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Yannick Scolan
propos du personnage de Phidippide dans les Nuesd'AristophaneIn:
Bulletin de l'Association Guillaume Bud, n1,2009. pp. 69-80.
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Scolan Yannick. propos du personnage de Phidippide dans les Nues
d'Aristophane. In: Bulletin de l'Association GuillaumeBud, n1,2009.
pp. 69-80.
doi : 10.3406/bude.2009.2319
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bude_0004-5527_2009_num_1_1_2319
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A PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE DANS LES NUES
D'ARISTOPHANE
Dans le prologue des Nues, le vieux Strepsiade, tiraill par ses
dettes, se plaint de son fils, qui dilapide les biens familiaux
pour assouvir sa passion des chevaux. Lui, le campagnard, pourquoi
a-t-il accept de se marier avec une fille de la ville, avec une
nice de Mgacls (Nues, 41-48) ?
Ei.'0 oScpeX 7] izpoyLvf]GTpi TcoXaoa xax, 7)XI fJ-E YTIM-'
TTTpe T7]V
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70 YANNICK SCOLAN
nom en vint dsigner les lgantes Athnes 3. La mre de Phidippide
rve galement que son fils triomphe aux jeux et, comme Mgacls ,
qu'il mne son char vers la Citadelle, vtu d'une tunique triomphale
(69-72). Tel fut le cas, clbre, de cet autre Mgacls dont Pindare,
dans la Pythique VII, chante la victoire la course des chars.
L'amour de Phidippide pour les chevaux et ses dpenses somptuaires
trois mines, soit l'quivalent de six cent fois le fameux triobole,
pour un sige de char et pour deux roues ! (Nues, 31) ne sont pas
sans rappeler celles que n'hsita pas faire Alcibiade pour
entretenir ses curies, au point, dira son fils, qu'il surpassait
non seulement ses adversaires, mais galement ceux qui obtinrent
jamais la victoire (Isocrate, Sur l'attelage, 33) 4.
L'assimilation de Phidippide avec Alcibiade serait naturelle, si
des lments de la pice ne venaient tel point brouiller les pistes,
que les commentateurs ont fini par rejeter le bien-fond de cette
hypothse. Ainsi W.J.M. Starkie 5 souligne-t-il les liberts que
prend Aristophane avec la ralit quand il voque la gnalogie de
Phidippide : the equestrian tastes of Alcibiades probably moved the
poet to connect Phidippides with his family ; but the grandfather
is a fiction, as Dinomache's father must hve been long dead at this
time . Et, s'il reconnat que dans les Nues, reprsentes en 423, les
Athniens devaient tre tents de reconnatre le jeune aristocrate , J.
Hatzfeld 6 souligne, nanmoins, que l'allusion d'Aristophane est
brve et incomplte , inoprante, mme, pour qui s'attacherait chercher
dans le personnage de Phidippide une trace fidle de la vie
d'Alcibiade dans sa jeunesse. J. Hatzfeld soulve trois problmes :
Strepsiade ne peut gure tre rapproch de Cleinias, le pre
d'Alcibiade, mort Corone ; Aristophane n'voque rien des relations
si particulires que Socrate entretint avec son
3. Pour la gnalogie d'Alcibiade, voir notamment P. Lvque et P.
Vidal- Naquet, Clisthne l'Athnien. Essai sur la reprsentation de
l'espace et du temps dans la pense politique grecque de la fin du
Vf sicle la mort de Platon, Paris, 1964, p. 56 et P. Bicknell,
Alkibiades and Kleinias. A study in Athenian genealogy , Musum
Philologum Londiniense, 1975 (1), p. 51- 64.
4. 'iTTTTOTpocperv S' STu^sipYjaa, twv eoafi,ovv 'pyov sari,
cpaXo S' oSel av 7rowj
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PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE 71
disciple ; de plus, l'enseignement du matre, tel qu'il apparat
dans les Nues, a bien peu de rapport avec celui qui tait rellement
dispens.
Toutes ces objections sont imprieuses, si l'on veut voir dans la
pice d'Aristophane un simple tmoignage historique. Qu'en est-il,
cependant, si l'on considre l'conomie gnrale des Nues en s'efforant
non pas de traquer la ralit derrire la fiction, mais de dterminer
les raisons et les procds de la transposition d'Alcibiade sous le
masque de Phidippide ?
Le silence des comiques propos d'Alcibiade est presque total
avant 421, date laquelle on estime qu'il affirma dfinitivement son
influence sur la cit en s'opposant la paix de Nicias 7.
Aristophane, seul, fait exception. En 427, dans Les Banqueteurs, le
dramaturge fait mention d'Alcibiade comme d'un bavard et d'un
insolent. Dans cette pice, Aristophane repsente un vieil homme et
ses deux fils ; l'un est vertueux, l'autre est dbauch. Le fragment
qui suit est tir d'un pisode o s'affrontent ce pre et son ulo
xaTa7ruy(ov. Il ne s'agit pas seulement d'un exemple de
l'opposition, traditionnelle dans la comdie, entre jeunes et vieux
8 . L'xoaaia du fils vient de l'enseignement qu'il a reu des
pyJTops, au point qu'il se met parler comme Alcibiade (fr. 198
Kock) :
'AXA' e CTopXX] xo piupov xod xouviocr iSou, (TopXXr)" touto
Tcap AufftCTTpxou. 'H [ITjV LCTOJ
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72 YANNICK SCOLAN
- Pas de doute : le temps qui passe ne va pas tarder te faire
faire ta dernire culbute ! - Cette culbute-l, elle vient des
rhteurs. - Les traits de ce genre se repatront de ton cas, jusqu'
la gueule ! - Et c'est d'Alcibiade que vient cette pture-ci. -
Qu'est-ce que tu sous-entends ? Tu critiques ces hommes qui
s'exercent la vertu ? - Hlas, Thrasymaque, quel est celui des
syngores qui use de ces subtilits ?
Ce fragment des Banqueteurs confirme qu'Alcibiade occupait, ds
427, le devant de la scne politique Athnes. A l'ge de vingt-trois
ans, il faisait dj partie des auvYjyopoi., c'est--dire de ceux qui,
avec le oyt.cmr) et l'suOuvo, taient chargs, la fin de chaque
magistrature, de vrifier les comptes publics et de veiller aux
intrts des dmes.
Le fils dbauch est explicitement assimil Lysistratos et
Alcibiade, dont il partage la faon de parler. Lysistratos apparat
plusieurs fois dans les pices d'Aristophane 10, qui fait de lui un
crve-la-fin et, surtout, un homme acrimonieux, toujours prompt dire
du mal de quiconque le rencontre. C'est galement pour le dvoiement
de son langage qu'Alcibiade est mentionn dans les Acharniens.
Aristophane reprsente sa pice lors des Lnennes de 425. Alcibiade
n'est pas nomm en tant que tel. Il est dsign, plutt, comme le fils
de Cleinias . Le nom de Cleinias ne pouvait que susciter le respect
depuis sa mort Corone ; il accuse, dans un effet de contraste
saisisant, l'ignominie d'Alcibiade, que le dramaturge {Acharniens,
716) prsente comme un large cul et un bavard impnitent (spuTipcoxTO
xal ao).
Dans la parabase des Nues, Aristophane fait rfrence ses
Banqueteurs. Il rappelle l'accueil favorable que reut du public
cette premire pice (Nues, 528-533). Il indique galement qu'il tait
trop jeune pour prsenter en son nom cette pice au concours : fille
encore, dit-il plaisamment, il ne lui tait pas permis d'avoir un
enfant. Il s'agit, notre connaissance, de la premire fois que
l'criture est ainsi dfinie par la mtaphore, depuis cule, de
l'enfantement :
frquents en Attique et qu'il est difficile d'en tirer aucune
conclusion vritable.
10. Eg. : Acharniens, 855 ; Cavaliers, 1265-1268 ; Gupes,
788.
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PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE 73
E^ tou yp IvOS utc vSptov, oie, rS xat, Xsyetv, 6 cra)9pwv te
-&> xaTa7ruyojv apicrr' tjxouctixtyjv, xyoo 7iap6vo yp et'
tjv, xox yjv 7ia> [aoi. tsxv
, 7ra S' STpa tl Xaocr' vsXsTo, S' ^s6pij;aT yevvaiwc;
x7uaiSeuoaTS,
Ix toutou [i.01 merr roxp' u[xv yvwfAYj s(j0' pxia.
Car depuis ce jour o, ici mme, ces hommes, devant qui c'est
plaisir de parler, ont combl d'loges mon Vertueux et mon Dbauch, ce
jour o moi-mme - mais je n'tais qu'une demoiselle et il ne m'tait
gure permis, encore, d'avoir un enfant -j'y ai expos mon rejeton,
qu'une autre fille a recueilli et adopt et que, dans votre gnrosit,
vous avez nourri et duqu, depuis ce jour, donc, j'ai un gage fidle
de vos bonnes grces.
Cette plaisanterie redouble le sujet mme des deux pices, au prix
d'une joyeuse inversion : le rejeton de l'auteur a t gnreusement
(yevvatoo) nourri et lev par les citoyens, quand le fils de
Strepsiade et celui du vieil homme dans les Banqueteurs, instruits
par l'art des sophistes, ne sont que des vauriens. Cette mise en
abyme n'est pas sans habilet rhtorique, car Aristophane se met non
seulement flatter ses spectateurs, mais galement souligner l'utilit
de ses pices. Une filiation doit donc tre tablie entre les
Banqueteurs et les Nues. La deuxime comdie prcise la premire : les
Nues abandonnent le personnage du Vertueux et donnent, en
Phidippide, un nom au xaTocTruycov des Banqueteurs. De fait, les
deux situations dramatiques sont trs proches : elles mettent aux
prises un pre et son fils. Chacun de ces deux fils est corrompu par
l'enseignement des sophistes. Et les deux pres sont brutaliss par
leurs rejetons, qui, l'un et l'autre, usent d'arguties
similaires.
Certes, Aristophane, pour autant qu'on puisse le savoir, n'voque
Alcibiade que par une allusion furtive dans sa premire pice. Mais
la rfrence l'Alcmonide sert dfinir, dans le prologue des Nues, le
caractre mme de son personnage. Avec la gnalogie inaugurale de
Phidippide, la rfrence Alcibiade change donc de statut et dnote une
volont d'assimilation, alors mme que, dans les Banqueteurs et dans
les Acharniens, elle n'tait qu'un point de comparaison et demeurait
extrieure l'intrigue. Ce faisceau d'indices invite donc reconsidrer
l'ide selon laquelle Aristophane ne ferait pas du personnage de
Phidippide le double d'Alcibiade.
L'objection principale l'identification d'Alcibiade en
Phidippide tient, essentiellement, au statut de Strepsiade. On
ne
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74 YANNICK SGOLAN
peut essayer , crit J. Hatzfeld, de retrouver dans le bonhomme
Strepsiads, pre de Pheidippids, le moindre LraiL de Cleinias, et le
pote ni les auditeurs n'taient, mme au bout de vingt-trois ans,
disposs rire d'un bon soldat tomb Coro- ne u . Le fait est vident.
Strepsiade n'a rien de la noblesse des Eupatrides. Au contraire, il
se dfinit lui-mme (Nues, 50) comme un campagnard qui sent le vin
nouveau, la claie, la laine, l'abondance (o^wv xpuyo, rpaat, ptcov,
irspioucrta) et il rve de voir son fils conduire ses chvres aux
pturages du mont Phelle (Nues, 71). Frappant la porte de Socrate,
il se prsente (Nues, 134) comme un fils d'Avaricieux ( (DeiSojvo
ui) et, au moment de livrer au chur des Nues l'objet de sa
consultation, il avoue (Nues, 445-451) qu'il a, dans le monde, la
rputation d'tre
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PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE 75
la surdit de Dmos que la balourdise dont il se fait lui-mme le
reproche, lorsque le charcutier lui fait prendre conscience des
duperies dont il a t la victime (Cavaliers, 1346-1349) 13 et que le
Paphlagonien, double scnique de Clon, continue, en vain, d'ourdir
force d'hexamtres, de jeux de mots savants et d'artifices tirs des
sophistes (Cavaliers, 1027-1059) 14.
De mme, dans les Nues (112-115), c'est l'inculte bon sens de
Strepsiade que se heurtent les thories fumeuses de Socrate et de
ses disciples, dont il fait ainsi l'loge auprs de son fils :
Evocl 7tap' axou; cpocaiv afxcpw tw Xoyto, TOV HpSLTTOv', OCTU
SCTTl, Y.C/1 TOV 7]TTOV(X. ToUTOlV TOV TpOV TOLV XoyOLV, TOV
7]TTOV0C, vixav XyovTa cpaai TaSixcoTspa. On dit qu'il y a chez eux
deux raisonnements, le fort, quel qu'il soit, et le faible. De ces
deux raisonnements c'est le second, le faible, qui l'emporte,
usant, dit-on, des plus injustes raisons.
Ce sont, littralement, des on-dit qui portent jusqu'aux oreilles
du vieillard la rputation de Socrate et des sophistes. Aristophane
souligne ici l'extrme loignement de leur habilet pour un homme du
peuple comme Strepsiade, qui travestit, avec une bien lourde
maladresse, la sentence de Protagoras sur les Suo Xoyot
vTixcifjisvo!. 15. D'ailleurs, Strepsiade avoue (Nues, 100-101)
l'incomprhension qui l'habite face de tels personnages : il n'en
connat pas prcisment le nom, sinon qu'il s'agit de
[j.pixvocpp6vTurrai, en quelque sorte des mdito- penseurs , terme
plein d'une inhabile emphase, qu'il invente pour faire impression
sur l'esprit de son fils. Il ajoute qu'il s'agit de xaXot te
xyaGot, de gens de la haute 16 .
13. AIIMOU Ti cp-fl ; / tocuti [i' eSpcov, ly> Ss tout' ox
y)
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76 YANNICK SCOLAN
Le foss entre Strepsiade et les sophistes est, dans un premier
temps, dfini sur le plan social. L'erreur du pre de Phidippide
n'est pas seulement de vouloir accder un savoir sans fondement,
mais un savoir qui n'est pas destin ceux de sa condition. C'est,
d'ailleurs, son bon sens qui le conduira incendier, la fin de la
pice, la demeure de Socrate {Nues, 1495-1510), comme Dmos, avant
lui, aura chass de la ville le Paphlagonien flagorneur {Cavaliers,
1395-1408).
Il semble donc qu'on puisse tablir une filiation littraire entre
le vieil homme des Banqueteurs, le Dmos des Cavaliers et le
Strepsiade des Nues. Sur la scne, Strepsiade est le peuple athnien.
Il souffre, dans la fiction thtrale, des maux de la collectivit.
Ses comptes, comme ceux de la cit, sonl au plus bas : en 424, le
conflit avait provoqu, Athnes, la rarfaction de la monnaie. Le
phnomne fut accentu par les pillages rpts de l'Attique depuis 431
et par l'arrt de l'exploitation des mines du Laurion 17. Thucydide
(IV, 2) indique que les Ploponnsiens saccagrent la rgion pour la
cinquime fois au printemps de l'anne 425, avant que les bls ne
fussent mrs. L'oisivet des esclaves de Strepsiade {Nues, 6-7)
montre quel point il tait toujours impossible de tirer parti des
campagnes qui entourent Athnes et que l'exode vers la ville se
poursuivait, privant la population d'origine rurale de toute
possibilit de revenus.
Phidippide, dans les Nues, est donc, quant lui, un rejeton
dbauch de ce peuple qui s'est uni avec les descendants des
Alcmonides. La dissemblance entre Strepsiade et Cleinias n'est pas
un obstacle l'assimilation de Phidippide avec Alci- biade. Elle
l'encourage, au contraire, en donnant la pice sa pleine dimension
politique. Il ne s'agit pas, pour Aristophane,
brosser, mais, plutt, la perception que pouvait en avoir le
peuple. L'outrance de la parodie rappelle quel point il subsitait
Athnes une dfiance traditionnelle l'endroit des intellectuels : au
temps de Priels, dj, un dcret entendit poursuivre ceux qui ne
croyaient pas aux dieux et qui s'adonnaient l'tude des phnomnes
clestes (Plutarque, Vie de Priels, 32). S. Byl ( Les scholies des
Nues d'Aristophane et l'initiation leusinienne , Bulletin de
l'Association Guillaume Bud, 2008 (1), p. 99-100) note qu'en
faisant de Socrate un Mhen (Nues, 830), Strepsiade fait allusion
l'impit du philosophe, que deux scholies comparent Diagoras de
Mlos, connu pour avoir parodi et rvl les mystres d'Eleusis.
17. 0. Picard, Guerre et conomie dans V alliance athnienne (490
322 av. J.-C), Paris, 2000, p. 119, et Monnaies et guerre en Grce
classique , Pallas, Toulouse, 1999. p. 211-213. On en viendra mme,
en 405, frapper des pices en bronze imitant les ttradrachmes
(Aristophane, Grenouilles, 718-737).
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PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE 77
de vilipender, travers le personnage de Socrate, les pratiques
fumeuses des sophistes, mais, plus prcisment, de montrer comment le
peuple se fait tromper et violenter par ceux qui, parmi la nouvelle
gnration de ses dirigeants, fondent leur pratiques sur
l'enseignement qu'ils reoivent de Protagoras, de Gorgias, de
Socrate et de leurs condisciples. En ce sens, les Nues prennent une
teinte rsigne que les Cavaliers n'avaient pas : alors que le chur
des iizizri invitait le charcutier rosser le Paphlagonien
(Cavaliers, 247-254), dans les Nues, c'est un mme cavalier 18 qui
se met battre le peuple et qui montre quel point ces jeunes gens
qui renouvellent le personnel politique Alcibiade en tte ne sont
pas dignes des espoirs que le dramaturge avait placs en eux dans sa
pice prcdente.
Qu'on en juge : le cavalier Phidippide est devenu un aussi beau
parleur que le Paphlagonien, car il sait, avec des arguments
similaires, convaincre Strepsiade du bien-fond de l'outrage qu'il
lui fait subir. Comme lui, encore, il vit dans une opulence
indcente, l'heure o le peuple doit supporter des privations
toujours plus grandes cause de la guerre. Phidippide, souligne son
pre (Nues, 9), ne se rveille jamais la nuit, mais il pte, signe de
son insouciant bien-tre. N'est-ce pas, dj, la posture
qu'Aristophane prte Clon, sous le masque du Paphlagonien ? Lui
aussi pte et ronfle bruyamment (Cavaliers, 115), il puise les biens
de Dmos et endort sa mfiance pour mieux le ranonner son insu
(Cavaliers, 70), comme Phidippide puise le pcule de son pre et
finira par le rosser.
La proximit des deux personnages retranscrit une ralit
politique. Au moment o les Nues furent reprsentes, Alcibiade
occupait, depuis plusieurs annes, une place importante dans la vie
publique 19. Aprs la rude dfaite de Dlion, Nicias
18. Comme le chur des Cavaliers, Phidippide porte ses cheveux
longs (Nues, 14-16) : '0 Se x6[xy)v '/wv / mmiceTa ts xo
uvcopixeuerai / ovetpoTtoXsr 0'
nizovc, . J. Taillardat (op. cit., p. 183) note qu'une telle
coiffure, Athnes, tait une caractristique des aristocrates, qui
voulaient se distinguer du peuple. Athne (XII, 534 c) indique
qu'Alcibiade porta ses cheveux longs pendant une grande partie de
sa jeunesse et il en fait un signe de son lgance.
19. Il pronona ses premires harangues en 430. Ce fut cette
occasion que Socrate se lia avec lui (Premier Alcibiade, 103 a -
106 c). Peu aprs, il fit partie de l'expdition de Potide et, en
424, il prit part la dfaite de Dlion. Son entre en politique fut
celle d'un ambitieux, qui, si l'on en croit le Socrate du Premier
Alcibiade (105 b), pensait pouvoir surpasser, en considration et en
pouvoir, Pricls ou tout autre dans la cit.
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78 YANNICK SGOLAN
et le parti de la paix envisageaient une trve avec Sparte.
Alcibiade, qui s'tait impos la tte des Toupsioa athniennes 2
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PROPOS DU PERSONNAGE DE PHIDIPPIDE 79
tt fait, par le pouvoir de sa parole, de leur persuader qu'il
est utile d'autoriser les fils battre leurs pres !
Alcibiade, contraint par sa jeunesse, devait tirer sa lgitimit
politique de ses anctres. Thucydide (V, 43) note qu'en 421, lors de
la ngociation du trait avec les Argiens, il jouissait d'un grand
crdit du fait de l'estime qu'on portait ses aieux (io^axt, 8
7tpoy6vo)v -n.fzoafzsvo). A son retour de Sicile, cependant, les
Athniens le souponnrent d'tre l'instigateur de la mutilation des
Herms. Thucydide (VI, 60-61) insiste encore, propos de cette
affaire, sur le souvenir, toujours vif dans la cit, du fils de
Pisistrate et de Csyra, Hippias, qui avait t chass par ceux des
Alcmonides qui avaient fui sa tyrannie, et sur le risque de voir
Alcibiade et ses amis non seulement bafouer, mais abattre la
dmocratie 22. En quelque sorte, si l'on suit Thucydide, Alcibiade,
jusqu'alors, devait tout ses aieux : son ascension politique et,
tout autant, sa dchance ; en un mot, sa rputation.
L'vocation de sa ligne suffisait donc pour que l'on reconnt
Alcibiade sous le masque de Phidippide. Mais Aristophane ne pouvait
pas mentionner son ascendence paternelle : elle aurait rattach le
jeune homme ceux qui, parmi ses anctres, avaient contribu tablir
les fondements de la dmocratie. Ce fut notamment le cas d'Alcibiade
l'Ancien, qui chassa les tyrans (Isocrate, Sur l'attelage, 26-27).
Pour les mmes raisons, il tait impossible de nommer Clisthne, du ct
maternel.
Aristophane frappe donc l'attention de ses spectateurs en
choisissant des noms qui demeuraient, dans la mmoire collective,
associs des ennemis de la dmocratie : Mgacls, fils d'Hippocrats,
fut ostracis, en 487, pour tre un ami des tyrans (Aristote,
Constitution d'Athnes, XXII, 5) et ce fut galement deux fois le
cas, si l'on en croit Lysias (Contre Alcibiade, I, 39), du Mgacls
qui fut le grand-pre maternel d'Alcibiade 23. Que dire de Csyra ?
Certes, on en avait fait, Athnes, l'archtype des femmes lgantes et
manires, mais
22. 'lv v6'j[xo'j[xevo h 8y|fxo 6 tv 'A6y]V!Xlcov, xal
y.Ly.vrfY.y.s.vo, aa xofj Ttepl aTtv yjtuctexto, jraXsTO f;V tots
xal 'jtcottyj hc, tou nspl tv jj.'jcttlx&)v ty)v atTiav XavTa,
xal 7tvTa aTO Soxei im Euvtou.oaia XiyapyixTj xal Tupavvtxfj
TTETTpyOa!. .
23. Cependant P. Lvque et P. Vidal-Naquet, (op. cit., p. 114, n.
2) notent qu'on ne peut exclure une confusion de l'orateur, car
aucun ostracon au nom de Mgacls fils de Clisthne n'a t trouv par
les archologues amricains, tandis qu'on possde, en grand nombre,
des ostraca au nom de Mgacls fils d'Hippocrats du dme d'Alopc .
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80 YANNICK SCOLAN
chacun se souvenait, en 423, qu'elle fut l'pouse du tyran Pisis-
trate. Associer ainsi Csyra la mre de Phidippide ne pouvait tre
pure lgret et invitait les spectateurs percevoir, sous le masque de
la comdie, une vritable rflexion politique. Ce n'est donc pas le
souci d'une stricte exactitude qui anime le dramaturge au moment de
rapprocher, par leur gnalogie, Alcibiade et Phidippide, mais la
volont de retenir, parmi les Alcmonides, les noms dans lesquels les
spectateurs reconnaissaient des ennemis du peuple.
De fait, la gnalogie d'Alcibiade (Nues, 46-48) prfigure le
dnouement de la pice : Phidippide s'y affirmera comme un vaurien
qui mprise la dmocratie et ses rgles. En ce sens, les
lllCAaLUI,UUC5 UUC BUUllgliC VV.J.1VJ.. iJLaiJVlC OUliL llCOCSScUiC
dU projet mme des Nues : le dramaturge s'appuie sur le sentiment
qui court parmi le peuple de se faire duper par les derniers
descendants de Mgacls en demeurant li eux, et il fait, travers
Phidippide, le procs de ce jeune Alcibiade qui perptue les vices de
ses aieux les moins recommandables.
En somme, Aristophane se sert de la figure de l'Alcmonide pour
constater l'irrmdiable divorce entre les aristocrates et la
dmocratie ils ne valent pas mieux que le parvenu Clon ! et pour
mettre en garde le peuple contre les dangers que reprsentent les
ambitions personnelles de ceux qui, au sein de la cit, sont
capables d'ourdir les raisonnements les plus captieux en faisant le
malheur du peuple 25. Le sujet des Nues est donc tout autant
politique que celui des Acharniens ou des Cavaliers. Il justifie la
pleine identification d'Alcibiade en Phidippide.
Yannick Scolan
24, Op. cit., p. 316. 25. Les relations qu'entretinrent
Alcibiade et Socrate n'avaient donc pas
leur place dans l'conomie dramatique des Nues et l'on ne peut
retenir le silence d'Aristophane cet endroit pour rfuter la
possibilit de voir Alcibiade en Phidippide.
InformationsAutres contributions de Yannick ScolanCet article
cite :Byl Simon. Les scholies des Nues d'Aristophane et
l'initiation leusinienne. In: Bulletin de l'Association Guillaume
Bud, n1,2008. pp. 96-100.
Pagination697071727374757677787980