A i d e - t o i , la télé t'aidera
Quand les stars de la télé racontent...
A i d e - t o i , l a t é l é t ' a i d e r a
P r é f a c e
... Ne leur dites surtout pas que ce sont des stars, ils n'apprécieraient pas. Unanimes, ou presque, ces femmes et ces hommes qui animent notre paysage cathodique rejettent ce statut. Et pourtant, peut-être le sont- ils plus encore que les autres... Qui donc, en effet, peut se vanter d'entrer tous les jours ou toutes les semaines chez des millions de personnes, même habitant les régions les plus reculées de l'Hexagone ? Personne. Pas même l'acteur de cinéma le plus célèbre de la planète. Alors, bien sûr, certains trouvent dérisoire ou disproportionné l'intérêt qu'on leur porte. Il faut bien admettre que la fonction première de ces journalistes ou animateurs a quelque peu été dévoyée. Leur rôle d'origine ? Présenter, commenter, enquêter, interviewer... Bref, servir « d'intermédiaire » — tant pis si le mot n'est pas très heureux ! — entre l'information et le public. Nous sommes effectivement bien loin de la star mythique, au sens hollywoodien du terme. Mais il y a un « mais ». En alliant l'image au son, la télévision offre une mise en valeur beaucoup plus forte que les autres médias... Et en fait de simples intermédiaires, nos acteurs du petit écran se révèlent le plus souvent de vraies figures charismatiques sachant frapper là où il faut dans le cœur des téléspectateurs. Le fantastique développement médiatique a fait le reste. Tous les rôles, premiers ou seconds, ont fini par se mélanger et plus personne aujourd'hui ne sait très bien quelle légitimité attribuer à chacun, fût-il célèbre par volonté ou par accident. Et d'ailleurs, qu'importe ? Stars ou pas, les visages du petit écran ont une place à part dans notre
vie quotidienne, et cet état seul suffit à justifier notre curiosité : mais comment devient-on une « vedette de la télé » ?
L'une d'elles nous a rapporté une remarque lancée par un stagiaire dans les couloirs d'une chaîne de télévision. Comme elle s'enquérait des impressions du jeune homme sur cette expérience nouvelle, celui-ci lui fit part de son désappointement : « En vous voyant tous à la télé, je croyais que vous passiez votre temps à vous amuser. Aujourd'hui, je suis très déçu, je ne vois jamais personne dans les couloirs, tout le monde est enfermé dans son
bureau ! » Eh oui... Pour un « simple » divertissement hebdomadaire, un journal télévisé aux allures « routinières » , dix « petites » minutes d'humour ou d'interview, combien d'heures, de jours de préparation, d'années de travail, d'apprentissage, de déceptions, de batailles ou de découragements ? Non, la télé n'est pas un eldorado sur le chemin duquel une chance insolente place ses favoris. Si le hasard d'une rencontre, le sourire d'une opportunité ont un rôle à jouer dans ces destins pas tout à fait comme les autres, il n'en sont pas, et loin de là, les facteurs déterminants. Derrière ces parcours, il y a toujours une histoire, des histoires surprenantes, drôles, inattendues, déroutantes, difficiles parfois... Ces histoires, nous avons tous envie de les connaître. Alors,
une fois n'est pas coutume, cette fameuse télé, nous l'avons éteinte, et sommes allés voir ces êtres si familièrement inaccessibles. C'est ainsi que, tranquillement, ils nous ont raconté, sans détours ni calculs, comment ils en sont arrivés là...
Ouvrage réalisé avec la collaboration de Jean-Michel Maire
Conception & réalisation graphique : Didier Gonord/Filifox - Paris
© septembre 1995, Editions La Sirène
Dépôt légal : troisième trimestre 1995 ISBN : 28 4045 113.1
Editions La Sirène
215, rue Galliéni 92100 Boulogne-Billancourt
photo David Atlan/Agence Regards
A r t h u r né le 10 mars 1966, à Casablanca (Maroc).
Quel métier souhaitiez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?
Pilote de formule 1, pilote de chasse et avocat.
Vous étiez déjà bavard ?
Oui, bavard, dissipé... J'étais plutôt le fouteur de merde
à l'école, mais, sympathique hein ! Trente élèves dans une
classe, c'est déjà un petit public.
Vous avez poursuivi vos études jusqu'où ? J'ai fait bac + 2. Enfin, quand je dis bac + 2, ça veut dire que j'ai passé le bac deux fois et qu'à la fac de droit j'ai redoublé la première année. Je ne foutais rien, c'était un alibi. Il faut préciser que lorsque j'arrivais à 10 heures en cours, j'avais déjà travaillé de 6 heures à 9 heures à la radio, alors j'étais plutôt
fatigué.
« Si nous n'avions pas besoin d'être reconnus,
pour donner un coup de main aux malades ! »
Comment avez-vous pu commencer la radio si jeune ?
J'habitais à Massy et il n'y avait pas grand-chose pour s'occuper.
Soit on faisait du sport, soit on avait une Mobylette... Moi,
je jouais beaucoup au tennis. Une petite radio locale s'est
montée. Ils souhaitaient lancer une émission sportive et,
naturellement, ils m'ont demandé de l'animer. Je mélangeais
sport, musique et surtout grosses conneries. Comme
les résultats que j'annonçais ne concernaient que les joueurs
que je connaissais, c'était le royaume de la mauvaise foi ! Le ton
était déjà assez caustique et déconnant. Et puis un jour, Patrice
Meyer de RFM est passé dans le coin en voiture. Nous,
on émettait sur 1 km à la ronde et, surtout, on brouillait tout ce
qui bougeait. Dans les téléviseurs, dans les séchoirs à cheveux
de l'immeuble où nous étions installés, on recevait notre
émission ! C'est comme ça que Meyer m'a entendu, malgré lui.
Il m'a téléphoné pour que nous nous rencontrions et je me suis
retrouvé sur RFM, de 6 heures à 9 heures, tous les jours.
Comment se sont passés ces débuts ?
C'était difficile parce que Meyer est quelqu'un de très exigeant. Il m'a appris le métier d'animateur radio comme un artisan
apprend la poterie à un jeune compagnon. Il m'a surtout
enseigné l'art de déconner pendant une émission. Nous avons
fait tout ça ensemble. En plus, il m'a dit : « Tu as beaucoup
de défauts, tu es exubérant et mégalomane. » Ça m'a un peu
miné, mais il a ajouté : « Tes défauts doivent être ton nouveau
fonds de commerce. » Donc, finalement, je n'ai fait que les
accentuer. C'était très intelligent de sa part de m'avoir donné ce
truc-là, j'aurais pu être un animateur lisse mais le mot d'ordre
était : « Tu penses toujours avoir raison, eh bien dis-le à l'antenne. »
Mais comment peut-on être mégalomane
à l'âge de dix-neuf ans ?
On a tous une case mégalo dans notre tête, seulement certains
l'ont plus ouverte que d'autres. Mais la mégalomanie n'est pas un défaut, c'est l'essence même de notre métier. Nous avons
envie d'être aimés, d'être reconnus, d'aller au-delà de nos rêves,
c'est notre moteur. Le tout, c'est de savoir qu'on est
mégalomane. Ceux qui ne s'en aperçoivent pas sont ceux qui
pètent les plombs. Oui, je suis mégalomane. J'adore être aimé
et c'est un grand bonheur quand les gens viennent à moi dans
la rue et me demandent : « Arthur, tu peux me signer un
autographe ? » C'est l'un des plaisirs de cette profession, c'est
pour ça qu'on la fait. Nous voulons être aimés par les gens,
alors nous faisons tout pour les séduire.
Vous n'êtes pas très nombreux à tenir ce raisonnement... Mais là, c'est du snobisme. Bien sûr, nous avons tous envie
de faire ce métier pour rendre les gens heureux. Mais si nous
n'avions pas ce besoin d'être reconnus, nous irions au Zaïre
pour donner un coup de main aux malades du virus Ebola !
Il ne faut pas se mentir parce que après, on ne sait plus où on
est, on ne sait plus où on habite. Moi, je sais exactement qui je
suis, et c'est pour ça que je pense être assez bien dans ma peau.
Alors, comment y avez-vous atterri ?
Au moment où TV6, l'ancêtre de M6, a été créé. Actuel y
produisait une émission qui s'appelait les Bons Plans d'Actuel
et nous avions chaque jour cinq minutes d'antenne. Je me suis
donc mis à travailler sur des petits reportages et c'est comme
ça que j'ai été repéré par l'équipe de Denisot. Ils m'ont proposé
de venir sur Canal+, j'ai un peu hésité et finalement j'y suis allé.
Ce que j'y ai fait leur a bien plu parce que j'avais, paraît-il, une
façon de traiter les sujets bien différente des autres journalistes.
Alors ils ont songé à me donner une chronique dans Nulle Part
ailleurs et sont venus me demander si j'avais une idée. Bien
entendu, j'ai répondu oui alors que je n'avais pas l'ombre d'un
projet en tête et puis coup de bol, dans la nuit suivante, j'ai
pensé aux Paradoxes. Alain de Greef a trouvé ça marrant et
m'a dit : « OK, on va le faire. »
Donc là encore, tout a été très vite...
Pas tout à fait parce que après, je n'ai plus eu de nouvelles de
Canal+. Au bout d'un moment, j'ai fini par rappeler pour savoir
ce qu'il se passait et là, j'ai senti que ça bloquait du côté de
Gildas. Il n'y croyait pas, il était persuadé que j'allais m'épuiser
au bout de deux émissions, que je n'aurai plus d'idées. Quand
de Greef m'a appris ça, j'étais atterré. Je lui ai dit : « C'est
impossible ! Laisse-moi voir Gildas, je vais le convaincre. » Ils devaient dîner ensemble le soir même et nous sommes
convenus que je passerai pour le café.
Vous étiez un peu anxieux en y allant ?
J'étais hyper impressionné. A ce moment-là, je ne connaissais
pas Gildas et je me souviens d'ailleurs que ça a été la première
et la dernière fois que je l'ai vouvoyé. Donc je lui ai réexposé
mon projet et comme je sentais qu'il était toujours sur la
réserve, j'ai fini par lui demander : « Vous souhaitez surprendre
les gens dans votre émission ?» Il m'a répondu oui. J'ai insisté :
« Mais vous comptez les surprendre tous les jours ?» Il a continué
de répondre oui. Alors je lui ai simplement dit : « Eh bien,
si vous les surprenez tous les jours, ce ne sera plus une surprise.
La seule façon de surprendre vos téléspectateurs, c'est de rediffuser
1 9 9 3 Nulle Part ailleurs
« Cher Monsieur Vandel,
comment pouvez-vous rester aussi stoïque alors que de telles images défilent à côté de vous ? »
les histoires de la veille. » Il m'a regardé bouche bée et il m'a dit :
« Je vous prends avec moi sur le plateau. » Et juste après, c'est
Gildas qui me l'a rappelé par la suite, je les ai planté là parce
que j'avais un rendez-vous que je ne voulais pas rater avec une
fille géniale. Normalement, dans ce genre de situation, on reste
pour montrer qu'on est fou de bonheur mais moi, je suis reparti
comme un malade sur mon vélo. Voilà comment j'ai été pris sur Nulle Part ailleurs.
Et le Journal du hard, qu'est-ce qui vous y a conduit ?
C'était pendant la période où je travaillais aussi sur la Grande
Famille. Je faisais tous les sujets insolites et un peu chauds du type « je suis amoureuse de mon cousin. » Canal+ avait
proposé le Journal du hard à Denisot qui ne voulait pas le
présenter, ce que je comprends, et à Isabelle Giordano qui, elle,
n'osait pas. Moi, je m'en foutais. Que je parle de ça ou de
mobilier contemporain, ça me fait le même effet. Donc j'ai dit
oui tout de suite, à deux conditions. Un, que j'ai un droit de
veto sur les sujets qui ne me plaisent pas, deux, que je sois seul à écrire les textes.
Vous avez été le premier à présenter une émission du
genre...
Le premier au monde ! Ce qui est fou, c'est que le Journal du
hard, malgré le handicap du cryptage et des horaires tardifs,
a toujours eu une excellente audience. Moi, je m'étais dit que si un jour, je devenais le « Monsieur Hard » de Canal+,
j'arrêterais. Et en fait, ça fait rire tout le monde, tout le monde a
compris que c'était ironique. Je me souviens d'ailleurs avoir un
jour reçu une lettre d'une femme me disant : « Cher Monsieur
Vandel, j'apprécie beaucoup votre émission mais comment pouvez-
vous rester aussi stoïque alors que de telles images défilent à côté de
vous ? » Elle pensait que c'était projeté sur un drap et que moi,
je parlais à côté du projecteur !
Il y a des choses que vous n'aimez pas faire à la télé ?
Oui, interviewer des gens qui ne m'intéressent pas comme
certains chanteurs pour lesquels il faudrait me payer pour que j'écoute leur disque. Ça m'est arrivé une année. Parfois, en les
questionnant, je me disais : « Mais je m'en fous tellement de
savoir si tu l'as fait en studio ou en live ! » Autant je suis vraiment
heureux d'interroger une personne que j'admire, autant j'ai
l'impression de devenir complètement schizophrène lorsque
c'est quelqu'un dont je n'aime pas le travail. En fait, dans ce
métier, il faut retirer tout ce qui déplaît. Comme dans la vie ! Et
c'est pour cette raison que j'adore Canal+. Parce qu'on ne nous
dit jamais : « Tu vas faire ça. » Sur Canal+, c'est nous qui devons
avoir des idées. Ce n'est pas la personne qui trouve la Roue de
la fortune qui va chercher un animateur, c'est le contraire.
Donc c'est vous aussi qui écrivez tous vos textes ?
Bien sûr et pour mes livres, c'est pareil. Il y a plein de mecs à la
télé qui publient des ouvrages mais il y a aussi plein de nègres
qui les écrivent pour eux. Moi, j'aime foncièrement l'écriture.
C'est même probablement l'une des activités qui me plaît le
plus. Mon premier livre*, j'ai travaillé un an et demi dessus, et
ce qui m'a fait vraiment plaisir c'est que le premier papier que
j'ai eu, c'était le Monde et la première télé, c'était Pivot. Ça, c'est
quand même autre chose que d'apparaître sur un écran !
Je n'oublie jamais que la télé n'est pas un art, mais un meuble
vendu entre des cuisinières et des frigos.
Globalement, vous semblez plutôt heureux de votre
parcours...
Je serais prêt à donner un milliard pour revivre tout ce que j'ai
fait depuis ma naissance. Quand j'étais gamin, je n'imaginais
pas faire un truc qui m'intéresserait autant. Je pensais que
j'allais avoir une passion et puis un métier. Jamais je n'aurais pu espérer que les deux allaient se réunir. ♦
* Dico français-français, Lattès
F r a n ç o i s - H e n r i d e V i r i e u n é le 1 8 d é c e m b r e 1 9 3 1 , à P a r i s .
Quel métier souhai t iez-vous exercer lorsque vous étiez
enfant ?
Je voulais cultiver les terres familiales en Dauphiné, à Virieu.
Par tradition familiale ou par intérêt pour l 'agriculture ?
Cela ne suffirait pas pour vivre aujourd'hui, mais à l'époque,
ce métier semblait offrir un mode de vie agréable et bien
aussi noble qu'un autre. J'ai donc fait l'école d'agriculture
d'Angers grâce à laquelle j'ai reçu les bases agronomiques et
biologiques indispensables aujourd'hui pour comprendre un
certain nombre de problèmes écologiques. Ensuite, comme
beaucoup de jeunes de mon âge, je suis parti pour la guerre
d'Algérie. Cette expérience a été pour moi un révélateur et
je suis revenu de mes deux ans passés là-bas assez différent
de ce que j'étais en partant. J'ai alors renoncé à cultiver mes
terres, je me rendais bien compte en outre que cela
nécessitait trop de capitaux et que je n'étais pas gestionnaire dans l'âme.
« - Vous êtes qui vous ? - François-Henri de Virieu.
-
»
Vous avez donc complètement changé d'orientation ?
Pas tout à fait car je suis entré dans une organisation
syndicale agricole. Là, j'ai eu une autre prise de conscience.
J'ai compris que les conseils donnés aux paysans à l'époque,
étaient complètement décalés par rapport à l'ampleur des
problèmes qui les attendaient. Personne n'osait leur montrer
du doigt la fantastique mutation que la France allait devoir
affronter. Il y avait encore à l'époque près de 25 % de la
population française dans l'agriculture, et on voyait bien,
pour qui voulait vraiment ouvrir les yeux, que tout cela allait
être balayé. Je me suis donc dit que le vrai boulot social
à venir n'était pas d'aider individuellement les agriculteurs, puisque j'étais dans une boîte qui faisait du conseil en organisation scientifique du travail, mais de raconter cette mutation, de l'expliquer. D'où l'idée de me lancer dans le journalisme. C'est donc un peu dans un esprit d'apostolat que j'ai commencé ce métier.
Vous aviez des entrées dans le journalisme ? Mon père ayant connu Hubert Beuve-Méry dans la Résistance, je suis allé frapper à la porte du Monde. La clope aux lèvres, il a tout fait pour me décourager en m'assurant
1990
1975
1 9 7 2
que c'était le dernier des métiers, que cela ne menait nulle
part et que je ferais tout aussi bien d'aller cultiver mes
terres. Il me demanda tout de même si j'avais déjà écrit
quelque chose. Je lui tendis un article qu'il parcourut
rapidement des yeux avant de me raccompagner à la porte.
Ledit papier est pourtant passé six mois après, mutilé, mais
enfin il était dans le journal. C'était bien sûr un article sur
les changements à venir dans l'agriculture.
Vous êtes parti frapper à la porte d'un autre journal ?
Je n'en n'ai pas eu besoin puisque j'ai finalement été
convoqué peu de temps après dans le bureau du chef du
service politique. Mon nom lui était resté dans la tête depuis
le jour où j'avais laissé ce fameux papier, et il s'était
certainement dit que, comme se libérait une place, autant
faire signe au fils de l'ancien compagnon. « Sans
recommandations, la vie serait trop injuste », a dit un
humoriste... Je lui ai donc demandé quand devais-je
commencer et il m'a répondu : « Demain matin. » Je me
suis ainsi retrouvé au Monde le 14 juillet 1958, un peu
paumé. Je m'en souviens car il régnait ce matin-là une
grosse agitation due à l'assassinat du roi Faysal d'Irak.
Au bout d'un moment, je me suis décidé à aller voir le chef
des informations générales pour lui demander si je pouvais
me rendre utile. « Vous êtes qui, vous ? », m'a t-il demandé.
« François-Henri de Virieu », ai-je répondu. « Et c'est à cette
heure-ci que vous vous réveillez ? », ajouta t-il. Découragé,
je suis parti à la documentation regarder ce qu'avait écrit
mon prédécesseur.
Pas toujours facile lorsque l'on est nouveau de trouver sa
place...
Oui, comme tout le monde, mes débuts ont été un peu
laborieux mais je suis finalement resté douze ans au Monde,
vivant ainsi la seule période d'expansion du quotidien,
puisqu'il ne tirait qu'à 180 000 exemplaires lorsque j'y suis
entré. C'est de très loin ma meilleure expérience
journalistique.
Alors, pourquoi avoir quitté le Monde ?
Un jour d'octobre, juste avant la conférence du matin, le
chef du service politique m'a pris à part pour me dire : « J'ai
vu Pierre Desgraupes hier soir, il m'a demandé si tu accepterais
de travailler avec lui à la télé. Tu as un profil qui l'intéresse.
Je lui ai dit que tu serais certainement d'accord. Les membres
du service économique du Monde ont à peu près le même âge
et vous ne serez pas tous chefs en même temps. » J'ai réfléchi
quelques secondes et je lui ai répondu qu'il avait bien fait.
Le lendemain, j'étais dans le bureau de Desgraupes.
Vous êtes entré à la télévision sans regrets ?
Ce n'est jamais facile de quitter un grand journal. En général,
les journaux vous virent mais n'aiment pas qu'on les quitte.
Ce n'était pas une question de salaire, j'avais seulement
besoin d'aller voir ailleurs ce qu'il se passait. Je suis donc
« Après être parvenue à faire sauter Jean-Pierre Elkabbach, la rédaction s'est dit :
On va aussi se débarrasser de Virieu »
entré à la télé... et j'ai eu très vite des emmerdes !
A l'époque, il y avait un homme auquel on ne pouvait pas
toucher, c'était Jacques Chaban-Delmas, alors Premier
ministre et l'un des barons du gaullisme.Peu de temps après
mon arrivée, j'ai eu la mauvaise idée, rétrospectivement,
de faire une émission pour dénoncer les aberrations
de la politique agricole. Elle s'appelait Adieu coquelicots et
les films prévus étaient si forts qu'un fonctionnaire de
Matignon a même essayé de les déprogrammer. En vain.
Mais le pire restait à venir. L'émission, en direct, se déroulait
la veille du congrès de la FNSEA* qui devait procéder à
la réélection de son président. Or j'avais réuni sur le même
plateau, le ministre de l'Agriculture, des fonctionnaires de
Bruxelles, des syndicalistes de la CFDT alors en guerre
ouverte avec les exploitants, et le doyen Vedel qui, lui, venait
de sortir un rapport au vitriol sur le monde agricole. Toutes
les conditions pour une explosion étaient réunies et bien
entendu, celle-ci a eu lieu. Au bout d'un moment, j'ai passé
la parole au président de la FNSEA en duplex de Lyon, qui
a fini par lâcher : « Quand l'agriculture est insultée, je m'en
vais ! » Et il est parti. Le lendemain, il était, grâce à ce coup
de gueule, réélu à la tête de la FNSEA et moi, convoqué
dans le bureau de Desgraupes qui m'a passé un vrai savon.
Ce sont les joies du direct, non ?
Oui, mais hélas, mes ennuis ne se sont pas arrêtés là car je
m'étais engagé à aller couvrir pour la télévision ce fameux
congrès. A peine arrivé là-bas, j'ai été viré manu militari par
les paysans et n'ai dû mon salut qu'à la protection
rapprochée des agents des renseignements généraux qui
étaient présents. On en a fait des papiers dans les journaux
pendant quinze jours. Je me souviens d'un article de France-
Soir titrant : l'Affaire Virieu. J'ai même dû me laisser pousser
la barbe pour éviter les ennuis ! En fait, j'avais pris de plein
fouet un milieu qui était le plus ferme soutien du gaullisme.
*Fédération nationale des syndicats et des exploitants agricoles
Vous avez eu du mal à vous en remettre ?
Disons que j'ai été progressivement limogé. De chef du
service politique, je suis devenu rédacteur en chef du journal
de 13 heures avant d'être effectivement foutu à la porte par
Pompidou. Chaban aussi s'est usé. Nous lui avions, il est
vrai, un peu compliqué la tâche. On lui a reproché d'avoir
mis des gauchistes à la télé, et Pompidou l'a viré.
Vous avez retrouvé du travail facilement ?
J'ai été engagé au Nouvel Économiste où, une fois de plus,
on est venu me chercher. Peut-être ai-je toujours été un
enfant gâté... le Progrès de Lyon et le Nouvel Observateur me
proposaient un poste. J'ai accepté ce dernier. En apprenant
la nouvelle, Jean-François Kahn m'a téléphoné pour me
mettre en garde : « Tu ne resteras pas trois mois. Tu verras,
c'est un univers complètement fou, les conférences de rédaction
sont injouables, ils vont te pousser à la faute. » J'étais alors
en vacances. Ça m'a tellement terrorisé que j'ai téléphoné
au journal pour dire que je n'arriverai qu'en milieu
de semaine, afin d'éviter ma première conférence du lundi.
Mais tout s'est bien passé puisque je suis finalement resté
trois ans. Jusqu'au moment où l'on a pensé à moi comme
rédacteur en chef du Matin, sans que je sois au courant.
Comment êtes-vous revenu à la télévision ?
A la victoire de la gauche en 1981, Pierre Desgraupes,
revenu sur Antenne 2, m'a proposé de devenir directeur
de l'information. L'expérience s'est révélée très ardue. Je suis
tombé dans une rédaction complètement déstabilisée qui,
après être parvenue à faire sauter Jean-Pierre Elkabbach,
s'est dit : « On va aussi se débarrasser de Virieu sans problème. »
Au bout de huit jours, ils ont voté la défiance. Je ne m'en
suis pas remis. Je suis resté quinze mois à ce poste et
j'ai eu depuis huit successeurs. Mais je n'ai tout de même
pas perdu mon temps puisque c'est à ce moment là
que j'ai créé l'Heure de vérité avec Alain Duhamel. La suite, vous la connaissez...
L'Heure de vérité s'est arrêtée après quatorze années d'existence... Nourrissez-vous d'autres ambitions ?
Ma vie est en train de prendre une nouvelle orientation.
Je viens d'être élu maire de Marly-le-Roi, une ville de 17 000
habitants. Je me suis présenté sans « étiquette », en réaction
contre les excès de la politique politicienne. Il m'était difficile
de tenir deux discours : un dans la semaine pour dire que les
partis étaient dépassés, et un autre le dimanche pour inviter
leurs chefs à la télévision ! Au-delà de l'avenir de Marly-le-Roi
et de ses habitants, je n'ai aujourd'hui qu'un seul but, mais
c'est encore assez loin, en 2010. J'aurais alors 79 ans et
j'espère être assez valide pour organiser une grande fête
qui célébrera, à Virieu, le millénaire de mon château.
D'ici à 2010, je laisserai le destin trancher pour moi.
Après trente ans de télé, de quel titre êtes-vous
le plus fier ?
Celui de marquis ! (Rires.) ♦
Quel métier souhaitiez-vous exercer lorsque vous étiez enfant ?
Quand j'étais petit... je voulais être grand, en fait. L'état d'enfant ne me plaisait pas du tout parce qu'on ne dirige pas, et moi, je voulais diriger.
Qu'est-ce que vous vouliez « diriger » ? N'importe quoi, mais diriger. En fait, je voulais être « dans la vie » ce qui n'est pas le cas lorsqu'on est à l'école. C'est cet état que je n'appréciais pas. Mais j'ai quand même eu le bac et là, mon
rêve était de devenir journaliste rock critique. C'était pour moi
l'horizon indépassable !
Vous étiez musicien ?
Pas du tout, mais je me brisais les tympans avec des conneries !
Et j'ai eu de la chance parce que, petit à petit, à force de me
présenter dans les journaux, j'ai commencé à écrire.
Parallèlement, comme je dessinais bien, je faisais quelques
bandes dessinées pour Métal hurlant, Rigolo et Charlie-Hebdo.
Mais tout ça ne nourrissait pas son homme et j'ai finalement
« J'ai été engagé à Europe 1, quatre mois... viré !
Ensuite, j 'a i été à TF1, un mois... viré ! »
décidé de devenir journaliste, pas seulement de rock, mais de
n'importe quoi du moment que je pouvais écrire des bêtises.
Alors je suis parti frapper aux portes des rédactions en disant :
« Voilà, il ne vous manquait qu'une personne : c'est moi. »
Mieux vaut ne pas être trop timide...
J'étais timide à mort. Je le suis toujours, d'ailleurs, mais quand
on a une idée, il faut s'y tenir. C'est à cette époque que je suis
entré à Radio Nova. On faisait des sketches tous les jours. Bien
sûr, nous n'étions pas très bien payés, nous devions gagner
2 500 francs à deux. Par mois, ce n'est pas terrible, mais ça m'a
permis d'apprendre mon métier. Et juste après, j'ai été engagé
à Europe 1, quatre mois... viré ! Ensuite, j'ai été à TF1, un mois... viré !
Comment avez-vous fait pour être viré si vite ?
Sur Europe 1, c'est simple, personne n'avait vraiment entendu
ce qu'on faisait. Et puis, un jour, le directeur de la radio a
écouté... Et là, il a failli faire une dépression ! Il a dit : « Mais
ce n'est pas possible ! De quel droit ? »
Qu'est-ce que vous faisiez de si terrible ?
C'était monstrueux ! En fait, les sketches ressemblaient un peu
à ce que je fais aujourd'hui mais comme à l'époque j'étais
inconnu, je n'avais pas le droit de faire ça. Quant à TF1, nous
y sommes entrés avec Jean-Yves Lafesse au moment où
Bouygues venait de racheter la chaîne. Il avait décidé qu'il fallait
engager des « vedettes des jeunes » et notre producteur qui
était très sympa avait réussi à vendre l'idée que nous étions
justement des « vedettes des jeunes ». En fait, on était deux
ex-Radio Nova, deux vedettes de jeunes de quatorze ans
branchés... on n'était vedette de personne ! Enfin, ils y ont cru
et nous ont proposé une émission mensuelle produite par
Pascale Breugnot. Le problème, c'est que lorsqu'elle a voulu
remonter ou couper certains sketches, on l'a pris de très haut
en expliquant que c'était une atteinte à notre créativité, que
nous ne pouvions le tolérer... Donc, nous nous sommes
extrêmement engueulés et, du coup, on s'est fait virer ! Pour dire la vérité, comme nous nous retrouvions tout d'un coup à
la télé, super bien payés, nous avions un peu la grosse tête...
Vous aviez quel âge ?
C'était en 1987, j'avais vingt-six ans.
C'est à ce moment-là que vous êtes entré à Canal+ ?
Peu de temps après, oui, et j'ai eu la chance, cette fois, que
Canal+ maintienne l'expérience suffisamment longtemps pour
exister... Ce qui n'est pas le cas de la plupart des chaînes.
C'est très dur maintenant pour les nouveaux d'avoir le temps :
ils se font dégager tout de suite ! Bien sûr, nous sommes
toujours mauvais au départ, mais c'est normal, il faut nous
laisser le temps de nous imposer réellement. Il n'y aurait pas eu
de radio libre, aujourd'hui je n'existerais pas, parce que toutes
les bonnes places étaient prises, et que les bozos comme moi,
personne n'en voulait ! Maintenant, il n'y a que les mecs
ringards, passe-partout, sans relief qui arrivent à se maintenir
sur une chaîne. Il y a trop peu de places et tout le monde veut faire ce métier.
Comment aviez-vous été « repéré » par Canal+ ?
Par Alain de Greef. Il avait trouvé dommage que je sois viré de
TF1 et m'a appelé en me demandant de lui préparer un projet.
Je lui ai proposé une idée en mars, on a fait un pilote en juin
et j'ai commencé en septembre, période où il m'a présenté
Antoine de Caunes. Au départ, je ne voulais pas apparaître à
l'écran, je souhaitais juste écrire. A Canal+, ils m'ont répondu
que j'avais un vrai physique et que je ferais ça très bien.
je crevais de trouille mais il a bien fallu que j'y passe.
Quel accueil avez-vous reçu après vos premières
apparitions ?
Ce fut très dur la première année. Canal+ avait voulu que nous
formions une équipe qui s'appelait Pierre, Antoine, Karl et Gilles.
Le problème, c'est que nous succédions aux Nuls et qu'il est