Du gris jusqu’au bout des doigts Documentaire de création 1
Synopsis
Madagne, une petite ville perdue au Nord de la Sibérie.
Vladimir, metteur en scène moscovite, n’en peut plus de cette ville
étouffante et se bat malgré tout pour monter sa pièce sur les camps de
travail.
Alors que les répétitions touchent à leur fin, il découvre que sa
fille a décidé de partir à Saint-pétersbourg et que sa femme ne le
rejoindra pas.
La nuit venue, tandis qu’il marche au bord de la mer pour essayer de
recouvrer ses esprits, il rencontre un homme étrange qui va le
poursuivre dans un rêve très mouvementé...
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Note introductive
C’est l’été. Le soleil ne se couche jamais ; le ciel devient gris
clair la nuit venue. Nous sommes dans la petite ville sinistre de
Magadane, au bord de la mer. On ne voit que des petites montagnes nues
à la terre noire tout autour de la ville. Elles s’étendent au nord sur
des kilomètres dans toute la région de la Kolyma.
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Scénario
1. EXT. NUIT (GÉNÉRIQUE)
Le gris du ciel est clair.
2. INT. Théâtre : Bureau de VLADIMIR - JOUR
VLADIMIR écrit sur des feuilles reliées, une cigarette aux
lèvres. C’est son livret. Il est assis derrière un bureau. C’est
un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux gris plaqués.
La lampe posée sur le bureau éclaire son large visage. Des
papiers en vrac et un manteau traînent sur une petite table
adossée au bureau.
VLADIMIR écrase sa cigarette d’un geste vif, se retourne
subitement, ouvre la porte d’une armoire derrière lui, prend un
livre sur une étagère, le pose aussitôt sur son bureau et
l’ouvre. VLADIMIR allume nerveusement une cigarette et se penche
sur le livre. On frappe à la porte, VLADIMIR reste penché sur son
livre la cigarette aux lèvres.
La porte du bureau s’ouvre, UNE SECRÉTAIRE d’un certain âge
entre, fait deux pas et s’arrête. Son visage sévère tranche avec
ses cheveux décolorés en coup de vent.
LA SECRÉTAIRE
(sèchement)
Votre femme a encore appelé plusieurs fois !
VLADIMIR est penché sur son livre, il tourne une page.
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VLADIMIR
(agacé)
Oui, oui…Tout est prêt pour la répétition de
demain ?
LA SECRÉTAIRE (OFF)
(sèchement)
Oui Monsieur.
VLADIMIR
(agacé)
Encore combien de jours ?
LA SECRÉTAIRE se tient toujours debout près de la porte d’entrée
ouverte.
LA SECRÉTAIRE
(sèchement)
Huit jours. Les costumes sont prêts. Vous n’avez
plus besoin de moi ?
VLADIMIR lève la tête de son livre, la cigarette au bout des
doigts.
VLADIMIR
(retrouvant à moitié son calme)
Merci.
LA SECRÉTAIRE (OFF)
(sèchement)
Bonsoir Monsieur.
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On entend la porte claquer. VLADIMIR écrase sa cigarette. Il ôte
maladroitement ses lunettes et les glisse dans la poche
intérieure de sa veste. Il se passe les mains sur le visage, puis
sur la tête. Il souffle, quelque chose le tracasse.
Il se lève assez vite, contourne le bureau pour attraper son
manteau tandis que le téléphone sonne, il retourne rapidement
derrière le bureau et, après une hésitation, attrape son livret
et éteint la lampe de bureau. Le téléphone sonne toujours.
3. INT. Théâtre : Couloir – JOUR
VLADIMIR marche lentement dans un long couloir éclairé tandis
qu’une étrange sonnerie de téléphone se fait entendre. Le manteau
noir jeté sur les larges épaules de VLADIMIR flotte légèrement.
Une femme de cinquante ans à la voix rauque (OFF)
HELENA va partir… La pauvre, comment a-t-elle fait
pour rester si longtemps !
VLADIMIR traverse un grand hall sombre.
Une femme de cinquante ans à la voix rauque (OFF)
… Écoute VLADIMIR, je sais que tu es très pris par
ton travail, mais j’espérais que tu allais rentrer
après ces deux années ! je pense que je ne pourrai
pas non plus supporter de vivre là-bas et qu’il
vaut mieux que je reste à Moscou.
VLADIMIR tourne dans un autre couloir éclairé, il s’enfonce dans
le couloir et tourne à nouveau. L’étrange sonnerie continue de
tinter. Le couloir est vide.
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4. EXT. Cour du Théâtre - JOUR
UN CHAUFFEUR debout à côté d’une voiture noire fume une cigarette,
au milieu d’une cour. La lumière est claire, un filet de ciel
apparaît au-dessus du grillage au fond de la cour.
VLADIMIR surgit brusquement et fait quelques pas rapides en
direction de la voiture tandis que LE CHAUFFEUR écrase sa
cigarette par terre et ouvre la portière arrière. VLADIMIR grimpe
dans la voiture, LE CHAUFFEUR ferme la porte.
5. INT. Cour du Théâtre : Voiture - JOUR
Une lumière douce éclaire le visage bien rasé de VLADIMIR, ses
yeux bleus clairs sont vifs. La lunette arrière de la voiture est
légèrement teintée.
VLADIMIR
(impatient)
Rue Octrabrskaïa !
LE CHAUFFEUR conduit. Il se rapproche de la porte d’entrée de la
cour du théâtre.
LE CHAUFFEUR
Bonne journée Monsieur Barlyaev ?
VLADIMIR observe le paysage à travers la vitre. Il se retourne et
souffle.
VLADIMIR
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(énervé)
Encore un an à tirer dans ce trou perdu !
LE CHAUFFEUR conduit toujours. Il regarde dans le rétroviseur.
LE CHAUFFEUR
Vous n’étiez pas obligé de rester !
VLADIMIR regarde droit devant lui.
VLADIMIR
(retrouvant à moitié son calme)
Si je m’en vais, il n’y a personne pour me
remplacer dans l’immédiat, et puis je me suis
engagé personnellement ! Je sais bien que personne
ne s’intéresse aux camps de travail et que l’art ne
sauvera rien, mais je tiens à continuer mon
travail, vous comprenez ?
LE CHAUFFEUR (OFF)
Vous tiendrez le coup !
Ils parcourent une large avenue, il y a peu de voitures, des
immeubles passent de chaque côté de l’avenue, la voiture ralentit…
Personne ne traverse au feu.
Ils parcourent à présent une rue calme, on voit au loin une place
spacieuse avec une statue imposante au milieu. Ils se rapprochent
de la statue. On reconnaît Lénine, un bras tendu.
Ils prennent une route en mauvais état qui descend, des entrepôts
puis des terrains vagues passent de chaque côté de la route.
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6. EXT. Rue Octrabrskaïa : Cité - JOUR
De jeunes adolescents traînent devant la cage d’escalier d’un
grand immeuble délabré. Ils échangent quelques mots et quelques
rires entre deux gorgées de bière. Un jeune s’assoit sur la cage
d’escalier, il roule un joint. Un autre sort du magasin
d’alimentation collé à la cage d’escalier avec des cannettes de
bière, il les distribue, des cigarettes s’allument. Les balcons
en bois se détachent de la façade de l’immeuble.
La portière de la voiture s’ouvre, VLADIMIR descend.
VLADIMIR
Attendez-moi.
On entend la portière claquer, VLADIMIR marche sur le sol en
terre battue cabossé, il passe devant les jeunes sans y prêter
attention, ouvre la porte de la cage d’escalier et entre dans
l’immeuble.
7. INT. Cité : Cage d’escalier - JOUR
Les marches d’une cage d’escalier sordide et sombre se succèdent,
le bruit des pas sur les marches résonne, les portes d’entrée
d’un étage surgissent, elles sont en acier, puis d’autres marches
se succèdent à nouveau.
8. INT. Cité : Appartement d’HELENA - JOUR
HELENA lève un bras en l’air, elle tient un billet au bout des
doigts, le billet tourne en l’air. C’est une jeune femme d’une
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trentaine d’années au visage dur, ses cheveux courts sont
décolorés.
HELENA
(en riant nerveusement)
J’me casse, j’me casse de cette ville de merde.
VLADIMIR fume une cigarette, il est assis sur le bord d’un vieux
canapé.
VLADIMIR
(dérouté)
Et ton travail à la radio ?
HELENA s’assoit sur le canapé à côté de VLADIMIR, elle allume une
cigarette.
HELENA
(retrouvant à moitié son calme)
J’tiens plus ici, j’vais m’installer chez IRINA.
ELLIPSE
HELENA et VLADIMIR regardent devant eux, face à la fenêtre au
fond du salon. HELENA pose délicatement une main sur l’épaule de
VLADIMIR.
HELENA
(tristement)
Tu vas me manquer papa…
VLADIMIR
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(calmement)
Tu verras HELENA, le temps passe beaucoup plus vite
à Saint-Pétersbourg.
Le visage d’HELENA est posé sur l’épaule de VLADIMIR, des larmes
coulent sur ses joues.
9. EXT. Rue Octrabrskaïa : Cité – NUIT
Le visage dur d’un jeune adolescent, il recrache de la fumée, un
autre visage dur aux traits marqués, il tire sur une cigarette,
un autre visage balafré, puis un autre visage marqué. On
reconnaît les jeunes aux regards sombres et fixes qui zonent
dans la cité.
La voiture s’éloigne lentement sur une route qui monte.
10. EXT. Rue Nagaievskaïa - NUIT
VLADIMIR regarde devant lui, assis derrière la vitre de la
voiture qui passe devant nous. Elle s’enfonce lentement sur une
route déserte. Le grand ciel gris clair répand une lumière douce
sur la route qui s’amincit et rejoint la mer grise. Tout est gris
excepté les monts noirs au loin, disposés de chaque côté de la
baie. La voiture s’éloigne toujours. Ce sont les nuits blanches
de l’été à Magadane.
11. EXT. Baie de Nagaïevo : Plage - NUIT
VLADIMIR enjambe une flaque d’eau sur le sol humide, la voiture
noire tourne au loin.
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Il y a quelqu’un à une vingtaine de mètres, il est assis sur un
tronc d’arbre posé sur le sable.
Un phare à feu fixe éclaire au loin quelques immeubles derrière
lesquels s’étendent les monts noirs sous le ciel gris clair.
L’homme assis sur le tronc esquisse un geste en l’air comme pour
saluer.
VLADIMIR marche sur le sable, il se rapproche puis s’arrête pour
observer les monts noirs qui flottent au loin de chaque côté de
la baie, entre mer et ciel.
Des mèches de cheveux noirs dépassent d’une chapka usée. On
découvre le visage chétif d’un jeune homme asiatique. Il a une
vingtaine d’années.
LE JAPONAIS
(un léger sourire aux lèvres)
Cigarette ?
Sa main attrape le paquet de cigarettes que lui tend VLADIMIR.
VLADIMIR (OFF)
T’es d’où ?
Le visage du JAPONAIS se découvre à nouveau, une cigarette
allumée au bout des lèvres. Il tend le bras comme pour indiquer
au-delà…
LE JAPONAIS
D’en face…
…des monts noirs sous le ciel gris clair, à l’extrémité de la
plage.
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VLADIMIR se tourne pour observer à son tour les monts noirs sous
le ciel.
VLADIMIR (OFF)
Prisonnier japonais ?
LE JAPONAIS (OFF)
Tokyo.
Un bateau s’éloigne sur la mer.
VLADIMIR (OFF)
D’ici on peut s’échapper.
VLADIMIR n’attrape pas le paquet de cigarettes que lui tend LE
JAPONAIS.
ELLIPSE
LE JAPONAIS assis sur le tronc d’arbre fume tout en observant
VLADIMIR qui marche au loin et a presque rejoint le phare
éclairé.
12. EXT. Baie de Nagaïevo : Quai - NUIT
VLADIMIR marche sur un quai le long d’un bateau de pêche, il
rabat le col de son manteau et glisse ses mains dans les poches
comme s’il avait froid. On entend des chiens aboyer au loin.
13. INT. Baie de Nagaïevo : Hangar - NUIT
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VLADIMIR contourne les flaques d’eau devant l’entrée d’un grand
hangar à quelques mètres du quai.
Le hangar profond est désaffecté et sombre mis à part de larges
ouvertures qui découvrent l’horizon. On entend des sons lointains
qui rappellent étrangement le cri des ours d’Asie.
VLADIMIR se dirige vers le mur du fond où quatre fenêtres
éclairent des escaliers sur plusieurs niveaux. Les sons étranges
continuent de tinter. VLADIMIR arrive à la hauteur des escaliers,
Il monte lentement les marches.
À travers l’ouverture d’un mur épais et sombre, la ville à moitié
illuminée apparaît au loin entourée de ciel, de mer et de terre
noire. On entend à présent des pas qui se rapprochent.
VLADIMIR vient devant la fenêtre et cache à moitié le paysage,
laissant monter la fumée de sa cigarette. La fumée se dissipe. On
entend l’aboiement lointain des chiens.
VLADIMIR écrit sur son livret, tout près d’un tabouret où repose
une bougie allumée, il est assis sur un grabat au ras du sol. Des
restes de bougies traînent par terre.
La main de VLADIMIR écrit sur une page du livret, on peut lire au
fur et à mesure Le soldat impassible range les mains des évadés dans son sac et
essuie sa hache.
VLADIMIR ferme son livret, le glisse à l’intérieur de son manteau
et souffle sur la bougie. Il s’allonge sous une couverture et
s’endort.
NOIR
14. INT. Baie de Nagaïevo : Hangar – NUIT (RÊVE)
Il y a quelqu'un au pied du grabat. VLADIMIR se redresse subitement, attrape la bougie
restée allumée sur le tabouret et éclaire le visage inquiétant d’UN HOMME. Son teint
cadavérique contraste avec ses lèvres bleues et ses yeux noirs.
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VLADIMIR (OFF)
(légèrement affolé)
Qui es-tu ?
L’HOMME
Je suis le Temps, tu me cherches depuis un certain temps.
VLADIMIR (OFF)
(légèrement affolé)
Je sais.
L’HOMME
Tu as l’air inquiet, es-tu prêt ?
15. INT. Route de la Kolyma : Camion - JOUR
VLADIMIR se redresse subitement, il est dans un camion. Ses yeux bleus clairs sont
grands ouverts.
VLADIMIR
Où allons-nous ?
Une route défile de l’intérieur du camion, derrière le visage cadavérique de l’HOMME. Ses
yeux noirs sont menaçants, un large sourire exhibe des dents en or.
L’HOMME
(après un temps mort)
Au bout du voyage, sur une route qui ne mène nulle part…
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Une route défile de l’intérieur du camion, des monts violets et noirs se rapprochent, ils
s’étendent à perte de vue. Le ciel est clair, tout est silencieux. C’est le grand jour ensoleillé
des monts de la Kolyma.
16. EXT. Route de la Kolyma : Route - JOUR
VLADIMIR marche avec peine sur une route en terre battue comme s’il y avait du vent. Les
monts ensoleillés se rapprochent lentement. On entend le chant d’oiseaux.
L’HOMME se tient debout sur le seuil d’une porte, au milieu de la route. Les monts
ensoleillés s’étendent toujours au loin à perte de vue. VLADIMIR le rejoint avec peine, il lui
fait un geste. Tout est silencieux.
17. INT. Route de la Kolyma : Camion - JOUR
De l’intérieur du camion, on voit l’HOMME toujours au seuil de la porte qui a été rejoint
par HELENA. Un voile est noué autour de son visage et une pèlerine de laine protège ses
épaules. Autour d’eux, un vaste cimetière, de simples croix autour de la route. Le camion
démarre lentement, HELENA se met à courir.
Le camion dépasse un homme, il pousse une brouette, il se retourne, on reconnaît LE
JAPONAIS une cigarette aux lèvres.
La femme de VLADIMIR à la voix rauque (OFF)
Reste là-bas sale con ! j’espère que tu vas tu vas y laisser ta peau!
Le camion accélère, HELENA court toujours au loin, elle tend les bras.
18. INT. Baie de Nagaïevo : Hangar - NUIT
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VLADIMIR possède UNE JEUNE FEMME aux cheveux longs, elle jouit, ses doigts s’enfoncent
dans le dos de VLADIMIR qui fait des va et viens rapides.
On reconnaît le grand hangar sombre au bout duquel un grand feu est allumé. On
entend à nouveau le hurlement des chiens.
VLADIMIR effondré tient sa tête entre les mains, il pousse un cri déchirant.
19. EXT. Avenue Karl Marx : Théâtre - JOUR
La voiture s’arrête sur une avenue devant le Théâtre d’Art
Dramatique. VLADIMIR descend de la voiture et se dirige
rapidement vers la grande porte d’entrée.
20. INT. Théâtre : Bureau de VLADIMIR - JOUR
Une affiche est dépliée sur le bureau, on y voit un mirador le
long d’une route entourée des monts qui s’étendent au loin. Des
grosses lettres indiquent Vladimir Alekseevich Barlyaev présente LES CAMPS
DE L’EXTREME NORD.
VLADIMIR observe l’affiche une cigarette au bout des doigts, il a
l’air distrait. UN HOMME se tient à ses côtés.
VLADIMIR
(se reprenant)
Très bien, très bien.
L’HOMME enroule l’affiche rapidement et sort du bureau tandis que
LA SECRÉTAIRE entre, elle tend un dossier à VLADIMIR qui
l’attrape à contrecœur.
LA SECRÉTAIRE
(sèchement)
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Les comédiens sont prêts.
VLADIMIR
(énervé)
Oui, oui, j’arrive…(il laisse tomber le dossier sur le bureau)
LA SECRÉTAIRE quitte le bureau, VLADIMIR écrase sa cigarette. Il
se passe les mains sur le visage, il a l’air épuisé. Il contourne
avec hâte son bureau.
21. INT. Salle des répétitions - JOUR
Deux grands totems sculptés de bois se font face autour d’une
porte. Elle s’ouvre, VLADIMIR entre d’un pas précipité, il
rejoint les trois comédiens qui discutent à quelques mètres.
VLADIMIR
(chaleureusement)
Bonjour, je suis encore en retard. Bien, on
reprend.
La gueule souriante d’un totem exhibe d’énormes canines. On
dirait un dragon.
Deux comédiens jouent sur scène, deux grands totems se font face
à chaque extrémité de la scène. UN JOLI GARCON de dix-huit ans
environ gratte en souriant la plante du pied d’UN HOMME AU TORSE
TATOUÉ d’une trentaine d’années vêtu d’un jean, il est allongé
sur les planches du haut d’un châlit. Le sol en marbre tranche
avec le plafond en damier.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
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Fous le camp MARIA, tu n’as aucune tendresse.
LE JOLI GARCON s’allonge sur les planches du bas d’un autre
châlit. Le troisième comédien surgit au milieu des deux châlits,
il porte des lunettes et une écharpe autour du cou. Il a l’air
effaré, c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
Alors PLATONOV, on t’a interrogé ?
PLATONOV
(affolé)
On vient de me réaffecter aux travaux pénibles.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
On va t’expédier sur la lune…(il rit d’une manière
sadique)
PLATONOV s’effondre au pied du châlit et pleure.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
…Donnes-moi ton écharpe, tu n’en auras plus besoin…
VLADIMIR (OFF)
(autoritaire)
…Bien, on arrête.
VLADIMIR rejoint PLATONOV au pied du châlit.
VLADIMIR
(captivé)
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Écoute, on ne sent pas assez le désespoir, on est
en 38, tout le monde sait que Moscou a ordonné que
ces criminels exterminent les intellos, et toi tu
es un intello qu’on ramène à l’or, sur le front de
taille…Tu es perdu, tu comprends ?
PLATONOV
Oui, oui.
On voit une autre gueule de dragon aux dents longues et pointues.
VLADIMIR (OFF)
Bien, on enchaîne.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ fume un vieux mégot, il est assis sur les
planches du haut.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
MARIA, montes, viens t’asseoir.
LE JOLI GARCON grimpe sur le châlit et s’assoit à côté de L’HOMME
AU TORSE TATOUÉ qui lui fait de la place et lui tend le mégot.
Ils sont collés l’un à l’autre. LE JOLI GARCON tire avec rage sur
le mégot.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ
Maintenant tu vas me raconter quelque chose de bien
long…(il glisse une main sur le visage du JOLI GARCON)… de bien
mordant.
L’HOMME AU TORSE TATOUÉ reprend le mégot.
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LE JOLI GARCON
(d’une voix fébrile)
En tout c’est le destin qui nous mène, et nul ne
peut lui échapper…
Le visage de VLADIMIR est attentionné, une lueur de gaîté se lit
dans son regard.
VLADIMIR
(captivé)
…C’est ça, reprend-le encore une fois !
LE JOLI GARCON (OFF)
(d’une voix fébrile)
… En tout c’est le destin qui nous mène, et nul ne
peut lui échapper. Partout c’est lui qui nous
emmène, et nous allons, dociles, où il nous dit
d’aller…
22. EXT. Place Lénine - JOUR
Les toits dorés et arrondis d’une cathédrale blanche brillent
sous le ciel clair.
LE JOLI GARCON (OFF)
(d’une voix moins fébrile)
…Et celui qui possède la force de lutter, qu’il
lutte jusqu’au bout contre sa destinée.
La cathédrale tourne lentement sur elle-même.
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23. EXT. Rue Proletarskaïa - JOUR
Un immeuble sous un filet de ciel, un mont au loin, un autre
immeuble, un terrain vague et les monts au loin, un autre
immeuble. Les immeubles se ressemblent tous, gris et délabrés.
24. EXT. Avenue Lénine : Voiture - NUIT
De l’intérieur d’une voiture on voit un casino aux devantures
illuminées, quelques personnes marchent sur le trottoir, une
petite chapelle, les grilles d’un parc derrière lesquelles des
arbres s’élèvent, l’entrée spacieuse du parc, il est fermé.
ELLIPSE
VLADIMIR est assis à l’arrière de la voiture à côté du JOLI
GARCON, ils se tordent de rire. La voiture s’arrête.
LE JOLI GARCON
(joyeux)
Merci de m’avoir raccompagné, reposez-vous VLADIMIR
!
LE JOLI GARCON sort de la voiture.
VLADIMIR
(chaleureusement)
De rien, bonsoir OLEG, à demain.
La portière claque et la voiture redémarre. Le visage de VLADIMIR
est détendu.
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25. EXT. Rue Nagaievskaïa - NUIT
On voit à nouveau la route qui rejoint la mer, et les monts noirs
qui ont l’air de flotter de chaque côté de la baie au loin. La
voiture noire s’enfonce une nouvelle fois sur la route. Le ciel
est gris clair.
26. EXT. Baie de Nagaïevo : Plage - NUIT
VLADIMIR marche à nouveau sur le sable, il frappe violemment du
pied une canette de bière qui traîne au sol. Il rejoint le phare
qui éclaire les immeubles au loin.
27. EXT. Baie de Nagaïevo : Cabanon - NUIT
VLADIMIR marche les mains dans les poches vers un cabanon en
ruine, il arrive devant l’entrée sans porte. Il regarde la
fenêtre délabrée avant d’entrer.
De l’intérieur du cabanon, VLADIMIR fume tout en regardant devant
lui, à l’entrée. Il tousse et se racle la gorge. Il sort du
cabanon.
Il fait quelques pas, arrive à l’angle du cabanon et se dirige
vers un lavabo de fortune à quelques mètres. Il s’asperge la
figure d’eau.
Les gouttes d’eau dégoulinent sur le visage de VLADIMIR penché
sur le lavabo. Il a l’air à moitié inquiet.
Les monts noirs au loin ont l’air une nouvelle fois de flotter de
chaque côté de la baie.
28. EXT. NUIT (GÉNÉRIQUE)
Le gris du ciel est clair.
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