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APOCRYPHARevue internationale des littératures
apocryphesInternational Journal of Apocryphal Literatures
13, 2002
BREPOLS
APOCRYPHAInternationale Zeitschrift für apokryphe
Literaturen
Rivista internazionale delle letterature apocrifeRevista
internacional de las literaturas apocrifas
Directeur de la RevueJean-Daniel DUBOIS
c/o Centre des religions du LivreC.N.R.S. — UMR 8584
7, rue Guy Môquet — B.P. n° 8F-94801 VILLEJUIFCedex
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A P O C R Y P H A
13,2002
ISBN 2-503-51277-1
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Revue fondée en 1990 par Jean-Claude PICARD
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REVUE INTERNATIONALE DES LITTÉRATURES APOCRYPHES
INTERNATIONAL JOURNAL OF APOCRYPHAL LITERATURES
Directeur de publicationJ.-D. DUBOIS
Secrétaire de rédaction
M.-J. PIERRE
Comité de rédactionF. AMSLER, P. GEOLTRAIN,
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Comité scientifiqueI. BACKUS, B. BOUVIER, F. BOVON, Z.
IZYDORCZYK,
S. JONES, E. JUNOD, A. LE BOULLUEC, J.-N. PÉRÈS,P. PIOVANELLI,
M. STAROWIEYSKI
Revue publiée avec le concours scientifiquede l’Association pour
l’étude de la littérature apocryphe chrétienne
(A.E.LA.C.)et
de la Société pour l’étude de la littérature apocryphe
chrétienne(S.E.LA.C.)
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prior permission of the publisher.
D/2002/0095/100ISBN 2-503-51277-1
Printed in the E.U. on acid-free paper
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SOMMAIRE
«L’historienne et les Apocryphes»par Annick
MARTIN........................................................
9
«The Acts of Peter and the Twelve Apostles, A Midrash
of Matthew 13, 45 – 46?»
par Mitzi Jane
SMITH...................................................... 29
«Paulus und Thekla in der türkischen Überlieferung»par Peter
ZIEME
..............................................................
53
«Les Actes de Thaddée»par Andrew PALMER
...................................................... 63
«The Date of the Epistula Abgari»par Irma
KARAULASHVILI.............................................. 85
«Un élément de christologie quartodécimane dans l’Epîtredes
Apôtres: l’agape pascale comme occurrence de solida-rité»
par Jacques-Noël PÉRÈS
................................................ 113«Les Actes
de Marc en éthiopien: remarques philolo-giques et histoire de la
tradition»
par Gianfrancesco
LUSINI.............................................. 123
«Une homélie sur le Martyre de Pilate, attribuée àCyriaque de
Behnessa»
par Ève LANCHANTIN
..................................................... 135
«Interpretation and Reconstruction: Retroverting the
Apocalypse of Abraham»par Alexander KULIK
..................................................... 203
«Hermès Trismégiste, Moïse et Apollonius de Tyane dansun oracle
d’Apollon»
par Aude BUSINE
............................................................
227
ÉTUDE CRITIQUE: «A propos de l’ouvrage récentd’Alberto D’Anna,
Pseudo-Giustino, Sulla resurrezione»
par Bernard
POUDERON................................................. 245
ÉTUDE CRITIQUE: «L’ Introduction à la littérature
religieuse
judéo-hellénistique d’Albert-Marie DENIS et
collabora-teurs»par Jean-Michel ROESSLI
............................................... 257
COMPTES
RENDUS.....................................................................
279
LIVRES REÇUS À LA
RÉDACTION............................................. 325
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Annick MARTIN Université de Rennes 2
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES
Asked by the AELAC to express my opinion as a historian
about apoc-
rypha, I shall start from my experience of these texts as
teacher of Historyof religions and of Ancient Christianity at the
University of Rennes 2. Theseapocryphal texts contain very few
realia and their textual situation is verydifficult; nevertheless,
for historians, they represent an invaluable source,like other
documents, of individual and collective mentalities of the
first Christians: objects of history and objects of a history
inserted within theRoman empire’s religiosity. To make progress in
studying these documents,it is necessary for historians and
specialists of litterature to work more close-ly together.
Invitée par l’AELAC à exprimer les réactions de
l’historien face aux apo-
cryphes, je suis partie de ma propre expérimentation de ces
documents dansmon enseignement universitaire concernant l’histoire
des religions et duchristianisme ancien. Malgré leur pauvreté en
realia et la difficulté repré- sentée par leur état textuel,
ces textes constituent pour l’historien des témoins,au même titre
que d’autres, des représentations individuelles et collectivesdes
premiers chrétiens: objets d’histoire en même temps qu’objets
d’unehistoire inscrite dans la religiosité de l’empire romain des
premiers siècles.Les progrès dans l’étude de ces documents
voudraient qu’historiens et lit-téraires travaillent davantage
ensemble.
Ce titre a volontairement le goût de la fable car c’est bien
verselle que nous tirent ces écrits apocryphes1 mais quand bien
mêmeils n’apporteraient rien, ou si peu, sur «l’événementiel» ou
sur ceque les historiens de l’Antiquité ont l’habitude d’appeler
«realia»,ils n’en sont pas moins eux-mêmes objets d’histoire et
objets, parmid’autres, d’une histoire, celle du christianisme
ancien, dont l’his-torien ne peut par conséquent se
désintéresser.
Lors d’une discussion récente sur le projet d’une histoire de
la
littérature grecque chrétienne, je n’ai pu m’empêcher de
déplorerl’absence d’une histoire des mentalités antiques, comme il
en exis-
1. C’est pour moi l’occasion de rendre hommage au premier
numérod’ Apocrypha dont le sous-titre, on s’en souvient,
s’intitulait «La Fableapocryphe».
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te une désormais pour le Moyen Âge2. C’est à ce titre en effet
–toutautant que comme littérature – que ces écrits apocryphes
retien-nent l’attention de l’historien sensible à l’histoire des
sociétés etdes systèmes symboliques qui leur sont consubstantiels,
car ilsintroduisent aux représentations que les chrétiens de ce
temps,celui des origines, se faisaient d’eux-mêmes et de leurs
figures fon-datrices. À côté d’autres témoignages documentaires,
mais aussiparfois seuls, ils nous font entrer dans leurs traditions
locales, à lafois communes et différentes selon les lieux et les
temps où ils sesituent; ils nous font participer aux débats
suscités au sein descommunautés par la personne même de Jésus,
charnelle, humai-ne, et/ou divine, ainsi qu’aux tensions qui ont
accompagné leurexpansion et leur insertion dans la société et dans
le monde gréco-romain où ils se sont acculturés; et ils contribuent
à nous fournirl’image forte d’un christianisme foisonnant, multiple
et polyglot-te (même si le grec reste la langue originelle
majoritaire), uneimage au total bien éloignée de celle,
uniformisée, que les autori-tés ecclésiastiques ont voulu imposer
dès la seconde moitié dudeuxième siècle, et que l’historiographie
postérieure nous a trans-
mise parfois en la durcissant.
En 1991, Eric Junod faisait le constat suivant: «Dans leur
gran-de majorité, les spécialistes du christianisme ancien et de
l’anti-quité tardive portent sur la littérature apocryphe un regard
tout àla fois distant et sévère. Il en a toujours été ainsi: sauf
exceptions,les clercs et les lettrés n’ont jamais fait bon accueil
à cette littéra-ture» (voir le premier en date, au début du 4ème
siècle, Eusèbede Césarée) (…) «Ces écrits n’ont pas encore vraiment
fait leurentrée dans le répertoire des sources du christianisme des
premierssiècles». Et, après avoir déploré l’attitude quelque peu
condes-cendante des spécialistes du Nouveau Testament pour ces
textes,il ajoute: «Quant aux historiens du christianisme ancien et,
a for-tiori, de l’antiquité tardive, ils ont en général réagi comme
si lestextes apocryphes ne les concernaient pas directement»3.
Qu’en est-il de ce constat dix ans plus tard? Je crains fort,
mal-heureusement, qu’il n’ait globalement conservé sa validité et
quece vaste continent reste encore fort peu exploré tant par les
histo-riens que par les spécialistes du canon des Écritures, si
j’en crois
la dernière parution de l’Histoire du christianisme4
dans lequel le
2. H. MARTIN, Mentalités médiévales, I (Collection Nouvelle
Clio), Paris,PUF, 1995; II, 2001.3. «La littérature apocryphe
chrétienne constitue-t-elle un objetd’études?», Revue des Études
anciennes, 93, 1991, 399.4. Tome 1, Le Nouveau Peuple (des origines
à 250), Paris, Desclée, 2000.
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volume des Écrits apocryphes chrétiens publié dans La Pléiade
n’estpas même signalé dans les bibliographies accompagnant les
pre-miers chapitres.
Comme les écrits de Nag Hammadi, comme les écrits
intertes-tamentaires dont certains apocryphes sont proches – eux
aussipourtant accessibles désormais dans la collection La Pléiade –
cettelittérature reste encore, il est vrai, trop souvent en marge
des ensei-gnements universitaires. Ceci ne devrait pas surprendre
les spé-cialistes en langues anciennes en grande majorité
orientales danslesquelles les textes apocryphes ont été le plus
souvent conservés– langues non pratiquées par les enseignants
d’histoire anciennemaniant plutôt le grec et le latin –
spécialistes dont l’enseignements’inscrit, la plupart du temps,
dans le cadre d’un cursus de rechercheau sein d’institutions
prestigieuses en même temps qu’en margedes formations suivies par
la masse des étudiants dont l’Universi-té a d’ordinaire la charge
(Facultés de théologie protestantes etcatholiques; EPHE).
Cependant, grâce aux nombreuses publica-tions des équipes
internationales et, surtout, à la volonté opiniâtrede les faire
connaître et de les rendre accessibles au public uni-
versitaire et cultivé, certains, parmi «les clercs et les
lettrés», fontheureusement «exception».Pendant près de trente ans
(de 1970 à 1999), l’Université fran-
çaise aura été le cadre de mon enseignement, une institution
quiémerge à peine, faut-il le rappeler, du traumatisme de la
séparationde 1905 qui a exclu pratiquement des programmes pendant
long-temps l’histoire du christianisme ancien et, plus largement,
celledes religions, au nom de la sacro-sainte laïcité. Ce n’est
qu’à partirde 1991 que, dans le cadre de la licence, la possibilité
m’a été offer-te d’aborder les origines du christianisme en
choisissant d’embléede les étudier dans leur double contexte, celui
de l’histoire juive etcelui, polythéiste et philosophique, du monde
gréco-romain, entrele 2ème siècle avant notre ère et le 3ème de
notre ère. Cetteréflexion sur les religions de l’Antiquité aura été
poursuivie pen-dant près de dix ans avec des étudiants (une
centaine chaque année)qui, pour beaucoup d’entre eux, découvraient
cet aspect de la cul-ture et se destinaient à enseigner dans le
secondaire.
C’est donc dans ce contexte que les apocryphes chrétiens
sontd’abord entrés dans mon champ de réflexion, tout
naturellement
comme sources documentaires parmi d’autres, car ils font
partiede cette «Écriture au sens large» déjà revendiquée par
Priscillienet qu’a naguère si bien définie J.-D. Kaestli5.
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 11
5. «Les écrits apocryphes chrétiens. Pour une approche qui
valorise leurdiversité et leurs attaches bibliques», dans Le
Mystère apocryphe. Intro-
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Un peu plus tard, et pour répondre aux besoins des
étudiantshistoriens et non historiens débutants, j’ai ouvert avec
deux autrescollègues, en octobre 97, un cours intitulé Bible et
Histoire dont ladernière partie traitait précisément des origines
du christianismeet de la constitution d’une mémoire et d’une
identité chrétiennesau sein de l’empire gréco-romain. Je n’oublie
pas non plus le coursd’agrégation qui, dans le même temps, m’a
permis de découvrirLa doctrine d’Addaï avec la fameuse Lettre
d’Abgar à Jésus, siimportante pour la christianisation d’Édesse6.
J’ajouterai, pourfinir, qu’à la demande de l’Université du temps
libre, j’ai aussi pro-posé une conférence sur «les apocryphes
chrétiens».
C’est ainsi que j’osais, sans toutefois ignorer les problèmes
sou-levés par la nature de cette nouvelle documentation, utiliser
diverstextes apocryphes comme témoins de l’émergence de la
nouvellereligion, des logia de l’Évangile de Thomas au Protévangile
de
Jacques, de l’ Ascension d’Isaïe à l’Épître des
Apôtres, des Actes de Jean et de ceux d’André à ceux de
Paul et Thècle, ceux de Pierre,et ceux de Thomas, sans oublier les
magnifiques Odes de Salomon7,ainsi que des images dont certaines
tirées des peintures murales
des églises de Maurienne8
. J’insistais sur la diversité et la richessede ces textes,
différents par leurs genres littéraires et leurs posi-tions
théologiques, et dont la formation, parfois contemporaine decelle
des écrits canoniques placés comme eux sous le nom d’unapôtre, a
contribué à la constitution d’une mémoire et d’un chris-tianisme
pluriel, (comme on parle d’un judaïsme pluriel depuis ladécouverte
des manuscrits de Qoumrân).
duction à une littérature méconnue, Genève, Labor et Fides,
1995, p. 41-42, «une sorte de constellation d’interprétations et de
traditions liée aucentre de gravité qu’est le canon biblique».6.
Histoire d’Abgar et de Jésus, par A. DESREUMAUX, Apocryphes 3,
Turn-hout, Brepols, 1993. H.J.W. DRIJVERS, Cults and Beliefs at
Edessa (EPRO82), Leyde, Brill, 1980, p. 193-196; Id., «Early
Syriac Christianity: somerecent publications», Vigiliae christianae
50, 2 (1995), 159-177.7. On ne dira jamais assez le rôle
indispensable joué par la collection de
poche qui a rendu rapidement accessible en langue française des
textescomme ces Odes de Salomon, Apocryphes 4, 1994, que j’ai pu
lire et com-menter grâce à M.-J. Pierre.8. J’ignorais que Catherine
Paupert, dont je ne connaissais que l’articled’ Apocrypha
1994, et dont cette rencontre de l’AELAC m’aura permisde faire la
connaissance, était en train de consacrer, en collaboration avecdes
gens du pays, une série de publications sur le sujet publiées par
Bre-pols depuis 1999.
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Premier constat: ces textes font partie de l’Écriture au sens
large et sont à classer dans le fonds documentaire sur
les origines du chris-tianisme.
Derrière les allures anecdotiques et attractives de la fiction,
voiredu roman d’amour et d’aventures dont les contemporains
étaientsi friands, n’est-ce pas la question du sens qui est sans
cesse posée,renvoyant à l’interprétation des Écritures héritée du
judaïsme? Iln’y a donc pas lieu, pour l’historien, de les séparer
de l’étude desécrits «canoniques» qui constituent (faute de sources
externes) la
source principale et presque unique de l’histoire des origines
duchristianisme, à condition qu’au préalable, comme pour tout
autretype de document, il se pose la question du statut de ces
textes, unstatut double car lié à leur condition de production,
d’usage, et decirculation dans le monde gréco-romain et dans ses
marges (commeles «canoniques»), ainsi qu’à leur mise à l’écart
progressive comme«apocryphes» par les autorités ecclésiastiques,
dont l’historiendoit aussi rendre compte de l’émergence dans
l’histoire du chris-tianisme ancien. En d’autres termes, la
différence entre «cano-niques» et «apocryphes», n’intéresse
l’historien qu’en temps qu’el-le est historique, c’est-à-dire
déterminante dans l’histoire descommunautés chrétiennes et de la
formation de leurs identités.
Je prendrai simplement l’exemple de l’héritage
paulinien,incluant la correspondance apocryphe et les Actes
de Paul et Thècle: parmi toutes les épîtres inauthentiques de
l’apôtre, les unesont été retenues dans le «canon des Écritures»,
comme notam-ment l’épître aux Éphésiens et les épîtres pastorales,
tandis qued’autres, comme la troisième aux Corinthiens ainsi que
les Actes,dans lesquels elle est incluse, ont été très tôt rejetés
comme «apo-
cryphes». Or c’est seulement l’étude d’ensemble de ces
documentsqui peut permettre de comprendre les différentes
interprétationsauxquelles la pensée de Paul a donné lieu et les
tensions au seindes communautés pauliniennes qui s’en sont suivies
à la fin du 1ersiècle et au 2ème siècle, ainsi que la manière dont
celles-ci ont régléleurs relations avec les autres églises9.
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 13
9. De cet important dossier, incluant en particulier les
recherches des fémi-nistes américaines, je ne peux retenir ici que
les études les plus significa-
tives, telles que The Apocryphal Acts of Paul and Thecla, éd.
Jan N. BREM-MER, Kampen, Pharos, 1996; l’article critique de P.W.
DUNN, «Women’sliberation, the Acts of Paul and other Apocryphal
Acts of the Apostles», Apocrypha 4 (1993), 245-261, auquel je
souscris pleinement; Id., The Pau-line Legacy in the second
century, Cambridge 1996 (thèse, non vidi); W.RORDORF, «Hérésie et
orthodoxie selon la correspondance apocrypheentre les Corinthiens
et S. Paul», dans Orthodoxie et hérésie dans l’Égli- se
ancienne, Cahiers de la Revue de théologie et de philosophie
17 , Lau-
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La place de l’historien, «à la bonne distance» des
étudesbibliques, exégétiques et théologiques, peut donc lui
permettred’apprécier tout l’intérêt de ces apocryphes pour la
connaissancedu christianisme ancien, si tant est que celui-ci ait
encore besoind’être défendu. Certains d’entre eux s’avèrent même
irrempla-çables pour l’étude de sa diffusion en particulier dans
les milieuxpaïens, comme les Actes de Jean et ceux d’André,
pour la placedes femmes dans cette diffusion et dans l’organisation
des com-munautés; et tous s’inscrivent dans l’histoire des courants
religieuxà l’intérieur du christianisme, et dans celle de la
formation d’unemémoire chrétienne plurielle avec ses multiples
interprétations etses traditions.
Deuxième constat: les apocryphes et l’univers culturel
ambiant.
Pour m’en tenir aux seuls Actes les plus anciens, sur lesquels
lestravaux et colloques abondent10, si les realia y sont moins
directe-ment présents que dans le Satiricon par exemple,
l’atmosphère dereligiosité générale dans laquelle ils baignent leur
confère un cer-tain degré de crédibilité. J’en citerai simplement
quelques élémentsqui frappent à la lecture: les visions, les
songes, les miracles, lamagie, les discussions sur Dieu11,
l’attrait pour toute nouvelle divi-nité qu’elles traduisent à
condition que sa puissance l’emporte surla précédente, le rôle des
femmes dans cette attirance vers de nou-velles croyances, les
foules et leur versatilité, l’esprit de compéti-tion, les
déambulations de l’apôtre philosophe entouré de ses dis-ciples12,
ou encore la relation intime maître disciple13. Tout cela
seretrouve dans la culture ambiante des premiers siècles de
l’empi-re, ainsi que la forme pour le dire, tantôt récit, tantôt
dialogue, tan-
tôt harangue, pour soutenir l’attention du lecteur comme celle
del’auditoire.
sanne 1993; D. MARGUERAT, «L’héritage de Paul en débat: Actes
desApôtres et Actes de Paul», Foi et Vie 34 (1995), 89-97. Et de C.
MORES-CHINI et E. NORELLI, Histoire de la littérature chrétienne
ancienne grecqueet latine, 1, éd. française, Genève, Labor et
Fides, 2000, le chapitre 1, auquelon ajoutera les pages 150-152 sur
1P.10. W. RORDORF, «Terra incognita. Recent research on Christian
Apo-cryphal Literature, especially on some Acts of Apostles», dans
Studia
Patristica 25, (Oxford, 1991), Leuven 1993, p. 142-158, en
faisait déjà lepoint et concluait: «The last word is far from
having been said on the pro-blems connected with the world of the
ancient Acts of the Apostles», eninvitant au voyage dans ce
continent encore à découvrir. La bibliographiede ces dix dernières
années ne l’aura pas démenti.11. AcPe 23, «Quel est ton
Dieu?»; cf les Aréopagites à Paul, Ac 17, 19.12. AcJn
105.13. AcAnd 8; 44.
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Dans les Actes de Pierre 23-24, par exemple, le débat
payant(moyennant une pièce d’or) organisé sur le forum de Jules
Césarentre Pierre et Simon n’a certes aucune réalité historique,
mais laforme publique qu’il revêt, jusques et y compris la
construction degradins en bois pour que la foule puisse prendre
place, évoque les
joutes oratoires retransmises par un Dion de Pruse dans de
nom-breuses villes d’Orient14, ou celles qui mirent aux prises à
Romele philosophe cynique Crescens et le chrétien platonicien
Justindans l’école où il enseignait15. Peu auparavant, au chapitre
12, Pier-re et Simon avaient été présentés comme deux magiciens mis
encompétition par la foule, comme cela était fréquent à cette
époque.Le lecteur familier de la Bible pourra aussi se remémorer à
cetteoccasion la compétition devant Pharaon entre Moïse et les
magi-ciens d’Égypte (Ex 7, 8-13). Lors du débat, les arguments
placésdans la bouche de Simon contre la divinité de Jésus fils
d’artisande Judée (23) se retrouvent chez Celse qui les tenait des
Juifs16.
Dans les mêmes Actes, l’histoire d’Eubola illustre bien
l’attrac-tion particulière des femmes de l’aristocratie pour les
religionsnouvelles: cette femme riche de Jérusalem, séduite par la
doctri-
ne de Simon, fut dépouillée par celui-là même à qui elle avait
faitbeaucoup de dons «comme serviteur de Dieu» (17). Dans
ses Anti-quités juives17, Flavius Josèphe rapporte deux
histoires semblables,toutes deux survenues à Rome en 19 sous
Tibère: celle de la richeFulvia abusée par un juif à qui elle fait
un don important pour leTemple; celle de Paulina, une matrone
romaine elle aussi, dévoted’Isis, abusée cette fois par un
chevalier romain qui se fit passerpour Anubis dans le temple de la
déesse.
Quant à la statue de l’empereur placée dans l’atrium de la
mai-son romaine du sénateur Marcellus et brisée par un
démoniaque(11), ce qui est un acte grave susceptible, avec le
développementdu culte impérial, d’être interprété comme un acte de
lèse-majes-té, le geste de Pierre qui la restitue par un miracle
est la marque
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 15
14. Sur les Discours de Dion, v. l’introduction de J. SIRINELLI,
Les Enfantsd’Alexandre, Paris, Fayard, 1993, p. 251-257; P. VEYNE,
«L’identité grecquedevant Rome et l’empereur», Revue des Études
grecques 112 (1999), 510-567, sur ce point 541-563. Dans ce même
article, on notera avec intérêt
que l’auteur, pour camper le public des auditeurs romains venus
écouterAelius Aristide dire son Éloge de Rome, en 144 sous Antonin,
utilise, sansl’ombre d’une critique, ce même passage des
Actes de Pierre, p. 564, n.299.15. Justin, Seconde Apologie,
3.16.Le point de départ se trouve dans l’épisode de Nazareth
rapporté dansles Évangiles, Mc 6, 3, et //.17. XVIII, 64-80;
81-84.
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évidente du loyalisme revendiqué par les chrétiens depuis Paul
etsi vigoureusement réitéré par les Apologistes, dont certains
sontcontemporains de ces Actes18.
Dans les Actes de Jean (42-47), on assiste à la destruction
de lastatue d’Artémis à Éphèse et à l’écroulement de la moitié de
sontemple dont la poutre tue le prêtre. Cette destruction est
présen-tée, non pas comme le résultat d’une attaque par les
chrétienscomme ce sera le cas plus tard, à partir du 4ème siècle,
mais commeun événement miraculeux lié à la présence de l’apôtre19.
Cette miseen scène spectaculaire imaginée par le narrateur lui
permet d’ex-ploiter le thème de la mise en concurrence de divinités
destinée àfaire ressortir la puissance de Dieu, comparable à la
mise en com-pétition des magiciens évoquée précédemment qui en
constitue,en quelque sorte, le premier degré, et que l’on trouve
aussi dansActes 19, 11-19 entre Paul et les magiciens juifs20. Ici
le miracle estencore plus éclatant et par conséquent convaincant.
Pour un fami-lier de la Bible, l’épisode n’est pas sans évoquer
celui de l’idole dutemple des Philistins, Dagon, qui se brisa en
plusieurs morceaux
elle aussi, du fait de la présence de l’Arche prise aux
Israélites etinstallée à ses côtés (1S 5, 3-4). Les Philistins
reconnaissent le pou-voir de l’Arche et la rendent aux
Israélites21. La foule des Éphé-siens s’écrie: «Unique est le Dieu
de Jean (…) toi seul es Dieu»,avant d’aller elle-même achever la
destruction du temple. «Arté-mis aurait dû se secourir elle-même»
et secourir son prêtre: «Oùest la puissance de la démone?» constate
ironiquement Jean. Cetteréflexion pourrait aussi se laisser
entendre comme l’expression dela revanche implicite des chrétiens
sur les quolibets de la foule etdes autorités juives lors de la
passion de Jésus dans le récit de Mt27, 40 (et //): «Sauve-toi
toi-même si tu es Dieu»? Mais la séquen-
18. Sur cette question, voir le dossier rassemblé par C. MUNIER,
L’Églisedans l’empire romain (II e-III e siècles),
Paris, Cujas, 1979, II, 1, p. 171 et suiv.19. Un même procédé est
utilisé dans les Actes de Paul , VI, 5, où la moi-tié du
temple de Sidon s’écroule, brisant la statue d’Apollon; la
divinitéla plus importante connue à Sidon est cependant Astarté.20.
Sur les cultes à Éphèse aux premiers siècles de l’empire, voir
l’ouvra-
ge collectif édité par H. KOESTER, Ephesos metropolis of Asia,
an inter-disciplinary approach to its archaeology, religion and
culture, (HarvardTheological Studies 36), Trinity Press
International, 1995.21. Cette scène sera mise en image sur l’un des
panneaux inférieurs dumur ouest de la synagogue de Doura, C.H.
KRAELING, The Excavationsat Dura-Europos, Final Report,VIII, Part
I, The Synagogue, New-Haven,Yale University Press, 1956; P.
PRIGENT, Le Judaïsme et l’image (du II e
auVI e siècle), Tübingen, J.B.C. Mohr, 1990.
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ce ne s’arrête pas là. Elle s’achève sur la résurrection du
prêtred’Artémis par son parent, grâce à l’apôtre qui tire la leçon
de toutce récit: la vraie vie ne réside pas dans le salut du corps
mais danscelui de l’âme qui s’exprime par la foi en la puissance de
Dieu.C’était déjà le message délivré à Lycomède, lui aussi
ressuscité parsa femme grâce à Jean, et qui avait voulu l’honorer
par un portraitcomme un théios anèr (26-29). Ainsi le corps du
prêtre est placésur le même plan que la statue et le temple
d’Artémis, qui, commele portrait de l’apôtre, représentent la
matière dont l’âme doit sedéfaire. Cette primauté donnée à la vie
de l’âme, cet appel à laconversion intérieure sont, comme on sait,
le fil rouge qui sous-tend ces Actes comme ceux, contemporains,
d’André22. C’est toutela religiosité de l’époque qui affleure
encore ici.
Troisième constat: des réticences à surmonter.
Pourtant l’historien utilisateur des Actes apocryphes reste
frap-pé de la difficulté représentée par leur état textuel et les
consé-quences qui en découlent sur l’établissement d’éventuels
rapportsentre eux. Dans l’étude récente qui leur a été consacrée
par laSociety of Biblical Literature (SBL)23, aucun accord n’a pu
se faireentre les trois auteurs qui étudient cette question24. Et,
pour cor-ser encore la difficulté, on y ajoutera les divergences
des éditeursde ces Actes dans le Corpus des Apocryphes, en
particulier J. M.Prieur25 et G. Poupon26. Quant aux relations avec
les Actes cano-niques, là encore les divergences restent fortes
entre les spécia-listes, si l’on en juge par exemple par les quatre
points de vue dif-férents exposés dans la même étude sur
les Actes de Paul 27. On
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 17
22. Cf 10; 47; E. JUNOD et J.-D. KAESTLI, «Le dossier des Actes
de Jean:état de la question et perspectives nouvelles»,
dans Aufstieg und Nieder- gang der römischen
Welt (abrégé ANRW ), Berlin-New York, W. de
Gruy-ter, 1988, II, 25, 6, p. 4293-4362, spéc. p. 4349-4353.23.The
Apocryphal Acts of the Apostles in intertextual perspectives,
Semeia80 (1997).24. D. R. MAC DONNALD, «Which came first?
Intertextual relationshipsamong the Apocryphal Acts of the
Apostles», p. 11-42; R. I. PERVO,«Egging on the chickens: A
cowardly response», p. 43-56; R. F. STOOPS«The Acts of Peter
in intertextual context», p. 57-86.25. Acta Andreae (CCSA 5),
Turnhout, Brepols, 1989, p. 385-403.26. «Les Actes de Pierre et
leur remaniement», dans ANRW II, 25, 6, p.4363-4383.27.W.
RORDORF, «Paul’s conversion in the Canonical Acts and in
the Actsof Paul », p. 137-144, (aucun rapport; thèse
reprise dans Les Écrits apo-cryphes chrétiens, I (Bibliothèque de
la Pléiade 442) Paris, Gallimard, 1997,p. 1119-1120); J. V. HILLS,
«The Acts of Paul and the Legacy of the LukanActs», p.
145-158 (dépendance); R. BAUCKHAM, «The Acts of Paul :
Repla-
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comprend dès lors la réticence des historiens à exploiter
commesource documentaire des textes extrêmement mouvants et dont
lafiabilité, de ce fait, est mise en cause. Mais il serait en même
tempsdommage de ne pas prendre en compte une telle richesse pour
quis’intéresse à l’histoire du christianisme ancien.
Pour nous aider à réduire ces difficultés, les familiers et
spécia-listes de la littérature chrétienne ancienne ont attiré
notre atten-tion sur l’intérêt que peut présenter le recours à des
méthodes decritique littéraire comme l’intertextualité avec
laquelle nous a jadisfamiliarisés l’équipe de Sémiotique et
Bible28, ou encore l’hyper-textualité mise au point par G.
Genette29. Daniel Marguerat a faitla proposition séduisante
d’utiliser précisément ce concept d’hy-pertextualité pour poser
autrement la question récurrente maisfondamentale du rapport entre
les Actes de Paul et les Actes cano-niques30. La
réinterprétation d’un texte-source constitue un véri-table acte de
création, lié à l’évolution interne de la tradition et auchangement
de situation historique des communautés chrétiennesdans lesquelles
elle est produite. Et c’est, en effet, dans le jeu dela parenté et
de l’écart, et non dans la seule recherche d’identités
verbales, que se trouve la clé de ce rapport. Une telle
opérationcréative, incluant la simple réminiscence, est à l’œuvre
par exempleentre les Actes de Jean et les Évangiles, dans
l’explication donnéepar l’Apôtre de la polymorphie du Seigneur31
pour «affermir la
cement of Acts or Sequels to Acts?», p. 159-168 (relation
évidente, unesuite des canoniques); D. MARGUERAT, «The Acts of
Paul and the Cano-nical Acts: A phenomen of rereading», p.
169-184 (une relecture).28. Revue du Centre pour l’Analyse du
Discours Religieux (CADIR),
dont le numéro 15, sept. 1979, sous le titre «Problèmes
d’intertextuali-té», était tout entier consacré à cette méthode
d’analyse. La définition del’intertextualité proposée par H.
MARTIN, op.cit., p. 64, n. 2, me semblepréférable à celle formulée
dans Semeia 80 (1997), consacré à ce thème:«nous entendons par ce
terme l’ensemble des procédés de citation, appro-priation,
infléchissement et manducation des énoncés d’autrui»; et p.
65,«toutes ces opérations contribuent à accorder le message
originel aux exi-gences du présent (…) Il s’agit donc d’une
opération active.»29.Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982. J.-D.
KAESTLI, «La littérature apo-cryphe peut-elle être comprise comme
«une littérature au second degré»,dans Intertextualités, éd.
D. Marguerat et A. Curtis, Genève, Labor et
Fides, 2000, p. 288-304, vient d’en fournir une analyse suivie
d’uneréflexion fort utile.30. Art. cité supra n. 27;
« Actes de Paul et Actes canoniques: un phéno-mène de
relecture», Apocrypha 8 (1997), 207-224.31. Voir sur ce sujet
E. JUNOD, «Polymorphie du Dieu sauveur», dansGnosticisme et monde
hellénistique: Actes du Colloque de Louvain-la-Neuve, 11-14 mars
1980, Publication de l’Institut orientaliste de Louvain27, 1982, p.
31-46. Il s’agit d’expliquer la vision du Seigneur exprimée par
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foi des frères» et renforcer la confiance dans le témoignage
apos-tolique de celui qui a vu, entendu, et tenter de toucher
l’insaisis-sable (88-93). La trame évangélique utilisée à cette
fin, bien quetransformée, se laisse en effet reconnaître à travers
la référenceau choix des premiers disciples, à la Transfiguration,
à l’invitationchez un pharisien, et à la multiplication des
pains32. À titre de com-paraison, c’est ce même travail de
relecture qu’opère Théodoretdans son Histoire ecclésiastique, plus
d’un siècle et demi après cellede son confrère, Eusèbe de Césarée,
dont il utilise l’œuvre, fon-datrice du genre, dans un contexte
historique et théologique dif-férent33. Selon la juste remarque de
F. Bovon34, tout en admirantleurs prédécesseurs, ceux qui les
utilisèrent ne s’en sont pas sentispour autant stérilisés.
Ainsi, dans les séquences consacrées aux séjours de Paul et
deJean à Éphèse dans leurs Actes respectifs ( AcPaul IX,
11-27; AcJn37-43), ne serait-il pas possible d’entendre comme
un écho desActes canoniques (19, 23-40), derrière le glissement
opéré dans lesdeux récits. Je résume la démonstration de manière
succincte encommençant par les Actes de Paul :
Paul suscite «une rumeur croissante dans la ville» à cause de
saprédication; conduit au théâtre, il prononce un discours devant
le proconsul romain35, disant: «Vos dieux sont des idoles
vides, ils
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 19
Drusiane juste avant (87), impliquant un vieillard sous les
traits de l’apôtre(cf. 27), et un jeune homme, vision qui a laissé
les frères «perplexes» parcequ’ils n’étaient «pas encore affermis
dans la foi». Jean va donc dévelop-per le thème, en utilisant ses
propres visions pour mettre en évidence l’uni-cité de Dieu et son
caractère insaisissable, à la fois humain et divin (cf.
AcPe, 20; AcThom, 153; 47 et 48). Utilisé à un moment
où la christolo-gie est encore balbutiante, ce thème disparaît par
la suite.32. Mt 4, 18-22; 17, 1-2, et //; Lc 7, 36; Mt 14, 14-21,
et //.33. J’en donnerai seulement un bref exemple: Hélène, qui,
chez Eusèbe,Vita Constantini, III, 47, 2, est convertie par
Constantin, devient celle quiconvertit son fils chez Théodoret, I,
18, 1. L’historien ne peut se conten-ter de constater cet écart,
d’autant que ni Socrate, son devancier, ni Sozo-mène, son
contemporain, eux aussi utilisateurs d’Eusèbe, ne l’ont com-mis. Il
doit tenter d’en rendre compte. En exaltant ainsi, par
cetteinversion, la «mère d’un si beau fils», celle «qui a mis au
monde cettegrande étoile et lui a donné la nourriture de la piété»,
l’évêque de Cyr,
relecteur d’Eusèbe, en fait implicitement presque l’égal de la
Théotokos,en un temps où Constantin est lui-même l’objet d’un
culte.34. «Réception apocryphe de l’Évangile de Luc et lecture
orthodoxe desActes apocryphes des Apôtres», Apocrypha 8
(1997), 137-146, spéc. p.142.35. La transposition sur le proconsul,
gouverneur de la province et repré-sentant de l’autorité romaine,
du discours implicite de Paul aux Éphésiens(Ac 19, 26) peut
s’expliquer par la situation des chrétiens au 2ème siècle,
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sont faits de pierre et de bois»; ceci, en écho au discours de
Démé-trios (dans les canoniques) dénonçant devant les orfèvres ce
quedit Paul niant le titre de «dieux (à) ceux qui sont sortis de la
maindes hommes»36, sans que le nom d’Artémis soit cependant ici
pro-noncé. Le gouverneur, s’adressant aux Éphésiens, leur dit:
«Déci-dez donc vous-mêmes ce que vous voulez faire», tel Pilate aux
Juifsdurant le procès de Jésus (Lc 18, 31, et //); le narrateur met
ici lepouvoir romain hors de cause avec le même présupposé
favorableque dans les Actes. Les orfèvres dirent: «Jetez-le aux
bêtes»37. Un
grand tumulte se produisit ; Paul fut donc emprisonné
puis conduitau stade38. Tiré d’affaire grâce au miracle de la
grêle, il quitte lestade et s’embarque pour la Macédoine (cf.
Ac 20, 1). Les italiquessont autant de petits cailloux rappelant le
texte-source (ou la tra-dition orale?), dont on peut apprécier la
transformation et la relec-ture. À partir des trois discours des
Actes, celui (implicite) de Paulà la foule, en partie rapporté dans
celui de Démétrios aux orfèvres,qui déclanche l’émeute, et celui
du grammateus au théâtre, l’ano-nyme a entièrement reconstruit
une histoire destinée à «affermir»ceux qui l’entendront, dans
laquelle les protagonistes peuvent être
comparés à ceux mis en scène dans les premiers Actes de
martyrs:le gouverneur, la foule ou le groupe de ceux dont les
intérêts sontmis en cause (les orfèvres à Éphèse; les bouchers à
Nicomédie autemps de Pline (Ep. X, 96, 10) et le martyr39.
en un temps où les Apologistes s’adressent eux mêmes directement
auxempereurs. Dans son discours au théâtre, du reste,
le grammateus renvoieDémétrios et ses collègues au tribunal du
proconsul (Ac 19, 39).36. Ac 19, 26; reprenant le discours
d’Étienne, Ac 7, 48.37. Cf. Martyre de Polycarpe, 12, 2;
Tertullien, Apologétique, XL, 1, «leschrétiens aux lions!»,
devenu la forme d’expression du mécontentementpopulaire.38. C’était
au stade en effet que, faute d’amphithéâtre, comme c’était lecas à
Éphèse et à Smyrne (Martyre de Polycarpe, 6, 2; 8, 3; 11; 12, 2)
sedéroulaient les combats d’animaux. Reconstruit au temps de Néron,
il setrouvait au Nord de la ville près de la porte de Coressos. Le
combat contreles bêtes livré à Éphèse évoqué par Paul dans 1Co 15,
32, que connaîtl’anonyme, ne me semble pas devoir être interprété
comme une méta-phore, comme le font certains exégètes que ce texte
embarrasse, appa-remment. Quand bien même le statut de citoyen
romain de Paul aurait
dû le préserver de ce genre de supplice, le chrétien reste à la
merci de ladécision du gouverneur comme le montre la lettre des
martyrs de Lyonde 177 avec le cas d’Attale, citoyen lui aussi,
livré aux bêtes «pour êtreagréable à la multitude», Eusèbe, HE V,
1,44; 47; et 50.39. Voir par exemple le Martyre de Polycarpe (cité
nn. précédentes), de155 ou 167. Sur ce fond d’histoire, s’en
inscrit une autre, celle de la conver-sion de la femme du
gouverneur, destinée, elle aussi, à montrer la convic-tion de la
réussite du christianisme.
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Jean, quant à lui, se rend au temple d’Artémis40 le jour
anniver-saire de la dédicace, et dénonce, en tant que «serviteur du
dieuunique (dou/l% tou= mo/nou qeou=)», la déesse ( AcJn
37-39). Aprèsl’ordalie qui établit la victoire du dieu de Jean, la
foule des Éphé-siens s’écria: «Unique est le dieu de Jean! Unique
est le dieu quinous fait miséricorde! Toi seul es Dieu!»(42)41. Il
y a là, semble-t-il, comme une réponse en écho à l’acclamation:
«Grande estl’Artémis des Éphésiens!»42, poussée d’abord par les
orfèvres (Ac19, 28) – non mentionnés dans les Actes de Jean -
puis par la foulependant deux heures au théâtre (Ac 19, 34). Dans
les Actes de Jean,la concurrence des cultes joue en faveur du
dieu chrétien. L’auteuranonyme a en effet inversé la situation des
Actes canoniques enfaisant basculer la foule du côté du «dieu de
Jean», signe d’untemps – un siècle plus tard - où le christianisme
est en pleine expan-sion et le fait savoir.
De cette lecture en écho ressort l’existence à Éphèse au
deuxiè-me siècle de traditions locales différentes, et sans doute
en com-pétition, entre communautés pauliniennes et communautés
johan-niques. À la fin de l’ordalie qui donna la victoire au dieu
de Jean,
l’auteur fait tenir à l’apôtre un bref discours qui pourrait
être inter-prété comme un discours de fondation ( AcJn 45-46).
Et l’on peutconclure au caractère fécond du jeu de la parenté -
plus ( AcPaul )ou moins ( AcJn) proche - et de
l’écart, proposé par Margueratcomme outil d’interprétation de ces
écrits apocryphes. Chacun des
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 21
40. Le texte dit que Jean «monta (a)n$/ei) au temple» (38, dans
CCSA 1,
p. 219). Il n’y a cependant pas lieu, me semble-t-il, d’en tirer
argument,comme le font les éditeurs (ibid., 2, p. 500-503; 691),
pour écarter l’hypo-thèse d’une éventuelle origine asiate de ces
Actes dont il est trop évidentque les realia ne sont pas le souci
principal. Pour rendre plus efficace ladémonstration, l’image, en
effet, est réduite à l’essentiel: le temple, la sta-tue, le prêtre.
Les quelques degrés d’accès au temple grec, que l’on peutencore
voir sur les monnaies, faute de restes archéologiques, suffisent
àl’auteur pour évoquer une montée vers le lieu sacré, quand bien
mêmecelui-ci se trouvait, comme on sait, dans un endroit marécageux
en contre-bas de la ville. Les Auvergnats, comme les Bretons, ne
continuent-ils pasde «monter» à Paris?41.. Ei(=j qeo\j I)wa/nnou
ei(=j qeo\j o( e)lew=n h(ma=j, o(/ti su\ mo/noj qeo/j.
Cf. Actes de Paul , IV, 13; XI, 1; Actes de Pierre,
26; 27.42. On rapprochera ces acclamations des arétalogies et des
inscriptionsexaltant la grandeur de quelques divinités comme
Sérapis, Zeus ou As-klépios, bénéficiaires de l’évolution
religieuse commencée au premiersiècle. Il en va de même pour la
formule Ei(=j qeo/j utilisée par certainsfidèles pour honorer ces
grandes divinités dont on attend, comme du dieuchrétien, puissance,
écoute attentive et efficacité.
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narrateurs cherche à faire œuvre nouvelle pour répondre à
desbesoins nouveaux, tout en conservant l’écho d’une
tradition43.
Les Actes dans l’histoire du christianisme: une pratique en
ruptureavec le monde extérieur et une pédagogie efficace pour
tous.
Bien qu’il s’agisse d’œuvres de fiction, les Actes apocryphes
lais-sent percevoir quelques éléments de la vie des communautés
danslesquelles ils ont été produits, des éléments qui en font un
groupeà part et qui renforcent plutôt ce que l’on entrevoit par
ailleurs
dans les textes des auteurs chrétiens du deuxième siècle. Ils
mani-festent la rupture opérée par la foi au monothéisme chrétien,
unefoi qui a sans cesse besoin d’«être affermie», ce à quoi
s’emploiel’apôtre, missionnaire et prédicateur. L’importance, dans
ces Actes,des notables, hommes et femmes, remarquée par les
commenta-teurs, est loin de constituer une anomalie dans la seconde
moitiédu 2ème siècle44. Déjà sensible dans les Actes canoniques,
elle tra-duit la position «installée» ou en voie de l’être des
chrétiens decette époque, certes encore une minorité dans l’empire
romain45,en même temps que l’attirance pour les exigences morales
et spi-rituelles de cette couche de la société. L’«installation»
dans lemonde de cette minorité sociologiquement et spirituellement
signi-ficative est cependant toujours susceptible d’être remise en
causepar la population et/ou les autorités politiques locales46. Si
le Dieuqui leur est proposé est «non pas un homme mais un Dieu
unique,sauveur, bon et miséricordieux, le vrai Dieu, Jésus Christ»,
commel’affirment à plusieurs reprises les Actes de Jean et
ceux d’André47,c’est sans doute que la christologie n’est pas
encore clairement for-mulée dans toutes les Églises, comme les
éditeurs l’ont fait remar-
quer, mais il y a plus, me semble-t-il. Cette insistance mise
sur l’ex-clusivité du Dieu chrétien, Dieu unique et universel, dont
la seule
43. Ceci expliquerait qu’on ne retrouve pas par exemple le même
itiné-raire missionnaire de Paul (v. W. RORDORF, Les Actes de
Paul , dans Écritsapocryphes chrétiens, I, p. 1117-1125, spéc.
1119-1120), bien que les villescitées, à trois exceptions près,
soient présentes dans les deux textes.44. Ces notables sont ceux
des cités grecques d’Orient. Les chapitres 3 et30 des Actes de
Pierre mentionnant des sénateurs, matrones et chevaliers
romains, sont dus à un remaniement postérieur, v. l’introduction
de G.POUPON, dans Écrits apocryphes chrétiens I, p. 1042.45. On
note également la présence de membres de la familia
Caesaris, AcPaul , XIV, 1; AcPe, 3 (interpolés).
Ceci n’a rien de surprenant sous lesAntonins, voire même sous
Domitien, le judaïsme ayant largement pré-paré le terrain comme le
montre Flavius Josèphe, y compris à Rome.46. Cf. par ex.
AcPaul III, 14, 16, 21; IV, 2; IX, 11; XI, 1; AcJn
103.47. AcJn, 104; 107; AcAnd, 25; 29; 63.
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distinction avec la croyance juive est Jésus Christ, témoigne de
ceque la nouvelle religion, qui recrute désormais dans le
monde«païen», doit nettement se démarquer de l’hénothéisme
ambiantdes philosophes, susceptible d’avoir imprégné ces nouveaux
conver-tis, et ce d’autant plus vigoureusement que la religiosité
polythéisteallait dans le sens d’une certaine indistinction
manifestée par la
juxtaposition des noms de divinités parmi les plus grandes
(soitune quinzaine), dont les épiclèses, exprimant la puissance et
labienveillance 48, étaient en partie les mêmes que celles
utilisées parles chrétiens pour qualifier leur Dieu.
Ces notables accueillent l’apôtre et les frères dans leur
maison,à Iconium, à Éphèse, à Patras (en l’absence du mari, resté
païen,qui est aussi proconsul de la province), à Rome49, comme déjà
autemps des premiers disciples à Jérusalem et de Paul dans la
dia-spora. Il en sera ainsi jusqu’à la fin du deuxième siècle où
com-mencent seulement d’apparaître les premiers lieux de culte
sépa-rés. C’est là que l’apôtre prend la parole pour expliquer
lesÉcritures et que se déroule l’assemblée liturgique, de manière
com-parable à ce que décrit Justin50, avec homélie, prières,
eucharistie,
imposition des mains, ainsi que le baptême suivi de
l’eucharistie51
.
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 23
48. Voir supra n.42; à quoi on ajoutera kurios, seigneur,
hupsistos, trèshaut, ou encore sôter , sauveur, parmi les
plus répandues. Ces épithètescomptaient plus que les divinités,
variables selon les régions et les tradi-tions locales, auxquelles
elles étaient attribuées, et dont on pouvait, à songré, associer
les noms, comme dans cette inscription de Carthage (2èmes.) à «Zeus
Hélios Grand Sérapis qui es tous les dieux»; R. MAC MUL-LEN, Le
paganisme dans l’empire romain, traduction française A. Spicquelet
A. Rousselle, Paris, PUF, 1987, p. 124-152; N. BELAYCHE,
Contributionà l’étude du sentiment religieux dans les provinces
orientales de l’empireromain aux premiers siècles de notre ère. Les
divinités (/Uyistoj , thèseParis-Sorbonne,
1984.49. Maison d’Onésiphore, AcPaul , III, 4-6;
d’Aquilas et de Priscille, ibid.IX, 1; maisons de Lycomède et
d’Andronicus, AcJn 25-26; 46; 62; cf.106; maison de
Maximilla, AcAnd, 6, 1; 13, 1-5; maison du prêtre
Narcis-se, AcPe, 13; ainsi que la somptueuse domus du sénateur
Marcellus, 19-20;sur ces domus urbaines aux 1er et 2ème siècles,
outre les fouilles dans plu-sieurs villes d’Orient, v. W. ECK, Cum
dignitate otium. Senatorial domus inImperial Rome, Scriptura
Classica Israelica 16 (1997), 167-190; J. P. GUIL-HEMBET, «Les
résidences aristocratiques de Rome du milieu du 1er siècle
av. n. è. à la fin des Antonins», dans La ville de Rome sous le
Haut Empi-re, nouvelles connaissances, nouvelles réflexions,
colloque organisé par l’EFRet la SOPHAU, Rome 5-8 mai 2001, Pallas,
55, 2001, 215-241, p. 227-236.50. Cf. 1 Apol. 67 et AcJn
46.; AcPe, 13; 20; AcThom, 59, 2. W. RORDORF,Liturgie,
foi et vie des premiers chrétiens, Paris, Beauchesne, 1986.51.
1 Apol . 65-66; AcPaul V, 1, IX, 20, XIV, 7,
sous le nom de sceau dansle Seigneur ; cf. AcAnd
10; AcPe 5 (cf. AcPaul XIII, 1); AcThom
26-27;121, 1-3; 132 et 133.
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A. MARTIN24
Le terme de «catéchumène» est cependant rarement mention-né52.
De même, le dimanche, jour du Seigneur , qui apparaît
pourla première fois dans l’Apocalypse (1, 10)53 figure à
plusieursreprises dans les Actes mais non de manière
systématique54; et lafête de la Pentecôte est explicitement
mentionnée dans les Actesde Paul 55.
Dans ces écrits, affleure aussi la question de la pénitence; le
par-don des fautes passées, témoignage de la miséricorde divine,
consti-tue même un des thèmes importants des Actes de Pierre56
qui fontallusion à une forme de liturgie pénitentielle (10). Mais
ce pardonn’est pas réitérable, explique l’apôtre Jean, comme le
fait Her-mas57. Le «rigorisme» qui se développera un siècle plus
tard danscertaines Églises à partir de la persécution de Dèce avec
la situa-tion des lapsi et qui troublera durablement la vie des
communau-tés ne porte encore que sur la réitération.
La conversion s’accompagne d’un changement de vie, le plus
sou-vent marqué par la continence pouvant aller jusqu’à la
chastetéentre époux, conformément à un courant très présent dans la
socié-té58. Les références ici sont nombreuses et la question trop
étudiée,
y compris celle de l’encratisme, pour qu’il soit nécessaire de
la déve-lopper ici. Cependant, sur ce choix de la continence, il
convient designaler l’étude récente de Jean Bouffartigue59
concernant le romande Leucippé et Clitophon qui s’achève sous le
signe de la protec-tion d’Artémis à Éphèse. L’atmosphère hédoniste
et plutôt scep-
52. AcPaul , IX, 4; Tertullien, Praescr. 41, figure
parmi les premières occur-rences.53. Cf. Didachè, 14, 1; Ignace
d’Antioche, Aux Magnésiens, 9, 1.54. AcPaul , IX,
19; AcJn 106; AcAnd, 13, 1; AcPierre (fille de P et
Pto-lémée); 29, mais quelques lignes après: «le lendemain du
sabbat»; 30;mais en 7, «la première journée de la semaine»,
cf. AcThom, 29, 1. Jus-tin, 1 Apol. 67, s’adressant à des
païens, parle du « jour du Soleil», maiss’empresse d’expliquer que
c’est «le premier jour où Dieu créa le monde»et celui où
«Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita des morts».55. IX, 4 et 14;
cf. Ac 20, 16.56. 2 (interpolés); 7; 28; cf. AcJn 54; 81; 107;
et AcThom, 38. La présen-tation des ralliés à Simon comme
étant des chrétiens apostats (4 , «caté-chisés récemment», 6, «les
frères objets de scandales», 7, «les frères dis-
persés») est le fruit d’un remaniement des Actes de Pierre.
De manièregénérale, les «fautes passées» sont celles commises avant
le baptême.57. AcJn 107; cf. Hermas, Vision II, 2, 4.58. Cf
Hermas, Vision, II, 2, 3 et AcJn, 63.59. «Un triangle
symbolique: Éros, Aphrodite et Artémis dans le romande Leucippé et
Clitophon», dansO°PWRA La belle saison de l’hellénis-me, Études de
littérature antique offertes au Recteur Jacques Bompaire,Presses de
l’Université de Paris-Sorbonne, 2001, p. 125-138.
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tique à l’égard des dieux qui y règne peut paraître a priori aux
anti-podes des «romans» apocryphes chrétiens. Pourtant l’héroïne,
Leu-cippé, «subit une complète métamorphose spirituelle» après
«lavisite en songe d’Artémis l’engageant à rester vierge jusqu’au
maria-ge», au point qu’elle renoncera au mariage (fin
traditionnellementattendue dans ce genre de récit), pour choisir
librement de se consa-crer à la divinité. Le choix de vie du
mariage n’est toutefois pasdévalorisé, il reste «une option
possible», comme le montre Méli-tè. Outre son intérêt propre comme
témoin de la culture ambian-te aux côtés de Plutarque et des
stoïciens, un tel récit fait mieuxapprécier l’attirance exercée par
le christianisme sur les femmes dela bonne société, cultivées et
exigentes, par le changement de com-portement auquel certaines
d’entre elles étaient en quelque sortedéjà préparées60. Comme le
constate déjà la Seconde épître de Clé-ment (13, 3), ce n’est
pas seulement la transcendance divine et labeauté des hymnes qui la
chantent dont s’émerveillent les païensmais la conduite de vie qui
en découle. Cette réflexion est à rap-procher du rapport fait par
un de ses esclaves au proconsul Égéa-te sur la transformation de sa
femme et de son frère Stratoclès
depuis qu’ils ont suivi la prédication de l’apôtre André: «Tous
deuxconfessent qu’il n’y a qu’un seul Dieu, celui qu’ils ont connu
parlui, et qu’il n’y en a pas d’autre sur la terre. Mais écoute
encore ceque ton frère fait de plus insensé que tout. Lui qui est
d’une si hautenaissance et qui est très illustre en Achaïe (…), il
apporte lui-mêmesa fiole d’huile au gymnase. Lui qui a de nombreux
esclaves se sertlui-même; il achète légumes, pains et tout le
nécessaire, qu’il trans-porte à pied à travers la ville sans la
moindre honte, au vu de toutun chacun.»61 L’invitation à vivre dans
la chasteté après le baptê-me répond au désir de se défaire des
liens de ce monde pour n’êtreplus qu’à Dieu seul62. Le courant
apocalyptique reste, comme onsait, vivace au 2ème siècle, à preuve
le montanisme.
La pratique du don aux pauvres relève également du change-ment
de comportement entraîné par la conversion. Elle est men-tionnée
dans les Actes de Pierre et dans ceux de Thomas63. Le don,dans
ces deux écrits, est mis en relation avec les veuves dont on
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 25
60. Voir également l’analyse de Judith D. PERKINS, «This world
or ano-
ther? The intertextuality of the greek romances, the Apocryphal
Acts andApuleius’Metamorphoses», Semeia 80 (1997),
247-260.61. AcAnd, 25, 3-5.62. AcJn, 113; AcAnd,
23, 4; 33, 2-6; AcPaul , IX, 9, le lion baptisé
sedétourne de la lionne, dans lequel on peut voir une sorte de
conte allé-gorique.63. AcPe, 17 (dons d’Eubola à Simon qu’elle
a reçu «comme un serviteurde Dieu», «pour l’assistance aux
pauvres»); 29 (don pour les veuves);
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A. MARTIN26
sait combien, depuis les Épîtres pastorales (1Tm5, 9, 10),
ellesconstituaient, pour les communautés qui les ont très tôt
organi-sées, une préoccupation, héritée, du reste, de la synagogue.
Dansles Actes de Pierre qui y reviennent avec insistance,
ces«anciennes», parfois associées aux orphelins et aux pauvres,
sontprises en charge par un riche sénateur, Marcellus, qui leur
tientlieu de patron en quelque sorte, mais aussi par les frères de
la com-munauté64. Comme dans la Lettre aux Smyrniotes d’Ignace
d’An-tioche (13, 1), leur nom est associée à celui de «vierges du
Sei-gneur»65; il faut sans doute voir là une allusion au rejet
dessecondes noces et à la chasteté requise pour faire partie de ce
grou-pe. Les Actes de Jean montrent l’apôtre particulièrement
sensibleaux femmes âgées et malades d’Éphèse (30-33), qui sont
aussi, àn’en pas douter, des veuves.
Pour l’historien, il devrait donc aller de soi que les écrits
apo-cryphes constituent, parmi d’autres, une source non
négligeabled’information sur les interprétations et les
sensibilités à l’intérieurdu christianisme ancien, sources que
certains continueront sans
doute d’appeler marginales, et que pour ma part je qualifierais
plusvolontiers de latérales, laissant ainsi ouverte leur
intégration, à desdegrés divers, dans la documentation
traditionnellement reconnue.
L’écart entre littéraires et historiens se réduit ainsi de plus
enplus, ce dont on ne peut que se réjouir. Si les uns sont plus
sen-sibles à l’histoire des textes, aux effets de langue et à la
stylistique,et les autres aux realia qui permettent d’ancrer le
document dansun espace et un temps donnés, les deux convergent ici
vers le mêmebut: comprendre les processus qui ont fait émerger une
religionnouvelle en rupture avec le polythéisme ambiant, et permis
d’as-surer sa diffusion dans le monde gréco-romain et jusque dans
sesmarges. Ils se heurtent aux mêmes difficultés de datation,
d’attri-bution à un milieu de production et à des destinataires
précis. Touten respectant leurs sensibilités propres, c’est donc de
plus en plusensemble qu’ils doivent continuer d’œuvrer à l’étude de
ces textesencore loin d’avoir dit leur dernier mot. Car, sous
l’anecdotique etla légende, la plage des interprétations peut se
prolonger à l’infi-ni. Aucune approche n’est à écarter. Mais
l’historien des mentali-
30, (don de la prostituée, Chrysè, au surnom symbolique); ces
deux der-nières mentions relèvent cependant d’une pratique
exceptionnelle. AcThom, 59, 1, «pour le soulagement des
veuves» à qui sont fournis régu-lièrement nourriture et
vêtements.64. AcPe, 8 (veuves, orphelins, pauvres); 17
(pauvres); 19; 21; 22; 28; 29.65. 22; cf. 29, «vierges du
Christ».
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tés doit «se résigner à une évidence: engagée dans des
chemine-ments complexes, où toute question en appelle une autre, où
ledocument lui-même est mis en cause», cette histoire «ne
peutaboutir qu’à des résultats fragmentaires»66. Pratiquement
inutili-sables dans le champ de l’histoire au sens traditionnel,
les textesapocryphes s’inscrivent parfaitement dans cette «histoire
restreintedes mentalités» qu’Alain Boureau appelait de ses vœux, il
y amaintenant plus de dix ans67 .
L’HISTORIENNE ET LES APOCRYPHES 27
66. H. MARTIN, Mentalités médiévales, I, p. 76.67. «Propositions
pour une histoire restreinte des mentalités», AnnalesESC 44
(1989), 1491-1504, cité par H. Martin, ibid. p. 24.
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Apocrypha 13, 2002, p. 29 - 52
Mitzi Jane SMITH Harvard University, Cambridge,
Massachusetts1
UNDERSTAND YE A PARABLE!:THE ACTS OF PETER
AND THE TWELVE APOSTLESAS PARABLE NARRATIVE
L’article tente de définir le genre littéraire des Actes de
Pierre et desdouze Apôtres comme un récit parabolique. De par sa
structure, le textecontient tous les éléments constitutifs des
récits paraboliques tels qu’on lesrencontre dans les Évangiles
canoniques et ailleurs. Seule cette identifica-tion des Actes comme
récit parabolique permet d’en opérer une lecturecohérente. Tant la
structure du document que le contenu narratif imposent cette
manière de lire. Chemin faisant, le “lecteur implicite” accepte les
indices
narratifs disposés dans le texte par l’“auteur implicite”. Le
récit suggère quela parabole “se niche” parmi les “arbres” de la
forêt desActes de Pierre etdes douze apôtres.
This paper attempts to identify the literary genre of theActs of
Peter andthe Twelve Apostles as a parable narrative. Structurally
it contains all theconstituent elements of many parable narratives
found in the canonical gospels and elsewhere. It is the
identification of ActsP12 as an organic parable narrative with
all the necessary components of such a literary des-ignation that
supports a cohesive reading of the text. A cohesive reading
of the text is both informed by the literary structure of the
text, which is imposed
by the genre, as well as by its narrative content. The text is
read from the perspective of the “model reader” who accepts
the narrative clues of the“model author,” namely the text itself,
at face value. According to the text,a parable “lurks” in the
literary “woods” of ActP12.
The apocryphal Acts of Peter and the Twelve Apostles2
(“ ActP12”) is in several respects reminiscent of and
analogous tothe canonical Acts of the Apostles (“ Acts”)
and the pearl merchant
1. I am grateful to Harvard University Professors François Bovon
andKaren King, and my colleague Philippa Townsend for taking the
time toread critically this essay and to offer their very
insightful comments andsuggestions.2. The Acts of Peter and
the Twelve Apostles is one of about 52 Coptic trac-tates discovered
in a jar at Nag Hammadi, Upper Egypt in 1945. This doc-
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M. J. SMITH30
tradition in the canonical Gospel of Matthew (“Matthew”) and
inLogion 76 of the Gospel of Thomas (“GosTh”). In fact, one
couldconsider ActP12 as a sort of midrashic expansion of the
pearl mer-chant tradition. As an extended narrative of the pearl
merchanttradition, ActP12 articulates a cohesive
christological message of which asceticism is a fundamental
motif. In Matthew and in theGosTh, the merchant sells her/his
cargo, everything that he/sheowns, in order to purchase a pearl of
great price. However, in
ActP12 the merchant (later identified as Jesus) is already
in pos-session of the pearl, and it is the apostles who must rid
themselvesof everything to obtain the pearl. This ascetic behavior
is evincedin ActP12 when the apostles are required to strip
themselves of clothing, food, water and every earthly
possession in preparationfor their journey. Although all three
texts contain a “seeking”motif, in GosTh and ActP12, the
seeking and endurance motifs arelinked. The GosTh version adds an
injunction, “You also, seekafter his treasure which does not perish
(but) endures.”3 UnlikeMatthew and GosTh, the apostles
in ActP12 are told how they areto seek. Endurance is more than
an abstract idea in ActP12. The
successful completion of the apostles’s journey is a
demonstrationof endurance – the seeking can only result in the
possession of thepearl if the apostles endure the hardships, which
is accomplishedby their stripping themselves bare and fasting.
The titles of both ActP12 and the canonical Acts of
the Apostlesare somewhat misleading as they only partially reflect
the narra-tive content. In the canonical Acts, the deeds of
two individualapostles, Peter and Paul, are the central focus of
the work, ratherthan the acts of the entire group of apostles.
Similarly, the Apos-tle Peter dominates the narrative
of ActP12, granting only a sup-porting role to the other ten
apostles ( see 9,20- 21). Journey is cen-tral to both
narratives. In Acts, the apostles travel toward the end
ument is the first of eight in Codex VI of the Nag Hammadi
Coptic Gnos-tic Library (NHCL). According to Hans-Martin Schenke
there is no indi-cation of any kind as to the origin
of ActP12. As to dating, the tractatecould possibly have come
into existence in the 2nd century C.E. Hans-Mar-tin Schenke, “The
Acts of Peter and The Twelve Apostles,” New Testa-ment Apocrypha,
Vol. II (Louisville, Kentucky: Westminster/John Knox
Press, 1991) 412-425. It is noteworthy that although the title,
which appearsat the end of the Coptic tractate, mentions 12
apostles, the total numberof apostles accounted for in the text is
only 11 (9,20-21).3. In the synoptic tradition we find a similar
theme. Jesus admonishes hisdisciples to seek (first) the/his
kingdom (of God and his righteousness)and to store up treasures in
heaven where they are not consumed by mothsor rust nor are they
stolen by thieves. See Mark 10:21; Matthew 6:19-20,33; Luke 12:31,
33-34.
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of the earth, and the narrative journey ends in Rome;
in ActP12the apostles travel to Lithargo∏l’s city in search of
the pearl, andthe odyssey ends in his “hometown.”
Form critically, one can identify the canonical Acts as an
“Hel-lenistic historical monograph” composed of several narrative
tra-ditions (including “we-sections”), Lucan speeches, connective
sum-maries, and Hebrew Bible and/or Septuagint quotations.4
Ratherthan a composite of several narratives, I argue
that ActP12 is a uni-tary literary genre, which can be
characterized as an organic para-ble narrative.5 Such an
identification is indispensable for a coher-ent interpretation of
the story.6 The structure of ActP12 can be
THE ACTS OF PETER AND THE TWELVE APOSTLES 31
4. See, Joseph Fitzmyer, S.J., The Acts of the Apostles
( AB: New York,Doubleday , 1998 ) esp. 127. Hans
Conzelmann, Acts of the Apostles: ACommentary on the Acts of
the Apostles ( Philadelphia, Penn.: FortressPress, 1987) esp.
xl-xliv; Henry J. Cadbury, The Making of Luke-Acts(Peabody, Mass.:
Hendrickson Publishers, 1999).5. By “organic” I do not want to
imply that it is self-contained or inde-
pendent of other texts. I argue that ActP12 in its final
form, although devel-oped in dialogue with other texts, whether
oral or written, has a system-atic coordination of parts. Schenke
asserts that although the contradictionsand absurdities are
persuasive in ActP12, it functions as a self-containedunit, a
vulgar-Christian composition of a candidly surrealistic
character.He argues that ActP12 was developed in principle
through the historiciz-ing of a visions account or an allegory. The
visions aspect is especially clearin the scene where Peter sees the
city in the sea surrounded by waves andwalls. Hans-Martin Schenke,
“Die Taten des Petrus und der zwölf Apos-tel,” ThLZ 98 (1973)
13. Guillaumont says that ActP12 seems to present,from a
literary point of view, a real unity. He observes that ActP12
has
conspicuously romantic characteristics in common with an
edifyingromance novel, such as adventures, sea voyages, shipwreck
on an island,arrival at an unknown city, encounters with mysterious
individuals whosetrue identify is revealed later in the narrative.
Antoine Guillaumont, “Denouveaux Actes Apocryphes: les Actes de
Pierre et des douze Apôtres,”Revue de l’histoire des religions 196
(1979) 142, 145.6. See Margaret Mitchell, Paul and the Rhetoric of
Reconciliation: AnExegetical Investigation of the Language and
Composition of 1 Corinthi-ans (Tübingen: Mohr, 1991). Here,
Mitchell undertakes a similar endeav-or with respect to 1
Corinthians. Unlike some scholars, Mitchell does nottake the
literary unity of 1 Corinthians for granted but intentionally
argues
for its unity. She argues that the issue of the compositional
integrity of 1Corinthians is primarily a literary question.
Mitchell’s methodologicalapproach is rhetorical criticism as
espoused by Hans Dieter Betz, whichamounts to a comparative
analysis of 1 Corinthians with ancient Greco-Roman rhetorical forms
as gleaned from the handbook of rhetoric as wellas actual examples
of contemporaneous first century C.E. rhetorical let-ters,
speeches, etc. Mitchell stresses the importance of first
identifying thespecies of the genre, which, in the case of 1
Corinthians, she characterizes
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compared with other parable narratives based upon a
delineationof the constituent elements. Once the prerequisite
designation of
ActP12 as a parable narrative is accomplished, I proceed
to ananalysis of the text.
In his book Six Walks in the Fictional Woods, Umberto Ecoemploys
“woods” as a metaphor for the fictional narrative text (orfor any
narrative text). One can either get lost in the woods or fol-low
the clues of the model author, which directs the model readerin
her/his journey through the woods. The model author is not
thenarrator, but the so-called text, its style, language and
structure.“The voice [of the model author] is manifested as a
narrative strat-egy, as a set of instructions which is given to us
step by step andwhich we have to follow when we decide to act as
the model read-er.”7 In assuming the role of the “model reader” and
taking thetext of ActP12 as the “model author,” I will render
a cohesive read-ing of the narrative based upon the clues inscribed
in the text.
Most scholars argue against the existence of a parable in the
textof ActP12. Stephen Patterson asserts, “this text contains
no para-bles.” 8 If one reads the text from the perspective of the
model
reader, taking seriously the clues in the text, one would be
con-vinced that a parable, albeit not entirely conventional in
form, lurksin the midst of the narrative woods. When Peter asks the
Lordwhere they (the apostles) would obtain the resources to take
careof the poor, the Lord answers, “O Peter, it was necessary that
youunderstand the parable that I told you!”(10,20-25). According
tothe text, the Lord communicated the parable only to Peter.
Sincethe text accounts for a total of 11 apostles, including Peter
(9, 20-21), ten of them were absent when Jesus related the parable
toPeter ( see Acts1:15-26). We must locate the place in the
narrativewhere the merchant/Lord conveys a parable only to Peter.
Thistakes us to the beginning of the text where Peter, leaving his
trav-eling companions at the shore, encounters Lithargo∏l in the
cityselling pearls (2,10-3,34).
It is generally agreed that ActP12 is a composite text,
drawingupon several sources. Patterson argues that ActP12 is a
travel nar-
as deliberative discourse or argumentation. She maintains, that
“The des-ignation of the rhetorical genre or species of a New
Testament text as epi-
deictic, deliberative or forensic cannot be begged in the
analysis. It mustbe demonstrated and supported before the
compositional or structuralanalysis proceeds,” which is what I
attempt to do with my analysis of ActP12. Ibid.
11.7. Umberto Eco, Six Walks in the Fictional Woods (Cambridge,
Mass.:Harvard University Press, 1994) 15.8. Stephen Patterson,
“Sources, Redaction and Tendenz in the Acts of Peter and
the Twelve Apostles,” Vigiliae Christianae 45 (1991) 5.
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rative which takes its basic structure from the “I, Peter
Source,”originally a “myth of apostolic origins.” He theorizes a
three-source hypothesis for ActP12 based on voice shifts in
the narra-tive. ActP12 consists of (1) an “I, Peter Source,”
which can bedetected at 1,1-3,11 and 5,5-8,9, originally Peter’s
encounter withLithargo∏l; (2) a “Third Person Source” characterized
by the thirdperson narrative voice. The redactor has extracted two
episodesfrom this source: the Pearl merchant story at 3,11-5,5,
which hasbeen inserted into the “I, Peter” text, and the
commissioning of the disciples at 9,30-12,29, which is the
final scene of the ActP12;and (3) a “We Source” identified by
the first person plural narra-tive voice at 8,10-9,29 from which
the resurrection appearancecomes.9 In his three-source hypothesis,
Andrea Molinari consid-ers thematic discrepancies, aporias, and
changes in vocabulary, aswell as voice shifts. Molinari detects
five voice shifts in ActP12: (i)“I, Peter” at 1,30-3,11 and
6,9-7,22; (ii) “We of the journeys” at1,1-29 ad 7,23-8,20; (iii)
“We-apostolic voice” at 9,15-29; (iv) TheNarrator, which refers to
Peter as a character in the narrative ratherthan the storyteller,
at 5,1-14, 8,21-9,15, and 9,30-12,19; and (v) the
problematic sections at 3,11-5,1, 5,14-6.8. The three sources
thatMolinari subsequently argues for are (1) the story of the pearl
mer-chant at 1,1-9-1; (2) the resurrection appearance at 9.1-9.29;
and(3) the author/redactor’s position and theology at
9,30-12,19.10
Prior to both Patterson and Molinari, Martin Krause (1972)
pro-posed a division for ActP12 congruent with the title
inscribed atthe end of the text, “The Act of Peter and
the Twelve Apostles”(note “Act” is singular). Krause basically
divided the text into twosections and a narrative frame. The
Narrative frame (Rahmen-handlung) consists of 1,3–1,29. The first
narrative section is the“Act of Peter” (1,29–7,23). In this
section, Peter goes ashore whilethe other apostles stay behind, and
he alone encounters Lithar-go∏l, the pearl merchant. Section Two is
the “Acts of the Apos-tles” (8,13-12,19) in which Peter is the
Wortführer (spokesperson)
THE ACTS OF PETER AND THE TWELVE APOSTLES 33
9. Ibid. 11-15.
10. Andrea Molinari, “The Acts of Peter and the Twelve Apostles:
AReconsideration of the Source Question,” The Nag Hammadi
Library After Fifty Years: Proceedings of the 1995 Society of
Biblical LiteratureCommemoration, John D. Turner and Anne McGuire,
eds. (Leiden: Brill,1997) 461-483. See also Andrea Molinari, The
Acts of Peter and the Twelve Apostles (NCH 6.1): Allegory,
Ascent, and Ministry in the Wake of theDecian Persecution. SBL
Dissertation Series 174. (Atlanta, Georgia: Soci-ety of Biblical
Literature, 2000).
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M. J. SMITH34
for the apostles.11 Douglas Parrott asserts that the text is a
com-posite of four independent accounts, three of which were
origi-nally parables or allegories resembling those in the Shepherd
of Hermas: (1) the pearl merchant story, (2) the city
surrounded bywalls, (3) the story of the journey which requires
relinquishing allproperty, and (4) Christ’s commissioning of the
disciples.12
Narrative Structure and Summary
Since, according to the model author, the text of ActP12
con-tains a parable, I propose a structure for ActP12 similar
to otherblocks of texts containing parables or parable narratives.
The fol-lowing table is illustrative of the structural similarities
between
ActP12 and seven other parable narratives.As the table
below demonstrates, some parable narratives fol-
low, more or less, a definite pattern or structure: (1)
introductorytext/pre-text or a question, (2) the parable, (3) a
question per-taining to the parable or a request for an
explanation, and (4) an
interpretation of the parable story or an imperative. A parable
nar-rative basically consists of a textual frame and a parable,
whichform an organic whole.
For example, the parable narrative of the sower (Matthew
13:1-23//Mark 4:3-20; Luke 8:4-15) includes a pretext about the
gath-ering of a crowd to hear Jesus speak. The parable is followed
by aquestion, “Why do you speak to them in parables?” (13:10)
(Inthe Lukan version the disciples ask Jesus what the parable
means,Luke 8:9). Next Jesus interprets the parable (13:18-23).
The parable narrative of the Good Samaritan
(Luke10:29-37)consists of a pretext and a question, “Who is my
neighbor?”(vv. 25-28, 29) followed by the parable. After the
parable, Jesus asks, “Whowas neighbor to the man who fell into the
hands of the robbers?”(v. 36). Finally, Jesus issues an imperative
to imitate the ethicaldimensions of the parable, “Go and do
likewise” (v. 37).
The parable narrative of the wicked tenants (Matthew
21:33-44//Mark 12:1-12; Luke 20:9-10) has a similar pattern. After
theparable Jesus asks, “Now when the owner of the vineyard
comes,
11. Martin Krause, “Die Petrusakten in Codex VI von Nag
Hammadi,”Essays in the Nag Hammadi Texts in Honor of Alexander
Böhlig, Brill1971 (Nag Hammadi Studies, Vol. 3) 36-58.12. Douglas
M. Parrott, “The Acts of Peter and the Twelve Apostles
(VI, I ),” The Nag Hammadi Library in English (San
Francisco: HarperSan-Francisco, 1990), James M. Robinson, General
Editor, 287-89.
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what will he do to those tenants?” (v.40). Next Jesus interprets
theparable (42-44).13
Outside of the New Testament, a number of parables in
TheShepherd of Hermas are similarly structured. For example,
theparable of the planting of the dry sticks consists of a
pre-text, theparable, a question, “Sir tell me what this tree is.
For I am per-plexed about it…”, and an explanation of the
parable.14
Parable Narrative Pre-Text or Parable Question
Interpretation
Question or Imperative
ActP12 Yes Pearl Merchant Yes Yes
Matt 13:1-23//Mark 4:3-20;
Luke 8:4-15 Yes Parable of Sower Yes Yes
Matthew 13:24-30, 36-43 No Tares and Wheat Yes Yes
Matthew 21:28-32 Yes Two Sons Yes Yes
Matt. 21:33-44//Mark 12:1- 12;
Luke 20:9-19 No Wicked Tenants Yes Yes
Luke 10:29-37 Yes Good Samaritan Yes Yes
Shepherd of Hermas,Sim. IV.i.1 to V.v.4 Yes Parable of Fasting
Yes Yes
Shepherd of Hermas,
Sim. VIII.ii.6 to iii.4 Yes Planting of Dry Sticks Yes Yes
ActP12 follows the same basic structure of other parable
narra-tives: (1) the introductory narrative frame or pre-text; (2)
the para-ble, (3) a question from Jesus and from Peter; and (4) an
inter-pretation of the parable. It is notable that the
interpretation section
of this parable narrative is significantly longer than it is in
otherparable narratives.Part 1: The Introductory Narrative Frame
(1,1–3,11): The ves-
sel in which Peter and the other ten apostles set sail is forced
by aviolent storm upon an island city. After inquiring of its
residents,Peter discovers the name of the city is “Habitation.”15
Next, Peter
THE ACTS OF PETER AND THE TWELVE APOSTLES 35
13. The parable of the merchant and the pearl (Matt. 13:45-46)
liesbetween two parables: the parable of the treasure hidden in the
field
(13:44) precedes it and the parable of the net thrown into the
sea (13:47-50) follows it. An interpretation follows the last
parable in this trilogy(Matt. 13:49-50).14. The Shepherd of Hermas,
The Loeb Classical Library, Sim., VIII.ii.6to iii.4.15. The Coptic
word here translated “Habitation” is from the verbal
rootco r c (“to inhabit” or “be inhabited”). It can
also mean either “to prepare”or “to hunt.” The respective noun
forms are “preparation” and “snare,”
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encounters a pearl merchant named Lithargo∏l whom Peter
asksabout lodging.
Part II: The Parable (3,12-5,1): The peripatetic pearl
merchantoffers his pearls for sale. Some of the city’s wealthy
residents comeout to see the merchant, while others just stick
their heads out of their windows. Upon noticing that the
merchant has no pouch orcontainer in which to carry the pearls, the
rich inhabitants returnto their homes. Next, the poor come out to
greet the merchant.They wish only to see the pearl, for they have
never seen a pearl,nor do they have the means to purchase one. They
request only tosee it so that they may boast to their friends that
they have seen apearl. The merchant tells the poor that they must
come to his citywhere they can not only behold the pearl, but he
promises to giveit to them freely.
Part III: The Questions (5,2 –14): The merchant asks Peter
if he is aware of the hardships. Peter answers, that he is
aware of hardships on the way. He has an understanding of
the general hard-ships of a providential journey, but
Peter is curious about the spe-cific hardships on the way to
the merchant’s city.
Part IV: The Interpretation (5,15–22,18): The merchant
describesthe hardships which must be encountered on the way to his
city.Following the instruction and counsel of the merchant, the
apos-tles strip themselves of everything to successfully reach the
city. Ina series of revelations, they discover that Lithargo∏l,
also knownas the physician, is their Savior, Jesus. The apostles
are commis-sioned to return to the city called “Habitation” where
they are toprovide for the needs of the poor. When asked where they
wouldacquire the resources to carry out this mission, the Lord
remindsthem of the parable he related to Peter.
A Reading of the Parable Narrative
Part I: The Narrative Frame (1,1-3,11). The first eight lines
of the text are corrupt. Therefore, we must begin our
interpretativeendeavor at the point in the narrative where “we”
(Peter and theother ten apostles) set sail for their missionary
journey.16 From1,6–29, the text is written in the first person
plural. This together
with other linguistic clues emphasizes the unanimous
agreement
W. E. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford: Clarendon Press
(1939), 2000,830, 831.16. Similarly, Peter and other apostles take
off in a boat after the cruci-fixion in other texts. In The Gospel
of Peter, Peter and Andrew along withLevi take off in a boat,14:60
( see also Mark 2:14 and John 21:1).
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and unified effort of the apostles to fulfill their ministry.
“We” wereunited, “agreed,” “made a covenant with each other”
(1,9-10, 12-13). The psychological and spiritual unity of the
apostolic compa-ny is manifested in the disciples’s performative
behavior leadingup to their sea voyage: “we went down,” “we found,”
“we spoke,”and “we embarked.”
The whole “we” section is written in the I Perfect or simple
pasttense. The model author wants the reader to understand that
thistrip was embarked upon only after the apostles had entered
intofull agreement. Later in the narrative, Peter declares that it
is nec-essary for “us” to spread the word “harmoniously” (5,14).
The nar-rative discourse has the effect of lending apostolic
credence to the
journey, as well as to the subsequent narrative events and
their the-ological and missiological implications.
The narrative emphasizes full apostolic authority, as well
asdivine agency. Similar to the canonical Acts, but absent the
explic-it agency and guidance of God’s Holy Spirit, the Lord
ordains andorchestrates each stage of the journey. The apostles
agree to ful-fill “the ministry (diakonia)” (1,11) which the Lord
appointed for
them. They arrive at the sea at an opportune moment as
arrangedby the Lord (1,14-16), and a ship just happens to be
available fortheir use, fully staffed (1,17-20). The kindness of
the sailors towardthe apostles is ordained by the Lord (1,23). The
sailors demon-strated great kindness toward “us” (nmman). If the
ministry, thetimely encounter between the ship’s crew and the
apostles, and thewillingness of the crew to accommodate the
apostles are all divine-ly orchestrated, certainly the wind and the
direction in which itblows the boat, as well as their arrival at a
small city in t