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BIBLIOTHQUE D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIENOUVELLE SRIE
Fondateur : Henri GouHten Directeur : Jean-Franois CounrlNe
LA STRATEGIEDU CONATUS
AFFIRMATION ET RESISTANCE CHEZ SPINOZA
par
Laurent BOVE
PARISLIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, Place de la Sorbonne, Ve
l9%
-
B3? ?8B$slzt s
@Librairie Philosophique J. VRIN, 1996Printed in FranceISSN
0249_7980
ISBN 2-7tt6_1272_4
oruoNs DE RFERENCE
- s1>irtoza opera, publi par carl Gebhardt, Heidelberg/carl
winters
Universittsbuchhandlun g' 1925 en 4 vol., cit G. suivi de la
page'-
CEtl,res cle Spinoza, traduction, introduction et notes par
Charles Appuhn,Garnier-Flmmarion, 1964-1966 (premire dition 1904)
en 4 vol., cit A'suivi de la Page.
- CEut,res Compltes de Spinoza, traduction nouvelle.
introductions et notes par
Roland caillois, Madeleine Frances et Robert Misrahi, chez
Gallimard,Bibliothque de la Pliade 1954, cit P. suivi de la
page'
-Tractatus plitirr,t lTrait politique, texte latin, traduction
par Pierre-FranoisMoreau, Index informatique par P-F. Moreau et
Rene Bouveresse, Rplique'1979.
- Abrg cle Grammaire Hbrai'qrre, introduction, traduction et
notes de Jol
Aenazi et Jocelyne Askenazi-Gerson, prface de Ferdinand Alqui,
Vrin,r 968.
Notre traduction de rfrence est essentiellement celle d'Appuhn
(que nousrectifions parfois) sauf pour le Trait Politique o nous
citons gnralement latraduction de P-F. Moreau. Nous indiquons aussi
la rfrence de la page dansl'dition de la Pliade.
ABRVIATIONS UTILISES :
K.V.'. Korte VerhandelingT.l.E. : Tractatus de Intellectus
EmendationeP.P.C. : Renati Des Cartes Principiorum PhilosophiC.M. :
Cogitata MetaphYsicaE.: EthicaT.T.P. : Tractatus
theologico-politicusT.P. : Tractatus politicusC.G.L.H. : Compendium
Gratnmatices Lingu Hebr
La loi du ll mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et
3 del'article 41, d'une part, que les
-
A Rene et Liortel
Le prsent ouvrage a pour point de dpart un doctorat
d'Etatsoutenu en 1992 devant l'Universit de paris I
panthon-Sorbonne.Mes remerciements vont particulirement au
professeur AlexandreMatheron dont les remarques et I'amiti ont
accompagn I'histoire decette recherche, ainsi qu'aux Professeurs
Genevive Brykman etPierre-Franois Moreau qui ont bien voulu relire
le manuscrit et mefaire part de leurs observations.
INTRODUCTION
INFINITUDE ET STRATGIE
-
INTRODUCTION
dans I'essence souligne la prsence immanente d'une cause ou
d'uneraison, intrinsque cette essence, et qui nous la fait
connatre. Et cetteprsence est celle de I'infini en acte
c'est--dire, comme l'crit Spinozadans le premier scolie
del'Ethique, , c'est--dire d'affirmer absolument sonexistence, ou
encore, d'exprimer totalement sa cause (ou, dans l'ideadquate, sa
raison) ; car
la puissance de I'homme, en tant qu'elle s'explique par son
essenceactuelle est une partie de la puissance infinie, c'est--dire
deI'essence (Prop.34 p.I) de Dieu ou de la Nature 2.
L'Ethique, comme livre, pose donc comme premire dfinition
lacausa sui. La pense deI'Ethique ne pose cependant pas la
substancecomme principe. Affirmer absolument sa cause, c'est penser
adqua-tement, c'est--dire selon l'auto-productivit mme du Rel ou
lemouvement rel de son engendrement. Spinoza ne commence donc
pas,abstraitement, par Dieu comme principe, mais du cur de la
pense,dans le mouvement rel de I'affirmation < absolue > et
< parfaite >> deI'ide3. Et il invite le lecteur, dans ce
pralable, penser ainsi, c'est--dire, d'un seul coup, avancer avec
lui sur ce chemin sans commence-ment ni fin qui est celui du
mouvement autonome de la production durel ; production aussi des
ides qui ne sont des ides vraies que parcequ'elles sont tout
d'abord de vraies ides, ou le rel lui-mme, tel qu'ilse constitue,
dans et par I'attribut Pense.
C'est donc la fulgurance de la causa sal (ou la position de
I'exis-tence par soi) qui dynamise tout le rel et donne aux hommes,
commeaux socits, dans leur pense comme dans leur co{ps ( de
manirecertaine et dtermine >, la vritable condition de
possibilit en actepour une pense adquate (c'est--dire absolue et
parfaite) et pour uneconduite autonome de la vie:
Agir par vertu absolument n'est rien d'aufie en nous qu'agir,
vivreet conserver son tre (ces trois choses n'en font qu'une) sous
laconduite de la Raison, d'aprs le principe de la recherche de
I'utilepropre.
l. Conarus, quo unaquque res in suo esse perseverare conatur
nihil est prteripsius rei actualem essentiant (8. III, 7).
2. E.lY, 4 dm.3. E. il. 34.
-
10 INTRODUCTION
Proposition 24 d' Ethique IV, qui vaut aussi bien pour I'homme
quepour la socit qui, dans I'affirmation > de sonexistence,
advient elle-mme sa propre plnitude, de sagesse ou delibertr.
Le sens et la valeur spinozistes de la causa szi s'affirment
ainsi deses consquences productives dans les domaines thique et
politique, etle principe de causalit suivant lequel elle doit
essentiellement secomprendre, n'est pas celui, nonc en passant,
dans la secondedmonstration de la proposition ll, mais celui invers
qui cltmagistralementla partie I : < Rien n'existe de la nature
de quoi ne suivequelque effet >>. Principe de causalit et
expression de la < puissance deDieu qui est cause de toutes
choses > dans le mme sens o il est causede soi, s'identifient
donc pour dire le sens et la valeur de la causa sui:I'affirmation
absolue de la puissance en actes2.
Mais cet effet de boucle par lequel la dernire
propositiond'Ethique I vient, de manire rcurrente, attribuer la
premiredfinition toute la ralit de son sens
- et qui fait de la premire partie
de l'Ethique le commentaire le plus inou que la philosophie ait
pudonner de la causa sai
- est I'expression, dans la pense, de la boucle
rcursive de l'tre rel lui-mme.La Nature se constitue dans et par
ses propres affections, et la
persvrance en son tre de chacun de ses modes (des ides, des
corps,et de I'infinit infinie des modes des attributs que nous ne
connaissons
1.T.P.Xl, l. Spinoza s'inscrit dans une histoire pour laquelle
la notion decausa sui est corrlative d'une interprtation politique
etjuridique; ainsi Thomasd'Aquin, dans son Commentaire sur
I'Evangile de Jean, XV, 15, identifie-t-ilimmdiatement la condition
du matre I'autonomie que confre la causa sai, dansune opposition
radicale avec le statut d'esclave: Servus prioprie est qui non
estcausa sui; liber vero qui est sui causa. Est ergo differentia
inter operationes servi etliberi, quia servus operatur causa
alterius: liber autem causa sui operatur et quantumad causamfinalem
operis et quanlum ad causam rnovenlem, natn liber propter
seoperatur sicut propterfinem et a se operatur quia propria
voluntate movetur ad opus;sed servus nec propter se operatur sed
propter dominum, nec a se sed a dominivoluntate et quasi quadam
coactione (cit par S.Breton, ', Revue des Sciences philosophiques
et thologiques, 58 (1974) p. a5).
2. Contrairement I'usage nous crivons
-
T2 INTRODUCTION
tout arbitraire est exclu et que nous exprimentons, en Dieu,
I'absolueinnocence de notre ncessit ternelle qui estaussi notre
batitude et notre libert'.
Devenir Dieu, cela est absurde, mais produire en Dieu et par
Dieu(la Nature) le mouvement rel, puissant et joyeux, par lequel
l'tres'auto-produit de manire absolument autonome, c'est ce que
signifiele projet thique... et aussi, selon le mme esprit, le
projet politiquespinoziste.
Cependant l'Ethique se clt sur la remarque de l'extrme
difficultde cette entreprise qui n'a d'quivalent que sa beaut2.
Ds la dfinition 2 de la partie I nous savions dj combien
chacunede nos penses comme chacun de nos actes allaient
ncessairementrencontrer, en dehors de lui, un autre corps et une
autre ide qui luiferaient obstacle3. Aprs l'affirmation absolue de
la cause interne parlaquelle se dfinira la liberta, et, dans son
dploiement intgral, notreBatitudes, Spinoza dfinit donc la limite
externe qui, caractrisanttoute chose finie, est tout d'abord
I'horizon de la servitude et de lamort. L'exprience de I'obstacle
et de la limite est I'expriencepremire
- et continue
- de toute existence. Si de la position d'un
corps quelconque, doit ncessairement suivre quelque effet (et
selonI'affirmation absolue de la cause, des effets ayant une
ncessitinterne), on peut dire aussi que poser I'existence d'un
corps quelconquec'est ncessairement poser, avec lui, une infinit
d'autres corps qui font la fois immdiatement obstacle ce
dveloppement autonome et, s'ilsne l'liminent pas tout fait, lui
imposent, de I'extrieur (et en partie),les chemins ncessaires de
son expression:
l.IJt ergo nullius finis ,aur) ,rirtit, nullius etiamfinis causa
agir; sed utexistendi, sic & agendi principium, vel finem habet
nullum, E. lY, prface, A. lllp.218, P. p.488, G. lI pp.2o6-207.
2. , E. I,df.2.
4. E. t, df. 7.5. E. V, 42.
TNFTNITUDE E-r srnnrcm
Quant au Dsir, il est I'essence mme de chacun, ou sa nature,
entant qu'il est conu comme dtermin faire quelque chose par
saconstitution telle qu'elle est donne (Scolie dela Prop.9) ; ds
lorsdonc que chacun est affect par des causes extrieures de telle
outelle espce de Joie, de Tristesse, d'Amour, de Haine,
c'est--direds lors que sa nature est constitue de telle faon ou de
telle autre,son Dsir sera ncessairement tel ou tel, et la nature
d'un Dsirdiffrera de celle d'un autre Dsir autant que les
affections d'o ilsnaissent diffrent entre ellesr.
Le Dsir est certes productivit, mais celle-ci ne peut se
compren-dre dans ses contenus spcifiques que selon le commerce2 que
le Corpsentretient avec le monde extrieur. C'est dire combien au
sein derapports de forces ncessairement dfavorables, I'autonomie
commeaffirmation absolue de la cause est un combat, et que nous ne
sommes,ds notre naissance, que de manire extrmement partielle la
cause dece qui arrive en nous et de ce que nous faisons3.
Si nous avons convoqu pour comprendre la premire
dfinitionleprincipe de causalit, la seconde dfinition de I'Ethique
enveloppe elleun principe de contradiction qui ne sera
explicitement affirm que dansla proposition 3 d'E.IVa ; au sein de
la Nature nature, la contradictionest le signe de la finitude de
I'existence modale: >.Le conatus d'unechose quelconque
enveloppant une pure affirmation, cette chose nepourra tre dtruite
(dans sa constitution extrinsque) que par unecause extrieures. Par
dfinition, 6, mais au contraire toute chose est, paressence,
-
15t4 INTRODUCTION
C'est tout d'abord du point de vue de cette dynamique de
larsistance-active du conatus un crasement total par des
forcesextrieures plus puissantes, que I'affirmation de I'existence
se ditstratgie. A la racine de toute existence il y a la rsistance.
Rsistance etstratgie suivent ncessairement de l'essence mme de
chaque treexistant comme il en < suit ncessairement ce qui sert
sa conserva-tion >r. L'ide de stratgie enveloppe en effet celle
d'action causaletotale et pour chaque constus
- et I'on peut dire chaque instant de
l'existence -
I'enjeu essentiel de la vie ou de la mort du mode existant.En
dehors de toute finalit interne, la thse d'une stratgie dt
conatuss'inscrit donc sur le plan immanent et causal, intgralement
intelligi-ble, du rationalisme absolu. Puissance singulire
d'affirmation et dersistance, le conatus spinoziste est une
pratique stratgique de dcisiondes problmes et de leur rsolution2.
La notion de stratgie, issue dudomaine de la guerre3, ne sera pas
employe par nous de maniremtaphorique. La condition des corps
- de manire plus pressante
encore que celle des socits -
est une condition de guerre totale etaucun n'chappera finalement
la mort:
Il n'est donn dans la Nature aucune chose singulire qu'il
n'ensoit donn une autre plus puissante et plus forte. Mais, si une
chosequelconque est donne, une autre plus puissante, par laquelle
lapremire peut tre dtruite, est donne4.
C'est pour cela que le danger est la structure permanente
del'existant ou du mode fini. Agir, c'est mettre sa vie en pril 5 ;
et on nepeut pas ne pas agir, car notre tre est action.
1. E. III, 9 sc.2.Parce qu'elle s'taye sur la ralit de I'activit
des choses finies dans leurs
articulations rciproques, I'hypothse d'une stratgie des conatus
est I'opposd'une interprtation des dterminations extrinsques entre
modes,thse qu'on peut lire par exemple chez G. Htan, Ic Dieu de
Spinoza, Alcan, Paris1914 pp. 122-123.
3.La notion (du grec stratgos, chefd'arme) se trouve chez
Aristote ( dans Ethique Nicomaque I, ch. I, 3), mais - bienque le
terme de stratgie n'existt pas encore
- c'est avec Machiavel que nat
vritablement une pense stratgique comme thorie de la guerre,
naturelle etncessaire, afin d'assurer la survie de I'Etat: cf.
>, commeralit d'une vraie ide, rpond de manire ajuste au problme
posdans le rel partir de ce qui nous arrive ( savoir I'affection,
objet deI'ide par laquelle ce corps est affirm et le problme pos) ;
elleenveloppe une position stratgique de puissance (de penser et
d'action),et par consquent de matrise des problmes. Elle est le
mouvementmme de notre plnitude par lequel le mode conquiert son
autonomie:< Un affect qui est une passion, cesse d'tre une
passion, sitt que nousen formons une ide claire et distincte
>>2 : c'est le chemin de lalibration.
l. E.ll, dfinition 5.2. 8. V. 3.
-
l7*'tr&*
tul*1.-{
l6 INTRODUCTION
Chaque vraie ide (comme ide adquate) sera donc toujours
unevictoire contre la violence de la non-pense d'une < poque
>>, et c'estde manire rvolutionnaire qu'elle s'actualisera
selon le mouvementrel de la constitution dynamique du Rel, par la
cration d'un nouvelespace-temps immanent la pense elle-mme et
nouveau de touteternit. C'est dans et pour une telle entreprise de
libration de lapense et des corps, que Spinoza labore une stratgie
dans la continuit relle de la stratgiespontane de I'affirmation des
corpsr. Mais aussi en partie contre sesformes extrinsques
d'actualisation qui, laisses leurs propresmcanismes imaginaires,
ont conduit les hommes devenir insup-portables les uns aux autres2,
envieux et haineux3. C'est sur le constatd'chec d'une logique
spontane du conatus, en rgime d'htronomie,qui favorise le
dploiement quasi autonome de la violence, qu'unestratgie
rationnelle s'impose comme une ncessit vitale. Le modlemathmatique
devient alors une arme pour dfricher ces nouveauxespaces de
I'affirmation de la pense et de la vie d'abord touffes parles
prjugs et les superstitions, mais aussi opprimes et exploites
parles tyrans. Car I'obstacle, dans la vie commune, est devenu
adversit, etle combat, politique.
Mais Spinoza ne quitte-pas le terrain mtaphysique -
ouontologique, ses impratifs, ses questions et ses problmes.
Tant dans ledomaine politique que dans le domaine thique, c'est du
point de vue del'affirmation absolue de la cause (mouvement rel qui
dfinit la causasai) qu'il faut comprendre I'essence mme de la
stratgie
- ou son
lgtut ontologique.I Lu stratgie politique spinoziste s'appuie,
dans le rel, sur unefthorie de la stratgie immanente du corps
collectif lui-mme - ou dulconatus-politique - conu comme <
multitude >, ou plus prcisment,f .< puissance de la
multitude>. Or celle-ci, comme le corps individuel,Itend, de
manire strictement causale, I'affirmation de son droit. Cette
aptitude d'une socit I'affirmationlabsolument absolue de sa
puissance, Spinoza la nomme dmocratie. Etlc'est aussi en ce mme
sens, celui du mouvement rel de la productionlautonome du rel, que
la dmocratie est I'ide adquate (comme ide[, absolue > et <
parfaite >) de la socit humaine.I
l. E. IV, 18 scolie et 24.2. E. III, 55 sc.3. E. III. 3l sc.
INFTNTTUDE ET srnnrcm
Comme la sagesse pour le corps individuel, la dmocratie est,
poiille corps social, le mouvement rel de la vie dans son
affirmation par Ilequel s'abolit effectivement l'tat d'impuissance
et de servitude de Il'tre-donn. C'est aussi le combat de Spinoza
qui, sur la base d'unsavoir vrai, participe la construction des
conditions objectives de cemouvement librateur.
Ainsi, I'inverse de Platon qui, aprs l'chec de la
dmocratieathnienne, avait construit une philosophie politique sur
la forclusionde la puissance politique du peuple, Spinoza, aprs
l'chec de la libreRpublique des Provinces Unies (1672) et malgr la
fureur populairequi I'a abattue
- et qu'il a violemment condamne, Ultimi
barbarorum | -
sera-t-il le premier philosophe, aprs Machiavel peut-tre, ne pas
crire une nouvelle Weltanschaur.rng politique ,contre le mouvement
rel des < masses>, mais inscrire sa rflexiondans le mouvement
mme de l'affirmation absolue de I'existence de lamuhitudinis
potentia r. Inscription la fois historique et ontologiquedj
entreprise dans le Trait Thologico-Politique et que le
TraitPolitique va radicaliser. Nous verrons ainsi combien, ds le
T.T.P.,crit (de 1666-67 1670) au cceur mme de l'laboration de
l'Ethique(1662 1675), le concept def'rsistancd devient
politiquement etph i I osoph i q uement opratoi re ;'b ar
c-9$-ull-actyi!-*{e
-l-a 1s,istanceele !, plg.szsyalayLl a con stitution de la
souveraineJi p-opul uitq:l$S-qu"-L'rrn." ae ra citoyennet ei
d1'Tstilffit-i d u4le"pLss"po[ffiE1j+-tlAbn pluq directement une
spculation sur le meilleurd"'_(etryr :
e-!19.-s3llr!9_-4_g!:19*"_p_1111p_-Lbqr"l"- 9_e,
lc,stre!ei*dU,":lry$ corps ollectif en sgn plgqrlel
dlauto-organisatioi
{< absolue >,
L Sur le
-
CHAPITRE PREMIER
LA LOGIQUE STRATCIQUB DTJ CONATUSSPINOZISTE: LES T.q.PBS DE LA
CONSTITUTION
D'UN MONDE
l) L'Habitude, activit cortstituante de l'existence
actuellePlaton dans le Time (37 b sq.) inscrivait la cration du
Temps aux
fondements mme de I'organisation du Monde. Ne faut-il
pasreconnatre aussi au conatus spinoziste cette fonction dmiurgique
dansI'organisation de son monde, celui de sa propre persvrance ?
C'est eneffet partir d'une interrogation sur la constitution du
temps, querennoys par Spinoza de I'exemple du scolie dela
proposition 44d'Ethique IIla proposition l8 du mme livre, nous
sommes naturel-lement conduits dcouvrir I'importance fondamentale
d'une activitde composition propre a conatl,s du corps - ou au
corps lui-mme entant quit fait effort pour persvrer en son tre.
S',ouvre ici le domainede I'Habitude et des mcanismes associatifs
aux fondements mme de laMmoire sans laquelle, Spinoza le souligne,
I'Ame serait impuissanter'
Nul ne doute d'ailleurs, affirme Spinoza, que nous
n'imaginionsaussi le temps, et cela parce que nous imaginons des
corps semouvant les uns plus lentement ou plus vite que les autres,
ou avecune vitesse gale2.
Imaginer le temps, c'est I'imaginer la fois comme nous tant
ext-rieur et indpendant et d'autre part comme nous tant prsent,
selon ladfinition mme de l'attitude imaginative3. C'est donc
objectiver
l.E.lll.2 sc.2. E. ll. 44 sc.3.E. II, 17 sc.
-
20 LALocIQUESTRATGIQUEDU CINATUS
absolument un mode de penser qui n'a de ralit ncessaire que dans
laconfrontation (relative) de I'homme et de la nature. Cependant
cetteextriorit et cette prsence n'ont de sens que par la prsence
(ima-gine) de choses co-existantes ; car le temps n'a de ralit que
par larelation que I'Ame qui imagine tablit entre des corps en
mouvement:
Pour dterminer la dure, nous la comparons la dure des chosesqui
ont un mouvement invariable et dtermin et cette comparai-son
s'appelle le temps. Ainsi le temps n'est pas une affection
deschoses mais seulement un simple mode de penser, ou, comme
nousI'avons dit dj, un tre de Raison. On doit noter ici (...) que
ladure est conue comme plus grande et plus petite, commecompose de
parties, et enfin qu'elle est un attribut de I'existence,mais non
de I'essence I.
Cela signifie-t-il que le temps nat de la comparaison entre deux
ouplusieurs corps suivant le seul critre de la vitesse ? Nous
dterminonscertes < la dure par la mesure du mouvement, opration
qui se faitelle-mme I'aide de I'imagination >>2 ; pourtant il
ne faut pas concluretrop vite. Ce travail de comparaison qui est dj
celui d'une mecapable de diffrencier des corps, de penser des
rapports voire desproportions mathmatiques (celles du plus grand,
du plus petit ou del'gal) n'est que I'aboutissement d'un processus
complexe et hirar-chis qui s'origine dans une aptitude spcifique du
corps la liaison deses propres affections. Il semblerait certes, au
premier abord, que lecorps soit soumis des rencontres3,
contrairement I'entendement qui peut < diriger et enchaner nos
perceptions claires etdistinctes > selon l'ordre ncessaire de la
Nature. Mais le corps n'estcependant pas totalement passif. En
effet, condamn la disparit deses affections, le corps dans son
effort pour persvrer dans son tre,tablit des liaisons, forme des
agencements, des continuits, des units.C'est la fonction de
I'Habitude que le scolie d'Ethique II,18 nousprsente comme le
fondement mme de la Mmoire.
L'exemple du scolie d'Ethique II, 44 sur la gense du temps
faitrfrence en effet Ethique II, 18 dont le scolie fonde la
dfinition dela Mmoire dans le mcanisme associatif de I'Habitude. La
propositionelle-mme affirmait:
l.C.M. I, 4, G.I, p.244, A.l p. 350, P. p.258.2.T.1.8. 83 nore,
G.II p.31, A.I p.209, P. p. 131.3.8p.37 J. Bouwmeester, G.IV p.
188, A.IV p.251,P.p. 1194.
L'HABITUDE, ACTIVIT CONSTITUANTE DE L'EXISTENCE 2I
Si le Corps humain a t affect une fois par deux ou
plusieurscorps simultanment, sitt que I'Ame imaginera plus tard
I'undeux, il lui souviendra aussi des autres.
Or I'exemple que donne Ethique lI, 44 scolie n'illustre
pasdirectement cette proposition :
Supposons maintenant un enfant qui hier une premire fois aura
vule matin Piene, midi Paul, et le soir Simon, et aujourd'hui
denouveau a vu Pierre le matin. Il est vident, par la proposition
18que, sitt qu'il voit la lumire du matin, il imaginera le
soleilparcourant la mme partie du ciel qu'il aura vue la veille ;
en'autres termes, il imaginera le jour entier et Pierre avec le
matin,Paul midi et Simon avec le soir, c'est--dire qu'il
imagineraI'existence de Paul et de Simon avec une relation au temps
futur ;au contraire, s'il voit Simon le soir, il rapportera Paul et
Pierre autemps pass, les imaginant en mme temps que le pass; et
cetteimagintion sera constante d'autant plus qu'il les aura vus
plussouvent dans le mme ordre'
Remarquons : premirement, que la proposition 18 se fonde surune
image de corps simultanment perus alors que l'exemple portesur une
Juccession de trois squences d'vnements simultans (deuxpar deux) ',
d'autre part, qe c'est ds I'instant o I'enfant voit laiumire du
matin que I'image elle-mme instantane du < jour
entier>>pass se re-prsente en son Ame, et que c'est partir de
ce prsent re-prsent qu'il reconstitue dans leur indpendance, leur
p.opr", et d'une certaine manire aussi leur , voire leur
" diversit >> ou leur >, l'< ordre >> des
diffrents
moments de la joume et ses diffrents vnementsr.En fait, si
Spinoza fait appel Ethique II, 18 pour fonder son
exemple, c'est bien parce que les vnements successifs de la
veille sontmainienant, chez I'enfant, contemporaniss dans un mme
temps,prsent lui-mme, continu et homogne; le pass comme
I'avenirn't*t que des dimensions internes ce prsent qui passe.
Commcntcette imge totale du > pass, partir de laquelle
I'enfantva rflchir un avenir ou reproduire un pass, s'est-elle
constitue enson Ame ? Tout commence par le Corps dans
I'Habitude.
Soit les vnements A (matin), B (midi)' C (soir) et les
vnementsA' (apparition de Pierre), B' (apparition de Paul) et C'
(apparition de
l.Sur les notions d'unit, d'opposition etc... C.M.I' 5 et 6 (G'I
pp' 245-246, A. I pp. 350-351, P. pp. 259-60-61).
-
#fffii*u]1.,
.;
22 LA LOCIQUE STRATGIQUE DU CONATUS
Simon) ; concevons, comme le suggre le rcit de I'exemple,
cesvnements comme indpendants les uns des autres, aussi bien
dansleur propre srie (A, B, C ou A', B', C') que dans leur
simultanit (A-A" B-8" C-C';,.
Soit les squences A-A', B-B', C-C', qui sont rptes au regard
deI'enfant deux ou plusieurs fois. Ds Ia seconde fois et le premier
signede rptition (l'apparition du soleil),
1) I'enfant va attendre la rptition globale et identique
dessquences A-A', B-B', C-C', la fois dans la simultanit des
images(Pierre avec le matin, Paul midi et Simon le soir), et danS
leursuccession (Paul aprs Piene et avant Simon),
2) I'enfant va, du fait mme de cette attente, reconnatre,
sanssurprise ni tonnement, les diffrents vnements de la journe
(c'est lematin et voil Pierre... voil midi et c'est Paul... c'est
le soir, salutSimon...).
Attente et recognition dfinissent ici les deux niveaux du
processusqui conduit la construction du temps. Tant I'attente que
la recognitionimpliquent cependant un savoir pralable qui se dfinit
la fois commehabitude (dans I'attente) et d'une certaine manire dj
comme raisonhumaine dans la recognition. On peut ainsi dire que
cette situation derptition (le droulement de la seconde journe) qui
ne modifie enrien les choses elles-mmes, prsuppose pourtant un
changement chezI'enfant qui y assiste. Ds le premier signe de
rptition A, I'enfants'attend A' et aux squences de la veille, B-B'
puis C-C' et cela, ditSpinoza, < dans le mme ordre >>2.
L'enfant a donc d interprter lesigne comme le premier lment d'un
tout qui va de nouveau sedployer selon sa continuit homogne, et ce
malgr la disparit apriori de ses lments. Comment cela est-il
possible sinon parce quedj, ds la premire journe I'enfant a
contract en un mme tempstous les lments de sa perception ? Ce n'est
pas la rptition qui
I . En fait cette indpendance n'est elle-mme que le produit
d'une dissociationde ce que nous devons supposer tout d'abord comme
un agencement o tout estassoci tout, du fait mme de I'activit de
liaison des corps, consubstantielle deleur existence. Pour la pense
cependant, ce toujours-dj-li suppose nces-sairement une activit de
liaison qui porte sur des lments a priori indpendantsmme si ces
lments, comme leur indpendance, n'ont (comme c'est le cas pourles
corps simples), qu'une existence toute thorique ou abstraite.
L'activit deliaison du corps n'en est pas pour autant moins relle;
ni le procs de dissociationqui, sur la base du toujours-dj-li de
I'Habitude permettra, dans un second temps(celui de la mmoire et de
Ia rflexion), la distinction des vnements.
2. E.II,44 sc.
L'HABITUDE. ACTIVIT CONSTITUANTE DE L'EXISTENCE 23
modifie I'enfant; elle ne fait qu'actualiser la modification
produite enson corps et par son corps, ds la premire journe : A-A',
B-B' et C-C' sont fusionns dans une < mme >> impression
continue, mme s'ilsn'apparaissent pas simultanment mais
successivement.
Dans le scolie d' Ethique II, I 8 il pouvait encore sembler que
I'Amequi se souvient ne fait que rpter passivement une contigut
enapparence relle d'vnements simultans, en passant du souvenir
del'un au souvenir de I'autre qui lui tait contigu dans la
ralitextrieure d'une situation objective donne. L'association, en
ce cas,pouvait n'tre comprise que comme la simple impression
passived'associations existant dj dans la ralit et se renforant en
nous depar leur rptition. Le scolie d'Ethique II, 44 au contraire,
en posantdes vnements indpendants non simultans, et en se rfrant
Ethique II, 18, souligne bien la ncessit de comprendre
I'associationdes images comme une vritable activit organisatrice du
Corps dansson effort d'individuation pour persvrer en son tre. L'
depassage de Pierre, Paul et Simon n'existe que pour et par le
corps deI'enfant qui I'imagine, c'est--dire par le double mcanisme
decontraction tout d' abord, qu'opre I'Habitude, d'affections
simultanesou successives, et de reconstitution rflexive des
vnements par lammoire et la raison humaine. Il les associe en un
mme temps, c'est--dire qu'il les joint dans un mme bloc de dure, un
mme individu, unemme totalit homogne, partir de laquelle s'exercent
la mmoire etla raison humaine. Il faut donc reconnatre au Corps une
puissance decomposition ou de combinaison, et cette puissance est
celle del'Habitude. Cet enchanement qui est la fondation mme du
processusde mmorisation et de remmorisation est aussi constitutif
du tempscomme < dure continue>r et homogne, variation des
tats du corpsautant que sa nature, c'est--dire son rapport
spcifique de mouvementet de repos, le permet2.
Or, si cette connexion se fait tout d'abord dans le corps
affect,constituant < un ordre et un enchanement des affections
,t 3 -composition individuante qui exprime la fois la nature du
corpsaffect et celle des corps extrieurs - c'est aussi dans I'Ame
quicontemple travers les liaisons des images du corps, les
corpsextrieurs comme lui tant prsentsa, que se contracte
I'habitude. La
1.T.1.8. 83, G.II p.31, A.I p.209, P.p.132.2.8.Y,39 sc.3. E. II,
l8 sc.4. E. Il, l7 sc.
-
,i.:+l:!Flis+:
&:',,,i:.
24 LALocleuEsrRArcreuEDU coNArusmmoire, dit Spinoza, n'est qu'un
. N'enchanant pas les choses suivant saseule puissance (celle de
I'entendement), I'Ame contemplative, quicontracte I'habitude selon
les enchanements des affections du corps,est donc une Ame
essentiellement passiver ;
Nous connaissons clairement par l ce qu'est la Mmoire. Elle
n'estrien d'autre en effet qu'un certain enchanement d'ides,
envelop-pant la nature de choses extrieures au Corps humain, qui se
faitsuivant I'ordre et I'enchanement des affections de ce Corps.
Jedis: l) que c'est un enchanement de ces ides seulement
quienveloppent la nature de choses extrieures au Corps humain,
nond'ides qui expliquent la nature de ces mmes choses, car ce
sont,en ralit (Prop. 16), des ides des affections du Corps
humain,lesquelles enveloppent la fois sa nature propre et celle des
corpsextrieurs. Je dis: 2) que cet enchanement se fait suivant
I'ordre etI'enchanement des affections du Corps humain pour le
distinguerde I'enchanement d'ides qui se fait suivant I'ordre de
I'enten-dement, enchanement en vertu duquel I'Ame peroit les
chosespar leurs premires causes et qui est le mme dans tous les
hommes.Nous connaissons clairement par l pourquoi I'Ame, de la
pensed'une chose, passe aussitt la pense d'une autre qui n'a
aucuneressemblance avec la premire, comme par exemple un Romain,
dela pense du mot pomum, passera aussitt la pense d'un fruit quin'a
aucune ressemblance avec ce son articul, n'y ayant rien decommun
entre ces choses, sinon que le Corps de ce Romain a tsouvent affect
par les deux, c'est--dire que le mme homme asouvent entendu le mot
pomum, tandis qu'il voyait le fruit, et ainsichacun passera d'une
pense une autre, suivant que I'habitude aen chacun ordonn dans le
corps les images des choses2.
L'Habitude, devons-nous encore une fois le rappeler, n'tant
pasici, malgr I'apparence, le comportement acquis dans la
rptitiond'une mme exprience (par laquelle se contractent en nous
deshabitudes), mais I'aptitude (ou la puissance spontane) du Corps
lier,ds la premire exprience, deux ou plusieurs affections,
qu'elles
t. E. IJr, df. 2.2.... prout rerum imagines uniuscujusque
consuetudo in corpore ordinavit, E.
II, l8 sc., G.II pp. 106-107.
L'HABITUDE,ACTIVITCONSTITUANTEDEL'EXISTENCE 25
soient simultanes ou successivesr. Cette puissance, c'est
I'effort mmeque le corps fait pour persvrer dans son tre, le signe
de sa capacitintrinsque d'autonomie, mme si, infiniment dpass par
la puissancedes causes extrieures, son mcanisme d'association des
images, < loiqui suit ncessairement de la nature humaine
>>2, est en rgimed'htronomie (bien qu'encore au service de la
persvrance).
Mais on doit supposer qu'un corps suprieur en puissance
puisseenchaner ses affections actives, non plus suivant un ordre
contingent,mais selon la ncessit mme que peroit I'entendement,
comme nous yinvitent les propositions 10 (dm. et sc.) et 39 ( dm.
et sc') d'EthiqueV ; et dj ds la partie Il, le scolie de la prop. I
3 qui relie la puissanceautonome du corps et la puissance de
comprendre de I'esprit : < plus lesactions d'un Corps dpendent
de lui seul (...) plus I'Ame de ce Corpsest apte connatre
distinctement >. Ce cas est celui d'une affirmationpleine et
entire de la vie, corrlative d'un effacement de la
mort3'Inversement, on peut aussi supposer que la tendance au
suicide doits'expliquer par le quasi total rgime d'htronomie des
associationsindividuantes auquel conduit la chute continue de la
puissance d'agir:associations trs majoritairement ngatives (les
associations indivi-duantes deviennent incompatibles avec la
persvrance de I'individuactuel lui-mme) qui prcipitent la chute,
qui elle-mme favorise desassociations plus nuisibles encore...
jusqu' la morta. La morts'insinuerait ainsi en nous par les mmes
voies que la vie empruntepour se perptuer: I'Habitude et ses
associations individuantes, loi quisuit ncessairement de notre
nature. La chute de cette puissance d'agirpeut, par ailleurs,
entraner Ia limite, le blocage mme du processusd'association qui
est, en lui-mme, une puissance. En ce cas, l'me d'uncorps puis,
cras par les forces extrieures, impuissante raliserde nouvelles
contractions, contemple dans le procs de dissolution du
l.Pour la successiott, cf. E. II, 44 sc.etlasimultanit E. II'
18. En lisantEthique ll, 18 dm. et sc., ou 11,44 coroll. I et sc..
on ne peut pas ne pas penseraux dveloppements ultrieurs que ces
questions trouveront, dans les mmes mots,chez D. Hme. C'est ce que
remarque dj Robert Misrahi dans Le Dsir et laRflexion dans la
philosophie de Spinoza (Gordon et Breach 1972 pp. I I 3 sq')'
envoyant I'apport original de Spinoza dans I'unit de sa critique du
mot, de I'habitudeet e t'imgination-. pour un confrontation
systmatique de Spinoza et de_Hume,cf. le gran ouvrage de Gilbert
Boss Ia dffirence des philosophies: Hume etSpinoza, d. du Grand
Midi, Zurich, 2 vol. 1982.
2.T.T.P.IV, G. III p.58, A. II p.85' P. p.666.3. E. V, 38 dm. et
sc.4.E.[V.18 sc. l 20 sc.
-
26 LALoGIQUESTRATGIQUEDU CINATUScorps I'image fixe de son
dsespoir, c'est--dire sa tristesse dfinitiver.c'est pourtant un
postulat fondamental du spinozisme que d'affirmerqu'il <
n'existe rien qui cherche par sa propre nature sa propredestruction
>2 et qu'ainsi, jamais I'homme ne peut dsirer .nori.-outre
triste, et que tout son effort essentiel est deisister la
dpressionet la tristesse3, mme si cet effort est le plus souvent
vaincu. Il fautdonc tenir le suicide pour un effondrement du Dsir
et non pour unedes voies que le dsir, en tant que tel, mme au plus
haut poiniperverti,pourrait emprunter: la mort n'est jamais dsire
pour ell-mme.
Dans I'impuissance ordinaire, incapable de percevoir les
affectionsde son corps selon l'ordre de leur ncessit, c'est donc
travers laliaison contingente des affections, opre par son propre
corps, quel'me qui imagine contracte des habitudes et peut, aprs
coup,-sur cetacquis, se remmorer le pass ou anticiper I'avenir.
L'agencment deI'Habitude se fait donc dans I'esprit qui contemple
et non par lui, mmes'il faut supposer que I'activit du corps est
aussi d;une certainemanire activit de I'esprit qui en est I'idea,
c'est--dire, activit-passive d'une me presque totalement rgie par
des causes extrieures.
cet agencement n'en ralise pas moins une premire constitutiondu
temps, celle de la dure vcue, des > du corps une plusou
-moins grande puissance d'agir, une plus ou moins
grandeperfection. Il s'agit aussi en fait de la constitution, dans
l'e, dusentiment de la continuit de son existence, c'es-dire de
I'existencemme de son corpss. Ainsi, considrant que les tats
(constitutio) ducorps sont toujours-dj en partie le produit de ses
propres liaisonsdans sa confrontation au monde, on peut en dduire
qu ctte premireconstitution du temps donne I'existence humaine (non
en imagi_nation
- comme re-prsentation
-6 mais dans la prsentation vcue desvariations de puissance du
corps propre), le sol existentiel, continu ethomogne, sur lequel et
par lequel se dploie l,effort pour persvreren notre tre. Les Penses
Mtaphysiques soulignaient dj I'identitrelle de I'existence actuelle
et de la dure: la dure,
l. E. In, df. des Affects 15.2. K.V. il, ch. XV[, 4. G.I p. 86,
A.I p. t28, p. p.70.3. E.lll,37 dm.4.8.Iil,28 dm.5. E.ll, df. 5 et
II, I 3 corollaire: Hinc sequitur hominem Mente, & Corpore
constare Corpus hunanu,n, prout ipsunt sentimus, existere ._
6 9.ry. I 4, c. I p.244, A.I p.50, p. p.258; T.t.E. 83 note,
G.II p. 31,A.I p.209, P. p. l3l ; Ep. t2, G.IV p.57, A.IV p. 159,
p. p. 1098; et-E. II,44 sc.
L'HABITUDE. Acrlvtr coNsrlruANTE DE L'EXISTENcE 27
est I'attribut sous lequel nous concevons I'existence des
chosescres en tant qu'elles persvrenl dans leur existence
actuelle.D'o il suit clairement qu'entre la dure et I'existence
totale d'unechose quelconque il n'y a qu'une distinction de Raison
r'
Sans la dure, lie dans le corps et contracte dans l'me,
I'essenceternelle ne serait pas , c'est--dire temporalit vcue,
exis-tence continue. C'st donc I'Habitude qui assure la continuit
vcue denotre tre. L'Habitude en instituant dans le prsent vcu de
ses contrac-tions, un pass retenu et un futur attendu, fait du
temps la substanc,emme de notre existence: temps vcu de la dure de
nos affects ou denos affects eux-mmes comme dures, >s. Pourtant,
la dure deI'Hbitude est bien une ralit laquelle Spinoza consacre
unedfinition|.Laralit existentielle est temporelle et c'est dans le
tempsqo" nour pouvons faire I'exprience de notre ternit lorsque
Iacontinuit xistentielle de nos affections actives, s'exprime selon
lamme ncessit que I'ordre de leur connaissance dans
I'entendement'Encore faut-il que le corps, comme I'esprit qui en
est I'ide,
_soientparvenus uneictualit ffective de I'affirmation absolue de
I'exis-irn"" ; c'est--dire la quasi-autonomie qui permet au corps
de lier sesaffections suivant la ncessit intrinsque de sa propre
affirmation, soitselon le mouvement rel et substantiel de sa
production. Dans cetteaffirmation, il n,y a pas vanouissement mais
mutation du temps, deson sens et de sa valeur. Celuici n'est plus
signe de finitude soumettant
t.C.M. I, 4, G.I p.244, A.I p.349' P.p'258'2. E.l[, df . des
Affects 3, explication'3. C.M. r,4.4.Emile Brehier, Etudes de
philosophie antique, Paris, P'U'F' 1955 p'291 '
B.Rousset remarque que ' La penpectiveft)"iiii f frnique et le
pr6b^" de la cohrnce du spinozisme, Paris, Vrin 1968,n.74 note 33.'
5.Martial Gueroult' Spinoza, L'Ame,Paris-Aubiet 1974' p'231'
6. E. tr, df. s.
r#s'fili'
".$'ilt
.f,',i!nl,,.!:
-
28 LA LoGIQUE STRATGIQUE D IJ CINATIJS
l'tre humain un ordre qui rui serait extrieur (et qui n'tait
queI'objectivation ncessaire d,une apparence); il n,"rt plu, non
piu,, subordonn au mouvement ds choses veclesquelles l'tre humain
entrait en relationr. Libr des contenusempiriques et relationnels,
le temps est la dure mme de la substancedans ses affections, il est
dure de l'ternit.
Ainsi, dans le troisime genre de connaissance, le temps vcu
estcelui du mouvement rel et absolu de la productivit de la Nature.
Ence-sens le temps n'est plus temporel mais ternel, pur mouvement
de Iasubstance, changement qui ne change pas. Il est l-'tre mme
(essencesingulire) dans son affirmation absolue et parfaite. La
maniie de sesentir ternel (ou le sentiment de l'ternit)test ainsi
la sensibilit laforme ou la manire mme (au mode) dont nous sommes
produits etdont nous nous auto-produisons, soit le sentiment de
l'essence singu-lire ou de notre puissance
- comme productivit de la substancein
acte -
qui n'est rien d'autre que le < mode certain et dtermin>
parlequel nous sommes et persvrons dans notre tre3. L'affect
atif(sentiment de l'ternit) ne se dfinissant plus par
I'augmentation de lapuissance d'agir, c'est--dire un passage vcu
d'un tat de moindreperfection du corps un autre plus grand, mais
par la plnitude del'existence dans son affrmation absolue. Le
sentiment e l'ternit,sentiment de la pure forme du temps, comme tre
mme dans sonaffirmation, nat de l'exprience vcue de cette dure
infinie (infinie depar l'affirmation absolue de I'existence du
corps qu'elle exprime)aqu'enveloppent les affections actives.
L'aptitud du corps a iier ssaffections investie par la puissance
absolument infinie de la substance,dveloppe la continuit
existentielle d'une pure ncessit du temps,dure indivisible de la
substance en actes. L temps comme ncesiitintrinsque et ternelle de
la Nature, esr la dure mme, indivisible etvcue de I'existence du
troisime genre. Si, dans cette sagesse, tout cequi se rapporte la
Mmoire et I'Imagination ett pr"squi insignifiantrelativement
l'enrendements, l'Habitude, comme aptitude du-corps lier ses
affections, demeure cependant une activit fndamental". tt"est' en
acte, I'expression mme de son autonomie, de sa puissance
t. c.M. I, 4.2.At nihilominus senlimus experimurque, nos ternos
esse,E.y,23 sc.3. E.1,25 coroll. et36 dm.;II, lO coroll.4. E'. I, 8
sc. l.5. E. V, 39 sc.
#Fri-i
L'HABITUDE, Acrlvn coNsTITUANTE DE L'EXISTENCE 29
affirmative, et en tout corps humain, quel que soit son tat,la
promessed'une grande sant.
C'est en effet ds sa naissance, en tant qu'tre organique
(premirefigure du Dsir), que le corps, malgr son impuissance' fait
effort pourlier ses affections et, d'une certaine manire - selon
une logiquestratgique minimale de rsistance-active - pour
auto-organiser lemonde de sa persvrance. L'agencement de I'Habitude
s'exprimentedonc tout d'abord dans I'organique qui est production
mme du Dsirdans son affirmation primaire; r, et les choses utiles
sont >2. Le corps, comme tre-de-besoin, est corps en attente
d'aliments qui conviennent avec sa nature,tendu vers le futur
(dsir) de I'assouvissement:
Par bien, dit Spinoza, j'entends ici tout genre de Joie et tout
ce qui,en outre, y mne, et principalement ce qui remplit I'attente,
quellequ'elle soit. Par mal, i'entends tout genre de Tristesse et
principa-lement ce qui frustre I'attente 3.
Il y a ncessairement toujours-dj attente dans la recherche
del'utile. Or il n'y a pas d'attente sans habitude. Dans le scolie
de laproposition 2 d'Ethique III, on peut lire que > du corps,
dont Spinoza nousdit qu'elles sont aux dcrets del'Ame. Il faut donc
affirmer que le corps ne pourrait rien faire s'iln'avait dj des
traces mnsiquesa partir desquelles se dtermine sonactions. On
n'attend donc jamais que ce qui a, d'une certaine manire,dj t
contract. Ainsi de l'existence elle-mme dans sa continuit,qu" t"
corps attend instant aprs instant dans l'nergie de sa perv9-rance.
Mais cette continuit de I'existence peut tre aussi bien celle
de
l.E.Iappendice, G. ll p.78, A. III p.61' P.p.347.2. E. IV ,
appendice ch. 27 .3. & prcipue id, quod desiderio, qualecunque
illud sit, satisfacit' Per malum
outr^ on, Tiistiti fenus, & prcipue id, quod desiderium
frusatur , E. lll, 39sc., (cf. aussi E. III, 36 sc. etlll, df. des
Aff.32).
4. E.II, 13 postulat 5 et ax. I et2 post lemme 3.5. Sur ce
tbujours-dj-l des traces ou des affections, cf. le libell de la
dmonstration du corollaire d'8.1I,17: ut inde alio modo
reJlectantur, quam anteasolebant. qu'Appuhn traduit:
-
30 LA LoGIQUESTRATGIQUE DU IINATUS
la dure spontanment vcue de I'Habitude que la dure indivisible
dece qui est ternel, lorsque le corps par sa puissance propre (sa
quasi-autonomie), enchane ses affections actives selon la mme
ncessit queI'ordre de leur connaissance dans I'entendement.
Hypothse qui, loind'exclure I'Habitude, en claire au contraire le
rle fondamental.Pourtant, si I'on peut affirmer qu'il n'y a pas
d'attente sans habitude etde corps sans attente (puisque le corps
est une mmoire), cela nouscondamne-t-il, mme dans la sagesse qui
suppose un corps suprieur enpuissancer, au caractre indpassable du
manque, de I'insatisfaction etdu regret ? Spinoza ne le conoit pas.
Le desiderium est, dans l'me, lesigne d'un appetitus qui, bien que
spar de ce qu'il peut, affirmepourtant toute la perfection et la
puissance dont il est capable parrapport aux affections venues
remplir I'aptitude tre affect qui luiest corrlative. Parce que
I'essence est puissance et que la tendance detout corps est, dans
le dploiement de sa force, tension vers I'autono-mie2, il faut
reconnatre au cceur mme du desiderium quelque chosede parfait, de
positif, d'actif qui, son stade suprme d'actualisationpourra
effacer le manque et I'insatisfaction3. La sagesse ne supprimerapas
I'attente mais elle l'inscrira dans un nouveau rgime de
quasi-autonomie de la liaison des affections actives suivant leur
proprencessit intrinsque. Au cur de la vie du sage (dans le corps
commedans la pense), c'est donc elle-mme que la vie avec confiance
attend,et cette attente est d'autant moins le signe d'une
impuissance, qu'elleest, dans le prsent, I'affirmation de la
continuit autonome et indivisi-ble de I'existence dans sa plnitude
et sa rptition cratrice indfinie.L'attente du sage est la tension
mme de I'existence (comme affirma-tion) et non une tension vers
I'existence (comme manque) ; elle estpuissance d'tre et non manque
d'tre, cupiditas etnon desiderium.Ende de la constitution d'un
ordre rflchi du temps, c'est une attentelibre de tout espoir, qui
s'identifie I'effort continu qui prolonge etamplifie le temps de la
prsence ; car ce temps est celui du a; il est le prsentmme de
l'ternit. L'attente qui anime le sage est donc une attente<
active>. Ainsi, au-del du paradoxe de I'expression et de la
significa-tion habituelle des notions, faut-il reconnatre dans la
tendance ducorps suprieur en puissance ne rpter que les affections
qui
1. E. II, 14; IV, 38,39 dm.; V, 39 sc.2. E. ll. 1 3 sc. et V,
39, 40.3. E. tV, 20.4. E. V,27 et dm.
L'HABITUDE. ACNVIT CONSTITUANTE DE L'EXISTENCE 31
augmentent sa puissance d'agir et qui procurent pour l'me de ta
joie,un nouveau rgime de I'attente qui se confond avec la dynamique
cons-titutive de l'tre lorsque celuici tend se raliser dans
I'adquation.
Or cette dynamique que nous reprons ici au cur mme du
corpssuprieur en puissance est, en fait
- mme entrave
- celle de tous les
corps. Car il est de la nature de tout corps de s'efforcer non
seulementde se conserver, mais aussi d'amplifier son tre le plus
loin qu'il peut.Et cette dynamique constitutive s'explique (et se
dveloppe), par lapuissance de I'Habitude.
D'une part, le corps se dfinit certes selon un certain
rapportspcifique de mouvement et de repos (correspondant son
essencesingulire) et corrlatif d'une aptitude tre affect et
affecter(conespondant cette mme essence comme degr de puissance) ;
maisd'autre part, ce rapport ou cette aptitude ne seraient que des
formesabstraites si I'Habitude ne venait, dans l'existence
actuelle, leurconstituer des contenus spcifiques. Or qu'est-ce que
l'Habitude sinonI'activit mme de cette aptitude tre affect qui
dfinit la nature d'uncorps
- ou encore le dynamisme du rapport de mouvement et de repos
subsumant des parties qui le composent ? La puissance de
l'Habitude lier les affections, c'est la puissance mme du Corps
corrlative de sonessence singulire. Et celle-ci, dans I'existence,
est selon les liaisons del'Habitude, constitutive d'un de
I'individu, qui indique donc tout d'abord leproduit historique
singulier de la contraction des affections particulires
d'un-corps'Le concept apparai explicitement en E. III, 3l sc.:
atque adeo videmus,unumquemque ex natura appetere ut reliqui ex
ipsius ingenio uivant' (G'-llp.16+). tvtais it est dj prsuppos dans
l'appen/jce-d'Et I, dans les.dispositions" propres du cerveau de
chacun, ou en E' II 17 sc. dans l' >partuler de cliaque corps.
C'est dans I'analyse politique quel'ingenium rvleratoute sa
richesse (cf. nos chapitres VIII et IX)'
- 32 LA LocreuE srRArcreuE DU IINATTJScorpsr et
-
35*
#*,*#swii;
ir'
34 LA LOGIQUE STRATGIQUE DU CONATUS
ainsi d'un affect de Joie. C'est--dire que nous nous efforons
toujoursde conserver ce qui nous est apparu et convenant
notrenature. Et sans doute, en premier lieu, ce qui a satisfait
notre Corpst.C'est donc un rinvestissement de l'image de I'objet
qui a procur lasatisfaction que nous nous efforons, et cet effort
dfinit la Mmoire.
Corrlativement, nous rsistons I'oubli inluctable, sous
lapression des images du prsent qui excluent les images du pass,
del'image accompagne de Joie. Cet effort est rsistance
l'extinctiond'un affect joyeux, c'est--dire rsistance la Tristesse
et tendance ractiver I'intensit de l'image favorable > une
ralit, oud'autres images, qui nous sont prsent nuisibles. Il s'agit
doncd'oublier, de refouler la reprsentation nuisible, au profit
d'une autre,investie d'un affect joyeux2.
Apparat ainsi un critre objectif d'explication la
rptition,vritable principe de plaisir selon lequel le Corps dsirant
persvredans I'affect de Joie et les conditions qui s'y rattachent
et s'efforced'carter tout ce qui, dans le prsent, est cause de
Tristesse3. C'est danscette stratgie qui n'est plus simplement de
conservation mais tendance la rptition joyeuse, que la Mmoire prend
valeur, la fois dematrice (condition de possibilit), de moyen, mais
aussi d'arme pour laJoie contre la 'fristesse. La Joie comme la
Tristesse sont donc lespremires donnes stratgiques qui orientent le
dynamisme dtJ conatus.
Mais ces orientations ne sont pas sans danger, en ce
qu'ellesrabattent le dsir sur le plaisir, et par l mme inscrivent
en lui un
l.K.V.ll, ch. XVII,4.2. E. nI,28.3.Principe de plaisir: cette
notion que nous transfrons du freudisme la
philosophie de Spinoza s'en trouve modifie de par son transfert
mme. Ladiffrence essentielle qu'il faut signaler c'est que chez
Freud le principe de plaisirest soumis un principe de I'homme dans
I'allgresse ou seulement une partie de lui-mme dans le
chatouillement, s'il est effectivement un mme de toutes nosactions,
et si son ide est pose par la conscience comme fin, il n'en estpas
moins paradoxalement.- en tant mme que principe de rptition -la
consquence d'une liaison opre par le Corps, soit d'une
Habitude.C'est dans et par les associations en tant que telles,
c'est--dire en tantqu'organisations, que se constituent des manires
singulires d'treaffect (des manires de < sentir >) qui sont
immdiatement aussi, parI'agencement mme de l'Habitude et la Joie
qui I'accompagne, produc-trice de vie, tendances la conservation
des traces favorables (c'est laMmoire), dsir de rptition et de
reproductiona. C'est ainsi que laJoie devient le principe empirique
de notre vie bio-psychique, de par
l. E. III. 59 sc.2. E. lll, I I sc.3. E. rfi,28.4.8. il(,
36.
-
r.
.i:,:36 LALocteuEsrRATcteuEDU coNArusI'organisation mme des
affections du Corps (ou du Corps lui-mmecomme affections lies) et
les dterminations singulires de sonaptitude a tre affect. La Joie
comme principe de la stratgie duconatus c'est l'Apptit lui-mme
comme agencement de I'Habinrde.
Le plaisir est certes recherch en principe, mais toujours
partird'affections dj lies qui la fois tracent les voies a priori
du plaisir,dans la rptition du mme (et celle-ci peut devenir
lassante parmodification du Corps dans la rptition)r, mais aussi
ouvrent un largechamp de possibles ou, par < ressemblance
>> ou simple ,hors de toute matrise du sujet et le long de
certaines voies associa-tives2, le Dsir va rencontrer les plus
singulires et les plus curieusesmanires de se satisfaire. Ainsi
Spinoza n'carte-t-il pas la possibilit(toute thorique il est vrai)
d'tres qui pourraient >a en cequ'elles sont des obstacles, tant
pour le Corps que pour la pense, unpanouissement vritable. C'est en
ce sens que Spinoza parle d'une>5.
S'il faut donc carter dans le domaine ontologique le
contresensd'un conatus dont la finalit interne
- comme principe
- serait le
plaisir, on ne comprendrait pourtant pas les diverses figures de
laservitude sans souligner le lien troit qui unit (pour le meilleur
et pourle pire) le dsir au plaisir. En effet, si les corps les plus
simples parindistinction des tats (extrmement limits) par lesquels
ils passent,
l. . III, 59 sc.2. E.lll, 14, 15 sc., 16.3.8p.23 G. de
Blyenbergh, G. IV p.152, A.lY p.222, P.p.l164.4. E.IV, 59 dn.5, Nam
scelera respectu istiusmodi natur human pervers virtus essent,
8p.23, id. ibid. Affirmation qui ne suggre nullement I'existence
d'une normeextrieure et transcendante partir de laquelle seraient
juges les dviances dl dsir.Dans une philosophie o la norme n'est
jamais conue extrieurement son champd'application, I'ide conlative
de perversion ne saurait avoir de caractre prtabli.Cf. Pierre
Macherey qui engage une rflexion spinoziste sur la question, , in
Michel Foucault philosophe, Seuil 1989,pp.2O3-221.
LE CONATUS.PRINCIPE DE PLAISIR 37
sont incapables de plaisir ou de douleur, dj chez certains
animauxplus complexes, et en I'absence de mmoire, c'est--dire de la
liaisonde I'image de I'objet affectant (cause) et de l'affect
(effet), il y a effortpour maintenir l'excitation agrable et carter
toute excitationdouloureuse. Ce prolongement de la satisfaction, en
dehors de toutereprsentation de I'objet (cause de cette
satisfaction), s'explique certespar la nature absolument positive
du dsir qui ne peut dsirer (si l'onpeut dire) que son augmentation,
dont le plaisir est le signe. Mais c'estaussi du point de vue de
cette positivit mme qu'il faut dceler dans leplaisir, la premire
forme possible de servitude. En effet, tout plaisir(titillatio)
n'est pas la plnitude de la Joie (hilaritas)t. Sa
conditionparcellaire, attache une seule partie du Corps, conduit
tout plaisir< immodr >> entrer en contradiction avec
I'augmentation de lapuissance d'agir et faire basculer tout l'tre
dans la Tristesse. Et ceproblme se pose avec plus d'acuit encore,
lorsque la Mmoirepermettant I'homme de I'objet-cause de son
plaisir,conduit celui-ci, selon la logique amoureuse2, poser cet
objet commele but mme de tous ses efforts. Soit soumettre le Dsir
une stratgiequi, de par sa focalisation sur la conqute et la
possession d'un seulobjet partiel, conduit inluctablement un
appauvrissement extrme dela vie.
Il y a cependant une diffrence entre d'une part, une
associationneutre qui n'augmente ni ne diminue la puissance d'agir
et laquelle nes'attache pas un affect assez fort de Joie ou de
Tristesse (qui neconcerne donc que le mcanisme de la Mmoire en tant
que tel)3 etd'autre part, une association de laquelle dcoule de la
Joie ou de laTristesse. Dans le premier cas le Corps affect n'aura
ni dsir derptition ni dsir d'vitement, mais si un lment de
I'association sereprsente au sujet, celui-ci (selon la considration
par I'Ame de latrace mnsique
- ou affection
- imprime en son cerveau)a
reconstituera I'association entire (comme le montrent les
exemples duscolie d'8. II, l8) ; et si cela concerne des vnements
dans le rel, ilattendra ncessairement le dveloppement du tout
contract, commec'est le cas dans l'exemple de I'enfant d'Ethique
II,44 scolie.
Dans le second cas c'est I'association elle-mme comme
nouvelledisposition corporelle et psychique qui oriente le
comportement du
1.E. III, 1l sc.2. E.l[l, df. des Aff. 6.3. E. ll, 13, post. 5
et ll, l7 , coroll.4. E.ll, 13, post. 5 er ll, 17 dm.
-
38 LALOCIQUESTRATGIQUEDU CONATUS
sujet. En effet, tant donn que > la rptition : < Qui se
rappelle une chose o il a pris plaisir une fois,dsire la possder
avec les mmes circonstances que la premire foisqu'il y a pris
plaisir >3.
C'est cette tendance la rptition du plaisir qui peut tre
alorstenue pour le principe mme de notre existence
bio-psychique.
On comprend alors, la fois, comment des associations nuisibles
-parfois jusqu'au suicide
- sont possibles en rgime d'htronomie sui-
vant le mcanisme d'association d'images trs puissamment
nuisibles,mais aussi pourquoi le conatus, suivant son principe de
plaisir, naturellement autant qu'il le peut ces agencements
dpressifs.
Il y a donc en permanence en nous, affrontement entre les
liaisonsassociatives nuisibles et les associations favorables
I'effort que nousfaisons pour persvrer dans notre tre. Non
seulement Spinoza met eneffet en vidence l'existence en notre Corps
et en notre esprit de grou-pes diffrents d'images (affections et
ides d'affections) ou groupesd'associations relativement
indpendants ( I'intrieur du mode d'unmme Attribut), mais il affirme
de plus, selon une conceptionmcaniste et dterministe de la Mmoire,
le dynamisme de ces sriesassociatives. Ces groupes sont aussi des
forces opposes dont l'quili-bre est toujours susceptible de se
modifier suivant les situations (et lesrapports de forces) dans
lesquelles I'individu se trouve pris. Il y adonc, dans le sujet, un
dynamisme de ces complexes associatifs dont lesforces trouvent leur
source la fois dans les modes extrieurs et chezI'individu lui-mme.
Il serait toutefois relativement erron de ne voirici qu'une lutte
entre le conatus qui s'efforcerait l'panouissement(donc la Joie) et
des associations d'images nuisibles dont le dynamis-
t. E.llr, 12.2. E. \r,28.3. E. III, 36.
LE coNATUS-pRINcrpE DE pLArstR 39me serait exclusivement de
nature externe. En effet, toutes les associa-tions, mme nuisibles,
sont le fait du conetus, non pas en tant que cesassociations sont
nuisibles mais en tant qu'elles expriment une liaisondynamique
entre les images. Cependant en ce dernier casle conatus esten rgime
d'htronomie globale, c'est--dire, dans son activit mmede liaison,
soumis aux forces extrieures. D'autre part le conatuscomme principe
de plaisir, en opposition des associations qui lui sontcontraires,
peut ne conduire qu' une rptition de plaisirs alins quiempchent
I'Ame de penser. Des associations simplement utiles laconservation
d'un tre en son > peuvent rsister une plus hauteaffirmation
(c'est--dire au passage une perfection plus grande) en cequ'elles
fixent la plus grande partie de la force mme du conatus dansla
persvrance en cet tat, qu'il soit psychologique ou sociologique.
Etcela s'explique justement, la fois par la relative indpendance
descircuits associatifs et par leur dynamisme propre qui trouve
pourtantsa source (quasi totale ou seulement partielle) dans un mme
conatus.Une affirmation suprieure peut tre ainsi vcue comme force
dsa-grgatice etle conatus, comme ordre de l'tat prsent, rsister
alors un dsordre mme librateur... Le conatus participe donc de
toutes lesassociations en lutte dans le sujet, mme de celles qui
lui sont contraireset auxquelles aussi il rsiste. Par-del la
matrise du sujet et son intrtrel (du point de vue d'une raison
stratgique), les souvenirs sont ainsiun capital de forces que la
situation prsente favorise ou maintient dansI'oubli, suivant la
logique stratgique (plus ou moins rationnelle, plusou moins
aveugle) du principe de plaisir. En effet,
Quand I'Ame imagine ce qui diminue ou rduit la puissance
d'agirdu Corps, elle s'efforce, autant qu'elle le peut, de se
souvenir dechoses qui excluent I'existence de ce qu'elle
imaginer.
Tout I'effort de l'homme affect de Tristesse tend donc
cartercette Tristesse2 par le souvenir d'une Joie passe qui dsire
se rpterdans le prsent. Ainsi I'Ame s'efforce-t-elle <
d'imaginer cela seule-ment qui pose sa propre puissance d'agir
>>3 et de refouler tout ce qui lacontrarie et par l mme la
diminue. Pour cette action (mme passivepuisque cette dfense peut
encore s'effectuer en rgime globald'htronomie mais avec des images
favorables, dans le prsent, auconatus) tous les moyens, mme les
plus illusoires, sont bons. Ainsi
1.8. III, 13.2.8.[lJ,37 dm.3. E. rrl. 54.
*ig'#
r,.
1lri
-
i-ir
*!{,:40 LA LoclQUE sIRAT'GIQUE DU ooNATUS
I'Ame peut-elle s'efforcer d'carter la Tristesse par la mauvaise
foi< en inierprtant faussement les actions de ses
pareils>>rou la surestimede soi
-
42 LALocreuEsrRATctQUEDU coNATUssommes, en effet, conduits une
structure finaliste du comportementamoureux caractristique de
I'existence humainet.
Il y a bien en l'omme une structure bio-psychique de
naturetlologique mme si le fonctionnement de cette structure
doitstrictement se comprendre du point de vue des causes
efficientes (aurisque de totalement basculer dans I'illusion
finaliste, possible et quasiinvitable, que cette structure
enveloppe effectivement). Dans cetteproblmatique de I'Amour, le
dsir devient dsir-de-quelque chose,soit d'un objet qui fixe toute
notre nergie et notre attention cause dela Joie que sa prsence nous
procure. C'est ce but de I'intentionnalitamoureuse que Spinoza
nornme Contentement,
contentement qui est dans I'amant cause de la prsence de lachose
aime, par laquelle la Joie de I'amant est fortifie ou aumoins
alimente 2.
Le conatus-Habitude, suivant la logique du principe de plaisir
quilui a constitu une Mmoire, entre ainsi dans un
fonctionnementtlologique suivant des mcanismes dont la ncessit
(essentiellementinconsciente pour le sujet dsirant) ne peut
adquatement se compren-dre que suivant I'enchanement des causes
efficientes3. C'est le stade desstratgies conscientes du conatus
(illusoires ou ajustes) patir duquelse comprend la spcificit de la
raison >. Celle-ci enveloppele fonctionnement de la Mmoire en
tant que telle et son rapportintrinsque I'ordre du Temps.
Revenons I'exemple du scolie de la prop. 44 d'Ethique II.
Celui-ci en effet appelle, dans la recognition, une action de I'Ame
quirequiert certes I'Habitude mais qui exprime une figure suprieure
deI'association (signe d'un niveau de complexit du Corps plus lev)
quienveloppe dj, semble-t-il, une dtermination de I'entendement si
l'onvoit ici l'uvre I'activit d'une gnralit rflchie du concept.
Nousnous trouverions donc au point charnire entre imagination et
raisondans la constitution du Temps comme reprsentation. Car la
gntali-
l. Comme le souligne Alexandre Matheron, I'activit tlologique de
l'hommen'est pas seulement du domaine de I'illusion ou des
interprtations fictives que laconscience fait, aprs coup, de ce
comportementl c'est un tat de fit, selon unesynthse, celle des
relations que tisse l'esprit humain entre des images
1. C'est le cas dans la formation des Transcendantaux otJ des
notions que I'onnomme gnrales, E.lI40 sc. l,
2.
-
44 LA LOGIQUE STRATEGIQUE DU CONATUS
conues ( distinctement>>, reconnues et comparesr. Le Temps
ainsireprsent, est le premier systme d'ordre partir duquel nous
imagi-nons distinctement les choses, et par lequel par consquent,
la cons-cience en diffrenciant les objets se diffrencie elle-mme de
I'objet.
C'est en effet I'ordre du Temps (comme reprsentation) qui est
lacondition,
-
premirement, de l'apparition, pour nous, de I'objet extrieuren
tant que tel. La Mmoire, en effet, en maintenant au prsent
I'imaged'un corps, fait de ce corps un tre que I'appartenance au
pass rend,dans le prsent, indpendant de moi et disponible pour
l'avenir2. Il n'ya donc pas de reprsentations de choses > en
dehors d'unereprsentation du Temps rendue possible par la Mmoire
partir descontractions de I'Habitude,
- deuximement, I'ordre du temps est aussi la condition de la
sparation du sujet et de I'objet. L'objet est, en effet, suivant
la logiquemme de son apparition, ncessairement toujours
objet-du-passprsentifi. La distinction du sujet et de son objet est
elle-mme ainsiune diffrenciation temporelle, un produit de l'ordre
du Temps.
Le sentiment de la dure n'tait encore que celui d'une
penseimmdiate des < passages >, hausses ou chutes de notre
puissanced'agir, qui dfinissaient les rythmes dont nous sommes
faits dans Iacontinuit de notre existence. Le Temps qui est la
re-prsentationdtermine dans I'Ame de cette dure vcue implique une
puissance derflexion, de prvision, voire rtrospectivement de
dduction desvnements passs qui est certes le fait d'une plus grande
complexit duCorps et par l mme d'un niveau suprieur des
associations deI'Habitude dans et par ce que nous appelons la
Mmoire, mais dont lacomplte actualit n'est rendue possible que par
le relais, dans lapense, de la dtermination de la dure.
C'est la Mmoire certes qui rend possible, tant cette
anticipationdans I'avenir, que cette reconstruction du pass.
Cependant, cetteMmoire pourrait tre totalement inconsciente et ne
provoquer chezI'enfant du scolie d'Ethique II, 44 qu'une
rminiscence (au senscartsien, non consciente d'elle-mme en tant que
souvenir). Il n'estpas en effet ncessaire que I'enfant sache
consciemment qu'il a vu laveille Pierre, Paul et Simon pour prvoir
le passage de Paul et deSimon aprs celui de Piere. Il pourrait
simplement prvoir qu'ils
l. K.V. I, ch. X, 1.2.Ce qui est clairement peru par A.
Matheron' Individu et Communaut
p. 100.
LE coNATUS-Muomr
vont apparatre sans savoir, selon < une pense relative une
duredtermine >>r, d'o lui vient ce savoir... donc sans la
mmoire en tantque telle, consciente de la srie des vnements de la
veille qu'il acontracte (le processus serait naturellement le mme
pour lareconstruction rtrospective). Le Romain du scolie d' Ethique
II, 18 n'apas en effet se souvenir consciemment du jour o il a
contract larelation conventionnelle entre le mot pomum et son
rfrent, le fruit ;il sait seulement que ce fruit-l est une pomme,
sans savoir effective-ment d'o lui vient ce savoir, c'est--dire
sans la connaissance du tempsdans lequel il en a contract le
souvenir.
Pourtant, la Mmoire en tant que telle ne peut tre simple
savoirnon rflexif. En effet le savoir d'un enfant qui ne se
souviendrait plus du temps (quand) dans lequel se sont drouls les
vne-ments dont le sujet a le savoir (que nous nommerons mmoire
1).
Lorsque le scolie d'Ethique IV, 39 voque I'histoire de ce
poteespagnol que la maladie a priv de tous ses souvenirs au point
qu'il nereconnat plus ses propres crits, Spinoza identifie bien la
Mmoire une capacit de reconnaissance et de localisation du souvenir
dans lepass. Car le pote a bien gard le souvenir de sa langue
matemelle,c'est--dire, selon Ethique II, 18 sc., la liaison
mcanique acquise parHabitude des mots et des affections provoques
en nous par les chosesqu'ils dsignent; mais le pote a cependant
perdu ce qui dfinit laMmoire en tant que telle, c'est--dire, avec
ses souvenirs, laconscience du temps pass et la conscience de soi
dans ce Temps.
Ainsi si l'enfant du scolie de la proposition 44 d'Ethique II
faiteffectivement acte > de mmoire (et c'est ce que
nousnommerons mmoire 2)3, et non de simple rminiscence au
senscartsien (mmoire 1) il doit, pour prvoir les vnements de la
1.T.t.8. 83, C.il p.31, A.I p.209, P. p. l3l.2.7.1.8. 83 note,
G.II p.31. A.I p.209, P. p. l3l.3.7.1.E.83 note, G.II p.3l note d,
A.I p.209 note l. P. p. l3l note *.
45
-
46 LALOCIQUESTRATGIQUEDU CONATUS
seconde journe, se souvenir qu'hier (conscience du temps pass)
il avu (conscience de soi localise dans le temps mais continue
jusqu'autemps prsent) Piene passer le matin, Paul midi, Simon le
soir(recognition et localisation ordonne des tres et des moments
dans untemps dtermin).
C'est ainsi que le L/.8. dfinit la Mmoire comme r.
CONSTITUTION
CHAPITRE II
DU SUJET STRATGIQUE
l) L'objet et sa recognitionL'ordre reprsent du Temps est la
condition d'apparition de
I'objet extrieur en tant que tel, tant dans sa distinction avec
les autresobjets qu'avec la conscience elle-mme dont il est objet.
Cet ordre duTemps est lui-mme subordonn au mcanisme de la Mmoire.
Dans lescolie de la prop. 29 d'Ethique V, Spinoza souligne
clairement ladistinction entre les deux types de > que notre
esprit peutconcevoir:
Les choses, dit-il, sont conues par nous comme actuelles en
deuxmanires: ou bien en tant que nous en concevons I'existence
avecune relation un temps et un lieu dtermins, ou bien en tant
quenous les concevons comme contenues en Dieu et comme suivantde la
ncessit de la nature divine.
C'est de la constitution de ces choses, en relation > dont il
sera ici question, c'est--dire de laconstitution, pour nous, de
I'objet extrieur en tant que tel. Or cet objetest aussi bien la
chose extrieure nous, que (aussi paradoxal cela soit-il) notre
propre Corps et que notre Ame elle-mme.
Nous savons que,I'ide de I'affection qu'prouve le Corps humain
quand il estaffect d'une manire quelconque par les corps extrieurs,
doitenvelopper la nature du Corps humain et en mme temps celle
ducorps extrieurl.
l.E.II, 16.
fiilf'd'J'
:i'i1t.it:
i,l.
l.T.l.E. 83, G.II p.31, A.I p.209, P. p. l3l. Pour une synthse
desdiffrentes positions sur la question, cf. R. Bordoli qui
rappelle les points de vue deWolfson, de Deugd et Gueroult, dans le
ch. VII de son ouvrage Memoria eAbitudine. Descartes, La Forge,
Spinoza, Guerini e Associati, Napoli 1994'pp.93-97. Cf. galement le
commentaire de B' Rousset, Trait de la Rforme deiEntendement,
introduction, texte, traduction et commentaire, Vrin 1992
pp.354-358.
-
4948 CONSTITUTION DU SUJE-T STRATCIQUE
L'ide de I'affection reprsente cette affection (trace
corporelle),et attribue comme sa cause, une ralit extrieure,
I'affect prouv(de Joie ou de Tristesse) dans I'augmentation ou la
diminution de lapuissance d'agir. Ainsi I'imagination est-elle la
reconnaissance d'unobjet pos comme extrieur et rel auquel sont
attribues des propri-ts stables, comme l'tre, la forme (plus ou
moins harmonieuse oubelle), la couleur, la consistance, la mesure,
la temprature etc. commesi I'ide tait, en un esprit-miroir le
reflet objectif d'une ralitindpendante de nous. Certes, chaque
chose peut tre conue en sontre ; mais encore faut-il ne pas
confondre cet tre qui est son essencemme (et qui ne peut tre que
pens selon le troisime genre deconnaissance) et l'tre attribu
I'objet conu ( avec une relation untemps et un lieu dtermins >.
Dans le second cas, cet tre n'est riend'autre que le auquel nous
ramenons tous lesindividus de la Naturer par facilit mais aussi par
confusion2.
L'tre de la chose imagine ne saurait donc tre un tre rel
maisseulement l'expression de la manire dont nous concevons la
ralitextrieure. Il en est de mrne pour la de I'objet ou sa) que
nous imaginons comme une limite c'est--dire unengation3, mais aussi
de la visibilit et de I'invisibilit, du chaud et dufroid, du fluide
et du solide qui, comme I'explique Spinoza Oldenburg dans la lettre
6, (au sens d'> selon la dfinition del'imagination d'Ethique [I,
17, sc.), c'est croire que la Nature elle-mme > ce qu'elle
produit ; c'est, comme le dit Spinoza,attribuer Dieu de
I'imagination3. Ainsi lorsque dansla proposition 16d'Ethique I,
Spinoza affirme que < De la ncessit de la nature divinedoivent
suivre en une infinit de modes une infinit de choses, c'est--dire
tout ce qui peut tomber sous un entendement infini >, il ne
parlepas de ces choses qui tombent sous notre imagination, mais
desprocessus infinis d'individuations dynamiques qui ne peuvent tre
quepenss en dehors des catgories d'< objet>> et de >,
qui ne sontque des a; processus d'individuation qui, dans
larencontre avec notre Corps, se reprsentent dans I'ordre du temps
sous
l.E.I, appendice, G.lI pp. 81-83, A.III pp. 65'67, P. pp.
351-353.2.E.Il, 16 corollaire 2.3.E.Iappendice G.II p.82, A. III
p.66,P.p.352.4. C.M. I, I et 5, G.I pp. 233, 245, A.I pp. 338, 350'
P' pp.247 ' 259.
1C
i)
-
50 coNsrITUrIoN DU sUJET STRATEcIQUEla forme des choses et des
objets utiles ou nuisibles que nous avonsl'habitude de ctoyer,
d'utiliser, de consommer, d'aimer ou de dtes-terr. Dans les Penses
Mtaphysiques2, Spinoza nous prvient de ne pasconfondre les Etres
rels et les Etres de Raison. Ceux-ci ne sont que desmodes de penser
(ou plus prcisment d'imaginer) qui ne servent qu'retenir, expliquer
et imaginer plus facilement les choses3. Il n'y a eneffet singulire
vis--vis des autres tres ou choses, et pour I'Ame imaginative,
cette unit travers laquelle un objet est ne peut tre que celle de
la liaisondes affecti,ons de son propre Corps ; or cette unit n'est
elle-mme aussiqu'>2 mme sicette istinction ne peut tre, d'une
part, attribue I'entendement' etne porter, d'autre part, que sur
des choses imaginairement perues et,."nnu"r (selon une unit
discrte) comme le souligne I'Ethique. Eneffet, le discret et le
discontinu ne sont introduits dans la Nature quepar la
mconnaissance de son unit intrinsque qui rend impossibleioute relle
sparation des modes entre eux. Ainsi, si des corps
existentrellement dans la Nature, se rencontrent, s'unissent,
s'opposent, nosamours ne s'adressent pourtant qu' des images (units
discrtes) quine se constituent, pour nous, comme choses distinctes
que selon uneide gnrale. Irrtis d'o provient cette ide gnrale sinon
de lasimpli-fication du rel produit de I'activit pigntique du
conatus?
R"u"nont la recognition. Rapporter l'affect (de Joie) un
autretre ou objet extrieur soi comme sa cause, c'est aimer. ce
mouve-ment vers l'autre que soi, cause de notre Joie, est le
mouvement mmedu dsir a-our"uf. Celui-ci suppose, comme conditions
de sa possibi-lit, les activits conjugues de I'Habitude, du
principe de plaisir et dela Mmoire. c'est sur ces agencements que
s'appuie la synthse derecognition du dsir amoureux qui dpasse les
affections lies etI'affct qui leur est corrlatif, vers
I'identification d'un objet qui,suivant s attributs propres (sa
beaut, sa couleur "'), est dsigncomme cause de notre Joie et par l
mme de notre Amour. Le procsde la recognition consiste donc dans le
fait de rapporter Joie ouTristesse la liaison des affections opre
par I'Habitude (et conservepar la Mmoire suivanr le principe de
plaisir/dplaisir), et odectiverans le rel ce qui n'est que liaison
du Corps et ide de traces
1.C.M.I, 6, G.I p.245, A.I p.351' P. p' 260'2. K.V. l, ch. X,
G.I p. 73, A.I p. 83' P. p' 4l '
*{t,s{ttfii
-
52 coNsrrrurroN DU sUJET srRATcteuEcorporelles. La Mmoire est
donc intrinsquement lie larecognition/constitution de I'objet.
L'analyse du procs de recognition semble donc, en
premireanalyse, dgager un mouvement selon deux tapes: 1)
rapporterI'affect la liaison des affections ; 2) rapporter la
liaison des affections un objet dans un processus de
prsentification. Pourtant, ces deuxtapes ne sont en ralit qu'un
seul et mme mouvement (du dsiramoureux) : celui de la constitution
mme de l'> d'amour (oude haine) qui dpasse la liaison des
affections (subjectives) vers un pos comme rel et prsent. C'est la
dmarche mme del'imagination dcrite par Spinoza dans le scolie
d'Ethique II, l7 .
L'amoureux croit rapporter sa Joie un objet rel alors qu'il ne
larapporte qu' une liaison d'affections (subjective) qui cre
I'objet quele sujet amoureux prend illusoirement pour rel et cause
de sa Joie(alors qu'il est ignorant des causes efficientes de ses
affections et deleurs liaisons). L'objet en tant qu'ide imaginative
d'un tre identique soi et dot d'attributs qui lui sont propres, ne
prexiste donc pas audsir qui se porte vers lui. Il ne se constitue
que selon le mouvementmme du dsir d'un Corps complexe en qute de
plaisir. Certes, en luimme le dsir n'est dsir de rien, il est force
productive, affirmationde I'existence. Cependant la Joie (comme
principe) et son envers laTristesse, orientaient dj, chez les tres
capables de ressentir lesdiffrences entre leurs tats affectifs, le
procs de leur conatus. Mais cen'est que sous I'emprise de la
reprsentation amoureuse du monde dontil est pourtant le producteur,
que le dsir est soumis un dsir d'objetet une recherche du plaisir,
dans et par la possession de l'objet. C'estpar le dsir amoureux que
se dcoupe pour nous un monde d'objets,des choses--aimer et par l
mme un dsir-de-quelque-chose. Laproductivit du dsir devient ainsi
production de fictions, de ceschoses-images utiles ou nuisibles,
aimables ou dtestables qui organi-sent, pour et par le conatus, une
reprsentation du monde. Le dsirprcde certes I'amour; c'est parce
qu'il est, sur les agencements deI'Habitude, du principe de plaisir
et de la Mmoire, dsir en ,que se dessinent des choses et des
choses--aimer. C'est cependantI'Amour qui opprime le dsir en
I'assujettissant sa loi, en lui imposantun objet pour raliser son
but. L'Amour rabat le dsir sur le besoin, encreusant en lui le
manque d'objet, de plaisir, d'amour, et la vie devientainsi,
assujettie aux alas de la ralit extrieure, une perptuelleattente.
Elle n'en demeure pas moins sous I'emprise du conatus-prin-cipe de
plaisir; le rel reprsent, loin d'tre un obstacle au plaisir enest
le moyen. Mais un moyen paradoxal en ce qu'chappant l'appro-
LToBJE'r ET sA REcocNITIoN 53
priation immdiate, il fait du plaisir luimme une reprsentation,
uneide raliser dans le futur sur les modles du pass. L'preuve du
relest donc corrlative de la naissance d'une raison calculatrice
qui, selonune stratgie plus ou moins bien ajuste, poursuivra l'lan
du principede plaisir. Pourtant, cette ralit dont le conotus fait
l'preuve, estimmdiatement reprsentation du rel, conqute du rel par
rapport une inscription toujours singulire du Dsir.
Nous disions prcdemment, au-del de la signification littrale
duscolie d'Ethique lll,9, qu'une chose ne devient pas seulement
pournous bonne parce que nous la dsirons mais qu'elle devient dj,
du faitmme de ce dsir, une > tout simplement. C'est par le dsir
quenous reconnaissons la chose que nous aimons, que nous la
constituons.En effet, I'acte d'imaginer , corrlatif du dsir qui
meporte vers elle, enveloppe en lui I'affirmation de I'existence
prsentee ce qui est imagin. La position d'une existence quelconque
dans sarelation un temps et un lieu dtermins est le fait mme de
I'imagi-nation. Percevoir un objet ou s'en souvenir, c'est en poser
la prsenceet I'existence suivant une synthse de recognition qui
rapporte unobjet la liaison des affections, selon un processus de
prsentification.Tout cela, nous le savons. Mais en soulignant dans
le corollaire de laproposition 17 que,
si le corps humain a t affect une fois par des corps
extrieurs,I'Ame pourra considrer ces corps, bien qu'ils n'existent
Pas et nesoient pas prsents, comme s'ils taient prsents,
Spinoza identifie le processus de la perception des corps
extrieurset le procs mme de I'hallucination. Ainsi, si I'on
considre que c'estnon " manire neutre mais toujours selon un dsir
singulier ques'opre la prsentification du monde extrieur, et que
c'est de ce pointde vue (symptomatique d'une certaine disposition
de notre Corps) queles choss apparaissent pour nous, bonnes ou
mauvaises, belles oulaides etc... n peut en dduire que c'est
I'essence mme de notrerapport au monde extrieur que d'tre
hallucinatoire. Et Spinoza nousiniite ainsi comprendre la
connaissance sensible du point de vue del'laboration ficiive, et
non celle-ci par rapport la perceptionhabituelle des objets.
Nous sommes donc lgitims, d'une part, lire Ethiquelll'9 scolie
la lumire de ce que Spinoza a dj dvelopp dans Ethique lI,
I7corollaire & scolie iur la nature hallucinatoire de I'Ame
imaginative.et d'autre part dfinir la synthse de recognition comme
une synthseconstituanie de son objet dans son existence actuelle
temporellement etspatialement dtermine.
iil!
j',:i
itr
-
54 coNSTtrurIoN DU SUJET srRAr,cleue
C'est la dfinition mme que Spinoza donne de I'ide qui nouspermet
une telle affirmation. il est en effet dans la nature de l'ide
deposer I'existence, dans le prsent, de ce dont elle est I'ide:
I'Ame, ditSpinoza, >2. Quelle distinction devra alors tre faite
entre une hallucination > et une hallucination illusoire ?
Dans le premier cas, le processus de prsentification >une
ralit extrieure effectivement actuelle
-
56 coNsnrunoN DU sUJET srRArcteue
imaginera tous les corps confusment, sans nulle distinction, et
lescomprendra en quelque sorte sous un mme attribut, savoir
sousI'attribut de I'Etre, de la Chose, etc.r
Du point de vue de cette limite, comment nat en nous
I'ideimaginative d'une ? A la fois de la confusion > et d'une
liaison des affections qui conviennententre elles, rpond Spinoza.
L'Ame ne peut, en effet,
imaginer ni les petites diffrences singulires (telles la
couleur, lataille de chacun), ni le nombre dtermin des tres
singuliers, etimagine distinctement cela seul en quoi tous
conviennent, en tantqu'ils affectent le Corps 2.
Nous avons cependant soulign, dans l'Habitude, combien le
Corpsaffect n'tait pas totalement passif mais capable par lui-mme
d'op-rer des enchanements. En un sens conomique, le rel serait
nces-sairement, pour le corps, traumatique, si I'individu vivant ne
pouvait yrpondre positivement selon son activit de rsistance et de
matrise1.
Ainsi fauril prciser que dans la constitution de l'objet, la
dtermi-nation de I'aptitude tre affect est la fois une limite et
une activit(comme affirmation). La confusion n'est donc pas
seulement le produitd'une impuissance, elle est aussi une
simplification active du rel, quidoit se comprendre du point de vue
du dynamisme du conatus quirsiste (par les mcanismes de I'Habitude,
du principe de plaisir et de laMmoire). Spinoza voque assez souvent
cette logique synthtique dela simplification qu'oprent
I'imagination et la mmoirea, et cetteactivit simplificatrice peut
tre tenue pour une des lois fondamentalesde I'activit imaginative
elle-mme, dans la recognition constitutivedes choses5.
Dans la constitution de l'ide imaginative de la > perue,entre
donc du ct du rel affectant la multiplicit diffrentielle desmodes,
et du ct du Corps affect, son incapacit tre sensible toute
l.E. II, 40, sc. I, G. II pp. 120-121, A. III pp. ll3-114, P. p.
393.2.E.lI,40, sc. 1.3.Nous employons la notion de traumatisme en
son sens freudien de
I'lntroduction la psychanalyse, ch. l8 pp.256-257, trad. S.
Janklvitch, Payot1973.
4.C.M. V;8.I, app., G.ll p.82, A. III pp.65-66, P.pp.351-352 et
ltr, 40sc. l, G.II p. 121, A.I p. ll4, P. p.394.
5. Sur ce vritable principe de facilit ou d'conomie, cf. les
dveloppementsdes C.M. I, I et V (G.I pp. 233-35, 245, A.l
pp.337-39, 350, P. pp. 245-48,2s9).
cette multiplicit mais aussi son aptitude lier ses affections,
rsisteractivement au dferlement multiple du rel' L'<
objet>> apparat donc la perception de l'Ame suivant le double
processus corporel d'unesimplification-assimilation par confusion
et d'une simplification-activepar liaison des affections. Les
liaisons des affections n'tant pas unemise en ordre pratique de la
confusion mais dans et par la confusion,puisque c'est de la
confusion elle-mme que nat une ide imaginativeiimpie, claire et
distincte. C'est selon cette simplification-active que ledsir
amoureux slectionne dans une situation a priori indiffrencie,la
cause de sa Joie.
La confusion passive-active due notre aptitude tre affect et
laslection qu'opre le dsir amoureux, expriment le processus de
I'ima-gination par lequel nous adaptons le monde nous-mmes.
Adaptationctive, stratgique, en ce qu'elle est le moyen efficace de
notrepersvrance.
Car comment comprendre la formation d'erreurs
universelles,constitutives de la ralit dans laquelle et par
laquelle nous persvronsdans notre tre, telles que la croyance au
Temps, en I'existenced'>, de choses identiques ou semblables, de
choses bonnes oubelles en elles-mmes, ou mme encore la croyance en
la libert denotre volont, sinon du point de vue de la vie dans son
effort pour seconserver, du point de vue d'une stratgie lmentaire
du conatus? Eneffet, dcouvrir des identits, des simititudes, oprer
des classementsquant I'utile et au nuisible pour la simple survie
du Corps, est lepremier souci du conatust. L'impuissance mme
discerner les multi-ples diffrenciations du rel est, paradoxalement
du point de vue de laiente, mais avec vidence du point de vue de la
vie, une vritableforce. Car simplifier le rel jusqu' le rduire en
un seul Etre commun tous les tres, c'est viter les hsitations de
I'esprit, l'parpillement, ledoute, qui sont autant de dangers face
au dferlement meurtrier de laNature. Affinner une erreur utile
plutt que suspendre son jugement,tel est l,impratif vital du
conatus. La vie ne commence et ne semaintient que par une
misosophiez.
l. E. IV, app. ch. 27.2. La natur ainsi que I'origine du langage
doivent aussi se comprendre selon le
mme processus de confusion-iimplification prattgle qu'o@re un
corps complexeruir t*:ourr limit face la multiplicit du rpl- c'est,
d'autre part, a ['intrieur dei" rpttc.i a" la recognition que le
langage s'inscriten notre mmoire. Pour une tudeO"'.rtt"
question-cf. notie articl "La thorie du langa-ge chez
Spinoza>>,L'Enseigniment philosophique no4, mars-avril 1991
pp' l6-33'
L'OBJET ET SA RECOCNITION 57
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58 coNsrITUTtoN DU sUJET srRArclque
2) La recognition, connaissance utile non adquateLe Monde,
produit de l'activit pigntique du conatus, n,est
cependant pas seulement celui des choses poses comme extrieures
etindpendantes du moi. Le Corps propre ainsi que l'Ame elle-mmesont
saisis, par I'imagination, comme des objets du monde. La
simpli-fication pratique que nous oprons sous la pression de la
diversit durel et en y rsistant, nous I'oprons aussi vis--vis de
nous-mme, denotre propre Corps et de notre Ame qui en est I'ide.
Dans le scolied'Ethique II, 40, ce processus s'explique du point de
vue des limites deI'aptitude tre affect, et cette limitation doit
tre aussi comprisecomme une activit constitutive (de
rsistance-active). C'est selon cettemme rsistance que la synthse de
recognition s'affirme comme uneconnaissance pratique, utile mais
non adquate, que I'on ne sauraitconfondre avec I'ide inadquate de
choses extrieuresr.
En effet, I'Ame humaine tant rou la < condition> dans
laquelle I'Amehumaine est, lorsqu'elle considre des corps extrieurs
comme lui tantprsents, par les ides des affections de son propre
Corps2. Cette tant celle mme de l'tre-au-monde, I'imagination
estainsi dfinie colnme une perspective, un rapport au monde
particulier,une >3 de I'aborder, de le connatre et de le
reconnatre dans lapratique (d'affirmation et de rsistance) de notre
persvrance dansl'tre.
Car l'imagination nous permet de reconnatre ce qui est utile
ounuisible > tellesqu'elles sont en elles-mmesa. C'est en ce
sens qu'elle est une connais-sance d'objets, mme si ceux-ci ne sont
que des prsentificationsfictives mais ncessaires, dans le processus
de notre persvrance. Maiscette connaissance est non adquate, sans
tre une ide inadquate deschoses extrieures elles-mmes, tant donn
qu'elle n'est pas une partiede la connaissance adquate que Dieu a
de ces chosess. En effet cetteconnaissance non adquate de I'objet
extrieur, des parties du Corps,du Corps et de I'Ame elle-mme, n'est
pas la connaissance de quelquechose de rel
- comme c'est le cas de l'ide (adquate ou inadquate) -
soit des affections dont Dieu a l'ide vraie, mais la
connaissance d'uneapparence produite partir de la liaison des
affections dansI'Habitude6. Ceci ne signifie pas que les corps
extrieurs n'existent paset que I'on ne puisse les connatre
adquatement mais que les corps, telsqu'on les imagine, sont des
constructions de I'esprit dans son rapportimaginatif au monde (ces
constructions imaginatives tant elles-mmesdes expressions du
rapport que le Corps entretient avec le mondeextrieur).
1. E. ll, 1'l sc.2. E.II, 26 coroll. dm.3....alia ratione,
qu'Appuhn traduit par .4.E.ll,17 sc.5. Cette connaissance non
adquate est cependant aussi ide inadquate des
affections de notre Corps.6.La connaissance non adquate de
I'objet qui porte sur une apparence n'est
donc pas une ide inadquate, ni de I'objet extrieur rel en tant
que tel ni deI'apprence dont elle est la connaissance.Mais en tant
que ralit (mode de lasubitance) I'apparence (objet de la
recognition) s'accompagne ncessairement, enDieu, de son ide adquate
(celle-ci enveloppant ainsi une thorie de la perception).
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60 CoNSTITUTIoN DU SUJET sTRATcIque
Cette activit de l'Ame que Spinoza appelle encore , tout en la
sparant de I'ide (adquate ou inadquate), est leprocessus mme de la
recognitionr. La reconnaissance des objets estcertes d'une certaine
manire, une connaissance (et une connaissanceutile dans le domaine
pratique de la persvrance dans notre tre) maisce n'est pas une >
d'objet bien qu'elle enveloppe la formation deI'ide imaginative (et
de la dsignation) de la chose extrieure qu'elleprtend connatre.
Recognition et connaissance adquate s'excluentdonc radicalement,
elles n'ont pas (si I'on peut dire) le mme objet:>2 ni,
devrions-nous ajouter, I'ideinadquate. L'objet du sens commun,
contempl par I'Ame
- et produit
de cette contemplation -
n'est pas I'objet de la connaissance vraie etadquate. Certes
pour I'Ame, connatre s'identifie l'ide lorsque cetteconnaissance
est a