autoformation
accompagnée » (Carré, 2002) qui, d’après l’auteur, se déroule principalement
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
251
dans un contexte institutionnel formel mais ouvert et se fonde sur l’ « auto-
structuration » (Carré, op. cit).
Au sein du dispositif analysé, l’objectif du scénario d’accompagnement
était d’amener les étudiants à prendre en main et à autoréguler leur
apprentissage, tout en les amenant progressivement à un haut degré
d’autonomie à l’issue de la formation. Ainsi, les enseignants ont favorisé
l’accompagnement réactif en laissant à l’apprenant l’initiative de les solliciter
selon ses besoins sans prétendre pour autant que le rôle des enseignants a été
« accessoire ». Ce type de suivi s’est voulu individualisé et adapté à une
contrainte contextuelle : les différences quant à la maîtrise informatique au
sein du groupe des étudiants (cf. 5.2.1).
Plus intéressante que la scénarisation préalable de l’accompagnement,
nous semble la réalisation du suivi ainsi que les effets de l’encadrement sur les
parcours d’apprentissage que nous analyserons dans les sections 6.2. à 6.5. A
ce stade, nous retenons que le scénario a permis de mettre en place une
médiation pédagogique autorégulée que Glikman (2002b) résume ici :
La fonction enseignante, dans l’étape de diffusion de la formation,
devient une fonction de médiation et d’aide à l’apprentissage. Il
ne s’agit plus de dispenser un savoir, mais de guider les apprenants
dans leur démarche, de les orienter, de les accompagner… (p. 223)
6.2. Analyse de l’encadrement pédagogique
du premier semestre
6.2.1. Un accompagnement croissant en fonction de
besoins
L’objectif de cette section sera d’éclairer le tissage complexe entre,
d’une part, les contraintes pratiques, organisationnelles et institutionnelles
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
252
quant à la mise en œuvre du suivi et d’autre part les actions de remédiation
menées par les enseignants dans le but de surmonter ces contraintes.
Phase de mise en route : Séances 1 et 2
Le dispositif tel qu’il était conçu prévoyait le déroulement de la
formation encadrée par l’enseignant et l’assistante lors des 13 séances de
l’Unité d’Enseignement (U.E.). Ces séances de deux heures ont eu lieu tous les
mercredis de 14h à 16h dans l’une des salles multimédias de l’université.
Lors de la première séance a eu lieu la présentation des objectifs du
projet, des étudiants et de leurs compétences en informatique. Le manuel
Tempo a été distribué à chaque dyade. La deuxième séance a été consacrée à
la discussion collective (entre dyades, au sein des dyades et entre les binômes
et les enseignants) sur les conceptions à réaliser (choix de thématique, outils
multimédias de réalisation, organisation de travail). De plus, une initiation aux
fonctionnalités de l’exerciseur HotPotatoes et de la plate-forme QuickPlace a
été prévue.
Loin d’être exhaustives, ces présentations visaient à familiariser les
apprenants avec les outils de réalisation multimédia et de travail collectif à
distance, sans pourtant privilégier à ce stade une formation technologique de
haut niveau, commune à tous. Conséquemment, ces deux premières séances
ont été consacrées à la fois à la négociation du projet et à la présentation des
outils les plus essentiels.
Remédiation sur les modalités d’accompagnement
Or, le bilan initial des compétences technologiques de niveau
élémentaire des apprenants ainsi que leur fort engagement dans les projets
qui a commencé à apparaître à partir de la deuxième séance, a amené les
enseignants à une série de modifications qui visaient d’une part la mise en
œuvre de conditions plus favorables à la création multimédia et d’autre part le
renforcement du soutien technico-pédagogique. Selon le souhait exprimé par
les étudiants, la première mesure prise sur le plan organisationnel concernait
le libre accès à la salle multimédia en dehors du cours, les lundis de 14h à
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
253
16h, sans accompagnement tutoral. Outre la séance des lundis, une séance
avec accompagnement a été proposée les mercredis après 18h, assurée par
l’assistante.
Mise en place d’un nouveau modèle d’encadrement (séances 3-8)
A partir de la troisième séance, il s’est avéré que les demandes en
accompagnement étaient si élevées que les deux mesures prises étaient
insuffisantes. Ces exigences en suivi se heurtaient effectivement aux
contraintes temporelles et institutionnelles : la formation se déroulait au sein
d’un module ayant des limites temporelles fixes et elle était intégrée à un
cursus universitaire disposant de contraintes d’évaluation et de validation.
Conséquemment, le « faible » degré d’avancement des travaux à ce stade a
exigé la mise en place d’une séance supplémentaire de deux heures pour ceux
qui le souhaiteraient, les lundis de 14h à 16h, assurée par l’assistante.
Concrètement, il s’agissait d’offrir un accompagnement aux étudiants
intéressés venant ce jour-là dans la salle en libre service.
Accompagnement poussé « à l’extrême » (séances 9-13)
La fin du semestre approchant et les objectifs de réalisation que les
apprenants s’étaient fixés étant loin d’être accomplis, des demandes encore
plus poussées d’accompagnement ont été formulées. Par conséquent, la durée
des séances du lundi, encadrées par l’assistante, a varié en fonction des
demandes des apprenants. Caractéristiques d’un suivi flexible, elles débutaient
à 13h et prenaient fin vers 16h ou 17h.
Des étudiants en master à l’appui
De surcroît, afin d’offrir un accompagnement (encore) renforcé, deux
étudiants en troisième cycle de la même Université sont venus bénévolement
soutenir le groupe des concepteurs lors des séances principales du mercredi. Il
s’agit de deux étudiants du Master Professionnel Ingénierie Pédagogique dans
des Dispositifs Ouverts et à Distance (DESS IPDOD) de la promotion 2002-
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
254
2003. Leur implication dans le projet leur permettait également d’acquérir de
l’expérience en accompagnement dans le cadre de leur future profession
d’ingénieur pédagogique. Malgré toute la bonne volonté de ces étudiants à
contribuer au niveau de l’encadrement, nous avons identifié deux obstacles
majeurs.
Premièrement, la période choisie n’était pas des plus favorables ; les
deux étudiants ne sont arrivés qu’après la dixième séance, il restait donc juste
trois séances à la fin du module. Par conséquent, le temps était trop limité
pour leur permettre de se familiariser avec les acteurs et avec la logique du
dispositif. Deuxièmement, d’un point de vue organisationnel, les travaux
dirigés du mercredi se déroulaient avec une forte présence des personnes-
ressources dans la même salle (du professeur, de l’assistante et des
étudiants). Cet élément créait parfois un sentiment « d’étouffement » tout en
donnant l’impression d’un manque de coordination.
6.2.2. Modalités de suivi et effets sur les apprentissages
A la question Q19 du questionnaire « Donnez trois à cinq adjectifs pour
qualifier le tutorat » nous présentons schématiquement les adjectifs recueillis
sous forme de familles sémantiques (entre parenthèses figure le nombre
d’occurrences). Nous les confronterons par la suite aux extraits d’entretiens.
Investissement tutoral
Dans une tentative de mesurer l’investissement tutoral dans son ensemble,
nous pouvons estimer que les heures d’accompagnement réalisées
représentent approximativement le triple des heures prévues par le cursus
(soixante-quinze heures d’accompagnement réel par rapport à vingt-cinq
heures prévues, cf. tableau 9).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
255
(Figure 8 : regroupement des adjectifs qualifiant le suivi pédagogique)
Sur le principe de l’autoformation guidée [Le tutorat réactif] est déjà beaucoup plus intéressant parce qu’en fait on n’a pas tout
mâché, on doit quand même un petit peu chercher par nous-mêmes comment est-ce qu’on
doit faire pour enregistrer telle ou telle chose, un son, une image, aller les chercher ; c’est
vrai que c’est beaucoup plus intéressant pour nous. Parce qu’autrement, on ne progresse
pas, si on a tout tout fait, ça ne servirait à rien (…) Je pense qu’on est quand même assez
responsables pour savoir utiliser les ressources humaines (Sy 5).
Pendant l'apprentissage il peut vous arriver de ne pas faire très attention parce que vous
ne croyez pas que vous allez utiliser cette information […] mais là on était vraiment bloqué
et il fallait demander […] moi, j'ai bien aimé parce que on demandait là où on avait besoin
de faire quelque chose (Alph 7).
Un des objectifs majeurs de l’autoformation guidée nous semble être
celui qu’exprime Sylvie : la responsabilisation de l’apprenant vis-à-vis de ses
décisions, comme étape essentielle à la prise en charge de son apprentissage.
Nous pouvons donc déduire que ce type de suivi a permis aux étudiants de
Nécessité du tutorat
Pratique x 3 Efficace x3 Motivant x3
Indispensable x2 Un bon soutien nécessaire à ce
genre de projet Impliqué
Satisfaisant Enrichissant
Souplesse Individualisé
Présent si besoin À l’écoute des
difficultés
Soutien affectif Sympa x2 Agréable
Encourageant Chaleureux Personnel Rassurant
Soutien cognitif
Clair Théorique Instructif
De bon conseil
Insuffisance Dépassé par le
nombre et l’ampleur des
demandes Trop encadré
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
256
soulever eux-mêmes des questions et de rechercher des réponses, processus
qui bien évidemment constituent le premier pas vers leur autonomie. L’énoncé
« si on a tout mâché, on ne progresse pas » est significatif de l’effort de
l’apprenant de prendre progressivement des décisions sur son parcours.
Comme nous l’avons souligné ailleurs :
Le travail autodirigé exige une certaine autonomie préalable,
notamment en ce qui concerne la maîtrise des outils ; une forme
d’autodirection qui surévaluerait le degré d’autonomie dont le public
est capable courrait à l’échec, par découragement (Mangenot et Zourou
2005, p. 62).
D’un point de vue socioculturel, les expressions « on doit quand même
un petit peu chercher par nous-mêmes » (Sy 5) et « on demandait là où on
avait besoin de faire quelque chose » (Alph 7) désignent l’écart que Vygotsky,
avec son concept de zone proximale de développement, considère comme
bénéfique au développement socio-cognitif humain. Il va sans dire que les
extraits ci-dessus soulignent le caractère social de l’apprentissage, ce dernier
défini étant comme un mouvement d’intériorisation individuelle progressive qui
prend sa source dans une interaction sociale (Wertsch, 1991). La notion
d’ « étayage » (scaffolding) développée par Bruner, met aussi l’accent sur la
nécessaire médiation humaine, notamment sur le soutien d’un tiers à la
résolution d’un problème :
Scaffolding is the process of providing the learner with the help and
guidance necessary to solve problems that are just beyond what he
could manage independently -i.e. within his ZPD (Dillenbourg, 1996).
L’autoformation guidée rejoint pour nous le concept de ZPD et
d’étayage115 dans le sens où la construction personnelle du savoir est
115 Il serait intéressant de noter ici la distinction subtile entre les deux concepts que propose Rézeau : « Il semble que la ZPD est une caractéristique plus ou moins figée de l’enfant (en tout cas à un moment donné de son développement) et que le seul « jeu » possible pour le médiateur se situe
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
257
considérée comme une étape indispensable à l’autonomie. Cette construction
personnelle, qui ressort dans les expressions « on cherchait par nous-
mêmes », « on demandait là où on avait besoin », s’oppose effectivement à un
très haut niveau de contrôle tutoral et de directivité.
Autoformation guidée et suivi supplémentaire
En réponse à la demande trop élevée de soutien pédagogique,
l’investissement tutoral supplémentaire pendant les séances extraordinaires
des lundis et des mercredis a été perçu comme mesure indispensable à la
réalisation des projets. Nathalie et Claire commentent l’apport des séances
supplémentaires, notamment celles du lundi :
[Nous sommes venues] surtout le lundi, puis un peu le mercredi soir, elle116 avait moins de
choses à faire le lundi donc on l'a sollicitée plus que le mercredi, là où elle avait plus de
personnes à s'occuper […] et puis il y a aussi le fait que [l’assistante] quand elle explique
quelque chose, après elle nous laisse faire (donc c'était juste la quantité de renseignements dont vous aviez besoin au moment où vous en aviez besoin) voilà, oui,
tout à fait (Cl 12). C'était plus cool peut-être et plus fructueux le lundi, comme il y avait moins de groupes
[…] D'ailleurs on pouvait rester plus longtemps que deux heures, on sentait moins, c'était
moins fatiguant, et c'était plus agréable... et plus enrichissant, enfin, plus productif...Et
puis il y avait au niveau affectif quelque chose de plus fort, les groupes étaient plus…
parlaient beaucoup plus, c'était plus sympa. Le mercredi on ne percevait pas cette
dimension affective je veux dire (Na 13).
Les deux extraits ci-dessus ne font que confirmer deux conditions
favorables au déroulement des formations autodirigées : la souplesse du
dispositif pédagogique ainsi que l’adaptation au rythme de l’apprenant. Cette
image se complète par les adjectifs que nous catégorisons sous le groupe
sémantique de « souplesse » (figure 4, p. 230).
nécessairement à l’intérieur de la ZPD ainsi définie. En revanche, le point de vue de Bruner met davantage l’accent sur le rôle actif du médiateur, à qui il incombe en quelque sorte de « jauger » les dimensions critiques de la zone de décalage mentionnée plus haut, afin d’ajuster au mieux l’étayage » (2001, p. 61). 116 L’interviewée désigne l’assistante.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
258
On ajoutera par ailleurs un facteur décisif au bon déroulement du
dispositif autodirigé : le nombre des participants à la formation (N= 16). En
effet, la taille du groupe composé n’a ni empêché les interactions fructueuses
entre les dyade ni provoqué des frustrations liées à des difficultés de gestion
pédagogique d’un groupe trop nombreux. A cette variable du nombre des
étudiants considéré comme un facteur facilitant la mise en place d’une
formation autodirigée, on ajoutera la disposition du mobilier et des
ordinateurs, tournés contre les murs de la salle multimédia, disposition qui
laisse les étudiants et les enseignants libres de circuler et d’échanger entre
eux.
Aspects sociaux
Plusieurs auteurs, notamment Ecoutin (2001), recensent les fonctions
du tutorat en FOAD en focalisant principalement sur les compétences
organisationnelles et cognitives du formateur (par ex. organisation des
parcours, mise à disposition des ressources, maîtrise des outils informatiques).
Nous regrettons le manque de référence à la dimension sociale, notamment
socioaffective, qui s’avère essentielle selon les extraits ci-après :
(Et ce tutorat vous l'avez ressenti comment ?) Eh, hautement rassurant, ça c'est évident.
Le lundi on restait même plus longtemps, on venait à une heure de l'après-midi, et on
partait à quatre heures; on n'avait pas la contrainte du temps (Cl 13).
Il est actuellement largement partagé que « l’autoformation ne peut se
réduire à une modalité de formation sans ressources humaines » (Albero,
2003). Afin d’encadrer également les apprenants qui hésitaient à prendre
l’initiative de demander du soutien, le tutorat impliquait aussi relances,
incitations et encouragements.
C'était bien parce qu'il y avait toujours, euh, à chaque fois [l’assistante] ou vous117 vous
veniez pour… « ça va, est-ce que vous avez bien avancé cette fois-ci », c'était bien parce
qu’il y avait toujours ... on était quand même suivi (Cl 14).
117 L’interviewé s’adresse à l’enseignant.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
259
Oui oui, elle [l’assistante] nous disait souvent « vous bossez beaucoup », « c'est bien ce
que vous faites », alors que nous on n'a pas forcement un regard... on n'avait pas
forcement au début un regard très positif sur ce qu'on faisait (Cl 15).
L’appui moral et motivationnel considéré comme indispensable traverse
à la fois les entretiens et les réponses aux questionnaires. Les pôles
« souplesse » et « soutien affectif » (cf. fig. 10) sont révélateurs de ce fait,
notamment les adjectifs « encourageant », « chaleureux », « personnel »,
« rassurant » et « présent si besoin ». Serait-il exagéré de prétendre que l’âge
et le statut de l’assistante, proches de ceux des étudiants, ont encore plus
facilité la relation pédagogique ?
Heureusement que c’était une personne comme elle parce qu’il y a aussi son contact qui
est… Elle est facilement abordable, donc ça a tout de suite aussi fait un climat dans le
groupe, un climat amical (…) Je trouve qu’elle a donné plus d’unité au groupe, dans le
sens où justement il n’y avait plus cette barrière « ah, elle est en DESS, elle fait ci, elle fait
ça », là non, elle était au même niveau que nous (…) sinon, elle a beaucoup joué sur
l’entretien du moral des troupes (Be 8).
De la présence de l’accompagnateur
Bruno De Lièvre et ses collègues soulignent que l’existence même d’une
personne-ressource peut s’avérer motivante et rassurante : « le tuteur doit
être bien conscient que sa présence seule exerce déjà une influence » (De
Lièvre, Depover, Quintin et Decamps 2003, p. 11). Pourrait-on confirmer cette
constatation à l’examen des données invoquées ? À la question « quel intérêt
avez-vous trouvé aux séances supplémentaires du lundi ? » le questionnaire
A4/8 est assez révélateur :
« La présence de [l’assistante]118 »
L’importance de la présence d’une personne d’appui ressort de l’extrait
suivant :
118 Souligné deux fois dans le texte original.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
260
Je pense que déjà le fait que vous étiez là, que vous ne nous aidiez pas mais, votre
présence était primordiale. C'est à dire qu'à la moindre peur, à la moindre erreur on savait
que vous étiez là pour rattraper les choses; donc c'était assez rassurant...et surtout
motivant, c'est-à-dire même si on arrive pas il y aura toujours quelqu'un pour nous aider et
finalement on avancera de toute manière (Ca 8).
La présence des enseignants via la plate-forme s’est avérée aussi un
facteur rassurant qui combattait le sentiment d’isolement dans les situations
de travail à distance. Candice, s’étant investie dans la réalisation pendant les
vacances de Noël, écrit un message public le jour de l’an en évoquant un
problème technique qu’elle a eu (tous les signes grapho-linguistiques sont
conservés).
Objet : Pour [l’assistante] Candice NAMAIRE (namaire), 01/01/2003 - 21:18:52 bonsoir, bonne année, bonne santé et tout plein de bonheur. J'espère que tu as passer d'agréable fêtes moi comme tu peux le deviner je suis en train de travailler et surtout de m'arracher les cheveux tellement je ne comprends rien. Il s'agit encore du problème rencontré avec le son, j'arrive très bien a le decouper pour qu'il reste la partie que je veux mais je n'arrive pas à transformer le morceau en mp3, en fait que je clique sur "export as mp3" cela affiche "could not open mp3 encoding library". J'ai pensé que le problème venait de "lame" que je l'avais mal téléchargé mais au bout du 10 eme téléchargement et de réinstallation j'en ai eu assez car cela ne fonctionnait toujours pas alors je te crie ' à l'aide' car je crois que je vais devenir folle. merci de prendre de ton temps pour me répondre. à bientôt Candice.
Lors de l’interview, Candice explique cette démarche :
Le seul moyen que j’ai trouvé c’est de demander à [l’assistante] parce que sinon je crois
que je vais devenir folle donc… En fait, le fait d’avoir mis la question sur QP, ben, je me
suis dit « elle va me répondre » et puis ça allait tout de suite mieux quoi. Je me suis dit
« elle va me trouver la solution et puis je pourrai enfin dormir » (Ca 9).
L’appel à l’assistante via la plate-forme nous semble intéressante pour
deux raisons : premièrement en tant qu’aide pour résoudre le problème
technique mais surtout pour son soutien moral, en tant que facteur rassurant
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
261
au déroulement de l’apprentissage. D’après Candice, le fait seul d’avoir mis la
question sur la plate-forme et la certitude que l’assistante interviendra pour
trouver la réponse technique l’ont rassérénée.
Pourtant, même le fait de tripler le nombre d’heures d’accompagnement
par rapport aux heures initialement prévues a été jugé insuffisant.
Effectivement, ceci est relatif aux constatations de De Lièvre, Depover et al.
(2003) concernant les représentations des apprenants sur le rôle des tuteurs
en FOAD. Les chercheurs concluent que l’accompagnement est toujours jugé
comme inférieur aux exigences des apprenants :
(Donc vous auriez préféré un tutorat plus fort?) Oui, je pense, ben, j'ai l'impression que
[l’assistante] était toute seule; je pense que vous119 tout seul vous n'auriez pas pu gérer
tout le groupe; moi j'ai profité pour venir aussi le lundi où on était moins nombreux donc
elle a eu plus de temps à nous accorder. Oui, je pense qu'il aurait fallu un tutorat plus
fort... (So 8). Le mercredi tout le monde était ensemble et là, ça faisait peut-être beaucoup de monde,
et puis il y avait peut-être une pression aussi, une tension qui se sentait, parce qu’il y avait
beaucoup de monde et puis peu de personnes susceptibles d’aider parce que c’est vrai que
vous étiez simplement M. Mangenot et vous-même, et ça faisait beaucoup de boulot quoi,
et donc on sentait la tension, la pression parce que comme vous étiez très sollicités aussi
(Na 13).
D’un point de vue méthodologique, le croisement des affirmations des
acteurs sert à éclairer l’écart qui peut exister dans les attentes des étudiants
en matière de suivi. Tandis que dans les extraits ci-dessus Sophie et Nathalie
considèrent que le suivi était insuffisant, un autre étudiant le juge comme
« trop encadré » (cf. pôle « insuffisance » de la figure 8, p. 255). Sans vouloir
juger les perceptions différentes au sujet de l’investissement tutorale, nous
souhaitons mettre en valeur l’apport de la mise en parallèle des points de vue
différents que permet la triangulation. En effet, le recueil des données
quantitatives (à partir des questionnaires fermés par exemple) aurait été une
méthode moins appropriée pour éclairer sous plusieurs angles le phénomène
complexe du suivi.
119 L’interviewée s’adresse au professeur.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
262
Aspects cognitifs
Les extraits suivants évoquent l’aide technico-pédagogique apportée à la
réalisation des projets, ils renvoient donc à l’aspect cognitif du suivi.
Une ressource humaine, des gens qui ont des connaissances, des compétences dans les
technologies et qui peuvent nous aider à tout moment (Ch 13). Ah, oui, c'était indispensable...dans notre groupe (ma partenaire) et moi on n'était pas très
très bonnes techniquement […], heureusement qu'elle120 était là. Pour [l’assistante] on a
dû bien l'agacer (rires) mais après il y a la satisfaction, après on est arrivé à faire... (Cl 16). Vous deviez assurer l'interface… non, vous étiez le relais entre notre objet de création et
puis nos compétences de départ (Na 14).
Mentionner les « compétences de départ » des étudiants, c’est souligner
que celles-ci peuvent varier considérablement d’un individu à l’autre. A ce
propos, nous avons évoqué ailleurs que :
Une raison supplémentaire pour adopter un mode de travail autodirigé
quand on forme au multimédia est liée à cette hétérogénéité du public
que l’on a en face de soi : un formateur qui exige que le groupe entier
avance au même rythme et aboutisse aux mêmes réalisations, comme
c’est encore souvent le cas, s’expose soit à lasser les plus avancés,
soit à décourager les plus faibles (Mangenot et Zourou, 2005, p. 63).
Encadrement et maîtrise technologique
Les faibles compétences informatiques des apprenants constituent-elles
une raison suffisante pour expliquer la demande d’encadrement renforcé ? De
même, serait-il légitime de supposer que les étudiants disposant d’un
ordinateur chez eux n’ont pas éprouvé le besoin d’assister aux séances
d’accompagnement supplémentaires ?
120 L’interviewée s’adresse à l’assistante.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
263
La réponse est plus complexe qu’il ne paraît. Tout d’abord, il est vrai
que les demandes d’encadrement renforcé n’étaient pas exprimées
collectivement. Par exemple, la plupart des étudiants pourvus de connexion
Internet ont préféré travailler depuis chez eux au lieu d’assister aux séances
supplémentaires du suivi. C’est le cas de Christèle et d’Aziza. Ceci peut aussi
s’expliquer par une aisance dans les manipulations informatiques, liée à la
pratique chez soi des logiciels de bureautique et d’Internet.
Pourtant, cette hypothèse est loin d’être confirmée. Certains étudiants
bénéficiant d’une connexion Internet et ayant les compétences nécessaires
pour accomplir le travail en autonomie guidée ont éprouvé le besoin d’assister
aux séances supplémentaires. C’est le cas de Candice et de Bettina. Au début
de la formation toutes les deux affirment disposer d’un ordinateur à la maison,
d’une connexion Internet (haut débit pour Bettina, bas débit pour Candice) et
des compétences technologiques avancées :
J’ai l’ADSL à la maison (…) j’avais quand même un niveau en informatique » (Be 9). Alors le multimédia… je connaissais assez parce que j’ai Internet à la maison, je n’arrête
pas de pianoter à longueur de journée dessus (Ca 10).
Bien que Candice et Bettina se positionnent comme disposant d’un
niveau avancé en informatique (élément que nous avons vérifié lors du tour de
table au début de la formation), elles soulignent lors de l’entretien le caractère
indispensable des séances supplémentaires auxquelles elles ont assisté. Quel a
été donc le motif de leur présence ? Nous faisons l’hypothèse que l’aspect
socio-affectif du suivi, notamment le côté motivationnel et rassurant des
séances supplémentaires, a joué un rôle majeur.
En effet, Candice et Bettina semblent avoir besoin d’une présence
tutorale prégnante. A titre d’exemple, Candice affirme que « à la moindre
peur, à la moindre erreur on savait que vous étiez là pour rattraper les
choses ; c’était rassurant. Bettina avait plutôt tendance à être plus impatiente
(« le coup de main, on en a besoin sur le moment ») et plus exigeante en
accompagnement : elle a été la seule avec Sophie à considérer le suivi
insuffisant malgré le triplement du nombre d’heures de suivi et l’encadrement
par deux enseignants.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
264
Si le cas de Bettina et de Sophie nous a amenée à constater que les
étudiants les plus autonomes ne sont pas nécessairement ceux qui affichent
une bonne maîtrise technologique, il permet aussi de nous interroger sur le
caractère individualisé de l’encadrement. A notre avis, l’individualisation du
suivi a permis d’adapter les actions de tutorat autant aux étudiants faisant
preuve d’une démarche plus autonome (cf. Christèle) qu’aux étudiants
nécessitant une présence tutorale qui les rassurait, comme c’est le cas de
Candice et de Bettina.
De même, l’individualisation du suivi ne devrait pas occulter
l’investissement important que cette modalité représente pour l’enseignant. Si
un suivi « à l’écoute » est sans aucun doute plus conforme aux thèses
constructivistes qu’un enseignement plus formel, il est évident que les
techniques etc.) qui incombent à l’enseignant ont évolué vers un plus haut
niveau de complexification (Jacquinot 1999). Le caractère fort exigeant du
suivi, lié aussi à la modalité réactive, est évoqué par les adjectifs du pôle
« manque de souplesse » (fig. 8) et par l’extrait ci-après :
Vous étiez quand même à rude épreuve121 (…) Donc bien évidemment, c’était vous qui
étiez sous pression (…) Donc moi je disais à [mon binôme] « J’ose pas appeler
[l’assistante], je l’ai déjà appelée trois fois, tu ne veux pas y aller toi ? » (Na 15). 6.2.3. Rapprochement des fonctions tutorales au début et à
la fin de la formation
Fonctions et statuts de l’enseignant
Plusieurs chercheurs évoquent la multiplicité des rôles attribués aux
enseignants et aux formateurs et l’étendue des compétences diverses dont ils
doivent faire preuve dans l’exercice ainsi renouvelé de leur profession (Bélisle
et Linard 1998 ; Charlier, Daele et Deschryver, 2002a ; Daele et Docq, 2002 ;
De Lièvre et al., 2003 ; Duplaà et al., 2003). Blandin par exemple (1990) liste
121 Idem.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
265
ci-dessous les nouvelles compétences exigées des enseignants et formateurs
dans les nouveaux dispositifs médiatisés :
posséder une culture technique ;
savoir communiquer ;
se doter des méthodes de travail en équipe, de gestion du dispositif ;
savoir capitaliser les outils, connaissances et les savoir-faire
disponibles ;
savoir médiatiser les connaissances, les mettre en forme d’une manière
adaptée au média utilisé etc.
Selon le même auteur, les fonctions que le formateur doit assurer, de
manière variable selon le mode de fonctionnement des dispositifs considérés,
sont celles de « médiateur » (intermédiaire entre les concepteurs des
systèmes de formation et les apprenants qui les utilisent), d’« animateur de
formation individualisée » (s’adressant à chaque individu et non plus à un
groupe), de « tuteur » (chargé de faciliter les apprentissages dans la formation
à distance) et de « producteur de matériaux pédagogiques » (Blandin op.cit.).
De manière générale, les points de vue différents au sujet des fonctions
qu’un enseignant doit endosser ne font que révéler la tâche complexe que
constitue la détermination des rôles d’un enseignant, d’autant plus que ces
rôles sont à notre avis fortement déterminés par le contexte donné. Dans la
même lignée, Glikman (2002b) souligne que le statut du tuteur n’est pas
mieux défini que ses fonctions. Il peut donc s’agir d’un enseignant non-
concepteur du contenu, ou du concepteur même, ou même toute personne
embauchée pour assurer cette fonction, quelles que soient ses activités par
ailleurs. L’auteur conclut sur le point suivant : « l’absence d’un cadre
réglementaire définissant le statut de tuteurs contribue au flou qui
accompagne leurs fonctions » (2002b, p. 232).
En ce qui nous concerne, nous tenterons de contribuer aux recherches
citées plus haut par l’examen détaillé des fonctions de l’enseignant et de
l’assistante au sein du dispositif analysé. Puisque, comme l’affirme Jacquinot
(1999), la définition du tutorat est toujours à contextualiser et ne peut pas
être figée, nous présentons ci-après les fonctions de l’enseignant et de
l’assistante à deux moments différents de la formation afin de montrer
justement le caractère non figé de leurs fonctions.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
266
Le tableau suivant présente à gauche les fonctions de l’enseignant et de
l’assistante telles qu’elles ont été conçues initialement et à droite le bilan de
leurs fonctions supplémentaires à la fin de la formation, suite aux remédiations
nécessaires du dispositif :
Fonctions prévues et réalisées dans le scénario
d’accompagnement
Fonctions non prévues mais observées lors du
déroulement de la formation
FONCTIONS DE L’ENSEIGNANT
Plan de l’ingénierie de formation • Conception et mise en œuvre du dispositif, détermination des objectifs de formation • Elaboration du projet pédagogique (choix de la démarche pédagogique • Fonction de responsable de la formation • Choix de ressources humaines • Choix du matériel informatique • Recherche et administration des fonds • Gestion des coûts de la formation (vacations, achat du matériel, etc.) • Décisions sur les réadaptations du dispositif en cours de route (en fonction des apprenants, des objectifs, du contexte etc.) • Evaluation du dispositif et décisions sur sa poursuite
Plan de l’ingénierie de formation • Réponse à la demande de ressources pour la rémunération des heures de suivi supplémentaire • Appel à des tuteurs externes (étudiants du DESS) pour assurer le suivi supplémentaire
Plan de l’ingénierie pédagogique • Organisation des acteurs (étudiants, assistante) • Conception du scénario pédagogique • Gestion et mise à jour de la plate-forme Quickplace (ouverture des comptes, validation des droits d’accès en fonction de chaque utilisateur, aide à la mise en œuvre de la plateforme etc.) • Suivi de la formation sur place et en ligne
Plan de l’ingénierie pédagogique
• Soutien moral et encouragement • Aide à la concrétisation des projets par les dyades (discussion, négociation et réadaptations) • Mise en ligne des activités multimédias après la fin de la formation • Aide à la résolution des conflits, gestion de la rupture d’une dyade
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
267
• Evaluation des savoir-faire • Accompagnement technico-pédagogique
FONCTIONS DE L’ASSISTANTE
Plan de l’ingénierie pédagogique • Suivi de la formation sur place et à distance • Aide à la mise en œuvre du dispositif • Accompagnement technico-pédagogique
• Soutien moral et encouragement • Aide à la concrétisation des projets par les dyades (discussion, négociation et réadaptations) • Aide à la résolution des conflits, gestion de la rupture d’une dyade • Assistance à l’adaptation du dispositif en fonction de la demande de tutorat • Prise en charge du tutorat supplémentaire
(Tableau 15 : inventaire des fonctions tutorales au début et à la fin de la
formation)
6.2.4. Conclusion sur les modalités du suivi du premier
semestre
A l’examen du tableau ci-dessus, deux éléments méritent d’être mis en
évidence. Premièrement, vouloir dresser des check-lists des fonctions tutorales
ou prévoir au préalable les actions d’encadrement que le tuteur va accomplir
nous semble irréaliste. Bien qu’une conception des fonctions principales soit
essentielle (cf. colonne gauche du tableau), les pratiques tutorales peuvent
difficilement entrer dans une logique prescriptive. Comme l’affirme Glikman,
« il n’existe pas de « bon modèle » de la fonction tutorale, le seul « bon »
tutorat étant celui qui s’adapte le mieux aux besoins différenciés des
apprenants » (2002a, p. 67). Il va sans dire que les fonctions tutorales que
nous avons recensées se développent sur plusieurs niveaux : organisationnel,
méthodologique, cognitif, socio-affectif, technique, etc.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
268
La deuxième constatation relie les fonctions des enseignants à la
démarche globale du dispositif. Dans le cadre du projet analysé, il s’est avéré
nécessaire de rendre le dispositif suffisamment ouvert et flexible de manière à
ce que des améliorations soient possibles, notamment la réponse à des
demandes de suivi imprévues. Monique Linard rappelle comment les dispositifs
« anthropocentrés » gagneraient à être suffisamment « ouverts, remaniables
et détournables vers des usages imprévus » (Linard, 2002, p. 145). C’est
grâce à l’ouverture et à la flexibilité du dispositif que les remédiations
nécessaires ont pu avoir lieu et que les enseignants ont été en mesure de
répondre aux sollicitations des étudiants.
L'augmentation progressive de la demande d’accompagnement tout au
long du semestre présente une image opposée aux résultats de Chamot et al.
(1994). Selon ces auteurs, le suivi renforcé est essentiel aux étapes initiales
de la formation et doit se limiter au fur et à mesure que les apprenants
deviennent maîtres de la tâche. A l’issue de notre analyse, il ressort que plus
les étudiants s’engageaient dans la mise en oeuvre de leurs tâches -et donc
plus ils gagnaient en maîtrise de leurs objectifs de réalisation- plus ils étaient
exigeants en matière d’accompagnement. Par conséquent, le niveau renforcé
d’accompagnement a concerné essentiellement la fin de la formation, qui
coïncide avec un plus haut degré de maîtrise de la tâche comparé au début de
la formation. Nous pouvons donc conclure que l’engagement et la motivation
des apprenants ont plutôt augmenté que diminué leur demande d’un suivi
intensif.
Dans une perspective holistique, cet investissement supplémentaire en
suivi a pu se réaliser autant grâce au cadre institutionnel (disponibilité d’une
salle multimédia équipée), qu’au cadre humain (la disponibilité de l’assistante)
et organisationnel (ressources pour la rémunération des heures
supplémentaires). Ceci reflète également le caractère expérimental du
dispositif : la mise en œuvre de telles améliorations ne peut s’effectuer que
dans certains contextes d’implantation, notamment des contextes
suffisamment ouverts et flexibles.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
269
6.3. Analyse de l’encadrement pédagogique du 2e
semestre : interactions franco-australiennes
Introduction
Dans la partie 6.2. ont été abordées les modalités d’accompagnement
des étudiants français lors de leur formation aux TICE. Ce sont les mêmes
étudiants qui, lors du déroulement du dispositif du deuxième semestre, se sont
retrouvés dans le rôle d’accompagnateurs, plus précisément de tuteurs. Nous
nous interrogerons donc sur les stratégies d’accompagnement déployées par
les tuteurs français, concepteurs des activités lors du premier semestre, en
contact avec des apprenants australiens à distance. Nous examinerons l’apport
de ce nouveau rôle de tuteurs en ligne à leur formation de futurs enseignants
de langue.
Parmi les huit groupes (de 1 à 9 dans les schémas ci-dessous puisque le
groupe 6 a été supprimé), nous avons choisi d’examiner en profondeur les
interactions franco-australiennes du groupe 9 pour des raisons que nous
détaillerons ci-après. Afin d’approfondir notre analyse sur certains aspects
négatifs des échanges en ligne, nous nous focaliserons aussi sur les
interactions du groupe 4, moins équilibré et interactif que le groupe 9, dans le
but d’étudier les dysfonctionnements de ce groupe et ses répercussions sur les
stratégies d’encadrement des tuteurs. Puisque les interactions franco-
australiennes seront examinées sous l’angle de leur potentiel à la formation
professionnelle des futurs enseignants de langue, nous clôturerons cette partie
par des propositions sur le plan du dispositif de formation des futurs
enseignants.
Méthodologie adoptée
Nous nous proposons d’explorer les interactions en ligne entre tuteurs français
et apprenants australiens à l’aide des outils propres à l’analyse du discours.
Dans le cadre de cette étude et malgré les définitions variées du terme
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
270
« analyse du discours » 122, nous empruntons le point de vue de Maingueneau
(2005) pour qui :
L’intérêt qui gouverne l’analyse du discours, ce serait d’appréhender le
discours comme intrication d’un texte et d’un lieu social, c’est-à-dire que
son objet n’est ni l’organisation textuelle ni la situation de
communication, mais ce qui les noue à travers un dispositif
d’énonciation spécifique (Maingueneau, 2005, p. 66).
Nous tenterons donc de prendre en considération conjointement le discours
véhiculé à travers l’outil de communication à distance (WebCT) et le lieu (en
tant que situation d’énonciation) qui détermine ces productions discursives. Le
corpus d’échanges en ligne sera constitué par deux sources d’échanges en
ligne, celles au sein du groupe 9 et celles au sein du groupe 4.
6.3.1. Préambule aux interactions du second semestre
Après l’évaluation formative des projets du premier semestre, parmi les
seize étudiants-concepteurs ayant suivi le module, treize ont manifesté leur
intérêt à participer aux interactions avec les apprenants australiens123, nombre
assez significatif de leur motivation à poursuivre le déroulement du projet
jusqu’à sa fin. De surcroît, s’y sont associés les deux étudiants du DESS qui
avaient encadré les concepteurs vers la fin du module, élevant le nombre final
des tuteurs à quinze.
Répartis en huit groupes, les tuteurs ont travaillé en dyades à
l’exception de deux groupes avec un seul tuteur et un groupe avec trois
tuteurs. Chaque groupe devait encadrer à distance deux Australiens qui, par
ailleurs, suivaient des cours de langue en présentiel une fois par semaine à 122 Pour une description du paysage disciplinaire diversifié de l’analyse du discours cf. Maingueneau (2005). 123 Pour éviter tout malentendu, nous emploierons le terme « étudiants » pour le groupe français et « apprenants » pour le groupe australien, même si les Australiens avaient aussi le statut d’étudiants à l’Université de Sydney.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
271
l’Université de Sydney. Les interactions ont eu lieu exclusivement en mode
asynchrone. La tâche qui incombait aux tuteurs était de proposer un soutien à
la réalisation des activités conçues pendant le semestre antérieur. La
démarche pédagogique visait d’une part à la création d’un espace
d’interactions riche et authentique en contact avec des natifs et d’autre part la
familiarisation des futurs enseignants de langue avec l’encadrement à distance
et les dispositifs FOAD.
6.3.2. Choix du groupe à analyser
Nous avons privilégié l’analyse des interactions en ligne du groupe 9 selon les
critères suivants :
Le nombre de tuteurs par rapport au nombre des étudiants. Dans
le groupe 9, deux tuteurs encadraient deux apprenants, assurant un taux
d’échanges plus important que dans les groupes avec un seul tuteur.
Le nombre des messages échangés par rapport à la valeur moyenne
des contributions de tous les groupes (N=29). Ce chiffre coïncide avec le
nombre des messages du groupe 9 (cf. tableau ci-dessous).
La répartition équilibrée entre le nombre des messages des
tuteurs et des apprenants. En examinant les interactions de tous les
groupes, nous avons remarqué des disparités quant à la proportion des
contributions des tuteurs par rapport à celles des apprenants. Par exemple,
dans le groupe 5, aux 9 messages des tuteurs, correspondent seulement 2
réponses de la part des apprenants. Au contraire, dans le groupe 9, nous avons
un équilibre entre les contributions du groupe des tuteurs (15) et du groupe
des apprenants (14), cf. tableau 16 (p. 271) et figure 9 (p. 273).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
273
repartition des messages
0
1
2
3
4
5
6
17-23
mars
23-30
mars
31mars-
6 avril
7-13 a
vril
14-20
avril
21-27
avril
28 av
ril -4
mai
5-11 m
ai
12-18
mai
19-25
mai
26 m
ai-1 ju
in
2-8 ju
in
9-15 j
uin
16-22
juin
23-29
juin
Nombre de semaines
nom
bre
de m
essa
ges
tuteursapprenants
(Figure 9 : répartition des messages entre tuteurs et apprenants du G9)
L’investissement équilibré des quatre interlocuteurs. De la part
des apprenants, 6 messages ont été postés par Claudia et 8 par Marc ; de la
part des tuteurs 4 messages par Bernard et 11 par Laura124. Ceci renvoie à
l’investissement équilibré des contributeurs qui apparaît également dans le
nombre de mots par message (cf. figure 9).
Une parité des sexes entre un groupe composé de deux femmes (une
tutrice, Laura et une apprenante, Lucy) et deux hommes (un tuteur, Bernard et
un apprenant, Marc).
6.4. Interactions au sein du groupe 9
Les interactions franco-australiennes au sein du groupe 9 seront
examinées sous trois angles, qui nous semblent cruciaux dans la perspective
d’un tutorat langagier en ligne :
124 La différence des messages des tuteurs est liée à l’absence de Bernard pour une durée de trois semaines lors d’un court stage à l’étranger.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
274
le rôle de l’alternance codique entre français et anglais (6.4.1.) ;
les modalités des stratégies correctives en ligne (6.4.2.) ;
les discussions réflexives en ligne (6.4.3.) et
les aspects socio-affectifs du suivi (6.4.4.).
Avant de passer à l’analyse des modalités du suivi en ligne, les
indications ci-après ont été regroupées à partir des données recueillies sur le
profil des acteurs.
(Tableau 18 : profil des participants au groupe 9)
6.4.1. Modalités d’accompagnement : les fonctions de
l’alternance codique entre français et anglais
Si, d’après le Dictionnaire de Linguistique Larousse (Dubois et al. 1994),
le phénomène de l’alternance codique est associé au niveau des compétences
linguistiques d’un interlocuteur dans l’utilisation (ou la non-utilisation) d’une
langue dans un contexte donné, il nous semble que dans cette définition
manque un élément capital, souligné par Calvet (1998) : l’existence de
Le profil des acteurs du groupe 9 Apprenants
Lucy : Australienne, âgée de dix-huit ans, habitant à Sydney, débutante en français. Marc : Australien, vingt et un ans, habitant à Sydney, débutant en français. Tuteurs
Laura : Malaisienne, faisant sa maîtrise à Besançon, âgée d’environ trente cinq ans, ayant de l’expérience dans l’enseignement en présentiel et à distance. Bernard : Français d’origine allemande, informaticien et étudiant en DESS, âgé de trente cinq ans, il part pour un stage au Canada à la moitié du semestre.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
275
stratégies sous-jacentes qui amènent un interlocuteur à employer (ou à éviter
d’employer) telle langue ou telle variété. Comme le souligne l’auteur,
Le contact de langues produit des significations dans lesquelles le
passage d’une langue à l’autre revêt une signification sociale (…)
La communication se produit sous forme de gestion du plurilinguisme
(Calvet, 1998, p.35).
C’est justement cette signification sociale que nous rechercherons dans
l’examen de notre corpus. A quel objectif communicationnel correspond le
passage du français (L2) à l’anglais (L1) ? De quelle façon les tuteurs gèrent-t-
ils ce passage ? Pour quels effets sur l’apprentissage d’une L2 ?
Nous avons identifié deux stratégies qui justifient le recours par les
tuteurs à l’anglais, L1 des apprenants : la première, d’ordre cognitif, vise à
faciliter l’acquisition du français, et la deuxième, d’ordre affectif, sert d’appui
motivationnel à cet apprentissage.
L’emploi d’une L1 comme stratégie pour faciliter l’appropriation d’une
L2
D’après l’observation d’apprenants interagissant en ligne pendant une
période de quinze mois, Lamy et Hassan (2003) affirment que les
comparaisons linguistiques entre L1 et L2 peuvent s’avérer profitables à
l’acquisition de la langue cible :
Focus on L1 lexis (in which learners are expert) successfully led to
reflective talk, particularly when the L1 was used as a basis for linguistic
comparisons with L2, including occasions when this happened in indirect
or contingent ways (Lamy et Hassan, 2003, p. 54).
Dans le cadre de notre analyse, les tuteurs emploient l’anglais dans le
but d’attirer l’attention des apprenants sur une forme linguistique particulière
de la L2, comme le montre l’extrait suivant :
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
276
Bonjour Marc (…) je ne joue pas de la guitare. Je ne sais pas jouer de la musique, mais
j'aime beaucoup la musique. Tu as fait quelques petites erreurs (…) J 'aime guitare =
j'aime la guitare (I like the guitar) ou j'aime jouer de la guitare (I like playing the
guitar) [Bernard 154125]126.
Dans ce sens, le recours à la L1 vise à aider les apprenants à établir un
parallèle entre « j’aime la guitare/I like the guitar » et « j’aime jouer de la
guitare/I like playing the guitar ». Il s’agit d’une stratégie considérée comme
bénéfique à l’apprentissage d’une L2, facilitant une réflexion métacognitive
chez les apprenants. A notre avis, cette stratégie coïncide avec le concept de
focus on form, largement utilisé par des chercheurs en SLA, qui vise à attirer
l’attention de l’apprenant non seulement sur une forme linguistique mais aussi
sur une structure lexicale, sémantique et discursive (Lamy et Hassan 2003,
p.41) lors de la réalisation d’une tâche :
Focus on form specifies not only that learners attend to form, but that
attention be directed to form during the course of a task in which the
main focus is on the meaning of the language (Chapelle, 2001, p. 2).
Outre l’effort de rendre explicite la distinction linguistique « j’aime la
guitare/ j’aime jouer de la guitare», le message du tuteur mérite notre
attention pour une raison supplémentaire, de l’ordre de la médiatisation. Bien
que dans le forum de la plate-forme WebCT les messages se présentent
uniquement en caractères ASCII (sans qu’il soit donc possible de souligner un
texte, le mettre en gras où en italiques), Bernard, informaticien de formation,
se sert des balises HTML pour mettre en gras les deux phrases en français sur
lesquelles il souhaite attirer l’attention des Australiens. Dans ce sens, cette
manipulation technique du soulignement comporte une double dimension :
pédagogique (par l’explicitation d’une correction) et technologique (par la
manipulation et le dépassement des « affordances » de l’outil). Nous
observons donc l’effet du détournement de l’outil (Rabardel, 1995) qui revêt ici
125 Les chiffres se référent au messages postés sur le forum (Annexe B1 pour le groupe 9 et B2 pour le groupe 4). 126 Soulignés dans le texte original.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
277
une double dimension, pédagogique et technique. Pour revenir au recours à
l’anglais comme stratégie pour faciliter l’acquisition de la L2, plusieurs
messages des tuteurs manifestent cette manoeuvre :
"Francais" is a nationality or an adjectif (eg: restaurant francais) where as France is the
name of the country :) [Laura 115] bonjour Marc, yep, it does make sense... i am attaching the corrections, if u could not
open it, let me know [Laura 346]. To answer your question, older sister in french is: grande soeur [Bernard 154].
Toutefois, si cette stratégie de la part des tuteurs ne peut être
considérée qu’utile pour activer des processus métacognitifs chez le public
cible, nous ne sommes pas en mesure d’examiner si ces nouvelles
connaissances linguistiques ont été intériorisées de la part des Australiens.
Leurs messages ne font pas preuve d’un réinvestissement dans d’autres
productions. Or, cette constatation doit être examinée en fonction de la nature
hybride du dispositif. Organisées en complément aux cours de langue en
présentiel à l’Université de Sydney, les interactions franco-australiennes
visaient à compléter l’apprentissage en classe, sans que l’objectif soit une
acquisition langagière entièrement à distance.
L’absence de toute réutilisation des savoir-faire langagiers à d’autres
situations de communication en ligne est significative d’un investissement
minimal de la part des acteurs. Sur le plan du dispositif, le caractère facultatif
des échanges en ligne, complémentaires aux séances d’apprentissage du
français en classe à Sydney, n’a pas été sans incidences sur la nature des
interactions, plutôt sporadiques et reflétant un faible niveau de densité et
d’appartenance au groupe. Nous reviendrons sur ce dernier point dans
l’examen des échanges au sein du groupe 4 (p. 285).
L’emploi de la L1 comme appui motivationnel
p/s: don't worry about making mistakes, that's what we call learning! a bientôt :) [Laura
252].
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
278
No problem, u can use english but why not try out the french u have learnt ? isn't it fun ?
[Laura 384]. Le recours à l’anglais dans les extraits ci-dessus remplit une fonction
assez différente de celle que nous avons analysée plus haut, à savoir la
fonction d’engagement dans une réflexion métacognitive lors de l’acquisition
d’une L2. L’emploi de la L1 dans les messages ci-dessus vise à encourager les
Australiens dans leur démarche d’apprentissage, elle renvoie donc à une
dimension affective dans le sens où la L1 sert à adoucir les difficultés que les
Australiens rencontrent, à ôter l’obstacle langagier qui les sépare, à rapprocher
apprenants et tuteurs au moyen d’une langue commune.
La dimension socioaffective du recours à la L1 est sans doute
déterminée par la médiatisation des échanges. Si l’emploi de la langue
d’origine de l’apprenant dans une situation présentielle peut s’avérer profitable
pour des raisons cognitives, notamment métacognitives, ce recours nous
semble moins évident pour des raisons affectives (dans une classe de langue).
Nous risquerons donc l’hypothèse selon laquelle l’emploi de la L1 a été
conditionné par l’absence d’une relation en face-à-face, élément inhibiteur
dans des situations d’apprentissage à distance.
Dans ce sens, la médiatisation des interactions, contraintes par le (seul)
support écrit, a amené les tuteurs à employer la L1 à la fois pour des
explications linguistiques (d’ordre donc cognitif), comme on pourrait s’y
attendre dans une situation de classe réelle, mais aussi pour des motifs
affectifs, afin de minimiser (ou encore de dédramatiser) le sentiment de
distance qui les séparait des apprenants. Bien évidemment, notre hypothèse
imprégnée par la théorie socioculturelle, ne fait que souligner le rôle des outils
médiateurs (ici : l’absence du face-à-face et l’exclusivité du canal écrit) dans la
construction et la transformation des processus mentaux collectifs (cf.
médiation, p.41).
A notre avis, le recours à la L1 dans sa dimension socioaffective
constitue une stratégie pour compenser, à l’aide des encouragements et des
incitations à la langue d’origine, le « déficit socio-affectif » dû à la
médiatisation (Lamy, 2001, p. 147). Ainsi, les phrases « don’t worry about
making mistakes » ou « u can use english but why not try out the french u
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
279
have learnt ? isn't it fun ? » servent-elles à créer une sorte de « complicité
affective » entre les tuteurs et les apprenants, stratégie qui vise à amoindrir la
distance ressentie entre eux et qui relève effectivement d’un tissage des liens
sociaux en ligne (Develotte et Mangenot, 2004). Nous compléterons les
aspects socio-affectifs des interactions dans la section 6.5.6.
Enfin, l’emploi de l’anglais par les tuteurs, autant dans sa dimension
cognitive que socioaffective, constitue pour nous une stratégie qui répond à
des besoins communicationnels concrets. Loin d’être spontanée, cette
démarche relève d’une compétence interactionnelle particulière. Nous
rejoignons donc Calvet (1998) pour qui l’alternance codique revêt une
signification sociale qui, dans des situations d’apprentissage en ligne, est
modelée par les outils médiateurs employés.
6.4.2. Aspects cognitifs du suivi : les stratégies de
correction
Nous avons identifié deux stratégies de correction que les tuteurs ont
employées lors de leurs corrections, la première implicite et la deuxième
explicite.
Modalité corrective explicite
Les deux extraits ci-dessus sont représentatifs des modalités correctives
de type prescriptif, en proposant de manière explicite des corrections aux
erreurs de production des Australiens :
Je te propose de relire quelques mots de ton message : étudiant (masculin), étudiante
(féminin) famille ; Pense à mettre des 's' quand tu utilises le pluriel : des garçons des filles
[Bernard 154]. feedback : Lucy, ton recit n'est pas mal du tout! toutefois, il y a quelques petites choses a
corriger! (not bad at all, however there are some littledetails
to correct : 1. etudiant (for a guy) but etudiante (for a girl student) 2. normalement on dit,
le 7 septembre 1978 (the article "le" before the date) 3. elle s'interesse aux sports -ur
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
280
phrase "elle est interessee au sport" is a passif sentence and don't sound quite "french"
even if it is not exactly wrong. :) [Laura 115]. Le dernier extrait nous permet également de confirmer une observation
que Christine Develotte fait au sujet des marques de modalisation appréciative
dans les interactions en ligne (2004). Selon l’auteur, « souvent les tuteurs font
d’abord part de leurs remarques positives avant de revenir à certaines
faiblesses qu’ils signalent dans un deuxième temps » (np). Le message de
Laura illustre bien sa démarche. Initié par l’énoncé « désinhibiteur » « ton
récit n’est pas mal du tout » visant à alléger le texte qui suit, le message
continue en anglais (« not bad at all, however there are some little details to
correct »). Il serait intéressant de mettre l’accent sur un autre élément
« désinhibiteur », l’interprétation du mot « petites choses » pour désigner les
corrections en « little details » dans la phrase anglaise, dans le but d'adoucir,
d’alléger le découragement que l’apprenante éprouverait à la lecture des
corrections.
Modalité corrective implicite
Si les corrections rendues explicites risquent souvent de décourager les
apprenants distants, les tuteurs font appel à une stratégie implicite, celle de la
reformulation des messages des Australiens. Nous avons repéré deux
messages typiques, tous les deux produits par Laura. Le premier constitue la
réponse au message de Marc cité ci-après :
Bonjur, comment allez vous? Dans la pc vacances je suis alle une eglise sur bon vendredi
et dimanche -je suis alle une eglise souvent, je suis alle du pac le fete sur lundi. Je suis
alle prendre un verre avec mon amis sur jeudi. Alors je suis alle barbecue sur ANZAC jour
(vendredi, vingt cinq, avril.) Je suis celebre mon amies vingt et un anniversaire sur
samedi. Qu'est-ce que vous etes alle pendant la pac?
[Marc 237].
En réponse au message de Marc, au lieu de lui proposer explicitement
des corrections, Laura, dans un effet de miroir, reprend ses corrections dans
son discours, sous forme de propositions dialogales :
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
281
Cher Marc, Il me semble que tu as fait beaucoup de choses pendant les vacances de
Paques. Tu es allé à l'église pendant quelques jours, ensuite tu es allé prendre un verre
avec des amis suivi par un barbecue. Et finalement, tu as fêté ton anniversaire le samedi
dernier, c'est ça? [Laura 253]. Repris dans le discours des tuteurs, les messages des apprenants sont
reconstruits et remis en scène. Ce processus d’emboîtement du discours des
apprenants et son remaniement linguistique sont présents dans la réponse de
Laura au message de Lucy ci-dessus :
Mes parents sont allés en vacances. J'ai dû travaille! Je n'aime pas travaille. Je suis une
commerçante. J'ai mangé une chocolat et regardée la télévision [Lucy 238]. Chère Lucy, Alors tes parents sont partis en vacances et tu es restée chez toi pendant les
vacances de Paques? Tu as dit que tu as travaillé, que tu es commerçante. Je ne
comprends pas bien cela, tu travailles à temps partiel ou bien tu t'occupes d'un magasin
pendant que tes parents sont partis? [Laura 252]. La stratégie que nous désignons ici comme modalité corrective implicite
relève à notre avis d’un mécanisme à double visée. Premièrement, cette
stratégie sert à limiter un effet inhibiteur qui résulterait de la mise en évidence
des erreurs sur un support médiatique public. La volonté d’atténuer la
pesanteur des corrections se trouve donc à l’encontre d’une stratégie
corrective explicite et exhaustive que les tutrices du groupe 4 ont suivi,
stratégie qui sans doute a été rendue encore plus directive par la
médiatisation des remarques des tutrices.
Deuxièmement, les remarques correctives sous forme de dialogue
permettent non seulement de fournir une rétroaction langagière mais aussi à
établir des interactions dialogales en ligne. De notre point de vue, cette double
dimension de la stratégie corrective implicite de Laura a permis de soutenir, ou
encore de renforcer les échanges entre la tutrice et les apprenants et par
extension elle a favorisé le flux des interactions en créant un environnement
désinhibiteur et encourageant pour les apprenants disposant de savoir-faire
élémentaires en L2. Nous apprécierons ce dernier élément en comparaison des
modalités correctives des tutrices du groupe 4 (6.5.4.)
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
282
6.4.3. Discussions réflexives
A la lecture des messages de Laura ci-dessus, il est clair que la tutrice,
à partir de ses interrogations, lance des appels à des échanges davantage
interactifs en ligne. Toutefois, ces incitations ne semblent pas être toutes
suivies par les Australiens. La même constatation est valable pour les relances
de Bernard à propos du Canada où il poursuit son stage [Bernard 228] et de
Laura au sujet des villes australiennes [Laura 299] et du vin [Laura 213]. Ces
données rejoignent l’image qui ressort de l’examen global des interactions : le
rythme lent du forum. Quelles sont les raisons de cette communication
insatisfaisante ?
Nous avons évoqué plus haut la fonction des interactions franco-
australiennes, organisées en complément aux séances présentielles. Le
nombre limité des messages du forum découle donc de la nature du dispositif
d’aide aux cours de langue en classe. Un deuxième facteur qui a déterminé de
manière décisive la production des activités multimédias ainsi que les
interactions franco-australiennes est le niveau linguistique élémentaire des
apprenants. À la lecture des messages de Lucy et de Marc, il est évident que
leur niveau débutant en français a constitué un obstacle majeur à des
interactions riches. Le recours à l’anglais dans leurs messages est assez
caractéristique de ce déficit linguistique : « sorry for swapping english and
french in sentences [Marc 382]» « I made a few typing errors (…) probably
lots of other things as well » [Marc 247].
Pour ces raisons, les interactions n’ont pas abouti à des discussions
réflexives, conjuguant réflexion consciente et interactivité spontanée (Lamy et
Goodfellow, 1998). Toutefois, plusieurs énoncés du côté des apprenants
reflètent des traitements métacognitifs lors de la production des messages,
notamment le recours (ou le non-recours) à des supports d’apprentissage tels
que des dictionnaires comme le laissent entrevoir les expressions « la pac
vacances » [Marc 247], traduction littérale de « easter holidays » et de
«sejour dans le contact », traduction mot à mot de l’expression « stay in
contact » [Marc 451].
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
283
6.4.4. Aspects socio-affectifs du suivi
Les efforts pour maintenir une ambiance amicale traversent l’ensemble
du corpus analysé. Nous examinerons ici les différentes manières dont se
construisent les relations interpersonnelles au sein du groupe.
L’évocation de la vie privée semble avoir accéléré la construction de
cette ambiance amicale. A la suite de Lucy, qui initie les échanges personnels
en évoquant son âge et sa situation familiale [Lucy 30], Bernard répond
[Bernard 47], suivi de Marc [Marc 75 et 120] et de Laura [Laura 113]. Si ces
premiers échanges semblent typiques dans un cadre de communication
interpersonnelle, moins évidente est l’évocation de l’attachement de Laura à
son métier [Laura 182], la prédilection de Lucy pour les animaux domestiques
et le vin [Lucy 201], les souvenirs de vacances de Pâques [Marc 237, Laura
253 et 252, Lucy 238] et l’amour de la nature [Laura 252, Lucy 277, Laura
299, Lucy 288]. Nous rejoignons donc Develotte et Mangenot (2004) pour qui
le lien social est une variable en constante évolution, à l’intérieur d’un même
groupe de personnes interagissant en ligne.
Typique du registre interactif écrit (Mondada, 1999), la communication
médiatisée par ordinateur est riche en « dispositifs alternatifs pour modaliser
des messages » (op. cit. p. 5). À l’examen du corpus analysé, les messages
comportent de multiples « néogrammes » (Anis, 1998). Nous distinguons des
types d’orthographie phonétisante et simplifiée (« u », « ur » employés par
Laura), des trucages orthographiques (tels hahahahhaa, hmmmm, great !!!)
et des émoticons tels que ;o), :-( et :-) qui visent à consolider le tissage du
lien social, à caractère essentiellement affectif, entre les quatre interactants.
L’effort de créer et maintenir une ambiance amicale au sein du groupe 9
sera absent dans les interactions en ligne du groupe 4. Nous examinerons
donc les effets de convivialité au sein du groupe 4 et plus particulièrement
nous nous focaliserons sur l’importance que revêt la consolidation du lien
social dans les processus de suivi pédagogique en ligne.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
284
6.4.5. Conclusions sur les interactions du groupe 9
A la lumière de l’analyse des échanges en ligne du groupe 9, plusieurs
constatations apparaissent. Tout d’abord, la difficulté de s’engager dans des
discussions polylogales en ligne découle des compétences communicatives
élémentaires des Australiens. Comme nous l’avons remarqué, les messages
des apprenants sont courts et comportent souvent une multitude d’erreurs de
langue. Ce déficit linguistique a eu des répercussions sur la densité des
échanges et la nature de l’accompagnement : les interactions ont été éparses
(51 messages de 4 acteurs pour une période de 15 semaines), tout en
orientant les tuteurs vers une rétroaction plutôt corrective que
communicationnelle.
Par conséquent, autant le niveau linguistique des apprenants que le
caractère facultatif des échanges, en complément aux cours de langue en
présentiel à Sydney, ont été des facteurs ayant déterminé les modalités du
suivi en ligne. A cet égard, le type de tutorat mis en place par les tuteurs du
groupe 9 nous semble aussi adapté que possible à la situation
d’apprentissage : le recours fréquent à la L1 comme stratégie facilitatrice de la
L2 dans un effort de pallier le déficit langagier des Australiens en témoigne.
Une deuxième stratégie corrective implicite est utilisée par Laura ; elle
vise à la fois à offrir une rétroaction linguistique et à engager les apprenants
dans des interactions fructueuses. On ajoutera bien sûr un élément qui
traverse l’ensemble du corpus des tuteurs, le caractère socio-affectif du suivi,
qui se reflète par les encouragements, par le recours à la L1 comme appui
motivationnel ainsi que par la volonté de créer une ambiance amicale, élément
qui vise à renforcer le lien social entre interactants distants en ligne.
Le mode de suivi en ligne au sein du groupe 9 sera mis en parallèle avec
l’accompagnement des tutrices du groupe 4 (6.5.), avant de déboucher sur
des réflexions sur l’apport de cette expérience d’accompagnement en ligne à la
formation des futurs enseignants (6.6.)
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
285
6.5. Interactions au sein du groupe 4
A côté de l’examen des interactions du groupe 9 qui, de manière
générale, laisse entrevoir un paysage discursif plutôt positif, il est intéressant
d’étudier les modes de fonctionnement d’un groupe moins équilibré et moins
interactif : il s’agira du groupe 4, composé de trois apprenantes australiennes
et deux tutrices françaises. A partir de l’analyse des dysfonctionnements de ce
groupe, l’objectif sera d’éclairer les fonctions tutorales en ligne et les
stratégies mises en place pour remédier à ces dysfonctionnements.
Plus particulièrement, deux questions principales seront traitées :
premièrement, de quelle manière les spécificités du contexte d’interaction ont-
elles déterminé les attitudes des tutrices ainsi que leurs fonctions
d’encadrement ? Deuxièmement, quel type de stratégies les tutrices ont-elles
mis en place pour compenser le déficit en interactions du groupe 4,
notamment le degré d’engagement très faible des apprenants, lié à leurs
compétences communicationnelles élémentaires ?
D’un point de vue méthodologique, nous procéderons au croisement des
données quantitatives avec des données qualitatives. L’examen de ces
dernières s’effectuera à travers l’analyse discursive des interactions verbales
dans l’objectif de compléter l’interprétation des données quantitatives. Le
tableau ci-après esquisse à grands traits les caractéristiques principales des
acteurs, recueillies à travers leurs contributions en ligne :
Le profil des acteurs du groupe 4
Apprenantes Amy : Australienne, débutante en français, elle se manifeste sur le forum après la seconde moitié du semestre ; pas de renseignements sur son âge ni sur son statut. Elizabeth : Australienne, débutante en français, abandonne les interactions sur le forum après la première moitié du semestre ; pas de renseignements sur son origine, son âge et son statut. Jennifer : Russe habitant à Sydney, dix-neuf ans, débutante en français. Tutrices
Viviane : Française, bilingue français-anglais, âgée d’environ 22 ans, sans expérience dans l’enseignement (en présentiel et à distance). Elle assure le suivi des australiennes tout au long du semestre. Sophie : Française, entre 20 et 23 ans, sans expérience dans l’enseignement (en présentiel et à distance). Elle se manifeste dans la deuxième moitié du semestre.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
286
(Tableau 19 : profil des participants au groupe 4)
6.5.1. Degré d’engagement et sentiment d’appartenance
Dans le vaste champ des recherches au sujet des communautés en ligne
(une définition de ce terme, par le recouvrement des formes d’organisation
sociale en ligne, semble de plus en plus complexe), une des conditions qui
apparaît comme indispensable à la constitution d’une communauté est celle de
l’engagement. Les diverses définitions données à la notion de communauté
semblent converger vers un degré d’engagement minimal dans la poursuite
des interactions collectives (entre autres Marcoccia, 2002 ; Riel et al., 2004 ;
Kollock, 1997 ; Lazar et Preece, 1998 ; Herring, 2003). Ce critère
d’engagement apparaît comme une des conditions de base pour la
caractérisation d’une communauté, parmi d’autres critères plus exigeants
comme le partage des valeurs, la construction d’une identité collective, la
durée des échanges, etc. A la lumière des interactions du groupe 4, les acteurs
ont-ils fait preuve d’un degré d’engagement et d’un sentiment d’appartenance
pour que ce groupe se constitue en communauté élémentaire ?
Un premier élément de réponse est fourni par le tableau ci-après : les
messages des acteurs sont loin de suivre une périodicité régulière. Par
exemple, Amy, une des étudiantes australiennes, n’apparaît que dans la
deuxième moitié du semestre sans que l’on puisse apprendre plus sur ce fait,
tandis que Jennifer, présente les trois premières semaines, se retire
complètement, à l’exception d’un dernier message vers la fin des interactions.
De plus, la troisième étudiante australienne, Elizabeth, abandonne après la
cinquième semaine pour des raisons qui nous restent inconnues. De même,
Sophie, la deuxième tutrice se manifeste dans la deuxième moitié du
semestre, quoique sa présence puisse être considérée comme facultative
puisque les étudiants sont suivis par sa collègue Viviane tout au long du
semestre.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
287
(Figure 10 : répartition de messages entre acteurs du groupe 4)
Il ressort du repérage chronologique des messages que les acteurs
manifestent un degré d’engagement et d’appartenance au groupe presque
inexistant. Il va sans dire que la fréquence irrégulière des messages ne permet
pas d’évoquer la constitution d’une communauté en ligne, de niveau même
élémentaire. Par leur présence ou absence aléatoire, les acteurs apparaissent
ou disparaissent de manière inattendue sans informer ni sur leur retour ni sur
leur abandon. Ce phénomène de manque d’assiduité des échanges n’a pas été
sans incidences sur le déroulement de l’encadrement en ligne. Nous
l’examinerons également en fonction du degré de réciprocité des échanges.
6.5.2. Réciprocité des échanges
Au sein des recherches en CMO, la manière dont les utilisateurs
« tissent » les interactions en ligne (par analogie au terme anglo-saxon
thread : enfiler, ficeler) occupent une place dans l’examen des situations
discursives médiatisées (Marcoccia, 2002 ; Wegerif, 1998 ; Kear, 2001). En ce
0
1
2
3
4
5
17-2
3 m
ars
23-3
0 m
ars
31m
ars-
6 a
vril
7-13
avr
il14
-20
avril
21-2
7 av
ril28
avr
il -4
mai
5-11
mai
12-1
8 m
ai19
-25
mai
26 m
ai-1
juin
2-8
juin
9-15
juin
16-2
2 ju
in23
-29
juin
Viviane
Sophie
Elizabeth
Amy
Jennyfer
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
288
qui concerne le groupe 4, nous nous interrogerons sur la valeur de ce
« tissage » : La façon dont les messages s’entrelacent éclaire-t-elle les
comportements discursifs en ligne des acteurs ? Si oui, quel type de données
peut-elle fournir dans l’examen d’une situation d’enseignement/apprentissage
langagier d’une L2 ? Afin d’aborder cette question, nous nous appuierons sur
des données quantitatives que nous affinerons par la suite à la lumière des
données qualitatives.
Le tableau suivant récapitule certaines données quantitatives portant
sur le déroulement des interactions médiatisées du groupe 4. Une première
observation porte sur le nombre de messages isolés par rapport au nombre
total de messages. Ainsi, un nombre important de messages (N=8)
constituent des messages isolés qui, autrement dit, n’ont pas été suivis par un
autre interlocuteur127. Ces messages isolés constituent donc des unités sémio-
linguistiques closes, n’ayant pas produit d’interaction écrite dans l’espace de
discussion commun. Le taux relativement élevé des messages isolés par
rapport à la totalité des contributions nous oriente vers une première
constatation : celle du faible niveau d’interaction.
Groupe 4 Groupe 9
Total de messages 21 29
Messages isolés 8 2
Moyenne des messages par fil de
discussion
1 2,8
(Tableau 20 : Messages isolés par groupe)
Ce premier constat d’un niveau d’interaction rudimentaire se renforce
par le faible taux de messages dans chaque fil de discussion. Tout d’abord,
dans le groupe 4 le nombre de messages tissés (N = 5) est nettement moins
important que dans le groupe 9 (N= 9). Par taux de messages par fil, Karen
Kear (2001) désigne la moyenne de messages échangés au sein d’un fil. Dans
127 Pour l’estimation des messages suivis (non isolés), deux éléments ont été pris en compte : les réponses ayant recours à la fonction « réponse » de l’outil ainsi que ceux qui répondent à un message précédent sans passer par cette fonctionnalité technique (cf. Viviane 98, Viviane 174 et Sophie 250).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
289
notre analyse, ce taux s’élève à 2.8 pour le groupe 9 et à 1 pour le groupe 4
(cf. tableau 20). Plus précisément, les messages du groupe 9 présentent un
fort enchaînement allant parfois jusqu’à cinq messages consécutifs128. Au
contraire, dans le groupe 4, le nombre de réponses à un message ne dépasse
pas le chiffre un, autrement dit, les contributions obtiennent - dans le meilleur
des cas - une seule réponse sans que celle-ci soit reprise par l’initiateur de
l’interaction. Par conséquent, le nombre important de messages isolés en
relation avec le faible taux de reprise de messages renvoie plutôt au modèle
du monologue, non-interactif par excellence selon Lamy et Goodfellow (1998).
Taux de messages par fil du groupe 4
0
1
2
3
4
5
6
nom
bre
de m
essa
ges
par
fil
1 2 3 4 5
nombre de fils
Fils de discussion du groupe 4
Taux de messages par fil du groupe 9
0
1
2
3
4
5
6
nom
bre
de m
essa
ges
par f
il
1 2 3 4 5 6 7 8 9
nombre de fils
Fils de discussion du groupe 9
(Figure 11 : Nombre de messages par fil de discussion)
6.5.3. Comportements discursifs en ligne des apprenants
d’une L2
En se questionnant sur la fonction du texte écrit, Christian (cité par
O’Dowd et Eberbach 2004, p.8), élabore une taxonomie des types de discours
écrits, selon les effets que ce discours produit chez le lecteur.
Le discours écrit agit pour l’auteur (l’auteur comme seul destinataire) 128 Cf. le message initial de Lucy intitulé « Salut » [Lucy 30] qui est repris quatre fois par les autres interlocuteurs, leur permettant de se présenter mutuellement.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
290
Le discours écrit agit pour l’audience
Le discours écrit se lie au lecteur
Le discours écrit tente de se lier au lecteur de manière unique et
énergique
Le discours écrit « parle » : il incorpore des éléments d’une
communication verbale
Cette taxonomie qui définit plus particulièrement le degré d’interactivité
que comporte le discours écrit nous guidera dans la définition des
comportements discursifs des étudiantes australiennes. A travers leurs
contributions, nous tenterons de reconstruire leurs attentes vis-à-vis des
tutrices françaises ainsi que la façon dont ces attentes déterminent les
fonctions tutorales. Ci-dessous deux productions australiennes à propos de
l’activité « Qui est qui ? », présentées dans leur intégralité :
Hi, it Jennifer! we did this excercise in class. Please, correct me if I have any problem, I
probably do. Elle s'appelle Leblanc Claire. Elle est e'tudiente.Elle habites a Besancon. Elle
est ne 12/12/1981. Elle est entesessee au sport et au Medecine Preventive [Jennifer 84]. Elle s'appelle Candice Printier. Elle est nee quinze Septembre, soixante-neuf a
Battambang. Elle va a universite de Franche-comte. Elle est interessé å la musique. Elle
est la chanteuse.
Does this sound right? It was an exercise for class [Elizabeth 83].
Nous remarquons tout d’abord que le message d’Elizabeth [83] ne
contient ni formule d’ouverture ni formule de clôture. Ainsi, l’auteur passe
directement au corps du message, à savoir la réalisation d’un exercice à
corriger par les tutrices : « elle s’appelle Candice Printier. Elle est nee
quinze… ». L’absence des formules d’ouverture et de clôture nous semble
révélatrice de la nature des relations interpersonnelles telles que se les
représente Elizabeth. Le message est donc dépourvu de toute marque
linguistique à caractère socio-affectif qu’impliquent généralement l’ouverture
et la clôture d’un message (Develotte, 2004).
De plus, l’entrée en matière du message d’Elizabeth traduit
certainement le positionnement que se donne l’auteur par rapport à ses
tutrices (Mangenot et Miguet, 2001). Ainsi, cette production discursive nous
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
291
apporte des éléments précieux quant au type de relations que l’apprenante
australienne cherche à instaurer avec ses tutrices : la limitation du contenu du
message à la réalisation de l’activité et donc aux aspects exclusivement
cognitifs traduit une vision du rôle des tutrices limité à la correction
linguistique. Le message de Jennifer [84] va également dans ce sens : les
apprenantes lancent au niveau linguistique des appels à l’aide dont le contenu
est conditionné par les activités de production en classe. A part une brève
introduction (Hi, it’s Jennifer), les deux messages sont caractérisés par
l’absence de marques de « connivence relationnelle » (Develotte, op. cit.) plus
propres tant aux interactions en face à face qu’aux interactions en ligne.
Au-delà d’une information sur le plan linguistique, les deux messages
nous renseignent aussi sur le plan des attitudes discursives. Ils définissent
donc l’« l’horizon d’attente » des relations interpersonnelles avec les tutrices :
par la réduction du rôle de ces dernières à la correction purement linguistique
des erreurs de production écrite, les messages semblent fonctionner au
premier degré de la taxonomie de Christian (cf. supra), celle de l’auto-
référencement (the writer performs for the writer). Ainsi, les messages des
apprenants (nous ne parlons pas d’interactions puisque les productions
australiennes dans la majorité ne comportent pas d’ouverture d’interaction),
même dans leurs demandes d’aide linguistique extérieure, se caractérisent par
un manque de désir de communication. Cette image se reflète dans les trois
messages suivants (présentés également dans leur intégralité), à raison d’un
message par apprenante. A l’exception du message d’Elizabeth (Quoi
proffession tu adore?), les autres messages ne reflètent pas de volonté
d’entrer en interaction.
Bomjour, its Jennifer. J'aimerais etre diplomate, parce que j'aimerais representear mom
pays. ( I would like to be diplomat, because I would like to represent my country.) Thank
you! [Jennifer 132] Jaimerais être une vedette de rock, parce que j'adore chanter. J'aimerais voyager dont le
monde. Quoi proffession tu adore? [Elizabeth 128] En Australie, il y a beaucoup des National Parcs, et ce sont tres beau. En le Nord, on
peux aller et nager a Litchfield National Parc. Mais il faut absolutment voir la roche
peintures et le crocodiles en Kakadu National Parc. C' est fascinat! Au revoir, Amy
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
292
A ce stade, nous pourrions établir un parallèle entre le caractère peu
communicatif des messages des apprenantes et le faible taux de messages par
fil que nous avons évoqué dans la section 6.5.2. A l’examen du corpus du
groupe 4, les réponses proviennent toutes des tutrices : les apprenantes
lancent au niveau linguistique des appels à l’aide auxquels les tutrices
répondent sans que les Australiennes ne reviennent sur ce sujet. Cet élément
renforce l’image des échanges déterminés par un objectif utilitaire : la seule
correction des productions linguistiques.
Nous venons de constater que les contributions des apprenants
déterminent les fonctions tutorales, ou encore les confinent dans un espace
d’action délimité. Nous examinerons par la suite la manière dont les tutrices
ont réagi ainsi que les stratégies qu’elles ont mises en œuvre dans le but de
gérer cette situation.
Par ailleurs, tandis qu’un degré de familiarité se manifeste par divers
indices énonciatifs, ces manifestations en tant que signes d’une dimension
relationnelle sont peu présentes. Pour Marcoccia par exemple, la dimension
relationnelle se manifeste par trois catégories d’indices : la manifestation des
règles de politesse, l’expression des émotions et la familiarité entre les
membres du forum (Marcoccia, 2002). Sans que cette dimension soit exclue
du groupe 4 (tutoiement, excuses de la part d’Amy, emploi sporadique
d’emoticons), elle est bien moins présente que dans le groupe 9, où l’on peut
alléguer la création de liens socio-affectifs (6.4.4.).
Dans une étude récente, Curtis et Lawson (2001, p. 34) établissent une
typologie des comportements discursifs en ligne en définissant cinq grandes
familles d’actes discursifs médiatisés : la planification, la contribution, l’appel à
une rétroaction, la réflexion et l’interaction sociale. Chaque grande famille est
sous-divisée en catégories distinctes que nous ne reprendrons pas ici pour des
raisons de concision. Selon cette typologie, les messages des apprenantes
entreraient dans la catégorie d’appel à une aide extérieure (Help seeking :
seeking assistance from others, HeS), tandis que ceux des tuteurs figureraient
dans deux catégories : celle de la réponse à une aide (help giving : responding
to questions and requests from others, HeG) et celle de l’encouragement à
contribuer (challenging the contributions of other members and seeking to
engage in debate).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
293
L’élément le plus intéressant qui ressort de cette catégorisation n’est
pas tant la classification dans telle ou telle catégorie mais l’éventail
extrêmement limité des interactions verbales du groupe 4. Il semble que les
rôles soient figés en deux pôles, le premier étant la demande d’aide tutorale et
le deuxième étant la réponse à cette aide avec quelques encouragements à
renforcer les échanges. Parmi les quinze catégories présentées en cinq familles
selon Curtis et Lawson (op. cit.; Kim et Bonk, 2002), les échanges du groupe 4
sont imprégnés par une perception plutôt « utilitaire » des échanges, élément
qui a déterminé les stratégies d’encadrement des tutrices.
6.5.4. Stratégies correctives d’une L2 sur support
médiatique et répercussions sur les interactions en ligne
Plusieurs recherches portent sur les rôles ou les nouvelles fonctions des
enseignants en ligne ; rares sont pourtant les références sur la manière dont
ces fonctions sont modelées par les spécificités du contexte et plus
particulièrement par les attentes des apprenants en ligne. Nous nous
pencherons plus particulièrement sur la manière dont les tutrices ont procédé
à la remédiation des erreurs des Australiennes sans perdre de vue le rôle que
la médiatisation de la plate-forme a joué dans la mise en oeuvre des stratégies
correctives. Le croisement des données quantitatives et qualitatives nous
servira d’appui méthodologique.
Investissement déséquilibré et interventions exhaustives
Un bref aperçu du corpus du groupe 4 ne laisse aucun doute sur le taux
de contribution de chaque participante : la quantité des messages ainsi que le
nombre des mots par message sont nettement plus importants chez les
tutrices. Le schéma ci-après nous informe à la fois sur le nombre de mots par
acteur du groupe 4 en comparaison avec celui du groupe 9. Au niveau des
messages de correction linguistique, les fonctions de Laura et Bernard, (les
tuteurs du groupe 9) coïncident avec celles de Sophie et de Viviane (les
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
294
tutrices du groupe 4). Par contre, si l’on examine la longueur totale des
messages des tuteurs du groupe 4, et plus particulièrement de Viviane, on
constate que celle-ci a produit deux fois plus de messages que Laura, la plus
active des tutrices du groupe 9.
Nombre de mots par acteur (groupe 4)
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Jennifer Amy Elizabeth Sophie Viviane
Nombre de mots par acteur (groupe 9)
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Lucy Marc Bernard Laura
(Figure 12 : nombre de mots par acteur)
Cette première constatation liée à une contribution déséquilibrée est
confirmée par la répartition des messages par acteur :
0123456789
nombre de messages
nombre de messages par acteur
Jennifer
Amy
Elizabeth
Sophie
Viviane
(Figure 13 : nombre de messages par acteur du groupe 4)
Une analyse discursive des messages des tutrices en fonction des
messages des apprenants nous permettra d’éclairer les raisons de cet
investissement déséquilibré. Le message qui suit est la première réaction de
Viviane, la tutrice principale du groupe, au message de Jennifer (cf. supra
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
295
Jennifer 84) à propos de l’activité « Une carte d’étudiant de l’Université de
Franche-Comté ».
Bonjour Jennifer! Bon travail avec l'exercice! Mais attention, il y a quelques erreurs...
- Claire est le prénom de l'étudiante, et son nom de famille est Leblanc. En français, le
prénom vient avant le nom. (the first name comes before the last name) On dit: " elle
s'appelle Claire Leblanc" (sounds better!)
- Attention à l'orthographe! On dit "il est étudiAnt" et "elle est étudiAnte".
- La 3ème personne du singulier en français est "-e".(The mark of the third person singular
is an '-e')
-> "elle habitE"
- Attention à l'accord avec le féminin et le verbe "être". (Don't forget to make the
adjective agree with the subject when the verb is 'être'. You did it right for the second one
"elle est intéresséE", adding an '-e' at the end because the subject is feminin. It's the same
thing with "elle est néE ".)
- Now what you said is really cute!!! 'Médecine Préventive' is not a pastime though! If you
look at Claire's student ID, you will see that 'Médecine Préventive' is on the right hand side
of the card, right above 'Sécurité Sociale' (health care), 'Sport', and 'Scolarité' (tuition).
You can also read 'Total en Euros'. This little area of the student ID card tells you how
much the student paid for this school year. Médecine Préventive is one of the fees we have
to pay.
The most important ones are Scolarité and Sécurité Sociale. Some students, depending on
the income of their families, and their financial situation, can get grants ("bourses"), and
so their school year is REALLY cheap. Some will pay only about 10 Euros for a year, when
other students will have to pay 325 Euros, which I believe is the highest possible cost of a
year at the University. By the way, you would say 'à la médecine préventive', because
'médecine' is feminin.
Hope this was clear and that it helped! Keep up the good work! :) [Viviane 98]
Le message ci-dessus est caractéristique d’une démarche de correction
exhaustive. La tutrice procède au repérage des défectuosités du texte de
Jennifer [84] sur plusieurs plans. Premièrement, sur le plan linguistique par le
recours à des explications métalinguistiques (La 3ème personne du singulier
en français est « -e ») Deuxièmement, ses remarques portent sur le plan
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
296
morphosyntaxique (« il est étudiAnt » et « elle est étudiAnte »).
Troisièmement, la tutrice passe à des corrections d’expression (« en français,
le prénom vient avant le nom ») pour passer finalement aux corrections
pragmatiques que nous examinerons plus en détail.
(Figure 14 : copie d’écran de l’activité « une carte d’étudiant »)
En effet, Jennifer, en se référant à l’activité « une carte d’étudiant de
l’Université de Franche-Comté », considère que la médecine préventive est
une activité au même titre que les sports. L’apprenante produit donc l’erreur
suivant : « Elle est entesessee au sport et au Medecine Preventive ». Viviane
commence par une entrée affective « Now what you said is really cute!!! »
visant sans doute à ôter le poids psychologique de cette erreur. Elle passe
progressivement à l’explication de l’erreur : « Médecine Préventive » is not a
pastime though! ». Elle poursuit donc une démarche plutôt exploratoire qui
amènerait Jennifer à réexaminer les éléments contextuels (Médecine
Préventive is on the right hand side of the card, right above « Sécurité
Sociale» (health care), « Sport », and « Scolarité » (tuition). You can also read
« Total en Euros »).
Progressivement, Viviane aménage les différents éléments qui entourent
l’expression « médécine préventive » dans une tentative de donner du sens à
des mots que Jennifer, étant donné son niveau linguistique débutant, ne peut
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
297
pas reconstruire seule : « This little area of the student ID card tells you how
much the student paid for this school year ». Finalement, elle complète
« l’énigme sémantique » par la phrase suivante: « Médecine Préventive is one
of the fees we have to pay ». Toutefois, la démarche de reconstitution du sens
et par extension de la correction de l’erreur ne se termine pas avec
l’explication. Viviane profite de cette situation pour avancer un élément d’ordre
civilisationnel : « Some students (…) can get grants (…) other students will
have to pay 325 Euros, which I believe is the highest possible cost of a year at
the University ». La mise à-plat d’un phénomène langagier autant dans sa
dimension linguistique (« By the way, you would say 'à la médecine
préventive' because 'médecine' is feminin) que pragmatique ne peut être
considéré que comme bénéfique dans une situation d’apprentissage d’une
L2129.
Or, quel type d’effet peut produire la médiatisation d’un forum sur les
corrections exhaustives des tutrices ? Nous faisons l’hypothèse que le
caractère à la fois public et permanent des corrections en ligne n’est pas sans
incidences sur les interactions entre les acteurs. Nous venons d’évoquer plus
haut le taux de contribution de chaque acteur (à la fois en termes de mots et
de messages postés) : Viviane, par sa volonté de proposer des corrections les
plus complètes possibles, une rétroaction donc minutieuse censée faire
avancer leur niveau de langue, n’a-t-elle pas inhibé la production des
Australiennes ?
Une analyse globale des techniques de remédiation employées par les
Françaises nous apportera plus d’éléments de réponse. Ci-dessous un message
de Viviane suivi d’une correction de Sophie :
Attention aux nombres! Mon amie Candice…
En français, il faut un article. "elle est née LE quinze septembre". (et pas de majuscule
pour les mois de l'année)
Il faut toujours un article après la préposition "à" (quand l'objet est féminin.) Par exemple,
"il va à LA maison »…
129 Le recours à l’anglais suit la même logique que dans le groupe 9, à la fois comme vecteur à l’appropriation d’une L2 que comme appui motivationnel (p. 274).
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
298
En français contrairement à l'anglais, on dit "elle est chanteuse", pas d'article. ex: "il est
acteur"… [Viviane 99]. Salut Amy, moi aussi j'ai profité du dimanche (…)
CORRECTION SUR TON MESSAGE
En français, en général, l'adverbe "beaucoup" se place juste derrière la forme verbale : j'ai
mangé BEAUCOUP de chocolat (…)
N'oublie pas les articles, OBLIGATOIRES en français devant les noms : j'ai lu DES
magazines
La négation avec le passé composé est assez délicate : je n'ai pas bronzé ... mais nous
reverrons ça plus tard.
Bonne continuation A bientôt [Sophie 250].
Dans les deux extraits ci-dessus, autant Viviane que Sophie essaient de
traiter exhaustivement les erreurs de langue. Par conséquent, d’une part elles
procèdent à des corrections linguistiques exhaustives et d’autre part elles
tentent d’attirer l’attention des Australiennes par le recours à des injonctions
explicites comme « n’oublie pas les articles », « il faut toujours », « en
français, contrairement à l’anglais… ». Le caractère directif de ces stratégies
correctives n’est-t-il pas par ailleurs amplifié par la médiatisation de l’outil ?
La permanence des messages correctifs longs et minutieux sur la plate-
forme, accentuée par les usages grapho-linguistiques comme l’emploi des
majuscules, a sans doute provoqué une certaine inhibition dans la production
écrite d’une L2. A ce stade, il serait intéressant de revenir à la stratégie
corrective implicite de Laura, tutrice du groupe 9, qui a procédé à des
reformulations des erreurs des apprenants sous la forme de propositions
dialogales (p. 279). Nous pouvons avancer que la technique des
reformulations suivies par une interrogation, dépourvue d’une attitude de
correction normative que la médiatisation rend encore plus prégnante, facilite
un niveau d’interaction plus important, puisqu’elle comporte des ouvertures de
dialogue qu’une remédiation de type normatif ne permet pas.
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
299
6.5.5. Sur la fonction de régulation tutorale d’un groupe à
distance
Partagées entre leur statut de tutrices (endossant plus ou moins une
fonction normative d’encadrement) et leur volonté d’établir des relations à un
niveau moins formel, les tutrices semblent éprouver des difficultés à gérer une
situation d’impasse aggravée par deux facteurs : d’une part les apprenantes
ne disposent pas de bagage linguistique suffisant pour entrer en interaction
avec elles et d’autre part les Australiennes ont une perception plutôt utilitaire
de la fonction des tutrices. Ces deux éléments amènent les tutrices, outre les
encouragements (à travers leurs messages) à renforcer les interactions, à
lancer un appel explicite de reprise de contact à destination d’Elizabeth
(absente pendant trois semaines) et de Jennifer (absente pendant cinq
semaines).
Subject : Elizabeth et Jennifer?
Où êtes-vous? Pourquoi n'avons nous plus de nouvelles de vous? C'est dommage nous
aimons être vos tutrices!!! A bientôt alors! Sophie et Viviane [297]
Le caractère collectif du message rédigé conjointement par les deux
tutrices renforce le sentiment d’inquiétude que laisse entrevoir la mise en
oeuvre de cette stratégie discursive. La frustration éprouvée par Sophie et
Viviane (« où êtes-vous ? Pourquoi n’avons-nous plus de nouvelles de vous ?
C’est dommage ») est mise en scène de manière explicite et directe, portant
également des marques de modalisation propres à l’écrit conversationnel en
ligne (ici : répétition des points d’exclamation comme signe d’un état
motivationnel intense). De plus, cet appel se complète par une projection de
leur fonction sur le support médiatique (« nous aimons être vos tutrices !! A
bientôt alors !»).
Quel a été l’effet de cet acte discursif « désespéré », qui fonctionne
aussi comme stratégie communicative, sur la dynamique des échanges ? Si
une réaction de la part des apprenantes en guise de remédiation à
l’investissement déséquilibré semble plus ou moins attendue, aucune réaction
n’arrivera de Jennifer et d’Elizabeth. Ainsi, tout en accentuant le
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
300
dysfonctionnement du groupe, Jennifer se manifeste une dernière fois trois
semaines après le message des deux tutrices et Elizabeth continue à adresser
des messages de demande d’aide linguistique sans faire allusion au message
des tutrices. La difficulté pour les tutrices de faire face à cet incident (leur
message plutôt directif) ainsi que la difficulté des apprenantes (intimidées sans
doute par le ton du message les empêchant de réagir) sont caractéristiques
des liens socio-cognitifs plutôt lâches du groupe.
En effet, cette stratégie tutorale, malgré son objectif de maintenir l’unité
du groupe et de consolider les interactions entre tutrices et apprenantes, nous
semble avoir eu un effet qui est allé à l’encontre de la visée initiale. La
difficulté de gérer une situation problématique à distance, (l’absence des
Australiennes pendant plusieurs semaines) renvoie à la complexité de cette
tâche, aggravée par la dimension d’éloignement physique. Cet incident nous
rappelle également la complexité dans la gestion des « faces » dans une
situation de communication médiatisée (Dejean et Mangenot, à paraître b) qui,
de par le caractère différé des échanges relève d’une tâche délicate.
Par conséquent, la réaction « désespérée » des tutrices françaises à la
présence discontinue des étudiantes a sans doute aggravé le « déficit
communautaire » du groupe. Bien évidemment, la stratégie discursive de
régulation telle qu’elle a été mise en oeuvre par les tutrices renvoie aux
recherches sur les nouvelles compétences communicationnelles en ligne que
les interactants sont tenus de maîtriser (cf. Mondada, 1999) et plus
particulièrement les tuteurs (cf. Daele et Docq, 2002 ; Glikman, 2002b ;
Charlier et al., 1999 ; Develotte, 2004 ; Develotte et Mangenot, 2004).
6.5.6. Conclusions sur les interactions du groupe 4
Plusieurs éléments composent le paysage interactionnel du groupe 4
que nous tenterons de mettre en parallèle ici. Nous rappellerons les deux
obstacles majeurs à cette situation expérimentale
d’enseignement/apprentissage d’une L2 en ligne : l’éloignement physique et la
communication exclusivement textuelle (absence donc de tout contact visuel).
Un troisième élément s’ajoute à ces inconvénients : le caractère facultatif des
6ème chapitre: l’accompagnement pédagogique
301
échanges. Les Australiens n’étaient pas contraints d’établir des échanges avec
leurs tutrices puisqu’ils suivaient des cours de langue en présentiel à
l’Université de Sydney. Dissociées d’un cadre d’évaluation, les interactions se
déroulaient en complément aux séances en présentiel.
Cet élément organisationnel qui relève de la conception du projet ne
sera pas sans incidences sur les représentations des Australiennes sur le rôle
de leurs tutrices. En considérant les interactions comme optionnelles, les
Australiennes du groupe 4 envisagent les échanges d’un point de vue
« utilitaire », en attendant une correction de leurs productions écrites sans
afficher le désir d’instaurer une relation plus personnelle, comme c’était le cas
du groupe 9.
D’autre part, enfermées dans leur fonction de « correctrices », Viviane
et Sophie auront du mal à s’identifier à ce rôle purement linguistique. Les
tutrices lanceront des encouragements à renforcer les échanges, mais leurs
appels ne recevront pas d’écho : la frustration des tutrices atteindra son
comble avec leur message désespéré (« où êtes-vous ? »). Ainsi, la limitation
du rôle des tutrices à cette fonction de simple correction les amènera à
l’intensification de leurs stratégies correctives, comme la production de
Contrôle130 Centralisé dans le cerveau de l’individu
Émergent, jaillissant de l’interaction entre acteurs multiples. Pas d’exécutant
central.
Fonction des outils
Les artefacts sont utilisés en tant que ressources
cognitives
Les artefacts fonctionnent comme ressources cognitives et
comme mécanismes pour la coordination des ressources
cognitives distribuées (par ex. méta-ressources)
Approche cognitive
Processus cognitif en série Processus parallèle, distribué
Analyse Analyse quantitative/ expérimentale ou
fonctionnelle
Analyse qualitative/ interprétative
Objectifs de recherche
Montrer l’endroit où les règles ou processus peuvent être
extériorisés dans les contraintes
environnementales
Montrer la coordination des activités collaboratives par
l’observation des représentations qui sont échangés par les acteurs
(Tableau 21 : Cognition individuellement et socialement partagée. Perry, 1999,
np, notre traduction)
Il est évident que les concepts de ce paradigme que récapitule Perry
(op. cit.) rejoignent à plusieurs reprises les distinctions entre le cognitivisme et
l’approche socioculturelle (cf. Legros et Crinon, 2002 ; Bonk et Cunningham,
1998). Cette remarque renvoie en effet aux liens très étroits qui existent entre
le paradigme de la cognition socialement partagée et les thèses
130
Features Individually Distributed Cognition Socially Distributed Cognition Control Centralised in the individual’s mind Emergent, arising of the interaction of
multiple actors, no central executive Tool use Artifacts are used as cognitive
resources Artifacts are cognitive resources as well as mechanisms for coordinating distributed cognitive resources (i.e.
meta-resources) Cognitive approach
Serial cognitive process Parallel, distributed process
Investigation and analysis
Quantitive/ Experimental or Functional Analysis
Qualitative/ Interpretative analysis
Focus Show where representations reside, and where rules or processes can be externalized in environmental
constraints.
Shows the co-ordination of collaborative activities through an examination of the representations
c’était sur QuickPlace, après c’était sur son portable, après sur sa disquette,
elle changeait les noms sans m’informer ». En fait, la gestion des ressources
multimodales par Laura a reflété plutôt un mode de fonctionnement personnel
et individualiste auquel Sophie n’a pas pu s’identifier.
Ainsi, le manque de cohérence dans l’organisation des ressources
communes et la difficulté d’y accéder directement a provoqué des frustrations
pour Sophie. Pourtant, la source des désaccords au sein de la dyade
Laura/Sophie ne se situait pas uniquement au niveau cognitif. Des différences
de comportement, notamment une attitude directive de la part des deux
acteurs, a rendu la coopération encore plus difficile :
[Le travail de collaboration] m’a paru un peu lourd (…) il faut s’entendre et puis bon, moi,
j’ai déjà pas spécialement un caractère facile, j’aime bien imposer mes idées et puis [dans
ce module] j’étais avec quelqu’un qui aime aussi imposer ses idées, alors c’était difficile…
(So 12).
La compatibilité des caractères est à notre avis un facteur décisif pour le
déroulement d’une situation d’apprentissage en interaction en groupe
restreint. Le pôle cognitif (la spécification des tâches, mal établie dans le cas
de Laura/Sophie) en relation avec le pôle socio-affectif (désir de s’imposer,
volonté de contrôler la gestion du projet) a conditionné la démarche collective
des acteurs. A travers cette analyse, nous pouvons confirmer une constatation
récurrente dans les recherches sur le fonctionnement collectif : le rôle des
affinités entre les acteurs, l’influence donc des aspects psychologiques sur la
démarche d’apprentissage en interaction.
7.2.4. Collaboration
A l’autre extrême, l’extrait d’entretien suivant décrit un cas typique de
collaboration, considéré comme le type de fonctionnement le plus symétrique
et le plus rare pour Salomon (1992131) :
131 My own experience with collaborative teams shows that success- in terms of students pooling together their abilities, in terms of true collaboration, and in terms of learning outcomes- is rather rare (Salomon, 1992, np).
On travaillait soit ensemble soit chacun chez soi, puis elle m'envoyait par exemple une idée
sur QuickPlace [le collecticiel], puis après moi j'envoyais un début d'exercice et on se
donnait nos avis sur ça (Ch 14).
Aziza dans son questionnaire confirme l’image d’un fonctionnement
équilibré132 :
[Christèle était] Efficace et très rigoureuse, j’en suis très satisfaite. (…) On a passé
beaucoup de soirées à travailler sur notre unité de Tempo, ainsi que beaucoup de temps à
travailler chacune de son côté (A4/9).
A ce stade, il serait utile de mettre en parallèle les différentes sources
de données afin d’analyser en profondeur les spécificités de la situation
collaborative. Le croisement des avis des deux acteurs, notamment l’entretien
de Christèle, appartenant à la catégorie de données suscitées, et le
questionnaire d’Aziza, de la catégorie des données provoquées, présentent une
image symétrique de fonctionnement, où les acteurs procèdent conjointement
à toutes les étapes de l’élaboration du projet. Les tâches sont effectuées sans
être réparties et il semble que les deux partenaires s’investissent autant dans
le projet commun.
L’observation des interactions sur la plate-forme (qui relève des
données invoquées, troisième pôle du modèle triangulaire de Van der Maren),
permet de confirmer ce mode de travail. Ci-dessous une copie d’écran de la
salle « Ebauches d’activités et tâches » de la dyade D.
Ebauches d'activités et tâches Titre Auteur Modifié marché de noël Aziza 27/11/2002 Sur notre page de présentation nous allons présenter le marché de noël et ses illuminations. visite virtuelle citadelle Christèle 27/11/2002 Qcm à propos de la citadelle plan de besançon Aziza 20/11/2002
132 Le questionnaire a été envoyé par courriel, il n’y a pas donc de doute sur l’identité de l’auteur.
trouver un plan statique de besançon . Ils devront trouver un itinéraire avec exercice à trous avec les expressions : à gauche, à droite, devant, tout droit ... Activités discutées avec le prof Aziza 13/11/2002 1) On peut à l'aide du site de la visite virtuelle de la citadelle faire pêcher de l'information aux australiens, ex : Qu'est-ce que le jardin zoologique acceuille? différentes sortes d'animaux. 2) Pour travailler sur les bars : trouver un site où... activité Aziza 13/11/2002 On peut prendre des photos de patisseries françaises dans une boulangerie et donné des liens vers un site où se trouve les recettes.Avec ces recettes on peut faire des activiés ouvertes et fermées aux apprenants pour leur faire apprendre:... A la boulangerie Christèle 13/11/2002 Objectif : Montrer l'emploi de la négation On pourrait enregistrer une interaction "ds une boulangerie" Voici un dialogue un peu naïf qui a besoin d'être amélioré : - Bonjour, mademoiselle_ Je voudrais une baguette, un petit pain au chocolat et un paquet... ebauche de scenario Christèle 13/11/2002 Ceci est une ébauche de scénario à utiliser avec le site de besac.com avec la visite virtuelle:Nous vous invitons à découvrir la ville de Besançon par une visite virtuelle rdv sur http://www.besac.com/besancon_visite_virtuelle/index.php Pour visualiser les endroits importants... ebauche de scenario (Révision #SA-FF07)
Aziza 27/11/2002
Ceci est une ébauche de scénario à utiliser avec le site de besac.com avec la visite virtuelle:Nous vous invitons à découvrir la ville de Besançon par une visite virtuelle rdv sur http://www.besac.com/besancon_visite_virtuelle/index.php Pour visualiser les endroits importants...
Pages 1 - 8 sur 8 (pages masquées incluses).
(Figure 15 : contenu du dossier « ébauches d’activités » de la dyade D)
Tout d’abord, les contributions dans cette salle permettent de confirmer
les dires de Christèle (cf. supra) selon lesquels les deux partenaires
procédaient à l’élaboration des activités à l’aide de la plate-forme (« Aziza
m’envoyait une idée sur QuickPlace, puis après, moi, j’envoyais un début
d'exercice et on se donnait notre avis sur ça »). A titre d’exemple, autant dans
l’après midi du 13/11 que du 27/11, nous constatons que les deux étudiantes
sont connectées sur la plate-forme à partir de postes de travail différents (si
les étudiantes travaillent à partir du même poste, il apparaît un seul nom
d’utilisateur). Ainsi, en dehors des heures de cours, les deux étudiantes,
chacune chez elle, travaillent en mode synchrone sur la construction de leur
projet.
Le phénomène des tours de parole médiatisés du 13 novembre (le
message « ébauche de scénario » de Christèle, suivi de « à la boulangerie » de
la même auteur, complété par « activité » et « activités discutées avec le
prof » d’Aziza), qui se sont enchaînés avec quelques minutes de décalage, est
révélateur d’une procédure de collaboration dans laquelle les acteurs
échangent et négocient sur toutes les étapes du projet commun (en
l’occurrence : l’élaboration des deux activités, une sur la visite virtuelle de
Besançon et l’autre sur la viennoiserie).
Ce mode de fonctionnement nous semble atypique pour deux raisons :
tout d’abord par l’absence de toute spécification des tâches. Les deux
partenaires s’occupent à la fois de la conception, de la recherche des
ressources, de la réalisation multimédia et des réadaptations nécessaires. Ceci
renvoie évidemment à un niveau de maîtrise informatique élevé -nous
rappelons ici que ni Christèle ni Aziza n’ont suivi les séances supplémentaires
d’encadrement- ainsi que d’une démarche autorégulée dans la gestion de son
projet (nous avons évoqué le degré d’autonomie de Christèle dans la partie
5.2.6.).
Deuxièmement, l’usage de la plate-forme en tant qu’outil de
communication pour l’accomplissement du projet se distingue de l’emploi du
même outil que les autres dyades ont fait. L’élaboration des deux activités
(visite virtuelle de Besançon et viennoiserie) se poursuit progressivement en
mode quasi-synchrone en dehors des heures du cours, tandis que la majorité
des dyades a employé la plate-forme comme un dépôt de ressources, sans
visée communicationnelle.
La dyade Saëda/Alphonse133 semble avoir fonctionné selon le même
modèle, avec une première ébauche d’activité proposée par un acteur et
poursuivie par l’autre et vice-versa, dans un assemblage d’actions communes
où la contribution de chaque acteur se confond au projet élaboré
conjointement. Sans aucun doute cette modalité reflète une entente sur toutes
les étapes d’élaboration du projet :
À l’intérieur du groupe, moi et Saëda nous avons beaucoup appris l’un de l’autre. Parce
qu’il y avait des activités qui commençaient par exemple par ma collègue Saëda. Et quand
j’ai vu cela j’avais des choses à y ajouter. Et il y avait des activités que j’ai commencées et
133 Saëda dans son questionnaire (nous supposons être le A4/7 par l’évocation d’un projet de DEA à la fin de son cursus) confirme le fonctionnement satisfaisant de sa dyade.
la restructuration etc.) sont, à notre avis, l’avantage majeur d’une démarche
pédagogique collaborative que les concepteurs du dispositif ont favorisée.
Ainsi, même dans le cas de la coopération déséquilibrée ou encore du conflit,
les acteurs sont amenés à négocier, adapter le contexte social à leurs besoins
tout en s’adaptant à celui-ci, autrement dit, à instaurer une dynamique
sociale.
Les conflits socio-cognitifs, considérés comme bénéfiques au
développement cognitif individuel, ont pu avoir lieu grâce aux conditions
favorables du dispositif, comme par exemple le travail en dyades, l’utilisation
d’un espace médiatisé propre aux élaborations et à la facilitation des échanges
avec le groupe-classe. A cet égard, nous pensons que la démarche du
dispositif a facilité l’interaction à la fois sociale et cognitive dans laquelle, selon
D’Halluin, l’apprenant interagit avec de l’information mais aussi avec une ou
plusieurs autres personnes (2000, p.17).
Pour revenir aux processus collectifs au sein des dyades, nous avons
remarqué que les interactions ne relèvent pas seulement du plan cognitif ; le
plan socio-affectif est également à considérer. Le travail à deux a eu des
retentissements sur ce second plan, notamment en ce qui concerne le partage
du stress lié à la manipulation des outils. Ainsi, autant Claire que Candice qui
se sont occupées de la réalisation multimédia dans le cadre de la coopération
équilibrée, mettent l’accent sur l’apport psychologique indispensable que leur
partenaires leur ont offert :
Quand je suis toute seule face à l’informatique, je m’impatiente, j’ai tendance à m’énerver
rapidement, donc le fait qu’il y avait Nathalie avec moi ça m’a calmé (…) Justement le fait
de travailler à deux, je pense que ça énerve moins (Cl 18). Je stressais très vite et elle était assez rassurante (…) quand ça n’allait pas, elle était là,
elle me rassurait (Ca 12).
Ainsi, tandis que sur le plan socio-affectif l’absence d’affinités dans la
dyade Laura/Sophie a été un des facteurs du déséquilibre dans leur
fonctionnement (p. 315), certaines dyades ont expliqué leur harmonie dans le
collaboration (quatre dyades), conflit (une dyade). Nous regrettons de ne
disposer d’aucun élément de réponse pour la dyade Sonia/Karola qui venait
exceptionnellement d’une ville située à 150 km de Besançon pour assister
uniquement aux séances du mercredi.
Mode de fonctionnement La dyade et ses membres
Coopération équilibrée A : Aline et Candice Coopération équilibrée H : Claire et Nathalie Coopération équilibrée E : Sylvie et Viviane coopération déséquilibrée C : Laura et Sophie Collaboration D : Aziza et Christèle Collaboration G : Alphonse et Saëda Conflit (ruprure) F : Aurélie et Bettina (absence de données) B : Sonia et Karola
(Tableau 22 : récapitulatif des modes de fonctionnement par dyade)
7.2.7. Dynamiques collectives dans le grand groupe
Les modes de fonctionnement entre les dyades ont été de nature assez
différente. Nous les aborderons à la lumière du ressenti des acteurs sur le
mode de fonctionnement du groupe, qui se fondera principalement sur des
données invoquées (entretiens). Pourtant, l’analyse des dynamiques
collectives devra être complétée par l’identification des effets instrumentés sur
les modalités de fonctionnement collectif que nous établirons dans la section
En fait, on se demandait à côté, en sortant du cours, on se demandait à chaque fois, on
allait voir dans les salles135 ce qu’ils avaient pu faire, ah si si136, on savait à peu près tous
ce que ça allait être par rapport aux photos, (…) si si, on était un peu au courant de ce
qu’il allait y avoir à l’exposé oral, on savait déjà qui faisait partie de quel groupe, sur quoi,
les objectifs par rapport à Tempo… (Sy 7).
Les extraits ci-dessus semblent en désaccord avec les avis de Claire et
de Nathalie pour qui les interactions entre les dyades étaient peu fréquentes.
Sans vouloir nous exprimer sur les dynamiques du groupe avant l’examen du
rôle des outils médiateurs, il nous semble que l’extrait suivant reflète les deux
aspects du fonctionnement du groupe selon lequel les dyades s’entraidaient
principalement sur le plan technique sans toucher le plan de la conception :
Ah moi, le groupe, j’ai bien aimé (…) Sinon, ben, j’ai aidé un peu tout le monde : j’aimais
bien passer de groupe en groupe puis, ben, répondre aux questions si je peux y répondre,
quoi. (…) Sur le plan technique, on s’est beaucoup aidés, mais j’ai trouvé que sur le plan
pédagogique, c’était chacun garde ses idées (Be 13).
A ce stade, le ressenti des acteurs sur les interactions au sein du groupe
présentent un paysage métissé que nous ne sommes pas en mesure de valider
sans l’analyse des répercussions des outils cognitifs sur les processus
collectifs. A cet égard, nous aborderons tout d’abord les effets de
l’instrumentation sur l’élaboration des savoirs avant d’analyser le rôle des
outils par rapport aux modalités de travail collectif.
135 Les salles de la plate-forme QuickPlace. 136 Les paroles de Sylvie « ah, si, si » répondent peut-être à un étonnement non-verbalisé de l’intervieweur vis-à-vis du mode collaboratif que présente Sylvie. Cet étonnement se rapporte vraisemblablement à une image moins collaborative de fonctionnement du groupe.
Une remarque générale pourrait se faire à partir de l’examen global du
répertoire des menus : la volonté des dyades de séparer les ébauches des
productions accomplies. Cet effort -qui reflète un processus métacognitif dans
le sens où les acteurs se positionnent par rapport à l’évolution de leur travail-
se concrétise par la distinction entre deux grandes familles de dossiers : ceux
contenant des productions finales (dossiers « exercices finalisés » (A), «
présentations finalisées » (D), « version finale » (F) et ceux contenant
esquisses ou autres supports à la réalisation (dossiers « idées » (A et D),
« avant projet » (H), « pages avant révision » (H) et « liens » (B et H). A mi-
chemin entre ces familles de dossiers qui reflètent un effort cognitif de tri et
de gestion des ressources supérieur ou, à l’inverse, un simple dépôt, nous
retrouvons le dossier « fini ou presque » (E) dont le nom est significatif du
caractère évolutif de la création.
Les extraits d’entretiens et de questionnaires ci-dessus rejoignent
également ce besoin d’exercer un contrôle et de réguler les étapes
d’élaboration progressive des objets :
Le fait de pouvoir séparer les « brouillons » des travaux finis est un très gros avantage
pour la rapidité du travail (A4/6). L’évaluation publique finale oblige à mettre au propre (A4/11). [QuickPlace] c’était juste pour poser ce que l’on avait fait. C’était un lieu de stockage, quoi ? Voilà. Et il était important quand même ? Euh… ben oui, on a beaucoup de déchets
[rire] (Cl 20).
Les modalités de gestion du travail sur la plate-forme relèvent donc
d’une instrumentation de l’outil qui a varié de dyade à dyade. De plus,
l’organisation spatiale des salles par la disposition des dossiers inclut une
dimension cognitive essentielle pour le repérage, la compréhension et
l’interprétation de l’environnement médiatisé (Peraya, 1999b). Or, la mise en
scène -ou plutôt la mise en écran- des contenus renvoie à des traitements
cognitifs moins intelligibles. Tandis que le menu de la salle se situe par défaut
à gauche en position verticale (cf. figure 16, p. 327), la dyade H a opté pour
une disposition horizontale couvrant toute la page. De surcroît, la majorité des
binômes (notamment B, C, E, F et H) ont aménagé visuellement leurs salles
de travail par le choix de couleurs différentes de la présentation par défaut.
Au fur et à mesure de l’élaboration de leurs projets, les étudiants
plaçaient dans la plate-forme des matériels jugés utiles à la réalisation des
activités multimédias. Il s’agissait de fichiers de nature hétéroclite à
retravailler ultérieurement : extraits sonores et visuels, liens hypertextuels,
notes contenant des idées de conception, morceaux d’activités réalisées, etc.
Ces ressources brutes d’origines diverses (téléchargées sur Internet ou
élaborées par les étudiants) s’accumulaient progressivement dans deux
espaces distincts : les salles propres à chaque dyade et le dossier commun
« remue-méninges »/ « matériel commun ». Symboliquement parlant, si le
dossier commun était explicitement un espace partagé, bien plus clos ont été
les espaces propres aux dyades.
A l’intérieur des salles des dyades, une première remarque est liée à la
dimension « matérielle » des ébauches : en déposant progressivement des
ressources brutes et composites qui à terme se cristalliseraient en des
activités précises, les représentations internes des utilisateurs prenaient forme
et se concrétisaient dans l’espace de l’écran. Pour emprunter une expression
que Vandendorpe emploie pour désigner la révolution de l’écriture,
« les productions de l’esprit entraient dans l’ordre objectif du visible » (1999).
La figure suivante est tirée de la page d’accueil de la dyade H qui, dès la
deuxième semaine, procède à une esquisse de l’ensemble des activités à
réaliser. L’affichage de l’ébauche sur le support de l’écran sert à rendre visibles
et permanentes les représentations partagées par la dyade qui autrement
étaient localisées dans les propriétés cognitives internes :
avant projet Nathalie Nathalie, 30/10/2002 - 22:11:50 1 Besançon et la culture (niveau 1, très facile) a) Hommes célèbres , b) Architecture a) Hommes célèbres Qui fait quoi, qui a fait quoi? Hugo Les frères Lumière Courbet
Quemada (…) Liens: office du tourisme, musée des Beaux Arts, 2 Ballades : Besançon et ses environs Le Doubs et ses bateaux (Exprimer un point- de vue, une préférence et repérer des indices (travail de compréhension et d’expression) - Associer enregistrements et photos - Poser des questions correspondant à des réponses entendues - Etablir son programme de vacances à Besançon ou ses environs (Présentation par liens de sites touristiques) J'aime bien, ça me plait, je préfère, ...........
(Figure 18 : esquisse d’activité de la dyade H)
Présentés à l’écran, les morceaux de réalisation prennent corps, se
concrétisent sur trois plans : le niveau intra-individuel, le niveau des dyades
(leur permettant d’avoir une image de leurs élaborations) ainsi que le niveau
du groupe (facilitant le repérage des activités des autres dyades et par
extension de leur positionnement par rapport à leurs collègues, nous y
reviendrons en détail dans la partie 7.4.). L’avis de Vandendorpe (1999, p.
20), selon qui l’écriture ne modifie « pas seulement le rapport d’un individu à
ses propres pensées, mais le rapport aux pensées d’autrui, telles qu’elles sont
objectivées par le texte », est aussi valable pour la mise en ligne des
fragments d’activités.
Systématisation des représentations internes
Cette cristallisation d’une représentation interne sur un support
numérique est associée également à une systématisation et une organisation
cognitives. La plate-forme a donc facilité, ou mieux, instrumenté le tissage des
processus cognitifs internes et leur gestion sur un support de mémoire
externe, en renouvellement constant (Sperber, 2001). Plus exactement, c’est
la capacité d’intervenir sur les objets en ligne qui nous paraît primordiale : les
représentations internes ne sont pas seulement visibles, mais aussi
transformables et ré-exploitables par la possibilité d’intervenir sur les objets
différentes salles sont caractéristiques du caractère fragmentaire des objets en
ligne :
photo pour power point Candice, 12/01/2003 - 17:54:23 NB: faire exercice en incluant photos sur disque z de la fac "photo au marché, avec le prof, chez kookaï" en tout 5 photos avec les phrases suivantes "tu as fait tes devoirs?"; "Tu veux des bonbons?"; "Vous allez bien monsieur"; "Que desirez-vous achetez ce matin?" et "Vous voulez essayer ce pullover?"
(Figure 20 : esquisse d’activité de la salle A)
Le message ci-dessus rédigé par Candice en se référant à l’emploi d’une
image dans l’activité « tu ou vous ? » est révélateur du degré d’inintelligibilité
des matériels à l’intérieur des salles des dyades. Les messages affichent des
propriétés logico-sémantiques propres à la dyade qui sont plus ou moins
incompréhensibles à l’observateur extérieur. L’absence d’un contexte
d’énonciation précis qui permettrait de découvrir par inférence les aspects
non-encodés (Sperber & Wilson, 1989) complexifie ce processus de restitution
du sens à partir des fragments multimodaux de la plate-forme. Ainsi,
l’interprétation par le lecteur de ces données informationnelles fragmentées
relève d’une tâche sémio-cognitive complexe138.
Pourtant, la quête du sens ne repose pas uniquement sur les signes
sémio-linguistiques créés par des acteurs. Des interférences sémiotiques
provenant de l’outil complexifient la construction du sens. Ci-dessous l’écran
du dossier « les goûts », de la dyade A, sur la conception de l’activité
homonyme. La sémiotisation par l’outil (« Révision #PR-4A8D », « Révision
#PR-67A2 ») s’ajoute aux productions révisées par les acteurs :
les goûts Titre Auteur Modifié les consignes Candice 04/12/2002 Thomas et Elisa sont dans un café, ils discutent à propos de ce qu'ils ont fait la
138 Meunier et al. (1994) désignent comme opérations sémio-cognitives « celles qui participent aux activités de lecture et d’interprétation du matériau textuel » (1994, p. 7).
veille.Ecoutez attentivement ce qu'ils se racontent. -T'as vu le dernier Austin Power? Est-ce -que tu as aimé? -Oui pas mal -Ce que... les consignes (Révision #PR-4A8D) Candice 18/12/2002 Thomas et Elisa sont dans un café, ils discutent à propos de ce qu'ils ont fait la veille.Ecoutez attentivement ce qu'ils se racontent. -T'as vu le dernier Austin Powers? Est-ce -que tu as aimé? -Oui pas mal -Ce que... les consignes (Révision #PR-67A2) Candice 18/12/2002 Thomas et Elisa sont dans un café, ils discutent à propos de ce qu'ils ont fait la veille.Ecoutez attentivement ce qu'ils se racontent. -T'as vu le dernier Austin Powers? Est-ce -que tu as aimé? -Oui pas mal -Ce que... deuxième consigne
Candice 04/12/2002
As-tu bien ecouté?Voici une retranscription de la conversation où il manque des mots.A toi de les retrouver. exercice Candice 18/12/2002 exercice terminé 1 Candice 05/01/2003 exercice finalisé Candice 01/01/2003 Pages 1 - 7 sur 7 (pages masquées incluses).
(Figure 21 : contenu du dossier « les goûts » de la dyade A)
Dans plusieurs cas, les objets mis en ligne ne sont pas complétés par
une annotation de l’auteur qui expliquerait leur finalité et guiderait le lecteur
(le message qui accompagne un document s’affiche sur l’écran au dessous du
titre). L’image ci-après du dossier « pages avant révision » de la dyade H est
caractéristique de l’absence de tout appui discursif à la compréhension. Ainsi,
la majorité des documents de cette salle ne comportent pas de texte explicatif
mais juste le titre (plus ou moins ambigu) et les fichiers attachés sans
commentaires. Bien évidemment, les réductions graphiques (« enr » pour
enregistré, « ex » pour exemple, « act » pour activité), les initiales (« PW »
pour PowerPoint, « HP » pour HotPotatoes) se mêlent avec les caractéristiques
du discours expressif de la CMO, comme par exemple la négligence
orthographique et les étirements graphiques (fin !!!!!!!!!) (Anis, 1998 et
Titre Auteur Modifié Présentation de la salle/ Diaporama/Laissez vous porter par le Doubs.....
Nathalie 09/12/2002
Laissez vous porter par le Doubs, si présent qu'il a donné son nom au département.La rivière affiche tantôt une tranquillité reposante tantôt une force qui s'impose. Prenez un bateau mouche pour visiter la vieille ville de Besançon. Vous voulez visiter... photos bateaux Claude 13/11/2002 Photos bateaux/1/Cel (Révision #GU-2CAF) Nathalie 09/12/2002 bateaux 1 Claude 13/11/2002 photos ex Nathalie 20/11/2002 ex fichier son/diaporama Nathalie 27/11/2002 exercice2 Claude 04/12/2002 Activités ouvertes/PW/ Claude 09/12/2002 Photos bateaux/2/Nic Nathalie 09/12/2002 Act1/DPW/Trouve la question ( à peaufiner) Claude 09/12/2002 Exercice-tâche: support fabriqué; production ouverte Regarde et écoute.... Quelle peut être la question? activité libre sons à enr Claude 09/12/2002 exercice 2/HP/ Ecoute le répondeur et coche la bonne réponse
Claude 09/12/2002
Exercice: support fabriqué, production fermée Compétence visée: compréhension orale act libre/sons à refaire Claude 09/12/2002 présentation avec sons à enregistrer Claude
09/12/2002
exerciceson avec son Claude 09/12/2002 presentation avec sons à enr Nathalie 16/12/2002 presentation avec sons FIN!!!!!!!!!!!!!!!! (Révision #LA-1A2A)Claude 16/12/2002 Pages 1 - 20 sur 28 (pages masquées incluses).
(Figure 22 : contenu du dossier « pages avant révision » de la dyade H)
A l’opposé de ce type de discours hermétique employé par la dyade H,
des démarches explicatives accompagnent des idées fragmentaires dans la
salle de la dyade A. La restitution du sens pour le lecteur extérieur s’avère une
tâche bien moins compliquée grâce à l’existence de notes explicatives sous
forme de phrases complètes :
Idées Titre Auteur Modifié travail sur des chanteurs francophones Candice 30/10/2002 on travaille sur 4 chanteurs différents.On utilise pour ça des photos des chanteurs.Utilisation de liens renvoyant à la biographie de chaque artiste ainsi qu'a l'accès aux paroles des chansons." aspect civilisationnel/cuturel:exercices d'appariement"4 photos notées de A à... travail sur le vouvoiement Candice 30/10/2002 supports: photos + enregistrements de dialogues entre des personnes (supports authentiques)- au marché "marché des beaux arts" (vendeuse et un client)-musée "citadelle"; "musée des beaux arts" (guide et touriste)-rue (demander son chemin à un policier)-fac (prof /etudiant)-café... les goûts Candice 04/11/2002 Il s'agit d'un dialogue entre deux personnes , une fille et un garçon ( pour une reconnaissance vocale facilitée)Les deux personnes ont une conversation à propos de leurs goûts respectifs sur différents sujets tels que la musique, le cinéma, la cuisine (introduction de liens... je suis perdu Candice 04/11/2002 L'objectif de cette tâche est de savoir demander ds information à une personne ( passant, policier...) quand on est perdu. l'apprenant doit faire référence à la leçon sur le tutoiement et le vouvoiement pour savoir comment il faut s'adresser à une personne inconnue.Par groupe... la bise Candice 05/11/2002 la bise , c'est une manière de dire bonjour, souvent à la cause de certain choc culturel.Photo de personnes se saluant (un côté d'abord puis l'autre ) Pages 1 - 5 sur 6 (pages masquées incluses).
(Figure 23 : contenu du dossier « idées » de la dyade A)
Pourrions-nous conclure que les « fragments multimodaux » présentés
sur les espaces de la plate-forme ont empêché totalement l’accès à la
signification ? Le caractère hybride du dispositif, donnant la possibilité aux
acteurs de se regrouper régulièrement a pu compenser les empêchements liés
à l’accès au savoir en ligne (Perriault, 2002). Nous pouvons donc déduire que
les séances en présentiel ont complété la démarche de signification à partir
des objets fragmentés en ligne. Pourtant, les spécificités sémio-linguistiques
de ces fragments sont par eux seuls intéressants pour le type de discours
véhiculé dans l’espace commun. Il va sans dire que ce type de discours a été
Bien que plusieurs études s’occupent des processus d’apprentissage
collectif, nous nous pencherons ici sur celles qui sont spécifiques à un contexte
médiatisé. A l’instar de Stahl (2002b), nous examinerons les répercussions de
la médiatisation sur les formes d’apprentissage collectif qui n’auraient pas pu
se produire sans le recours aux outils médiateurs139. La question principale qui
nous occupera sera donc la suivante : en quoi les outils médiateurs (plate-
forme et vidéo-projecteur) ont-ils modifié le rapport des étudiants aux savoirs
partagés ? Quel type d’effets a eu la mutualisation des ressources numériques
sur les processus de fonctionnement collectif ?
7.4.1. Le collecticiel comme vecteur socio-cognitif de
l’élaboration des projets : l’effet de l’émulation
Τοut d’abord, les réponses aux questionnaires nous amènent à constater
que l’accessibilité aux ressources de toutes les dyades a été jugée positive
(A4/1, A4/10, jugée également « motivante» pour A4/6, A4/9 et A4/7,
« stimulante » pour A4/2, A4/8 et A4/11 et « valorisante» pour A4/3).
L’apport de cette potentialité technique se reflète dans l’extrait suivant :
Sophie a pu par exemple consulter les élaborations de la dyade
Nathalie/Claire, dont les enregistrements des répondeurs téléphoniques
aiguisaient sa curiosité, ainsi que vérifier la manière dont certaines dyades
avaient exploité les suggestions de Sophie :
139 « Computer Support does not just mean automating the delivery and testing the facts ; it means supporting forms of collaboration and knowledge building that could not otherwise take place without networked communication media and software tools for developing group understandings » (Stahl, 2002b, np).
La « matérialisation » sur l’écran de la progression d’une dyade semble
avoir incité les autres dyades à s’investir plus dans la création multimédia.
Comme le témoigne Candice :
J’allais voir aussi dans les autres groupes (…) en fait, c’était un petit challenge : est-ce
qu’ils ont avancé plus vite que nous ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Quand je voyais que
d’autres avaient réalisé quatre exercices de plus ou qu’ils avaient beaucoup avancé alors
que nous on n’avait encore rien fait, j’étais là : « bon, il faut peut-être qu’on se mette au
travail » (Ca 14).
Dans cet extrait, Candice suit une démarche visant à restituer le niveau
d’avancement des réalisations. Malgré la réalité fragmentaire des ressources
en ligne qui, de plus, ne comportaient pas de fonction communicative (6.2.5.),
Candice construit seule –sans l’appui de la dyade en question et à partir de
signes sémiocognitifs hétéroclites- une représentation personnelle de l’état des
travaux collectifs. Bien évidemment, cet effort cognitif fonctionne comme
déclencheur de la création multimédia de sa dyade (« il faut peut-être qu’on se
mette au travail »), qui de manière générale détermine les modalités
d’organisation, de planification et d’action (par exemple par une conception
accélérée d’activités).
Par conséquent, l’émulation pour Candice a des répercussions au niveau
essentiellement cognitif, dans la mesure où l’apparition des réalisations sur
l’écran lui a permis d’établir un parallèle entre l’état de la progression de sa
dyade et celui d’une autre dyade. Ce processus a pu donc provoquer un type
de changement conceptuel qui, selon la définition de Campos (2004, p. 10),
constitue « un processus cognitif intentionnel et réflexif conduisant à un
apprentissage de haut niveau par opposition à un apprentissage de bas
niveau, essentiellement mécanique »141. Le même effort de « mise à
niveau » se reflète dans les énoncés de Bettina :
141 Conceptual change is an intentional and reflective cognitive process leading to higher order learning as opposed to lower order learning which is mainly automatic » (notre traduction).
autres groupes. Ainsi, les interactions franco-australiennes se déroulaient en
espace clos sans contact avec les collègues « d’à côté ».
Ce « cloisonnement » des petits groupes franco-australiens dans des
espaces privés sans effet de mutualisation a été un des facteurs importants de
frustration pour l’équipe des tuteurs. Sans doute – et ceci reste à confirmer
par un examen plus approfondi- l’éloignement spatial entre Français et
Australiens en relation avec la séparation en petits groupes sans accès aux
interactions qui se réalisaient parallèlement a-t-il produit des interactions peu
fructueuses entre apprenants et tuteurs. Néanmoins, nous ne prétendons pas
que l’attribution d’un accès libre à l’ensemble des espaces d’un environnement
médiatisé puisse être considérée comme une panacée ; elle doit aller de pair
avec la conception globale du dispositif et les objectifs de la formation.
356
Chapitre 8
Conclusions et perspectives
8ème chapitre : conclusions et perspectives
357
Au terme de ce parcours d’analyse, il convient de dégager quelques
constats de portée plus générale qui portent sur trois plans. Premièrement,
des conclusions sont à tirer sur le plan de l’analyse du dispositif par rapport
aux questions de recherche initialement posées (8.1.). Deuxièmement, au-
delà de l’analyse stricto sensu, nous souhaitons contribuer de manière plus
générale aux considérations théoriques et méthodologiques qui touchent le
plan épistémologique (8.2.). Troisièmement, nous développerons les
réorientations du dispositif, fondées sur les pratiques observées en 2002-
2003, du point de vue du développement de dispositifs de formation (8.3.).
8.1. Conclusions relatives à l’analyse du dispositif
Etant donné que notre analyse était riche en éléments contextuels, nous
suivrons ici la trame des questions de recherche posées initialement et
auxquelles nous apporterons des éléments de réponse de manière
synthétique.
Q1 : Quel est l’apport d’un dispositif situé, autodirigé et réflexif dans la
formation des futurs enseignants de langues ?
Si les contraintes imposées par le dispositif ont créé un cadre d’action
plus ou moins défini, une des observations les plus intéressantes relève du
caractère intentionnel des actions entreprises par les étudiants. L’analyse du
dispositif a rendu indispensable l’analyse des démarches des acteurs qui ont
mobilisé ressources cognitives et matérielles, savoirs et savoir-faire,
instruments et approches, intentions et désirs en vue de l’accomplissement de
leur projet. Les différents parcours suivis par les binômes, les choix
extrêmement variés en termes de thématiques, outils, processus
d’organisation, modalités de fonctionnement, nous a permis de confirmer le
rôle central de l’acteur, au-delà de toute rationalité de démarche dispositive.
Nous sommes donc en mesure de confirmer « l’aspect hautement
subjectif, opportuniste, improvisateur, brouillon et peu analytique, mais aussi
8ème chapitre : conclusions et perspectives
358
astucieux, des démarches spontanées des individus confrontés à des situations
non familières » (Linard, 1996, p. 266). La volonté des étudiants de créer des
« points d’entente » avec le public cible « au bout », l’implication et la
motivation qui ont découlé de la présence d’un groupe de jeunes apprenants,
le désir de montrer la France « autrement », l’appropriation des outils dans ce
but, ont été des facteurs qui relèvent des intentions des acteurs et qui ont
considérablement varié d’étudiant en étudiant. La complexité de ces
composantes d’action qui ressortent du cadre du dispositif défini au sens strict
du terme permet de souligner le rôle capital de l’action humaine dans une
situation de formation. Somme toute, ce constat nous invite à repenser le rôle
de l’apprenant-acteur et des pratiques émergentes d’apprentissage au sein
d’un dispositif.
Par rapport aux trois spécificités de la conception du dispositif
(situativité, réflexivité, autodirection), nous avons pu mettre en valeur, à
travers notre analyse, que les dyades se sont engagées dans des processus de
construction active lorsqu’elles se sont fixé des objectifs à atteindre
(concrétisation et réalisation de leurs projets) et qu’elles se sont impliquées
dans des tâches significatives tout en réalisant concrètement une création
multimédia. Un degré d’autodirection a été bénéfique dans le sens où il a
permis aux dyades de construire elles-mêmes leurs projets dans un espace de
liberté propre au déploiement d’une vision personnelle.
Q2 : Quel est le rôle de l’accompagnement pédagogique dans un
environnement de formation hybride ? Quel est l’apport de la pratique du
tutorat en ligne à la formation de futurs enseignants ?
En ce qui concerne le rôle de l’accompagnement pédagogique, par
rapport au dispositif du premier semestre, nos observations confirment qu’une
forte médiation pédagogique est nécessaire pour favoriser des apprentissages
situés et réflexifs dans un dispositif hybride. Si l’on souhaite rapprocher le
dispositif observé d’autres dispositifs de formation, nous nous trouvons dans la
catégorie des formations que Glikman (1999) appelle « riches » ou « de
pointe » et qui qualifient les dispositifs à distance présentant un suivi poussé
8ème chapitre : conclusions et perspectives
359
ainsi qu’un degré élevé de médiatisation. L’investissement accru en
accompagnement pédagogique, la réponse aux demandes de suivi par la mise
en place d’un dispositif d’accompagnement renforcé ainsi que la flexibilité sont
les éléments qui distinguent la formation étudiée d’autres dispositifs qualifiés
de « dispositifs a minima » par Glikman (1999), pauvres en ressources tant
médiatiques qu’humaines.
Concernant le suivi pédagogique des Australiens par les tuteurs français,
l’analyse des interactions des groupes 4 et 9, chacun composés de deux
tuteurs et de deux apprenants, a montré un paysage mitigé d’interactions.
Leur déroulement a été fortement influencé par des facteurs tels que les
représentations des Australiens sur le rôle du tutorat des Français, le degré
d’investissement et d’appartenance au groupe, la régulation tutorale en ligne
ainsi que les stratégies correctives des tuteurs. D’autres variables relatives au
dispositif, telles que le cadre relativement abstrait dans lequel se déroulaient
les interactions franco-australiennes, n’a pas été sans conséquences sur les
dynamiques interactionnelles en ligne. Par conséquent, un degré assez élevé
de frustration des tuteurs a résulté des échanges plutôt lâches avec les
apprenants. Les tuteurs n’ont pas ressenti le tutorat comme aussi profitable
que leur implication dans la création des activités multimédia.
Q3 : Quelles sont les dynamiques collectives (aux plans à la fois cognitif,
métacognitif et socio-affectif) qui se font jour au sein d’un dispositif de
formation autodirigé et instrumenté par des outils technologiques de mise en
commun ?
Pour l’analyse des modes de fonctionnement collectif, nous avons
adopté la perspective socioculturelle, largement répandue en sciences
cognitives et en ACAO, qui place l’objet d’analyse en dehors de l’individu, dans
l’espace où celui-ci réagit avec son environnement humain et médiatisé. Nous
avons donc pu confirmer que l’usage des moyens qui médiatisent la pensée
humaine modifie fortement la nature des apprentissages qui ont lieu à l’aide
de ces moyens.
Pour ce faire, nous avons souligné la dialectique qui s’instaure entre les
pratiques sociales (les processus d’apprentissage collectifs) et les
8ème chapitre : conclusions et perspectives
360
artefacts médiatiques. Dans ce sens, la plate-forme (l’outil informatique de
mise en commun) a non seulement permis d’objectiver sur un support
médiatique les processus de pensée des acteurs, mais a également influé sur
les modes de construction collective des connaissances. Le phénomène de
l’émulation, en tant que mécanisme collectif médiatisé, illustre de la meilleure
façon à quel niveau médiation sociale et médiation technique sont deux
dimensions d’une même réalité des dynamiques collectives.
Ceci nous éloigne d’une vision « technocentrée » selon laquelle seuls les
outils technologiques façonnent les processus cognitifs des acteurs ; dans
notre analyse, nous avons fréquemment souligné le rapport qui s’instaure
entre les « affordances » des outils et les intentions des acteurs. Un exemple
de ce rapport qu’établissent les individus avec les artefacts a été
l’instrumentation des « salles de travail ». Les modalités d’aménagement des
salles par les dyades sont un exemple des interrelations entre les sujets et les
objets techniques qui, épistémologiquement parlant, constituent une unité
d’analyse inséparable.
8ème chapitre : conclusions et perspectives
361
8.2. Considérations théoriques et méthodologiques
La contribution principale de cette étude se trouve dans les éléments de
réponse fournis aux questions de recherche initialement posées. Par ailleurs, une
thèse contribue aussi aux réflexions épistémologiques qui vont au-delà du terrain
d’analyse examiné. Quelques considérations théoriques et méthodologiques
issues de notre étude nous occuperont donc ci-après.
Considérations théoriques
L’objectif de recherche de cette étude a été d’explorer le potentiel de la
théorie socioculturelle comme cadre d’analyse d’une situation
d’enseignement/apprentissage et de formation. Tandis que la théorie
socioculturelle gagne de plus en plus de terrain dans l’analyse des situations
collectives d’apprentissage, son apport semble intéresser principalement les
chercheurs en sciences cognitives, en psychologie éducative et bien évidemment
en ACAO.
Néanmoins, des tentatives pour adopter une perspective socioculturelle en
didactique des langues se confirment à travers deux thèses de doctorat récentes,
une francophone (Aimard, 2005) et l’autre anglophone (A. Lund , 2003). Les
recherches dans le domaine des ACAO pour les langues qui se développent des
deux côtés de l’Atlantique, domaine relativement récent dans lequel s’inscrit
notre travail ainsi que les thèses citées plus haut, vont dans le même sens. Nous
apercevons donc un intérêt qui commence à se faire jour et qui tente de mettre
en valeur les dimensions sociale et médiatisée dans l’analyse des pratiques
d’enseignement/apprentissage et de formation en langues étrangères. La
manière dont les hommes, les artefacts et les facteurs contextuels interagissent
dans le temps a été l’optique, délibérément socioculturelle, que notre étude a
souhaité renforcer.
A l’examen des pratiques sociales dans lesquelles l’interaction a eu un rôle
constitutif, nous avons associé notre intérêt pour les effets de l’instrumentation,
problématique bien moins exploitée en sciences du langage. Plus
particulièrement, nous avons pu montrer que les pratiques d’apprentissage
8ème chapitre : conclusions et perspectives
362
s’appuyant sur un environnement d’apprentissage médiatisé influent largement
sur les modes d’appropriation du savoir, sur l’apprentissage et sur l’action
collectifs. L’analyse des effets de l’instrumentation, problématique chère aux
sciences cognitives, associée à des perspectives plus habituelles en didactique
des langues comme la relation pédagogique, l’usage du multimédia en langues,
peut ouvrir, à notre avis, de nouvelles perspectives pour l’examen de certaines
situations d’enseignement/apprentissage et de formation concernant les langues.
Au bout du compte, nous sommes convaincue que la problématique de la
médiation sociale et technique ne doit pas être perçue comme éloignée des
préoccupations de la didactique des langues. L’objectif était de contribuer à une
conception largement sociale et instrumentée d’une situation
d’enseignement/apprentissage et de formation en langues, conception qui se
démarque d’une vision individuelle et décontextualisée de l’acteur, considérant
les outils technologiques comme extérieurs aux processus d’apprentissage.
Considérations méthodologiques
Il est largement reconnu que l'apprentissage, en tant que construction du
savoir socialement inscrite, se déroule dans un contexte socio-culturellement,
historiquement et spatialement déterminé. A notre avis, seule l’approche
holistique peut contribuer à rendre accessible la complexité de ce système de
facteurs interreliés (autant du point de vue de la systémique que de la théorie de
l’activité). A travers cette posture méthodologique qui consiste à aborder la
complexité des situations sans la réduire a priori à certaines de ses composantes,
nous avons tenté de mettre en valeur la réalité écologique des comportements
observés.
C’est surtout dans la manière dont se conjuguent les variables d’une
situation que repose la valeur ajoutée de cette approche. Notre étude a été
conduite dans cet esprit. Ella a montré que la triangulation de sources différentes
de données peut être considérée comme la démarche méthodologique la plus
appropriée pour mettre en place une analyse de type holistique, herméneutique
par définition. Leur point commun serait, à notre avis, la volonté de restituer et
8ème chapitre : conclusions et perspectives
363
de relier les significations qui émergent dans un contexte humain et matériel
donné.
Toutefois, si « le sens d’une information (n’)est sens (que) par la mise en
relation avec d’autres informations » (Paillé et Mucchielli, 2003, p. 80), la
démarche systémique peut aboutir à un manque de cohérence dans l’analyse
d’un phénomène. De ce point de vue, la distinction de notre étude en trois
grandes catégories d’analyse (dispositif, accompagnement pédagogique,
fonctionnements collectifs instrumentés) peut à la fois être considérée comme
une qualité (permettant une synthèse de la richesse des données en entités
d’analyse cohérentes) et comme un défaut (limitant la réalité des actions à un
découpage plus ou moins artificiel).
Ainsi, dans l’analyse du dispositif de formation, l’approche holistique a
permis de mettre au jour les répercussions que l’implication dans le projet a eues
en termes de réalisation multimédia, de relier entre autres les outils
technologiques à l’engagement socio-affectif et à l’autonomie dans la prise en
charge de l’apprentissage par les sujets, d’éclairer le caractère interculturel de
ces réalisations ainsi que de souligner l’investissement et l’effort nécessités.
De même, le sens des actions individuelles et collectives reste en grande
partie incompréhensible tant que l’on n’élucide pas la signification que ces
actions ont pour les acteurs. Par exemple, c’était à la lumière des représentations
individuelles recueillies à travers les questionnaires et les entretiens que nous
avons pu relever l’existence d’un phénomène médiatisé complexe comme
l’émulation. La logique systémique et surtout l’approche triangulaire du
croisement de sources de données différentes a donc permis d’accéder à des
significations produites par les acteurs, et notamment de rendre manifestes des
significations latentes, comme c’était le cas des pratiques instrumentées non
verbalisées. Nous pensons donc qu’à travers notre analyse nous sommes
parvenue à un des objectifs méthodologiques majeurs, à savoir la mise au jour
de « l’aspect écologique global des activités intentionnelles considérées dans leur
environnement » (Linard, 1996, p. 257).
8ème chapitre : conclusions et perspectives
364
8.3. Perspectives : réorientations du dispositif à la
lumière de la mise en œuvre de la première année
En relation avec la démarche de recherche-développement que nous avons
développée dans la section III, nous nous focaliserons ici sur les améliorations du
dispositif réalisées en 2003-2004, à partir des manques constatés lors de sa
première mise en pratique de l’année 2002-2003. Bien évidemment, le projet
« le français en (première) ligne » a évolué depuis son lancement, en termes
d’objectifs, de modalités de déroulement, de démarche et même de partenaires
(cf. tableau 7, p. 162) ; il serait prétentieux de vouloir étendre notre analyse à
toutes les redéfinitions survenues au cours des quatre années de son
déroulement. Nous nous intéresserons donc uniquement aux réaménagements
du dispositif qui sont liés aux résultats de l’analyse développée dans les chapitres
précédents.
En fonction du dispositif du premier semestre 2002-2003, il s’est avéré
que les exigences en termes de savoir-faire technologiques étaient tellement
élevées que certains étudiants ont éprouvé des difficultés à poursuivre leurs
objectifs de réalisation multimédia, difficultés d’ordre à la fois technique, donc
cognitif, mais aussi socio-affectif (5.2.). Malgré le guidage technico-pédagogique
permanent (6.2.), les compétences initiales des étudiants étaient trop éloignées
des objectifs de conception multimédia que les étudiants s’étaient fixés eux-
mêmes.
Afin de dépasser cet obstacle, la formation des étudiants en 2003-2004 a
été moins exigeante en termes de maîtrise technologique145 tout en prenant
mieux en compte les compétences technologiques de départ. L’objectif était de
diminuer l’investissement technologique, jugé comme trop élevé pour une unité
d’enseignement de 25 heures, tout en donnant plus d’importance aux
interactions générées entre tuteurs et apprenants.
145 La formation n’a ni nécessité des savoir-faire technologiques en traitement d’image et de son ni une maîtrise des outils HotPotatoes.
8ème chapitre : conclusions et perspectives
365
Une deuxième réorientation porte sur la nature des scénarios
pédagogiques conçus par les étudiants à l’intention des apprenants australiens. Il
ressort de l’annexe A5 que la plupart des activités conçues étaient de type fermé,
nécessitant une production évaluée par l’ordinateur, sans que le recours à une
personne ressource (enseignant ou tuteur) soit indispensable. Malgré le potentiel
que peuvent avoir les activités autocorrectives dans d’autres contextes
d’apprentissage, le fait que la médiation humaine n’ait pas été prévue dans la
conception de la majorité des activités pédagogiques a eu des répercussions sur
les interactions franco-australiennes du deuxième semestre. Plus précisément, ce
manque d’évaluation humaine, voire de socialisation, qui a été induit par la
nature trop technologique des projets pédagogiques a eu une incidence négative
sur les échanges en ligne entre apprenants et tuteurs. Par conséquent, le
dispositif de l’année 2003-2004 s’est fondé sur une conception des tâches
impliquant un plus grand degré d’interaction humaine, ce qui, par voie de
conséquence, a provoqué des échanges plus denses et plus riches entre
apprenants et tuteurs (Mangenot, 2005).
Par rapport au dispositif du deuxième semestre, une troisième
réorientation fondamentale porte sur le niveau langagier du public cible. Dans la
section 6.6., nous avons souligné qu’une des raisons de la frustration des tuteurs
était liée à l'incapacité des apprenants débutants et faux-débutants à entretenir
des interactions en L2. Dans la deuxième année du projet, la sélection du groupe
d’apprenants s’est faite sur la base de leurs compétences à communiquer
aisément dans la langue cible. C’est ainsi qu’ont été sélectionnés un groupe de
niveau intermédiaire à l’Université de Sydney et un groupe de niveau avancé à
l’Université de Melbourne (cf. tableau 7, p. 162). Ce choix plus attentif du groupe
d’apprenants a eu des effets positifs sur le développement des compétences
communicatives des apprenants qui ont pu mieux bénéficier des interactions
avec des natifs (Dejean et Mangenot à paraître, b).
La quatrième évolution du dispositif concerne les modalités des
interactions en ligne. Les échanges écrits asynchrones de la première année ont
vite montré leurs limites en termes d’intensité d’interactions et de lien social (à la
lumière des données recueillies, l’hypothèse selon laquelle les participants ont
constitué des communautés d’apprentissage a été loin d’être confirmée, cf.
8ème chapitre : conclusions et perspectives
366
6.5.1.). Pour pallier l’absence du face-à-face ainsi que pour renforcer les aspects
socio-affectifs des interactions, des séances synchrones de clavardage ont été
mises en place, même si elles ont été peu nombreuses, du fait des problèmes
d’organisation liés au décalage horaire.
La cinquième modification porte sur le contexte organisationnel dans
lequel se sont développées les interactions franco-australiennes. Nous avons
remarqué dans la section 6.6. que l’absence d’un contrat pédagogique définissant
le statut des interactions en ligne (en termes de fréquence des contributions, des
modalités d’évaluation, de complémentarité des rôles des tuteurs à distance par
rapport aux enseignants en présentiel) a amené les apprenants à considérer la
participation aux forums comme facultative. Cet élément a provoqué une
participation assez restreinte et aléatoire qui a eu effectivement des
répercussions sur les modalités d’accompagnement en ligne (6.5.6.). A partir de
2003-2004, la participation des Australiens aux discussions en ligne a été
intégrée dans le dispositif du cours de français en présentiel, même si cela a
parfois abouti à donner une dimension plus « formelle » aux interactions avec
les tuteurs français. Cette modification est venue préciser davantage le contexte
de déroulement de ces échanges et a empêché l’apparition d’écarts trop
considérables en termes de participation, comme cela s’est produit en 2002-2003
(voir tableau 16, p. 271).
En relation avec le contexte organisationnel, l’accompagnement
pédagogique des tuteurs français a été aussi réexaminé. Il ressort de notre
analyse du suivi à distance de la première année que les tuteurs ont souhaité
être suivis par l’équipe enseignante australienne qui encadrait les apprenants en
classe au sujet de la complémentarité du tutorat avec les séances
d’enseignement en classe. Par conséquent, à partir de l’année 2003-2004, les
enseignants australiens sont venus à l’appui lors de la première phase du
dispositif, celle de la conception multimédia, afin d’assurer une compatibilité des
ressources pédagogiques des étudiants français avec les besoins des groupes
cibles (Develotte, 2005). Cette modalité de guidage des tuteurs français par les
enseignants australiens, en plus du suivi par l’enseignant français, a permis aux
tuteurs de réaliser leurs projets au plus près du profil des apprenants, tout en
renforçant davantage le caractère situé de la production. Ainsi, une collaboration
en ligne a vu le jour au sujet des thématiques, des objectifs communicatifs et
8ème chapitre : conclusions et perspectives
367
des tâches à réaliser. Cette collaboration a été instrumentée via une plate-forme
(QuickPlace) aménagée dans ce but.
Evolution du projet « le français en (première) ligne » en tant qu’objet
d’analyse
De manière plus générale, les réadaptations du dispositif à la lumière des
observations de son fonctionnement s’inscrivent dans une perspective de
recherche sur le développement de formations innovantes de futurs enseignants
de langue aux TICE. Outre cette dimension de recherche-développement, le
projet « le français en (première) ligne » constitue un terrain d’analyse des
pratiques à plusieurs niveaux. Les dernières publications qui prennent ce projet
comme terrain d’analyse portent sur le plan des interactions en ligne entre
tuteurs et apprenants de langue (Dejean et Mangenot, à paraître b), sur les
aspects interculturels de la production multimédia (Develotte, 2005), sur la
contextualisation des apprentissages en FLE (Mangenot, 2005 ; Develotte,
Mangenot et Zourou, 2005). A ces thématiques, deux nouvelles orientations
viennent s’ajouter, la première étant la problématique des documents sonores
créés par les Français et de leur caractérisation par rapport aux documents
sonores des méthodes (Develotte et Mangenot, 2005). La deuxième, qui s’inscrit
dans la problématique de la communication pédagogique médiatisée, vise à
explorer davantage les effets des outils technologiques sur le renforcement
d’interactions en ligne riches à la fois sur le plan socio-culturel et socio-cognitif.
Références bibliographiques
368
Références bibliographiques146
ABDALLAH-PRETCEILLE, M. Vers une pédagogie interculturelle. Paris : INRP, 1986.
ABRIC, J.-C. Psychologie de la communication. Théories et méthodes. 2ème éd.
Paris, Armand Colin, 2003.
AIMARD, V. Environnements virtuels et didactique des langues, quelle réalité ?
Thèse de doctorat en sciences du langage, Université Paris III, 2005.
AKRICH, M., MEADEL, C., PARAVEL, V. Le temps du mail : écrit instantané ou oral
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ALBERO, B. L'autoformation dans les dispositifs de formation ouverte et à distance :
instrumenter le développement de l'autonomie dans les apprentissages.
SALEH, I., LEPAGE, D., BOUYAHI, S. (dir.), Les TIC au cœur de l'enseignement
supérieur. Vincennes- St Denis : Laboratoire Paragraphe, Université Paris
VIII- Vincennes-St Denis, 2003, p. 139-159.
ALBERO, B. L’autoformation en contexte institutionnel. Paris : L’Harmattan, 2000.
ANDLER, D. (dir.). Introduction aux sciences cognitives. Paris : Gallimard Essais,
1992.
ANIS, J. Communication électronique scripturale et formes langagières : chats et
SMS. Journée « S'écrire avec les outils d'aujourd'hui », Université de
Poitiers Vendredi 31 mai et samedi 1er juin 2002 - [en ligne]. Disponible
sur : http://oav.univ-poitiers.fr/rhrt/2002/
ANIS, J. Texte et ordinateur : L’écriture réinventée ? De Boeck Université, 1998. 146 Ouvrages cités. Bibliographie rédigée selon la norme AFNOR Z 44-005 (cf. VI : définition de notre stratégie rédactionnelle). Dernière consultation de tous les URL le 16 décembre 2005.
Les contributions parues dans les revues suivantes sont disponibles en ligne en libre
accès : Apprentissage des Langues et Systèmes d’information et de Communication
(ALSIC, http://www.alsic.org), Electronic Foreign Language Teaching (e-FLT, http://e-
flt.nus.edu.sg/main.htm), First Monday (www.firstmonday.org/), Journal of
ICFLE Internet-mediated intercultural foreign language education
IUFM Institut Universitaire De Formation des Maîtres.
NBLT Network-based language teaching
SLA Second Language Acquisition
TD Travaux Dirigés
TIC Technologies de l’Information et de la Communication
TICE Technologies de l’Information et de la Communication pour
l’Éducation
ZPD Zone Proximale de Développement
Abréviations conventionnelles de rédaction
cf. voir ; cf. infra : voir ci-après ; cf. supra : voir plus haut
et al. (et alii) « et autres »
fig. figure
loc. cit. (loco citato), « à endroit cité »
NB : Nota Bene
np : non paginé ; extrait consulté sur Internet ou disponible à un
document polycopié
Op. cit. (opere citato), « dans l’œuvre cité »
Table des matières
402
Table des matières
Sommaire ..................................................................................................... 5 Présentation de la recherche.........................................................................7
I. Introduction générale ............................................................................. 7 II. Problématique de la recherche.................................................................. 12 III. Démarche de la recherche : entre une approche praxéologique et une
approche herméneutique ......................................................................... 13 IV. Limites de la présente étude .................................................................... 14 V. Plan de la thèse...................................................................................... 15 VI. Définition de notre stratégie rédactionnelle................................................. 16
1. Théories de référence ............................................................................19 Introduction ........................................................................................20 1.1. Au-delà du fonctionnement cognitif individuel : nouvelles
perspectives dans la co-construction des connaissances ...................21 1.1.1. Introduction : quatre paradigmes et une théorie .................................. 21 1.1.2. Les modèles cognitiviste et connexionniste.......................................... 22 1.1.3. Vers des nouveaux paradigmes en sciences cognitives .......................... 24 1.2. Le constructivisme .............................................................................25 1.2.1. Fondements philosophiques .............................................................. 25 1.2.2. Constructivisme(s) : Confusions interprétatives ................................... 27 1.2.3. Psycho-constructivisme et socio-constructivisme .................................. 32 1.2.4. Synthèse et définitions préliminaires .................................................. 37 1.3. Théorie socioculturelle .......................................................................39 1.3.1. Éléments de caractérisation .............................................................. 39 1.3.2. Du rôle de la médiation .................................................................... 41 1.3.3. Culture et contexte .......................................................................... 43 1.3.4. Le contexte : une notion nouvelle en DDL ?......................................... 48 1.4. Théorie socioculturelle et didactique des langues (DDL)....................53 1.4.1. Le courant de Sociocultural Second Language Acquisition (SLA) ............ 53 1.4.2. Débats autour du nouveau paradigme en DDL ..................................... 57 1.4.3. Critique du courant de Sociocultural SLA ............................................. 60 1.5. De l’intérêt du socioculturel en DDL ...................................................62 1.5.1. Le « socioculturel » en DDL : Revendication par trois contextes d’utilisation différents....................................................................... 62 1.5.2. Une vision élargie de la DDL : vers l’interdisciplinarité........................... 65 1.5.3. La théorie socioculturelle concerne-t-elle vraiment la DDL ?................... 68 1.5.4. La socialisation des apprentissages en langues : une réalité................... 69
Table des matières
403
1.6. La théorie de l’activité comme ancrage théorique possible ................72 1.6.1. La théorie de l’activité ..................................................................... 72 1.6.2. Critique réflexive sur la théorie de l’activité ........................................ 75 1.6.3. Activité ou action ? le paradoxe du modèle d’Engeström....................... 78 1.6.4. Conclusion sur la théorie de l’activité................................................. 79 Conclusion : Des limites théoriques à l’analyse des dispositifs............................. 82 2. Apprentissages collectifs médiatisés pour les langues.....................85 Introduction ........................................................................................86 2.1. De la dialectique homme - environnement informatique ...................87 2.1.1. Le paradigme de la cognition distribuée ............................................. 87 2.1.2. Outil, artefact, instrument. Définitions et convergences........................ 90 2.1.3. « Affordances » des outils et « genèse instrumentale » ....................... 93 2.2. Apprentissages collectifs assistés par ordinateur (ACAO)..................97 2.2.1. Computer-Supported Collaborative Learning : défrichage du terrain....... 97 2.2.2. Les ACAO : un champ en émergence ................................................. 100 2.2.3. ACAO : approche, modalité de travail ou environnement informatique ? . 102 2.2.4. Apprentissages collectifs : le « c » contesté qui fera le tour du monde.... 105 2.3. De l’ALAO aux ACAO pour les langues ................................................108 2.3.1. Apprentissage des langues assisté par ordinateur (ALAO) .................... 108 2.3.2. De l’ALAO en ACAO pour les langues : changement de paradigme ? ...... 109 2.3.3. Approches récentes en apprentissages de langues instrumentés : ACAO
pour les langues, NBLT et Sociocultural SLA ...................................... 111 2.3.4. Trois moments-clés de l’établissement des travaux en ACAO pour les
langues ........................................................................................ 113 2.4. Interactions interculturelles et apprentissages médiatisés en langues ..........................................................................................118 2.4.1. Communication médiatisée par ordinateur : le « registre interactif » ..... 118 2.4.2. Interactions en ligne et apprentissage langagier................................. 121 2.4.3. Dimension interculturelle des projets collectifs médiatisés ................... 122 2.4.4. Exemple : le dispositif Cultura. Objectifs et réalisation ........................ 125 2.4.5. Une lecture critique du dispositif Cultura ........................................... 127 3. Formation des enseignants aux TICE : état des lieux .....................130 Introduction ........................................................................................131 3.1. Formation continue des enseignants de langues aux TICE .................132 3.1.1. Les TICE à l’école ......................................................................... 132 3.1.2. Les objectifs de formation dans l’Union Européenne............................ 133 3.1.3. Exemples d’initiatives en France ...................................................... 135 3.1.4. Exemple d’initiative en Grèce .......................................................... 140 3.1.5. Remarques conclusives sur les actions de formation du personnel
Table des matières
404
enseignant aux technologies éducatives ............................................ 145 3.2. Quelques formations universitaires innovantes aux TICE...................147 3.2.1. Mise en perspective de quatre dispositifs de formation de futurs
enseignants aux TICE..................................................................... 148 4. Objet de la recherche et démarche méthodologique ......................154 Introduction ........................................................................................155 4.1. Objet de la recherche : le projet « le français en (première) ligne .... 156 4.1.1. La nature du projet : une recherche-action en DDL............................. 156 4.1.2. Objectifs sous l’angle de l’ingénierie de la formation ........................... 157 4.1.3. Etapes du projet et rôles des partenaires .......................................... 159 4.1.4. Aperçu du projet sur trois ans ......................................................... 162 4.2. Le cœur de notre analyse : le déroulement du dispositif en 2002
2003 ..................................................................................................163 4.2.1. Organisation du dispositif................................................................ 163 4.2.2. Fonctions des acteurs de la formation............................................... 164 4.2.3. Premier semestre : objectifs et contexte d’implantation....................... 167 4.2.4. Organisation du travail et calendrier ................................................. 168 4.2.5. Consignes pédagogiques................................................................. 169 4.2.6. Profil des participants ..................................................................... 169 4.2.7. Ressources humaines ..................................................................... 171 4.2.8. Moyens techniques ........................................................................ 172 4.2.9. Estimation des coûts de la formation ................................................ 173 4.3. La démarche méthodologique........................................................... 175 4.3.1. Rapports entre le cadre conceptuel et le cadre méthodologique ............ 175 4.3.2. La démarche méthodologique privilégiée : la triangulation ................... 176 4.3.3. Définition de notre statut d’expérimentateur...................................... 179 4.3.4. Typologie des données recueillies..................................................... 179 4.3.5. Limites de l’approche triangulaire..................................................... 183 4.3.6. Protection de données personnelles et droits d’auteur ......................... 183 -------------------------------Analyse du projet expérimental-------------------- 5. Première notion-clé : le dispositif ......................................................185 Introduction ........................................................................................186 5.1. Vers une définition du dispositif ....................................................... 187 5.1.1. Dispositif, environnement ou contexte ?............................................ 187 5.1.2. Conclusions définitionnelles préliminaires .......................................... 192 5.1.3. Contextualisation des apprentissages : le paradigme de la cognition
située .......................................................................................... 193 5.1.4. Retombées méthodologiques........................................................... 198 5.2. Conception multimédia au sein du dispositif ......................................199
Table des matières
405
5.2.1. Vers la mise en place de la formation technologique ........................... 199 5.2.2. Approche exploratoire du multimédia et évolution des attitudes............ 201 5.2.3. Construction active et « bricolage » technologique.............................. 203 5.2.4. Idées en gestation et manipulations technologiques............................ 205 5.2.5. Rôle des outils technologiques et alphabétisation numérique................ 208 5.2.6. Aspects socioaffectifs de la maîtrise technologique et degré d’autonomie209 5.3. Aspects interculturels médiatisés.......................................................211 5.3.1. Représentation du groupe cible et médiation interculturelle.................. 212 5.3.2. Engagement personnel et collectif dans la construction multimédia ....... 215 5.3.3. Créer « des points d’entente » à l’aide du multimédia ......................... 218 5.3.4. Aspects socioaffectifs et interculturels de la médiatisation.................... 220 5.4. Processus d’élaboration : l’exemple de la dyade Nicole- Céline..........221 5.5. Apprentissage situé et rôle des tâches...............................................229 5.5.1. Appréciation du dispositif ................................................................ 229 5.5.2. « Production située » ..................................................................... 233 5.5.3. Rapports entre tâches et dispositif ................................................... 235 5.5.4. Degré d’investissement .................................................................. 237 5.6. Apport du dispositif à la formation des enseignants de langue ..........239 5.6.1. Formation contextualisée ................................................................ 240 5.6.2. Utilité de la formation et compétences professionnelles ....................... 241 5.7. Remarques conclusives sur la notion de dispositif .............................243 6. Deuxième notion-clé : l’accompagnement pédagogique .................246 Introduction ........................................................................................247 6.1. Quelques éléments théoriques ...........................................................248 6.1.1. Sur le principe de l’autodirection ...................................................... 248 6.1.2. Modalités de suivi dans des dispositifs entièrement à distance.............. 249 6.1.3. Le mode d’accompagnement privilégié.............................................. 250 6.2. Analyse de l’encadrement pédagogique du 1e semestre.....................251 6.2.1. Un accompagnement croissant en fonction de besoins ........................ 251 6.2.2. Modalités de suivi et effets sur les apprentissages .............................. 254 6.2.3. Rapprochement des fonctions tutorales au début et à la fin de la
formation ..................................................................................... 264 6.2.4. Conclusion sur les modalités du suivi du premier semestre .................. 267 6.3. Analyse de l’encadrement pédagogique du 2e semestre ....................269 6.3.1. Préambule aux interactions en ligne du second semestre..................... 270 6.3.2. Choix du groupe à analyser............................................................. 271 6.4. Interactions au sein du groupe 9 .......................................................273 6.4.1. Modalités d’accompagnement : les fonctions de l’alternance codique
entre français et anglais ................................................................ 274 6.4.2. Aspects cognitifs du suivi : les stratégies de correction........................ 279 6.4.3. Discussions réflexives..................................................................... 282
Table des matières
406
6.4.4. Aspects socio-affectifs du suivi ........................................................ 283 6.4.5. Conclusions sur les interactions du groupe 9...................................... 264 6.5. Interactions au sein du groupe 4 .......................................................285 6.5.1. Degré d’engagement et sentiment d’appartenance ............................. 286 6.5.2. Réciprocité des échanges................................................................ 287 6.5.3. Comportements discursifs des apprenants d’une L2 en ligne ................ 289 6.5.4. Stratégies correctives d’une L2 sur support médiatique et répercussions
sur les interactions en ligne............................................................. 293 6.5.5. Sur la fonction de régulation tutorale d’un groupe à distance ............... 299 6.5.6. Conclusions sur les interactions du groupe 4...................................... 300 6.6. Interactions franco-australiennes : retombées sur la formation des
futurs enseignants de langue.............................................................302 7. Fonctionnements collectifs instrumentés ..........................................306 Introduction ........................................................................................307 7.1. L’individuel et le collectif ...................................................................308 7.1.1. Le paradigme de la cognition socialement partagée ............................ 308 7.1.2. De l’individuel ou du collectif ? Réflexion sur l’unité d’analyse............... 310 7.2. Analyse des dynamiques collectives au sein du dispositif ................. 312 7.2.1. Modes de fonctionnement collectif au sein des dyades......................... 312 7.2.2. Coopération équilibrée.................................................................... 313 7.2.3. Coopération déséquilibrée............................................................... 315 7.2.4. Collaboration ................................................................................ 316 7.2.5. Conflit menant à la rupture ............................................................. 320 7.2.6. Conclusions sur les modes de fonctionnement des dyades ................... 321 7.2.7. Dynamiques collectives dans le grand groupe .................................... 323 7.3. Effets de l’instrumentation sur l’élaboration des savoirs.................... 325 7.3.1. Objectifs pédagogiques et organisation de la plate-forme ................... 326 7.3.2. Le collecticiel comme outil de partage des ressources et de
communication.............................................................................. 328 7.3.3. Le collecticiel comme outil de régulation du travail en dyades .............. 330 7.3.4. Effets de l’objectivation sur écran..................................................... 334 7.3.5. Reconstruire le sens à partir des objets fragmentés ............................ 337 7.3.6. Extériorisation de la cognition et processus d’élaboration du sens ......... 342 7.4. Effets de l’instrumentation sur la dimension collective des
apprentissages...................................................................................343 7.4.1. Le collecticiel comme vecteur sociocognitif : l’effet de l’émulation ......... 343 7.4.2. Emulation et changement conceptuel................................................ 345 7.4.3. Dimension sociocognitive de l’émulation............................................ 346 7.4.4. Emulation et processus métacognitifs ............................................... 348 7.4.5. Conclusion sur le phénomène de l’émulation...................................... 349 7.4.6. La plate-forme comme outil de régulation mutuelle non-verbalisée ...... 350
Table des matières
407
7.5. Retombées des pratiques médiatisées sur le développement de dispositifs de formation ................................................................................353 8. Conclusions et perspectives ...........................................................356 8.1. Conclusions relatives à l’analyse du dispositif .......................................... 357 8.2. Considérations théoriques et méthodologiques ........................................ 361 8.3. Perspectives : Réorientations du dispositif à la lumière de la mise en place .
de 2002-2003.................................................................................... 364 Références bibliographiques ............................................................................ 368 Index des tableaux......................................................................................... 394 Index des figures ........................................................................................... 395 Index des auteurs .......................................................................................... 396 Abréviations et acronymes .............................................................................. 401 Table des matières ......................................................................................... 402 --------------------------Deuxième volume : Annexes----------------------------- Liste des annexes..........................................................................................409
Annexe A Données recueillies de la première phase du projet ......................410