ANAMNESE DE VAULX-EN-VELIN
Université Jean-MoulinLyon 3
THESE DE DOCTORAT en Sciences de l’Information et de la
Communication
LA CONSTRUCTION MEDIATIQUEDE VAULX-EN-VELINM:
pour une écologie de l’information
Présentée parPierre GANDONNIERESous la direction de M. le
Professeur Jean-Paul METZGER
TOME 1
Jury : Jean Caune, Professeur, Université Stendal Grenoble
3, rapporteur, Bernard Lamizet, Professeur Institut d’Etudes
Politiques de Lyon, rapporteur, Jean-Pierre Esquenazi, Professeur,
Université Jean-Moulin Lyon 3,Guy Lochard, Maître de Conférences,
(H.D.R.), Université Paris 3, Jean-Paul Metzger, Professeur,
Université Jean-Moulin Lyon 3.
TABLE DES MATIERES
Introductionp. 7PREMIERE PARTIE : La Construction
Médiatique de Vaulx-en-Velinp. 10Chapitre 1 Anamnčse de
Vaulx-en-Velin objet médiatiquep. 11Chapitre 2 Comment on devient
un objet médiatique. La construction de Vaulx-en-Velin dans les
médias d’octobre 90 ŕ avril 94p. 321. Actes de naissancep. 321.1
Premiers crisp. 321.2 Premiers pas :p. 331.2.1 Dans le monde
de la réalitép. 331.2.2. Dans le monde médiatiquep. 342. Croissance
et stabilisationp. 382.1 S’intégrer dans le temps du(des)
monde(s)p. 382.2 S’intégrer dans l’espace des mondesp. 412.2.1 Dans
la réalité de l’objet médiatiquep. 412.2.2 Le monde décrit par les
médiasp. 422.2.3 Le monde oů vivent les médiasp. 432.3 S’intégrer
un contenu stablep. 452.3.1 Institutionnalisation du discoursp.
452.3.2 Elimination des dissonancesp. 472.3.3 Adoption d’un mode de
fonctionnement privilégiép. 502.3.4 Glissement vers une position
d’objet/sujet médiatiquep. 552.3.5 Constitution d’un noyau durp.
60Chapitre 3 L’Affaire Kelkal. Construction d’un deuxičme objet
médiatique en creux du premierp. 621. Actes de naissance au
forcepsp. 622. Une stabilisation menée tambour battantp. 643.
Comment Vaulx en VelinM contribue ŕ construire Khaled KelkalM ŕ son
corps défendantp. 724. Khaled KelkalM, un épisode de plus dans la
construction de Vaulx-en-VelinMp. 74Conclusion. Bilan de l’objet
médiatique Vaulx-en-Velin aprčs l’affaire KelkalDescription d’un
objet médiatique in situp. 861. Le médianômep. 861.1 Quatre états
possibles pour Vaulx-en-VelinMp. 861.1.1 Etat émergent : une
bulle médiatiquep. 871.1.2 Etat caractérisant : se
singulariserp. 881.1.3 Etat structurant : au c?ur de
l’organisation du champp. 881.1.4 Etat référentiel : entrée
dans le monde symboliquep. 891.1.5 Un non-état : l’immersionp.
901.1.6 L’objet dans tous ses états : Vaulx-en-VelinMp.
901.1.7 L’objet du tiers-état : Khaled KelkalMp. 911.2
L’intérieur de l’objet : tout en résonancep. 921.3.Le moteur
de l’objet : six ressorts dramatiquesp. 941.3.1 Les trois
ressorts du temps linéaire (Crisis) : le paradoxe, la
paroxysme, la fin(début)p. 951.3.2 Les trois ressorts du temps
cyclique (Chronos) : le retournement, la propagation, le
recyclagep. 961.3.3 Un ressort dramatique dominant caractérise
l’objetp. 981.4 Trois pôles sur lesquels s’articulent les le
scénarios : le triangle dramatique Persécuteur / Victime /
Sauveurp. 991.5 De l’objet médiatique au sujet indirect : le
médianômep. 101Conclusion : le médianôme entité médiatiquep.
1042. L’environnement du médianômep. 1052.1 Un écosystčme : la
télévision. Credo des 3 OMNIsp. 1052.2 L’habitat du
médianôme : l’actualité téléviséep. 1072.2.1 Le médianôme pris
dans des échelles de temps cycliquesp. 1072.2.2 L’actualité abolit
le tempsp. 1082.2.3 le médianôme écrasé par l’effet de surfacep.
1082.2.4 Le médianôme inscrit dans son habitat. La transcription
intra-média des 5 Wp. 1092.3 La niche du médianôme, une forme de
transitionnalité socialep. 111Chapitre 5 Vivre avec un médianôme.
La construction médiatique vue de Vaulx-en-Velinp. 1161. Relations
avec le médianômep. 1171.1. Le médianôme est attaquép. 1171.1.1 Il
est rejetép. 1171.1.2 Il est montré du doigtp. 1181.2 Le médianôme
est récupérép. 1191.2.1 Il sert de drapeau noirp. 1191.2.2 Il joue
le rôle de la fatalitép. 1201.3 Le médianôme est exploitép. 1202.
Relations avec les médiasp. 1222.1 Des médias stigmatisésp. 1222.2
Une stigmatisation surdéterminéep. 1222.2.1 Ce qui est en cause, ce
n’est pas la presse, mais l’idée qu’on s’en faitp. 1232.2.2 Les
articles ne sont pas d’égal poids selon la place qu’ils occupentp.
1242.2.3 Seuls les faits divers sont universelsp. 1242.2.4 Seuls
les faits divers sont authentiquesp. 1253. La résistance contre le
médianômep. 1263.1 Occulter les sourcesp. 1263.2 Produire ses
propres images, ses propres informationsp. 1273.3 Dissuader ce qui
n’est pas under controlp. 1283.4 Communiquer ou non, l’ambiguďté
des choixp. 1294. Pour faire le portrait d’une villep. 1314.1 Une
ville “ mčre d’asile ”p. 1314.2 Une mosaďque humainep.
1324.3 Une ville volontaire, humanistep. 1334.4 Etre de
Vaulx-en-Velinp. 1354.5 Sortir et s’en sortirp. 1364.6
Vaulx-en-Velin l’éternelle genčsep. 1374.7 Quatre temps et pas de
mesurep. 1374.7.1 Le temps de la nostalgiep. 1384.7.2 Le temps de
l’errancep. 1384.7.3 Le temps des agendasp. 1384.7.4 Le temps
virtuelp. 138DEUXIEME PARTIELa Construction du projet d’actionp.
140Chapitre 1 Des origines du premier projet de film aux derničres
propositions d’intervention, comment et pourquoi le projet
évolue.p. 1411. Départ du projetp. 1421.1. Premiers contactsp.
1421.2 Et si on faisait un filmp. 1431.3 Une thčsep. 1431.4
Postulats de départp. 1441.5 Premičres évolutionsp. 1461.6
Premičres difficultés p. 1492 Démarche modifiée : Projet N°3p.
1512.1 On crée une associationp. 1522.2 On teste une nouvelle
méthodep. 1532.2.1 Recueil d’histoires brutes, ça marchep. 1532.2.2
Passage du “ brut ” au scénario, ça marchep. 1532.2.3
Tournage d’un bout d’essai, ça marchep. 1543. Critique de la
méthodep. 1553.1 Validation d’une partie de la démarchep. 1553.2 Du
récit brut jusqu’au film, trois transformationsp. 1553.3
Difficultés liées au tournagep. 1573.4 Difficultés liées ŕ la
préparation du tournagep. 1583.5 Difficultés liées ŕ la
confrontation d’objectifsp. 1583.6 Remise en cause de la
fictionnalisationp. 1583.7 Les risque du partenariat T.V.p. 1594
Projet finalp. 1604.1 Relations de la ville avec les médiasp.
1614.2 Relations entre la ville et son image (médianôme)p. 1624.3
Relations avec le magma médiatique qui produit de tels objetsp.
1644.3.1 Les participantsp. 1664.3.2 La méthodep. 1664.3.3 Le
dogmep. 1664.3.4 L’émissionp. 1674.3.4 Moyens ŕ mobiliserp.
168Conclusionp. 169Chapitre 2 Le projet et ses partenairesp. 1721.
Des relations marquées par la dépendancep. 1722. L’exigence
professionnellep. 1733. Les effets de la précaritép. 1753.1 Le
temps et l’espace déstructurésp. 1753.2 Un tissu social en
permanente recompositionp. 1773.3 Une personnalité As Ifp. 1774.
Jeu de séduction/esquive avec la Mairiep. 1805. Recherche de
financementp. 1836. Analyse des blocagesp. 1866.1 Du fonctionnement
des groupes décisionnairesp. 1866.2 De l’attitude du demandeurp.
1876.3 Position ambiguë vis ŕ vis de la communicationp.
188Conclusionp. 189TROISIEME PARTIEMéthodologiep. 191Chapitre 1
Méthodologie Généralep. 1921 Origines de la recherchep. 1921.1 Une
volonté d’actionp. 1931.2 Une volonté de compréhensionp. 1931.3 Un
postulat de départp. 1931.4 Et pas de problématique ?p. 1942.
Implications multiples du chercheurp. 1952.1 Comme militantp.
1952.2 Comme “ stigmatisé ” expérimentép. 1962.3 Comme
“ client ” des médiasp. 1973. Bases méthodologiquesp.
1983.1 Une approche cliniquep. 1983.2 Une approche
constructivistep. 1993.3 Une recherche-actionp.
199Conclusion : une méthodologie en perpétuel réaménagementp.
199Chapitre 2 Travail sur les images d’actualitép. 2011. Premičre
série d’imagesp. 2011.1 Analyse du contenu des séquencesp. 2011.2
Datation des séquencesp. 2041.3 Construction de tableauxp. 2041.3.1
Tableau généralp. 2051.3.2 Anonymatp. 2081.3.3 Hiérarchisationp.
208 1.3.4 Légitimationp. 2091.3.5 Quelques tableauxp.2091.4
Classement Passé / Futurp. 2102 Deuxičme série d’imagesp. 2113.
Discussion méthodologique sur l’analyse d’imagesp. 213Chapitre 3
Méthodologie d’actionp. 2171. Expression de la demande
d’interventionp. 2171.1 Du côté des habitantsp. 2171.2 Du côté de
la Mairiep. 2182. Evolution de la proposition d’interventionp.
2193. Analyse des propositions d’interventionp. 2203.1 Une
intervention sur l’image de soi de la villep. 2203.2 Une
intervention sur les relations locales avec les médiasp. 2213.3 Une
émission “ Carrefour de la vidéo ”p. 2213.3.1 En finir
avec l’objectivitép. 2223.3.2 Construire du tempsp. 2223.3.3
Construire de l’espacep. 2233.3.4 Ouvrir une voie vers le
professionnalismep. 2234. Recueil d’informations par entretiensp.
2244.1 Typologie d’entretiensp. 2244.2 Méthodologie d’entretiensp.
2254.2.1 Des effets pervers de l’enregistrementp. 2254.2.2 Du
caractčre volatil de la richessep. 2264.2.3 Du procčs d’intentionp.
2274.2.4 De l’entretien d’accompagnement ŕ la dimension
hologrammique : les techniques d’entretienp. 2285. De la
position franginalep. 2326. De la progression sur le terrain,
erratique et itinérantep. 2357. Intervenir ? Ou laisser faire
pour observer ? De l’ambiguďté de la recherche-actionp. 2358.
De l’impossible négociationp. 237QUATRIEME PARTIEPour une écologie
de l’information. Construction de repčres théoriquesp. 238Chapitre
1 Informer, produire de l’informationp. 2391. Le médianôme est un
objet journalistiquep. 2391.1 L’objet doit ętre objectifp. 2401.2
La subjectivité de l’objetp. 2411.3 L’angle, comme marque du
sujetp. 2421.4 Le sujet et l’objetp. 2432. L’information est
construitep. 2452.1 Modčle simplifié de l’empreinte. Quatre
mouvements : émergence, construction, consolidation,
intégrationp. 2462.2 Modélisation de la construction d’un objet
complexe. Quatre régimes de causalité.p. 2482.2.1 Les causalités
efficientesp. 2482.2.2 Les causalités matériellesp. 2502.2.3 Les
causalités de finalitép. 2522.2.4 Les causalités de formep. 2543.
L’objet journalistique est co-construitp. 2593.1 Les
co-construitsp. 2593.2 Les co-constructeurs internesp. 2603.2.1 Les
effets de hiérarchiep. 2603.2.2 Les effets de circularitép. 2623.3
Les co-constructeurs externesp. 2653.3.1 Les logiques
politico-économiquesp. 2653.3.2 L’inclusion des effets externes
dans le média, la récursivitép. 2663.3.3 L’inclusion des effets
médiatiques dans les évčnements extérieurs, la récursivitép.
2683.3.4 L’inclusion de discoursp. 270Chapitre 2 S’informer,
consommer l’information télévisuellep. 2721. Comment le
téléspectateur “ produit ” sa télévisionp. 2721.1. Les
études d’audiencep. 2731.2 La réception comme une transaction
intentionnellep. 2731.3 La réception comme une lecturep. 2751.4 La
réception comme processus de sélectionp. 2761.5 La réception comme
engrammage de la mémoirep. 2771.6 La réception comme expérience
affectivep. 2781.7 La réception comme une construction activep.
2792. Comment la télévision “ produit ” son
téléspectateurp. 2812.1 La presse municipale le fait bienp. 2822.2
La télévision reproduit le téléspectateurp. 2842.3 La télévision
induit le téléspectateurp. 2842.4 La télévision produit son
téléspectateurp. 285Chapitre 3 Penser l’écosystčme médiatiquep.
2921. S’inspirer de la démarche écologique, de ses modčlesp. 2921.1
Médiatypes, communauté, colonie, population ?p. 2921.2 La
niche médiatiquep. 2951.3 L’habitatp. 2971.4 Le médiatopep. 2981.5
Le principe d’associationp. 3021.6 Le médiasystčmep. 3031.7 La
chaîne informationnelles (recyclage permanent)p. 3042. Des bases
pouvant servir ŕ construire un modčle de médiasystčmep. 3072.1 Du
dispositif télévisuel au dispositif médiatique, le médiatopep.
3072.2 La nécessité l’élaborer la complexitép. 3102.3 De la nature
du médiasystčmep. 3113. Proposition de modélisation d’un
médiasystčmep. 3163.1 Les sous-systčmes de transmissionp. 3163.2 Le
fonctionnement général du systčme, son économiep. 3184.
Modélisation du médianômeCONCLUSIONp. 3261. La construction du
médianômep. 3262. Le médianôme in situp. 3283. La méthodologiep.
3304. Les aspects théoriquesp. 332Sortir de la notion d’imagep.
332Redéfinir la notion d’informationp. 333Penser l’information dans
et par le systčme dans lequel elle est prisep. 335Textes
complémentairesp. 337Réalité, réalité médiatiquep. 338La vengeance
des anonymesp. 342L’étrange miroir : comment la télévision
induit son téléspectateurp. 351Peut-on réhabiliter l’image de
Vaulx-en-Velin sans passer par la démocratie ?p.
363BIBLIOGRAPHIEp. 375
Introduction
Tout le monde connaît Vaulx-en-Velin. Il ne m’est jamais arrivé,
en prononçant ce nom de m’entendre répondre : qu’est-ce que
c’est, oů est-ce ? Tout le monde sait, ou tout le monde croit
savoir. Savoir quoi ? Quelle est cette connaissance issue de
la médiatisation massive par les télévisions au moment des
évčnements d’octobre 90 ? En tous cas les habitants que je
côtoyais depuis cette période, ceux que j’ai rencontrés depuis
dénoncent, tous, cette construction médiatique comme ŕ la fois
fallacieuse (“ Vaulx-en-Velin ce n’est pas cela ”) et
stigmatisante (on souffre de discriminations liées ŕ ce seul nom).
Le premier mouvement qui m’a poussé ŕ vouloir entreprendre un
travail sur cette ville était justement un désir de venir en aide,
de chercher des moyens de corriger cette image, de défendre ce que
je considérais comme une injustice.
C’est un acte militant, ce qui n’est pas neutre. Cela signifie
un engagement sur un projet destiné ŕ faire changer les choses.
Mais cela suppose aussi un regard trčs particulier, une maničre de
percevoir la réalité centrée sur l’expérience militante au moins
autant que sur la capacité d’analyse, et orientée par la volonté
d’agir plutôt que par le seul désir de comprendre. Un exemple de
cette différence de regard peut ętre donné ŕ travers un texte de
Pierre Bourdieu� sur la stigmatisation, p. 554 :“ La
logique du stigmate rappelle que l’identité sociale est l’enjeu
d’une lutte dans laquelle l’individu ou le groupe stigmatisé et,
plus généralement tout sujet social en tant qu'il est un objet
potentiel de catégorisation, ne peut riposter ŕ la perception
partiale qui l’enferme dans une de ses propriétés qu’en mettant en
avant, pour se définir, la meilleure de ses propriétés ou encore
pour donner au systčme de classement dominant le contenu le mieux
fait pour mettre en valeur ce qu’il est .”
Le militant reste interloqué devant ces propos parce qu’il n’a
jamais vu quelqu’un réagir ainsi ŕ une stigmatisation. Tout d’abord
la personne stigmatisée serait souvent bien en peine de mettre en
avant “ la meilleure de ses propriétés ” pour lutter
contre celle qui la stigmatise. Le principe męme du catégorčme,
c’est de désigner une personne par une seule de ses
caractéristiques : “ tu n’est qu’un(e)… (sale arabe, sale
juif, sale gonzesse, sale pédé…). Il n’y en a pas de deuxičme.
Ensuite parce que combattre une propriété négative par une
propriété positive ne l’effacerait pas. Cela donnerait une
rhétorique du genre : “ je suis peut-ętre un(e) sale(…),
MAIS…. ” ? Mais quoi ? “ Je suis bien
gentil(le) quand męme ? ”. Militer ce n’est jamais ętre
gentil, c’est plutôt revendiquer le stigmate lui-męme et s’en
servir comme un arme en le retournant contre ses adversaires C’est
se révolter, c’est prendre la parole qu’on ne vous donne pas.
Bien évidemment cette façon de raisonner induit chez moi ŕ la
fois des comportements dans l’action et des maničres d’observer qui
ne sont pas neutres et avec lesquelles on peut ne pas ętre
d’accord. Je suis le premier, d’ailleurs, ŕ vouloir m’en affranchir
en recherchant la confrontation avec des points de vue différents
du mien. Il reste que cette capacité de révolte accompagne en
permanence ma démarche et l’influence, mais que sans elle il n’y
aurait pas de démarche du tout. En fin de parcours tout de męme il
apparaît justement qu’il y a bien eu une démarche, c’est ŕ dire que
l’idée premičre selon laquelle il existerait une stigmatisation de
la ville qui serait de la responsabilité des médias a volé en
éclats. L’implication des différents acteurs dans cette
construction se révčle beaucoup plus ambiguë que ce qu’on aurait pu
penser.
Entre-temps, le projet d’action a dű se résoudre ŕ se
transformer en projet de compréhension, en attendant des jours
meilleurs. Les différentes propositions d’intervention qui ont été
élaborées n’ont pas pu ętre mises en ?uvre avant la fin de la
rédaction de cette thčse. J’ai donc pu pousser plus loin les
analyses, ne serait-ce que pour tenter de discerner ce qu’étaient
les difficultés que je rencontrais. On a alors dépassé la
conception de l’image d’une ville qu’il s’agirait d’améliorer pour
proposer un modčle explicatif structuré autour de la notion de
médianôme et destiné ŕ rendre compte d’une réalité plus vaste, plus
complexe. On est sorti du cadre purement médiatique pour
s’intéresser ŕ l’environnement des productions médiatiques, aux
échanges dans le domaine de l’information, aux phénomčnes de
cyclage et de recyclage. Bref, lŕ oů je croyais n’avoir qu’ŕ faire
quelques emprunts dans le domaines de l’écologie, simplement pour
décrire tel ou telle observation qui n’entrait pas dans les modčles
habituels, je me suis aperçu que c’était l’ensemble de la démarche
depuis le début qui relevait de l’écologie. Elle visait ŕ penser
l’objet médiatique dans la logique de son environnement et les
phénomčnes comme étant liés les uns aux autres. Elle envisageait
les structures comme pouvant ętre des cycles et des chaînes. Elle
tendait vers une écologie de l’information. Il ne me restait plus
qu’ŕ en tirer les conclusions et ŕ essayer de théoriser dans ce
sens.
Au cours de cette recherche, j’ai croisé quelques points
particuliers de théorie qu’il m’a paru nécessaire d’approfondir.
Ils sont regroupés dans le chapitre Textes Complémentaires-Annexe 1
en fin de ce volume. Il peut ętre avantageux de commencer la
lecture par eux, car ils éclairent un certain nombre de notions
qu’on rencontre tout au cours du texte principal, comme par
exemple : qu’est-ce qu’on entend par
“ réalité ” ?
PREMIERE PARTIELa construction médiatique de Vaulx-en-Velin
Chapitre 1Anamnčse de Vaulx-en-Velin objet médiatique
Il a paru nécessaire de commencer par une anamnčse. Relater les
principaux évčnements qui ont marqu2 Vaulx-en-Velin, non pas la
ville appartenant ŕ la réalité, mais celle appartenant ŕ l’univers
médiatique. C’est donc une histoire reconstituée ŕ partir des
images de télévision.
Deux séries ont été examinées. La premičre, composée de huit
cassettes vidéo, retrace l’actualité d’octobre 90 ŕ avril 95,
toutes chaînes confondues. Elle provient du service Communication
de la Mairie de Vaulx-en-Velin. La deuxičme, sur une seule cassette
regroupe de maničre moins systématique les reportages liés ŕ
l’affaire Kelkal, en septembre-octobre 95. Elle a été établie par
l’Espace Ville de l’ENTPE (Ecole Nationale des Travaux Publics de
l’Etat)
Ce premier balayage des évčnements doit permettre de poser le
postulat de base : on s’en tient, dans un premier temps, aux
faits médiatiques pour voir ce qu’ils construisent. Il doit aussi
servir, avant d’entamer l’analyse, ŕ fournir quelques repčres
évčnementiels, une chronologie de référence. Enfin, dans cette
sorte de résumé, quelques singularités vont déjŕ apparaître, qu’on
trouvera plus détaillées ensuite. A noter que certaines datations
sont ŕ prendre avec prudence. Les cassettes sont constituées de
compilations dans lesquelles sont consignés uniquement les
reportages qui concernent Vaulx-en-Velin. Le reste du J.T. n’y
apparaît pas, et notamment pas le générique de début qui donne la
date du jour. Beaucoup de dates ont donc du ętre déterminées par
déduction, ou par approximation.
EVENEMENTS D’OCTOBRE 90Samedi 6 octobre 1990 Deux jeunes
circulent avenue Maurice Thorez, ŕ Vaulx-en-Velin, sans doute sans
casque. Une voiture de police banalisée leur coupe la route. La
moto ne parvient pas ŕ l’éviter et c’est le choc. Le pilote,
Laurent Assebille, s’en tire indemne. Son passager, Thomas Claudio,
un jeune polio, tombe. Sa tęte heurte le trottoir. Il meurt sur le
coup. Dans l’aprčs midi, la colčre gronde parmi les jeunes. Pour
eux, c’est la onzičme victime d’altercations avec la police ou avec
des vigiles en dix ans. Dans la soirée de samedi ŕ dimanche, vers
21 heures 30, les premiers incidents éclatent : casses,
incendies de voitures. Les affrontements avec la police débutent
vers minuit et durent jusqu’ŕ deux heures du matin.
Une semaine avant les événements, on inaugurait ŕ
Vaulx-en-Velin, au Mas du Taureau, un mur d'escalade. Les officiels
venus sur place, dont Claude Evin, Ministres des Affaires Sociales,
visitaient la ville en bus touristique. On leur montrait les
réalisations de réhabilitation. Vaulx-en-Velin était alors
l’exemple de la banlieue qui avait su s’en sortir, ŕ la différence
de Vénissieux-Les-Minguettes, qui s’était fait connaître dans les
années 80 par des rodéos et des incendies de voitures, et d’oů
était partie la marche des beurs en 83.
Dans la journée de dimanche, les incidents reprennent. Deux
cents policiers sont présents dans les quartiers. Les affrontements
se caractérisent par des jets de pierres et de cocktails molotov
d’un côté, des charges et des lancers de grenades lacrymogčnes de
l’autre. Les témoins parlent déjŕ de provocations par des gens
extérieurs ŕ la ville, venus en découdre avec la police en
profitant de la situation pour se livrer ŕ des pillages. Dans la
nuit, les incidents s’aggravent. L’Intermarché est pillé, plusieurs
boutiques dévastées ou incendiées. Les commerçants se sentent
maintenant visés. Quatre journalistes (ainsi que sept pompiers) ont
été blessés pendant la nuit. Ils se protčgent désormais pour
pouvoir continuer ŕ tourner des images, derričre les forces de
l’ordre. Le maire, les commerçants, dénoncent la lenteur avec
laquelle les policiers sont intervenus. Les premiers appels au
calme sont lancés par des leaders de quartier et par des
officiels.
Dans la nuit de lundi, les incidents se poursuivent, mais,
semble-t-il, moins violemment.
MardiLe maire Maurice Charrier est reçu par la préfet du Rhône
Paul Bernard. Le procureur intervient également sur l’aspect
judiciaire. On commence ŕ parler de réhabilitation et de moyens
nécessaires. Hubert Bonnemaison, Claude Evin, Michel Noir, se
déplacent ŕ Vaulx. L’aprčs-midi est considérée comme plutôt calme,
mais le témoignage du pilote de la moto passe au J.T. du soir.
Laurent Assebille y déclare que la voiture de police a provoqué
délibérément l’accident. Dans la nuit, de nouveaux incidents
violents éclatent : une école maternelle saccagée, un incendie
dans le centre commercial du Grand Vire, un débit de tabac ravagé,
de nouvelles scčnes de pillage. Sept cents policiers déployés ŕ
l’intérieur de la ville n’ont pu l’empęcher. Les incidents se
répandent également dans les communes environnantes : Meyzieu,
Décines. Une premičre estimation des dégâts est esquissée, elle
s’élčve déjŕ ŕ 25 millions de francs.
Mardi soirFrance 3 Rhône-Alpes organise un débat télévisé entre
des représentants des jeunes du quartier, (leaders positifs,
médiateurs), le maire, un îlotier, Azouz Bégag. Le męme soir, Ciel
Mon Mardi a fait venir sur son plateau des jeunes présentés comme
“ de Vaulx-en-Velin ”, pris un peu au hasard dans la
journée. L’un, notamment manifestement ivre, tiendra des propos
assez décousus et outranciers. Les jeunes réagiront trčs
négativement� ŕ cette image renvoyée d’eux.
Sur A2 et TLM, des journalistes vont enquęter ŕ Vénissieux pour
voir s’il ne se passe rien. Le journaliste de T.L.M. a fini par se
faire “ expulser ”. Dans la nuit, un supermarché des
Minguettes est attaqué.
Mercredi Le matin a lieu la reconstitution de l’accident.
Laurent Assebille revient sur ses déclarations. Il déclare
maintenant que la man?uvre de la voiture de police n’était pas
volontaire et que sa version concorde ŕ présent avec celle de la
police. (On apprendra plus tard que la veille, il a été interpellé
pour un vol ŕ l’étalage puis relâché. Cette information ne sera
divulguée qu’aprčs la reconstitution). Les policiers, quant ŕ eux,
reconnaissent avoir coupé la route ŕ la moto, ce qu’ils avaient nié
dans un premier temps. Dans la męme journée, une manifestation de
300 jeunes appelle au calme. Un comité de soutien est créé pour
venir en aide ŕ la famille de Thomas Claudio. Pour la premičre
fois, une chaîne (La 5*) présente le point de vue des policiers,
dans un reportage sur le commissariat de Vaulx-en-Velin.
Dans la nuit, le calme se maintient ŕ Vaulx-en-Velin, notamment
parce que, ŕ l’appel d’Abdelkrim Belmokkadem�, des jeunes
patrouillent dans les quartiers pour maintenir la tranquillité et
inviter les jeunes ŕ rentrer chez eux .
Mais des incidents éclatent tout de męme ŕ Meyzieu,
Saint-Priest, Vénissieux.
L’idée selon laquelle les troubles seraient fomentés par des
trafiquants de drogue se répand. Elle semble provenir d’une dépęche
de Associated Press, reprise et renforcée par des propos du maire.
Seule, la 5* cherchera ŕ vérifier cette information et d’ailleurs
la démentira. Mais dčs le lendemain, elle se calera sur la męme
ligne que ses cons?urs.
Dans l’aprčs-midi, ŕ l’Assemblée Nationale, les questions
écrites au gouvernement donnent l’occasion d’interpeller le premier
ministre Michel Rocard, lequel affirme le caractčre involontaire de
l’accident. Personne ne contredira plus cette version. FR 3 parle
de polémique ŕ propos de politique de la ville. Dans la matinée, au
Conseil des Ministres, François Mitterrand a évoqué Vaulx-en-Velin
en dénonçant les cités dortoirs. Le procureur de la république
intervient, lui aussi, pour affirmer le caractčre accidentel de la
mort de Thomas Claudio.
L’idée selon laquelle les incident sont le fait de casseurs
désireux de se livrer au pillage se renforce de plus en plus.
Jeudi matinOn apprend que Laurent Assebille a été interpellé par
les gendarmes dans la matinée pour un vol ŕ l’étalage commis deux
jours auparavant, c’est ŕ dire la veille de la reconstitution, ŕ
moins que l’interpellation ait eu lieu mardi et que ce soit
seulement l’information qui ait été retardée jusqu’ŕ ce jour. D’une
chaîne ŕ l’autre, les interprétations divergent.
La répression contre les casseurs se met en place. On dénombre
30 interpellations. Le dispositif de contrôle sur la ville s’allčge
mais se maintient.
La thčse de commandos liés au milieu qui chercheraient ŕ
déstabiliser la police est maintenant dominante. Les T.V. font état
d’un sondage dans lequel 83 % des français se déclarent contents de
leur police. Chiffres repris par TF1 et la 5*.
T.L.M. diffuse, elle aussi, un reportage sur le commissariat de
Vaulx-en-Velin, sur le thčme: “ ceux qui ont la haine de la
police sont peut-ętre ceux qu’on dérange ”, suivi d’un autre
intitulé : “ Profession casseur ”.
VendrediLa version des évčnements semble se stabiliser :
samedi, il s’agissait de manifestations spontanées, mais les jours
suivants, ce sont des groupes organisés qui ont profité de la
colčre des jeunes, des éléments extérieurs, sans doute proches des
milieux de la drogue. Le bilan des dégâts se chiffre ŕ 40 millions
de francs. Il y a eu 35 interpellations.
On parle de calme revenu, ŕ peu prčs.
Dans l’aprčs-midi ont lieu des obsčques de Thomas Claudio. Deux
cents jeunes de toutes origines et de toutes confessions
l’accompagnent. Le prętre lit un passage de l’Evangile et un
passage du Coran (Thomas Claudio, “ espagnol ”, était
chrétien). Maurice Charrier, Maire de Vaulx-en-Velin, s’abstient de
venir pour ne pas risquer d’ętre accusé de récupération. Il lance
des initiatives de dialogue avec la population. On parle aussi
d’améliorer le dialogue entre les jeunes et la police.
SamediT.L.M. propose une rétrospective de l’actualité de la
semaine du lundi au vendredi.
Samedi toujoursFR3 reprend dans son émission
“ Rencontres ” l’ensemble des reportages diffusés par
cette chaîne, mais présente aussi beaucoup d’images nouvelles.
L’émission démarre par l’inauguration médiatisée du mur d’escalade.
Le point de vue “ des jeunes ” est largement
représenté, notamment dans la revendication de justice et de
dialogue.
DimancheSur TF1, 7/7 revient sur les évčnements de
Vaulx-en-Velin qu’Edouard Balladur, un des leaders de l’opposition,
commente par des généralités.
Puis Vaulx-en-Velin sort de la télévision nationale.
LundiT.L.M. et FR3 parlent lundi d’un week-end calme.Aprčs les
évčnements, les pompiers de Lyon portent plainte : pour la
premičre fois depuis mai 68, ils ont été pris pour cible par des
émeutiers. On parle de reconstruction, de créer un lycée, de 80 MF
de dégâts. Maurice Charrier demande au préfet de région Paul
Bernard une augmentation des effectifs d’îlotiers. Il propose une
initiative pour favoriser le dialogue entre les jeunes et la
police. Il parle de reconstruire, de relancer au plus vite
l’activité commerciale. Un syndicat de policiers fait connaître son
amertume : il refuse que la police soit rendue responsable des
émeutes.
Une polémique est lancée par Robert Marmoz, de
Lyon-Libération : des policiers auraient été aperçus cagoulés
et armés de battes de base-ball. Elle fera long feu.
Quelques incidents comme le saccage de classes de maternelle
donneront lieu ŕ des sujets dans les T.V. locales.
26 novembre 1990Vaulx-en-Velin réapparaît dans les médias
nationaux le 26 novembre 90, par l’intermédiaire de son maire qui
est reçu par le premier ministre Michel Rocard. Dans l’actualité,
on parle de loi anti-ghetto pour le début de l’année 1991 et d’un
colloque qui doit se tenir ŕ Bron le 4 décembre et qui sera ouvert
par François Mitterrand.
Les T.V. locales font état de l’embauche par Maurice Charrier de
vigiles privés pour garder les bâtiments publics, dans l’attente de
l’augmentation des effectifs d’îlotiers.
A l’ouverture du colloque de Bron, les 3čmes Assises Banlieues
89 depuis 1993. Bron est présentée comme : la ville voisine de
Vaulx-en-Velin. François Mitterrand annonce la création d’un
Ministčre de la Ville, chargé d’une mission de coordination, d’un
systčme de compensations entre communes riches et communes pauvres,
et d’une concertation d’efforts sur 400 quartiers. Michel Noir, en
tant que maire de Lyon, Charles Million en tant que président de
Rhône-Alpes, interviennent dans les médias. Michel Rocard clôt le
colloque en précisant les propositions de François Mitterrand,
puisque les effets d’annonce ont déjŕ été déflorés par ce
denier.
Nationaux ou locaux, on voit surtout apparaître des
experts : Roland Castro, architecte urbaniste, chargé par
François Mitterrand du projet Banlieue 89, une responsable des
centres Léo Lagrange, un architecte, la secrétaire générale de
Banlieue 89, des politiques, des personnalités comme Harlem Désir
qui doivent plus leur légitimité aux médias qu’au terrain�, mais
aussi le Pčre Delorme et l’archevęque Mgr Decourtray.
Vaulx-en-Velin n’apparaît alors, nationalement, que comme un
élément d’une problématique plus vaste, celle de la politique de la
ville, fortement labellisée “ Banlieue 89 ”.
Puis Vaulx-en-Velin sort ŕ nouveau du champ national.
Localement, on montre un reportage sur une initiation ŕ la moto
organisée par le commissariat de Vaulx-en-Velin ŕ l’intention des
jeunes. La volonté d’affichage médiatique de l’opération paraît
évidente, il semble y avoir plus de caméras que de jeunes
concernés.
Fin d’année 90T.L.M. revient sur les images d’octobre, dans sa
rétrospective de 90. FR 3 Rhône-Alpes, parmi les v?ux pour la
nouvelle année reprend des images du Mas du Taureau pour signifier
le mal des banlieues.
Début 1991Une rixe débutée ŕ Décines se poursuit par quelque
incidents au centre culturel Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin.
Maurice Charrier dénonce le fait que les médias en profitent pour
que sa ville soit une nouvelle fois “ montrée du doigt ”.
Sur T.L.M., simple brčve.
Février Maurice Charrier écrit au préfet de région Paul Bernard,
pour demander la création de 30 postes de policiers. Il indique
qu’il pourrait aller jusqu’ŕ fournir une liste de personnes ŕ
surveiller ou ŕ arręter dans sa commune.
Mars Une opération policičre d’envergure ŕ Vaulx-en-Velin. Trois
cent cinquante gendarmes et policiers fouillent les parkings. Dix
personnes sont arrętées. Dans le lancement du reportage qui suit,
le journaliste annonce : “ Vaulx-en-Velin fait des
émules, une agression ŕ la voiture bélier contre le commissariat de
Saint-Etienne ” ;
De nouveaux incidents, rodéos, incendie d’une dizaine de
voitures, le fait d’une bande d’une vingtaine de jeunes, au Mas du
taureau, pendant le week-end de Pâques. On parle de tension entre
communautés noire et arabe.Couverture locale et régionale
seulement.
Mars toujours. T.L.M. diffuse un reportage “ Six mois
aprčs ”. On repart des images de voitures qui brűlent, de
jour. On explique que 6 commerçants seulement sur 17 ont pu
rouvrir. Traitement local seulement.
Juin 91T.F.1 diffuse un reportage “ 9 mois aprčs, donc en
juin 91, sans doute. On parle de reconstruction, de dialogue
nécessaire. On voit le maire Maurice Charrier, Jérôme Fa˙nel
(animateur M.J.C.), un jeune du nom de : Ahmed, Azouz
Begag.
Juin toujours T.F.1, encore, avec une réunion d’associations de
banlieues, en région parisienne, dans le but de créer une
fédération. Michel Delebarre, Ministre de la Ville, intervient sur
le thčme “ Donner espoir ”. Jérôme Fa˙nel est interrogé.
On est toujours dans une phase marquée par la problématique de la
réparation.
Un an aprčs (les évčnements)Dépôt d’une gerbe-souvenir. Quelques
images locales qui reprennent celles d’octobre 90, parlent des
plaies ŕ peine refermées et de l’attente du procčs.
Décembre 91 L’instruction est achevée. Laurent Assebille et le
sous-brigadier Guy Auriol sont poursuivis par le męme chef
d’inculpation “ homicide involontaire et défaut de maîtrise de
véhicule ”. Images de reconstruction de la ville, suivies
d’images de destruction, en rappel, et conclusion :
“ passions apaisées aprčs les tensions ”. traitement
local seulement. (T.L.M. + FR 3 Rh-A).
Octobre 1992Bourgoin-Jallieu. Les gendarmes tendent une
souricičre ŕ des jeunes qui circulent dans une B.M.W. volée. Les
jeunes forcent le barrage. Sommation. Tirs. Le chauffeur de la
voiture est tué. Un passager mineur est blessé. Tous deux habitent
Vaulx-en-Velin. Trois jours d’incidents s’ensuivent avec agression
contre le commissariat de Vaulx. Des voitures sont incendiées. On
parle de plusieurs dizaines de jeunes, par petits groupes
informels. Les T.V. font référence ŕ “ un certain
anniversaire ”, au souvenir des émeutes de 90. Elles disent
pourtant que c’est sans commune mesure, que des précautions ont été
prises pour empęcher les casseurs de s’organiser ŕ Vaulx-en-Velin
et ŕ Vénissieux. Maurice Charrier dénonce les agissements de
“ dealers non-consommateurs organisés en réseaux
mafieux ” Il demande de respecter le travail des vaudais de
reconstruction de leur ville. Des images montrent les habitants
désolidarisés de la violence, excédés. Traitement national.
Printemps 93 France 2 diffuse un reportage sur les difficultés
sociales ŕ Vaulx-en-Velin, qui persistent malgré les ZUP, ZEP, DSQ.
Le reportage précédent se situait ŕ Dreux. Il parlait d’échec
scolaire, de chômage, de tensions avec les policiers, d’une ville
toute basée sur la rénovation de l’habitat, de la délinquance d’une
minorité qui empoisonne tout.
Printemps 93 toujours, mais plus tard Changement de majorité
parlementaire. Le nouveau Premier Ministre Edouard Balladur lance
un débat parlementaire sur les banlieues. On parle de “
méthode Balladur appliquée aux banlieues ”. TF1 diffuse un
portrait croisé de Sartrouville, administrée par un Maire
divers-droite, et de Vaulx-en-Velin.
F3. Christine Ockrent interviewe en duplex Pierre Cardo (Maire
de Chanteloup-les vignes) et André Gérin (Maire de Vénissieux)
nouveaux députés : “ tous deux hommes de terrain ”
sur le thčme : “ qu’attendez-vous du nouveau
gouvernement ? ”
F3 Rh-A décline le plan Balladur/Veil pour les banlieues :
un chčque de 14 milliards, 11 sites en G.P.U. (Grand Projet
Urbain), parmi lesquels Vénissieux et Vaulx-en-Velin.
F3 nationale revient aux Biscottes ŕ Roubaix oů elle avait
montré une mobilisation de la population contre la drogue, pour
dire que le trafic s’est simplement fait plus discret et que
“ ça bouge pas, ça va recommencer ”.
Mercredi 3 avril 1994A nouveau des incidents ŕ Bron et ŕ
Vaulx-en-Velin qui se terminent par l’incendie du gymnase de Vaulx.
Deux jeunes gens ont été tués ŕ Bron dans un accident de la route,
sur les 4 occupants d’une BMW volée qui avait tenté de forcer un
barrage de police. Aprčs quelques échauffourées dans les deux
villes, le gymnase de Vaulx est incendié ŕ coups de cocktails
molotov. Le gardien du gymnase parle de cris de rage d’une
soixantaine de jeunes. Maurice Charrier parle d’acte criminel et
demande que les coupables soient châtiés. Les T.V. citent les actes
de violence ŕ Bron et ŕ Vaulx-en-Velin, mais ne montrent que des
images de l’incendie du gymnase de Vaulx. Toutes les chaînes
nationales couvrent. F3 accroche sur “ Vaulx-en-Velin ,
souvenez-vous il y a quatre ans ” et décroche sur “ la
vie et les traditions continuent ”, avec des images du Mas du
Taureau et du centre commercial incendiés ŕ l’époque.
Samedi Nouveaux incidents ŕ Bron, Vaulx-en-Velin mais aussi
Rillieux. Dans la nuit, aprčs la levée du dispositif policier, le
gymnase de Bron est ŕ son tour incendié. Les journaux télévisés
nationaux ouvrent alors sur Bron. Jean-Jack Queyranne, Maire de
Bron, parle de bandes qui essaient de semer la perturbation. Djida
Tazdaďt, députée européenne, fait remarquer que les gymnases ne
sont pas des lieux de pouvoir, elle dit qu’il faut chercher du côté
des extrémistes de droite et des extrémistes religieux. Jean-Pierre
Calvel, nouveau député de la circonscription qui vient de ravir le
sičge ŕ Jean-Jack Queyranne, dénonce le laxisme des maires de
gauche.
La nuit suivante, encore quelques incidents. Dans une interview
ŕ F 2, Maurice Charrier désigne comme responsables ceux qui ont
intéręt ŕ “ déstructurer le tissu social pour entretenir des
trafics ou répandre des idéologies d’exclusion ”. Il avance
que chaque fois que la ville cherche ŕ s’en sortir, il y a
“ des forces qui viennent contrecarrer ses
efforts ”.
TF1 relate les réactions des proches d’une des victimes qui
contestent qu’on l’ait présentée comme un délinquant.
Lundi Alors que les travaux de reconstruction commencent ŕ
Vaulx, le président du Conseil Général Michel Mercier, nomme le
maire de Rillieux, Marcel André, Monsieur Banlieue. Des appels sont
lancés par les maires de Bron et de Vaulx-en-Velin ŕ se mobiliser
contre “ les terroristes ”. Des incidents continuent.
F2, ŕ son tour, rappelle les évčnements de Vaulx-en-Velin de 90,
mais pour mettre l’accent sur le travail de réparation effectué
depuis, notamment ŕ travers les associations.
Mardi 19avril 94Un nouvel incident vient d’avoir lieu. Un
“ jeune adolescent ” poursuivi par une voiture de police
est allé s’écraser contre un bus ŕ Vaulx-en-Velin. France 3
rappelle que quelques jours avant, la mort de deux jeunes avait
causé de violents incidents. Les T.V. qualifient les faits
“ d’incidents, de rodéos tragiques ”, “ d’accident
tragique ” et de “ gâchis humain ” ce dernier terme
étant repris du préfet de police Marcel Leclerc. Bron et
Vaulx-en-Velin sont dites “ sous haute surveillance ”. On
est ŕ la quatričme nuit d’incidents dans les banlieues lyonnaises.
Cinq cents habitants de Bron manifestent contre la violence. Mais
l’ambiance semble avoir été tendue entre les partisans de Jean-Jack
Queyranne de ceux de Jean-Pierre Calvel qui en seraient
“ presque venus aux mains ”. Un appel est lancé pour un
rassemblement du męme type ŕ Vaulx-en-Velin le lendemain. F2
choisit de montrer le collectif d’associations Agora qui interpelle
sur les causes des destructions et s’indigne qu’on manifeste pour
le gymnase et pas pour les morts.
Mercredi 20 avril 1994T.L.M. Quatre cents enfants sont réunis ŕ
Vaulx-en-Velin devant le Palais des Sports dans une ambiance plus
calme qu’ŕ Bron. Mise en scčne de témoignages d’enfants. F 3 Rh-A
parle d’un millier d’enfants. Cinq cents personnes dans
l’aprčs-midi se sont réunis devant la Préfecture de Région. Le
préfet Paul Bernard reçoit le maire Maurice Charrier et s’engage ŕ
ce que le gymnase soit reconstruit “ en un temps record ”
On montre ŕ nouveau des images des dégâts.
F2 diffuse les images des rassemblements et enchaîne sur le
thčme “ violences organisées délibérément par des hommes pour
transformer ces cités en ghettos et s’y livrer au trafic de
drogue ”qui lui permet de lancer ensuite un sujet sur
l’économie parallčle.
Jeudi 24 avril 94F3 Rh-A ouvre sur une vague d’actes de
vandalisme sur les bus ŕ Bron et ŕ Vaulx-en-Velin et Décines. Le
reportage montre une opération des T.C.L. pour sensibiliser les
jeunes dans les écoles. Le procureur de la République fait
connaître les résultats de l’enquęte sur le deuxičme accident ŕ la
BMW : les deux jeunes sont morts accidentellement.
TF1 annonce la consultation des jeunes lancée par Edouard
Balladur, et interroge cinq garçons et une fille ŕ Lyon.
Localement, on continue de parler des suites de l’enquęte, des
interpellations, des commerces qui ferment ŕ La Darnaise
(Vénissieux), de l’insertion, du chômage, des initiatives qui sont
prises en faveur de l’emploi.
Dans une séance de questions au gouvernement (donc un mercredi)
ŕ l’Assemblée Nationale, le 20 avril, Jean-Pierre Calvel interpelle
le Ministre de l’Intérieur Charles Pasqua sur les actes criminels
que constituent l’incendie des deux gymnases. Il parle de
l’impunité dont bénéficie cette délinquance. Charles Pasqua répond
que les évčnements n’avaient rien de spontané, qu’ils étaient
organisés par des meneurs qui souhaitaient s’en prendre aux
institutions pour provoquer une réaction violente de la population
et de la jeunesse de ces communes. Il annonce le maintien d’un
dispositif policier et la volonté que “ dans le respect de nos
lois, les tribunaux fassent preuve de la plus grande
rigueur ”.AFFAIRE KELKAL
Samedi 9 septembre 1995On va reparler de Vaulx-en-Velin. Une
vague d’attentats se développe en France depuis l’été.
Principales datesLe 11 juillet 95, l’imam Sahraoui est assassiné
rue Myrrha (quand c’est ŕ Paris, les journalistes ne précisent
généralement pas le nom de la ville).Le 16 juillet, fusillade ŕ
Bron et Ternay, dans la région lyonnaise, entre des policiers et
les occupants d’une voiture qui forcent un barrage.Le 25 juillet,
une bombe explose ŕ la station Saint Michel du RER parisien,
faisant 7 morts et 92 blessés.Le 25 aoűt, une bombe est découverte
sur la ligne TGV Paris-Lyon ŕ Caillou-sur Fontaine. Par chance,
elle n’a pas explosé.Le 4 septembre, une bombe est découverte dans
une sanisette, rue de la Convention (donc ŕ Paris)(date ?) Une
bombe explose rue Jean-Claude Vivant, ŕ Villeurbanne, devant une
école juive, quelques minutes avant la sortie des élčves. Il n’y a
pas de victimes.
Ce samedi 9 septembre, la France fait connaissance avec le Plan
Vigipirate. Une véritable “ psychose ” de l’attentat
s’est installée dans le pays, surtout ŕ Paris. Pour la premičre
fois, ce jour lŕ, les T.V. diffusent le portrait anthropométrique
d’un suspect, qui leur été communiqué par le Ministčre de
l’Intérieur (dirigé par Jean-Louis Debré). Il s’agit d’un “
jeune algérien de 24 ans habitant Vaulx-en-Velin ”. Ses
empreintes ont été retrouvées sur l’adhésif de la bonbonne de gaz
qui contenant la bombe de l’attentat manqué de
Caillou-sur-Fontaine. Il est soupçonné d’avoir participé ŕ la
fusillade de Ternay. Le ministčre annonce que le suspect
“ n’est pas inconnu des services de police ” et qu’un
avis de recherche a été lancé contre lui.
Le męme jour, un “ coup de filet ” est organisé en
présence des médias dans les “ milieux islamistes ” des
villes de la région lyonnaise parmi lesquelles Vaulx-en-Velin.
Trente personnes sont interpellées, une vingtaine d’appartements
sont fouillés. Les policiers présentent cette opération comme étant
simplement une mesure de prévention contre d’autres attentats et
n’aurait pas de lien direct avec l’enquęte.Ces nouvelles sont,
d’emblée, traitées par les chaînes nationales, comme le sont,
depuis le début, toutes les informations qui concernent les
attentats. Khaled Kelkal est alors nommé par France 2 :
“ le suspect N° 1 ”. Les premiers reportages qui le
présentent établissent le lien avec Vaulx-en-Velin et reprennent
les images caractéristiques de la Place du Mas du Taureau. Ils
reviennent ensuite sur le passé délinquant de Khaled Kelkal. Dans
une interview, son avocat de l’époque le présente comme un bon
élčve en rupture avec la société, depuis sa condamnation qu’il
jugeait trop lourde, pour des faits de délinquance remontant ŕ 1991
(date des photos anthropométriques fournies par le Ministčre de
l’Intérieur).
Les tentatives des journalistes pour faire confirmer un lien
avec l’islamisme tournent court. Khaled Kelkal ne semble pas
intéressé par la religion. Seule la caractéristique
“ délinquant ” se confirme, encore que Khaled Kelkal ne
soit pas décrit comme un caďd .
Dimanche 10 septembre“ Toutes les polices de France sont ŕ
la recherche de Khaled Kelkal ”, “ Khaled Kelkal,
l’homme le plus recherché de France ”. L’armée vient renforcer
le dispositif policier en Rhône-Alpes. Peu ŕ peu le portrait d’un
Khaled Kelkal pourtant bon élčve, intégré, mais petit délinquant en
rupture avec la société pour des raisons assez vagues, se dessine.
Parallčlement sont présentées des hypothčses de liens avec
l’assassinat de l’imam Sahraoui, l’attentant du RER ou celui de
l’école juive de Villeurbanne. On construit l’image d’un Khaled
Kelkal terroriste. Des rumeurs rapportées parlent de fréquentations
de “ certaines figures du milieu lyonnais autour de la
mosquée ” et de “ religieux venus d’Algérie ” qui se
seraient “ intéressés peu ŕ peu aux jeunes des quartiers ŕ
problčmes ”. Les deux portraits s’étoffent peu ŕ peu.
A 7/7, le président de la République Jacques Chirac a parlé de
guerre contre le terrorisme
Mercredi 27 septembreLors d’un banal contrôle prčs de
Vaugneray, Rhône, les “ occupants d’une Renault 9
rouge ” ouvrent le feu sur les gendarmes. Un des passagers est
gričvement blessé : Karim Koussa, deux sont interpellés :
“ les deux Abdel ”. Le quatričme est en fuite. Dans la
voiture, on retrouve des armes et des écrits de propagande
islamiste. Deux cent cinquante gendarmes quadrillent la région.
Vendredi 29Les forces de l’ordre ont encore été étoffées
(environ 700 hommes). Un homme avait été repéré prčs de Vaugneray,
mais il a réussi ŕ prendre la fuite. Khaled Kelkal est alors appelé
“ le terroriste le plus recherché de France ” par France
3 Rhône-Alpes.
Aux alentours de 20 heures, suite ŕ un signalement fait par une
habitante, un suspect est repéré prčs d’un arręt d’autobus, au
lieu-dit La Maison Blanche. Les gendarmes de l’EPIGN (Escadron de
Parachutistes et d’Intervention de la Gendarmerie Nationale)
l’interpellent, lancent les sommations d’usage, en
l’occurrence : “ Halte au feu ”. Khaled Kelkal tire
ŕ nouveau. Les gendarmes ripostent. Khaled Kelkal, ŕ terre, fait
encore un geste et saisit son arme qu’il pointe en direction d’un
gendarme. Celui-ci fait feu une derničre fois. Sur les images d’M6,
on verra cette scčne, puis celle oů le gendarme s’approche du
cadavre et le retourne du pied. Les autres cadreurs, n’étant pas
pręts ŕ tourner, ne pourront que recueillir des images de Khaled
Kelkal mort, aprčs la fusillade. Pour France 3 national, il est
alors “ l’ennemi public N° 1 ”.
Dčs samedi matin, Jean-Louis Debré donne une conférence de
presse ŕ la Préfecture du Rhône, en compagnie de Charles Millon,
Ministre de la Défense. Il déclare : “ En ce qui
concerne l’attentat commis le 25 juillet (…) j’ai maintenant le
sentiment, pour ne pas dire plus encore une fois, que c’est la męme
équipe ”. Il attribue ŕ cette équipe 7 attentats ou tentatives
d’attentats.
Un reportage de F 3 Rh-A indique que Vaulx-en-Velin a été
“ relativement calme ”. Il montre quelques dégâts :
voitures incendiées, cabine téléphonique saccagée, mais qualifie de
“ scčne ordinaire de la vie ŕ Vaulx-en-Velin ” Il montre
aussi des gens qui refusent de parler, ŕ La Grappiničre, quartier
de Khaled Kelkal.
F3 Rh-A interroge Kamel Mansour, aumônier des prisons. Il aurait
été accusé d’avoir converti Khaled Kelkal ŕ l’islam. Kamel Mansour
dément l’avoir jamais rencontré.
Dimanche 1er octobreTF1 parle de nuit agitée dans la banlieue
lyonnaise, de 36 véhicules incendiés, de 19 interpellations.
“ Cette voiture qui brűle ŕ l’entrée d’une résidence, nous
sommes ŕ Vaulx-en-Velin ”. Un reportage raconte que les gens
refusent de parler au journaliste . Il relate męme comment le
reporter s’est fait chasser du quartier de La Grappiničre par des
jeunes. Conclusion : “ Ceux-lŕ auraient quelque chose ŕ
dire, mais ne parlent pas ”.
Les reportages donnent surtout la parole aux victimes,
propriétaires des voitures incendiées ou habitants. On y voit
aussi, paradoxalement, des gens qui demandent aux T.V. d’arręter de
“ faire de la publicité ” ŕ ce genre d’incidents,
messages que les T.V. relaient complaisamment.
Dans la nuit de samedi ŕ dimanche, les incidents démarrent ŕ
Vaulx-en-Velin oů environ deux cents jeunes affrontent les forces
de l’ordre par petits groupes, puis s’étendent aux communes
voisines. Le lien avec la mort de Khaled Kelkal est mis en doute
par certains qui pensent qu’il pourrait s’agir d’un prétexte.
Canal +, dans “ La Grande Famille ”, revient sur les
évčnements en attaquant par un reportage qui annonce :
“ A Vaulx-en-Velin, un cadavre, ça se respecte… ”, puis
elle relate une double polémique :1. sur le rôle exact de
Khaled Kelkal, qui aurait été pour le moins exagéré par le Ministre
de l’Intérieur,2. sur l’opportunité de diffuser les images de la
mort de Khaled Kelkal.
Lundi 2 octobreLes T.V. reprennent les images des incidents,
mais mettent davantage l’accent sur les suites de l’enquęte. Les
deux complices arrętés sont transférés ŕ Paris, tandis que Karim
Koussa est toujours hospitalisé au C.H.U. de Lyon-Sud. Les
journalistes s’en tiennent maintenant aux certitudes concernant le
rôle exact de Kelkal. Pour France 3, Kelkal est redevenu “ le
suspect N°1 de l’attentat manqué ”.
De nouveaux incidents ont éclaté dans la nuit de dimanche ŕ
lundi. T.L.M. fait le lien avec les évčnements de 90 pour en
montrer la différence. Elle donne la parole au représentant de
l’Union des Familles Musulmanes de France, qui tente de corriger
l’image négative qui a été donnée de l’islam.
TF1 interroge Kamel Mansour. Celui-ci banalise ces évčnements en
les assimilant aux incidents antérieurs. Le journaliste reviend
alors sur ce qui s’était passé en 1990, pour conclure sur
“ l ‘aspiration ŕ la tranquillité de l’immense majorité
des communautés musulmanes de France ”(sic).
France 2 met l’accent sur les suites de l’enquęte, les
ramifications, les recherches ŕ Chasse-sur-Rhône ou dans le
Vaucluse. La nuit est annoncée comme particuličrement agitée ŕ
Vaulx-en-Velin, en dépit d’une journée calme. Daniel Bilalian
reçoit le Pčre Christian Delorme, en duplex de Lyon.
Mardi 3 octobreDes incidents ont encore éclaté la nuit
précédente. Ils ont touché les villes environnantes, “ mais
pas Vaulx-en-Velin ” qui est pourtant citée par F3, Canal +,
F2, TF1 (au moins), comme un événement en creux, justement pour
dire qu’il ne s’y passe rien, alors que le nom des villes oů il
s’est passé quelque chose ne sont cités, eux, que par une seule
chaîne.
La polémique sur l’opportunité de montrer les images se
poursuit. Celle sur le rôle de Kelkal ne semble pas durer. Par
contre, les conditions de sa mort sont mises en question.
Mercredi 4 octobreAlain Juppé, ŕ la tribune de l’Assemblée
Nationale prend la défense des forces de l’ordre et affirme qu’il y
a bien eu légitime défense.
La juge Laurence Le Vert se rend au C.H.U Lyon-Sud pour
signifier ŕ Karim Koussa sa mise en examen. Elle est montrée sous
bonne escorte de gardes du corps, poursuivie par des cadreurs et
des photographes.
TF1, tout en affirmant que “ Vaulx-en-Velin se passerait
bien de ce coup de projecteur médiatique ” revient ŕ la charge
par un reportage oů il est question du silence des habitants d’une
“ cité oů tout le monde se connaît ”, oů la mauvaise
image de cette ville dont on dit que pourtant elle refait surface,
pčse sur la vie quotidienne.
Le Magazine de l’Info de LCI revient sur les évčnements de
l’affaire Kelkal, rediffuse des images męlées ŕ de nouveaux
reportages. Il présente le cycle des évčnements comme démarrant ŕ
la mort de l’imam Sahraoui, ŕ un moment oů personne ne se doutait
de la vague d’attentats qui allait suivre, et en terminant par la
mort de Kelkal, présentée comme “ un nouveau début
d’enquęte ,” dans lequel trouvent leur place les polémiques
sur l’interprétation audacieuse de Jean-Louis Debré et sur le
diffusion des images d’M6.
Vendredi 6 octobre 1995 Khaled Kelkal est enterré dans le
cimetičre de Rillieux, et non pas rapatrié en Algérie, comme sa
famille l’avait initialement souhaité. L’enterrement est filmé de
loin par les T.V.,au téléobjectif. Une interview resurgit, celle
que Keklal avait donnée ŕ un sociologue allemand en 1992,et que le
journal Le Monde publie. Kelkal y affirmait avoir découvert l’islam
en prison grâce ŕ un codétenu. Sont présents ŕ la cérémonie :
le Grand Mufti de la Mosquée de Lyon, Kamel Mansour, et le Pčre
Delorme.
Dans les journaux du soir, on apprendra l’explosion d’une bombe
dans une station de métro appelée Maison-Blanche, comme le lieu-dit
oů Kelkal a été tué, un vendredi également.
Ce vendredi 6 octobre, avec l’enterrement se ferme un cycle
d’évčnements qui avait commencé en 1990 et propulsé Vaulx-en-Velin
sous le feu des projecteurs médiatiques. C’était aussi un 6
octobre, mais un samedi. Un cycle d’exactement cinq ans, donc.
Deux autres séquences sont présentes dans les extraits. Elles
parlent d’interpellations ŕ Vaulx-en-Velin, ŕ Paris, ŕ Lille, sans
qu’il soit possible de les dater. Sporadiquement, d’autres
informations seront données, d’autres évčnements évoqués dans
lesquels Vaulx-en-Velin pourra se trouver impliquée, mais sans
commune mesure. La sélection de séquences s’arręte lŕ, sur des
images de France 3 Rhône-Alpes et T.L.M.
Chapitre2Comment on devient un objet médiatiqueLa construction
de Vaulx-en-Velin dans les médias d’octobre 90 ŕ avril 94
1. Actes de naissance1.1 Premiers crisLe phénomčne
Vaulx-en-Velin surgit sur les écrans le dimanche 7 octobre 1990�,
c’est-ŕ-dire au lendemain des premičres émeutes. Il envahit
d’emblée l’ensemble des chaînes nationales. Avant cette date, on
considérera que médiatiquement, Vaulx-en-Velin n’existe pas.
Pourtant, dčs le départ, il est fait référence ŕ un passé. Cette
ville n’est pas née du néant, elle provient de la destruction de
quelque chose qui a existé antérieurement : la réhabilitation.
C’est-ŕ-dire quelque chose qui était en re- comme la destruction
est en dé-. Quelque chose qui n’a de sens qu’articulé ŕ un passé.
Détruire suppose un état antérieur : 1 construire, (2
détruire). Réhabiliter en suppose deux : 1 habiliter ,
2 déshabiliter, (3 réhabiliter). Réhabilitation ruinée en
suppose trois : 1 habiliter, 2 déshabiliter, 3 réhabiliter, (4
réhabilitation ruinée). Construction en miroir. Miroir aux
alouettes, peut-ętre d’une réhabilitation qu’on voulait présenter
comme une réussite exemplaire. Le ręve s’effondre avec les
premičres images de destruction. Destruction sur laquelle se bâtit
une construction médiatique. Dans la réalité, la réhabilitation
n’est en rien la cause des émeutes. Pas plus qu’elle n’est
compromise par les destructions, bien au contraire. Mais le média a
besoin d’un scénario-patatras, il va donc chercher le thčme de la
réhabilitation pour dire : on croyait la réhabilitation
réussie, mais tout est ruiné .
1.2 Premiers pas 1.2.1 Dans le monde de la réalitéLa
construction de cet objet médiatique Vaulx-en-VelinM �débute par
les opérations de lancement, comme on lance un projet, un nouveau
produit, une mode. On ne part pas de rien. Comme dans un portrait
robot, on compose peu ŕ peu un visage ŕ partir de formes, de
stéréotypes. Tout ce que le média prétend connaître, toutes les
images, les clichés, les modčles, les histoires, qu’il a en stock
et dans lesquels il trouve des traits communs avec le nouvel objet.
Ce sont les thčmes comme : la réhabilitation des banlieues, la
violence dans les cités, les conflits entre les jeunes et la
police. Ce sont les images de rodéos, de voitures qui brűlent, de
casses, d’affrontements. Ce sont les clichés comme l’appellation
“ cité dortoir ” plaquée sur Vaulx-en-Velin, mais aussi
des barres de béton, des “ grands ensembles porteurs de
désespérance ”. Cette série de traits provient de l’univers du
média lui-męme. Elle est le fait des journalistes de plateau ou des
reporters envoyés spéciaux avec une commande de la rédaction
nationale, beaucoup plus rarement de journalistes de terrain, en
tous cas de maničre moins caricaturale. Le modčle pré-existe ŕ
l’objet. Comme une forme, comme un moule. L’objet est convié ŕ s’y
inscrire.
Recherche de filiationUne autre man?uvre de lancement consiste ŕ
présenter Vaulx-en-VelinM comme un élément d’une lignée d’objets
qui pourrait s’appeler : les banlieues. On y trouve notamment
et qui occupe une place toute particuličre :
Vénissieux-les-Minguettes. Elle avait défrayé la chronique en 1981
en inaugurant une saga de rodéos de voitures. Elle était aussi ŕ
l’origine de la Marche de Beurs vers Paris en 1983, le lancement
d’une militance issue des banlieues. Vaulx-en-Velin est présentée
comme reprenant le rôle, au moins dans la partie violente.
Aujourd’hui un chaînage des banlieues passe par Toulouse-Le-Mirail,
les quartiers Nord de Marseille, Strasbourg, Chanteloup-les-Vignes,
les Tarteręts, Sarcelles, etc. Mais la relation entre Vénissieux et
Vaulx-en-Velin reste de nature privilégiée. Elle sont souvent
présentées comme deux s?urs. Elle semblent posséder un contenu
symbolique que les autres n’ont pas.
Quand il se définit ŕ partir de qualificatifs, images, clichés,
on peut dire que l’objet se construit par intension. Quand il se
définit comme élément au milieu d’autres appartenant ŕ la męme
classe, qu’il se construit en extension.
1.2.2. Dans le monde médiatiqueCes man?uvres de lancement
concernaient l’objet lui-męme. Elle tendaient ŕ enraciner l’objet
dans la réalité reconnue par le média ŕ le faire exister en tant
qu’objet. Il en existe d’autres qui concernent le média lui-męme et
qui visent ŕ construire cet objet en tant que médiatique, ŕ
justifier sa présence dans le média, ŕ l’introniser dans le monde
médiatique.
Un sujet journalistique…Lŕ encore, plusieurs man?uvres de
lancement. Vaulx-en-VelinM est construit ŕ travers un évčnement
considéré par le média comme d’envergure nationale. On justifie
qu’un sujet journalistique “ Vaulx-en-velin ” soit
présent dans un média national d’abord par la violence particuličre
des émeutes. Elle se mesure notamment ŕ travers des chiffres qui
sont donnés : le nombre de manifestants 250, le nombre de
policiers qui va passer de 150 ŕ 300, puis ŕ 500, puis ŕ 700, le
nombre de voitures incendiées, 10, 20, 27 en une seule nuit.
Ensuite l’intéręt journalistique est justifié par la durée
exceptionnelle des faits, sur cinq jours. L’information n’est plus
constituée par les violences elles-męmes, qui sont déjŕ connues,
mais par le fait qu’elles ne sont toujours pas terminées. Enfin le
troisičme caractčre est la récurrence, qui est autre chose que la
durée. Les “ męmes scénarios se répčtent ”, comme ils le
feront ŕ nouveau en d’autres temps et en d’autres lieux, comme ils
l’ont déjŕ fait par le passé. Des incidents localisés ŕ
Vaulx-en-Velin, sporadiques, n’auraient eu droit qu’ŕ un traitement
local. Considérés comme une péripétie arrivant ŕ l’ensemble
d’objets : les banlieues, comme la réactualisation d’une
problématique d’envergure nationale, ils prennent la dimension du
média et y justifient leur présence.
Un sujet journalistique domicilié dans une rubrique…Une deuxičme
construction fait exister l’objet journalistique dans l’espace
médiatique : le rubriquage. Etre rubriqué, c’est ętre classé
dans un genre journalistique appartenant ŕ un média, une chaîne de
télévision, c’est ętre attribué ŕ un journaliste, ŕ un service qui
est en charge de suivre ce sujet. C’est avoir recours ŕ des
experts-plateau, dans le domaine défini par la rubrique, qui vont
apporter leur éclairage sur cette question, donc la faire exister.
On trouve couramment des rubriques comme : justice, social,
politique, faits de société, faits divers. Mais
Vaulx-en-VelinM va souvent rentrer dans des genres journalistiques
pour lesquels il n’existe pas d’expert identifiable, pour lesquels
le rubriquage hésite : judiciaire ? social ?
politique ? immigration ?
Lundi 8 octobre, dans le journal du soir de Guillaume Durand (La
5*) l’expert-plateau qui est invité ŕ s’exprimer est Paul Lefčvre,
chroniqueur judiciaire habituel de la chaîne. On s’attendrait ŕ ce
qu’il intervienne sur les aspects judiciaires du dossier, l’analyse
des témoignages, la comparaison avec des affaires similaires. Mais
pas du tout, il parle de “ marmite pręte ŕ exploser ”, de
“ politique aberrante d’urbanisme concentrationnaire ”,
de “ véritables ghettos ”, de ”crise
économique ”, de “ banlieues oů personne en se
parle ”, de banlieues oů “ toute institution est vue
comme un oppresseur et toute rčgle sociale est vue comme une
barričre ”. Autant de sujets sur lesquels on se demande bien
quelle expertise il peut revendiquer. Il semble puiser une suite de
lieux communs dans l’imaginaire du média, mais sans grand rapport
avec Vaulx-en-VelinV.
Un sujet journalistique domicilié dans une rubrique avec un
thčme de fond.Un troisičme type d’opérations vise ŕ faire exister
médiatiquement l’objet. Comme on a parlé de rubriquage, il faudrait
parler de “ thématiquage ”. Il s’agit de définir le sujet
général dont on parle, celui sur lequel on tient un propos, comme,
par exemple : “ Le mal des banlieues ”, ou
“ les violences urbaines ”. C’est beaucoup plus éphémčre,
plus labile, moins construit qu’une rubrique. C’est un étiquetage
qui ne correspond pas aux structures de l’organisation médiatique.
Il n’y a pas de service “ violences urbaines ” comme il y
a un service “Politique”. Mais ce marquage produit un effet de
surtitrage, comme pour renforcer la portée de l’évčnement.
Construire un regard d’oů il puisse ętre vuL’objet a donc été
construit comme élément d’un ensemble, d’une classe. Il vient
d’ętre intégré au monde médiatique. Il restait ŕ définir un point
de vue ŕ partir duquel il puisse ętre perçu, ŕ construire le regard
du téléspectateur. Le média télévisé utilise pour cela des
techniques de cadrage, au sens propre et au sens figuré.
Au sens propre, le cadrage est évidemment une technique de
traitement d’image. Il consiste ŕ choisir ce qu’on montrera et ce
qu’on laissera hors-cadre, qu’on ne montera pas. Il sert aussi ŕ
déterminer sous quel angle on montre les choses, quel point de vue
on adopte, quelle place on assigne au téléspectateur.Le dimanche
qui suit les premičres émeutes, le 7 octobre 1990, les images sont
tournées au milieu de ceux qu’on appelle alors “les manifestants”.
Trčs rapidement, ŕ partir du dimanche 7 octobre, oů il y a eu des
agressions de journalistes et de pompiers, les journalistes se
protčgent systématiquement derričre les forces de l’ordre. Le
regard qui est construit alors du côté du téléspectateur est un
regard abrité derričre la police, donc du côté de la police, voyant
venir vers lui les jets de pierre et de cocktails molotov. Un
regard agressé. S’il avait été placé de l’autre côté, on aurait vu
des jets de grenades lacrymogčnes, une masse de policiers armés de
boucliers et de matraques, des charges contre les jeunes. Le point
de vue adopté induit donc bel et bien une lecture de
l’évčnement.
Au sens figuré, on pourrait parler aussi de cadrage dans le
lancement des sujets par les journalistes de plateau ou par les
commentaires des reportages, dans la mesure oů ils induisent aussi
un certain regard en laissant de côté une partie de la réalité et
en donnant de celle qu’ils montrent une interprétation privilégiée.
Dans le commentaire de FR3 Rhône Alpes du dimanche 7 octobre, on
trouve : “Vaulx-en-Velin crie sa haine”, “les CRS ont dű charger”
(présenté comme une obligation ou une nécessité), “ Thomas
Claudio passager sans casque ”, trois éléments qui sont déjŕ,
avant le lancement du sujet, une interprétation des faits. Dans le
journal d’Antenne 2 le męme jour : “ Vaulx-en-Velin cité
dortoir ”, “ la tension ne fait que croître ”,
“ quatre journalistes ont été molestés ”. Le journaliste
de plateau ne se contente pas d’attirer l’attention sur deux ou
trois éléments qui lui paraissent essentiels, mais il propose une
interprétation, un regard sur ce qui va suivre : la diffusion
du reportage.
2.Croissance et stabilisationAprčs cette phase de lancement,
l’objet va chercher ŕ se stabiliser dans le temps, ou plutôt dans
différentes temporalités imbriquées, et dans l’espace, lŕ encore,
plusieurs espaces ou mondes.
2.1 S’intégrer dans le temps du(des) monde(s)La construction du
temps de l’objet apparaît comme complexe. Elle s’appuie ŕ la fois
sur des mouvements cycliques et sur des mouvements linéaires.
Le temps des cyclesCycles courtsDu côté des mouvements cycliques
on trouve en premier des cycles courts qui peuvent se constituer en
séries, comme pendant les cinq premiers jours, oů les évčnements
“ émeutes ” se répčtent d’un jour sur l’autre, avec le
męme type d’images et des titres du genre :
“ deuxičme nuit d’émeutes ”, “ calme revenu
aprčs trente-six heures d’émeutes ”. Pendant tout le temps de
sa présence médiatique, c’est le mouvement cyclique du média
lui-męme, ses rendez-vous d’actualité réguliers, qui remettent en
scčne l’objet, comme s’il s’agissait de répondre sans cesse ŕ la
question bugsbunnienne : “ Quoi de neuf
(Doc) ? ” L’objet est actualisé par le média, ou
disparaît.
Cycles moyensOn trouve ensuite des cycles moyens ou longs,
allant de quelques semaines ŕ quelques mois ou quelques années. Un
premier cycle tend ŕ se boucler. Il y a un moment ou l’évčnement
“ émeutes ” commence, et il y a un moment oů il est
terminé, il sort du jeu médiatique. Ce cycle bouclé est alors
appelé “ les évčnements (d’octobre 90) ” et constitue un
tout autonome. On peut repérer des tentatives de bouclage, en cours
de construction, comme par exemple : “ l’heure des
comptes : bilan 20 millions de francs ”, “résultat de la
colčre des jeunes ”, “calme relatif ”, dans lequel on
peut voir ŕ la fois un horizon d’attente sur l’éventualité de
nouveaux évčnements, ou au contraire la clôture du cycle.
Reprises de cyclesEnsuite, ce premier cycle d’évčnements
originaires est continuellement réactualisé, Il peut s’agir
d’évčnements du męme type, de nouvelles émeutes, dont on peut dire
qu’ŕ elles toutes seules elles ne devraient pas justifier un
traitement par les chaînes de télévisions nationales :
quelques voitures brűlées, quelques escarmouches avec la police,
rien de commun avec octobre 90. Mais cela se passe ŕ Vaulx-en-Velin
et cela semble suffire ŕ rendre les choses intéressantes. D’autres
fois, ce qui fait évčnement, c’est donc la réactualisation de
l’évčnement mais atténué, comme un rappel, comme une reprise en
mode mineur d’un air connu, comme le remake d’un scénario ŕ succčs.
A nouveau, par trois fois, il est question d’un jeune homme mort
dans une altercation avec la police et de quelques émeutes qui
suivent.
Cycles revisitésD’autres fois enfin l’objet sera réactualisé par
simple effet de rétrospective, sans qu’il ne se passe rien dans la
réalité, rien d’autre qu’un événement de calendrier. Dčs l’émission
7/7 le dimanche 14 octobre 1990, on revient sur ces images
simplement parce que cette émission fonctionne sur le principe d’un
rendez-vous hebdomadaire qui re-brasse des informations déjŕ
diffusées par la chaîne, sans actualité nouvelle. Il y a également
les rétrospectives, comme par exemple celles de fin d’année, oů
chaque chaîne propose un florilčge (un “ Best
Of ” ?). Parmi ces réactualisations dictées par le temps,
certaines ne trouvent aucune justification dans le calendrier.
C’est le média lui-męme qui les provoque : “ six mois aprčs
les évčnements on a voulu savoir oů en était ….”Ici c’est le
journal lui-męme qui passe commande d’un reportage. Cette
construction temporelle semble marquer une préférence pour les
cycles mensuels du type : trois mois, six mois, neuf mois, un
an. Magazines réguliers, rétrospectives, retours sur évčnements, on
est en tout cas dans des cycles de cycles, puisqu’il s’agit de
reprendre des séries closes, de les recycler.
Le temps linéaireLa construction progresse aussi par mouvements
temporels linéaires, itératifs. Dčs l’origine, Vaulx-en-Velin
s’appuie sur un passé absent, mais considéré comme existant :
c’est tout le travail de réhabilitation dont on dit qu’il
s’effondre et qui était peu médiatisé, alors que la destruction va
l’ętre fortyement. Il y a donc un appui sur ce passé hors-champ,
et, ŕ partir de lŕ, une sorte de propulsion permanente de l’objet
vers l’avenir. La quasi-totalité des reportages, et surtout ceux
des premiers jours, concluent par la construction dramatique d’un
horizon d’attente. “ Un calme précaire semble
revenu ”.C’est la 5* le lundi 8 octobre : “ Un
calme précaire, mais la situation reste tendue ”. C’est M6 le
męme jour, avec un commentaire de fin de reportage :
“ mais espoir quand męme ”. La 5*, dans le journal du
soir avec Guillaume Durand, termine un reportage par un commentaire
sur la crainte que cela fasse la męme chose que pour les noirs aux
USA.
Ce qui va faire exister l’objet médiatique Vaulx-en-Velin, c’est
sa linéarité, sa capacité de durer. Elle tient au fait que le cycle
originaire “ les évčnements d’octobre 1990 ”, constitué
avec un commencement un déroulement et une fin, va continuer
d’avoir une vie au delŕ du cycle. Il va acquérir la capacité ŕ ętre
relancé réguličrement, soit par d’autres évčnements, soit par des
effets de calendrier, c’est-ŕ-dire la capacité ŕ ętre percuté ŕ
nouveau par l’actualité, ŕ se réveiller, et ŕ ętre réactivé. Il est
construit comme un objet du passé, bouclé sur une totalité, une
unité de récit, une globalisation d’évčnements passés, mais ancré
dans le futur, parce que capable de se réveiller, de rencontrer ŕ
nouveau l’actualité, donc situé en avant.
La phase de stabilisation montre donc non seulement
l’acquisition de la durée, mais aussi l’intégration du mode
temporel du média lui-męme, l’objet se met ŕ fonctionner
temporellement comme le média. Il adopte une temporalité
essentiellement cyclique pour la télévision qui se structure autour
d’une grille de programme. Aucun journal de presse écrite ne
pourrait ętre ŕ la fois du matin, du soir, du midi et de la nuit.
La télévision, si. Elle parvient ŕ diffuser des informations ŕ
rendez–vous réguliers qui couvrent le cycle de 24 heures, voire
męme, dans le cas de LCI, ŕ jet continu, comme une agence de
presse. Pour y parvenir, elle męle en permanence d’une édition ŕ
l’autre des informations nouvelles et des reprises, elle cycle et
recycle.
2.2 S’intégrer dans l’espace des mondesDe męme qu’il y a une
stabilisation dans le temps, il y a une stabilisation dans
l’espace, encore faut-il envisager plusieurs spatialités, selon le
monde auquel on se réfčre.
2.2.1 Dans la réalité de l’objet médiatiqueIl y a, tout d’abord,
l’espace de la réalité de l’objet lui-męme. L’objet va s’intégrer ŕ
son environnement, grâce, notamment ŕ des passerelles. Si, en phase
de lancement on utilisait des passerelles pour construire
Vaulx-en-VelinM ŕ partir d’autres objets comme Vénissieux, lŕ c’est
ŕ partir de Vaulx-en-VelinM que des évčnements vont essaimer dans
d’autres cités comme Vénissieux, Meyzieu, Décines, Bron. Il y a
également des passerelles lancées par le média lui-męme, d’un objet
ŕ l’autre, sans justification d’évčnement. TF1, le lundi 8 octobre,
lance un sujet en disant : “ On a voulu savoir si le
quartier de la Castellane, ŕ Marseille, ressemblait ŕ
Vaulx-en-Velin ”. Suit : un reportage sur ce quartier de
Marseille.
Ces passerelles créent des liens entre des objets, des lieux,
des évčnements, des thématiques. Elles permettent de complexifier
l’objet, au fur et ŕ mesure qu’il va se construire. Elles ont aussi
pour effet de réveiller des objets médiatiques endormis
(Vénissieux), ou chercher ŕ en susciter de nouveaux (Bron).
2.2.2 Le monde décrit par les médiasLe deuxičme espace de
stabilisation se fait dans le monde médiatique lui-męme, ŕ travers
la proximité entre Vaulx-en-VelinM et les autres sujets
d’actualité. Le repérage des sujets� qui se situent juste avant et
juste aprčs les reportages sur Vaulx-en-Velin, donne, par ordre
d’importance :
12 sujets liés ŕ une thématique judiciaire, soit qu’il s’agisse
de procčs, soit qu’il s’agisse d’enquętes avec intervention de la
police ou de la gendarmerie, 11 sujets impliquant des
ressortissants maghrébins, étrangers ou immigrés en France,10
sujets concernant des faits de violence avec mort, meurtre,
assassinat, agression, 10 sujets traitant soit de délinquance, soit
de faits de violence sans mort,9 sujets liés ŕ la guerre ou au
terrorisme, 7 sujets liés ŕ des manifestations,5 sujets ayant un
rapport avec l’Algérie.
Certains peuvent ętre cités plusieurs fois lorsqu’ils recouvrent
plusieurs thčmes possibles. Parmi les sujets revenant avec la plus
grande insistance, notamment au moment de la construction de
Vaulx-en-VelinM, d’octobre 90 ŕ début 91, on trouve la montée en
puissance des évčnements qui vont entraîner la guerre du Golfe. A
l’époque, un des thčmes anxiogčnes préféré de certains médias était
de savoir si les banlieues risquaient ou non de se solidariser avec
Saddam Hussein, par réflexe communautariste arabe. On se souvient
męme d’un reportage bidonné montrant des armes dans une cité. Il y
a donc, en 1991, ce climat de tension internationale trčs fort,
trčs présent dans l’actualité, et souvent contigu aux sujets liés ŕ
Vaulx-en-Velin. On remarque aussi le nombre important de faits
violents impliquant de jeunes maghrébins, comme victimes ou comme
auteurs, et les sujets ayant un rapport avec le terrorisme ou avec
l’Algérie. Ces chiffres ne peuvent pas ętre considérés comme
absolument précis puisque l’échantillon ne permettait pas un
repérage exhaustif. Mais ils donnent une petite indication du
climat environnant. Il faudra se souvenir de certains de ces thčmes
dans la sélection suivante.
2.2.3 Le monde oů vivent les médiasLe troisičme espace de
stabilisation est constitué par l’espace médiatique lui-męme, dans
la “ géographie des médias ” dans lequel l’objet va ętre
amené ŕ se situer. L’espace médiatique télévisuel est structuré ŕ
l’échelon le plus petit, par :des chaînes locales, avec
diffusion sur l’agglomération lyonnaise : T.L.M. (Télé Lyon
Métropole) et puis plus tard, M6 Lyon, une chaîne régionale :
France 3 Rhône-Alpes (+Auvergne), qui constitue une assez curieuse
région. En 1990, on dit F.R.3,l’ensemble des chaînes
nationales : TF1, Antenne 2 (puis France 2), La 5* (disparue
depuis), F.R.3 national (puis : France 3), occasionnellement
Canal + ou LCI. On considérera que leur couverture de diffusion
correspond au territoire français.
Un espace hiérarchiséLe mouvement entre les informations
nationales locales et régionales varie en fonction de l’importance
qui est accordée ŕ ces évčnements par les directions de chaînes.
Certains médias, comme France Télévision, ont des correspondants
régionaux, qui peuvent faire remonter l’information. On note des
emprunts d’images de F.R. 3 par Antenne 2 ou TF1, mais jamais de la
chaîne locale, comme si les autres ne la considéraient pas comme un
confrčre. Il y a également pour ce qui concerne TF1 une agence qui
lui sert de relais localement et qui s’appelle Lyon Caméra. Mais
sitôt que le sujet leur paraît suffisamment important les chaînes
dépęchent leur propres reporters de Paris, court-circuitant donc
les locaux.
Un espace structuré selon plusieurs échellesVaulx-en-VelinM
s’inscrit dans cette spatialité médiatique, en męme temps, ŕ
plusieurs échelles différentes, plus ou moins locales, plus ou
moins nationales. On ne peut tenir compte de la dimension
internationale, qui pourtant existe, puisque des chaînes étrangčres
ont couvert certains évčnements, bien que cela ait contribué, sans
doute, ŕ accroître l’importance de l’objet. Cet espace télévisuel
est fortement hiérarchisé. Des commandes viennent fréquemment des
rédactions centrales parisiennes avec une grande précision
d’exigences en matičre d’images, de thčmes, de reportages,
d’angles. De plus, l’univers médiatique n’est pas cloisonné. Bien
au contraire, les liens entre les différentes chaînes, que ce soit
par les journalistes locaux qui se connaissent (ou reporters
nationaux) ou que ce soit par les chaînes qui s’observent les unes
les autres, l’univers télévisuel fonctionne par conformisation.
Mercredi 9 octobre dans le journal du soir de la 5*, Guillaume
Durand fait état d’une dépęche de l’Agence Associated Press selon
laquelle des trafiquants de drogue seraient ŕ l’origine des
événements. Il précise “ il faut vérifier, ŕ prendre avec
précautions ”. C’est alors la seule chaîne qui mette en
question cette dépęche d’Associated Press, toutes les autres la
reprenant ŕ leur compte. Guillaume Durand interpelle alors, en
direct l’envoyé spécial de la chaîne ŕ Lyon, lequel oppose un
démenti. Le lendemain, dans le męme journal du soir, Guillaume
Durand revient sur ses propos et se range ŕ la version des autres
chaînes de télévision, aprčs une pirouette : “ comme
nous nous le présentions dčs hier soir, le scénario se complique.
Des commandos liés au milieu … ”Sur la 5* toujours, en fin de
reportage des obsčques de Thomas Claudio au journal de 13 heures,
c’est le vendredi 12, “ Le pilote de la moto a été arręté
mardi matin la veille de la reconstitution, ce qui expliquerait la
modération des propos de Laurent Assebille ŕ l’égard de la
police ”. C’est la seule chaîne qui défendra cette hypothčse
de maničre aussi claire. Isolée, elle abandonnera cette piste.
Un espace découpé par les médiasMęme si la presse écrite n’a pas
été étudiée ici, il faut tout de męme en dire deux mots ŕ propos de
spatialisation. On ne peut ignorer les autres organisations
spatiales crées par les médias et qui existent dans la ville. Le
journal de référence Le Progrčs, trčs décentralisé puisqu’il
dispose de correspondants locaux dans chaque commune de
l’agglomération, présente une découpe particuličre du territoire.
L’édition de Lyon diffuse des informations qui couvrent Lyon,
Villeurbanne et les banlieues Ouest. Mais l’édition qu’on trouve ŕ
Vaulx-en-Velin ne comporte pas ces pages. On y trouve, en revanche
celles des banlieues Est : Vénissieux, Bron, Rillieux,
Décines… Il y a donc bel et bien un lien, une passerelle médiatique
institutionnalisée par le journal de PQR de référence (sans
concurrent) entre ces villes qu’on ne cesse de retrouver liées dans
l’actualité. Un des effets de cette organisation du Progrčs comme
un espace cloisonné, mais aussi hiérarchisé, c’est que lorsqu’une
information remonte en page régionale, elle sera publiée dans
toutes les éditions du Progrčs. Quand elle reste en page locale,
elle ne sera lue que par les gens qui habitent sur place. Plus une
image est violente plus elle remonte vers les pages régionales, ou
męme vers la Une.
Un espace marqué de repčresEnfin, le dernier aspect de la
construction spatiale médiatique de l’objet est dű ŕ l’effet
de récurrence. Les images des télévision reviendront en permanence
sur les męmes lieux pour les revisiter, en les cadrant de la męme
maničre. Des chaînes différentes filmeront pourtant, sous plusieurs
éclairages. Le Mas du Taureau sera tourné de jour, de nuit, sous
toutes les coutures. Mais peu ŕ peu les męmes images vont
s’imposer. Ces sont ces images-lŕ, petit ŕ petit, par leur
récurrence, qui vont constituer des lieux symboliques particuliers
et finit par caractériser l’objet médiatique Vaulx-en-Velin, le
rendre reconnaissable, le singulariser, le stabiliser autour de
caractčres permanents.
2.3 S’intégrer un contenu stableAprčs l’environnement
spatio-temporel, dans lequel il a trouvé ŕ s’inscrire, l’objet voit
également son contenu se stabiliser.
2.3.1. Institutionnalisation du discoursLa stabilisation passe
notamment par un procédé d’institutionnalisation, parce qu’elle
fait jouer l’argument d’autorité. Dans un premier temps, le
discours sur Vaulx-en-Velin est le fait de paroles directes
d’habitants, de témoins, de jeunes, impliqués ou se disant
impliqués dans les évčnements, soit pour y avoir participé soit
pour en avoir été témoins. C’est le cas pendant la journée de
dimanche, le lendemain des émeutes. Au fur et ŕ mesure que les
évčnements se développent, les paroles se redistribuent, elles
s’institutionnalisent. Pour certaines, c’est le fait des médias
eux-męmes. Parce que des chaînes auront donné la parole ŕ tel ou
tel témoin, d’autres T.V. reviendront voir les męmes personnes.
Parce que certaines personnes auront été vues ŕ l’émission Ciel Mon
Mardi qui suit le premier week-end d’émeutes (le 9 octobre 90),
leur simple présence les légitimera au point qu’elles pourront ętre
recherchées ŕ nouveau par d’autres médias. Elles seront en quelque
sorte institutionnalisées par le média.
Certaines personnalités sont déjŕ médiatiques, ayant gagné leurs
galons sous d’autres cieux mais sur des thčmes liés. C’est le cas
d’Harlem Désir et d’Azouz Bégag. En ce qui concerne le Pčre
Christian Delorme, c’est plus trouble. Il n’incarne pas la
population concernée, mais la majorité du public auquel on
s’adresse : blanc, français, catholique ouvert au dialogue
avec les immigrés / l’islam / les jeunes / les banlieues. D’autres
existent, comme Abdekrim Belmokkadem, parce qu’ils ont joué un rôle
de leader ŕ l’occasion de ces évčnements.
Des représentants des institutionsMais de plus en plus, ce sont
des leaders institutionnels, des représentants officiels de la
ville, du pouvoir politique local qui prennent le dessus. Par
l’intermédiaire des députés qui sont ŕ la fois locaux et nationaux,
une passerelle va permettre de monter dans la hiérarchie jusqu’au
plus haut niveau de l’Etat (c’est peut-ętre surtout ŕ cause de la
résonance médiatique plus grande quand un personnage important
prend la parole). Dčs le mercredi 10, au Conseil des Ministres le
matin, et l’aprčs-midi lors des questions au gouvernement ŕ
l’Assemblée Nationale, se seront exprimés sur ces évčnements le
Président de la République et le Premier Ministre (La rivalité
entre François Mitterrand et Michel Rocard est peut-ętre pour
quelque chose dans cette surenchčre. Comme on le verra ŕ l’occasion
des Assises Banlieues 89, le président de la République ouvre en
déflorant totalement le sujet, et en ne laissant au chef du
gouvernement que des commentaires et des précisions de moindre
importance).
Une institutionnalisation horizontaleEn dehors de cette
institutionnalisation politique, il y a aussi une
institutionnalisation non plus verticale ascendante, mais
horizontale. Elle déborde de la parole directe qui serait
témoignage ŕ une parole indirecte, une parole sur, un commentaire
ou une explication, par une source légitime, bref : une parole
institutionnalisée, celle des travailleurs sociaux, des
spécialistes du social, ou des experts en politique de la
ville.
A chaque entrée en scčne de Vaulx-en-VelinM, ce mouvement se
répčte. Le résultat en est que, une fois institutionnalisée, une
parole n’est plus remise en doute. A partir du moment oů Michel
Rocard aura donné la version officielle du gouvernement comme quoi
l’accident de Thomas Claudio est fortuit, qu’il n’y a pas d’acte de
malveillance ou de bavure de la part de la police, cette version-lŕ
s’imposera en quelque sorte d’elle męme, simplement par l’argument
d’autorité. L’institutionnalisation du discours sur Vaulx-en-VelinM
a pour effet d’assujettir cet objet au pouvoir médiatique qui est
de détenir la parole.
2. 3.2. Elimination des dissonancesLa stabilisation passe aussi
par tout