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2 ème partie : Neurobiologie moléculaire Chapitre 5 – LE POTENTIEL D'ACTION (fascicule 1/3) L'HYPOTHESE SODIQUE DU POTENTIEL D'ACTION NERVEUX. GENERALITES Le potentiel d'action (PA) est un phénomène électrique qui présente deux propriétés remarquables: lorsqu'il se développe, il le fait d'une manière « tout ou rien »; lorsqu'il est émis en un point, il se propage sans atténuation. Le PA est la caractéristique essentielle des cellules excitables en activité. Un train de PA permet de véhiculer une information spécfique. A quoi ressemble un potentiel d'action ? Recueilli dans des conditions d'enregistrement intracellulaire, il se présente sous la forme d'une onde où l'on peut distinguer trois phases (fig. 1): la phase de dépolarisation qui atteint d'emblée dans un temps très court, le plus souvent inférieure à la milliseconde, une amplitude maximale (pic ou "spike"), voisine de 110 mV; la phase de repolarisation du potentiel d'action est également rapide (comprise entre 1 et 3 ms en moyenne pour la plupart des cellules excitables), le potentiel de membrane revenant alors vers son niveau initial; souvent, à la fin de la phase de la repolarisation, le potentiel de membrane atteint une valeur plus négative que le niveau du potentiel de repos: c'est la phase d'hyperpolarisation. Le retour à la valeur de potentiel initiale se fait alors selon un décours relativement lent (quelques millisecondes). Fig. 1 - Allure générale de potentiels d'action recueillis par "enregistrement intracellulaire". A, PA d'axone géant de calmar; B, PA de fibre musculaire de batracien; C, PA enregistré au niveau d'un nœud de Ranvier(sucrose-gap) d'une fibre myélinisée de batracien; D, PA d'une fibre musculaire cardiaque de mammifère; E, même PA qu'en A, avec annotations. Il existe essentiellement deux types de potentiel d'action: 176
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Mar 30, 2016

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2ème partie : Neurobiologie moléculaire

Chapitre 5 – LE POTENTIEL D'ACTION (fascicule 1/3)

L'HYPOTHESE SODIQUE DU POTENTIEL D'ACTION NERVEUX.

GENERALITES

Le potentiel d'action (PA) est un phénomène électrique qui présente deux propriétés remarquables: •lorsqu'il se développe, il le fait d'une manière « tout ou rien »; •lorsqu'il est émis en un point, il se propage sans atténuation.

Le PA est la caractéristique essentielle des cellules excitables en activité. Un train de PA permet de véhiculer une information spécfique.

A quoi ressemble un potentiel d'action ? Recueilli dans des conditions d'enregistrement intracellulaire, il se présente sous la forme d'une onde où l'on peut distinguer trois phases (fig. 1):

la phase de dépolarisation qui atteint d'emblée dans un temps très court, le plus souvent inférieure à la milliseconde, une amplitude maximale (pic ou "spike"), voisine de 110 mV;

la phase de repolarisation du potentiel d'action est également rapide (comprise entre 1 et 3 ms en moyenne pour la plupart des cellules excitables), le potentiel de membrane revenant alors vers son niveau initial;

souvent, à la fin de la phase de la repolarisation, le potentiel de membrane atteint une valeur plus négative que le niveau du potentiel de repos: c'est la phase d'hyperpolarisation. Le retour à la valeur de potentiel initiale se fait alors selon un décours relativement lent (quelques millisecondes).

Fig. 1 - Allure générale de potentiels d'action recueillis par "enregistrement intracellulaire".

A, PA d'axone géant de calmar; B, PA de fibre musculaire de batracien; C, PA enregistré au niveau d'un nœud de Ranvier(sucrose-gap) d'une fibre myélinisée de batracien; D, PA d'une fibre musculaire cardiaque de mammifère; E, même PA qu'en A, avec annotations.

Il existe essentiellement deux types de potentiel d'action:

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celui où seuls les ions Na+ sont responsables de la phase de dépolarisation (potentiel d'action «sodique»). Ce premier type de potentiel d'action est essentiellement (mais pas exclusivement) rencontré dans les axones et les fibres musculaires squelettiques (fig. 1A-B-C);

celui dans lequel les ions Ca2+ ont aussi un rôle (potentiel d'action «sodico-calcique» ou potentiel d'action à plateau calcique). Ce second type est rencontré dans les somas des neurones, les fibres musculaires cardiaques et lisses (fig. 1E).

Peut-on caractériser les mécanismes ioniques rendant compte du potentiel d'action comme cela a été possible

pour le potentiel de repos ? Il est intéressant de remarquer que Julius Bernstein en 1902, quand il proposa sa théorie du potentiel de repos, en proposa également une pour le potentiel d'action. Il avança que pendant un P.A., la membrane devenait brutalement perméable à tous les ions. Bernstein prédit, en se fondant sur cette théorie, que le potentiel de membrane se déplacerait de sa valeur de repos vers une nouvelle valeur de 0 mV. Cependant les changements de potentiel pendant le P.A. ne s'étalent pas de - 60 mV à 0 mV, mais dépassent largement 0 mV et approchent en fait une valeur comprise entre +20 et + 50 mV. Si bien que, même si l'hypothèse de Bernstein concernant le potentiel de repos était presque correcte, celle du potentiel d'action manqua son but.

Au moment même où Bernstein proposait sa théorie, Overton, un autre physiologiste faisait certaines observations intéressantes sur le rôle crucial du Na+. Il observa que le Na+ du milieu extracellulaire était absolument essentiel à l'excitabilité cellulaire. En général, en son absence, les axones ne peuvent propager l'information et les cellules musculaires squelettiques sont incapables de se contracter.

Overton, comme Bernstein, ne pouvait vérifier expérimentalement son hypothèse parce que les microélectrodes n'existaient pas. En même temps qu'ils examinaient de façon critique les hypothèses de Bernstein, Hodgkin et ses collègues reprirent également les observations d'Overton et les dépassèrent. La figure 2 illustre une des toutes premières expériences faites par Hodgkin et Katz.

Historiquement, l'existence de cette excitabilité des axones et des fibres musculaires a été décrite pour la première fois par Dubois-Reymond en 1849. Il a fallu attendre près de cent ans pour que Bernstein d'abord, puis Cole et Curtis (1938) apportent les premières données sur le mécanisme mis enjeu lors d'un potentiel d'action. Ces derniers auteurs ont montré, en effet, que la conductance de la membrane d'un axone géant de calmar augmentait pendant l'émission d'un potentiel d'action. Cette expérience apportait la première preuve que ce phénomène résultait d'un mouvement d'ions à travers la membrane, mais elle ne permettait pas l'identification des ions mis en jeu. Dix ans plus tard, Hodgkin et Katz montrèrent que l'amplitude du potentiel d'action est réduite lorsque la concentration externe en ions Na+ est diminuée (fig. 2). Les ions K+ eux aussi sont impliqués car une augmentation de la concentration externe en ions K+ ralentit la repolarisation de la membrane.

Fig. 2 – Mise en évidence que l'amplitude du PA dépend de la concentration en ions sodium du milieu extracellulaire. A gauche changements d'amplitude du P.A. dans l'axone géant de calmar en fonction de la concentration extracellulaire de Na+ appauvrie à 70%, 50% et 33% de sa valeur normale, (modifié d'après A.L. Hodgkin et B. Katz J. Physiol. 1949; 108:37). A droite représentation graphique de l'amplitude du pic du P.A. en fonction de la concentration extracellulaire de Na+. La ligne droite est produite par l'équation de Nernst pour une valeur intracellulaire en Na+ de 17 mM (modifié d'après W.L Nastuk et A.L. HodgkinJ.Ce//.Comp.Phys/o/. 1950; 35:39). La ligne droite suit la relation qui décrit les variations de potentiel d'équilibre au Na+ en fonction de sa concentration extracellulaire. Bien qu'il y ait quelques différences entre le potentiel d'équilibre prédit et les amplitudes du P.A. (le P.A. n'atteint jamais la valeur du potentiel d'équilibre au Na+), il est important d'observer que les pentes de ces deux droites sont quasiment identiques. Pour un changement de 10 fois la concentration en Na+ externe, il y a environ une variation de 60 mV dans l'amplitude du P.A. Ces expériences fournissent donc de solides arguments expérimentaux en faveur de cette hypothèse de bascule de la perméabilité membranaire pendant le pic du P.A., d'une forte perméabilité au K+ à une forte perméabilité au Na+. Consulter: "Transport membranaire et bioélectricité", JH BYRNE et SG SCHULTZ, DeBoek Université

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Ces expériences confirment donc directement les observations d'Overton : le Na+ est essentiel à l'initiation du P.A. (excepté pour ceux des cellules musculaires lisses et cardiaques).

Hodgkin et ses collègues firent progresser ces observations. Ils suggérèrent que pendant un P.A., la membrane se comporte comme si elle devenait sélectivement perméable au Na+. En un sens, elle bascule de son état de haute perméabilité de repos au potassium, à celui de haute perméabilité au Na+ au pic du potentiel d'action. Si à ce niveau, une membrane est fortement perméable au Na+ (par soucis de simplicité, nous postulons que la membrane est uniquement perméable à cet ion et à aucun autre.), quelle différence de potentiel peut-on prédire de part et d'autre de la membrane ? Si elle est seulement perméable au Na*, le potentiel de membrane devrait être égal au potentiel d'équilibre au Na+ (ENa) ; et

Em = gNa . 60 . log[Na]e/[Na]i

En effet, quand on introduit les valeurs connues des concentrations extra et intracellulaires de Na+ dans l'axone géant de calmar, une valeur de +35 mV est calculée. C'est à peu près l'amplitude du pic du P.A. Est-ce seulement une coïncidence ?

La figure 2 présente une confirmation de cette hypothèse. L'amplitude au pic du potentiel, reportée sur l'axe vertical, est mesurée en fonction de la concentration en Na+ extracellulaire. Les points du graphe représentent l'amplitude du P.A. enregistré pour différentes valeurs de concentration.

A partir de ces données, Hodgkin et Katz proposèrent que le potentiel d'action est dû à la séquence d'événements suivante : le potentiel d'action est déclenché par une dépolarisation qui provoque un changement de conductance membranaire aux ions Na+, lesquels entrent alors dans la cellule et provoquent la phase de dépolarisation du potentiel d'action. Dans la plupart des cas, la phase de repolarisation est due à deux phénomènes: d'une part à l'inactivation de la conductance Na+ et, d'autre part, à l'activation d'une conductance K+, laquelle provoque une sortie d'ions K+ de la cellule, et donc une repolarisation membranaire: la membrane devenant perméable au potassium, son potentiel tend vers EK donné par l'équation de Nernst.

Il faut signaler que l'inactivation de la conductance Na+, à elle seule, serait suffisante pour rendre compte de cette phase de repolarisation.

Ce chapitre sera composée de 3 parties; la première partie sera consacrée à l'exposé très succint de la théorie ionique de l'excitation; la seconde présentera les propriétés du PA (dans le cadre de cette théorie); la troisième, quelques propriétés des canaux.

1ère partie - Mécanismes ioniques responsables du potentiel d'action

Dans quelles circonstances la membrane plasmique présente-elle une conductance ionique ? Il a fallu pour la mettre en évidence mettre au point une technique électrophysiologique permettant de la mesurer. Toujours dans les années 1950, la technique appropriée a été la technique dite du "voltage imposé" ou du "voltage clamp". Le problème que les électrophysiologistes de l'époque devait résoudre était de dépolariser une membrane plasmique d'un neurone suffisamment longtemps (quelques dizaines de millisecondes), à quelque niveau de potentiel que ce soit (entre –90 mV et +50mV) sans que soit déclenché un PA !

En effet jusqu'à cette époque, dès que l'on dépolarisait un neurone au delà de la valeur de son potentiel critique on déclenchait irrémédiablement un PA (fig. 3); c'est la technique du courant imposé ou "current clamp".

MISE EN EVIDENCE DES CONDUCTANCES MEMBRANAIRES VOLTAGE-SENSIBLES

Le terme de conductance a été largement utilisé par les électrophysiologistes cellulaires à partir des années

1950. Si pour les physiciens "électriciens" tous les conducteurs métalliques offrent une résistance au passage du courant, en l'occurrence courant véhiculé par des déplacements d'électrons, pour les électrophysiologistes cellulaires, les membranes plasmiques permettent dans certaines circonstances le passage du courant au travers elles, en l'occurrence courant véhiculé par des ions: on parle alors de conductance ionique membranaire pour exprimer cette propriété de la membrane normalement"résistante au passage du courant" et par moment "perméable au passage de certains ions". La conductance est donc l'inverse de la résistance.

Il y a deux importants ions chargés positivement (K+ et Na+) et le potentiel de membrane semble être gouverné

par leur perméabilité relative (fig. 4). En conséquence, l'équation de GHK (Goldmann, Hodgkin, Katz) peut être utilisée:

où α représente la perméabilité relative PNa/PK

Fig. 4 - Représentation schématique d'un potentiel d'action nerveux.

Noter que le décours temporel de ce PA théorique ressemble au PA enregistré dans la figure 1A.

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Pour le niveau de repos, nous avons déjà vu que ce rapport α était de 0,01. Nous pouvons donc substituer cette

valeur dans l'équation et en déduire une valeur de -60m V environ. Postulons que la perméabilité au Na+ est très élevée. Alors α est très grand et le terme Na+ prévaut dans

l'équation de GHK. A la limite, cette équation se réduit à l'équation de Nernst pour le Na+. Aussi pouvons-nous calculer une approximation de la valeur du pic de potentiel d'action là où la perméabilité au sodium est élevée et celle au potassium faible. Pendant la phase de repolarisation, nous pouvons postuler simplement que le rapport des perméabilités retourne à sa valeur normale, substituer cette valeur dans l'équation et calculer un potentiel de membrane de -60 mV. L'hyperpolarisation qui suit le potentiel, pourrait être due à une légère diminution de la perméabilité au Na+ en dessous de sa valeur de repos ou à une perméabilité au K+ supérieure à son niveau de repos.

L'important est qu'en ajustant le rapport des perméabilités au Na+ et au K+, on peut prédire le décours total du P.A.

Fig. 3 – Schéma de principe du montage du "courant imposé" permettant d'enregistrer un PA

LE CONCEPT DE PERMEABILITE SODIQUE VOLTAGE-DÉPENDANTE.

Même si l'équation de GHK fournit une approche qualitativement correcte du décours du P.A., elle ne peut apporter

de réponse à la question fondamentale qui est de savoir comment la supposée bascule de perméabilité prend place. Comment une membrane qui à un moment donné est fortement perméable au K+, peut en un temps très court le devenir pour le Na+ ? Hodgkin et Huxley ont proposé l'existence d'un changement voltage-dépendant de la perméabilité au Na+, basse au repos

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mais augmentant dès que la cellule se dépolarise (fig. 4). Supposons que la cellule est dépolarisée par un stimulus quelconque. Il s'ensuit une augmentation de

perméabilité au Na+. Si celle-ci s'accroît, (postulons pour le moment que la perméabilité au K+ reste inchangée), a dans l'équation GHK sera plus élevé. Dans ce cas, les termes Na+ sont multipliés par une plus forte valeur et tendent à être prédominants. La membrane devient moins négative (plus dépolarisée), mais puisque la cellule se dépolarise, la perméabilité au Na+ augmente encore plus et augmente également. Un cycle de rétro-contrôle positif commence (fig. 4B) de sorte qu'une fois dépolarisée à un niveau critique, la cellule se dépolarise encore plus rapidement de manière régénérative. Pour finir, le potentiel de membrane approche le potentiel d'équilibre du Na+. Une relation voltage-dépendante entre le potentiel de membrane et la perméabilité sodique peut donc en principe rendre compte totalement du déclenchement du P.A.

nFig. 4 - Relations entre la dépolarisation et la perméabilité au Na* esse tielle au déclenchement d'un P.A.

VERIFICATION DU CONCEPT DE PERMEABILITE AU NA+ VOLTAGE-DÉPENDANTE : LA TECHNIQUE DU

POTENTIEL IMPOSE. Jusqu'à présent nous n'avons qu'une théorie. L'hypothèse cruciale est que la perméabilité au Na+ est régulée par

le potentiel de membrane. La façon la plus simple de tester cette hypothèse est de dépolariser la cellule à différents niveaux et de mesurer la perméabilité au Na+ correspondante. Le problème cependant, est que dès que la cellule est dépolarisée, la perméabilité au Na+ change, et un P.A. est déclenché. Pour des raisons pratiques, il n'y a pas assez de temps pour mesurer le changement de perméabilité. C'est un obstacle majeur pour poursuivre plus avant l'analyse des mécanismes ioniques qui gouvernent le potentiel d'action.

Hodgkin, Huxley et leurs collègues conçurent un dispositif qui leur permettait de stabiliser le potentiel de membrane à différents niveaux pour des périodes de temps déterminées. Ils ont utilisé un dispositif de rétro-contrôle électronique appelé amplificateur de potentiel imposé (en électronique: un amplificateur opérationnel ou "feed-back amplifier") pour maintenir le potentiel de membrane à différents niveaux (fig. 5).

Fig. 5 - Diagramme schématique du dispositif du potentiel imposé

L'amplificateur de potentiel imposé prend la différence entre le potentiel de membrane effectivement enregistré et

la valeur désirée, et génère un courant hyperpolarisant ou dépolarisant pour amoindrir la différence. La quantité de courant nécessaire pour maintenir le potentiel de membrane à la valeur désirée, fournit un index de la perméabilité membranaire, ou conductance, pour un niveau précis de potentiel imposé. Par exemple, en mesurant le courant ionique en fonction du temps, I(t), et connaissant la différence de potentiel (qui reste constante), la conductance en fonction du temps, G(t), peut être déterminée simplement en utilisant la loi d'Ohm (pour notre besoin, la conductance peut se concevoir simplement comme mesure électrique de la perméabilité et nous utiliserons de façon interchangeable les termes de perméabilité et de conductance considérée comme l'inverse de la résistance)

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En faisant varier la différence de potentiel grâce à l'amplificateur de potentiel imposé, les conductances correspondantes à un ensemble de potentiels différents peuvent être déterminées. La figure 6 illustre quelques résultats typiques. La procédure est la suivante. D'abord, le potentiel de membrane est à son niveau de repos de -60 mV. Il est ensuite placé à un nouveau niveau dépolarisé (i.e., -35 mV) et maintenu à cette valeur pendant 5 ms et plus. Puis le potentiel est ramené à sa valeur de repos et la membrane est portée ou maintenue à un autre niveau de dépolarisation de -20 mV. Une succession de ces mesures à potentiel imposé permet de déterminer les changements de perméabilité au Na+ en fonction à la fois du temps et du potentiel.

Dans la partie supérieure de la figure 6, l'axe horizontal indique le temps et l'axe vertical, la conductance au Na+ mesurée. A mesure que l'on impose différents niveaux de dépolarisation au potentiel de membrane, la perméabilité sodique augmente graduellement. Plus est grande la dépolarisation, plus la perméabilité au Na+ est importante. Cette expérience fournit donc un solide argument expérimental en faveur du caractère de voltage-dépendance de la perméabilité au Na+ et démontre l'existence d'un mécanisme susceptible d'expliquer la phase de dépolarisation (initiation) du potentiel d'action.

Fig. 6 - Changements de conductance sodique provoqués par des sauts de potentiel à 3 niveaux de dépolarisation. Plus la dépolarisation est forte, plus l'amplitude de la conductance du Na+ est grande (modifié d'après A.L Hodgkin et A.F. Huxley, J.Physiol. 1952; 117:500).

FONDEMENT MOLECULAIRE DE LA REGULATION DE LA PERMÉABILITÉ SODIQUE

Au niveau moléculaire, la relation entre le potentiel de membrane et la perméabilité sodique (fig. 4A) est due à

l'existence de canaux membranaires sélectivement perméables au Na+ et qui sont ouverts ou fermés par le potentiel de membrane. Cette découverte fut rendue possible par la technique du «patch clamp» qui permet de mesurer la conductance de canaux individuels. Dans cette technique, une micropipette, dont le diamètre de la pointe est de 1-2 microns, est placée de façon à ce que l'extrémité affleure la surface externe de la membrane. Un contact de résistance élevée se développe qui permet par l'électrode et le circuit électronique connexe, de mesurer le courant (donc la conductance) d'un petit nombre de canaux Na+ (voire d'un canal unitaire). Une des conclusions majeures qu'on retire de ces études est qu'en réponse à la dépolarisation membranaire, les canaux sodiques unitaires s'ouvrent selon un mode «tout ou rien». Un canal unique a au moins deux états: ouvert et fermé. Une fois ouvert, il ne peut plus s'ouvrir en réponse à la dépolarisation. Le processus d'ouverture est géré par une protéine liée à la membrane qui est chargée, de sorte que lorsque la membrane est dépolarisée, un changement de configuration de cette protéine s'effectue et se traduit par une plus forte perméabilité du canal au Na+.

Ainsi, à partir des années 80, les électrophysiologistes ont considérablement amélioré la technique de voltage imposé en l'appelant la technique du "patch clamp en configuration cellule entière" ("whole cell clamp") (fig. 7). Dans son principe, cette technique, semblable à celle illustrée dans la figure 5, permet de visualiser les courants macroscopiques (fig. 7) ou spécifiques (fig. 8 et 9) traversant la membrane plasmique pour chacun des niveaux de dépolarisation imposé à la membrane.

Les canaux individuels s'ouvrent brièvement puis se referment. La probabilité d'ouverture des canaux unitaires

est fonction du temps et du potentiel; toutefois, quand on «moyenne» l'ouverture de plusieurs canaux, la conductance moyenne décrit le changement de conductance de toute la population de canaux. Le décours des variations de perméabilité au Na+ (fig. 6) reflète donc la moyenne des temps d'ouverture et de fermeture des nombreux canaux Na+ individuels. Au niveau moléculaire, la dépendance de la perméabilité membranaire totale sodique vis à vis du voltage (fig. 4A) peut être interprétée comme la probabilité qu'une dépolarisation provoque l'ouverture de canaux unitaires. Plus la cellule est dépolarisée, plus le nombre de canaux individuels Na+ ouverts est grand, chacun selon son mode caractéristique «tout ou rien».

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Fig. 7 – Patch clamp dans les conditions de voltage imposé et dans la configuration de la cellule entière (whole cell).

Des sauts de potentiel sont imposés à la membrane cellulaire et, en réponse, les courants transmembranaires macroscopiques sont enregistrés. A partir de ces courants membranaires "globaux" ou "macroscopiques" (Im = f(t, Em)), les électrophysiologistes ont utilisé l'outil pharmacologique (neurotoxines, bloquants de conductances) pour identifier les courants membranaires ioniques "spécifiques" (Ii = f(t, Em)). C'est ainsi qu'en reproduisant l'expérience de la figure 6 mais en ajoutant dans le milieu extra-cellulaire tour à tour soit un mélange de 4AP (4-aminopyridine) et de TEA (tétraéthylammonium), soit de la TTX (tétrodotoxine), on bloque respectivement soit le courant tardif sortant, soit le courant précoce entrant. Par conséquent, le mélange 4AP+TEA étant connu pour bloquer les conductances potassiques, les courants tardifs sortants sont donc spécifiquement des courants potassiques. De façon analogue, la TTX étant connue pour bloquer la conductance sodique, en sa présence, les courants précoces entrant sont identifiés comme des courants spécifiques sodiques (fig. 8 et 9).

En conclusion, la phase de dépolarisation est due à un courant entrant sodique permis par le développement précoce mais éphémère d'une conductance sodique et la phase de repolarisation est due à un courant sortant potassique permis par le développement tardif d'une conductance potassique.

La figure 10 aide à visualiser comment à partir des courants globaux (ou spécifiques) en fonction du temps et pour différents niveaux de potentiel, il est permis d'évaluer les courants spécifiques en fonction du potentiel imposé à la membrane. Ainsi, on trace les courbes I-V pour les courants spécifiques (fig. 10B).

Si la conductance sodique s'active rapidement avec le niveau de dépolarisation, elle s'inactive également

rapidement après une durée brève (1ms ou moins) d'activation: on dit qu'elle s'active avec la dépolarisation et s'inactive avec le temps. Quant à la conductance potassique, elle s'active avec le niveau de dépolarisation et ne présente pas d'inactivation avec le temps (fig. 11).

INACTIVATION SODIQUE II y a un autre aspect important concernant les données illustrées en fig. 6, 8 ou 10A. Bien que le potentiel de

membrane soit dépolarisé pendant toute la durée de chaque tracé, la perméabilité au Na+ revient spontanément à son niveau de repos. Même si elle dépend du niveau de dépolarisation, elle ne se maintient donc pas et est seulement fugace. Une fois atteint sa valeur maximale, elle redescend spontanément à sa valeur de repos. Ce processus de retour au niveau initial {bien que la membrane soit dépolarisée) s'appelle V inactivation. Au niveau moléculaire, les processus d'inactivation peuvent être considérés comme un mécanisme à part qui régule le canal Na+, et qui dépend du potentiel

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et du temps. Ce canal est représenté comme ayant 2 composantes de régulation: une porte d'activation et une d'inactivation. Pour que le canal soit ouvert, les deux portes doivent être ouvertes. Au potentiel de repos, celle d'activation est fermée et même si celle d'inactivation est ouverte, la perméabilité du canal est de zéro. Avec la dépolarisation, la porte d'activation s'ouvre rapidement, et le canal devient perméable au Na+. La dépolarisation tend aussi à fermer la porte d'inactivation mais ce processus est plus lent. Pendant une dépolarisation de plus longue durée, elle se ferme et même si celle d'activation est encore ouverte, la perméabilité est de zéro.

Fig. 8 – Courants ioniques spécifiques entrant, précoces, portés par des ions Na+

Fig. 9 – Courants ioniques spécifiques tardifs et sortant enregistrés en présence de TTX

Quelle est la signification physiologique de l'inactivation du Na+ ? Revenons encore une fois au cycle de rétro-contrôle positif. La dépolarisation augmente la perméabilité au Na+ et cette augmentation dépolarise la cellule. Finalement, à cause de ce cycle régénérateur, la cellule est rapidement dépolarisée jusqu'à une valeur proche de ENa. Avec un tel mécanisme, le problème est de rendre compte de la phase de repolarisation du potentiel d'action. En se fondant sur la relation entre la perméabilité au Na+ et le potentiel de membrane, on pourrait prédire qu'une fois déplacé vers £Na le potentiel de membrane pourrait y rester un temps infini. La relation forte entre le potentiel et la perméabilité au Na+ n'est cependant que transitoire. Après environ 1 ms, la perméabilité diminue spontanément. Si elle diminue, à cause de l'inactivation, le potentiel doit se rapprocher de EK, ou dit d'une manière légèrement différente, il devient moins dépolarisé. La dépolarisation est réduite et cette réduction entraîne encore une diminution de la perméabilité au Na+ à cause de sa relation fondamentale avec

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le potentiel (fig. 4.A). Résultat: un nouveau cycle de rétro-contrôle est initié et tend à repolariser la cellule.

Fig. 10 – Etablissement des courbes I-V pour les courants spécifiques entrant et sortant à l'origine du PA

"sodique"

Il est donc curieux de penser qu'en tenant compte simplement de (a) l'augmentation voltage-dépendante de

la perméabilité au Na+ et (b) du processus de l'inactivation sodique. les phases de déclenchement et de repolarisation peuvent être toutes deux totalement expliquées. Au moins deux problèmes se posent avec cette hypothèse. D'abord, la durée du P.A. est d'environ 1 ms seulement, alors que le changement de perméabilité au Na+ prend 4 ms à peu près pour revenir à son niveau de repos (pleinement inactivée). Aussi, en extrapolant ces mesures en potentiel imposé, on pourrait s'attendre à ce que le P.A. soit un peu plus long que 1ms. Ensuite, il est difficile d'expliquer l'hyperpolarisation qui suit le potentiel. A partir des données de potentiel imposé (fig. 6), il est clair que la perméabilité au Na+ s'accroît de façon spectaculaire, puis s'inactive. Pour expliquer la post-hyperpolarisation, la perméabilité au Na+ se doit d'être moindre que sa valeur initiale (α devrait être inférieur à 0,01). En se fondant seulement sur les changements observés de la perméabilité au Na+, il serait impossible de rendre compte de cette hyperpolarisation.

ROLE DE LA CONDUCTANCE K+ VOLTAGE-DEPENDANTE DANS LA REPOLARISATION DU POTENTIEL D'ACTION.

Non seulement la perméabilité au Na+ varie, mais en plus la perméabilité au potassium change pendant le

déroulement du potentiel d'action. La figure 11 illustre ces faits. La partie supérieure reprend simplement les données expérimentales de la figure 10. Quand la membrane est dépolarisée et maintenue à différents niveaux, la perméabilité au Na+ augmente en proportion de la dépolarisation. Gardons en tête que pendant la séquence entière des événements, le potentiel de membrane est maintenu dépolarisé aux niveaux indiqués. Les tracés inférieurs (fig; 11A) montrent qu'en plus des changements de perméabilité au Na+, il y a aussi des modifications de la perméabilité au K+ liées au potentiel. Plus la dépolarisation est élevée, plus son augmentation est forte. Il y a deux grandes différences entre ces deux systèmes de perméabilité. D'abord, les variations de perméabilité au K+ sont plutôt lentes. La perméabilité au K+ prend du temps pour commencer à augmenter alors que les variations de la perméabilité au Na+ démarrent immédiatement dès l'imposition de la dépolarisation. Ensuite, tandis que la perméabilité au Na+ présente une inactivation, celle au K+ reste élevée tant que la membrane est maintenue dépolarisée (fig. 12).

Maintenant qu'il est clair que la perméabilité au Na+ et au K+ varient toutes deux, comment pouvons nous utiliser cette information pour mieux rendre compte de la séquence entière des événements qui sous-tendent le potentiel d'action ? Compte tenu de la lenteur des changements de perméabilité au K+, l'explication initiale de la phase de dépolarisation du P.A. n'est pas modifiée, simplement parce que pour une période de temps inférieure à environ 0,5 ms, il n'y a aucun changement important de la perméabilité au K+. Dans les phases suivantes (de durée supérieure à 0,5 - 1 ms environ), nous devons non seulement considérer les changements de la perméabilité sodique mais également ceux de la perméabilité au K+. Quelles sont les conséquences d'avoir non seulement une chute de la perméabilité au Na+ (due à l'inactivation) mais aussi une augmentation simultanée de perméabilité au K+ ? Revenons à l'équation GHK. Au pic du potentiel d'action,

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(environ 0,5 à 1 ms après son déclenchement), il y a une très forte perméabilité au Na+. A ce moment là, la perméabilité au K+ commence à s'élever significativement. Ainsi, à tout moment après 0,5 à 1 ms, il y a non seulement une augmentation certaine de la perméabilité au Na+ mais la perméabilité au K+ est plus élevée qu'en condition de repos. En conséquence, la valeur d'α sera plus faible que s'il n'y avait que des variations de la perméabilité au Na+. Si α est plus petit, les termes Na+ contribuent moins à l'équation GHK. Dit d'une manière légèrement différente, les termes K+ prennent plus d'importance et le potentiel de membrane est plus négatif. Ainsi, en tenant compte de la découverte d'un retard dans l'augmentation de perméabilité au K+, le potentiel de membrane sera plus négatif (à tout moment supérieur à 0,5 ms - 1 ms environ) qu'il ne le serait sans changement de la perméabilité au K+. Les modifications retardées de la perméabilité au K+ tendent à repolariser le potentiel de membrane plus rapidement, parce qu'il y a maintenant deux forces motrices pour la repolarisation. La première est l'inactivation sodique et la seconde l'augmentation retardée de la perméabilité au K+. En tenant compte des variations simultanées de perméabilité au K+, nous pouvons en principe rendre compte d'un P.A. de plus courte durée.

Fig. 11 – Tracés des courbes de conductances sodique et potassique en fonction du potentiel (A), du temps (B) et pendant un PA (C)

Fig. 12 - Variations simultanées des conductances Na+ (A) et K+ (B) produites par des sauts de potentiel à 3 niveaux de dépolarisation. Remarquez les fortes différences entre les changements de conductance Na+ et K+ (modifié d'après A.L Hodgkin et A.F. Huxley, J.Physiol. 1952; 117:500).

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Les variations de perméabilité au K+ peuvent-elles aider à expliquer la post-hyperpo-larisation? La clé réside dans la compréhension du décours de ces variations. Vous remarquerez qu'elles sont très lentes à s'enclencher. Elles le sont également pour s'arrêter. Lorsque le P.A. se repolarise au niveau de repos, la perméabilité au Na+ revient à son état de repos. Comme le système de perméabilité au K+ est lent, la perméabilité pour le K+ reste encore élevée. Par conséquent dans l'équation GHK est plus petit que sa valeur initiale de 0,01. Et dans ce cas, la participation des termes Na+ devient plus négligeable qu'au repos et le potentiel de membrane approche EK. Ainsi, parce que la perméabilité au Na+ diminue rapidement et que celle au K+ le fait lentement, cette dernière reste élevée pendant les phases finales du P.A. et la post-hyperpolarisation se produit.

Jusqu'à ce point, les arguments concernant la séquence des événements sous-tendant le P.A. ont été quelque peu qualitatifs et se fondent sur l'extrapolation des données de potentiel imposé. Cette approche est d'une certaine façon peu satisfaisante tout comme elle le fut pour Hodgkin et Huxley. Voulant tester plus rigoureusement cette hypothèse, ces auteurs développèrent un modèle mathématique quantitatif du potentiel d'action fondé sur les mesures expérimentales des variations de perméabilités au Na+ et au K+. Ils tentèrent de déterminer s'il était possible de reconstruire un P.A. à partir des données fondées entièrement sur ces variations mesurées par la technique du potentiel imposé. La figure 13 illustre leurs résultats. La ligne pleine représente un P.A. théorique. Le P.A. simulé est identique à celui enregistré expérimentalement. Cette identité nous permet d'examiner en détail la séquence des variations de perméabilité qui sont nécessaires à déclencher le P.A. simulé. La ligne en tirets indique les variations sous-jacentes de la perméabilité au Na+ et les pointillés celles au K+.

Fig. 13 - Décours des variations des conductances au Na+ et au K* qui sous-tendent le P.A. nerveux. Supposons que par un mécanisme quelconque, la cellule soit dépolarisée jusqu'au seuil. La dépolarisation

déclenche l'augmentation voltage-dépendante de la perméabilité au Na+. Celle-ci accroît encore plus la dépolarisation qui renforce l'augmentation de perméabilité au Na+. Le cycle de rétro-contrôle positif est enclenché. Il conduit à une dépolarisation rapide de la cellule jusqu'au £Na. Au pic du P.A., qui arrive environ 3/4 de ms après son déclenchement, deux processus importants contribuent à la repolarisation. D'abord, il y a celui de l'inactivation sodique. Comme conséquence de la diminution de la perméabilité sodique, le potentiel de membrane commence à revenir à son niveau de repos. Ce qui accroît la diminution de la perméabilité au Na+ et accélère encore plus le processus de repolarisation. Un nouveau cycle de rétro-contrôle démarre. Il entraîne le potentiel de membrane en direction opposée. Ensuite, il y a une augmentation retardée de la perméabilité au K+. Lorsque le P.A. atteint sa valeur maximale, il y a un changement plutôt drastique de la perméabilité au K+ qui tend à déplacer le potentiel de membrane vers EK . Il y a donc deux processus indépendants qui contribuent à la repolarisation du P.A. L'un est l'inactivation sodique et l'autre correspond à l'augmentation retardée de la perméabilité potassique. Remarquez que lorsque le P.A. revient à son niveau de repos d'environ - 60 mV, la perméabilité au Na+ a atteint son niveau de base. Pendant qu'elle y retourne, celle au K+ reste élevée pendant un certain temps. Ainsi, le rapport des deux perméabilités est plus faible qu'au départ et le potentiel de membrane se tient plus proche de £K. Avec le temps, la perméabilité au K+ diminue graduellement vers son niveau de repos et le potentiel d'action se termine.

En résumé, le déclenchement du P.A. peut s'expliquer par l'augmentation voltage-dépendante de la perméabilité au Na+ et la phase de repolarisation par (a) le processus d'inactivation sodique et (b) par l'augmentation retardée de la perméabilité au K+. Enfin, la post-hyperpolarisation peut s'expliquer par le fait que la perméabilité au K+ reste élevée pendant un certain temps après le retour au niveau de repos de celle au Na+