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La anqa. Quelle place pour le phenix dans le monde
arabo-musulman classique ?
Katia Zakharia
To cite this version:
Katia Zakharia. La anqa. Quelle place pour le phenix dans le
monde arabo-musulman clas-sique ? . Silvia Fabrizio Costa (edite
par), Le Phenix, mythes et signes. Actes du colloque inter-national
organise a` Caen par le lLaboratoire dEtudes Italiennes, Iberiques
et Ibero-Amercaines(LEIA), Peter Lang, pp.116-138, 2002.
HAL Id: halshs-01107932
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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La anq Quelle place pour le phnix dans le monde arabo-musulman
classique ?
Katia ZAKHARIA
Universit Lumire-Lyon 2 et GREMMO (Maison de lOrient-CNRS)
Le substantif anq, driv de la racine triconsonnantique NQ1, est,
par sa morphologie, un
substantif fminin singulier. Son sens premier2 est : celle qui a
un long cou. Il a un masculin, anaq,
attest uniquement dans ce sens. Anq a, pour sa part, un autre
emploi. En effet, il dsigne aussi,
un oiseau volumineux mais qui nest pas laigle 3. Dans ce sens,
on dit habituellement anq
dhakar (une (sic.) 'anq' mle) ou anq ounth (une 'anq' femelle).
De cet oiseau, dont lidentit
et les caractristiques sont loin de faire lunanimit, comme nous
le verrons, lEncyclopdie de
lIslam dit quil est un oiseau fabuleux qui tient autant du
griffon que du phnix 4. A son propos,
Charles Pellat, rsumant la position de nombreux auteurs
modernes, prcise :
Des traditions que nous possdons, il ressort que la croyance en
lexistence de la anq est ancienne chez les Arabes et lon sait que
les anciens situaient le phnix dans les dserts dArabie. Avec
lIslam, la anq reoit une dfinitive conscration dans une
tradition
rapporte par Ibn Abbs5.
Je voudrais montrer dans une premire partie, que si la croyance
en lexistence de la anq est sans
doute ancienne chez les Arabes, nous ne disposons pratiquement
daucun lment permettant den
tablir le contenu avant le IX sicle ; que si les anciens Grecs
ou Latins situaient le phnix dans les
dserts dArabie, il nest pas possible den infrer, loin sen faut,
que les habitants de lArabie le
situaient au mme endroit ; quil est, de ce fait, trs difficile
daffirmer que le substantif anq
serait, hors de tout contexte et de toute chronologie,
lquivalent lexical en arabe de griffon ou de
phnix. Je voudrais montrer ensuite, dans une deuxime partie,
que, contrairement laffirmation de
Charles Pellat, il nest pas possible de dire que la anq a reu
proprement parler une dfinitive
conscration avec lIslam. Construit en rfrence explicite la
smorgh persane, le discours sur la
anq parat devoir tre surtout associ certains courants chiites
marginaux ou la littrature si
1 Pour des raisons de commodit et de lisibilit pour le lecteur
non spcialiste, je ne suivrai pas dans le prsent article les codes
des transcriptions et/ou translittrations en usage chez les
arabisants, sauf lorsquils ne prsentent pas de diffrence avec les
caractres de lalphabet franais. 2 Premier est entendre ici comme un
donn du systme de la morphologie arabe. La racine NQ (qui renvoie
lide gnrale de ce qui relie la tte au corps), associe au schme fal,
produit dabord, systmatiquement, le sens de celle qui a un long
cou. 3 Ibn Manzour, Lisn al-Arab (La Langue des Arabes), toute
dition ; entre anaqa, premire dfinition. Il convient de prciser
quIbn Manzour (m. 1312) a achev son dictionnaire vers la fin du
XIII sicle. Je reviendrai plus loin cette notice. 4 Pour les
articles de lEncyclopdie de lIslam, la transcription que je
proposerai de leur titre ne sera pas toujours identique celle
adopte dans louvrage. Le lecteur pourra nanmoins les retrouver sans
difficult puisque je renverrai leur auteur, au volume dans lequel
ils figurent et aux pages cites. Encyclopdie de lIslam (dsormais
EI), nouvelle dition tablie avec le concours des principaux
orientalistes, Leyde, Brill, 1991, vol. 1, p. 524b, article anq de
Ch. Pellat. 5 Al-Jhiz, Kitb al-Tarb wa-l-tadwr, d. Ch. Pellat,
Damas, Institut Franais de Damas, 1955, p. 174-177, note 50.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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particulire des auteurs mystiques. Cest lutilisation par ces
derniers de la anq comme mythe
littraire que je consacrerai enfin la troisime et dernire partie
de cet expos.
Pour la clart de mon propos, il me faut commencer, au risque
dune brve mais indispensable
digression, par oprer certaines distinctions :
- Par lexpression monde arabo-musulman, jentends une
civilisation dont le systme de
rfrence symbolique se fonde sur le Coran et dont la langue
savante est larabe.
- Dans cette civilisation, vieille de quatorze sicles, il
convient doprer, notamment sur le sujet
qui nous intresse, des distinctions dordre chronologique. En
effet, dans la littrature
contemporaine en langue arabe, on trouvera quelques auteurs qui
utilisent le substrat
hellnistique, ou plus gnralement occidental, pour parler dans
leurs uvres du phnix, dont
quils dsignent soit par le terme arabe classique anq, objet de
cette intervention, soit par le
nologisme fnq, dont la transparence dispense de tout
commentaire6. Ce nest pas de ces
auteurs-l que je parlerai, non seulement parce que je suis
mdiviste mais aussi parce que leur
dmarche relve plutt mon sens de la littrature compare.
- En dpit des discours idologiques, passs et actuels, qui le
prsentent comme un monolithe, le
monde arabo-musulman offre une grande diversit gographique et
anthropologique. Pour la
priode et les auteurs que jaborderai, lexception notable du
mystique andalou Ibn Arab (m.
1240), cette diversit renverra surtout aux dissemblances entre
les domaines de lArabie, de
lIraq et de la Perse. LOrient Musulman est lhritier direct de
deux cultures, antagonistes
autant que complmentaires, y compris dans leurs effets sur
lIslam : la culture orale des Arabes
de la Pninsule Arabique lpoque pr-islamique et la culture
scripturaire et monumentale de
la Perse sassanide7. A partir du IX sicle, la culture proprement
musulmane, qui se met en
place durablement, procdant de ce double hritage culturel, va
vhiculer des croyances et des
mythes parfois incompatibles quelle a assimils.
- Cette diversit se traduit aussi par une disparit idologique,
entre lislam sunnite, largement
majoritaire, et lislam chiite, pour lessentiel persan. Il y a
une disjonction irrductible entre
lislam sunnite, pour lequel la Rvlation, commence avec Adam, a
pris fin dfinitivement
avec Mahomet, et lislam chiite qui, dans ses diffrents courants,
est un islam messianique.
- Enfin, il convient de ne pas perdre de vue le clivage qui
oppose les doctrines mystiques
musulmanes aux orthodoxies islamiques ; celle du sunnisme dont
le nom mme est souvent
rendu en franais par orthodoxie ; mais aussi celle du chiisme
qui, sil peut paratre htrodoxe
pour les sunnites, nen a pas moins sa propre doxa.
1) La anq, un signifiant qui a perdu son signifi8
Les arabisants souffrent habituellement de labsence dtudes
historiques sur la langue arabe,
notamment sur son lexique. Cependant, ici, la rpugnance des
lexicographes mdivaux de la
6 Sauf peut-tre celui qui consiste souligner que le choix de ce
terme, dont la parent avec Fnqiy (Phnicie) est claire, relve
parfois plus dun choix idologique et politique que dun choix
littraire ou potique. 7 Il nest pas inutile que je prcise que la
diffrence entre ces deux cultures ne saurait en aucun cas tre
assimile ici un classement. 8 Plusieurs auteurs indiquent, entre
autres dfinitions, que anq est un vocable qui ne peut (ou ne peut
plus) tre associ aucun objet. Cest notamment le cas dIbn Manzour ou
de Damr.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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langue arabe intgrer dans leurs dictionnaires les nologismes9
permet de dire que la prsence
mme du terme anq dans leurs ouvrages atteste de son ancrage dans
un pass lointain, trs
vraisemblablement pr-islamique ; autrement dit, que anq tait
dans lusage avant, peut-tre
mme bien avant, le dbut du VII sicle. Cela est confirm par son
emploi dans un proverbe ou
dans certains vers de posie pr-islamique, quoi que celle-ci,
transcrite aprs plus de trois sicles de
transmission orale, soit souvent apocryphe. Mais que peut-on
dire de plus ? Peu de choses en ralit
jusquau IX sicle, sinon que la anq est un objet rare, volant et
de mauvais augure :
Rare, puisquun pote laisse entendre que les amis fidles sont
aussi introuvables quune anq ; un
autre quelle est aussi inexistante que la gnrosit ou que les
ogresses.
Volant, puisque selon le proverbe, on dit de quelquun qui a
disparu, notamment dun mort, la
anq la emport dans les airs .
De mauvais augure, enfin, puisque prcisment, celui que la anq
emporte disparat ou voit
sabattre sur lui quelque malheur.
Ces traces linguistiques ne sont ni corrobores ni enrichies par
les tudes les plus connues
consacres au panthon de lArabie pr-islamique10 ou son systme de
divination11. Ds lors que
le chercheur tente dinscrire les donnes concernant la anq dans
une approche chronologique, il
est forc de constater quil ne dispose daucun document crit, et
encore moins iconographique,
antrieur au IX sicle, duquel il puisse tirer des lments
dinformation allant au-del des donnes
pour le moins rduites que je viens dvoquer. Tout au plus
sera-t-il intressant dajouter que le
substantif fminin anq est communment associ au terme masculin
mughrib. Mughrib peut
signifier qui vient de lOccident ou qui va vers lOccident, mais
aussi curieux, trange,
fabuleux. Larabe classique tant une langue dcline criture
dfective, le doublet graphique
anq mughrib peut tre ralis anqu mughribun (un substantif diptote
suivi par un adjectif
triptote, tous deux indtermins), auquel cas on pourrait le
rendre en franais par une phnix
curieux (sic), ou bien comme anqu mughribin (un nom suivi par un
complment du nom), auquel
cas, on pourrait le rendre en franais par une (sic.) phnix
dOccident.
Il convient de prciser pour conclure cette premire partie que
les auteurs postrieurs au IX sicle
mentionnent, lappui de leurs propos sur la anq, diverses
citations supposes avoir t produites
avant le IX sicle. Je nai pu tablir lauthenticit daucune dentre
elles. Certaines sont, il est vrai,
impossibles vrifier. Pour les autres, chaque fois que jai pu
effectuer une vrification, elle a
abouti tablir que lon tait en prsence dun apocryphe12.
9 La plupart de ces lexicographes tmoignent dans leurs
dictionnaires de leur vnration pour la langue arabe, perue comme
parfaite, exhaustive et immuable dans son tat le plus ancien. Ils
sont insensibles lvolution de la langue, telle quelle est atteste
par les textes littraires ou scientifiques. De ce fait, on est en
droit de considrer que les termes quils mentionnent trouvent le
plus souvent leur origine dans le corpus le plus ancien de la
langue, tel quil a t transmis, principalement par le texte
coranique et par la posie pr-islamique. 10 Fahd T., Le Panthon de
lArabie centrale la veille de lhgire, Geuthner (Publications de
lInstitut Franais dArchologie de Beyrouth, Bibliothque archologique
et historique, tome LXXXVIII), Paris, 1968. 11 Fahd T., La
Divination arabe : Etudes religieuses, sociologique et folkloriques
sur le milieu natif de l'Islam, Strasbourg, 1966. 12 Mon insistance
sur le caractre apocryphe de ces citations relve principalement dun
souci de datation et de diachronie. Il ne sagit en aucun cas dun
jugement de valeur.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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2) La anq et lIslam
Sil nest pas le premier auteur mentionner la anq13, al-Jhiz,
mort en 86914, est le premier, qui
nous soit connu, avoir apport son sujet quelques lments
susceptibles dtre soumis examen.
Sous le prtexte de mettre dans lembarras un secrtaire de
chancellerie quil prsente comme un
polmiste dtestable, laid physiquement et moralement et dune
prtention excrable, al-Jhiz
entreprend de lui poser sur le mode ironique cent [sries de]
questions destines rvler au
monde l'tendue de son ignorance 15. La cinquantime srie de
questions concerne directement
notre propos :
Parle-moi [de loiseau fabuleux appel] la anq mughrib ; quest
donc son pre ? et quest sa mre ? a-t-elle t cre ex nihilo ou dun
mle et dune femelle ? Pourquoi la-t-on faite strile et la-t-on
faite femelle ? Quand prparera-t-elle un berceau pour lenfant que
lon sait, quand abritera-t-elle de son aile les partisans de lImm,
quand sera-t-elle bride ? [Et lenfant,] Quand rpandra-t-on pour lui
le soufre rouge et quand la Montagne de Diamant sera-t-elle
conduite vers lui ?16
Avant dexaminer cette citation, dans laquelle al-Jhiz se moque
de croyances quil rprouve,
voyons quels usages de la anq il fait dans ses autres crits.
Dans son Livre des Animaux17, trait
de zoologie, parazoologie et anthropologie, voquant les animaux
qui nont dexistence, selon lui,
que dans limagination fconde des hommes, il crit :
Quant au dragon, y croire, cest comme croire la anq mughrib. Je
nai jamais vu une assemble qui voque le dragon, sinon pour en nier
lexistence et traiter de menteur celui qui en
parle18.
Croire la anq mughrib apparat donc comme le paradigme de la
croyance absurde. Pourtant,
ralit et fiction sont moins faciles dmler quil y parat. Dfendant
lexistence du rhinocros, al-
Jhiz prcise :
Comme ils sont nombreux ceux qui nient quil y a dans le monde un
animal nomm rhinocros et prtendent que cela et la anq mughrib, cest
la mme chose, bien quils voient limage de la anq dessine sur les
tapis des rois ! Chez eux, en persan, elle se nomme smorgh, comme
si lon disait a lui seul, il est trente oiseaux car quand ils
disent s en persan, cest comme trente en arabe et morgh en persan,
cest loiseau en arabe. Les Arabes, quand ils relatent quelque chose
et veulent en exprimer la vanit, disent : la anq mughrib la emport
dans
13 On peut noter, par exemple, la mention dune anq, fille du
vent , roi (sic.) des oiseaux, dans une des fables adaptes du
pehlevi en arabe par le trs remarquable Abdallah Ibn al-Muqaffa (m.
v. 754), dans Kalla wa Dimna, lun des ouvrages fondateurs de la
prose littraire de langue arabe. Mais, ni la nature de louvrage, ni
surtout le texte de la fable elle-mme, napportent des lments
dinformation sur la reprsentation de la anq. 14 Ce clbre
polygraphe, fondateur dun courant de pense rationaliste, est
considr comme lun des auteurs les plus fconds et les plus originaux
du monde abbasside. 15 Traduction que j'emprunte partiellement Adad
M., Le Kitb al-Tarb wa-l-tadwr dal-Jhiz, Traduction franaise , in
Arabica, Brill, Leyde, vol XIII, p. 268-294 et vol. XIV, p. 32-59.
Vol. XIII, p. 269. 16 Al-Jhiz, op. cit., p. 31. Traduction que
jemprunte partiellement Maurice Adad (voir : Arabica, vol. XIV, p.
40). A propos du titre de cette ptre, au sujet duquel Maurice Adad
indique quil sest rsolu, en dsespoir de cause conserver le titre
arabe , il peut tre traduit, au plus prs, par Le Livre du
circulaire et du carrable, mais on peut tre trs fortement tent,
compte tenu de son contenu, de le traduire par Le Livre de la
Quadrature du Cercle. 17 Al-Jhiz, Kitb al-hayawn (Le Livre des
animaux et/ou Le Livre de lanim), d. par F. Atoui, Beyrouth, Dr
Saab, 1982. Ma traduction. 18 Al-Jhiz, op. cit., 1982, 7 section,
p.620. Ma traduction.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
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les airs . Dans le hadith19 [il est dit] quun peuple a demand
[des signes] son prophte [en lui disant] : nous ne croirons pas en
toi, moins que tu ne fasses ceci et cela, et que tu mettes les rnes
dans la bouche de la anq, et que tu changes aujourdhui en hier .
Abou al-Hind al-
Samt [...] a dclam : [...] : La anq la berc, et elle est strile
[...] 20. Les gens de cette obdience affirment lexistence de la anq
et prtendent quelle est strile. Zarra [...], qui est le chef de la
Tammiyya [...], a mentionn cet enfant plac sous la protection de la
anq. Il a dclam : [...] Les preuves ultimes [quil apportera] :
inverser votre jour, brider la anq, [...]
faire fondre le souffre, [...] 21. Zarra [...] a donc confirm
les propos dAbou al-Sar sur la anq, et nous a offert en sus le
souffre rouge. Je ne connais dailleurs pas dautres population
sur la terre qui confirme lexistence de la anq22.
Dans son Eptre sur le srieux et le drle , al-Jhiz utilise pour
sa part lexpression anq
mughrib, dans son acception proverbiale, pour signifier, linstar
du pote, lextrme raret des
amis fiables, laffection sincre23.
Lensemble de ces citations permet de conclure qual-Jhiz est
moins proccup par cet oiseau
fabuleux qui, pour lui, na dexistence que lexicale dans les
proverbes, ou picturale sur les tapis ou
les tentures des rois de Perse24, que par lusage qui en est fait
dans le discours dun courant chiite,
puisant lvidence son inspiration dans les mythes de la Perse
pr-islamique.
En effet, cest dans lAvesta quil est racont que la smorgh prend
sous sa protection lenfant Zl,
abandonn par ses parents, et assure son ducation25. Cet enfant
devient, dans le courant chiite
dnonc par al-Jhiz, le messie qui annoncera la fin des temps.
Protgs par les ailes immenses de la
anq, ses partisans pourront se livrer lalchimie grce au souffre
rouge, llixir au moyen duquel
ils pensent que sopre la transmutation. Quant la montagne de
diamants, moins quelle ne
corresponde une lgende dont aucun dtail ne nous est pas parvenu,
elle dsigne probablement,
suite une imprcision [peut-tre dlibre] de lauteur, la montagne
dmeraudes, autrement dit la
montagne cosmique de Qf , entourant le monde terrestre et le
sparant de lau-del26.
La remarque dal-Jhiz sur un hadth voquant la anq me conduit
aborder maintenant les
vocations de celle-ci en relation directe avec les textes
fondateurs de lislam.
19 Le hadth est le corpus des dires attribus au prophte Mahomet.
La dtermination de ce corpus et lvaluation de sa fiabilit constitue
une des branches des sciences religieuses islamiques. Les
thologiens saccordent a minima sur lauthenticit des dires retenus
dans les deux ouvrages de Mouslim et dal-Boukhar et a maxima sur
les dires figurant dans neuf recueils. Ce corpus qui reprsente,
aprs le Coran, le second texte fondateur de lIslam, a t mis par
crit principalement au IX sicle. 20 Il sagit dune citation de
quatre vers, dont je retiens celui qui est en relation directe avec
mon propos. 21 Il sagit dune citation de sept vers dont je ne
retiens que ce qui est en relation directe avec mon propos. 22
Al-Jhiz, op. cit., 1982, tome 2,. 7 section, p. 627-628. Ma
traduction. 23 Al-Jhiz, Rasil (Eptres), d. par A.-S. Hroun,
Al-Khanj, Le Caire, 1964, vol. 1, p. 271. Ma traduction. 24 Lide
selon laquelle la anq na dexistence que dans les proverbes et
quelle na dimage que celle invente pour orner les tentures et les
tapis des rois se trouve galement dans un vers attribu au pote
dorigine persane Abou Nouas (m. 815). 25 Deux passages de l'Avesta
rfrent cet oiseau et l'arbre qui lui est destin. Il est difficile
d'tablir avec certitude sils renvoient au mme oiseau ou deux
oiseaux diffrents. Etymologiquement, le nom de cet oiseau voque
dans un premier temps le faucon ou l'aigle. Par la suite, on
parlera d'une crature gante dont les plumes ont des vertus
magiques, notamment en ce qui concerne la traverse du feu. (EI,
vol. IX, article Smorgh de F. C. de Blois). 26 Voir EI, vol. IV, p.
418-419 (article Qf de M. Streck, A. Miquel). Voir aussi Toelle H.,
La Montagne de Qf dans la civilisation arabo-musulmane classique ,
in :Thomasset Cl. (d.), La Montagne dans le Texte mdival entre
Mythe et Ralit, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne,
2000.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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Sagissant du corpus des neuf recueils autoriss du hadth, la anq
ny est jamais mentionne27.
Le hadth cit par al-Jhiz, selon lequel un peuples a demand [des
signes] son prophte [en lui
disant] : nous ne croirons pas en toi moins que tu ne fasses
ceci et cela, et que tu mettes les rnes
dans la bouche de la anq, et que tu changes aujourdhui en hier
est apocryphe28. Il en va de
mme pour le rcit auquel Charles Pellat fait allusion pour
confirmer ce quil dsigne comme la
dfinitive conscration de la anq dans lIslam. Toutefois, ce
dernier rcit montre clairement
lvolution du discours sur la anq dans le monde arabo-musulman
mdival. Il parat ds lors
intressant de le reproduire ici et de le commenter mme
rapidement. Charles Pellat, qui prcise
bien qu on ne sait pas quelle poque ce rcit a t forg , se rfre
un passage des Prairies
dOr dal-Massoud (m. 956)29 selon lequel Ibn Abbs (m. v. 687),
considr comme le pre de
lexgse coranique, aurait racont ce qui suit :
Le Prophte nous dit un jour : Dans les premiers ges du monde,
Dieu cra un oiseau dune beaut merveilleuse et lui donna toutes les
perfections en partage ; un visage semblable celui de lhomme, un
plumage resplendissant des plus riches couleurs ; chacun de ses
quatre membres tait pourvu dailes, ses deux mains taient armes de
serres et lextrmit de son bec tait solide comme celui de laigle.
Dieu cra une femelle limage du mle et donna ce couple le nom de
anq. Puis il rvla ces paroles Mose fils de Imrn : jai donn la vie
un oiseau dune forme admirable, jai cre le mle et la femelle ; je
leur ai livr pour se nourrir les animaux sauvages de Jrusalem et je
veux tablir des rapports de familiarit entre toi et ces deux
oiseaux, comme preuve de la suprmatie que je tai accorde parmi les
enfants dIsral . De ces deux oiseaux sortit une ligne nombreuse.
Ensuite Moise et les Isralites furent conduits par Dieu dans le
dsert de lEgarement et y demeurrent quarante ans. Aprs la mort de
Mose, dAaron et de tous les Isralites qui avaient accompagn Mose,
au nombre de 600 000, leur postrit resta dans le dsert jusqu' ce
que Dieu leur permit d'en sortir sous a conduite de Josu, fils de
Nn, les disciple de Mose et lhritier de sa mission. Ce fut alors
que la race des anq abandonna ce pays pour le Nedjd, le Hedjaz et
le pays de Qais Ailan o ils dvoraient les enfants, les btes
sauvages et les bestiaux. Enfin, dans la priode de temps qui spare
Jsus
de Mahomet, un Prophte nomm Khlid Ibn Sinn [...]30 paru parmi la
tribu des Abs et, touch de la douleur des habitants, dont les
enfants taient dcims par ces anq, il supplia
Dieu danantir cette race doiseaux. Alors Dieu les fit
prir31.
En faisant remonter cette anecdote Ibn Abbs, al-Massoud, qui, au
vu des sources qui nous sont
connues, semble tre le premier lavoir cite, tient lui donner une
crdibilit certaine et une non
moins certaine authenticit. La anq nest plus au centre de
discours htrodoxes et marginaux,
comme on la vu dans certains passages dal-Jhiz. Elle est relie
au fondement mme de lIslam.
Son portrait sest enrichi de traits et de couleurs puiss dans le
creuset des diffrents patrimoines qui
se ctoient, par le biais des populations islamises et par le
biais des traductions, dans le monde
arabo-musulman mdival. Quant labsence de ce rcit des recueils
officiels, elle peut tre aussi
bien interprte comme la confirmation de son caractre apocryphe
ou comme le rejet par le
discours de lorthodoxie de tout ce qui pouvait, par sa dimension
imaginaire et mythique,
contrecarrer la mise en place dun discours canonique.
27 La vrification est rendue la fois plus facile et plus fiable
par la mise sur CD Rom de ces volumes. 28 Il ne figure pas plus que
terme anq dans aucun des neuf recueils de hadth admis par la
tradition. 29 Massoud, Mourouj al-Dhahab (Les Prairies dor),
Beyrouth, Dr al-Marifa, 1982, vol. 2, p. 225. 30 Selon dautres
sources, dont al-Qazwn voqu plus loin, il se serait agi de Hanzala
Ibn Safouane. 31 al-Jhiz, op. cit., 1955, p. 174-176 et Mass'oud,
op. cit., p. 225.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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On peut en tout cas relever entre les deux hadths apocryphes un
thme commun : lintercession
dun prophte pour annuler les effets ravageurs de loiseau.
Sagit-il de la prise en compte islamique
dun rcit plus ancien ? Sagit-il au contraire dun emprunt
culturel postrieur lavnement de
lIslam ? Rien ne permet de le dire avec certitude, dautant que
lintercession dun personnage
exemplaire en faveur des siens est une topique pour le moins
frquente. Le seul point que lon peut
avancer avec certitude cest quaucun de ces deux rcits ne figure
dans le corpus autoris des dires
du Prophte.
De mme que pour le hadth, la greffe de la anq sur lexgse
coranique demeure limite et
marginale. Les interprtations dans lesquelles elle joue un rle
sont tardives et ne font pas
lunanimit. La anq est voque pour interprter, dune part,
lexpression les gens dal-Rass
(ashb al-Rass)32 et, dautre part, lexpression des oiseaux abbl
(tayrun abbl)33, expression
dans laquelle la signification de abbl pose problme. Cependant,
lassociation de la anq
linterprtation de ces expressions coraniques et des versets o
elle apparaissent, ne se retrouve dans
aucun des quatre recueils traditionnels dexgse que jai
consults34, au nombre desquels figure
celui dal-Tabar, considr comme le premier ouvrage intgral dans
ce domaine.
Pour ces exgtes, avec quelques nuances, les gens dal-Rass sont
des gens dsigns en rfrence
un puits quils possdaient, rass tant lun des termes arabes pour
dsigner le puits. Selon certains,
Dieu les avait sanctionns parce quils avaient enterr vivant dans
ce puits un prophte quIl leur
avait envoy. A premire vue, la anq ne semble pouvoir jouer ici
aucun rle. Nonobstant, partir
du XII sicle, lassociation de la anq aux gens dal-Rass est
clairement prsente dans la
littrature. Ainsi, al-Maydn (m. 1124) les relie expressment dans
son Livre des Proverbes, quand
il cite, au nombre des proverbes anciens, la anq mughrib les a
emports dans les airs 35 quil
explique ainsi :
Les gens dal-Rass avaient un prophte que lon nommait Hanzala Ibn
Safouane. Il y avait, dans leur pays, une montagne que lon appelait
Damakh, qui slevait vers le ciel de trois quatre mille aunes. Une
oiselle, la plus grande qui puisse tre, sy posait rgulirement. Elle
avait un long cou comme les plus beaux des oiseaux ; elle tait de
toutes les couleurs. Elle sabattait prcipitamment, se jetant sur
les oiseaux quelle dvorait. Ayant eu faim, elle sabattit [un
jour]sur un garonnet quelle emporta. Elle a t surnomme anq mughrib
parce quelle emporte ce quelle a attrap en direction de louest.
Puis, elle sabattit sur une jeune
adolescente36, la serra contre elle avec deux petites ailes
quelle avait, autres que ses deux grandes ailes, puis lemporta dans
les airs. Ils sen plaignirent leur prophte qui dit : O
32 Mentionns dans le Coran 25/38 et 50/12. 33 Mentionns dans le
Coran 105/3. 34 Il sagit des exgses dal-Tabar (m. 923), al-Qurtub
(m. 1272), Ibn Kathr (m. 1373) , et de celle dite al-Jallayn (ou
des deux Jall, commence par Jall al-Dn al-Mahall m. 1459 -, elle
fut acheve par son trs clbre disciple Jall al-Dn al-Suyt m. 1505).
35 al-Maydn, Kitb al-Amthl (Le Livre des Proverbes), Beyrouth, Dr
al-Kutub al-Ilmiyya, 1988, vol. 1, p. 537b-538a. Dans son ouvrage,
al-Maydn spare les proverbes qui, selon lui, remontent lpoque
pr-islamique et ceux ns dans lIslam. Ma traduction. 36 Dans
lexpression jriya tararaat que je traduis contextuellement par
jeune adolescente , jriya peut galement tre traduit par esclave et
tararaat par devenue nubile.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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Seigneur ! Emporte-la, interromps sa ligne et frappe-la de
malheur . La foudre la frappa alors
et la consuma. Les Arabes en firent un proverbe quils
mentionnrent dans leurs pomes37.
Cette anecdote sera reprise, presque sans variantes, par de
nombreux auteurs comme Ibn Manzour,
dans la notice consacre la anq dans son dictionnaire, ou al-Damr
(m. 1405) dans sa Vie des
animaux.
La anq nest pas davantage mentionne explicitement dans les
ouvrages dexgse que jai
examins, pour ce qui est dexpliquer ce que sont les oiseaux
abbl. Voici, titre dexemple, la
liste des explications fournies par al-Tabar et gnralement
reprises (tout ou partie) par ses
successeurs : dans lexpression les oiseaux abbl, lexplication la
plus lmentaire est celle qui
consiste considrer que le terme abbl signifie disperss, ou qui
se suivent sans cesse venant de
partout, ou nombreux comme les troupeaux. Mais il pourrait sagir
aussi, daprs lexgte ou
les sources auxquelles il se rfre, doiseaux venant du ct de la
mer, ou doiseaux sortant de la
mer. Ces oiseaux pourraient tre verts avec des becs de couleur
jaune ; ou marins et noirs, tenant
dans leur becs et leurs griffes des pierres destines aux impies
que Dieu a dcid de punir ; ou
blancs ou noirs, avec des becs comme ceux des oiseaux et des
pattes de chien ; ou enfin verts, sortis
de la mer, avec des ttes de fauves38. Quoique les dernires
descriptions proposes ne soient pas
sans voquer le phnix, le seul mot figurant dans le texte de ces
exgtes pour dsigner les
mystrieux oiseaux est tayr, le nom gnrique usuel pour dsigner en
langue arabe les oiseaux et le
terme figurant dans le texte coranique. Dautre part, si lon peut
voir une certaine analogie entre
cette description et certaines descriptions du phnix, rien ne
permet de penser jusqu prsent que le
phnix et la anq seraient exactement une seule et mme chose,
encore moins que cette chose
correspondrait une donne culturelle gnralisable.
Sagissant dexgse coranique, il parat donc possible de dire que,
dans un premier temps, si lon
admet que Tabar est bien lexgte qui a rassembl pour la premire
fois le vaste matriau de
l'exgse traditionnelle , et lon ne voit pas de raison den
douter, aucun lien nest tabli entre les
gens dal-Rass et la anq. Que, par contre, dans linterprtation de
lexpression des oiseaux
abbl se profile dj lide quil pourrait sagir doiseaux relevant
dun bestiaire fantastique,
quoique le mot utilis pour les dsigner soit neutre et usuel, la
touche de mystre tant vhicule par
abbl.
Dans les sources que jai consultes, entre les IX et XV sicle, on
peut constater que la littrature
au sujet de la anq senrichit progressivement de dtails varis,
voire contradictoires, en mme
temps que les questions dogmatiques souleves par al-Jhiz
semblent avoir perdu de leur pertinence,
37 Il convient de noter que le vers cit par al-Qazwn en exemple
ne mentionne pas lexpression anq mughrib mais un oiseau dsign par
le terme fatkh. Cela nest pas sans soulever des questions en ce qui
concerne lauthenticit des vers apocryphes dans lesquels la anq est
expressment nomme. 38 Tabar, Jmi al-Bayn f Tafsr al-Qurn ou
al-Tafsr (Exgse), Beyrouth, Dr al-Kutub al-Ilmiyya et Ed. Baydoun,
1997, vol. 12, p. 691-693. Dans cet ouvrage, Tabar a rassembl pour
la premire fois le vaste matriau de l'exgse traditionnelle et cre
ainsi une uvre de rfrence dont les commentateurs ultrieurs du Coran
suivirent le modle (EI, vol. IX, article Tabar de R. Paret)
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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en tout cas de leur intrt. Ce qui apparaissait chez lui comme un
emprunt culturel mis au service
dune doctrine partisane et sotrique, semble dsormais faire
partie de la culture. Deux orientations
se sparent clairement : celle pour laquelle la anq est situer
dans un bestiaire fantastique o
sentremlent ralit et imaginaire ; celle pour laquelle la anq est
ce que lon dsigne aujourdhui
par lexpression mythe littraire.
Examinons un moment encore, la premire orientation. Les auteurs,
des udab (intellectuels
appartenant llite), sils ne manquent pas de prciser que lobjet
dsign par anq nexiste pas
forcment, rapportent nanmoins ce qui en est dit. La notice de
Qazwn39 est cet gard
exemplaire : aprs avoir rapport des informations pour le moins
extravagantes, dont nous ferons
tat plus loin, il va en accrditer certaines, qui apparentent son
propos certains passages des
Voyages de Sindbad40, avant dajouter :
On a racont au sujet de la anq des choses extraordinaires,
encore plus extraordinaires que ce que nous avons mentionn, mais
elle nmanait pas dun transmetteur fiable alors nous nous sommes
content de ceci.
Dans les limites de cet expos, il parat intressant de regrouper
dans un tableau comparatif les
informations venant sajouter celles dj releves. La premire
colonne comportera linformation
apporte par lun des auteurs. Les quatre autres colonnes
renvoient ces auteurs classs par ordre
chronologique et dsigns par leurs initiales, soit Qazwn (m.
1283), Ibn Manzour (m. 1312),
Damr (m. 1405) et Frouzabd (m. 1415)41. Quand linformation
mentionne dans la premire
colonne figure dans ce quils ont crit au sujet de la anq, le
signe + apparat dans la colonne qui
leur est consacre. Il convient de signaler que ces auteurs, qui
se recopient, parfois pour toute la
notice, nen apportent pas moins chacun une touche particulire
leur vision de la anq.
39 al-Qazwn, Ajib al-Makhlouqt wa-gharib al-Mawjoudt (Cratures
merveilleuses et tres tranges), Beyrouth, Dr Ihy al-Turth al-Arab,
1989, p. 281. Ma traduction. 40 Ainsi, il crit, affirmant rapporter
les propos dun voyageur : On raconte, daprs un commerant , quil
avait dit : nous avions perdu notre chemin dans la mer ocane et
tions perplexes quand nous vmes un mur immense comme un nuage
sombre. Les marins dirent que ctait la anq. Nous la suivmes jusquau
moment o nous pntrmes dans cette obscurit et ouvrmes la bouche pour
limplorer. Il continua nous guider jusqu ce que nous trouvmes le
chemin. Alors il disparut nos yeux . Voir par exemple Histoire de
Sindbad le marin, traduction dAntoine Galland, Librio, Paris, 1999.
41 Les textes dans lesquels figurent les informations runies dans
ce tableau sont : al-Qazwn, op. cit., p. 281. Damr, Hayt al-Hayawn
(La Vie des Animaux), et les deux dictionnaires, le Lisn al-Arab
(La Langue des Arabes) dIbn Manzour et le Tj al-Ars (Le Diadme de
la Marie) de Frouzabd.
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Information Q IM D F
Anq est une dnomination sans objet (ou sans objet connu) + +
Oiseau volumineux quon ne voyait que de sicle en sicle + +
Le plus volumineux des oiseaux + +
On finit par dsigner les calamits par lexpression anq mughrib
+
La anq a sur le cou une marque blanche, en forme de collier + +
+
La anq est un oiseau que lon trouve l o le soleil se couche + +
+
La anq est un oiseau que personne na jamais vu + +
La anq est un oiseau dont les gens ne savent plus rien dautre
que son nom +
Al-anq est le surnom dun Arabe, qui sappelait Thalaba Ibn Amr. +
+
Al-anq est le nom dun roi + + Allh emporta la anq sur lune des
les de locan, sous lquateur. Il sagit dune le que les gens ne
peuvent atteindre , o on trouve de nombreux animaux comme les
lphants, les rhinocros, les buffles, les tigres, les fauves, les
carnassiers. La anq ne les chassait pas car ils taient sous ses
ordres. Quand il (sic) avait pris quelque proie, il en mangeait et
le reste tait mang par les animaux qui taient sous ses ordres. Elle
ne chassait que llphant, ou les grands poissons, ou les dragons.
Quand il (sic) tait rassasi, il leur laissait le reste et montait
sa place pour les regarder manger.
+ +
Quand la anq vole, ses plumes font un bruit pareil celui dune
inondation brutale.
+ +
Quand la anq vole, ses plumes font un bruit pareil au bruit des
arbres quand se lve le vent
Quand la anq vole, ses plumes font un bruit pareil au bruit du
tonnerre du prcde la foudre
+
Guide les voyageurs perdus labri de ses ailes immenses +
Lge de la anq est de mille sept cent ans +
Lge de la anq est de deux mille ans +
La anq saccouple quand elle a cinq cent ans. + +
Luf clos au bout de cent vingt cinq ans. + Quand lheure de
pondre arrive, elle prouve une trs vive douleur. Le mle apporte de
leau de mer dans son bec et le lui injecte. Luf sort alors. Le mle
le couve alors que la femelle se promne et chasse.
+ +
Quand le poussin grandit, si cest une femelle, alors la anq
femelle rassemble beaucoup de bois et le mle allume le feu de son
bec jusqu ce que le bois sembrase. La femelle pntre alors dans le
feu et le poussin reste le compagnon du mle. Si le poussin est un
mle, alors la anq mle fait de mme et le poussin reste le compagnon
de la femelle
+
On a racont au sujet de la anq des choses extraordinaires,
encore plus extraordinaires que celles que nous avons mentionnes
mais elles nmanaient pas dun transmetteur fiable alors nous nous
sommes content de ceci
+
La anq est un curieux oiseau qui pond des ufs gros comme une
montagne +
Selon Aristote, on peut faire avec les griffes de la anq de
grandes coupes dans lesquelles se servir boire
+
La anq a le ventre comme celui dun taureau, les os comme ceux
dun fauve +
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
arabo-musulman classique ?
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Prsente dans le bestiaire fantastique de lArabie pr-islamique,
gomme par lapparition de lIslam
au point de ne plus tre quun signifiant ayant perdu son signifi,
la anq a surtout du phnix,
quelle renat de ses cendres lexicales, partir du IX sicle, pour
simposer comme une crature
extraordinaire laquelle limaginaire arabo-musulman mdival
attribue une place et des fonctions.
Mais, elle trouvera surtout dans la littrature mystique, un
emploi dont je vais essayer de dgager
rapidement les grandes lignes. Je me dois de prciser auparavant
que cest avec ma curiosit de
lectrice et, je lespre, les prcautions requises, que jaborde ce
domaine qui ne relve pas de mon
champ dinvestigation, ni de spcialit ni dexprience42.
3) La anq, mythe littraire dans la littrature des mystiques
musulmans
Cest avec la brve Eptre sur les oiseaux attribue al-Ghazl43 que
semble tre apparue, dans
la littrature mystique, lutilisation symbolique et allgorique de
la anq au service de la qute
spirituelle. Ce texte, fondateur sa manire d'un genre, mrite
d'tre prsent dans le dtail. Le
rcit retrace le voyage des oiseaux vers la anq dont ils ont dcid
de faire leur roi. Dans ce texte,
il parat possible de dire que la 'anq' joue la mme fonction
symbolique que Layl, l'hrone de
l'amour impossible44. Dailleurs, sur les quatre premires
citations en vers, figurant dans lptre,
deux mentionnent expressment le prnom de l'illustre Aime.
Le rcit peut tre rsum de la manire suivante : Ayant dcid de se
donner un roi, les oiseaux sont
unanimes penser que seule la 'anq' peut remplir cette fonction.
Ayant appris qu'elle rsidait sur
une le l'Occident, le dsir et la volont les portent s'y rendre
pour se tenir jamais sous son
ombre. Une voix mystrieuse leur dconseille d'entreprendre le
voyage et leur en fait entrevoir les
risques et les dangers. Ils persistent dans leur projet et
enfourchent la monture de la dcision,
guids par les rnes du dsir . Ils mourront nombreux, certains de
froid, dans les pays froids ;
d'autres de chaud, dans les pays chauds ; d'autre sous les
temptes, quand souffleront les temptes.
Rares sont qui parviendront jusqu' l'le o ils se mettront sous
la protection de la 'anq', l'exhortant
accepter de rgner sur eux. La rponse qu'ils en obtiennent est la
suivante : Vous vous tes
fatigus [inutilement] ! Nous rgnons sur vous, que vous le
vouliez ou non, que vous veniez ici ou
que vous en partiez. Nous n'avons nul besoin de vous 45. Trop
fatigus pour repartir, ils demandent
rester sur place pour pouvoir mourir. C'est quand ils seront
bout de souffle et d'espoir qu'ils
42 Je souhaite remercier vivement ici Monsieur le Professeur
Denis Gril pour laide amicale quil ma apporte dans la prparation de
cette partie. Pour autant, mes points de vue sur la fonction de la
anq dans la littrature mystique du monde arabo-musulman mdival
nengagent que ma seule responsabilit. 43 Certaines sources
attribuent au mystique Ahmad al-Ghazl (m. 1126) cette ptre que lon
peut notamment consulter in Al-Azmah N., Safar al-'Anq',
hafriyyatun thaqfiyyatun f al-Ustra (Le voyage de la 'anq',
archologie du mythe/de la lgende), Dr Kikriyya, Publications du
Ministre de la Culture de la Rpublique Arabe Syrienne, 1999, n 27,
p. 127-130. Ahmad al-Ghazl est le frre du clbre Abou Hmid Mohammad
al-Ghazl (m. 1111). Pour certains, lauteur de lptre est ce dernier,
lAlgazel des Latins. Surnomm Argument de lIslam et auteur dune
Rfutation des Philosophes et dune Rgnration des Sciences
religieuses, il est certainement lun des plus grands penseurs du
monde arabo-musulman mdival, figure imposante derrire laquelle
sestompe celle de son frre. 44 Layl fut la cousine et la bien-aime
du pote lgendaire Qays Ibn al-Moulawwah, plus connu par son surnom
de Majnoun Layl (le fou de Layl) ou de Majnoun (le fou). Tmoignant
de la qute de lamour impossible, le corpus du roman de Majnoun et
de Layl est devenu lune des rfrences majeures de la thorie de
lamour dans le domaine mystique. 45 Al-Ghazl, Eptre sur les Oiseaux
, in Al-Azmah N., op. cit., p. 128. Ma traduction.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
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trouveront l'esprance et seront rconforts et rcompenss. Ils
seront dans le mme temps informs,
par des citations coraniques, que leurs compagnons de route,
morts dans cette qute, tant morts en
martyrs, sont vivants.
On considre gnralement que cest partir de ce texte que Fardouddn
al-Attr (m. v. 1190) a
compos son clbre recueil Le Langage des Oiseaux46. Reprenant le
thme de la qute par les
oiseaux de la 'anq'/smorgh, il fait jouer ltymologie de smorgh
un rle central dans son texte.
Comme al-Jhiz, il interprte le lexme smorgh dans le sens de
trente oiseaux47. Le rcit de
Attr rapporte, dans une grandiose laboration potique 48,
comment, travers leur qute de
Dieu, trente oiseaux ne formeront plus qu'une seule essence avec
la smorgh elle-mme. Il convient
de relever que dans le Langage des Oiseaux, le phnix doit tre
distingu de la smorgh, comme en
attestent les passages suivants :.
Le phnix est un admirable et charmant oiseau qui habite
lHindoustan. Il a un bec extraordinairement long et trs dur, perc,
comme une flte, de trous, au nombre de prs de cent. Il na pas de
femelle, et il vit isol. [] Le phnix vit environ mille ans, et il
connat avec exactitude le temps de sa mort. [] Le jour o le sans du
phnix coule et o se font entendre ses plaintes attendrissantes, est
un jour extraordinaire. Lorsquil na plus quun souffle de vie, il
bat des ailes et agite ses plumes devant et derrire. Par leffet de
ce mouvement, il se produit du feu qui opre un changement dans ltat
du phnix. Ce feu prend promptement au bois, et le bois brle
agrablement. Bientt, bois et oiseau, tout est rduit en braise et
puis en cendre. Mais
lorsquon ne voir plus une tincelle, un nouveau phnix slve du
milieu de la cendre.49
Ce phnix, dont la renaissance na dautre fonction que de faire
prendre conscience aux hommes du
fait que personne ne peut chapper la mort, [] personne nest
labri de la mort 50, ne saurait
tre confondu avec la smorgh ; En effet :
Le51 Simorg commena se manifester en Chine au milieu de la nuit.
Une de ses plumes tomba dont alors en Chine et sa rputation remplit
tout le monde. Chacun prit le dessin de cette plume et quiconque la
vit prit cur laffaire. [] Cette trace de son existence est un gage
de sa gloire ; toutes les mes portent la trace du dessin de cette
plume. Comme sa description na ni
commencement ni fin, il nest pas ncessaire de dire ce sujet plus
que je ne le fais.52
La smorgh se retrouve chez le mystique persan Sohraward (m.
1191)53, notamment dans un trait
intitul L'incantation de la Smorgh 54. Selon Henry Corbin, la
Smorgh est ici le symbole de
46 Attar F., Le Langage des Oiseaux (Mantic uttar), traduit du
persan par Garcin de Tassy, Sindbad, Paris, 1996. 47 Cette
interprtation de smorgh comme signifiant trente oiseaux est
semble-t-il la troisime avoir t propose dans lhistoire de ce terme
(EI, vol. IX, F. C. de Blois, article Smorgh). 48 EI, vol. I,
article Attr de H. Ritter, p. 775-776, p. 775. 49 Attr F., op.
cit., p. 163. 50 Ibid. 51 Garcin de Tassy emploie smorgh comme un
masculin. 52 Attr F., op. cit., p. 50. 53 Sohraward est considr
comme un mystique novateur, dont l'cole de pense est connue sous le
nom de philosophie de l'illumination, une approche mettant en cause
de l'universalit de la mthodologie scientifique d'Aristote. Il est
l'auteur d'une cinquantaine de traits, dont certains demeurent
indits. 54 Suhraward, L'archange empourpr, quinze traits et rcits
mystiques traduits du persan et de l'arabe par H. Corbin, Paris,
Fayard, Coll. Documents spirituels, 1976, rcit n 14, p.
443-469.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
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l'Ange-Esprit-Saint 55. Dans le mme temps, c'est la face
imprissable de chaque tre, face divine
et face humaine se rflchissent l'une l'autre, se rciproquent par
la vision dans le miroir. Mais
aucun tre humain ne peut survivre au dvoilement de ce mystre
[...]. Recevoir en don cette vision,
c'est dj franchir le seuil 56. Dans son incantation, la smorgh
livre ceux qui lcoutent le sens
mystique de la sakna (quitude)57, du fan (anantissement) et du
tawhd (Unicit). Voil
comment la smorgh est prsente dans cette allgorie :
Chaque huppe58 qui au printemps abandonne son nid, de son propre
bec se dpouille de son propre plumage et prend son envol vers la
montagne de Qf, voici que lombre de la montagne de Qf stend sur
elle pour la dure dun millier dannes de ce temps terrestre. []
Alors pendant ce temps la huppe devient une Smorgh dont
lincantation rveille les ensommeills. Sa rsidence est dans la
montagne de Qf ; son incantation parvient tous mais il ny a quun
petit nombre lui prter loreille. [] Cette Smorgh prend son essor
tout en restant immobile ; elle vole sans franchir de distance ;
elle sapproche et pourtant elle na parcouru aucun lieu. Sache que
toutes les couleurs drivent de la Smorgh mais quelle-mme na aucune
couleur. Son nid est en Orient mais sa place en Occident ne reste
pas vacante. Tous sont proccups delle, mais aucun ne la proccupe.
[] La nourriture de la Smorgh est le feu. Quiconque noue une plume
de ses ailes son ct droit, passera travers le feu en tant prserv de
toute brlure. La brise du matin drive de son respir ; cest pourquoi
les amants lui disent le mystre de leur cur, les
secrets de leurs penses intimes.59
Si, comme nous venons de le voir, la anq est indissociable de la
smorgh dans la littrature
mystique persane, notamment chez Sohraward, surnomm le Shaykh de
lIllumination, elle
trouvera un autre emploi symbolique dans luvre du mystique
andalou Ibn Arab (m. 1240)
surnomm le Shaykh al-Akbar (ou le Grand Matre). Dans son Livre
de lArbre et des quatre
Oiseaux60, Ibn Arab fait dire ltrange phnix :
Je suis le Phnix occidental ; ma demeure a toujours t loccident,
dans la station mdiane, sur le rivage de locan. Des deux cts la
gloire menveloppe sans que jamais mon tre ne se manifeste sous une
forme dtermine. []
Je suis celui qui nexiste pas comme tre dfini,
celui qui ne manque aucune qualification.
Phnix occidental ainsi est-on convenu de mappeler, bien que
close soit la porte de mon existence.
Pourtant ce nest pas en vain que le Tout-Misricordieux ma
mentionn mais en raison dun secret quil faut rechercher, Car cest
moi qui prodigue lintime des tres la connaissance par la continuit
de notre voie.61
55 Sohraward, op. cit., p. 199. 56 Ibid. 57 Il va de soi que la
traduction usuelle de ces termes ne peut rendre compte de leur
utilisation spcifique dans les textes mystiques. Ainsi, la sakna
est pour Sohraward la prsence demeure des Lumires divines dans
lme-temple (Corbin, op. cit., p. 466). 58 La huppe (hudhud) joue un
rle important dans les lgendes islamiques concernant Salomon,
notamment dans ses relations avec la reine de Saba (EI, vol. III,
article Hudhud de J. Wensinck, p. 560). 59 Sohraward, op. cit., p.
449-450. 60 Gril D., Le Livre de lArbre et des Quatre Oiseaux , in
Annales Islamologiques, tome XVII, Institut Franais dArchologie
Orientale du Caire (IFAO), Le Caire, 1981. 61 Gril D., op. cit., p.
107.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
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Ayant choisi de traduire anq par phnix, Denis Gril prcise :
Si ce terme, sans doute le fminin de anaq, dsigne bien un oiseau
au long cou, il conciderait avec la reprsentation antique du phnix
sous la forme dun hron cendr. Toutefois, son caractre nettement
occidental [...] ne semble gure correspondre la tradition gyptienne
et
hellnistique, mais plutt relever dune origine orientale.62
Pour lui,
la anq est assimile au smurgh persan, symbole de lidentit de
ltre aussi bien que de la materia prima qui renvoie chacun sa
propre image. La situation de la anq sur une le de lOcan, lextrme
occident, limite ultime de notre monde, nest pas forcment en
contradiction avec la localisation antique du phnix en Arabie ou
lOrient. Extrme occident et extrme orient se rejoignent pour faire
ressortir lambivalence du symbole eschatologique: mort et
rsurrection.
Sil ne rejette pas la synthse zoologique entre anq, smorgh et
phnix, Denis Gril souligne
bien que cest du symbole de lidentit de ltre aussi bien que de
la materia prima qui renvoie
chacun sa propre image qu'il s'agit ici. Cela est confirm par
Gerald Elmore, prsentant sa
traduction, sous le titre The Fabulous Gyphon, dun ouvrage
probablement compos par Ibn Arab
vers lge de 36 ans, dans son Andalousie natale, quand il indique
:
Nowhere in the Anq nor in any other writing of which I am aware,
are we given any hint as to precisely what the Fabulous Gryphon in
the title of this book is actually meant to signify. The term, anq,
by itself, is defined by Ibn al-Arab in his Istilht as a metonym,
or stock symbol, for the fine, atomic, or cosmic dust (al-hab), in
which God hollows out/builds
up, as it were, the bodies of this world.63
Effectivement, la dfinition donne par Ibn Arab de la anq, et
rappele plus haut par Elmore,
est pour le moins sobre :
La anq, ce sont les atomes de poussire lumineuse (hab)64 avec
lesquels Allh a
ouvert/ralis les corps de ce monde.65
Ds lors que cette dfinition laconique apparat, chez son auteur,
dans lopuscule o il dfinit ses
propres concepts, la sobrit dont il fait montre a deux
implications mthodologiques. La premire
est quelle permet daffirmer que chez Ibn Arab, la anq ne saurait
tre considre autrement que
comme une allgorie fondant la rflexion. Nous sommes donc loin du
bestiaire voqu dans les
deux premires parties de ce travail, loin de la crature
fantastique gnralement conue comme
un lion ail avec une tte daigle, et souvent des oreilles de
chien. Plus traditionnellement, aigle
62 Gril D., op. cit., p. 65 63 Elmore G., Islamic Sainthood in
the Fullness of time, Ibn al-Arabis book on the fabulous gryphon,
Brill, Leyde, 1999, p. 187. 64 La traduction que je propose
ncessite dtre explicite. Hab est habituellement rendu par poussire,
mais deux dfinitions proposes par Ibn Manzour, me portent considrer
que cette poussire est lumineuse (fume tincelant dans lair,
poussire fine et brillante rpandue sur la (sur)face de la terre)
(Cest moi qui souligne). Le dictionnaire bilingue Kazimirski
propose pour hab par atomes de poussire que lon voir voltiger dans
une chambre lorsque le soleil y pntre par une ouverture . 65 Ibn
Arab, Mujam Istilht al-Soufiyya, d. par B. al-Jb, Dr al-Imm Muslim,
1990, p. 68. Ma traduction.
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Katia Zakharia, La anq, quelle place pour le phnix dans le monde
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gigantesque, vautour, cygne, hron 66 ou de l amalgame, hybride
de diverses traditions antiques
circulant au Moyen Orient, griffon, phnix ou sphinx selon les
sources qui en rendent compte 67.
La seconde implication de la brivet de cette dfinition est que
le lecteur, pour cerner les contenus
dfinitionnel et conceptuel de la anq dans luvre dIbn Arab, ne
doit pas seulement se livrer
un travail de comprhension et dinterprtation mais aussi un
vritable travail dlaboration, je
nose dire dexprience.
Quoi quil en soit, la anq, telle que la prsente luvre dIbn Arab,
figure de la ralit
spirituelle de tout tre et symbole du cur de liniti ouvert
toutes les formes68, sera reprise
ultrieurement par dautres auteurs mystiques, dont le plus clbre
est Abd al-Karm al-Jl (m.
1428), dans son ouvrage al-Insn al-Kmil (Lhomme
universel)69.
Au terme de cet expos, il parat possible de dire que la anq,
associe partir du IX sicle la
smorgh, peut tre tudie partir de deux axes complmentaires :
celui du bestiaire fantastique,
auquel cas, il faudrait la mettre en relation avec dautres
oiseaux fabuleux comme le rokhkh ou le
wq-wq, etc. ; celui du mythe littraire mystique, pour lequel
cest en lui-mme que chacun peut
apprendre quelque chose sur ce signifiant en qute de son
signifi.
66 Elmore G., op.cit., p. 184, 67 Elmore G., op.cit., p. 185. 68
Jemprunte ces postulats, et en partie la terminologie que jutilise
ici, Denis Gril. 69 Des raisons contingentes mont rendu impossible
la consultation de cet ouvrage dans une version intgrale qui me
permette den faire une prsentation et un commentaire rapide dans le
prsent expos.