La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXX - n° 6 - novembre-décembre 2015 | 211 TRIBUNE “ Antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse : la controverse continue Antibiotic prophylaxis of infective endocarditis: endless controversy L es recommandations en matière de prophylaxie de l’endocardite infectieuse lors des procédures invasives buccodentaires ont fait l’objet de modifications importantes au cours des 10 dernières années. Ainsi, 2 stratégies coexistent actuellement : ➤ la première, adoptée par la majorité des pays, dont les États-Unis (2007) et l’Europe (2009), où l’antibioprophylaxie n’est recommandée dans l’heure précédant les soins que pour les seuls soins dentaires des patients atteints d’une cardiopathie à haut risque d’endocardite (porteurs de prothèse, antécédents d’endocardite et cardiopathies cyanogènes non opérées) ; ➤ la seconde, adoptée au Royaume-Uni (NICE 2008) et en Suède, où l’antibioprophylaxie n’est plus recommandée, quels que soient les gestes réalisés et les cardiopathies à risque. Depuis 2008, plusieurs travaux réalisés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France ont montré qu’à la suite des modifications des recommandations, il n’y avait pas eu d’augmentation de l’incidence des endocardites à streptocoques d’origine buccodentaire, en particulier chez les individus ne faisant plus l’objet d’une prescription prophylactique d’antibiotique (1). Plus récemment, M.J. Dayer et al. (2) ont analysé l’évolution de l’incidence des endocardites infectieuses au Royaume-Uni entre 2000 et 2013, parallèlement à celle des prescriptions d’amoxicilline et de clindamycine à visée prophylactique de l’endocardite. Alors que ces mêmes auteurs, dans une précédente étude similaire, n’avaient pas observé de modification significative de l’incidence des endocardites infectieuses sur la période 2000-2010, ils ont observé dans cette nouvelle étude une augmentation faible mais significative de l’incidence de l’endocardite à partir de 2008, alors que la prescription d’antibioprophylaxie avait diminué d’environ 90 %. En 2013, cette augmentation aurait été responsable de 35 cas d’endocardite supplémentaires par mois et concernerait les patients porteurs d’une cardiopathie, aussi bien à haut risque qu’à risque modéré. Si les auteurs ne concluent pas à un lien de causalité entre la diminution de la prescription d’antibiotiques et l’augmentation des cas d’endocardite, ils n’identifient pas d’autre cause à cette augmentation. Ces résultats conduisent à discuter le bien-fondé de la stratégie britannique et suédoise d’abandon complet de l’antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse ; ils font aussi discuter l’attitude des autres pays de ne plus recommander d’antibioprophylaxie chez les patients à risque modéré d’endocardite, du fait de l’augmentation de son incidence observée aussi dans cette population. Il faut donc nous interroger sur la validité des résultats rapportés par Dayer et al. Plusieurs points méritent d’être soulignés : ➤ l’incidence de l’endocardite infectieuse a été calculée à partir des données du codage des diagnostics hospitaliers, sans validation par des experts ; Xavier Duval 1, 2 , Bruno Hoen 2, 3 1. Inserm CIC 1425, AP-HP, hôpital universitaire Bichat ; IAME Inserm U1137 ; université Paris-Diderot, Paris 7, UFR de médecine-Bichat, Paris. 2. Association pour l’étude et la prévention de l’endocardite infectieuse (AEPEI), Paris. 3. Université des Antilles et de la Guyane, faculté de médecine Hyacinthe-Bastaraud, EA 4537 ; Inserm CIC1424, service des maladies infectieuses et tropicales, dermatologie, médecine interne, CHU de Pointe-à-Pitre. X. Duval
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La Lettre de l'Infectiologue • Tome XXX - n° 6 - novembre-décembre 2015 | 211
TRIBUNE
“Antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse : la controverse continueAntibiotic prophylaxis of infective endocarditis: endless controversy
Les recommandations en matière de prophylaxie de l’endocardite infectieuse lors des procédures invasives buccodentaires ont fait l’objet de modifications importantes au cours des 10 dernières années. Ainsi, 2 stratégies coexistent
actuellement : ➤ la première, adoptée par la majorité des pays, dont les États-Unis (2007) et l’Europe
(2009), où l’antibioprophylaxie n’est recommandée dans l’heure précédant les soins que pour les seuls soins dentaires des patients atteints d’une cardiopathie à haut risque d’endocardite (porteurs de prothèse, antécédents d’endocardite et cardiopathies cyanogènes non opérées) ;
➤ la seconde, adoptée au Royaume-Uni (NICE 2008) et en Suède, où l’antibioprophylaxie n’est plus recommandée, quels que soient les gestes réalisés et les cardiopathies à risque.
Depuis 2008, plusieurs travaux réalisés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France ont montré qu’à la suite des modifications des recommandations, il n’y avait pas eu d’augmentation de l’incidence des endocardites à streptocoques d’origine buccodentaire, en particulier chez les individus ne faisant plus l’objet d’une prescription prophylactique d’antibiotique (1).
Plus récemment, M.J. Dayer et al. (2) ont analysé l’évolution de l’incidence des endocardites infectieuses au Royaume-Uni entre 2000 et 2013, parallèlement à celle des prescriptions d’amoxicilline et de clindamycine à visée prophylactique de l’endocardite. Alors que ces mêmes auteurs, dans une précédente étude similaire, n’avaient pas observé de modification significative de l’incidence des endocardites infectieuses sur la période 2000-2010, ils ont observé dans cette nouvelle étude une augmentation faible mais significative de l’incidence de l’endocardite à partir de 2008, alors que la prescription d’antibioprophylaxie avait diminué d’environ 90 %. En 2013, cette augmentation aurait été responsable de 35 cas d’endocardite supplémentaires par mois et concernerait les patients porteurs d’une cardiopathie, aussi bien à haut risque qu’à risque modéré. Si les auteurs ne concluent pas à un lien de causalité entre la diminution de la prescription d’antibiotiques et l’augmentation des cas d’endocardite, ils n’identifient pas d’autre cause à cette augmentation.
Ces résultats conduisent à discuter le bien-fondé de la stratégie britannique et suédoise d’abandon complet de l’antibioprophylaxie de l’endocardite infectieuse ; ils font aussi discuter l’attitude des autres pays de ne plus recommander d’antibioprophylaxie chez les patients à risque modéré d’endocardite, du fait de l’augmentation de son incidence observée aussi dans cette population.
Il faut donc nous interroger sur la validité des résultats rapportés par Dayer et al. Plusieurs points méritent d’être soulignés :
➤ l’incidence de l’endocardite infectieuse a été calculée à partir des données du codage des diagnostics hospitaliers, sans validation par des experts ;
U1137 ; université Paris-Diderot, Paris 7, UFR de médecine-Bichat, Paris.
2. Association pour l’étude et la prévention de l’endocardite
infectieuse (AEPEI), Paris.
3. Université des Antilles et de la Guyane, faculté de médecine Hyacinthe-Bastaraud,
EA 4537 ; Inserm CIC1424, service des maladies infectieuses et tropicales,
dermatologie, médecine interne, CHU de Pointe-à-Pitre.
X. Duval
0211_LIF 211 23/11/2015 16:40:18
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TRIBUNE
”
or, des études épidémiologiques en population ont rapporté que plus de 20 % des endocardites identifi ées par les cliniciens n’étaient pas des endocardites certaines ;
➤ de nombreux autres facteurs que l’arrêt de l’antibioprophylaxie ont pu être responsables d’une augmentation de l’incidence de l’endocardite infectieuse (augmentation du nombre de matériels endocavitaires implantés, vieillissement de la population, augmentation de la prévalence des patients diabétiques ou dialysés, etc.) ;
➤ les auteurs rapportent une augmentation de l’incidence globale des endocardites mais pas de celles dues à des micro-organismes d’origine buccodentaire ;
➤ la méthodologie statistique repose sur une comparaison de pentes avant et après 2008, et non pas sur la recherche a priori d’un point d’infl exion, qui pourrait ne pas se situer en 2008.
La prudence est nécessaire avant de conclure à la responsabilité de l’arrêt de l’antibioprophylaxie dans l’augmentation de l’incidence des endocardites infectieuses. C’est cette attitude que viennent d’adopter dans leurs nouvelles recommandations à la fois le groupe NICE et l’Europe (ESC 2015), qui ne modifi ent par leur stratégie d’antibioprophylaxie (3) . Il est donc indispensable de reprendre une réfl exion en vue de la réalisation d’un essai clinique randomisé, comparant l’incidence de l’endocardite chez des patients recevant ou pas une antibioprophylaxie avant des soins buccodentaires (3) .
Références bibliographiques 1. Duval X, Delahaye F, Alla F, Tattevin P, Obadia JF, Le Moing V et al.; AEPEI Study Group. Temporal trends in infective endocarditis in the context of prophylaxis guideline modifi cations: three successive population-based surveys. J Am Coll
Cardiol 2012;59(22):1968-76. 2. Dayer MJ, Jones S, Prendergast B,
Baddour LM, Lockhart PB, Thornhill MH. Incidence of infective
endocarditis in England, 2000-13: a secular trend, interrupted