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La rcriture du mythe des Atrides
Annexes
Document 1
Document 2
Programme du thtre de la Cit (saisons 1942-1943 et
1943-1944)
[] Argos. Une ville sombre sous un soleil de feu. Les mouches
linfestent, les remords laccablent. Quinze ans plus tt,
Clytemnestre, la femme du roi Agamemnon, la assassin avec la
complicit dgisthe. gisthe a pris le pou-voir, il a institu des
cultes tranges qui main-tiennent ses sujets dans une abjecte
humilit. Oreste, fils du roi mort, revient dans sa patrie : il ne
songe point venger son pre, il aurait horreur de verser le sang
mais il est las de sa vie errante dexil, il voudrait retrouver une
place, ft-ce la plus humble, dans sa ville natale. En vain. Sa sur
lectre elle-mme le repousse :
lusurpateur la rduite au rang desclave, elle se dissimule sa
honte sous des rves de vengeance et de haine. Elle ne peut
reconnatre en le jeune voyageur, hsitant et timide, doux comme une
fille, le librateur quelle attendait. Oreste sen ira-t-il ?
Reprendra-t-il le chemin de lexil ? Voici quil dcouvre en lui une
libert singulire et terrible. il tuera gisthe et Clytemnestre, il
dlivrera les gens dArgos et puis, il partira, emmenant avec lui
toutes les mouches de la ville : car les mouches taient les rinyes,
les desses des remords. Mais elles bourdonneront vainement autour
de sa tte. Oreste sait quil est libre, il assume librement son
crime, il ne se repentira pas.
Nous reprenons ici la proposition faite par Jean-Louis Jeannelle
dans Les Mouches de Jean-Paul Sartre, coll. Connaissance d'une uvre
, d. Bral.
Acte I, scne I (p. 105 120) : Oreste, accom-pagn du Pdagogue,
arrive sur une place d'Argos. la recherche du palais d'gisthe, ils
demandent leur chemin des femmes qui s'enfuient leur approche. Un
homme, dont le Pdagogue note la ressemblance avec Jupiter
Ahenobarbus, et qui les suit depuis longtemps,les aborde. il se
prsente sous le nom de Dmtrios et leur conte l'histoire d'Argos.
Les dieux ont envoy sur cette ville des mouches, symboles de la
culpabilit qui pse sur ce peuple qui s'est fait le complice du
meurtre d'Agamemnon, tu par Clytemnestre, sa femme, et gisthe,
l'amant de celle-ci. gisthe rgne sur Argos depuis quinze ans et
toute la ville vit plonge dans la contrition et le remords. lectre,
la fille d'Agamemnon et de Clytemnestre habite encore dans le
palais, mais on ne sait quel a t le sort d'Oreste, son frre :
a-t-il t assassin par gisthe ou a-t-il t recueilli par des
bour-geois d'Athnes ? Oreste dit se nommer Philbe et venir de
Corinthe. Dmtrios-Jupiter livre alors Philbe les conseils qu'il
adresserait Oreste s'il se prsentait devant Argos : il lui faut
partir sous peine de dtourner les habitants de la voie du rachat et
de provoquer ainsi leur
malheur. Philbe-Oreste admet que tout cela ne le regarde
pas.Scne II (p. 120 126) : rests seuls, Oreste et le Pdagogue
s'entretiennent de la jeunesse d'Oreste, qui, malgr l'ducation
qu'il a reue, se plaint de n'avoir aucun souvenir. Oreste pense
n'tre qu'une libert vide, il affirme envier les autres hommes qui
naissent engags , et qui savent qu'ils vont quelque part . il
imagine alors l'enfance qu'il aurait mene dans ce palais, qui ne
lui voque cependant rien : ce n'est pas son palais. Oreste dcide de
partir, mais regrette de ne pouvoir tre accueilli et combler ainsi
levide de son cur.Scnes III et IV (pp. 126-128 ; pp. 129-135) : au
moment de partir, il surprend une femme qui vient couvrir la statue
de Jupiter d'ordures et d'injures. Elle menace le dieu en affirmant
qu'un homme viendra et renversera la statue. Oreste s'approche, se
prsente sous sa fausse identit et apprend qu'il s'agit d'lectre. il
l'interroge sur son existence qu'elle dcrit comme celle d'une
esclave au service d'un usurpateur et d'une mre qu'elle hait.
lectre l'interroge son tour sur Corinthe et s'mrveille l'vocation
d'une vie si douce, libre des remords.Scnes V et VI (pp. 136-144 ;
pp. 145-146) : arrive Clytemnestre qui rappelle lectre qu'elle doit
passer sa robe noire pour la crmonie qui va avoir lieu. Devant la
rsistance de celle-ci, Clytemnestre dclare se reconnatre dans
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le visage de sa fille, ce que confirme Oreste. Clytemnestre se
prsente Philbe-Oreste maiselle est interrompue par lectre qui
ironise et l'accuse de prendre plaisir se confesser publiquement,
comme le font tous les habi-tants d'Argos. La reine dclare ne pas
regretter le meurtre de son mari et demande Philbe-Oreste de
partir, mais lectre le presse de resterafin d'assister la fte des
morts.Aprs leur dpart, Dmtrios-Jupiter vient pro-poser au jeune
homme ses services pour l'aider quitter la ville, mais voyant que
celle-ci a chang d'avis, il l'invite loger avec lui dans une
auberge.Acte II, premier tableau, scnes I, II, III (pp. 150-154 ;
pp. 155-160 ; pp. 161-168) : sur une plate-forme dans la montagne,
devant une caverne ferme par une grande pierre, les Argiens
attendent avec angoisse le dbut de la crmonie. C'est lectre que
l'on attend, mais les gardes ne la trouvent pas. On te donc la
pierre et le Grand Prtre invoque les morts en dansant au son d'un
tam-tam. gisthe veille la terreur de la foule et rappelle chacun
ses crimes. toute la foule crie piti. lectre apparat alors, vtue de
blanc au lieu d'tre en deuil, suscitant la frayeur et l'indignation
des Argiens. Elle dclare devant tous que son bonheur rjouit au
contraire son pre, et elle exhorte les Argiens la joie. Elle danse
et demande ses morts de ne faire aucun signe s'ils approuvent sa
conduite. Des gens dans la foule se retournent contre gisthe, mais
Jupiterfait rouler la pierre. Les Argiens accusent donc lectre de
les avoir tromps, et gisthe la condamne l'exil. lectre reste seule
avec Oreste.Scne IV (pp. 168-184) : lectre dit philbe-Oreste qu'il
l'a trompe en lui faisant oublier sa haine. Elle refuse de fuir
d'Argos avec lui et ne souhaite plus que pouvoir se venger. Elle
dclare attendre son frre. S'il refusait son destin, elle ne
pourrait que le mpriser. Philbe alors dvoile sa vritable identit.
lectre refuse de partir avec lui et se moque de sa belle me
.Oreste, renvoy sa solitude, tranger aux autres et lui-mme, invoque
alors Zeus en lui demandant de lui montrer le bien. Une lumire qui
fuse d'une pierre signifie alors Oreste de partir d'Argos. Mais un
changement se produit en Oreste qui dclare qu'il y a un autre
che-min , son chemin. il doit prsent quitter la lgret de sa
jeunesse, prendre de force cette ville qui le refuse, et voler les
remords des Argiens. il ne s'agit cependant pas pour lui d'expier
et lectre appelle pour la premire fois son frre par son vritable
nom. prsent, ce qu'elle attendait et qu'elle redoutait tant
vas'accomplir.Deuxime tableau, scnes I, II, III, IV (p. 185 ;
pp. 186-189 ; pp. 190-192 ; p. 192) : Oreste et lectre se sont
introduits dans le palais. ils se cachent derrire le trne lorsque
deux soldats entrent. ils se plaignent des mouches et imaginent
q'Agamemnon les observe, assis sur son trne. gisthe et Clytemnestre
entrent. Le roi dclare tre las de toute cette comdie et ne plus
pouvoir porter ainsi bout de bras les remords de tout un peuple.
Lui-mme craint la prsence de celui qu'il a assassin, alors qu'il
n'a invent la fable de la crmonie des morts que pour effrayer le
peuple. il renvoie Clytemnestre et se lamente du vide qu'il sent en
lui.Scnes V, VI, VII, VIII (pp. 193-203 ; pp. 204-206 ; pp. 207-208
; pp. 208-212) : gisthe ne reconnat pas immdiatement Jupiter, qui
entre dans la salle du trne et qui vient l'avertir du danger qui le
menace. Mais gisthe refuse de faire arrter lectre et Oreste. il ne
veut plus accomplir les desseins de Jupiter et se montre jaloux de
l'attention que celui-ci porte Oreste, alors que lui-mme paye sa
faute depuis si longtemps. Jupiter lui montre comment son crime
irrflchi lui a servi plonger toute une ville dans le repentir. Le
crime d'Oreste ne lui sera d'aucune utilit car celui-ci ne le
regret-tera pas. Jupiter invoque l'Ordre ; gisthe seul peut arrter
Oreste, car les dieux ne peuvent frapper un homme lorsqu'il a pris
conscience de sa libert. Cependant, lorsqu' Oreste l'attaque,
gisthe se laisse assassiner. lectre hsite alors et Oreste va seul
dans la chambre de Clytemnestre. lectre doit s'exhorter vouloir
pleinement ces crimes dont elle a rv. son retour, Oreste dclare
qu'il est libre et qu'il vient de natre et de faire natre sa sur.
Celle-ci dit ne pas se sentir libre aprs cet acte. Elle s'effraie
de voir les mouches fondre sur eux. ils se refugient dans le temple
d'Apollon.Acte III, scne I (pp. 215-225) : Oreste et lectre dorment
au pied de la statue d'Apollon, veills par les rinnyes qui se
rjouissent l'ide de faire souffrir ces deux jeunes gens. lectre
s'veille d'un cauchemar : sa mre tait tombe et saignait
abondamment. Elle repousse Oreste, qui reconnat le visage de
Clytemnestre dans celui de sa sur. Les ritmyes voquent alors la
mort de Clytemnestre et poussent lectre accuser son frre d'avoir t
le bour-reau de sa propre mre. Oreste l'assure souffrir lui aussi
au souvenir de cette mort. Mais il ne regrette pas cet acte, car il
est libre, par-del l'angoisse et les souvenirs . Mais lectre dclare
qu'elle le hait et veut le fuir. Elle tombe dans les griffes des
rinnyes.Scne II (pp. 225 -239) : Jupiter entre et loigne les
rinnyes. il fait preuve d'ironie
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Document 3
et tente de faire flchir Oreste. Mais, ni sa dchance, ni celle
de sa sur ne lui font regretter son acte : lectre est seule
pou-voir allger ses souffrances, car elle est libre. Jupiter leur
demande de se repentir. il dit lectre qu'elle n'a pas voulu le mal,
mais a rv ce crime et a agi en petite fille. Oreste tente d'empcher
sa sur de renier son acte et il refuse de prendre le pouvoir
d'gisthe que lui propose Jupiter. Celui-ci, afin de briser
l'orgueil d'Oreste, fait apparatre les constel-lations clestes qui
tmoignent de l'harmonie de la nature. tout homme doit se soumettre
la volont de son crateur. Mais Oreste dclare que la nature tout
entire peut l'craser, il n'enest pas moins libre. il est sa propre
libert, quelle que soit sa situation. il ne peut suivre que son
propre chemin. il dcide donc de rv-ler aux Argiens leur libert.
Jupiter se retire alors. Mais son rgne n'a pas encore pris fin et
il appelle lectre tre de son ct.
Scnes III, IV, V, VI (pp. 239-241 ; pp. 242 : 243 ;pp. 243-244 ;
pp. 245-246) : celle-ci s'apprte le suivre. Oreste lui propose de
l'accompagner dans son errance. Mais lectre choisit la voie du
repentir et se fait l'esclave de Jupiter. Oreste reste seul avec
les rinnyes. Le Pdagogue apparat alors : il annonce son matre que
les Argiens assigent le temple pour le mettre mort. Oreste lui
ordonne d'ouvrir la porte dutemple car il veut parler son peuple.
La foule fait cependant silence lorsqu'il se pr-sente comme Oreste,
fils d'Agamemnon et qu'il dsigne ce jour comme celui de son
couron-nement. il leur fait peur car il n'est pas des leurs.
Contrairement gisthe, il ne regrette pas son crime, mais le
revendique devant tous. Oreste choisit de s'exiler et conte aux
Argiens l'histoire de Scyros, infeste par les rats. Un jour, un
joueur de flte vint dans la ville : tous les rats se mirent le
suivre et il disparut avec eux, comme ceci : Oreste s'enfuit alors,
pour-suivi par les rinnyes.
Tableau emprunt Alain Beretta, tude sur Jean-Paul Sartre, Les
Mouches, coll. preuve de franais , d. Ellipses, 1997.
Au cours d'un festin, Tantale servit aux dieux son fils Plops,
qui fut ensuite ressuscit.
Plops pousa Hippodamie aprs avoir triomph d'namaos, roi d'lide,
avec l'aide du cocher Myrtilos, dans une course de chars dont la
jeune fille tait l'enjeu.Atre et Thyeste furent des frres ennemis :
se disputant leurs pouses : Thyeste sduisit Arop ;Plopia, aprs une
relation incestueuse avec son pre Thyeste, dont naquit gisthe,
pousa son oncle Atre ; se disputant le pouvoir : quand Atre fut lu
roi de Mycnes, il bannit Thyeste, puis, feignant une
rconci-liation, l'invita un banquet o il lui servit ses deux
enfants, qu'il avait massacrs.
gisthe rgna avec son pre Thyeste Mycnes avant d'en tre chass par
Agamemnon. Pendant l'absence de ce dernier, parti pour le sige de
Troie, il sduisit Clytem-nestre et, quand le roi revint, il le fit
assassiner.
lectre et Oreste vengrent le meurtre d'Agamemnon en tuant gisthe
et Clytemnestre sept ans aprs. Les dieux, frapps d'horreur,
dpchrent Oreste les Erinyes, mais Apollon le dfendit et Athna
l'acquitta de son meurtre.lectre protgea galement son frre de la
colre de son peuple. Sauv par Iphignie en Tauride, Oreste succda
son pre et pousa Hermione. lectre pousa Pylade, cousin et ami
d'Oreste.
ARES ZEUS
OENAMAOS TANTALE
PELOPSHIPPODAMIE
AEROPE
MENELAS
HELENE
CHRYSOTHEMIS IPHIGENIE ORESTE
HERMIONEfille de Mnlas et Hlne
PYLADEami dOreste
ELECTRE
AGAMEMNON CLYTEMNESTRE EGISTHE
ATREE TRYESTE PELOPIA
PLOUTO(nymphe)
AVEC L'AiMAbLE AUtORiSAtiOn DES DitiOnS ELLiPSES
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Document 4
Michel Leiris, Oreste et la Cit , Les Lettres franaises, n 12,
dcembre 1943, p.1-3.
Au moment de la cration des Mouches, l'cri-vain Michel Leiris
rdige un compte rendu qui parat clandestinement dans Les Lettres
franaises. il donne, en quelque sorte, le point de vue et
l'assentiment du milieu littraire rsistant, clairant le message
politique et philosophique de la pice avec beaucoup de
perspicacit.Les mouches j'entends ici : les vraies, les poli-cires,
celles qui pullulent dans les joumaux sti-pendis ont bourdonn trs
fort, l't dernier,contre ces autres Mouches, pice dont le thmeest
celui de l'Orestie d'Eschyle et qui vient d'trereprise au thtre de
la Cit.L'aubaine tait en effet excellente, car dans cette uvre
telle qu'on n'en avait pas vu en France d'aussi puissante depuis
nombre d'an-nes un problme crucial est abord : celui de la libert
comme fondement mme de l'homme ou condition sine qua non pour qu'il
y ait, au sens strict du terme, humanit .inutile de rappeler ici,
autrement qu'en quelques mots, le sujet de l'Orestie : aprs le
meurtre d'Agamemnon, roi d'Argos et de Mycnes, par son pouse
Clytemnestre qu'assiste son amant gisthe, le fils d'Agamemnon,
Oreste, aid de sa sur lectre que les deux meurtriers ont rduiteen
servage, les tue et dlivre du mme coup Argos de leur tyrannie ;
rfugi Athnes, Oreste, protg par Apollon et par Minerve, fait sa
paix avec les rinyes, qui le poursuivaient en tant que prposes par
les dieux la vengeance du sang matemel.De l'Orestie, Les mouches
ont repris le thme central : chtiment de Clytemnestre et d'gisthe
par le jeune Oreste, qui doit ensuite faire faceaux rinyes, ici
reprsentes sous la forme de mouches, insectes effectivement
obsdants comme le peuvent tre les remords. Mais, de latragdie
antique au drame contemporain, l'orientation a totalement chang :
de victime de la fatalit, Oreste est devenu champion de la libert.
S'il tue, ce n'est plus pouss par des forces obscures mais en
pleine connaissance de cause, pour faire acte de justice et, par
cette prise de parti dlibre, exister enfin en tant qu'homme au lieu
d'tre le vague adolescent que les fleurs de la plus fine culture
avaient
simplement affranchi des communs prjugs sans lui fournir le
moyen d'accder la viri-lit (l'on songerait presque, ici, au meurtre
initiatique que, dans certaines socits dites primitives , le jeune
homme est oblig d'accomplir avant de prendre rang parmi les
adultes). S'il tient en respect les rinyes, ce n'est plus grce la
mise en jeu d'un rituel et d'une procdure mais parce que, ayant
assum l'entire responsabilit de son acte, il n'a pas connatre le
remords et peut opposer un front d'airain ces sirnes, qu'on nous
montre ter-ribles et la fois charges de toute la sduction qu'ont,
pour les faibles, dlectation morose et auto-accusation. la rigueur
de l'attitude d'Oreste, s'oppose l'inconsistance de celle d'lectre,
vhmente etsacrilge mais qui, incapable de sortir du
cerclepassionnel, de s'vader du cycle des rancunes familiales,
apparat confine entre l'rotisme et une sorte de contre-religiosit
qui n'est, en somme, qu'une pit retoume et, par cons-quent, se
situe encore sur le plan religieux.Ronge par la haine comme les
gens d'Argos le sont par la peur, lectre qui, faute de lucidit et
de courage, n'a pas agi librement ressem-blant en cela sa mre
Clytemnestre comme elle lui ressemble physiquement sera la proie du
remords et n'chappera aux rinyes que par le repentir, allant jusqu'
renier la fureur qui l'animait quand elle poussait son frre faire
vengeance. ces apports tout nouveaux au thme clas-sique de l
'Orestie, il faut joindre la conduite de l'Oreste des Mouches
l'gard du peuple qu'il a dbarrass de ses tyrans. Alors qu' la fin
de : l'Orestie Oreste retourne Mycnes pour rentrer en possession de
l'hritage paternel, Oreste, dans Les mouches, refuse de rgner et
quitte sa ville natale sans intention de retour, entranant avec lui
les mouches ou Erinyes qui infestaient la ville. la passivit
d'gisthe (si las de son pouvoir, si cras par le dgot. qu'il s'offre
de lui-mme, telle une victime sacrificielle, au couteau du
meurtrier) s'oppose, comme ce qui vit ce qui est dj mort, l'activit
du jeune Oreste. La tyrannie, en effet, enferme gisthe dans un
cercle vicieux : il s'est fait meurtrier par got de l'ordre, pour
que l'ordre rgne par lui ; mais cet ordre s'avre bientt n'tre que
le rseau de croyances et de rites qu'il doit forger lui-mme
les enjeux de la pice
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pour se faire craindre des autres, pour leur faire partager sa
mauvaise conscience ; finalement il est, comme il le dit, victime
de l'image de lui-mme qu'il impose ses sujets. tout, en lui, n'est
plus alors que peur : peur des spectres qu'il a lui-mme invents
pour terrifier les autres par ces personnifications de leurs
remords, peur qu'il a que vienne un jour o il ne fera plus assez
peur, peur du vide qu'il sent en lui. l'inverse d'gisthe, Oreste
commet un meurtre qui le laisse sans remords et lui confre une
pl-nitude, parce qu'il ne s'agit pour lui ni de ven-geance ni
d'ambition personnelle mais d'un acte accompli librement, pour
chtier le couple par qui tait tenue dans l'abjection la collectivit
en laquelle il voulait s'insrer. Au lieu d'craser,comme gisthe,
autrui sous le poids d'un remords dont il serait le premier cras,
au lieu d'tre haine de soi et, partant, haine des autres, il dlivre
ceux-ci et trouve sa place et sa fonction en prenant sur sa propre
tte, avec le sang dont il n'a pas hsit se souiller, toute la
culpabilit latente de la socit. Ainsi, il les libre doublement :
d'une part, supprimant leur tyran et leur apprenant que la nature
humaine est libert ; d'autre part, jouant le rle d'un bouc missaire
sur qui les autres peuvent se dcharger de leurs pchs (dans
l'horreur mme dont ils revtent l'image de ce meurtrier sans
remords) ou, plutt, celui d'un chaman guris-seur dont le pouvoir
repose sur le fait que lui seul est de taille prendre sur lui, sans
succom-ber, le dmon qui causait la maladie.Dress contre le pouvoir
spirituel que repr-sente un dieu cauteleux et le pouvoir temporel
qu'incarne gisthe le soudard, l'acte d'affirma-tion de soi accompli
par Oreste prend figure de rvolution. Aussi loign du scepticisme
confortable qu'il tenait de sa culture huma-niste et librale que de
la rvolte lmentaire d'lectre qui n'est qu'aveugle dchanement,
pareillement ddaigneux de la vie trop facile qu'on mne dans une cit
telle que Corinthe et de la dvotion tremblante aux morts en
laquelle
se complaisent les habitants d'Argos, Oreste a bris le cercle
fatal, fray, la voie qui mne du rgne de la ncessit celui de la
libert. Mais il ne saurait tre question, pour lui, d'une prise du
pouvoir : libre, Oreste a rompu le cercle et n'a donc pas dominer
les autres, traiter autrui comme une chose ; parce qu'il est sans
chanes, il n'a pas besoin d'enchaner. Un chef, d'ailleurs, n'est-il
pas ncessairement li son peuple par des liens de dpendance
rciproque et, dans le cadre de rapports impliquant un esclavage,
peut-il tre question, pour quiconque, d'une vraie libert ? De sa
propre libert est corollaire la libert qu'Oreste laisse aux autres,
puisqu'il ne pourrait leur imposer des lois sans, du mmecoup, en
tre dupe lui-mme.Aux gens d'Argos, aprs les avoir dlivrs de cette
grande peur qu'il faut avoir parce que c'est comme cela qu'on
devient un honnte homme , Oreste se bornera lguer son exemple :
chacun de faire comme lui et d'ac-complir le saut, s'engageant
dangereusement et de sa propre dcision dans la voie aride ainsi
inaugure, l'encontre d'un bien qui n'est autre que leur bien ,
celui des hommes alins eux-mmes par le respect de l'ordre tabli. Je
ne suis ni le matre, ni l'esclave, Jupiter. Je suis ma libert , dit
Oreste, qui dclare peu aprs que chaque homme doit inventer son
chemin . Rvle elle-mme par le geste d'Oreste, on peut penser que la
cit d'Argos, au lieu d'tre un agrgat de matres et d'esclaves, se
changera en une association d'hommes devenus conscients de leurs
responsabilits et, affranchis du joug religieux comme du joug
politique, se tenant leur propre hauteur, par-del bonheur et
dsespoir.telle est, en traits rapides, la grande leon morale qui
semble devoir tre tire des Mouches, au niveau de la cit.
Avec l'aimable autorisation des Lettres franaises.
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Document 6
Matriel pour l'activit page 8
Premier papieri 1 = Jai demand cent fois notre chemin dans cette
maudite bourgade qui rissole au soleil Je dois demander mon chemin
i, 1 = Je ne sais plus Je ne sais pas. Je ne peux pas texpliquer.
(p.132-133)
Deuxime papier Je te dis quil y a un autre chemin, mon chemin Il
savance vers lectre tu es ma sur, lectre, et cette ville est ma
ville. Ma sur ! Il lui prend le bras.lectre Laisse-moi ! tu me fais
mal, tu me fais peur et je ne tappartiens pas. Oreste Je sais. Pas
encore : je suis trop lger. il
faut que je me leste dun forfait bien lourd qui me fasse couler
pic, jusquau fond dArgos. Attends. Laisse-moi dire adieu cette
lgret sans tache qui fut la mienne. Laisse-moi dire adieu ma
jeunesse.
troisime papier nous tions trop lgers, lectre : prsent nos pieds
senfoncent dans la terre comme les roues dun char dans une ornire.
(p. 240)
Quatrime papier Je ne suis ni le matre ni lesclave. Je suis ma
libert ! Je ne reviendrai pas ta nature : mille che-mins y sont
tracs qui conduisent vers toi, mais je ne peux suivre que mon
chemin. Car je suis un homme, Jupiter, et chaque homme doit
inventer son chemin.
Les Mouches l'preuve du plateau
Document 5
Cartographie des didascalies
i, 1 =De vieilles femmes vtues de noir entrent en procession et
font des libations devant la statue. Un idiot assis par terre au
fond. Entrent Oreste et le pdagogue puis Jupiter
i, 2 =Oreste, le pdagoguei, 3 =Oreste, le pdagogue, lectrei, 4
=Oreste, lectrei, 5 =Oreste, lectre, Clytemnestrei, 6 =Oreste,
Jupiter
PREMIER TABLEAUii, 1 = La foule, puis Jupiter, Oreste, et le
pdagogueii, 2 =La foule, Jupiter, Oreste, le pdagogue, gisthe,
Clytemnestre, le grand prtre, les gardesii, 3 =La foule, Jupiter,
Oreste, le pdagogue, gisthe, Clytemnestre, le grand prtre, les
gardes, lectreii, 4 =lectre, Oreste
DEUXIME TABLEAUii, 1 =Oreste, lectreii, 2 =Oreste et lectre
(cachs), deux soldatsii, 3 =gisthe, Clytemnestre, Oreste et lectre
(cachs)ii, 4 =gisthe, Oreste et lectre (cachs)ii, 5 =gisthe, Oreste
et lectre (cachs), Jupiterii, 6 =gisthe seul, puis Oreste et
lectreii, 7 =lectre seuleii, 8 =lectre, Oresteiii, 1 =lectre,
Oreste, les rinyesiii, 2 =lectre, Oreste, les rinyes, Jupiteriii, 3
=lectre, Oreste, les rinyesiii, 4 =Oreste, les rinyesiii, 5
=Oreste, les rinyes, le pdagogueiii, 6 =Oreste, les rinyes, le
pdagogue, la fouleIl sort ; les rinyes se jettent en hurlant
derrire lui.
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Document 7
PAUL COx
Affiche de Paul Cox pour la cration de la pice
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Document 9
OrESTE POUrSUIvI PAr LES fUrIES, WiLLiAM bOUGUEREAU, hUiLE SUR
tOiLE, 233 x 280 CM, ChRYSLER MUSEUM OF ARt, nORFOLk, VA
Document 8
Sartre sinspire dun pisode sanglant du mythe grec des Atrides
pour dvelopper la question centrale de sa philosophie
existentialiste : lhomme et la libert. Les hros sont des liberts
prises au pige : Chaque personnage ne sera rien que le choix dune
issue . Peu joue depuis plusieurs dcennies, la pice les Mouches
est ici revisite dans une mise en scne originale faisant voler
les conventions, la recherche dune forme vive, libre et actuelle.
Dans cette anti-tragdie , lhomme saffranchit des dieux : il est
responsable de ce quil est. Son destin est en lui-mme .
Une question qui mrite dtre nouveau pose face au sentiment
actuel de soumission aux forces conomiques
| Cie L'oreille interne | Thomas Lonchampt : Oreste | Emma
Pluyaut-Biwer : Electre | Catherine Gourdon : Clytemnestre | Alain
Fabert : Egisthe | Liliane David : Le pdagogue
| Bernard Cupillard : Jupiter | Musicien et rgisseur son :
Vincent Lebgue | Cration lumire / Rgie: Jean-Jacques Ignart |
Cration vido : Rmi Briand
Dans cette anti-tragdie , lhomme saffranchit des dieux : il est
responsable de ce quil est.
Les mouches
D'aprs Jean-Paul Sartre
2 0 h 3 0
28jAN.
Thtre | Tout public
Cration 2011
15
12t A R I F S
6rDuiT :10,50GrouPe :
10AbONNS
6rDuiT :
Programme du thtre de Chauffailles
Peinture de William Bouguereau (1825-1905)
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Document 10
ric Ferrand a mis en musique des extraits de tragdies grecques
quil a choisis avec laide dAmandine Georges, professeur de lettres
classiques
Partition compose par ric Ferrand;le texte grec a t
retranscrit
phontiquement.
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transcription du texte
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Texte grec et sa traduction
i. Les vieilles
Extrait de la tragdie dEschyle, Agamemnon, vers 174-182 (rplique
du chur) , , . . .
Traduction de Victor-Henri Debidour (dition De Fallois, 1958)
:Mais quiconque, pour Zeus, chantera de plein curle lot de ses
triomphesaura trouv tous secrets de sagesse. lhomme il a trac le
chemin de sagesse : Ce qui te fait saigner, cest l ce qui
ten-seigne .tel est le matre mot quil a dict pour nous.Mme quand
nous dormons, trs avant dans nos curssinstille le remords : par ce
tourment pntre,mme malgr nous, la sagesse.Cest violence, mais sans
doutecest une grce aussi,que nous font les puissancesassises sur le
banc sacr.
ii. Le repentir
Extrait de la tragdie dEschyle, Les Chophores, vers 22-31
(rplique du chur) . . , .
Traduction de Victor-Henri Debidour (dition De Fallois, 1958)
:hors du palais je mavance, sur ordre, pour des libations,et mes
poings frappent dru pour rythmer le cortge.
Mes joues portent la marquedes estafilades sanglantesdont mes
ongles les ont frachement laboures.Car mon cur ternellementne se
nourrit que de sanglots :dans ma douleur jai fait crisserlacres en
lambeaux, perdues,les toffes de lin qui drapent ma poitrine do les
coups du malheur ont banni toute joie.
iii. lectre
Extraits de la tragdie dEschyle, Les Chophores, vers 429-433,
vers 462, vers 418-419, vers 421-422 (montage de diffrentes
rpliques dlectre) , , .
, .
.
Traduction de Victor-Henri Debidour (dition De Fallois, 1958)
:Femme froce et sclrate,de quelle froce maniretu as, ma mre,conduit
un roi jusqu sa tombesans quil ft lament par toute la cit,un mari
sans quil ft pleur !tu as os pareille obsque !
Dieux, faites droit aux dfenseurs du Droit !
Quels mots faudrait-il trouverpour tre exaucs ? Dirai-jeles
avanies quune mrea os nous infliger ?
Ma mre a fait de mon curun loup assoiff de sang que rien
napprivoisera !
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Document 11
Conduite vido tablie par ric Ferrand
Aprs divers essais et priodes de rsidences techniques, portant
essentiellement sur les surfaces de projection en vue dobtenir une
richesse et une posie des supports dimages, la partie cration vido
se prsentera de la manire suivante :- Parc technique :4 x
vido-projecteurs (led), en rtro-projection (sur panneaux et
textures diverses), avec batte-rie autonome et lecteurs de cartes,
pour statue de Jupiter, maisons dArgos, angles du palais1 x
vido-projecteur en rtro-projection en demi-cercle (fond de scne)
pour portes de palais, de temple, de caverne.1 x vido-projecteur
grand angle (face) : pour effets mouches Construction4 x modules
roulettes pour 4 vido-projec-teurs, avec bras amovible reliant les
4 surfaces de projection1 x module roulettes pour 1 vido-projecteur
(effet mouches )Surfaces de projection : tulle, plastique,
confet-tis translucides tombant des cintres, visages des comdiens,
autres essais en cours
Droul
Acte i : place dArgos- maisons dArgos, filmes avec lignes de
fuite et perspectives, incluant un mouvement de lumire (course du
soleil) puis apparition de sang sur les murs (didascalie des murs
dgou-linant de sang (3 vido-projecteurs + 3 sur-faces de
projection)- statue de Jupiter (un Dieu menaant pour le peuple),
joue par bernard Cupillard et filme au plateau, avec mouvement
tournant (1 vido-
projecteur avec surface de projection + 1 lec-teur DVD)- porte
du palais, avec cache en demi-cercle (1 vido-projecteur)-
apparition des mouches : points noirs en mou-vement, projets sur
les comdiens (1 vido-projecteur + lecteur DVD)Acte II1er tableau :-
arrive de la foule (tournage au plateau): 4 vido-projecteurs et
surface de projection, fond noir et passage des silhouettes dans un
rai de lumire2e tableau : la crmonie des morts- colonnes du temple,
avec mouvement de lumire : 2 vido-projecteurs + surface de
projection- clair-obscur extrieur, soleil couchant, ville au
lointain : 2 vido-projecteurs + 2 surfaces de projection- porte de
la caverne, en demi-cercle : effet tunnel, avec mouvement lumineux-
effet mouches 2e tableau : la salle du trne- intrieur du palais :
angles et lignes de fuite (3 vido-projecteurs + 3 surfaces de
projection)- statue de Jupiter : un Dieu alli du pouvoir (nouveau
tournage) joue par bernard Cupillard, tourn au plateau avec
mouvement tournant- porte intrieure du palais, en demi-cercleActe
III : intrieur du temple dApollon- 3 Erinyes (desses du remords),
projetes sur 3 surfaces en mouvement (fume blanche) (3
vido-projecteurs)- statue dApollon, joue par thomas Lonchampt, film
au plateau avec mouvement tournant- porte intrieure du temple, en
demi-cercle- effet mouches Montage :Les images seront retouches
numriquement afin daccentuer les contrastes, lignes de fuite et
clair-obscur.
Document 12
Interview dric Ferrand ralise le 14 septembre 2011 et extraits
de sa note dintention
Pourquoi ce dsir de monter Les Mouches ?ric Ferrand : Le choix
des Mouches est direc-tement li la prcdente cration dipe
tyran.Sophocle ma permis de poser les bases dun thtre qui prend
appui sur son histoire, joue -samuse - avec ses codes et parle
daujourdhui avec acuit, ironie, franchise.
Les Mouches constitue logiquement ltape suivante : cette fois,
le regard crois antique/actuel est dj dans lcriture. Le recul, le
dca-lage et mme lanachronisme y figurent.Lenjeu se situe ailleurs,
dans les thmes sar-triens et leur exposition.Aprs avoir jou avec
les codes antiques et fort de cette exprience, je trouve stimulant
de mettre en scne une contestation de la tragdie : ici, la reprise
du thme des Atrides permet surtout de sinsinuer dans le procd
de
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la tragdie pour mieux la dynamiter de lint-rieur, car le destin
de lhomme est en lui-mme.Oreste, qui choisit, dcide, agit et se
libre des Dieux offre un contraste saisissant avec dipe, qui subit
son destin en voulant y chapper. ici, lhomme prend la main.Les
Mouches est un projet qui naurait jamais vu le jour sans la cration
ddipe tyran, pour-tant ils seront distincts, dissemblables comme
quelque chose lest de sa ngation : le second naurait pu exister
pour moi sans le premier.
Quest-ce que la pice nous dit sur aujourdhui ?. F. : Une
rflexion sur la jeunesse : Oreste dit adieu sa jeunesse et passe
lge adulte : Comme tout a chang, quel vide immense, perte de vue .
Les jeunes sont les hritiers dune socit faite ni par ni pour eux.
Oreste et lectre ne sont pas encore installs dans leur vie, ils
nont pas encore agi, leur acte ne les a pas encore dtermins.Libert,
choix, angoisse, action, responsabilit, culpabilit Les Mouches me
propose et me permet de remettre en question ces notions
aujourdhui, dans une socit o la pression sociale, par le travail et
la menace de sa perte, la prcarit ou sa perspective, conduisent
subir toujours plus, dans un sens qui semble aller lencontre de
lide de progrs social, de progrs tout court.Une socit pourtant qui,
avec la Dmocratie comme garant, semble trouver la Libert acquise,
naturelle surtout si on la compare la date de cration de la pice,
sous loccupa-tion allemande.Mais de quelle marge de manuvre
disposons-nous personnellement ? Que sommes-nous en mesure de
choisir pour nous-mmes ? ne connais-sons-nous pas une nouvelle
forme de contrainte exerce par des hommes sur dautres hommes ?Et
pourtant lenvie et le besoin se font sentir dune rpartition plus
juste, plus quitable, afin de recommencer envisager les liberts
possibles, afin de commencer choisir. Jouer Les Mouches aujourdhui
participe de cette envie, de cet espoir.Sartre me permet de poser
nouveau, dans ce contexte particulier dune socit dite en crise mais
btie sur les principes de consom-mation et de croissance, la
question : Et vous, tes-vous libres ? il est bien sr galement
question de notre relation au religieux, aux croyances, au
divin.Lmancipation dOreste a lieu au cours de lacte 3, scne2
:Oreste : tu es le roi des Dieux, Jupiter, mais tu nes pas le roi
des hommes il ne fallait pas me crer libre peine mas-tu cr que jai
cess de tappartenir.
Jupiter : Eh bien, Oreste, tout ceci tait prvu. Un homme devait
annoncer mon crpuscule, cest donc toi ? Quant toi, lectre, songe
ceci : mon rgne na pas encore pris fin, tant sen faut, et je ne
veux pas abandonner la lutte. Vois si tu es avec moi ou contre moi.
Adieu. ici encore il est question de choix : croire ou non.Dieu
nexiste pas, tout est permis et lhomme est dlaiss : Sartre illustre
son concept philo-sophique, il tente de dfinir lhomme et sa
rela-tion un Crateur, propose une dmonstration par lexemple et
permet ainsi le dbat dides.Alors, que sont nos propres mouches ?
Quels remords portons-nous ? Celui de nous tre loi-gns de Dieu ?
Celui de ne pas avoir encore bti le monde qui nous permettrait de
connatre la libert, le choix, laction ? De quelles liberts
disposons-nous aujourdhui, face aux pouvoirs financiers et
conomiques ?
Est-ce que la rfrence la priode dcriture de la pice
(lOccupation) sera prise en compte ?. F. : non pas vritablement car
la superpo-sition de trois strates temporelles (lAntiquit, 1943 et
2011) risquerait de rendre confuse la narration et lenjeu
philosophique de la pice. Je prfre privilgier le rapport
daujourdhui lAntiquit.Dautant que les spectateurs en 1943 avaient t
trs peu nombreux voir dans la pice une lecture de leur poque!
Comment les propositions existentialistes seront-elles
concrtement prouves sur le plateau ?. F. : tre dabord, se
construire puis se dfinir par laction : ces propositions
existen-tialistes seront prouves sur le plateau, dans le jeu, dans
la construction musicale, dans la scnographie. Partir de rien,
seulement lhumain, assembler, construire des signes qui dterminent
une tem-poralit, une localisation, un tat : et le dcor existe,
environnement visuel et sonore, il sert la narration et propose une
situation qui va permettre au hros dinventer son chemin, de faire
son choix Cet agencement provisoire de lespace est construit par
les comdiens btis-seurs. tous les comdiens sont alternativement
protagonistes et membres de lquipe du pla-teau et participent ainsi
la mise en place de lespace, des clairages et du dcor. Rgisseurs et
musicien sont galement figurants. tout joue, tout le temps : ds
quun lment de dcor entre en jeu, il est et il fait sens.Un travail
informatique sera galement men partir de la notion dalatoire. Ce
plateau clat qui montre ses coutures et
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1. Sartre lui-mme en avait conscience. Dans Un thtre de
situations, il crit
propos de sa pice : Mon dialogue tait verbeux ; Dullin, sans
m'en faire reproche
ni me conseiller dabord des coupures, me fit comprendre,
en sadressant aux seuls acteurs, quune pice de thtre doit
tre
exactement le contraire dune orgie dloquence
se construit vue est-il aussi li un dsir de crer un contrepoint
la forme trs tradition-nelle de la dramaturgie sartrienne ?. F. :
Oui cest en effet aussi une faon da-rer un texte parfois trop
bavard1, trop explicite qui ne fait pas totalement confiance au
lecteur/spectateur.
Le texte est-il jou intgralement ?. F. : intgralement oui car
les ayants droit lexigent. Mais les passages les plus bavards sont
en quelque sorte escamots , car tuils, intgrs la bande-son.
Quelle sera la place du travail musical et vocal ?. F. : Un
travail musical et vocal sera men avec
toute lquipe autour de compositions originales.Les chants vont
dabord voquer le primitif, lorganique. ils sont lis aux chants des
vieillesfemmes du texte, aux prires, aux rituels. Puis ils voluent
au fil de la scne, se complexi-fient, cherchent la dissonance ils
deviennent contemporains . ils sont ensuite enregistrs en direct et
diffuss par quatre haut-parleurs rpartis dans la profondeur du
plateau. Le trai-tement en direct permet de passer insensible-ment
du chant humain au bourdonnement des mouches, dans un mme mouvement
au sein des quatre haut-parleurs, et ce aux moments correspondant
la prsence des mouches indique dans le texte. Ce procd permet, par
accumulation, de constituer peu peu un son de foule puis un essaim
de mouches.
Document 13
Biographie de Jean-Paul Sartre
Sartre (1905-1980) occupe une place trs importante dans le
paysage culturel et politique du xxesicle. il a t la fois
romancier, drama-turge, critique littraire et artistique,
essayiste, journalisteVoir biographie dtaille dans la pice dmon-te
consacre une autre pice de Sartre Les mains sales.
Pices de Jean-Paul Sartre
Bariona, ou Le fils du tonnerre (1940) = premire pice de Sartre
non publie et joue en 1940 dans un camp de prisonnier. Huis clos
(1944) La Putain respectueuse (1946) Morts sans spulture (1946) Les
mains sales (1948) Le Diable et le Bon Dieu (1951) Kean (1954)
Nekrassov (1955) Les Squestrs dAltona (1959) Les Troyennes
(1965)
Pour aller plus loin
Franois noudelmann commente Huis clos et Les Mouches de
Jean-Paul Sartre, coll. Foliothque, n 807, d. Gallimard.
Jean-Paul Sartre, Lettres Wanda , Les Temps modernes, tmoins de
Sartre , nos 531-533, 1990.
Simone de beauvoir, La force de l'ge, Paris, Gallimard,
1960.
Eschyle, L'Orestie, in Tragiques grecs, Paris, Gallimard,
bibliothque de la Pliade , 1967, trad. Jean Grosjean.
Sophocle, lectre, in Tragiques grecs, Paris, Gallimard,
bibliothque de la Pliade , 1967.Euripide, lectre, in Tragdies
compltes, Paris, Gallimard, 1962, bibliothque de la Pliade , trad.
Marie Delcourt-Curvers, p.914-918.
Jean-Paul Sartre, L'tre et le Nant, Paris, Gallimard, 1943.
Michel Leiris, Oreste et la Cit , Les Lettres franaises, n 12,
dcembre 1943, p.1-3.
Jean-Louis Jeannelle, Les Mouches de Jean-Paul Sartre, coll.
Connaissance d'une uvre , d. bral.
Document 14