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AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE I On a souvent reproché au gouvernement français de n'avoir pas su, au cours des huit années de la guerre d'Indochine, tirer parti d'une supériorité militaire, au début écrasante, et qui allant diminuant à mesure que le Viet Minh s'équipait d'armes modernes et formait ses cadres, demeura cependant jusqu'à la fin en maints domaines très appréciable. Nous n'avons pas su nous servir de nos canons quand Giap n'en avait pas ; nous n'avons pas su écraser de nos effectifs des bandes rebelles qui ne disposaient d'abord que de quelques fusils, ramassés quand les assaillants mordaient la poussière, par des volontaires prêts à la relève. Nous n'avons pas profité d'avantages qui eussent peut-être décidé de la victoire, parce que la France faisait cette guerre à regret, n'envoyant qu'au compte-gouttes hommes et matériel, toujours trop tard pour qu'ils fussent vraiment efficaces. Et parce que l'Amérique, longtemps réti- cente, craignant nos « visées colonialistes », s'est décidée trop tard aussi à une aide substantielle. A quoi bon revenir sur le passé ? Il n'est pas certain qu'une intervention massive de régiments d'élite appuyés par les engins les plus modernes eût réduit à merci un adversaire qui a le génie de la dispersion, qui sait si bien couler entre les doigts, piquer de mille traits invisibles, qui harcèle, sabote, mine, et ne se résout au combat que lorsqu'il se sent de taille à faire front. Des millions de piqûres de moustiques à la longue tuent un buffle, ou le rendent fou. On pourrait faire la même objection à ceux qui déplorent,
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AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

Jun 21, 2022

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Page 1: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

AILES FRANÇAISES

EN INDOCHINE

I

O n a souvent reproché au gouvernement français de n 'avoir

pas su, au cours des hu i t années de la guerre d ' Indoch ine , t irer

par t i d ' u n e supér ior i té mili taire, au d é b u t écrasante, et qu i allant

d iminuan t à m e s u r e q u e le Viet M i n h s 'équipai t d ' a rmes modernes

et formait ses cadres , d e m e u r a cependan t j u squ ' à la fin en main ts

domaines très appréciable . N o u s n 'avons pas su nous servir de

nos canons q u a n d G i a p n ' e n avait pas ; nous n 'avons pas su écraser

de nos effectifs des bandes rebelles qu i n e disposaient d ' abord

que de que lques fusils, ramassés q u a n d les assaillants morda ien t

la poussière , pa r des volontaires prê ts à la relève. N o u s n 'avons

pas profité d 'avantages qu i eussent peu t -ê t r e déc idé de la victoire,

parce que la F r ance faisait cette guer re à regret , n ' envoyan t qu ' au

compte-gout tes h o m m e s et matér ie l , toujours t r o p t a rd pour qu' i ls

fussent v ra iment efficaces. E t parce que l 'Amér ique , long temps ré t i ­

cente, cra ignant nos « visées colonialistes », s'est décidée t rop t a rd

aussi à u n e aide substant iel le .

A quoi b o n revenir sur le passé ? I l n 'es t pas certain q u ' u n e

in tervent ion massive de rég iments d'élite appuyés par les engins

les p lus mode rnes eût rédui t à merc i u n adversaire qui a le génie

de la dispersion, qui sait si b ien couler en t re les doigts , p iquer

de mille t ra i ts invisibles, qu i harcèle , sabote , m ine , et ne se résout

au combat que lorsqu ' i l se sent de taille à faire front. D e s mil l ions

de p iqûres de mous t iques à la longue tuen t u n buffle, ou le

r enden t fou.

O n pourra i t faire la m ê m e objection à ceux qu i déplorent ,

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n o n sans raison d 'ai l leurs, l 'insuffisance de no t re aviation, cet te

a r m e d o n t nous eûmes seuls le privi lège ju squ ' à la fin des hosti l i tés.

I l est cer ta in q u e des renfor ts de chasseurs et de bombard ie r s ,

des escadres d e forteresses volantes — qu i eussent nécessi té d 'a i l ­

leurs u n vaste élargissement de nos bases — aura ient fait à D i e n

Bien P h u des coupes sombres p a r m i les t roupes combat tan tes ,

et d e graves dégâts su r les routes d u ravitai l lement. U n e pu i ssan te

offensive aér ienne aurai t-el le changé cependant l ' issue de la

batail le ? I l est permis d ' en douter . Con t r e u n ennemi épars , dissi­

m u l é dans les forêts, t e r ré dans des abris au p remier ronflement

de m o t e u r , cont re u n e arti l lerie s avamment camouflée, p ro tégée

pa r des alvéoles profonds , u n e p lu ie de b o m b e s est mo ins nocive

qu ' i l n ' appa ra î t au p remie r abord . L e s pilotes d u T o n k i n m e l ' on t

d i t souvent ; ils regre t ta ient de n ' ê t r e pas p lus n o m b r e u x , mais

savaient b ien que la maî t r i se de l 'air n e suffirait pas à gagner

la guer re .

El le a pe rmis de la con t inuer sans q u ' o n en vînt jamais à l 'échec

total , alors q u e l 'aide chinoise faisait de l ' a rmée Viet M i n h u n

i n s t r u m e n t redoutab le , e t q u e les condi t ions pol i t iques et p s y c h o ­

logiques renda ien t impossible la victoire. A- t -on suffisamment

compr i s , en F rance , le rôle p r imord ia l joué pa r l 'aviation dans

cet te gue r r e , et l'effort i m m e n s e accompl i par u n personne l t r o p

res t re in t , pa r des apparei ls q u e leur pet i t n o m b r e obligeait à u n

rendement.excessif , m e t t a n t su r les den ts les équipes de techniciens ?

J ' a i f réquenté beaucoup les aé rodromes d u T o n k i n , d u L a o s ,

pa r t i cu l i è rement p e n d a n t les dern iers mois de la guerre . J ' a i p u

m e r e n d r e compte d u su rmenage d u personnel navigant , des

« r a m p a n t s » et des chefs de base . J e m e souviens de ce colonel

B r u n e t qu i commanda i t la base de Ca t Bi près d e H a ï p h o n g ,

et d u c o m m a n d a n t Bril laut , chef d u G . A . T . A . C . ( i ) de Vient iane ,

et d u colonel D u r a n t h o n , c o m m a n d a n t la base de Bach M a i , —

aéropor t mil i taire d ' H a n o ï , — tous t endus à l ' ex t rême, écrasés

de responsabil i tés . E t de ce c o m m a n d a n t Fe r ry , qui accompl i t

en que lques jours de janvier 1954 le tour de force de t ransformer

e n u n solide c a m p re t ranché le c h a m p d 'aviat ion de Séno , p rès de

Savannaket , jusqu 'a lors u n p r é n u ouver t à toutes les incurs ions .

O n n ' a pas soul igné c o m m e il le mér i te — la t r o p g rande modes t i e

proje tant une o m b r e épaisse — l'effort extraordinaire de ceux à qu i

(1) G .A .T .A .C . : Groupe aérien t a c t i q u e .

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AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 415

nous devons d 'avoir conservé, q u a n d le Viet M i n h fondait sur le

Laos , u n e base aér ienne essentielle que l ' ennemi , lancé d ' abord

dans sa direct ion, n 'osa plus a t taquer , surpr is d ' u n e telle mé ta ­

morphose . D a n s cette campagne d u Laos , la pet i te t r o u p e aér ienne

qu i cantonnai t à Séno , si peu nombreuse , mais toujours en patrouil le

dans les champs d u ciel, joua u n rôle décisif. N o n sans r isques,

n o n sans casse, n o n sans u n e tension des nerfs et de la volonté

dont j ' a i p u lire main tes fois la m a r q u e sur les traits ravagés des

h o m m e s en combinaison blanche, en combinaison bleue maculée

d 'hui le , qu i s'affairaient dans la nuée de poussière au tou r des avions.

Quan t à leur chef, le c o m m a n d a n t Fer ry , ses yeux noyés d ' u n halo

bleu lui mangeaient l i t téralement le visage.

P o u r les pilotes, cette fatigue, qui atteignait aux limites des

forces humaines , représentai t u n danger t rès grave. Ceux qui

par t i rent quo t id iennement dç Cat Bi vers D i e n Bien P h u , pendan t

plus de deux mois , faisaient souvent trois missions dans les vingt-

qua t re heures . C h a c u n e comporta i t trois à qua t re heures de

vol, avec les préparatifs de dépar t et le compte r e n d u au retour ,

c inq heures de travail.

— O n a les jambes flageolantes, m e disait le commandan t

Bault , c o m m a n d a n t en second d u groupe Tun i s i e .

I l ajoutait :

— E n mission de nui t sur u n B 26, que de fois j ' a i senti t i tuber

l 'appareil parce que je m'é ta is endormi aux commandes !

I l faut u n sursaut de volonté p o u r vaincre cet te somnolence,

car dans ces pays montagneux , et par fréquent t emps de b r u m e

qui cache les c imes, on doit voler t rès haut , à t rois , quat re mille

mèt res ; et le m a n q u e d 'oxygène donne u n e impress ion de béa t i tude

qu i incite à l ' abandon, c 'est-à-dire à la douce glissade vers la

mor t .

— U n e nu i t , au-dessus de D i e n Bien P h u , volant en P . S. V. (1)

dans la crasse — c'est encore le c o m m a n d a n t qu i par le — j 'étais

épuisé pa r le m a n q u e de sommeil , les longs vols en al t i tude sans

oxygène et pa r la m a n œ u v r e maintes fois répétée : descendre

en perçant les nuages p o u r essayer d e m e repérer sur les feux

de la cuvet te , et r emon te r aussitôt t rès haut , p o u r éviter de heur te r

les mon tagnes . J 'a i voulu virer ; mes mouvemen t s ne répon­

daient p lus . J 'a i v ra iment cru que c'était la fin. A u m o m e n t où

(1) P . S. V . : p i l o t a g e s a n s v i s ib i l i t é . On se gu ide u n i q u e m e n t à l 'a ide des instrumenta de bord.

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j 'allais pe rd re le contrôle de l 'avion et m 'écrase r dans les m o n ­

tagnes , la peu r sans d o u t e a diss ipé ce t te é t range paralysie.

D ' a u t r e s n ' o n t p u s u r m o n t e r de telles défaillances physiques .

O n en tend i t à la radio , calme, m a i s déchirant c o m m e u n cri ,

leur dern ier appel .

— N o u s avons deux ennemis , répé ta ien t les p i lo tes ; le Viet

M i n h , don t la D . C . A. est devenue te r r ib lement efficace dans

les derniers mois : u n avion t o m b e e n moyenne chaque jour sur

D i e n Bien P h u . E t le mauva i s t emps .

D i e u sait quels orages — p o u r ne p lus par ler de la b r u m e —

devaient affronter, dans les hau tes régions tropicales, à la saison

des moussons , les apparei ls q u ' o n sentai t lut ter , pe iner , qu i

vibraient de toutes leurs m e m b r u r e s , et ne traversaient q u ' a u

pr ix d ' u n effort dou loureux , semblai t- i l , c o m m e d ' u n animal ,

avec des bondissements sauvages, la murai l le de vent et de feu.

M a i s il était u n t rois ième ennemi , p lus sournois , aussi menaçan t :

la fatigue.

El le n 'avai t pas les m ê m e s t ragiques conséquences p o u r le

personnel au sol ; elle exigeait cependan t de lui aussi u n total

dévouement . Equ ipes aux mains sales, au nez barbouil lé , d o n t

dépenda i t la vie de ceux qu i on t des ailes. J 'a i souvent admi ré

leur h u m b l e et savante besogne , poursuivie jour et nu i t avec u n e

conscience à la mesu re de leurs responsabil i tés II faut dix à vingt

heures de travail de mécano p o u r u n e h e u r e de vol. E t le personnel

était res t re in t en n o m b r e c o m m e les avions.

Ou i , l ' a r m é e de l 'air a d o n n é nob lemen t sa pa r t à l'effort

mil i taire en I n d o c h i n e . D ' u n e g rande variété fut sa tâche. Uti l isée

su r tou t c o m m e appu i de l ' a rmée de te r re , elle appor ta i t son

aide sous trois formes pr incipales .

I o L'Appui reconnaissance. — S u r u n i t inéraire t racé d 'avance ,

des avions — Siebel, Dako ta , etc . — vont , v iennent , quelquefois

p e n d a n t des heures , p o u r observer des m o u v e m e n t s de t roupes ,

déceler des implan ta t ions d 'art i l lerie, des t ravaux de fortifica­

t ions , etc . L e s rense ignement s qu ' i ls r appor t en t seront recoupés

par ceux d ' au t res avions et pa r les interrogatoires de pr isonniers .

D e précieuses indicat ions sont ainsi ob tenues sur les in tent ions

de l ' ennemi .

L e s équipages qu i p rocèden t de cette maniè re font ce q u ' o n

appel le d u R. A. V. (Rense ignement à vue) . P lus précis est l ' aperçu

fixé pa r l ' image : le Rense ignement pho to . D e s spécialistes p r e n n e n t

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en cours de vol des~ clichés qu i , in terpré tés au re tou r par u n service

compéten t , pe rme t t en t de localiser des dépôts de mun i t i ons , des

pon t s , des emp lacemen t s de canons ; révèlent u n convoi de camions

sur telle p is te , u n e activité de la batellerie Viet M i n h sur tels

canaux.

Les pho tog raphes militaires sont t rès r emarquab les , t an t

par leur courage que par leur valeur t echn ique . J 'a i vécu en cama­

rade avec eux au C a m p de Presse d ' H a n o ï ; garçons toujours

joyeux q u ' o n apercevai t u n soir au tou r d e nos tables bruissantes ,

la poi t r ine ba r rée du pet i t pa rachu te de méta l ; beaucoup sautaient

sur les c h a m p s de bataille o u dans u n c a m p re t ranché . L ' a u b e

d u l endemain les voyait s 'envoler, a rmés toujours d u rolleiflex

ou de la caméra , su r u n bombard i e r , su r u n chasseur biplace,

car ils n e se contenta ient pas des apparei ls de reconnaissance,

mais p rena ien t pa r t aux combats , visant l ' ennemi avec leur objectif.

Soldats de p r emiè re l igne, ces Corcuf, Mil le t , Gent i le ; et ceux

qu i furent parachutés à D i e n Bien P h u : Martinof, tué e n a t ter r is ­

sant ; L e Bon, qu i perd i t u n pied ; Schoendorfer , C a m u s , Pé raud ,

faits pr isonniers . Ce dernier , légendaire dans tou te l ' Indoch ine

pou r sa b ravoure , se vit au cours d ' une embuscade mis en joue,

à que lques pas , par u n rebelle. L e réflexe professionnel l ' empor ta ,

chez le p h o t o g r a p h e , su r celui d e l ' inst inct d e conservation ;

c 'est son appare i l de pho to qu ' i l pointa sur l 'adversaire, doigt

sur le déclic, e t n o n pas le colt s u s p e n d u à son ce in turon. L ' A n n a ­

mi te crut - i l à u n e a r m e é t range , i nconnue ? E p o u v an t é , il abatt i t

son fusil, t o u r n a les talons à l ' ins tant précis où le cliché captai t

son geste, et détala c o m m e u n lièvre. Ce qu i valut à P é r a u d u n

documen t u n i q u e , et u n conte bien plus beau q u e ceux de son

illustre h o m o n y m e , parce qu ' i l est a u t h e n t i q u e m e n t vécu.

L a pho tograph ie , dans ces pays où les car tes sont souvent

incomplètes o u erronées , r e n d encore d ' inappréciables services

en précisant , e n rectifiant la topographie des lieux, en s i tuant

avec exact i tude les objectifs à a t te indre .

2° Appui de feu. — Car l 'Appu i reconnaissance p r é p a r e e t

condi t ionne Y Appui de feu. Chasseurs e t bombard ie r s , pa r un i t é s

isolées ou b ien en patrouil les de trois à six apparei ls , se préc ip i tent ,

parfois à t ravers de grandes distances, su r les ouvrages repérés ,

usines, barrages , su r les dépôts de matér ie l , su r les concent ra t ions

de t roupes . Ils sèment la p a n i q u e et la m o r t sur les colonnes en

m a r c h e qu' i ls a t t aquen t en p iqué , fauchant les véhicules et les

LA KEVUE № 23 2

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h o m m e s à grandes rafales d ' a rmes au tomat iques ; — opéra t ion

q u ' o n n o m m e , dans le jargon mil i ta i re m o d e r n e , souvent dér ivé

d e l 'anglais , « Fa i re d u straffing ».

C e n e son t pas seu lement des motifs s tratégiques qui c o m ­

m a n d e n t l eurs in tervent ions . Celles-ci exécutent parfois les p lans

de la gue r re économique , qu i vise à affamer l 'adversaire, à le pr iver

d 'obje ts d e p remiè re nécessité. Ainsi fut démoli sous u n e pluie

d e b o m b e s , l 'an dernier , dans la région de Vinh , le sys tème de

canalisat ion qu i irr iguait les rizières. Cet te offensive avait exigé

a u préa lable d e nombreuses pho tograph ies ; e t elle fut en t repr ise

à la pé r iode exacte — c o m p t e t e n u de l 'ét iage — où elle entraînerai t

la des t ruc t ion d e la récolte avant ma tu r i t é .

I l arr ive souvent q u ' u n pos te assiégé appelle au secours. Alors

se déc lenche VAppui de feu rapproché. D 'o rd ina i re en liaison

avec la reconnaissance, don t les apparei ls t iennent l 'air en m ê m e

t e m p s q u e les chasseurs . U n pet i t avion léger, u n M o r a n e par

exemple , louvoie à quelques centaines , quelques dizaines de

mè t r e s au-dessus des posi t ions ennemies , sans souci de la D . C . A. ,

des mitrai l leuses de 12,7 qu i le peuven t a t te indre . Par rad io ,

il p rév ien t les chasseurs qu i tou rnen t en rond , a t t endan t l ' ins tant

d ' in te rveni r .

J ' a i surpr is quelquefois ces pa thé t iques dialogues au cours

de r andonnées aér iennes o ù le casque récepteur m' ini t ia i t aux

secrets des ondes .

— Allo ! R ipa ton Bleu d e Torr icel l i . Contactez le C r i q u e t

T a n g o Sierra.

R i p a t o n Bleu est l ' indicatif d u chasseur ; Torr icel l i celui

du G . A . T . A . C . qu i donne les ins t ruc t ions . L e Cr ique t , c 'est le n o m

familier q u e les pi lotes d o n n e n t au M o r a n e .

— Allo ! lance, en répé tan t les indicatifs aux n o m s dansants ,

le pe t i t apparei l qu i fait u n bru i t d 'enfer dans le récepteur . B o m ­

bardez sur m a grenade . Là -bas su r le bois , à la sortie d u village

de N g o K h é .

U n e grenade fumigène t o m b e de la pet i te carl ingue qui saute

dans les r emous . G u i d é pa r la b lanche fumée, le B 26 lâche sa

b o m b e au-dessus d u bosque t , o ù des buissons verts se me t t en t

à cour i r : les Viet M i n h camouflés d e feuillages, qu i savent si

bien s'identifier à la na tu re . Ail leurs , ce sont les canons q u e

les pet i ts M o r a n e dir igent dans leurs t irs .

— At ten t ion , crie u n chasseur qu i passe, les Cr ique ts font

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AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 419

u n réglage d 'art i l ler ie. I l n e faudrai t pas aller nous fourrer là -dedans .

Q u a n d l 'assaillant pénè t r e dans les posi t ions, q u a n d le comba t

en vient au corps à corps , les directives de l 'avion de reconnaissance

volant p re sque en rase-mot tes a t te ignent u n e telle précision

qu'el les p e r m e t t e n t des t irs très rapprochés « à raser les m o u s ­

taches », selon l 'expression consacrée.

Chasseurs. — L ' A p p u i de F e u . Rôle exaltant en t re tous de

cette chevalerie de l 'Air qu i fond c o m m e l'aigle sur sa proie.

Bombard ie r s , chasseurs de l ' a rmée de l 'Air et de l 'Aéro-navale.

Les chasseurs é ta ient peu t -ê t re les p lus exposés. Ils avaient pour

mission de couper les routes du Viet M i n h en les creusant à coups

de bombes de p ro fonds entonnoirs ; et c 'est eux aussi qu i devaient

réduire au si lence, pa r des projectiles au bu t , la terr ible D . C. A.

Viet M i n h .

A D i e n Bien P h u , ils arrivaient toujours à l ' heure d u crépuscule ,

ent re chien et loup , pou r voir dans l ' a tmosphère assombrie la

lueur de dépar t des canons de 37 pointés sur eux , et détecter

ainsi leur posi t ion. Ils n ' o n t pas de viseur, et doivent lâcher à

vue leurs bombes . Aussi a t taquaient - i l s toujours en p iqué , descen­

dan t aussi bas que possible dans la g igantesque marmi t e qui

bouillait à g r and vacarme.

Je n 'a i jamais v u par t i r sans u n e poignante émot ion — ayant

par tagé plus d ' u n e fois l 'angoisse des re tours q u ' o n at tendait

en vain — ces fiers garçons, bus te droi t dans la car l ingue, casque

en tête, le mic ro devant la bouche , b iza r rement déformés par

la gibbosi té du pa rachu te et la poche flasque sur la poitr ine de

la M a e - W e s t (1), cette bouée de secours qu i se gonfle toute seule

q u a n d on t o m b e dans l 'eau. O h ! ce geste qu i m e faisait t rembler

pour toutes les mères anxieuses en F rance , d u bras qui fermait

le cockpit sur u n jeune visage au vent du dépa r t ! Mais comme

ils étaient h e u r e u x , ces guerr iers , q u a n d le vent de la victoire

les r amena i t , ayant a t te int leurs objectifs, rempl i leur mission !

Ils pa r l a ien t p e u ; mais le r ayonnemen t de leur visage, le frémisse­

m e n t de leur voix disaient la griserie d u danger , d e l 'action du re

où l 'ê tre se dépasse , des o m b r e s de m o r t don t le frôlement donne

à la vie u n tel goû t d e flamme.

J 'ai d îné u n soir chez des amis c o m m u n s à H a ï p h o n g avec

(1) Par al lus ion à l ' opu lente poi tr ine de l 'actr ice de c i n é m a bien connue .

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le c o m m a n d a n t de Castelbajac, u n officier de VArromanches, qu i

commanda i t u n e flottille de Hellcats .

N o u s l ' a t tendîmes t rès long temps . N o u s le savions en miss ion

su r D i e n Bien P h u , et pe r sonne n 'osai t formuler les inquiè tes

ques t ions qui nous hanta ient . L e s silences s 'allongeaient c o m m e

les heu re s pa rmi la conversat ion volonta i rement banale . L o r s q u e à

n e u f heures et demie le t é léphone sonna , u n e s t r idula t ion qu i

n o u s déchirai t l ' âme. L e maî t re de maison , ayant pr is le r écep teur :

— I l arrive. I l s 'excuse d ' ê t re si en re tard.

I l arriva vers d ix heures , t i ré à qua t r e épingles dans son comple t

civil, u n n œ u d papi l lon su r sa chemise éclatante. J ' en t ends encore

ses sobres réponses à nos curiosités.

— Je m e suis beaucoup amusé . — I l souriait .

Que lques m o t s évoquaient les zigzags qu ' i l décrivait p a r m i

les flocons blancs des obus de 37 pa r tou t éclatés au tour de lui.

E t le g rand plongeon sur le feu d u canon, p o u r lui lâcher sa b o m b e

sur le museau ; pu is la « ressource » qu i vous décroche le cœur

e t fait t o m b e r u n voile devan t les yeux.

Bombardiers B 26. — L e bombard i e r B 26, p lus lourd , moins

man iab le , est inapte au p iqué . Q u a n d le t e m p s bouché n'offre

pas u n e visibilité suffisante p o u r le b o m b a r d e m e n t en vol hor izontal ,

il exécute , afin de pe rce r le plafond d e nuages , des semi-p iqués .

M a i s son b o m b a r d e m e n t p e r d alors d e sa précision, car il y a

u n t e m p s m o r t en t re la visée, faite dans la descente , et le largage

d e la b o m b e q u ' o n peu t l ibérer seu lement au débu t de la « res ­

source » (reprise de h a u t e u r après exécut ion d ' u n p iqué) .

Ce t t e infériorité tou te relative est compensée par u n e g rande

puissance de des t ruct ion . L ' appare i l t r anspor te dix b o m b e s

d e d e u x cent c inquan te livres ou qua t r e bombes de mille l ivres.

U n flight de trois avions opé ran t en vol hor izonta l laisse t o m b e r

e n u n e seconde t r en te b o m b e s de 250 livres sur le m ê m e objectif.

L a m é t h o d e d u semi-p iqué , obl igeant les apparei ls à in tervenir

à t o u r d e rôle, n e p rodu i t q u ' u n e pluie in t e rmi t t en te : u n e b o m b e

toutes les deux ou trois m i n u t e s , s u p p r i m a n t ainsi l'effet de choc ,

d e masse . E t si c'est u n e t roupe q u ' o n veut toucher , celle-ci voyant

les avions tou rne r a le t e m p s de se m e t t r e à l 'abri .

J ' a i u n souvenir personne l de la g rande aven ture des b o m ­

bardiers ba roudeurs d u ciel. L e général Dechaux , chef d u

G . A . T . A . C . d 'Hano ï , à qui m'avai t adressée le chef d 'é ta t -major

Page 9: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 421

de l ' a rmée de l 'Air en Indoch ine , colonel de Vulpill ière, voulut

b ien m 'au tor i se r , pa r faveur exceptionnelle, à e m b a r q u e r sur u n

B 26 qu i , dans le couran t de mar s 1954, prenai t pa r t aux combats

de D i e n Bien P h u .

N o u s pa r t îmes de l ' aérodrome de Gat Bi vers mid i .

— Allo ! Cat Bi Air Por t de Raphaë l Rouge . Ins t ruc t ions

pour le décollage ? Autor isat ion de rouler au sol ?

L e pilote, ce c o m m a n d a n t Bault , si jeune pour ses quat re

galons, don t j ' évoquais p lus hau t la prestigieuse figure, p rononce

sans élever la voix ces mo t s que le micro envoie à t ravers les airs.

L a tour de contrôle r épond :

— Raphaë l Rouge , de Cat Bi, piste en service zéro sept , réglage

a l t imétr ique 30,12. Vent d u S u d 12 n œ u d s . Autorisé à remonter

la piste.

Vient ensui te l 'autorisat ion de décollage. N o u s roulons à

une allure vert igineuse su r les grilles. E t le lourd engin aux ailes

courtes , au nez camus , s 'enlève avec ses dix bombes de 250 livres

rangées dans la soute , accrochées sous les plans . J e m e fais toute

pet i te sur m o n siège de fer, calée pa r m o n pa rachu te qui pèse

lourd aux épaules , engoncée dans la « m o u m o u t e » à col de fourrure

que m ' o n t p rê tée mes compagnons , car des zones de nuages

nous obl igeront à m o n t e r aux froides al t i tudes qu i dépassent

3.000 mèt res .

Devan t mo i , le pilote et le bombard ier -naviga teur l ieutenant

Platel , dos b o m b é par la bosse d u parachute , casqués de l 'écoute

de radio , surveil lent les cadrans d u tableau de bord . L e mécanicien,

sergent-chef F e r r a n d o , a d isparu dans sa n iche au fond de l 'appareil ,

près de la mitrai l leuse qu ' i l est chargé d 'ac t ionner en cas de besoin.

Les rizières, les villages cerclés de b a m b o u s , gais sous le soleil

qui dissipe enfin l 'é ternel crachin d u p r in t emps tonkinois. Je

vois à m a droi te , à t ravers la paroi de plexiglass, volant à la m ê m e

allure et ga rdan t ses dis tances, u n des deux B 26 qu i forment

g roupe avec le nô t re .

Object if : D i e n Bien P h u . C h a q u e jour, depuis que s'est déclen­

chée la terr ible batai l le , des essaims de bombard ie rs s 'en vont

ainsi par échelons, dès que les condit ions a tmosphér iques le

pe rmet ten t , arroser d e projectiles le dense anneau d ' hommes

et de matér ie l que le Viet M i n h a fermé au tour d u c a m p re t ranché.

Malgré u n ar t consommé d u camouflage, l ' a rmée tapie dans les

forêts n e peu t empêche r que certains indices se révèlent à des yeux

Page 10: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

422 LA REVUE

exercés. D e s observa teurs , au cours d e vols de reconnaissance,

on t relevé, pho tograph ié , des n ids d 'art i l lerie, des can tonnemen t s ,

des abr is . N o t r e naviga teur e m p o r t e u n de ces clichés, où l'objectif"

est i nd iqué par u n pet i t rectangle au crayon rouge . U n espace

qu i représente peu t - ê t r e 200 mèt res d e long sur 50 de large.

C 'es t su r cet te surface que devron t se loger les b o m b e s des trois

B 26 qui p o u r l ' ins tant voguent en ple in ciel, dans la gloire d u

soleil.

Es t -ce v ra iment vers u n e œuvre de des t ruc t ion que se hâ t e

ce vol mervei l leux ? J e l 'oubl ie dans la révélation qu ' i l m e d o n n e

d ' u n m o n d e inconnu . Ca r c'est la p remiè re fois q u e je coiffe

le casque-radio . Voici q u e tou t à coup l 'espace ent ier se m e t à

par le r . U n e immense conversat ion s 'engage ; voix ailées venues

d e tous les hor izons , qu i s 'appel lent , se r éponden t . D e s pilotes

d e m a n d e n t l 'autor isat ion de décoller ou d 'a t terr i r ; la t ou r d e

contrôle donne des ins t ruc t ions . Ail leurs , le chasseur qu i doi t

p ro téger u n hél icoptère , l ' ayant p e r d u de vue , appelle :

— Vent i la teur Ex t ra d e G r e e n Leader . — O n appelle V e n t i ­

la teurs tous les hél icoptères , à cause d e leur g rande hélice ho r i ­

zontale . — Quelle est vot re posi t ion exacte ? Je n e vous vois p lus .

— G r e e n Leade r d e Vent i la teur Ex t ra . J 'arr ive dans u n e

m i n u t e à la verticale d u village de P h u Ly .

U n silence. L e noir r e q u i n volant cherche dans les nuages

la m inc e sauterelle. E t tou t à coup :

— Vent i la teur Ex t r a de G r e e n Leader . Je vous vois. J e vous

vois au poil !

M a i n t e n a n t , c'est le G . A . T . A . C . qu i s ' inquiète d ' u n avion d ' o b ­

servat ion.

— Rita 1 1 , de Torr ice l l i , m ' en t endez -vous ? Répondez .

Plus ieurs fois re tent i t , toujours p lus anxieuse, la m ê m e ques t ion .

L o r s q u ' u n oiseau lance, joyeux :

— J ' en t ends Ri t a 11 !

I l m e semble , pa rmi ce concer t de voix envolées, ê t re Siegfried,

ins t ru i t pa r le sang d u dragon , qu i c o m p r e n d soudain les m u r m u r e s

d e la forêt. J ' en t ends le langage des oiseaux. Mais ce sont oiseaux

de mor t . E t tandis q u e glisse parfois dans no t re c h a m p visuel

u n e si lhouette d 'a rgent où jouent des rayons , et p a r m i des flocons

d e nuages , u n corps noir aux ailes t rapues , les p ropos épars q u e

recueille m o n oreille m e r amènen t au m o n d e dur , au m o n d e

t rag ique où nous enclôt cette guerre .

Page 11: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 423

N o u s approchons d u lieu où tan t des nôt res lu t ten t , souffrent,

si loin d u m o n d e , p e r d u s pa rmi le chaos des montagnes chevelues

d 'a rbres qu i m e paraissent p lus sauvages, p lus hostiles encore

depuis q u e l ' invisible ennemi qu'el les recèlent a fait son p remier

b o n d hors de la jungle. L e seul lien de ces frères, p longés en pleine

batail le, avec ceux qu i les aident , avec l 'univers des vivants où

se renouvel le leur subs tance , ce sont toutes ces ailes bruissantes

dans les airs , t ous ces oiseaux qui parlent . N o u s sommes , nous

les po r t eu r s de m o r t , p o u r eux u n fragment d 'espérance.

— Torr icel l i , de Raphaë l Rouge , passez-moi la dernière météo

sur D i e n Bien P h u .

C 'es t no t re pi lote , le c o m m a n d a n t Bault , qu i interroge.

— Stand by (At tendez) . L e contrôleur se renseigne.

Vien t la réponse d ' u n avion qu i , au re tour de D i e n Bien P h u ,

a saisi la ques t ion :

— R a p h a ë l Rouge , de Raphaë l Vert . (C 'es t u n camarade

d u m ê m e g roupe ; le c o m m a n d a n t Bault reconnaî t ses intonations.)

I l y a 7/8 de cumulus d u Bavi à D i e n Bien P h u . Vous êtes tranquil le

à 9.000 pieds .

N o u s m o n t o n s . Au-dessous de nous s'étale une m e r de nuages.

E t voici qu 'e l le s 'ouvre ; u n e vaste lagune d 'air ensoleillé où

p longen t des forêts, et pa rmi elles, si reconnaissable à ses chauves

mont icu les , à ses damiers secs de rizières, à sa pis te qui brille u n

peu , le c a m p re t ranché , le c h a m p de bataille de D i e n Bien P h u .

N o u s l ' abordons par le Sud . P o u r échapper à la D . C. A.,

ac tuel lement t rès agressive, il faut approcher , m ' a expliqué le

pi lote, hors de l 'axe de tir des pièces. Pu i s , q u a n d on traverse

cet axe, avoir le soleil dans le dos , et évoluer beaucoup avant

de se fixer p o u r lâcher les b o m b e s . Je comprends donc la raison

de nos virages su r l 'aile, de no t re ronde en spirale d 'oiseau de

proie . A cet te h e u r e mér id ienne , on ne voit pas les obus que

les canons de 37 lancent cer ta inement à no t re adresse, et qui

* vers le soir en touren t les avions de menaçan t s flocons blancs.

D a n s le l ibre espace éclatant de lumière , nous avons l 'air de jouer.

L e naviga teur s 'est glissé en r a m p a n t dans le nez de l 'appareil ,

complè t emen t t rans lucide . I l sc ru te les claires profondeurs .

— Quinze degrés à gauche. ( Je l ' en tends au micro. )

— Quinze degrés , répè te le pilote.

— Virage de 180 degrés pa r la droi te .

— Cent qua t re -v ingts degrés.

Page 12: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

424 LA REVUE

Quelques instants plus t a rd :

— N o u s passons à la verticale. B o m b a r d e m e n t dans v ingt -

hu i t secondes . J e vois l'objectif.

Au-dessous de no t re ba lancement houlen t les forêts. E t tou t à

coup , la ligne droi te . L 'anx ié té d ' u n e a t tente ; le c o m m a n d a n t

Baul t a le visage très sérieux. D u navigateur , je ne vois que le

pos tér ieur dans la combinaison b lanche , et deux jambes é tendues .

Sa voix dans le micro :

— At t en t ion ! Bombe larguée !

U n e légère r u p t u r e d 'équi l ibre m 'aver t i t que nous nous al lé­

geons de no t re charge.

D e seconde en seconde, pa r molles peti tes secousses, le g rand

oiseau q u e nous chevauchons lâche ainsi ses bombes de 250 livres.

J 'aperçois à m a droite celles qu 'é jecte en m ê m e t emps l 'avion

d u l ieutenant L e Floch. Seu l l 'avion « leader, » celui d u c o m m a n d a n t ,

possède u n viseur qui p e r m e t de fixer exactement l'objectif.

L e s « ailiers » — o n appelle ainsi les aut res appareils d u groupe —

b o m b a r d e n t à l ' imitat ion. L e u r écar tement est défini au dépar t

selon les d imensions d u c h a m p à balayer.

— Bravo ! crie du sol, avec u n e joie qu i fait v ibrer le mic ro ,

u n de nos amis d u bast ion assiégé, l'officier d 'aviat ion c o m m a n d a n t

Gué r in , chargé de diriger à D i e n Bien P h u les in tervent ions

aér iennes .

L a format ion d u c o m m a n d a n t Baul t a b ien rempl i sa t âche .

L e n id d'art i l lerie que visait no t re raid ne t irera plus su r les four ­

mil ières rougeâtres , grouil lantes de vies souterraines , que nous

sen tons à la fois si lointaines e t si p roches , don t les espoirs , les

souffrances, l ' hé ro ïque effort, on t en nous des échos poignants .

M a pensée y reste longtemps accrochée.

O u i , la symbiose en t re les combat tan t s de l 'air, haletants

d e courses incessantes, et les soldats de la poussière ou de la boue ,

don t l'effort est p lus du r encore , d o n t les r isques sont p lus graves,

ce fut le caractère essentiel de no t re guerre en Indoch ine . D e

cette véri té , j ' eus à D i e n Bien P h u , dans ce lieu à l 'écart de l 'univers

qu i n e respire q u e l ' a tmosphère insufflée pa r d 'aér iens messagers ,

u n e é t range, u n e bouleversante percept ion .

3 0 Appui transport. — Cet te symbiose n ' imp l ique pas seu lement

collaborat ion en t re tous les moyens offensifs et défensifs dans

le comba t . P lus complète , p lus in t ime qu 'e l le n e fut en a u c u n e

Page 13: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 425

guerre , elle signifie aussi, en bien des cas, totale dépendance d ' u n e

a rmée vis-à-vis d e l 'aut re , jusque dans les besoins les p lus infimes

de la vie quot id ienne . E t cela nous amène à la t rois ième forme,

la plus impor t an te en volume et peu t -ê t re en efficacité, de l ' a ide

appor tée à l ' a rmée de ter re par l ' a rmée de l 'air : VAppui transport.

— L'avia t ion t ient l ' Indochine à b o u t d e b ras , m e disait,

usant d ' une mé tapho re hardie , u n des chefs d u G . A . T . A . C .

L a stratégie q u ' o n t décidée les états-majors — à tor t ou à

raison, nous n ' e n discuterons pas ici — stratégie souvent imposée

d'ail leurs par les circonstances et par des condi t ions de na ture

et de mil ieu, d o n n e à cette affirmation u n e ple ine vér i té . Que

l 'aviation cessât son effort, t ou t le sys tème de guer re s 'écroulait.

Q u e seraient devenus sans leurs fidèles servi teurs volants qui

les fournissaient à la fois de défenseurs, d ' a rmes et de vivres,

les villes, p r e s q u e toutes les villes d ' I ndoch ine où nous nous

implant ions c o m m e des îles sur u n océan, sans q u ' a u c u n chemin

reliât l ' u n e à l ' au t re ? Si H a n o ï , H a ï p h o n g , Saïgon, T o u r a n e ,

par leur contact d i rect ou méd ia t avec la mer , pouvaient à la

r igueur se suffire à el les-mêmes ; si P h n o m P e n h , H u é , et quelques

autres cités de m o i n d r e impor tance , par des routes gardées à

lourdes dépenses , main tena ien t u n e précaire communica t ion avec

de grands cent res , la p lupa r t des agglomérat ions , m ê m e des

capitales, des chefs-l ieux de province , Vient iane, Luang-Prabang ,

Xieng K o u a n g , La i C h a u , n e faisaient par t ie d ' u n m ê m e organisme,

par nous vivifié e t préservé , q u e parce q u ' u n e circulation c o m m u n e

s'était établie, au mépr i s des obstacles pa r tou t dressés sur le sol,

à t ravers les airs .

L a tac t ique des « hérissons », souvent reprochée au c o m m a n d e ­

m e n t mil i ta i re , n 'é ta i t q u ' u n e application secondaire de la m ê m e

loi qu i nous forçait à u n e sorte d 'éc laboussure sur le terrain, à

de pet i tes taches d 'occupat ion , restées éparses e t superficielles.

N a San, S a m N e u a , la Plaine des Jar res , M u o n g Say, D i e n Bien

P h u , cités pa r n o u s artificiellement construi tes , artificiellement

investies d ' une puissance mili taire en ces lieux ina t t endue . Ci tés-

m a n n e q u i n s enfermant u n e charge explosive h u m a i n e en des

points — n œ u d s de communica t ion , centres de r ayonnemen t — où

la déflagration risquait de gêner g ravement l 'adversaire ? Cités-

para tonner res , dest inées à dé tourner la foudre de villes plus

difficilement défendables , et don t l ' a t taque aurai t eu des réper ­

cussions pol i t iques ?

Page 14: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

426 LA REVUE

O n p e u t regre t te r q u ' u n e au t re stratégie, mais qu i n e pouvai t

se l imiter au p lan mil i taire , qu i devait ê t re aussi pol i t ique et

psychologique , n 'a i t p u se subs t i tuer à celle des places fortes.

O n p e u t regret ter q u e n o u s n ' ayons pas imprégné tou t le pays

de n o t r e présence mora le , fondue avec celle des Vie tnamiens

an t i -marxis tes et lui d o n n a n t d e la consistance, q u e nous n ' ayons

pas réussi dans tou te l ' I ndoch ine à inspirer confiance à la p o p u ­

la t ion en soulageant sa misère , en t émoignan t d u dés in téressement

de no t r e act ion, c o m m e n o u s l 'avons fait avec u n succès t rès

é m o u v a n t en certaines régions : dans la Cochinch ine d u général

C h a n s o n e t d u général Bondis , dans la province de K o n t u m sur

les p la teaux m o n t a g n a r d s , et dans ma in t s villages p e r d u s en ple ine

b rousse , q u ' u n h u m b l e sous-officier d e F r a n c e savait gagner.

M a i s à quo i sert de p leure r sur u n passé m o r t ? N o u s n e

faisons pas ici le procès de la guer re d ' I ndoch ine . D a n s cet te

guer re , telle qu 'e l le s 'est déroulée , nous voulons s implemen t s o u ­

l igner le dévouement e t la valeur tac t ique d 'exécutants qu i n e

p o r t e n t po in t la responsab ib té de la condui te des opérat ions .

Naissance des places fortes. — C'éta i t u n spectacle p rod ig ieux

de voir se const ru i re , c o m m e la ville des Oiseaux dans Ar i s to ­

p h a n e , — mais pa radoxa lement p lus semblable à u n e cité d e

t aupes , — à mil l ions de coups d 'ai les, de becs po r t an t les maté r iaux

à t ravers l 'espace, avec u n e rapid i té qu i tenai t d u miracle , ces

places fortes grouil lantes d ' u n e vie in tense , là o ù n 'ava ient jamais

r égné q u e la brousse , la forêt abr i t an t de pauvres villages.

Te l l e la Pla ine des Jar res , a u p r i n t e m p s de 1953, q u a n d se d é ­

clencha l'offensive v i e t -minh su r le p la teau d u T r a n N i n h .

J 'avais connu , t rois semaines auparavan t , la prair ie désolée,

improvisée c h a m p d 'aviat ion p o u r desservir la ville d e Xieng

K o u a n g , sise à u n e t ren ta ine d e ki lomètres . D e u x ou trois b icoques

bo rda ien t ce te r ra in de for tune , inutil isable dès qu ' i l pleuvait ,

et d o n t il fallait chasser à g randes poursui tes d e jeeps et larges

envols d e chiffons rouges les t roupeaux de buffles q u a n d bril laient

à l ' hor izon les apparei ls qu i voulaient at terr ir .

E t voici que des grilles, jetées d u h a u t des airs, faisaient u n e

pis te excellente où toutes les c inq minu t e s u n avion se posait .

L e ciel, au-dessus de la « D r o p p i n g Z o n e » se fleurissait d ' immenses

corolles de soie rose, de soie b lanche , de soie jaune , tou t u n jardin

su spendu qu i descendai t mol lement . E t q u a n d les fleurs mag iques

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AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE 427

se fanaient à pe ine touché le sol, d ' au t res bouque t s aériens se

dénoua ien t dans les hau teur s , éparpil laient u n e géante cueillette.

E t sor ta ient des carl ingues posées, se détachaient des grandes

corolles flétries, camions par morceaux , bul ldozers en puzzle

m o n s t r u e u x , canons démontés c o m m e des jouets , caisses d 'obus ,

fusils e n vrac , et des tonnes d'étoffes, des ki lomètres de barbelés,

une épicerie en sacs et boîtes pou r dix mil le consommateurs ,

et b ien d 'au t res choses encore , q u e les infatigables messagers ,

de l ' aube à la nu i t , ne cessaient d ' appor t e r à t i re d'ailes. E t sur le

grand pla teau n u , surgie d ' u n coup de bague t t e , u n e ville de

toile bruissai t , flanquée de bast ions , ce in turée de chevaux de frise,

t raversée de t ranchées , pa rsemée d 'en t rées de cavernes et de grottes

de rond ins , sil lonnée de jeeps, de D o d g e à six roues , de voitures

d ' ambulances , et de longues colonnes d ' h o m m e s en kaki à chapeaux

de brousse , qu i por ta ien t des fardeaux. Ces h o m m e s aussi, tous

ces h o m m e s qu i t ranspor ta ien t , qu i fouissaient, qu i construisaient

avant d e se ba t t r e , é taient venus par les m ê m e s chemins d e l 'espace.

Q u a n d l ' ennemi , é p a n d u c o m m e u n e marée sur le plateau,

en toura la su rp renan te cité, il en « tâta » que lques po in t s d ' appui ,

au cours de trois nu i t s qu ' i l lumina ien t de fusées les avions-lucioles

t ou rnan t au-dessus des combat tan t s . Pu i s il lâcha p ied soudain,

se dissipa c o m m e m o u c h e s au vent .

Ainsi naqu i r en t , pou r des dest ins , hélas ! souvent t ragiques,

par u n miracle d 'énergie , de t echn ique , de science de l 'organisa­

t ion, d o n t est navran te la t r op f réquente faillite, tous les camps

re t ranchés don t no t r e a rmée fit les pivots de son action.

Pa i t i cu l i è rement saisissantes é ta ient les opérat ions de ravi­

ta i l lement en h o m m e s et en matér ie l des places fortes entourées

par l ' ennemi . J ' eus plusieurs fois l 'occasion d 'y assister, et je

voudrais évoquer ici que lques souvenirs p a r m i ceux qu i m e restent

le p lus v ivement gravés.

UNE VISITE-ÉCLAIR A MUONG SAY

U n après -mid i à Vient iane. L e c o m m a n d a n t Brillaut, chef

du G . A . T . A . C . , m e propose de par t i r su r u n Dako ta qui doit

pa rachu te r des soldats su r M u o n g Say, à ce m o m e n t complè t emen t

encerclé.

Su r le terra in , o ù u n B 26 qu i décolle, chargé de bombes ,

soulève u n e nuée de poussière rouge , vaste c o m m e u n incendie,

Page 16: AILES FRANÇAISES EN INDOCHINE

428 LA REVUE

vingt soldats sont en l igne p rès d u Dako ta . Affublés de leur c o m ­

binaison de camouflage, en arc-en-ciel d u vert au jaune, coiffés

d u casque à treillis vert , bossus pa r der r iè re , pa r devant , de leurs

sacs d 'ombrel les géantes , et d ' a rmes , et de muni t ions , certains

ont pe ine à redresser le bus te . U n pet i t Vie tnamien , guère p lus hau t

q u ' u n e bo t te , dont le cha rgemen t égale p r e sque le po ids , s 'est

mis à genoux. L e s deux mon i t eu r s von t de l 'un à l ' au t re , réglant

les courroies , vérifiant les sangles, tandis que le capitaine de F o n -

tange , chef d u D é t a c h e m e n t t ranspor t , d o n n e au pilote les dernières

ins t ruc t ions .

N o u s s o m m e s part is . I l fait c h a u d dans la car l ingue b rû lan te

de soleil. Les vingt garçons, sous leur carapace écrasante , ru i s ­

sellent ; tandis q u e les d e u x mon i t eu r s , poursu ivan t minu t i euse ­

m e n t leur inspect ion accompagnée d ' u n e d is t r ibut ion de cigarettes

et de m o t s d ' encouragement , p r o m è n e n t dans le couloir central

des dos n u s , luisants c o m m e au sort ir d ' u n e douche . O n se croirait

dans u n t iède a q u a r i u m aux t ransparences g lauques , où p longe

u n e doub le rangée d 'é t ranges personnages verdâtres , assis sur des

bancs de fer, dos à la coque ver te . E t t ou t ce ver t t e rne , grisâtre ,

à reflets t r is tes , t angue et roule p a r m i les nuages qu i se déchi rent ,

découvran t par m o m e n t s , dans le r o n d des hublo t s , le ver t s o m b r e

des cimes boisées qui hou len t en désordre jusqu 'à l 'hor izon.

L e bizarre Mar t i en q u e j ' a i p o u r voisin — pet i te figure p r e s q u e

enfant ine sous le casque t rop g rand qu i s 'enfonce j u s q u ' a u x

oreilles — n ' a pas vingt- trois ans . M i n c e m o n t a g n a r d pyrénéen ,

il va effectuer son t re izième saut . I l m e le di t , cr iant à m o n oreille

p o u r domine r le b ru i t des m o t e u r s , avec u n mé lange de fierté,

et d ' u n e appréhens ion q u e je sens po ind re sur toutes les figures

noyées de sueur dans la p é n o m b r e , crispées d e sourires si lencieux.

— Q u a n d on passe la por te , ça fait toujours que lque chose,

confesse-t-i l , soulevant des deux mains , p o u r en alléger la pression,

t an tô t l ' une , tan tô t l ' au t re , d e ses deux grosses bosses. Après , on

est content . C 'es t d u tonne r r e , de se balancer au b o u t des fils.

— C i n q heures et quar t .

— O n arr ive dans dix m i n u t e s , mes enfants .

J e vois des doigts serrer la sangle d u « ventra l », q u ' o n doit

ouvr i r so i -même si le « dorsal », pa r ext raordinai re , n e fonct ionne

pas . C h a q u e soldat fixe son casque à la poi t r ine par u n e ficelle,

de p e u r de le pe rd re p e n d a n t la chu t e , e t p r e n d à la m a i n le crochet

qu ' i l fera glisser sur la ma in courante t endue d ' u n e ex t rémi té à

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l 'aut re de la carl ingue. L a courroie à laquelle est fixée ce crochet

se r o m p r a au m o m e n t d u saut , dé te rminan t l ' ouver tu re d u

parachute .

Les deux mon i t eu r s se sont ceints d ' u n e corde a t tachée à la

paroi , p o u r éviter d ' ê t re entraînés dans la cascade h u m a i n e . D ' u n

geste b r u s q u e , ils on t a r raché la por te .

— O n jet te d ' abo rd les gaines, m 'exp l ique le pet i t Pyrénéen.

Les gaines , ce sont de longs paque ts ficelés, m u n i s au sommet

d ' un pet i t pa rachu te , et qu i cont iennent des a rmes de renfort.

A l ' instant o ù les moni teurs les font glisser, von t les balancer

dans le vide, le navigateur sort en t r o m b e d e la cabine de

pilotage.

— O n se pose ! crie-t-il .

M i n e déconfite des vingt citoyens d ' u n e p lanè te vagabonde,

frustrés de leur vol anxieux e t magnifique.

— O n prévien t qu ' i l y a t rop de vent au sol p o u r vous larguer,

explique le mon i t eu r , vous vous casseriez les pat tes .

E t c o m m e l 'avion c o m m e n c e à rouler , avec d e pet i ts bonds

souples, su r la pis te gazonnée, le sergent qu i est le p lus galonné

des parachut is tes lance d u fond de son fourn iment de mons t rueux

pohchinel le :

— Dispersez-vous tou t de suite en descendant , à cause des

mort iers .

Depu i s p lus ieurs jours , en effet, des mor t ie rs et des canons

sans recul , cachés dans les montagnes forestières, ar rosent de t emps

en t e m p s l ' aé rodrome de for tune.

J 'a i sauté à ter re . M u o n g Say ! L e pos te menacé , encerclé,

où des milliers d ' h o m m e s a t t enden t , à chaque m i n u t e d u jour et

de la nui t , le déc lenchement de furieuses vagues d 'assaut . C o m m e

j 'a imerais par ler avec ces combat tan ts de terr iers , enfouis dans

leurs t rous . Hélas ! à pe ine avons-nous le loisir d e h u m e r quelques

bouffées de leur air qu i sent b o n les herbes montagnardes , la

fraîcheur, avec u n p i m e n t d 'hé ro ï sme .

— Vai! Vai! (Vite ! Vite !) crie le pi lote aux soldats laotiens

qui essaient d 'engouffrer dans le Dakota vidé tou te une colline

de parachutes roulés au b o r d de la piste. Je ne vais tou t de m ê m e

pas r i squer des p r u n e a u x sur m o n taxi pour empor t e r des vieux

pépins .

T a n d i s q u e volent pa r la por te ouver te les ballots soyeux,

blancs , roses, ver ts , je regarde tou t au tour de la cuvet te de M u o n g

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Say les forêts profondes , hérissées sur des cimes surgies de pa r ­

tou t , où l ' ennemi se cache.

M a i s déjà les deux moni t eu r s m ' o n t entraînée. A qua t re pat tes

s u r la marée d e soie qui encombre la carl ingue, le nez contre les

hub lo t s , nous regardons av idement dénier les barbelés qui borden t

la p is te où nous roulons à g rand vacarme , et des silhouettes kaki

qu i n o u s font signe.

U n b r u s q u e a r rachement ; u n e pi rouet te .

— I l vire sec, fait m o n voisin.

A cet instant , u n e fumée m o n t e devan t le nez de l 'appareil .

L e t o n n e r r e des moteur s a m a s q u é celui d e l 'éclatement. U n obus

de mor t i e r vient de t ombe r au b o u t de la piste.

M ê m e pas le t emps d 'avoir peur . U n c o u p d'aile ; nous voguons

dans l 'espace. Sous le cercle que nous décr ivons, le c a m p apparaî t

t ou t ent ier : la piste cour te , les chauves points d ' appu i sur des

p i tons rougeâtres creusés d e t ranchées et de t rous circulaires, et

serrés les uns cont re les aut res quelques carrés de cendre noire ,

qu i furent le village. A u t o u r de cet te te rmi t iè re huma ine , sur qu i

pèse u n e angoisse, la sol i tude des forêts, infinie, t ou rmen tée

c o m m e l 'océan.

L o r s q u ' u n e heure plus t a r d no t re Dako ta s'est posé sur le terra in

d e Vient iane , nous voyons arriver, fumant , dans u n e jeep qui

fait bouil l i r la poussière, le capitaine de Fon tange :

— Je vous avais dit de n e pas vous poser ! hur le- t - i l à l 'adresse

d u pi lote Ayel, qui surgi t de la carl ingue, dans sa b lanche combi ­

naison, le nez fendant l 'espace c o m m e u n e proue . P o u r q u o i

m 'avez-vous désobéi ?

L e pilote, u n des p lus fameux de la base , a subi d 'aut res b o u r ­

rasques .

— Imposs ib le d e larguer les b o n s h o m m e s à cause du vent ,

répl ique- t - i l sans se décontenancer . E t d u sol, on nous assurait

la sécuri té .

— I l n e faut jamais écouter les biffins, rugi t le capitaine de F o n ­

tange , dit « L e Baron », célèbre p o u r ses coléreuses boutades , qu i

cachent u n e réelle bonté . Ils ont p e r d u toutes les guerres . C 'es t

u n e a r m e qu i a fait faillite ( i ) .

Y V O N N E P A G N I E Z .

(A suivre.)

(i) C e t t e b o u t a d e , qu'il n e faudrai t pas prendre a u p ied de la let tre , e x p r i m e les p e t i t e s r iva l i t é s , su je t s de bien des taqu iner i e s , qui o p p o s e n t v o l o n t i e r s , m a l g r é leur fraternel le i n t e r d é p e n d a n c e , armée de terre e t armée de l'air.