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Santé publique 2003, volume 15, n o 3, pp. 257-266 Résumé : À travers de nombreux exemples, Jean-Claude Fritz illustre le paradoxe auquel le monde se trouve aujourd’hui confronté : une richesse et un niveau de développement sans précédent dans l’histoire, auxquels s’opposent aggravation des inégalités, violences, dégradation de l’environnement… qui marginalisent une partie de l’humanité. Le changement est non seulement nécessaire mais possible. Mots clés : santé - mondialisation - inégalités. La « mise en jeu » de la santé par la mondialisation Globalisation putting health at risk : what is at stake Jean-Claude Fritz (1) Tiré à part : J.-C. Fritz Aborder le thème santé et mondia- lisation, c’est se trouver confronté à deux discours largement dominants. D’un côté, en ce qui concerne l’orga- nisation mondiale, on affirme que jamais le monde n’a été si riche, jamais la science et la technique n’ont connu un tel niveau de développe- ment, et que la promotion des droits humains n’a jamais été si vigoureuse- ment faite ; et cela peut sembler vrai, tout au moins de manière globale et abstraite, en restant au niveau de cer- tains chiffres et des apparences, d’après les outils méthodologiques utilisés. D’un autre côté, on affirme que la santé coûte trop cher, qu’il est (1) Professeur de sciences politiques, Centre d’études et de recherches politiques (Cerpo), Université de Bourgogne, Dijon. temps de faire des sacrifices dans ce secteur, d’admettre des reculs dans la protection de la santé et plus large- ment dans la sécurité sociale, au sens le plus large de cette expression. Ces deux discours sont potentiellement contradictoires, mais dans la logique du système de mondialisation ac- tuelle, ils s’articulent bien, de manière cohérente : nous vivons dans le meilleur des mondes, à la fin de l’his- toire, avec encore juste un effort pour que le marché, érigé en divinité, couvre toutes les activités de l’homme : tous « ceux qui comptent », ceux qui le méritent, auront leur récompense… On prend alors DOSSIER
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Oct 17, 2020

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 257-266

Résumé : À travers de nombreux exemples, Jean-Claude Fritz illustre le paradoxeauquel le monde se trouve aujourd’hui confronté : une richesse et un niveau dedéveloppement sans précédent dans l’histoire, auxquels s’opposent aggravation desinégalités, violences, dégradation de l’environnement… qui marginalisent une partie del’humanité. Le changement est non seulement nécessaire mais possible.

Mots clés : santé - mondialisation - inégalités.

La « mise en jeu » de la santépar la mondialisationGlobalisation putting health at risk : what is at stake

Jean-Claude Fritz (1)

Tiré à part : J.-C. Fritz

Aborder le thème santé et mondia-lisation, c’est se trouver confronté àdeux discours largement dominants.D’un côté, en ce qui concerne l’orga-nisation mondiale, on affirme quejamais le monde n’a été si riche,jamais la science et la technique n’ontconnu un tel niveau de développe-ment, et que la promotion des droitshumains n’a jamais été si vigoureuse-ment faite ; et cela peut sembler vrai,tout au moins de manière globale etabstraite, en restant au niveau de cer-tains chiffres et des apparences,d’après les outils méthodologiquesutilisés. D’un autre côté, on affirmeque la santé coûte trop cher, qu’il est

(1) Professeur de sciences politiques, Centre d’études et de recherches politiques (Cerpo), Universitéde Bourgogne, Dijon.

temps de faire des sacrifices dans cesecteur, d’admettre des reculs dans laprotection de la santé et plus large-ment dans la sécurité sociale, au sensle plus large de cette expression. Cesdeux discours sont potentiellementcontradictoires, mais dans la logiquedu système de mondialisation ac-tuelle, ils s’articulent bien, de manièrecohérente : nous vivons dans lemeilleur des mondes, à la fin de l’his-toire, avec encore juste un effort pourque le marché, érigé en divinité,couvre toutes les activités del’homme : tous « ceux qui comptent »,ceux qui le méritent, auront leurrécompense… On prend a lo rs

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J.-C. FRITZ

conscience que cette cohérenceapparente ne se réalise qu’au prix del’exclusion ou de la marginalisation dela majorité de l’humanité.

Quand on quitte l’abstrait et le glo-bal pour aborder le concret et le sin-gulier, l’image rencontrée s’écartesensiblement de celle suggérée par lediscours : le « Botswana se meurt »avec une espérance de vie en réduc-tion foudroyante, de 67 ans en 1988 àmoins de 40 ans aujourd’hui, et peut-être moins de 30 ans d’ici peu, si l’ex-tension du sida n’est pas arrêtée ;l’Irak a une mortalité infantile et mater-nelle en forte hausse, avec plus d’unmillion de personnes, surtout desenfants et des femmes, morts à lasuite de la guerre du golfe, des bom-bardements qui ont suvi, de l’embargoimposé par les Nations unies ; et onnous promet encore plus de souf-frances et de destructions pour lesmois qui viennent, si le monde ne semobilise pas ; le conflit récent et l’oc-cupation du pays ne permettent pasd’attendre à court terme une améliora-tion de cette situation ; la famine serépand en Afrique, notamment aus-trale et orientale, due non seulementaux catastrophes climatiques et auxerreurs de politique intérieure, maisaussi largement à la politique écono-mique internationale telle qu’elle sedéveloppe depuis vingt ans, etc. Desdizaines de pays pourraient être ajou-tées à cette liste. Dans la réalité, onconstate l’importance d’un état demal-être dans la majorité de la popula-tion mondiale, qui dans de nombreuxpays tend à s’aggraver, dans cer-taines zones d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine notamment.

La mondialisation « réelle » présen-te divers caractères qu’il est impor-tant de saisir pour comprendre sonfonctionnement et ses conséquen-ces : elle est centrée sur l’individu,« l’économicisme » (approche particu-

lière de l’économie centrée sur uncertain type de rationalité financière),l’abstraction, l’amoralisme et la visionà court terme [1].

Les défis auxquels le processusactuel de mondialisation confronte lasanté sont multiples : on se contenterade présenter ici quelques réflexionsintroductives sur trois d’entre eux quisont d’ampleur considérable et liés àla logique de la mondialisation actuelle :la diffusion d’une culture toxique,l’aggravation des inégalités, l’affronte-ment entre le « droit à la santé » et le« marché de la maladie » ; dans unquatrième point, en guise de conclu-sion, et d’introduction à d’autresdébats, on envisagera le changementd’orientation nécessaire et possible, àpartir d’une perspective centrée surles droits humains, y compris leurdimension collective de droits despeuples et de l’humanité.

La diffusion d’une culturetoxique

Est toxique, « ce qui agit comme unpoison » ; au sens figuré ce qui est« nuisible (de manière sournoise) » [2].C’est bien dans ce sens qu’uneréflexion pluridisciplinaire a été condui-te par un groupe de chercheurs anglo-saxons concernés par la réorientationdu débat sur l’environnement sur « lapolitique de la santé dans une culturetoxique » [3]. En reprenant ce sens tra-ditionnel du mot toxique, « des maté-riaux et des processus qui peuventporter atteinte à la santé humaine et àl’environnement » [3], et en considé-rant la culture comme un ensemblecomplexe de valeurs, d’attitudes, decomportements et de politiques, onpeut conclure avec les auteurs que« ce qui fait de notre société uneculture toxique, ce sont les arrange-ments sociaux qui encouragent etexcusent la détérioration de l’environ-

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LA « MISE EN JEU » DE LA SANTÉ PAR LA MONDIALISATION

nement et de la santé humaine » [3].En élargissant la réflexion, on peutdistinguer diverses modalités d’ex-pression de cette culture toxique.

La dégradation de l’environnementest un des aspects des plus évidents,aux facettes multiples : les pollutionsde l’air, de l’eau, du sol, la destructiondes écosystèmes et de la diversitébiologique, le trou de la couched’ozone, la contribution humaine auchangement climatique, etc. Elle estporteuse de perte de ressources natu-relles conduisant à l’insécurité alimen-taire, de diffusion de maladies liéesaux pollutions et aux contaminations.Des dizaines de milliers de personnesmeurent chaque année de maladiesliées aux pesticides employés dansl’agriculture, des millions d’individussont affectés de troubles respiratoiresliés à l’oxyde de carbone et aux mul-tiples composants chimiques disper-sés dans l’atmosphère : l’urbanisation,conçue de manière souvent incohé-rente et inadaptée, contribue à accélé-rer la reprise de certaines maladiescomme le paludisme et le choléra. Cesatteintes à l’environnement peuventcontribuer à des affaiblissements etdysfonctionnements des systèmesimmunitaires avec comme consé-quence la mauvaise santé et la mort[4].

La détérioration des relations hu-maines et l’érosion du lien social sontd’autres éléments de cette culturetoxique, perturbant l’environnementsocial de l’être humain. Le fait de neconsidérer l’autre que comme unconcurrent, un client ou un consom-mateur, une force de travail à utiliservoire une marchandise à vendre (dansla traite des êtres humains ou le traficd’organes) ne prédispose guère àprendre en compte et à apprécierl’être humain dans toutes ses dimen-sions, rationnelles, affectives, morales,émotionnelles, artistiques et spiri-

tuelles. La publicité et les techniquesde communication, avec leur formi-dable force de manipulation, peuventêtre des outils efficaces dans ce pro-cessus de déshumanisation de l’autre,qui va de sa réduction à une dimen-sion particulière à sa négation pure etsimple.

Sur le plan économique, le chôma-ge accru, la précarité du travail, sonintensification et sa faible rémunéra-tion sont la traduction de cette attitu-de où la fin (la rentabilité compétitive)justifie les moyens (la non-prise encompte des besoins des autreshumains et le non-respect de l’envi-ronnement).

L’absence de respect de l’humain etde la nature débouche sur une insécu-rité aux multiples aspects et sur uneviolence diversifiée dont seules lesmanifestations conjoncturelles et par-ticulières sont mises en valeur, audétriment de la violence structurelle etsymbolique, chronique. L’assassinatattire les grands titres, la famine, laguerre, la pauvreté, l’exclusion, l’hu-miliation qui sont des violences affec-tant profondément les êtres humainsphysiquement et psychiquement n’at-tirent l’attention que de manière tem-poraire, sélective et discriminatoire. Laviolence personnalisée est souventune réponse aux violences structu-relles souvent masquées, c’est à lafois une contestation et une imitationde ce qui est présenté comme les« normalités » dans le cadre de laculture des médias contemporains :films, séries télévisées, jeux informa-tiques, réseaux informatiques, publici-té présente dans des supports variésmontrent la violence comme unesituation « normale », statistiquementvoire éthiquement. Il n’est pas surpre-nant que les différentes versions deRocky, de Rambo, voire de Supermanperturbent enfants et adolescents àtravers le monde. La violence engen-

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dre la peur, la peur engendre la vio-lence. La culture de la peur est ausens propre une culture de mort quitouche de façon tragique les jeunes[5] : de 1985 à 1994, selon l’OMS letaux de mortalité par homicide auraitdoublé chez les jeunes de sexe mas-culin, passant d’environ 9 à 20 pour100000. Usage de drogues, d’alcool,de tabac, suicides et comportementssuicidaires sont aussi des réactionsqui peuvent être liées au stress exis-tant dans une société où la peur estomniprésente et où elle est parfois unprincipe d’organisation. L’intimidation,le harcèlement, la méfiance de l’autrepeuvent se trouver érigés en principede gestion ou en outil de réussite per-sonnelle. Le processus de socialisa-tion, l’estime de soi et l’estime desautres, sont fortement perturbés, cequi conduit au mal-être, à l’isolementet à l’agressivité, à la vulnérabilité enmatière de santé physique et mentale.

La croissance des inégalités,menace pour la santé

Les inégalités ont augmenté demanière spectaculaire dans les vingtdernières années. L’écart entre les20 % les plus riches et les 20 % lesplus pauvres est passé de 1 à 30 vers1950 à 1 à 78 vers la fin des annéesquatre-vingt-dix. Les inégalités n’ontpas épargné les pays occidentaux,avec une sensible augmentation desenfants vivant dans la pauvreté, attei-gnant ou dépassant 20 % du totaldans des pays comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis, membresdu « club » le plus exclusif des grandespuissances, le G8. L’inégalité écono-mique s’est renforcée au niveau desrevenus comme au niveau des for-tunes : au début de la décenniequatre-vingt-dix dans le secteur de lasanté, le PDG d’une grande sociétéhospitalière américaine disposait vrai-

semblablement d’un revenu équiva-lent à presque deux millions de foiscelui d’un médecin de certaines répu-bliques de l’ex-URSS en cours dedésintégration-transition.

En l’an 2000, 0,1 % de la populationdu globe disposait d’une fortune dis-ponible pour l’investissement de27 000 milliards de dollars (1 million dedollars américains ou plus par per-sonne), alors que près de 50 % de lapopulation n’avaient qu’une consom-mation de 2 dollars ou moins par jour,avec une « fortune » souvent dérisoire,et même dans un certain nombre decas négative, c’est-à-dire que l’endet-tement était supérieur à l’actif de leurpatrimoine.

Sur le plan politique, l’inégalitéapparaît clairement tant au niveauinternational que national ou local : dixpays sur plus de cent quatre-vingtsdisposent de la majorité absolue desvoix au Fonds monétaire internationalet à la Banque mondiale, et indirecte-ment par le biais des moyens de pres-sion économique ils contrôlent égale-ment l’Organisation mondiale ducommerce (OMC). Au Conseil de sé-curité des Nations unies, les États-Unis apparaissent clairement commela puissance dominante, par leurpoids militaire et leur pouvoir de sanc-tions économiques, parmi les cinqgrandes puissances ayant le droit deveto. Au niveau national, le rôle de l’ar-gent place dans une situation incom-parable les divers acteurs de jeupolitique : dépenses de campagneélectorale, contrôle des médias, cor-ruption politique, achats de vote etmenaces parfois vitales par l’intermé-diaire d’hommes de main, faussenttrop souvent le débat et le processusélectoral, dans des régimes formelle-ment et apparemment démocratiques.

La santé est concernée par ce pro-cessus de concentration du pouvoir

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économique et politique de plusieursmanières. Tout d’abord la redistribu-tion des revenus et de fortunes, qui sefait au profit des plus riches actuelle-ment, explique le maintien et, danscertains cas, l’aggravation de la pau-vreté. Or, la pauvreté combinée avecla précarité et la vulnérabilité qui sou-vent l’accompagnent, constitue unemenace généralement reconnue pourla santé : la malnutrition, le logementinsalubre, l’exposition non protégéeà des polluants variés, le manqued’accès à l’eau potable, représententquelques-unes des composantes decette menace. L’inégalité va jouerdans le choix des domaines d’activitéet des techniques, avec un investisse-ment orienté vers les équipements etles recherches qui intéressent le plusla partie la plus riche de la populationqui détient le pouvoir économique etaussi largement pour l’instant le pou-voir politique. Dans des périodes derestrictions budgétaires, les coupesfinancières risquent de se faire dansdes secteurs peu spectaculaires maisfondamentaux pour la satisfaction desbesoins de la santé du grand nombre.La suppression des subventions, laréduction des services publics gratuitsou bon marché vont toucher la santédes pauvres et représentent unélément considérable, quoique pastoujours pris en compte, de leurappauvrissement.

Mais au-delà de cette approcherelativement classique de l’impact desinégalités sur la santé, se dégage deplus en plus l’idée que l’inégalité elle-même serait en quelque sorte patho-gène et affecterait non seulement lasanté des pauvres, mais aussi celledes riches. Les inégalités tendent àcréer ou renforcer le stress, de mêmeque les attitudes et comportementsagressifs et violents. Chez lespauvres, c’est le combat pour accéderaux ressources nécessaires à la sur-

vie, pour obtenir un travail, pour obte-nir un revenu permettant de faire vivrela famille, y compris en fournissant untravail familial peu payé ou gratuit par-fois, celui des femmes et surtout desenfants, pour atteindre les perfor-mances de production exigées.

La culture provocante de la sociétéde consommation multiplie aussi lesfrustrations et les réactions agressivesqu’elles déclenchent. Chez les richesaussi le stress grandit ; il est dû à uneconcurrence de plus en plus vive, à lanécessité d’agir de plus en plus rapi-dement ; il est dû également et peut-être plus fondamentalement à lacrainte de perdre une partie de ce quel’on possède, à la peur d’être attaqué,enlevé, ou victime de chantage ; au-delà du risque de perdre des biens,existe aussi le risque de perdre au jeudans la nouvelle « société de casino »,avec ses répercussions psycholo-giques, l’humiliation du perdant : iln’est pas étonnant dès lors de voir desdirigeants ou cadres d’entreprises pré-férer « tricher » ou entrer dans l’illiciteplutôt que de perdre… La pressionénorme liée à cette « société de lapeur » est une menace certes trèsinégale mais présente chez la grandemajorité de ses membres.

Dans d’autres domaines, on pour-rait mettre en évidence l’aspect patho-gène de cette inégalité, qui suscite etpermet la coexistence de la sous-consommation et de la surconsom-mation, de la malnutrition par excès etpar défaut.

Dans la logique de cette réflexion,et malgré les différences d’approcheset de critères, on ne peut pas êtresurpris par les conclusions du rapportde l’Organisation panaméricaine desanté (Opas) publié fin septembre2002 : « Les sociétés les plus sainesdans les Amériques ne sont pasnécessairement celles qui sont les

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plus riches », mais « celles qui sont lesplus équitables dans la distribution deleur revenu, indépendamment de sonmontant » [6].

L’affrontement entre « le droit à la santé » et le « marché de la maladie »

La mondialisation actuelle, dans salogique centrée sur le marché et leprofit, privilégie l’aspect financier etmonétaire dans une perspective in-dividualiste et a-morale. Elle peutconduire à des stratégies d’entre-prises et à des politiques traduisantun degré extrême de déshumanisa-tion. La campagne de relations pu-bliques commandée par le géant del’agro-industrie Philip Morris, grandfabricant de cigarettes, en offre unexemple spectaculaire, révélé dans lapresse internationale en juillet 2001 :son but était de convaincre des hautsfonctionnaires de la République tchè-que que l’augmentation de la consom-mation de tabac aurait des effetspositifs sur les finances publiques enfavorisant la mort prématurée d’uncertain nombre de personnes, ce quiéconomiserait de l’argent sur lesretraites, les traitements médicaux etles logements [7]. Cette mise encause spectaculaire du droit à lasanté et du droit à la vie au nom deséconomies budgétaires est conformeà la rationalité financière dominante,même si heureusement son inaccep-tabilité éthique a entraîné de tellesréactions que l’entreprise a préféréprésenter ses excuses. Récemmentaussi, au printemps 2002, les débatsà la Commission des droits de l’hom-me des Nations unies ont montré quela mondialisation mettait en danger ledroit à l’alimentation et le droit aulogement qui sont d’une importanceprimordiale pour la promotion de lasanté [8].

Mais la nouveauté est l’offensivefaite pour développer un véritable« marché de la maladie » au profit desgrands acteurs privés transnationaux,dans la logique du droit des affaires,c’est-à-dire en privilégiant les dimen-sions commerciales et financières.

Le Fonds monétaire international(FMI) a préparé le terrain par sa poli-tique d’ajustement structurel depuisles années quatre-vingt, conditionnantl’apport de ressources financièresnouvelles à une libéralisation des éco-nomies des pays en développementendettés, avec ses divers aspects deprivatisation, d’internationalisation etde déréglementation. Parmi les sec-teurs d’importance vitale, l’agriculturevivrière, l’éducation et la santé ont ététouchées avec la baisse des dépensespubliques et le développement d’unsecteur privé à but lucratif, dans lalogique du marché, c’est-à-direrépondant à une demande solvable etnon pas aux besoins de l’ensemble dela population souvent dépourvue deressources financières suffisantes.

C’est l’Organisation mondiale decommerce (OMC), créée à Marrakechen avril 1994, entrée en vigueur le1er janvier 1995, qui représente laradicalisation du modèle néo-libéral,en privilégiant les intérêts financiers etprivés vis-à-vis des besoins humainset sociaux [9]. Outre le danger quereprésente l’Accord sur l’agriculture– qui y est incorporé – pour la sécuritéalimentaire de nombreux pays et decentaines de millions, voire de 2 à3 milliards… de personnes, ce sont lesaccords en matière de commerce, deservices et de propriété intellectuellequi sont les plus préoccupants pourl’avenir de la santé mondiale (voirl’article de Ronald Labonte).

L’accord général sur le commercedes services (AGCS ou Gats) prévoit lalibéralisation, la privatisation et l’inter-

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nationalisation des services, couvrantpotentiellement les activités d’intérêtgénéral comme la santé, l’éducation,la fourniture de l’eau, la garde desenfants, les transports, la communica-tion, la culture et bien sûr les servicesfinanciers. Des négociations sont encours pour réviser le contenu de cetaccord d’ici 2005. C’est sous la pous-sée des grandes entreprises transna-tionales du secteur des services quecet accord a été imposé avec la pres-sion quasi unanime des grandes puis-sances du monde occidental, en parti-culier des États-Unis et de l’Europe,grands exportateurs potentiels de ser-vices.

En matière de santé, la coalitionaméricaine des industries de servicesa pris une position très claire : « Lapropriété publique des systèmes desoins de santé a rendu difficile pour lesecteur privé américain des fournis-seurs de soins de santé la pénétrationdu marché dans les pays étrangers »[10]. Il s’agit donc de privatiser pourpouvoir « internationaliser » et intégrerce secteur pleinement au mondeinternational des affaires. Favoriser lasanté de la population mondiale n’estpas une attitude lucrative dans cetteperspective ; la prévention est ininté-ressante, voire dangereuse, car ellerisque d’empêcher la rentabilisationdes équipements et services et de larecherche qui les a produits. Il y atoutefois des exceptions, quand laprévention exige la mise en placed’équipements coûteux en nombresuffisant… Autrement, on «comprend »dans cette logique les déclarations decertains responsables dans le secteurde la santé relatives aux services dematernité : ce qui est intéressant, cesont les grossesses à complication,en effet, elles rapportent plus ; si onpousse cette logique un peu plus loin,on réalise qu’un handicap crée plusd’opportunités d’affaires que sa pré-

vention et nous serons au « pointfinal » : une monstruosité du point devue éthique certes, mais une logiquede mort et de souffrance « rentable ».

L’OMC comprend aussi un Accordsur les droits de propriété intellectuel-le qui touchent au commerce (Adpicou Trips). Il renforce le phénomèneévoqué antérieurement, en étendantla privatisation et l’exclusivité dans ledomaine du savoir. Non seulement lapropriété couvre un champ de plusen plus vaste, mais encore elle estconsidérée comme étant par essenceun droit privé, alors même que dansla réalité toute une série d’inventionssont le fruit d’une recherche trèssocialisée, et que parfois la soi-disantinvention a déjà été faite ailleursdepuis longtemps, mais non protégéesuivant la conception de l’OMC : il enest aussi pour de nombreux médica-ments et pratiques médicales issusde cultures populaires ou de culturesscientifiques non occidentales, ycompris celles des peuples autoch-tones [11]. La protection de la pro-priété privée a été augmentée par cetaccord de manière à la fois ouverte etinsidieuse, car ce n’est qu’un mini-mum exigé, et cela ouvre la porte àdes pressions bilatérales pour exigerde divers pays qu’ils accordentune meilleure protection, commeles États-Unis l’ont fait vis-à-vis del’Afrique du Sud, de l’Inde, du Brésilet de la Thaïlande par exemple. Aupa-ravant, dans de nombreuses législa-tions nationales, les systèmes de pro-tection organisés permettaient auxÉtats d’exclure certains domaines dusystème de droit commun, poursatisfaire les besoins essentiels de lapopulation, en particulier dans lesdomaines de l’alimentation et de lasanté. C’est de plus en plus difficilede faire prévaloir l’intérêt généraldans le cadre de l’accord de l’OMC,qui par ailleurs ouvre une brèche en

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imposant l’obligation de breveter levivant, au moins sous des formesparticulières (par exemple, les micro-organismes).

Cet accord, complexe dans ses dis-positions, est clair dans sa signi-fication : c’est un succès pour l’indus-trie transnationale ainsi que lerapportait d’une manière explicite unresponsable de la grande entre-pr ise agro-industrielle Monsanto :« les industries et négociants du com-merce mondial ont joué simultanémentle rôle du patient, du médecin qui dia-gnostique et du médecin qui prescrit »[12]. La position de contrôle exclusifdes grandes entreprises transnatio-nales leur permet de pratiquer la poli-tique de prix qui leur convient. Lespauvres des pays en développement,comme d’ailleurs ceux des pays déve-loppés s’il n’y a pas d’interventionpublique, ne peuvent prétendre dansla lutte contre le sida à l’accès à la tri-thérapie qui coûte souvent autour de10 000 dollars américains par an ouplus, ni au traitement contre la tuber-culose résistante, qui coûte 8 000 à10 000 dollars. Dans des pays où lesdépenses de santé, publiques et pri-vées, ne dépassent parfois pasquelques dizaines de dollars par an etpar personne, comment faire ? Unhôpital du Guatemala a eu recours à laloterie, au tirage au sort : quatre-vingt-dix personnes atteintes du sida, maisun traitement disponible pour quatrepersonnes : le gagnant de la loteriegagne un an de traitement [13]…

Les pays en développement ne sontpas toujours privilégiés, loin de là, lorsde la fixation des prix : la même spé-cialité est vendue 14 dollars améri-cains au Canada, mais 40 dollars enIndonésie [14] ; un autre produit d’uneautre entreprise était vendu 77 dollarsau Canada, mais 150 dollars enAfrique du Sud et 183 dollars en Mon-golie, en revanche seulement 2 dollars

en Inde... parce qu’il y avait une indus-trie pharmaceutique indienne produc-trice de médicaments génériques. Lesprix de certaines spécialités dans cer-tains pays atteignent parfois trente àquatre-vingt fois le prix de produitsgénériques fabriqués en Inde ; onretrouve des différences comparablesdans les prix des matières premièrespharmaceutiques vendues par lesentreprises transnationales à leursfiliales de pays en développement, enles comparant au prix d’autresfournisseurs du marché international :des différences de prix de 3 360 % etde 7 044 % ont été constatées auPakistan pour des matières premièrespharmaceutiques déterminées [15].L’industrie pharmaceutique interna-tionale, très dynamique, pousse avecforce à l’extension du « marché de lamaladie ». L’accord du 30 août 2003paraît positif, mais il est ambigu etlimité et ne suffit pas à garantir unemeilleure prise en compte du droit à lasanté.

La conception de la santé publiqueest affectée par ce processus. Certainsveulent la réduire, la « reformater» : l’ex-tension de la privatisation, la coupe desdépenses publiques la conduiraient àjouer un simple rôle de « veille » statis-tique et épidémiologique, les politiquespubliques en matière de santé étant lar-gement remplacées par les stratégiescommerciales d’entreprises et les sys-tèmes de financement privé, du typeassurances, profondément inégalitaires.

Pourtant, le droit à la santé fait par-tie des droits de l’homme, figurantdans de nombreux textes internatio-naux, y compris dans des conventionsinternationales impliquant des obliga-tions juridiques, comme le Pacte inter-national relatif aux droits écono-miques, sociaux et culturels de 1966qui, dans son article 12, dispose : « ledroit qu’a toute personne de jouir dumeilleur état de santé physique et

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mentale qu’elle soit capable d’at-teindre ». Ce droit à la santé remet encause de multiples aspects du pro-cessus de mondialisation, y compris ladiffusion de la « culture toxique » évo-quée précédemment ; il constitue undes fondements des importantesréactions actuelles, fondées surl’éthique des droits humains.

Le nécessaire changementd’orientation est possible

Si la mondialisation individualiste etmarchande progressivement mise enplace ces dernières années se pro-longe, elle aboutit à une crise socialeet écologique, porteuse de plus deviolence et de destruction, remettanten cause les conditions de vie, voireles possibilités de survie, de généra-tions futures. Dans les cinq dernièresannées, une importante prise deconscience a eu lieu, accompagnéede mobilisation, dans les organisa-tions internationales, chez les cher-cheurs et surtout dans les mouve-ments sociaux. Cette résistance à la« culture toxique » actuelle prend desformes multiples.

Au niveau juridique, la Commissiondes droits de l’homme des Nationsunies a appelé les États à s’assurerque « l’application des accords inter-nationaux se fait de manière à soutenirles politiques de santé publique quipromeuvent un large accès à des pro-duits pharmaceutiques et à des tech-nologies médicales sûres, efficaces etabordables, préventives, curatives etpalliatives » [16]. La sous-commissiondes droits de l’homme a plusieurs foisréaffirmé la soumission du commerceet des relations économiques interna-tionales du respect des droitshumains. En Inde, la Cour Suprême aaffirmé que le droit à la santé et àl’aide médicale était un droit fonda-mental d’après la Constitution : « cela

implique que la primauté doit êtredonnée à la santé publique et à l’accèsdu public à des quantités suffisantesde produits médicaux sûrs à des prixabordables » [17]. En Afrique du Sud,trente-neuf filiales de firmes transna-tionales pharmaceutiques contes-taient la validité d’une loi sur les bre-vets, Medecine and Related Control(Amendment) Act. de 1997 permettantles licences obligatoires et l’importa-tion parallèle de médicaments contrele sida et contre d’autres maladies. Àla suite de la mobilisation d’organisa-tions non gouvernementales commeMédecins sans frontières et laTreatment Action Compagnie (TAC)d’Afrique du Sud ayant lancé unerigoureuse campagne contre cetteaction en justice, et après que le JugeNgoepe ait accordé au TAC le statutparticulier d’Amicus Curiae (Ami de laCour) lui donnant des moyens supplé-mentaires au niveau de la procédure,les trente-neuf sociétés ont, le 19 avril2001, abandonné les poursuites sanscondition. Comme cet exemple lemontre, la mobilisation de l’opinionpublique peut jouer un rôle important.

La prise de conscience et l’actioncroissantes des scientifiques et desmouvements sociaux décidés à re-mettre l’humanité et son environne-ment au cœur des préoccupationspolitiques à la place de l’argent et dela technique, manifestent de plus enplus la perte de légitimité du proces-sus actuel de mondialisation. Commele regretté Jonathan Mann le souli-gnait, la santé publique doit se situerdans la logique des droits humains[18], c’est ce que diverses associa-tions professionnelles de santé pu-blique ont bien compris, en prenantdes positions claires, comme l’Asso-ciation australienne de santé publique[19] :

« 1. Une société saine et prospèreest une société dans laquelle la

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J.-C. FRITZ

richesse est produite d’une manièreécologiquement durable et répartieéquitablement entre ses citoyens.

2. Les accords de libre-échange ontdiminué les perspectives d’une pros-périté et d’une santé largement répan-dues de plusieurs manières (concen-tration de l’accumulation du capital etdu pouvoir, augmentation de la consom-mation de ressources et pressionaccrue sur l’environnement, diminu-tion de la capacité des gouvernementsnationaux d’atteindre leurs butssociaux, réduction des dépenses

sociales, des salaires, affaiblissementde la législation en matière sociale etenvironnementale, recours à un sys-tème d’impôts sur la consommationde caractère régressif) ». L’analyse estpertinente et donne les fondementspour agir en vue de mettre fin à la« mise en jeu » de la santé de l’huma-nité dans les casinos géants que sontdevenues les places boursières, oupar l’expérimentation technocratiqueen vigueur dans les bureaux decertaines organisations internatio-nales ou de certains services gouver-nementaux.

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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1. Pour plus de précisions, voir Fritz J.C. Accompagnement social et promotion de la santé. In : Pro-motion de la santé et accompagnement parental - CIPS 1999 : 19-53.

2. Le Robert. Dictionnaire pratique de la langue française. 2002, p. 1691.

3. Hofrichter R. (Ed). Reclaiming the Environmental Debate. The Politics of Health in a Toxic Culture.Cambridge, Mass., The MIT Press, 2000.

4. Engel C. Wild Health. London : Weidenfeld and Nicholson, 2002.

5. World Health Organization (WHO). World report on violence and health. Geneva : WHO, 2002 : 26-7. Les statistiques portent sur 66 pays.

6. Lobe J. Economic Equality good for health, says report. Third World Economics, n° 290, 1-15 Octo-ber 2002 : 8-9.

7. Voir Wall Street Journal, July 16, 2001.

8. Rights to food, housing et risk under globalization. Third World Economics, n° 277, 16-31, March2002.

9. Bertrand A., Kalafatides L. OMC, le pouvoir invisible. Paris : Fayard, 2002.

10. Hurtig M.C.L. The Varishing Country. Toronto, March, 2002, p. 381.

11. Voir les récents numéros de la Revue internationale de sciences sociales. La société du savoir(n° 171, mars 2002, 192 p.) et les savoirs autochtones (n° 173, septembre 2002, 472 p.).

12. Oh C. Trips and Pharmaceuticals : A case of corporate profits over public health. Third World Resur-gence, n° 120-121. Aug.-Sept 2000 : 5-9 (la citation est p. 6).

13. Third World Resurgence. Pharmaceuticals, Patents and Profits - South deprived of life-savingdrugs. Dossier spécial p. 13 (information d’E. T’Hoen et de R. Stern).

14. Ibid., p. 16.

15. Patents and Profits : the fight for affordable medicines. Dossier de Third World Resurgence. July-August 2001, n° 131-132 : p. 3. Source Cecilia Oh.

16. Ibid, p. 92.

17. Décision (1995), 5 sec 482, présentée ainsi par Nilima Chandiramani : Legal Factors. in Trips. Eco-nomic And Political Weekly. January 19, 2002.

18. Mann J. Santé Publique : éthique et droit de la personne. Santé publique, septembre 1998 : 239-50.

19. Déclaration de l’Australian Public Health Association (non datée mais faite probablement en 1998).

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DOSSIER

Du marché mondial au villageplanétaireLibre-échange, santé et Organisation mondiale du commerce

From the global market to the globalvillage : free trade, health and the worldtrade organization

Ronald Labonte (1)

Traduction et adaption en français : Marie-Claude Lamarre (2)

Tiré à part : R. Labonte

Le terme de mondialisation définitle processus par lequel les pays, lesentreprises et les populations sont da-vantage en relation et dépendantsentre eux à travers le monde, en raisonde l’accélération de l’intégration éco-nomique et des échanges de commu-nication, de l’intensification de la diffu-sion des cultures (notamment de laculture occidentale) et des voyages.

(1) Directeur de l’unité de recherche sur l’éaluation et la santé de la population de Saskatchewan,Professeur des Universités de Saskatchewan et de Regina, Canada.(2) Directeur exécutif de l’UIPES, Paris.

Ce phénomène n’est pas nouveau et ilne faut pas forcément le craindre nis’insurger contre lui. Il y a trente ans,au sein de la communauté en chargede la santé publique, nombreuxétaient les fervents adeptes de lamondialisation, soucieux des inéga-lités apparaissant au plan internationalet du poids injuste des maladies dontsouffrent de nombreux pauvres dans

Résumé : R. Labonte rappelle dans son texte le visage possible d’une mondialisation« village planétaire » plutôt que grand « marché mondial ». Il passe en revue lesdifférents accords spécifiques de l’OMC qui lient mondialisation et santé en soulevantles éléments inégalitaires de ces accords par rapport à l’accès aux soins et à la santépour tous. Il liste ensuite les choix politiques possibles pour adapter le fonctionnementde l’OMC aux moyens des pays les plus pauvres et élaborer des règles permettant àtous un accès à la santé et une place dans le processus de décision.

Mots clés : marché mondial - santé - politique.

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R. LABONTE

le monde. Nous voulions partagernotre richesse et nos démocraties.Nous voulions, tout en les soutenant,tirer les enseignements des mouve-ments d’émancipation des peuplesqui sont apparus dans le sillage desluttes post-coloniales. Nous voulionsvoyager et rencontrer des peuplesayant d’autres cultures. Nous voulionsun village planétaire. C’est ce typemême de mondialisation que nouspouvons encore épouser. Nos pro-testations populistes à propos de lamondialisation actuelle ont adopté, àtort, l’appellation médiatique d’« anti-mondialisation ». Nous ne sommes pasdes anti-mondialistes, nous sommesdes mondialisateurs démocratiques.C’est là qu’il y a un « hic » car ce quenous avons aujourd’hui n’est pas unvillage planétaire mais plutôt une pla-ce de marché à l’échelle mondiale oùles injonctions du capital et de l’intérêtéconomique pour soi ont rendu nosdiscours antérieurs sur la dignité et lajustice quelque peu déplacés etarchaïques.

La discussion sur les nuances de lamondialisation actuelle dépasse lecadre de cet article. Nous avons main-tenant des preuves que cette mondia-lisation a des effets bénéfiques sur lasanté (par exemple la parité entre lessexes dans l’exercice du pouvoir àquelque niveau que ce soit dans la so-ciété et le partage des technologies),mais aussi qu’elle présente desrisques (la disparité croissante entreles revenus et la dégradation de l’envi-ronnement, tout comme des chiffresde la réduction de la pauvreté qui sontmédiocres). En revanche, cet article vase centrer sur l’un des véhicules com-plice du triomphe du marché mondialau détriment du village planétaire : àsavoir, la mise en place de règlescontraignantes de « libre-échange »,essentiellement par le biais de l’Orga-nisation mondiale du commerce (OMC).

Les accords del’Organisation mondialedu commerce et la santé

L’OMC a été instituée en 1995 et ré-sulte des négociations commercialesmultilatérales de la rencontre de l’Uru-guay concernant l’accord général surles tarifs douaniers et le commerce(Gatt). Il s’agit de la seule organisationmultilatérale (supranationale) dispo-sant de pouvoirs exécutifs, qui peutimposer des amendes ou des conces-sions commerciales à titre onéreux.Elle administre vingt-neuf accordscommerciaux, d’investissement et« en rapport avec le commerce » diffé-rents. Les principes de base qui sous-tendent l’ensemble des accords del’OMC sont le « traitement réciproqueou national » (les marchandises, inves-tissements ou services étrangers sontrégis de la même manière que leurshomologues nationaux), la « nation laplus favorisée » (les privilèges spé-ciaux accordés à un partenaire com-mercial doivent être accordés à tousles pays membres) et la « restrictioncommerciale la plus légère » (lesréglementations sociales et environ-nementales du pays doivent êtrecelles qui gênent le moins le commer-ce mondial). Plusieurs accords portentspécifiquement sur les voies écono-miques, sociales et environnemen-tales qui lient mondialisation et santé.

L’accord Trims surles mesures concernantles investissements et liéesau commerce

L’accord Trims empêche les paysd’imposer des « exigences de per-formance » sur les investissementsétrangers. De telles dispositions ontété exploitées pour servir les intérêtsde chefs politiques, de hauts fonction-naires de gouvernements corrompus

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DU MARCHÉ MONDIAL AU VILLAGE PLANÉTAIRE

et de leurs familles. Mais ces mêmesdispositions se sont également révé-lées utiles pour développer des écono-mies nationales viables et pour garan-tir un développement économiqueéquitable, sûr et durable. Leur sup-pression profite davantage aux inves-tisseurs issus de pays développésqu’aux populations vivant dans lespays en développement [1]. Nombrede ces derniers demandent d’ailleurs àêtre exemptés des dispositions Trimsafin de conserver un certain contrôlesur la direction donnée à leur dévelop-pement économique local. Néan-moins, les dispenses aux dispositionsTrims pour les pays en développementse heurtent à l’opposition des paysriches – les États-Unis, l’Union euro-péenne, le Japon et le Canada [2].

Barrières techniquesau commerce ou TBT(Technical Barriers to Trade)

L’accord TBT vise à rendre toutobstacle « technique » au commercele moins restrictif possible pour celui-ci. Un obstacle technique est uneréglementation intérieure qui n’a rien àvoir avec les tarifs (taxes que les gou-vernements imposent sur les importa-tions) ou les subventions à l’exporta-tion (aides qu’ils accordent sur les ex-portations). L’accord TBT encouragel’usage de normes internationales etautorise les réglementations inté-rieures à leur être supérieures unique-ment lorsqu’elles sont justifiées. L’ar-ticle XX(b) du Gatt autorise à faire desexceptions aux règles générales duGatt, y compris à celles du TBT, si ce-la est « nécessaire pour protéger la viehumaine, animale et végétale, ou lasanté » [3]. Cependant, cette excep-tion a été efficace dans un seul cas dedifférend commercial. En avril 2001,l’OMC a rejeté l’appel du Canadacontre l’embargo français sur les im-

portations d’amiante. Le comité a prisen compte l’important corpus derecherches démontrant que l’amiantea des effets cancér igènes surl’homme, et a confirmé l’embargo auxtermes de l’article XX(b) sur l’ex-ception. Une telle certitude scienti-fique est rarement applicable à la plu-part des risques pour la santé humai-ne, notamment à ceux résultant del’impact de l’environnement. Cela estpartiellement dû au fait que les paysdésireux de déroger aux règles com-merciales aux termes de cette excep-tion doivent apporter la preuve que lamesure n’est, en réalité, pas une for-me déguisée de protectionisme.

L’accord SPS(sur l’application de mesuressanitaires et phytosanitaires)

Une certaine incertitude scientifiquea été le postulat qui a sous-tendu lamise en place du principe de précau-tion. Lorque la preuve est indicativemais non irréfutable, il faut accorder lebénéfice du doute à la protection de lasanté humaine et de l’environnement.Ce principe a été affaibli par l’Accordsur l’application des mesures sani-taires et phytosanitaires (SPS) quiprescrit une évaluation scientifique durisque pour tous les critères réglemen-taires. Les évaluations de risques nepeuvent prendre en compte les im-pacts multiples et cumulés qui sontdésormais caractéristiques des pro-blèmes de gestion des risques. Lescritères d’évaluation des risques favo-risent les producteurs et les paysexportateurs plutôt que les citoyens etles pays importateurs, puisque cela necoûte rien aux premiers si, le caséchéant, leurs produits se révèlentnocifs. Le niveau de certitude scienti-fique plus élevé selon le SPS que celuirégissant l’article XX(b) du Gatt estune des raisons pour lesquellesl’Union européenne (UE) a échoué

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R. LABONTE

contre les États-Unis et le Canadadans sa tentative d’interdire les impor-tations de bœuf traité aux hormones.L’organe de règlement des différendsde l’OMC a rejeté comme inadéquatsles arguments scientifiques que lui aprésentés l’UE en apportant la preuved’une carcinogénicité humaine pos-sible, bien que non définitive, faite parl’Agence indépendante internationalepour la recherche sur le cancer [4, 5].Le TBT et le SPS constituent ce qued’aucuns appellent le « trade-creep »« magouilles » commerciales, permet-tant aux règles commerciales de limi-ter la manière dont les gouvernementsnationaux peuvent réglementer leursaffaires intérieures en matière de san-té et d’environnement, en ne traitantpas différemment les produits pro-venant d’autres pays que les leurs– c’est-à-dire en respectant le principedu « traitement national » partagé partout le monde pour la libéralisation ducommerce [6].

L’AMP (Accord surles marchés publics)

L’accord sur les marchés publics(AMP) requiert que les gouvernementsprennent en compte uniquement les« considérations commerciales » lors-qu’ils prennent leurs décisions d’achat,particulièrement en s’interdisant lespréférences basées sur les droits del’homme, du travail ou relatifs à l’envi-ronnement. L’accord (volontaire) pluri-latéral actuel n’ayant été signé que partrès peu de pays en développement,la 4e conférence ministérielle de l’OMCà Doha a engagé des membres pournégocier un accord multilatéral à ter-me sur la transparence dans l’obten-tion des marchés publics [7]. Commeavec l’accord Trims, cela pourraitcontribuer à éviter le copinage à gran-de échelle ou l’abus de biens publicspar des hauts fonctionnaires corrom-pus. Mais cela pourrait également être

le signal d’un affaiblissement progres-sif de l’aptitude des gouvernementsnationaux à donner la préférence àdes fournisseurs du pays et donc àaffecter les revenus publics aux grou-pes ou régions ayant le plus grandbesoin d’aide économique et de déve-loppement. De nombreux pays en dé-veloppement demandent à être dis-pensés de l’AMP, arguant du fait queles marchés publics constituent l’undes quelques moyens dont ils dispo-sent pour développer les zones, grou-pes ou secteurs défavorisés sur leplan socio-économique [8]. De nou-veau, les pays les plus développéss’opposent à cela.

L’accord Trips (sur la propriétéintellectuelle et industrielle)

L’accord Trips demande aux mem-bres de l’OMC de prévoir la protectiondes brevets pour une durée de vingtans, bien que les pays les moins déve-loppés aient une dispense prorogéejusqu’en 2016. Les débats concernantl’accord Trips, particulièrement ceuxconcernant l’accès aux médicamentsanti-rétroviraux, ont été nombreux etlargement publics. Peu de pays endéveloppement disposaient d’unequelconque législation sur la protec-tion des brevets avant de rejoindrel’OMC. L’un des effets de l’accordTrips a été d’accroître brusquement lecoût des médicaments dans la plupartdes pays, réduisant ainsi le montantde fonds publics disponibles pour lessoins de santé primaires ou d’autresprogrammes publics (y compris laprotection de l’environnement) dansles pays riches du monde, dans les-quels 75 % du coût des prescriptionsde médicaments sont assurés parl’État ou de manière privée. Mais celaest particulièrement dur pour les per-sonnes vivant dans des pays pauvresoù la fraction des dépenses de santépour les médicaments est déjà nette-

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ment plus élevée et souvent directe-ment supportée par les personnes.

L’accord Trips permet aux pays deconcéder des licences obligatoiresaux fabricants de médicaments géné-riques dans les cas d’urgence pour lasanté publique. Cela a été affirmédans la déclaration de l’OMC à Dohasur l’accord Trips et la santé publique[9]. Annoncée comme une avancéemajeure dans le domaine de la santépublique et comme une victoire parles pays en développement à l’OMC,la déclaration de Doha oublie troisproblèmes de taille avec l’accordTrips :

1. En ce qui concerne les médica-ments, comment les pays qui n’ontpas les moyens de produire des géné-riques obtiendront-ils leurs médica-ments à moindre coût lorsqu’ils serontconfrontés à des urgences de santépublique ? Il semblerait que les États-Unis, le Canada, le Japon et la Suisseaient fait obstacle au départ aux ef-forts pour résoudre ce problème ausein du Comité Trips de l’OMC [10].En décembre, le Président du comitéa présenté un plan détaillé presqueconsensuel qui aurait donné aux paysen développement le droit de déclarerce qui constitue une urgence de santépublique dans les limites de leurs fron-tières et d’importer des copies de mé-dicaments génériques d’autres paysen développement fabriquant ces mé-dicaments [11]. Les États-Unis sont leseul pays à avoir rejeté catégorique-ment le plan, suite aux instructionsspécifiques du Vice-Président DickCheney données aux négociateursaméricains de l’Accord [12], mainte-nant sa position initiale de limiter lesimportations parallèles aux troisgrandes pandémies que sont leVIH/sida, la tuberculose et la malaria.Cela va à l’encontre de la Déclarationde Doha qui donnait aux États ledroit de déterminer eux-mêmes les

urgences de santé publique dans leurpropre pays et donc d’obtenir deslicences obligatoires et la liberté dedéfinir les motifs d’obtention de telleslicences [9]. Il est difficile d’évaluer laposition du Royaume-Uni sur l’accordsur la propriété intellectuelle et indus-trielle étant donné son intention depromouvoir son propre plan au Som-met 2003 du G8 en France. Ce planqui ressemble de près à la positionaméricaine, permettrait aux firmespharmaceutiques de vendre leurs trai-tements protégés par brevets, légère-ment au-dessus du coût, mais unique-ment pour les trois grosses pandé-mies : VIH/sida, tuberculose et mala-ria, et uniquement pour l’Afrique sub-saharienne et les autres pays parmiles moins développés [13]. Certainsgroupes de la société civile, dont« Médecins sans Frontières », encou-ragent le rejet du plan du Comité pourd’autres raisons, en particulier qu’il faitréférence aux « urgences » nationalesplutôt qu’au langage plus large dela Déclaration de Doha parlant de« mesures pour protéger la santépublique ». Certains pays africainspensent de même [14] et la questionest loin d’être résolue.

2. D’une manière plus générale,l’accord Trips doit-il autoriser la déli-vrance de brevets sur les formes devie comme il le prévoit actuellement ?Une communication provenant dugroupe africain à l’OMC fait observerque la délivrance de brevets de cettenature contrevient au « principe debase sur lequel s’appuient les loisrelatives aux brevets : les substancestrouvées dans la nature sont desdécouvertes et non des inventions etne sont, de ce fait, pas brevetables »(cité dans [15]).

3. Le point essentiel : la période deprotection du brevet doit-elle être rac-courcie ou purement et simplementabrogée ? La plupart des pays, depuis

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les États-Unis aux XVIIIe et XIXe siè-cles, jusqu’aux pays d’Asie au XXIe siè-cle ont connu la croissance éco-nomique en prenant les technologiesdéveloppées par d’autres peuplesdans d’autres pays et en les copiant,souvent pour un coût moindre. Pour-quoi cet avantage devrait-il être au-jourd’hui refusé aux pays actuellementles plus pauvres ?

Le Gats (Accord général surle commerce et les services)

L’Accord général sur le commerceet les services (Gats) est un « accordcadre » introduit en conclusion de laRencontre de l’Uruguay du Gatt. Lapréoccupation essentielle est que leGats va aboutir à une privatisation ac-crue de services publics essentielstels que les soins de santé, l’éducationet les services d’eau/d’assainisse-ment. Globalement, environ 30 % detoute l’activité économique sont entreles mains de services (publics) fournispar les gouvernements. La plupart deces services sont essentiels, ce quisignifie qu’il existe un marché garantipour eux, au moins parmi ceux enmesure de payer individuellement.Lorsqu’une crise de surproductionsurvient (trop de marchandises pourtrop peu d’acquéreurs), ou bien qu’unmarché boursier volatile s’effondreaprès pratiquement deux décenniesde spéculation excessive, on peuts’attendre à ce que les entreprisesdisposant de capitaux voient dans lesservices anciennement fournis par lesgouvernements un investissementprivé sûr. Le Gats a plusieurs clausesdirectives qui lient tous les membres,telles que le traitement national, la na-tion la plus favorisée et la libéralisationprogressive (dans laquelle les engage-ments à libéraliser les services ne peu-vent qu’augmenter et non diminuersans pénalité). Ses impacts les plus

importants sur la santé résident dansles clauses consultatives, dans les-quelles les pays spécifient quels sontles services qu’ils s’engagent à libéra-liser, selon quels modes parmi quatredifférents et par quelles restrictions –s’il en existe, appelées « engage-ments » Gats – ils sont « liés ».

Les quatre modes de libéralisationdes services sont :

– la fourniture d’échanges transfron-taliers (tels que l’expédition d’échan-tillons de laboratoire et la délivrance deservices de santé par télématique) ;

– la consommation de services desanté à l’étranger (appelé « tourismede santé » dans lequel les habitantsd’un pays sont traités par des ser-vices de santé situés dans un autrepays) ;

– la présence commerciale (danslaquelle des investisseurs privésétrangers dotent des hôpitaux privés,des cliniques, des centres de traite-ment ou des assurances, ou bien en-core ont des contrats de gestion avecdes établissements de ce type, qu’ilssoient publics ou privés) ;

– le mouvement de personnes phy-siques (le déplacement temporaire deprofessionnels de santé d’un paysdans un autre).

Aujourd’hui, cinquante-quatre mem-bres de l’OMC ont pris des engage-ments pour libéraliser certains ser-vices de santé aux termes du Gats[16]. Bon nombre d’entre eux sont despays en développement. Le nombredes pays dans lesquels les servicessont libéralisés passe à 78 si l’on inclutles assurances de santé privées. LeGats a une disposition interne de « libéralisation progressive », ce quisignifie que les pays peuvent libérali-ser plus mais jamais moins. Une foisqu’un secteur de services a été libéra-lisé conformément au Gats, il n’existeaucun moyen de revenir en arrière

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sans frais [17]. Le Canada, par exem-ple, a ouvert le marché des assu-rances de santé privées à la concur-rence aux termes du Gats. Si toutefoisle Canada souhaitait étendre son sys-tème public à des domaines actuelle-ment assurés par le secteur privé, etrenverser ainsi la tendance actuelle dela privatisation, ses engagements vis-à-vis du Gats déclencheraient des pé-nalités commerciales. Il en serait demême pour n’importe quel pays endéveloppement désireux de revenirsur ses engagements en matière de li-béralisation des services de santé.L’accord Gats fait une exception pourun « service public qui ne soit ni fournisur une base commerciale ni ne setrouve en concurrence avec un ouplusieurs prestataires de services »(Article 1 : 3b). Ceci est souvent mis enavant comme preuve que le problèmede la privatisation est sans fondement.Pourtant, cette disposition pourraitdisparaître sous l’effet d’une éventuel-le remise en cause, étant donné que laplupart des pays autorisent certainesclauses commerciales ou de concur-rence de pratiquement tous lesservices publics [18, 19]. Les traitéscommerciaux – qui ont pour objet depromouvoir les intérêts économiquesprivés – ne sont pas l’espace pour né-gocier des règles internationales pourla santé, les soins de santé ou d’autresintérêts généraux essentiels. Les mili-tants canadiens qui se battent pour lapolitique commerciale et sociale de-mandent instamment à leur gouver-nement de déclarer l’exclusion complè-te de la santé et d’autres programmessociaux essentiels, des accordscommerciaux en cours et futurs.

Résumé et options de politiques publiques de santé

La mondialisation n’est pas nou-velle, mais elle revêt des formes nou-

velles. Les échanges libéralisés desmarchandises, des services et descapitaux notamment sont désormaisrégis par des réglementations com-merciales exécutoires. Le débat domi-nant sur la mondialisation évoque« une marée qui renfloue tous les na-vires ». Cela n’a pas été démontré demanière empirique, sauf dans quel-ques pays dans lesquels la libéralisa-tion des échanges a effectivementsoulevé tous les navires mais égale-ment fait beaucoup grossir les gros etrendu les petits nettement plus petits.Au plan environnemental, les océansqui supportent les navires, l’air quigonfle leurs voiles et la terre sur la-quelle ils sont mis à quai, sont tous entrain de subir des pressions graves.

La manière dont la mondialisationdétermine plus précisément la santédes populations, est soumise à un en-semble complexe de conditions poli-tiques préexistantes et de dotationsnaturelles, de capacités et de res-sources politiques nationales et deprogrammes mis en place par les gou-vernements, tels que la santé, l’éduca-tion, le droit du travail et la protectionde l’environnement. Les capacités desgouvernements nationaux d’auto-déterminer ces politiques de contrôlesont de plus en plus souvent compro-mises par les accords de l’Organisa-tion mondiale du commerce avecleurs « magouilles » commerciales ap-pliquées derrière la frontière. Quellessont ces quelques options politiquesque peuvent défendre les militantspour la santé de sorte que les droitsdu marché mondial se limitent auxbesoins du village planétaire ?

1. Élargir les dispenses « spécialeset différentielles » aux accords com-merciaux pour les pays en développe-ment jusqu’à ce que leurs économiesnationales soient, selon les termes del’ancien Premier ministre italien, Gui-liano Amato, « fortes, riches et saturées

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à l’intérieur », c’est-à-dire prêtes pourla concurrence mondiale. À l’heureactuelle, l’OMC accorde des disposi-tions « spéciales et différentielles »aux pays en développement et auxpays les moins developpés dansnombre d’accords commerciaux. Mal-heureusement, la plupart de ces dis-penses accordées aux pays les pluspauvres vont arriver à expiration dès2005. Victoire pour les pays en déve-loppement, la Conférence ministériellede Doha en 2001 a déclaré que l’OMCdevrait réviser « toutes les dispositionsspéciales et différentielles… en vue deles renforcer… » [20]. De nombreuxpays développés néanmoins se sontmontrés réticents à poursuivre les né-gociations avec l’OMC juste pour cela[20].

2. Interdire la délivrance de brevetspour les formes de vie, exempter sanslimite dans le temps les pays pauvresde la législation sur la protection parbrevet, réduire la période de protec-tion des brevets et autoriser les impor-tations parallèles conformément àl’accord Trips : autant de positionsplus ou moins défendues par les paysen développement et les pays lesmoins développés, tout comme parles ONG œuvrant dans les domainesde la santé, de l’environnement et dudéveloppement et par de nombreusesagences des Nations unies.

3. Renverser la charge de la preuvedans les cas relevant de la santé et dela protection de l’environnement dé-fendus au titre des exemptions duGatt XX(b) et aux termes de l’accordSPS. Les pays revendiquant que desnormes intérieures à un autre paysconstituent une entrave inutile aucommerce, doivent fournir la preuvequ’elles n’étaient pas imposées pourdes raisons sanitaires et que le fait dechanger la norme ne doit pas créer derisque pour la santé. Étant donné quela plupart des différends survenant à

l’OMC émanent de pays développés,les frais afférents à la présentationd’une réclamation doivent être sup-portés par la partie impliquée la plusnantie. Le groupe des pays africainsdemande instamment que des réfor-mes soient apportées à la procédurede règlement des différends dansl’OMC même, arguant du fait que si unpays en développement gagne dansun différend commercial l’opposant àun pays développé (peu importe qu’ilsoit attaquant ou attaqué par ce pays),ses frais de justice devraient êtrepayés par le pays le plus nanti [21].

4. Instaurer des amendes calculéespar rapport au produit national brutplutôt que des sanctions commer-ciales en guise de pénalités. Les sanc-tions commerciales touchent invaria-blement plus les pays pauvres que lespays nantis. L’OMC a le choix de pré-lever des amendes au lieu d’imposerdes sanctions commerciales mais lefait rarement. Une partie des amendespourrait être versée à des fonds mon-diaux pour la santé, l’éducation et ledéveloppement social, permettant àdes douzaines de pays actuellement àla traîne d’atteindre les objectifs dedéveloppement international en ma-tière de santé maternelle et infantile,d’équilibrage des sexes dans la socié-té et d’éducation universelle, pourcommencer à rattraper leur retard.

5. Imposer une « taxe Tobin » sur leséchanges de devises (du nom del’économiste, lauréat du prix Nobel,qui fut le premier à proposer cetteidée). Cela atténuera considérable-ment les investissements spéculatifspréjudiciables et, en se basant sur desdonnées de 1995, permettrait de col-lecter environ 150 milliards de dollarsUS par an. Des débats ont déjà relevéqu’une telle taxe pourrait être diviséeen trois, dont un tiers irait à chacundes gouvernements nationaux dontles monnaies ont fait l’objet de

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l’échange, le reste allant à un fonds dedéveloppement international.

6. Étendre les dispenses « spécialeset différentielles » aux critères de libé-ralisation dans l’accord sur l’Agricul-ture (AoA). Parfois évoquée comme« boîte de développement », cela per-mettrait aux pays plus pauvres d’im-poser des tarifs à l’importation et delimiter les investissements étrangersou détentions de propriété exté-rieures, en vue de protéger les mar-chés intérieurs et d’assurer la sécuritéalimentaire. Les pays en développe-ment, visés à l’article 6.2 de l’AoA, ontdéjà le choix de retenir des pro-grammes d’aide intérieure pour l’agri-culture locale lorsque (et si) les paysdéveloppés en viennent finalement àréduire leurs aides à la productionextrêmement généreuses. Mais ilsn’ont pas les mêmes capacités à rete-nir ou réinstaurer des tarifs à des finsde sécurité alimentaire, de développe-ment rural, de lutte contre la pauvretéou d’emploi en milieu rural.

7. Retirer des accords commerciauxceux concernant la santé et d’autresservices publics essentiels. Dans cesdomaines, la coopération internatio-nale devrait être réalisée sous la formed’accords cadres, en dehors des im-pératifs de la libéralisation des échan-ges et des menaces de sanctions y af-férentes. Telle était du moins la re-commandation d’une récente com-mission nationale sur les soins de san-té au Canada [22]. Les tentatives pourétablir un accord international en vuede protéger la diversité culturelle (ycompris les industries de la culture)hors du domaine de compétence del’OMC [23] soutenues par les ministresdu Commerce dans plusieurs paysdéveloppés, ont constitué un précé-dent à cette démarche.

8. Négocier une règle prioritaire etapplicable à tous les accords com-

merciaux selon laquelle, en cas deconflit quelconque, les accords multi-latéraux sur l’environnement et les ac-cords relatifs aux droits de l’homme (ycompris le droit à la santé) l’emporte-raient sur les accords commerciaux.Quelques 109 pays reconnaissent undroit à la santé sous une forme quel-conque dans leur constitution, et tous,à l’exception de quelques pays (dontles États-Unis), ont ratifié les conven-tions des droits de l’homme qui in-cluent le droit à la santé [24]. PlusieursONG œuvrant dans le domaine de lasanté ont encouragé les gouverne-ments des pays s’intéressant à la san-té de créer un « groupe d’opinion »pour poursuivre les négociations surun règlement prioritaire de ce type ausein des compétences de l’OMC.

À côté de ces réformes sur lesaccords commerciaux, l’OMC elle-même a besoin d’une remise à plat. Laprocédure de règlement des diffé-rends de l’OMC est l’une de ses pra-tiques les moins transparentes ou dé-mocratiques. Il conviendrait que cescomités soient ouverts à une plusgrande participation de groupementsde la société civile, aussi bien sous laforme de contributions que par repré-sentation réelle. Toutes les délibé-rations du comité devraient êtrepubliques sur Internet, hormis pour lesinformations qui peuvent être juridi-quement sensibles ou confidentielles.Ces comités devraient également de-venir des « comités mixtes » impli-quant d’autres organisations multi-latérales spécialisées ou de l’ONU –telles que le Programme des Nationsunies pour l’environnement (Pnue),l’Organisation mondiale de la santé(OMS), le Bureau international dutravail (BIT) – lorsque le différendcommercial a, de toute évidence, deseffets croisés sur la santé humaine, lesdroits de l’homme et l’environnement.Le comité doit toujours compter dans

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sa composition des membres repré-sentant des pays en développement(à l’heure actuelle, ceci est plus uneoption qu’une obligation) et devraitcomporter des experts issus d’autresdomaines que celui de la simple légis-lation commerciale.

L’OMC a déjà fait un pas en étantplus ouverte sur les ordres du jour desnégociations commerciales, en orga-nisant plus de réunions avec desgroupes de la société civile et en invi-tant des discussions avec les agencesdes Nations unies (OMS, Pnue, BIT).Cependant, ces agences demeurentexclues des sessions de négociationsde l’OMC et n’ont pas de statut d’ob-servateur officiel. Le directeur généralde l’OMC, Supachai Panitchpakdi,voudrait mettre un terme à ceci [20],tout comme plusieurs agences del’ONU elles-mêmes.

Bien que les pays en développe-ment et les moins développés soientune majorité à l’OMC, leurs capacitéspour influencer l’ordre du jour et leprocessus de prise de décision del’OMC, restent limitées. Pratiquementla moitié des pays les moins dévelop-pés, membres de l’OMC, n’a pas dereprésentation à Genève, comparé àla présence à plein-temps de plus de250 négociateurs uniquement desÉtats-Unis (avec davantage de repré-sentants envoyés pour des réunionsou des problèmes particuliers). Denombreux pays en développementont seulement un représentant quimanque de temps et d’expertise pourassister à toutes les réunions hebdo-madaires au programme de l’OMC.L’effort pour étendre les accords exis-tants et introduire de nouveaux sujetsde négociations ne fait qu’accélérer lacréation d’une OMC prenant partiepour les intérêts économiques despays développés. Plusieurs ONG ar-guent du fait que « les procédures del’OMC devraient être conçues pour

s’adapter à la capacité des membresles moins puissants [et] que cet objec-tif devrait prévaloir sur le souci de larapidité des prises de décision » [25].Entre autres exigences, cela signifieun soutien financier direct des paysdéveloppés aux pays en dévelop-pement pour leur participation àl’OMC, la réduction du nombre desquestions relatives au commerce pourles négociations à l’OMC, des réunionsmoins fréquentes et la non-utilisationde l’organe exécutif ou d’autre sous-division apte à prendre des décisionshors du conseil général.

La légitimité de l’OMC en tantqu’institution démocratique mondiales’étend à son engagement avec lasociété civile. Actuellement, ce sontles sociétés du secteur privé quidominent par rapport à la participa-tion des organisations non gouverne-mentales (ONG) à l’OMC. Alors quel’OMC a fait des efforts pour une plusgrande ouverture, il y a un risque queceux-ci soient partiels et purementsymboliques, ou bien favorisent lesONG ayant les ressources néces-saires pour participer. Des effortsparticuliers doivent être faits pourengager les ONG des pays en déve-loppement et créer des moyens poursoutenir leur engagement dans lesdiscussions. Le développement descapacités des ONG des pays endéveloppement et les moins dévelop-pés n’est pas moins important que ledéveloppement des capacités desdélégations officielles de ces pays.Des précédents et des modèles definancement de la participationdes ONG dans les examens des poli-tiques publiques existent bien dansplusieurs pays développés et l’OMCpourrait tenter de les imiter. En défini-tive, il faut poursuivre l’analyse desaccords existants en termes d’impactsur les droits fondamentaux conve-nus au plan international, sur le déve-

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loppement humain, sur les objectifsde pérennité pour l’environnement etla santé, et prévoir des changementslorsque les accords de l’OMC sontincompatibles, d’une manière oud’une autre, avec leur mise en œuvre.Et surtout, l’OMC, en tant qu’institu-tion, devrait être jugée sur la manièredont elle contribue à réaliser ces ob-jectifs plutôt que simplement sur sondegré de réussite dans la libérali-sation du commerce et des investis-sements.

Faut-il supprimer l’OMC ?

Nous vivons peut-être le momenthistorique le plus important de notreespèce. Notre planète est en train demourir. Il y a surabondance de bienset pauvreté. Des conflits autrefois loin-tains et des maladies mettent en dan-ger la santé et la sécurité du monde.Nous nous battons pour un système,quel qu’il soit, d’administration mon-diale pour un bien qui nous est com-mun. Dans les pays occidentaux, uncombat similaire au niveau nationals’est déroulé au XIXe siècle. Les pre-mières lo is et le système decontrôle dans ces pays-là ont réguléles intérêts de la classe capitaliste,aux dépens des travailleurs, desfemmes, des pauvres, de l’environne-ment. Mais ces mêmes lois sont deve-nues une plate-forme autour de la-quelle les luttes pour le progrès socialont suscité des responsabilités réci-proques, à la fois de l’État et du mar-ché, créant notre État providence duXXe siècle. Un combat similaire se dé-

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roule aujourd’hui au niveau mondial.Les accords commerciaux sont lespremières lois internationales réelle-ment applicables que nous avonscréées. Ils profitent à la classe capita-liste. Ils sont également devenus lecentre des mouvements pour le pro-grès social à l’échelle mondiale, quidemandent que les gouvernementss’engagent à protéger l’environne-ment, promouvoir les droits de l’hom-me, donner l’accès à la santé pourtous et redistribuer les richesses grâceà des systèmes d’éducation univer-selle et de soutien social.

L’OMC, à l’origine un outil essen-tiellement utilisé au profit des paysriches, est de plus en plus assaillie parles pays en développement, lesagences des Nations unies et les or-ganisations non gouvernementales.Certains mondialisateurs démocra-tiques demandent instamment l’aboli-tion de l’OMC. Cela serait une erreurcar il n’existe aucun autre véhicule parlequel on puisse aborder et changer ledéséquilibre du pouvoir économique.Les luttes de la société civile et despays en développement pour arracherde force des réformes dans l’OMCsont à l’origine d’un système nouveaud’administration mondiale pour le biencommun. Nous ne pouvons pas dire sices luttes vont aboutir ou non. Maisnous connaissons les options de poli-tique mondiale qui marcheraient pourpromouvoir la santé. Nous savons oùelles doivent être défendues – avecnos gouvernements nationaux, avecnos concitoyens, avec nos institutionsmondiales.

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ANNEXE

Promouvoir la santé dans une époque de libre-échange économique :

Résolution de l’UIPES

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Cette résolution a été adoptée par l’Assemblée générale des membres de l’Unioninternationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé (UIPES) enseptembre 2000 à la suite de discussions lors de la Conférence mondiale de promo-tion de la santé de Porto Rico, en juin 1998, sur l’impact potentiel sur la santé desaccords de l’Organisation mondiale du commerce et des Accords multilatéraux sur lesinvestissements. Elle tient compte de la réflexion et des actions de divers organismeset personnalités qui partagent les mêmes opinions que l’UIPES, en particulier lesAssociations canadienne et australienne de santé publique.

Par cette résolution, l’UIPES s’est engagée à jouer un rôle de leader en contactant lesorganisations mondiales, en leur communiquant et en attirant leur attention sur lespréoccupations évoquées ci-dessus, en participant à l’élaboration de solutions avecelles ; par la suite en évaluant les progrès réalisés, en analysant les résultats et en ren-forçant les actions qui vont apporter un changement.

L’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé remarqueque :

• une société prospère et en bonne santé est une société dans laquelle les richesses sontproduites d’une manière durable écologiquement et réparties équitablement parmi sescitoyens ;

• les accords de libre-échange économique de même que ceux sur les investissements,dans leur forme actuelle, ont eu tendance à diminuer la prospérité et la santé générali-sées de différentes manières : en concentrant l’accumulation des capitaux et du pouvoirdans les mains d’un nombre réduit d’individus et d’entreprises transnationales, enencourageant chaque fois plus la consommation des ressources et des biens et, de cefait, en soumettant l’environnement à des efforts importants, en diminuant la possibilitédes gouvernements des pays d’atteindre leurs objectifs sociaux en les contraignant àrivaliser coûte que coûte pour les investissements de capitaux mondiaux, en réduisantles dépenses sociales, en orientant les salaires à la baisse, en affaiblissant la législationsur le travail et l’environnement, et en s’appuyant sur un impôt qui favorise la grandefortune ;

• si l’on veut que les gouvernements gardent ou retrouvent leur capacité de financer desprogrammes sociaux de redistribution et de protéger l’environnement, il faudra qu’il y aitdes méthodes régulatoires internationales pour contrôler le flux et l’accumulation descapitaux trans-nationaux ;

• bien que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ait les moyens d’imposer une dis-cipline aux pays signataires qui ne respectent pas les accords de libre-échange écono-mique, les Agences des Nations unies, qui ont pour mission de superviser la mise enœuvre et la mise en vigueur des chartes de clauses sociales telles que celles concer-

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ANNEXE

nant la protection de l’environnement, les droits de l’enfant, ou le code international dutravail, doivent s’appuyer sur des arguments moraux pour inciter les pays signataires àintroduire de telles clauses dans leur politique nationale ;

• de nombreuses organisations non gouvernementales ont lancé des campagnes pour quesoient incluses des clauses sociales dans les accords commerciaux de l’Organisationmondiale du commerce, afin d’utiliser les moyens dont dispose l’OMC de réguler le capi-tal mondial au profit de la protection de l’environnement et de l’amélioration du bien-êtrede chaque être humain ;

• l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé s’engage àplaider en faveur de politiques qui vont dans le sens de l’amélioration des conditionssociales, économiques et de l’environnement qui déterminent la santé de la commu-nauté mondiale ;

• la 51e Assemblée mondiale de la santé a encouragé la responsabilité sociale en faveurde la santé et elle a reconnu que la promotion de la santé est une ressource du déve-loppement social et qu’il faut absolument briser les barrières traditionnelles qui existentau sein des secteurs gouvernementaux, entre organismes gouvernementaux et non gou-vernementaux et entre secteurs public et privé ;

• l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a tenté dedévelopper un Accord multilatéral sur les investissements (AMI) qui aurait limité la capa-cité des gouvernements à règlementer l’investissement pour servir et protéger les inté-rêts sociaux, économiques, sanitaires des citoyens de même que ceux liés à l’environ-nement et autres intérêts nationaux ;

• bien que les discussions sur l’Accord multilatéral sur les investissements aient été aban-données en novembre 1998 par l’OCDE, il est probable que le débat soit repris soit parl’OMC soit à nouveau par l’OCDE ;

• l’adoption des éléments de base de l’Accord multilatéral sur les investissements, soit parles États-membres de l’OCDE, soit, plus globalement par les pays qui actuellement partici-pent aux accords gérés par l’OMC, compromettrait considérablement la campagne d’in-corporation de clauses sociales dans les accords commerciaux de l’Organisation mondia-le du commerce et irait à l’encontre de l’engagement de l’Union internationale de promo-tion de la santé et d’éducation pour la santé de soutenir la participation et la responsabili-sation des personnes de même que les principes des politiques de santé publiques ;

Par solidarité avec les résolutions adoptées par les Associations canadienne et austra-lienne de santé publique sur lesquelles se fonde ce document, il est entendu que :

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé encourage,endosse et s’associe aux campagnes menées pour inclure des clauses sociales dansles accords commerciaux de l’OMC ;

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé informe lesorganisations de santé publique et celles concernées par d’autres intérêts publics auniveau régional, national et international, en particulier celles des pays en voie de déve-loppement économique, des préoccupations et des intentions que nous avons, dont ilest question dans cette résolution, et participe avec ces organisations à la création d’unlobby de santé mondial pour la campagne sur les clauses sociales, et pour soutenirtoute autre stratégie de réglementation mondiale qui ferait que l’augmentation deséchanges économiques et des investissements ne se fasse pas au détriment de

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ANNEXE

l’environnement et contribue à une meilleure répartition des richesses et des ressourcesmatérielles ;

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé prendcontact avec l’OMC et l’OCDE pour les informer de cette résolution ;

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé fait part àl’OMS, l’Unicef et d’autres organisations de collaboration internationales des pré-occupations dont il est question dans cette résolution et cherche à ce que leur Conseilexécutif les mette à l’ordre du jour de leurs discussions (par exemple l’Assemblée mon-diale de la Santé de l’OMS, etc.) ;

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé élargit sontravail par rapport à l’incorporation des clauses sociales dans les accords de l’Organi-sation mondiale du Commerce (OMC) et d’autres accords économiques en exerçant unesurveillance constante de l’évolution des Accords multilatéraux sur les investissementset incorpore une analyse de l’AMI et d’autres Accords multilatéraux sur les investisse-ments dans le cadre du programme d’activité de l’Union internationale de promotion dela santé et d’éducation pour la santé ;

– l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé continue dedévelopper des positions analytiques sur les accords sur le commerce mondial et lesinvestissements et communique avec ses membres sur les positions à adopter par lesgouvernements qui participent aux discussions sur les accords sur le commerce et lesinvestissements, pour que la santé des populations soit maintenue et améliorée.

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 283-289

Résumé : Quelle réponse peut apporter la santé publique aux 840 millions d’hommes,de femmes et d’enfants touchés par la famine ? Aux 28 millions de personnes infectéespar le VIH en Afrique noire ? Au déferlement des cancers du poumon dans les pays duSud ? Le Nord ne fera pas non plus l’économie d’une analyse des déterminants desanté et de ses politiques.

Point de vue

Mondialisation, santé et droitsde l’homme au Sud et au NordPerpective : globalisation, health and humanrights in the South and the North

Moncef Marzouki (1)

Tiré à part : M. Marzouki

On sait que le terme de mondialisa-tion a servi dans les années quatre-vingt, d’abord comme descriptiond’une situation de fait de l’économieoccidentale (l’invasion de tout l’es-pace économique mondial) et commejustification idéologique de la domina-tion du libéralisme et de ses préten-tions impérialistes.

On sait aussi que la mondialisationse situe sur un autre plan radicalementdifférent. L’évolution de la technologieayant rétréci l’espace et condenséle temps, oblige tous les secteurs del’activité humaine à prendre cons-cience de leur appartenance à unréseau mondial. La mise en réseau

(1) Professeur associé de santé publique, Université de Paris XIII.

n’occulte pas la lutte pour l’hégémo-nie mais n’en fait pas le principalobjectif. Ce serait plutôt un effet per-vers d’un processus dont l’objectifréel est autre.

La question est de savoir de queltype de mondialisation nous allonsparler en nous référant à la médecine :extension du pouvoir de la médecineoccidentale à l’instar de l’économieoccidentale ou mise en réseau desproblèmes et des solutions de lasanté. Disons tout de suite que cesdeux tendances sont à l’œuvre et ce,bien avant que l’on ait inventé le termede mondialisation. On peut mêmeavancer l’hypothèse que le terme n’a

Mots-clés : mondialisation - Nord/Sud - droits de l’homme.

DOSSIER

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M. MARZOUKI

été inventé qu’à partir du moment oùle processus était devenu trop avancépour ne pas être nommé.

La mondialisation et les paysdu Sud

La mondialisation de type impéria-liste est moins représentée par l’inva-sion des pays du Sud par la médecinedite scientifique acceptée et intégrée,que par l’industrie pharmaceutiqueoccidentale, partie intégrante del’économie mondialisée, c’est-à-direlibérale, spéculative, anti-sociale etanti-écologique. La maladie est de-venue un énorme « business », uneactivité lucrative nécessaire au bonfonctionnement de l’économie. Ainsi,35 millions de personnes vivent dansle monde du commerce de la maladie.Les besoins en médicaments, en vac-cins sont des enjeux économiquescolossaux. On estime à 2 985 milliardsde dollars les dépenses de santé dansle monde, soit près de 8 % du PIBmondial. L’essentiel de ce « com-merce » et de ces dépenses est le faitdes pays du Nord ; les pays du Sudn’intervenant que pour 11 % de cesdépenses. Dans le cadre des lois del’économie mondialisée, les peuplesdu Sud auraient droit à la santé commeà tout le reste : s’ils sont capables depayer. Le scandale du coût du trai-tement anti-sida inaccessible aux28 millions de malades africains, lefaible investissement dans la luttecontre le paludisme qui sévit dans desrégions pauvres, ne sont que quel-ques exemples de la répartition pro-grammée de la mort en fonction duPIB.

Il est important de rappeler ici que lamondialisation de l’économie ne sedéveloppe pas dans un espace vierge,n’avance pas comme le couteau dansle beurre. Elle se heurte à des résis-tances qui jouent un rôle important

dans sa dynamique. Comme en phy-sique, toute action suscite une réac-tion. Mais contrairement à elle, lesforces et contre-forces ne sont pasnécessairement d’égale intensité àtout moment du temps. C’est un com-bat plus complexe et au résultat plusincertain. C’est dans ce cadre d’unemondialisation différente que nousdevons situer notre vision.

Au niveau le plus simple, la mondia-lisation en matière de santé fera réfé-rence à l’interrelation grandissanteentre les régions du monde en matièrede risque pour la santé. Le nuage deTchernobyl ne connaît pas de limitegéographique. Le sida n’est pas que leproblème de l’Afrique. La toxicomanieoccidentale trouve une grande partiede son origine dans la misère et laguerre civi le de Colombie ou duTriangle d’or…

Le transfert de pathologies à l’échellemondiale est aussi un niveau impor-tant de notre approche. La baisse desmaladies liées au tabac dans les paysdu Nord s’accompagne de leur flam-bée dans les pays du Sud, notammentpar le re-déploiement des compa-gnies de tabac américaines. Chasséesdu Nord par les procès, elles sontlibres partout ailleurs de continuerleur commerce de mort et de faire dejuteux profits.

Plus important que tout cela, la miseà nu des véritables déterminants de lasanté. Les statistiques sanitaires régu-lièrement publiées par l’Organisationmondiale de la santé (OMS) nous don-nent aujourd’hui une idée de la répar-tition des problèmes de santé et deleur évolution à l’échelle de la planète.On sait que dans le Sud d’aujourd’hui,comme dans le Nord du XIXe siècle, leplus lourd tribut de mortalité, de mor-bidité, de handicap, est payé par lespopulations les plus défavorisées surle plan socio-économique, véritable

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réservoir des cas qui occupent tousles travailleurs de la médecine : gué-risseurs, enseignants, apprentis, cher-cheurs, fournisseurs de matériels etde services. L’accroissement de lapauvreté dans les pays du Sud et l’ex-tension de poches de pauvretés dansles pays du Nord sont un des plusmauvais présages quant à l’améliora-tion de la santé dans le monde non-obstant les indéniables progrès tech-niques. Le problème est que cettepauvreté est elle-même le produit d’unsystème politique (dictature et corrup-tion) et d’un système économique(l’économie de marché).

À ce niveau, les outils de la santépublique classiques semblent avoiratteint leurs limites d’analyse et desolutions. De quelle prévention pou-vons-nous parler dans le cas de840 millions d’hommes, de femmes etd’enfants touchés par la famine etrecensés par le rapport 2002 de laFAO ? Quelle chance de guérir ont les28 millions de personnes infectées parle VIH en Afrique noire quand l’accèsau traitement est impossible du fait deson coût ? Pouvons-nous combattrel’épidémie de cancers du poumon quidéferle dans les pays du Sud simple-ment en faisant de l’éducation sani-taire aux victimes ?

Mais les déterminants socio-écono-miques « grossiers » comme l’eaupotable, l’hygiène, l’habitat et l’ali-mentation corrects, ne sont que lapartie visible de l’iceberg. Les travauxmenés sur la morbidité et la mortalitédes fonctionnaires britanniques l’ontbien montré. L’accroissement de lamorbidité et de la surmortalité suit defaçon quasi mécanique la baisse parpalier du statut du fonctionnaire. Plusles gens sont bas dans la hiérarchiesociale, toutes choses étant égalespar ailleurs, plus ils sont à risque pourles cancers ou les maladies cardio-vasculaires et plus leur espérance de

vie décroît. Ainsi, les simples agentsmeurent plus vite et en plus mauvaisétat que les petits cadres, qui eux-mêmes, meurent plus vite et en plusmauvais état que les cadres supé-rieurs. La position dans la hiérarchiesociale apparaît donc comme un puis-sant déterminant de la santé. Lemécanisme de cette surmortalité parpalier en fonction du statut social resteobscur. On implique le stress qui,contrairement à ce que l’on croit, n’estpas la contrepartie du succès, maisbel et bien celle de l’échec.

Si l’on décompose la notion de hiérar-chie sociale, on va voir qu’elle signifie unplus grand accès aux loisirs, à la culture,à la responsabilité, au respect, à ladignité. L’ensemble de ces donnéesnous oblige à repenser nos outils dedescription, d’analyse et d’interventionau moins à trois niveaux : la définitiondes populations à risque, la classifica-tion des problèmes de santé, le niveauet type d’intervention nécessaires.

Population à risqueet véritables déterminantsde la santé

Les malades dans les pays du Sudne sont pas à risque seulement pour latuberculose, la diarrhée, le suicide oule cancer, mais tout autant pour lesexactions de la police, la prison,l’analphabétisme, la toxicomanie, latorture ou une existence terne et mé-diocre.

Le risque de santé est donc l’un desnombreux risques encourus par cettepopulation. Il ne peut ni être extrait del’ensemble du statut, ni être traité àpart, sauf de façon superficielle et àcourt terme. L’état précaire de cettepopulation sur le plan de la santé et dureste apparaît très lié au degré de lajouissance de ce que le législateur uni-versel appelle les droits de l’homme.Rappelons qu’il les a classés en trois

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rubriques : individuels, socio-écono-miques et politiques dans la Déclara-tion universelle des droits de l’homme.

• Les droits individuels compren-nent le droit à l’égalité (article 1), lanon-discrimination (article 2), à la vie(article 3), à la liberté (article 4), à l’in-tégrité physique (article 5), à la per-sonnalité juridique (article 6), à la jus-tice (articles 7-8-9-10-11), à la vieprivée (article 12), à la liberté de mou-vement (articles 13-14), à la nationali-té (article 15), au mariage (article 16)et à la propriété (article 17).

• Les droits politiques compren-nent la liberté de conscience (article18), d’opinion (article 19), d’associa-tion (article 20) et de participation à lavie collective (article 21).

• Les droits socio-économiquescomprennent le droit à la sécuritésociale (article 22), au travail (arti-cle 23), aux loisirs (article 24), à unniveau de vie décent suffisant pourgarantir la santé (article 25), au savoir(article 26) et à la culture (article 27).

L’idée maîtresse dans la penséedes droits de l’homme est que lesdroits individuels, politiques et socio-économiques sont étroitement liés etn’existent que les uns par rapport auxautres. Là où les droits politiquesn’existent pas, pas de droits socio-économiques ; là où ceux-ci sont ra-res, il est illusoire de parler de dignité,de vie privée.

Les droits se déterminent les unsles autres, parce qu’ils sont inter-dépendants. Ils existent ensemble etse renforcent les uns les autres. Un élé-ment vient à manquer et c’est le dys-fonctionnement global dont les symp-tômes apparaîtront à plus d’un niveaudu vécu. On ne verra jamais un étatcomplet de bien-être physique, mentalet social chez une personne n’ayantpas accès à la culture, la liberté poli-tique, la justice, etc. La liberté sera

donc considérée dans cette visioncomme un déterminant de la santé desfemmes et des hommes autant quel’éducation, les moyens de contracep-tion ou la nourriture équilibrée.

En inversant la perspective, on diraque la santé, elle-même, fait partie– avec la liberté, l’éducation, la partici-pation à la vie publique – à l’existencede la dignité.

On comprend mieux les maigresrésultats de la prévention dans lespays du Sud, encore qu’ils existentfort heureusement. Elle ne considérait– du fait de son intoxication par leparadigme biotechniciste – que lesdéterminants « grossiers » et les isolaitdu reste des déterminants « fins »,pourtant tout aussi fondamentaux.

Le paradigme social élargit doncconsidérablement le champ et la pers-pective de l’analyse en faisant de tousles droits de l’homme les déterminantsde la santé et en faisant de la santél’un des déterminants de la majeurepartie des autres droits de l’homme.

Les problèmes de santéà l’échelle du monde

La médecine clinique voit les pro-blèmes de santé le nez collé contrel’organisme, voire l’organe, la celluleou la molécule. De là, sa classificationde ses objets d’études. La médecinedite préventive, sociale ou commu-nautaire s’intéresse aux groupes etdécrit leurs problèmes de santé sousle terme de fléaux sociaux. À l’échelledu monde, la perspective change.Nous devons classer les problèmesde santé différemment.

Les problèmes de santé liésau faible ou non-accèsaux déterminants de la santé

L’épidémiologie classique consi-dère que son travail est fait quand elle

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a établi que le tabagisme est le princi-pal facteur de risque d’une série deproblèmes de santé dont le cancer dupoumon. Paradoxalement, elle va im-puter la dissémination de l’épidémieau comportement de la victime et nonà celle du vrai coupable.

Le paradigme biotechniciste étaitincapable de voir au-delà des lésionset du comportement individuel qui lescausait. Certes, le comportement hu-main est libre, mais il est aussi mani-pulable. Ce n’est pas un hasard si, audépart, les interventions n’ont pasconsidéré la responsabilité des vio-leurs mais celles des victimes. Lesplaintes massives qui sont en train decasser les reins aux compagnies amé-ricaines, et donc de résoudre en partiele problème, n’ont pas été, à maconnaissance, le fait des profession-nels de la santé, mais de citoyens.

Tout ce qu’une telle santé publiqueclassique pouvait envisager c’est descampagnes dites de prévention. Cen’est donc pas aux pouvoirs publics etaux compagnies qu’on a demandé dechanger d’attitudes et de comporte-ments, mais aux malades. Seul unparadigme social permet de « voir »les vrais responsables. Il autorise desrecherches comptabilisant et identi-fiant les compagnies internationalesqui violent le droit à la santé de mil-lions d’hommes s’intéressant au fluxd’argent qui entretient l’épidémietabagique, etc.

Dans le Rapport sur la santé dans lemonde en 2000, publié par l’OMS, onlit ceci : « Ce qui ressort de quelquesautres comparaisons entre pays plutôtque dans le temps... est que si lerevenu par habitant est fortement lié àune certaine mesure de l’état de santé,comme le sont d’autres facteurs telsque la scolarisation des femmes, lesinégalités des revenus ou les caracté-ristiques culturelles, il n’existe guère

de relation indépendante avec desapports tels que le nombre des méde-cins ou des lits d’hôpitaux ».

Il est bien admis aujourd’hui que lesmaladies les plus coûteuses en morta-lité et en morbidité dans le monde,comme la diarrhée du nourrisson, latuberculose ou la mortalité maternellesont dus au faible accès des popula-tions à l’air pur, l’eau potable, l’alimen-tation, l’hygiène et l’éducation. Avecsix millions de morts de faim annuelle-ment, essentiellement des enfants demoins de cinq ans, on mesure la gra-vité de la situation pour une partie del’humanité. En d’autres termes, on diraque c’est la non-accession aux droitssocio-économiques qui est le facteurclé de cette situation.

Les problèmes de santé liésau commerce légal ou illégalde substances dangereuses

Le rôle du tabac dans l’épidémiedes cancers et notamment du pou-mon, n’est plus à démontrer. Ce quel’on sait moins, c’est que l’alcool n’estpas en reste.

Le commerce de l’alcool, du tabac,de la drogue ou des armes génèredes bénéfices colossaux. Or, c’est entoute connaissance de cause quecette économie de la maladie et de lamort est entretenue.

Les problèmes de santé liésaux désordres psychologiquespour des raisons socialeset politiques

L’épidémie de suicide qui a déferlésur les pays de l’ex-URSS après ladissolution de ce pays et les transfor-mations brutales de la société post-communiste, n’est que la partie visibled’un phénomène très répandu : lapathologie liée au système politiqueou à ses transformations.

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Personne n’est en mesure de dire ceque coûte en souffrance psychique ladictature du parti unique ou celle ducapital dans un tel ou tel pays. Cequ’on ne sait pas en fait, c’est com-ment aurait été la santé dans un sys-tème de relations sociales et poli-tiques moins agressif que celui quinous gouverne ? L’épidémie de ladépression n’est peut-être que la par-tie visible de l’iceberg.

Les problèmes de santé liésaux séquelles de la torture,de la guerre et aux autres formesde violence d’origine sociopolitique

L’homme n’est pas comptabilisédans le paradigme biotechnicistecomme un agent agresseur au mêmetitre que les virus, les bactéries et lesparasites.

Ainsi, il n’existe pas de scienceappelée « l’hommologie » à l’instar dela virologie et de la bactériologie, étu-diant la virulence de l’homme, sa toxi-cité et les caractéristiques physiolo-giques qui le rendent si dangereuxpour la santé humaine. Or, de nom-breux problèmes de santé comme latorture ne sauraient être analysésautrement que par la compréhensiondes mécanismes qui font de l’hommeun loup pour l’homme selon la fa-meuse phrase de Hobbes.

Les problèmes de santé liésau faible ou au non-accès aux soins

Les soins sont inaccessibles audeux tiers de l’humanité pour des rai-sons géographiques et économiques.Les techniques de traitement les plusrécentes ne sont disponibles que pourles peuples ou classes riches. Rappe-lons qu’aux États-Unis, près de 20 %de la population ne disposent d’au-cune couverture sociale.

Approches et niveauxd’intervention

À ce niveau de la réflexion, lestenants du paradigme biotechnicistepourraient nous rétorquer que puisquela santé est une affaire bien tropsérieuse pour être confiée aux méde-cins, nous n’avons qu’à aller faire soi-gner nos bobos et nos cancers chezles politiciens, les sociologues et lesmilitants des droits de l’homme. Voilàun conseil que je me garderais bien desuivre et je vous conseille d’en faireautant. Rien n’est plus creux et plusinefficace en général que le discourspolitique et idéologique en médecine.Celle-ci tire sa raison d’être, de touttemps de son efficacité, cas par cas,problème par problème. Elle ne sau-rait guérir ni de l’injustice, ni de l’an-goisse inhérente à la nature humaine.

Elle doit d’abord et avant tout trai-ter les symptômes, afin de diminuer lasouffrance. Le développement le pluspoussé et la démocratie la plus par-faite n’élimineraient pas l’accident devoiture et ses séquelles ou la dépres-sion du deuil. Le problème n’est pasde remplacer la médecine, mais de luiassigner sa vraie place dans la priseen charge de cette question com-plexe qu’est la santé d’une personneet a fortiori la santé d’une populationà l’échelle du monde.

Acceptons que la santé exige troistypes d’interventions : la restauration,la protection et la promotion. La res-tauration consiste à remettre autantque faire se peut l’organisme en l’étatde son fonctionnement avant la mala-die. C’est le champ presque exclusifde la médecine, où le paradigme bio-techniciste se justifie. La protection dela santé réfère à la somme d’actionssusceptibles de maintenir la personneou la population en bonne santé, aussilongtemps que possible, dans unenvironnement complexe changeant

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et dangereux. Le paradigme dominantest déjà beaucoup moins performantpour « voir » les vrais problèmes et lesvraies solutions. La promotionconcerne, à l’échelle de la sociétéentière, la mise en place de tous lesdéterminants de la santé qui, de parleurs puissants effets, diminuentconsidérablement la « production » depopulations à risque, elles-mêmesproduisant le plus gros contingentdes malades. C’est à ce niveau que leparadigme social joue à plein pournous éclairer sur les véritables enjeux,acteurs, problèmes et pistes de solu-tion. Le tableau ci-dessus tente desynthétiser notre conception.

Il est clair qu’au fur et à mesurequ’on s’élève de la restauration à laprotection, la part du médical se réduitcomme peau de chagrin. Reste-t-ilquelque chose à faire au médecin et lamédecine a-t-elle autre chose à avan-cer à ce niveau que des vœux pieux ?

Cette envolée vers le haut est aussiriche et pertinente que la descentevers le moléculaire. Elle permet de lierdes phénomènes et de mesurer lacontinuité et la complexité des fac-teurs déterminants de la santé. Il estadmis que la médecine doit analyser« objectivement » tous les facteurssusceptibles d’altérer la santé desindividus et des populations. Chaquechamp du continuum définit ses pro-pres et innombrables problématiques.De telles recherches peuvent-ellesavoir des implications pratiques ? Tant

que le médecin se contente d’enquê-ter et d’enseigner sur ces « facteurs derisque », il peut ne pas outrepasser sajuridiction territoriale classique. Peut-ilfaire un pas en avant tout en restantmédecin ? Ce pas, forcément, neserait qu’une forme ou une autre d’im-plication dans un combat politiquepatent ou latent. Il n’existe pas ici deligne de conduite claire et acceptablepar tous. Des médecins se sont inves-tis dans la politique active à partir d’unengagement pour la santé des plusdéfavorisés, en général plus en tantque personnes qu’en leur qualité deprofessionnels, mais qu’en est-il desautres ?

Établissons ici un parallèle avecl’éthique. Le professionnel de santén’est pas un moraliste professionnel,mais l’éthique est intimement liée àson travail quotidien. Elle en est mêmela condition sine qua non. Attitude,aussi bien que comportement, elle estle complément indispensable de sonaction technique. Participer au lob-bying social et politique en faveur dela démocratie et du droit de l’homme,c’est faire preuve d’une certaine façond’une attitude éthique, mais à l’échelledes populations à risque, injustementexposées à la maladie, et à l’indignitépar un système politico-économiqueinique et pathogène ; comme dansl’engagement éthique de personne àpersonne, celui de personne à grouperelève largement du libre arbitre et nepeut ni s’enseigner ni être imposé.

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Niveau Sujet Facteur-clé Acteur principal

Promotion la population droits de l’homme le politique

Protection la population à risque prévention les équipesmulti-disciplinaires

Restauration le malade technologie médicale les professionnels

Intervention sur les problèmes de santé

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 291-302

Résumé : L’auteur souligne les liens entre la protection de l’environnement et la santéà travers l’exposé de problèmes récents et l’analyse des textes juridiques qui yrépondent. Face à la dégradation de l’environnement géographique et social, le droitapparaît comme un outil possible, mais qui doit faire face à des évolutions rapides etcomplexes.

Environnement et santéEnvironment and health

Myriam Legendre (1)

Tiré à part : M. Legendre

La relation de l’homme à son en-vironnement naturel et culturel abeaucoup évolué en peu de temps.L’homme, grâce à la révolution indus-trielle et au progrès technologique, apu développer son emprise sur l’envi-ronnement. En ayant le sentiment demieux « maîtriser » la nature, il a oubliésa vulnérabilité d’être vivant ainsi que ladépendance qui le lie à ce qui l’entoure.Le progrès technique lui a permis deproduire plus, plus rapidement et dechercher des rendements sans cessesupérieurs, la nature n’étant souventplus qu’une ressource à exploiter.

Ce n’est que récemment que l’ons’est rendu compte des conséquen-ces éventuelles de la surexploitationdes ressources naturelles et de ladégradation du milieu par des pollu-

(1) Docteur en Droit public, Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Cemea), Groupepédagogique national sur l’éducation relative à l’environnement.

tions très diverses. Des mesuresponctuelles ont été prises pour tenterde résoudre les problèmes au fur et àmesure qu’ils apparaissaient. Mais lesdégradations non seulement n’ont pasdisparu, mais en plus, elles se sontaggravées. En effet, les solutionsélaborées omettaient de prendre enconsidération les interactions com-plexes qui animent la nature et aujour-d’hui, nous devons faire face à desdéséquilibres écologiques globauxprovoqués par des causes multiplesdans le temps et dans l’espace.

Si l’homme a oublié sa réalité biolo-gique au profit de sa supériorité tech-nologique, n’y a-t-il pas eu d’autresdérives qui contribuent à ce malaisecroissant des sociétés humaines àl’échelle planétaire ?

Mots-clés : environnement - droit - mondialisation.

DOSSIER

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M. LEGENDRE

Des évolutions qui pèsentsur l’environnement

Le progrès technique et les facilitésqu’il offrait ont contribué à une évolu-tion marchande de l’économie où toutdevenait ressource grâce à l’aide denouvelles technologies. L’économie,au cours des dernières décennies,s’est déshumanisée. Au lieu d’être unmoyen au service du bien-être humain– du « progrès » de l’humanité –, cequi était son but à l’origine, elle estdevenue un outil au service des dyna-miques du matérialisme, de l’ultra-libéralisme et du monétarisme [1].

Le culte croissant du matérialisme asacrifié les valeurs des biens immaté-riels comme les satisfactions que pro-cure l’environnement (la nature, labeauté, la culture, la sécurité, la convi-vialité) à chaque fois qu’ils étaient enconflit avec un bien matériel à valeurmarchande. Par exemple, la pureté del’air et de l’eau, l’intégrité biologiquede la nourriture, le silence, les espacesverts sont ainsi sacrifiés à la rechercheexclusive de l’argent ; la politiqueeuropéenne des transports a poussé àl’hypertrophie du transport routierparce qu’elle a considéré comme sansvaleur économique les avantages durail en matière de sécurité de circula-tion et d’absence de pollution ; et l’af-faire de la vache folle montre le dangerd’avoir sacrifié la santé au profit.

Quant à l’ultra-libéralisme, il estnocif pour l’environnement car il exaltela concurrence à tout va, qui pousse àun productivisme forcené dont on voitles dangers en agriculture notam-ment : engrais pour forcer la terre,hormones pour forcer la production deviande bovine. Et il glorifie l’individua-lisme qui pousse à sacrifier les com-munautés affectives, en particulier lafamille, au profit de la réussite indivi-duelle fondée exclusivement sur l’ar-gent comme idéal et conduisant beau-

coup d’individus à une incertitudedéchirante sur les raisons de vivre.

Le progrès technique a donné lesmoyens à l’homme de surexploiterl’environnement en le « dopant » artifi-ciellement. Ces nouveaux produitspolluent l’environnement immédiat etmondial. Aujourd’hui, plus de 15 mil-lions de nouveaux produits chimiquesont fait leur apparition, dont plus de300 000 sont disponibles dans lecommerce [2].

Nombre de ces produits ont contri-bué à l’amélioration de la qualité de lavie, mais le manque de connaissancequant à leurs effets toxiques surl’homme, leur persistance dans l’envi-ronnement et leur utilisation à mauvaisescient, ont causé des problèmes desanté à de nombreuses personnes. Eneffet, c’est dans cet environnementque se retrouvent les produits de con-sommation courante, jusqu’à l’alimen-tation et les médicaments [3]. Commenous interagissons avec notre envi-ronnement, nous ingérons ou respi-rons ces substances.

Qualité de l’environnementet santé

Les dégradations de l’environne-ment, qu’il soit physique ou social,peuvent constituer des agressionspour la santé.

Agressions de l’environnement

L’impact des principales pollutionssur la santé commence à être analy-sé, en particulier :

– l’agriculture (engrais, pesticides,farines animales) ;

– l’air, l’atmosphère : présence desubstances nocives dans l’air (métauxlourds, dioxines) ;

– le bruit : (un environnement tropbruyant peut avoir des incidences surla santé de l’homme) ;

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ENVIRONNEMENT ET SANTÉ

– les déchets : problème des dé-chets toxiques, des déchets nucléaires,la pollution par les fumées des inciné-rateurs, la pollution des nappes phréa-tiques par les centres d’enfouisse-ment technique.

Les différentes substances entrentdans le corps par inhalation, absorp-tion, par contact cutané, ingestion denourriture, d’eau contaminée ou trai-tée chimiquement. L’impact de cespollutions sur la population est sous-estimé pour plusieurs raisons :

– les indicateurs de mesure neprennent pas toujours en compte lesnouvelles formes de pollution (finesparticules produites par le dieselpotentiellement plus dangereuses queles grosses particules parce qu’ellesse logent au fond des bronches) ;

– les individus sont soumis à unesynergie de pollutions en permanenceavec un risque de potentialisation deleur nocivité ;

– une partie de la population estplus vulnérable du fait de sa fragilité(enfants, personnes âgées, malades) ;

– une partie de la population estplus vulnérable du fait de l’inégalitésociale et économique. Les pollutionssont inégalement réparties dans laville, atteignant les niveaux les plusélevés dans les quartiers les pluspauvres, c’est-à-dire frappant lespopulations les plus vulnérablessocio-économiquement [1].

Les carences de l’environnementsocial et idéologique constituent éga-lement des agressions pour la santé.Ces carences peuvent être de diffé-rente nature. Il peut s’agir d’un videaffectif : la désagrégation des com-munautés laisse les individus plus fra-giles et les plus sensibles désem-parés en cas d’épreuves à affronterparce qu’ils se sentent seuls. Le videpeut être spirituel : la société ne porteplus distinctement un idéal de pro-

grès de l’homme à offrir à ses mem-bres, en particulier à la jeunesse, sousforme d’un espoir à bâtir en commun,d’un avenir qui soit un épanouisse-ment et pas seulement un enrichisse-ment matériel. Le vide peut enfin êtreprofessionnel : pour de plus en plusd’individus, la communauté de travails’est effondrée, d’abord par la mon-tée du chômage, mais même aussipour beaucoup de ceux qui travail-lent, parce qu’à l’intérieur de l’entre-prise, des réductions incessantes d’ef-fectifs créent entre les travailleurs unementalité « radeau de la méduse »dans l’attente de la prochaine « char-rette » de licenciement.

La complexité des interactionsenvironnement-santé

L’environnement est un facteur dé-clenchant de nombreuses maladiespar les agressions de l’environnementphysique (pollution, nourriture mal-saine, gigantisme urbain, destructiondes espaces verts) et les carences del’environnement social (solitude, fa-mille en miettes, chômage) et idéolo-gique (vide spirituel). L’environnementest un facteur facilitant l’invasion de lamaladie en créant de multiples stressqui affaiblissent les défenses immuni-taires.

Le lien entre la qualité de l’environ-nement et l’état de santé des popula-tions est reconnu par les communau-tés scientifiques de manière plus fré-quente qu’avant, mais les questionsrestent plus nombreuses que lesréponses. À titre d’exemples, évo-quons quelques liens environnement-santé récemment établis.

L’augmentation des allergies estfrappante. Un groupe d’experts japo-nais a travaillé sur l’allergie au pollen :

– la fréquence moyenne, au Japon,de la pollinose provoquée par les cè-dres a été chiffrée à 9,6 % ;

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M. LEGENDRE

– les valeurs maximales pour cettepollinose ont été constatées le longdes rues à forte densité de trafic(13,2 %). Dans les quartiers moins fré-quentés par les voitures, mais où il y ades cèdres, cette valeur baisse sensi-blement (5,1 %) ;

– dans les quartiers où il n’y a pasde cèdres, mais où le trafic est dense,ces pollinoses spécifiques du cèdre sesituent à 9,6 %, soit à un niveau supé-rieur aux valeurs des quartiers où il y ades cèdres, mais pas de trafic auto-mobile [4].

Depuis peu, on rapporte de plus enplus fréquemment un autre phéno-mène, les réactivités croisées. Parexemple :

– dans le cas des personnes aller-giques qui réagissent à des alimentscomme l’anis, le céleri, la camomille,tout en ayant été sensibilisées au pol-len d’armoise ;

– dans le cas des personnes quiréagissent à la pomme, aux noisetteset au curry, tout en ayant été sensibi-lisées au pollen de bouleau ;

- dans le cas des personnes quiréagissent aux cacahuètes, au soja età la menthe poivrée tout en ayant étésensibilisées à l’herbe [5].

Il est établi que le « sick buildingsyndrome », c’est-à-dire l’apparitiond’atteintes à la santé comme l’irrita-tion des yeux, des muqueuses du sys-tème respiratoire, des problèmes neu-rologiques comme la fatigue, les mauxde tête, le vertige, etc., peut provenirdu « cocktail chimique » : solvants,formaléhyde, pyréthrinoïdes émis parle nouveau mobilier (peintures, laques,tapis, cuir, boiseries, etc.).

Le poids croissant de ces maladieschroniques dégénératives et de cessyndromes ne peut être nié. Des asso-ciations de patients concernés par cesmaladies se sont créées : par exem-

ple, contre l’usage de fongicides(PCP, pentachlorophénol, etc.) oud’insecticides (lindane, etc.) dans lesproduits de traitement du bois ou ducuir, contre le formaldéhyde, contrel’amiante, contre les champs électro-magnétiques. Des procès ont étégagnés en Allemagne et au Canada,car les juges ont jugé suffisante la trèsgrande probabilité des relations entrel’exposition prolongée et les effetsnégatifs sur la santé. C’est essentielcar les juges n’ont pas revendiqué unepreuve à cent pour cent d’une relationde cause à effet préconisée par lesindustriels et leurs experts.

La constructiond’une réponse juridique

Face à la communauté scientifiqueconfirmant le lien de causalité entredes problèmes d’environnement etdes questions de santé publique, lesjuristes ont dû chercher à créer du liendans un droit où les disciplines sontbien identifiées. C’est une des fonc-tions intéressantes du droit de l’envi-ronnement qui interroge les autresdroits de manière transversale etappelle une vision globale. Mais iln’est pas facile de construire uneréponse adaptée et rapide. Cepen-dant, un certain nombre de principesjuridiques tente de répondre au lienenvironnement-santé.

L’apparition d’un droità un environnement sain

Les problèmes d’environnement seposant de plus en plus fréquemment àl’échelle mondiale, la communautéinternationale a été la première à envi-sager une réponse globale et transver-sale à la question. Le principe d’undroit à un environnement sain a ainsiintégré les problématiques liées àl’environnement et à la santé.

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ENVIRONNEMENT ET SANTÉ

Il resitue l’homme dans son environ-nement et reconnaît les interdépen-dances qui peuvent exister entre eux.Par la protection de l’environnement,on peut améliorer la qualité de vie deshommes. De nos jours, l’homme esttouché par les pollutions dans sesbesoins vitaux (respirer, boire, man-ger, dormir) ; la reconstitution d’unenvironnement de qualité devient undes besoins fondamentaux de l’êtrehumain et re joint les droits del’homme au sens classique.

Ce principe permet d’affirmer quebien des problèmes de santé publiquesont, en même temps, des problèmesd’environnement. En effet, la méde-cine et la pharmacie ont une vocationthérapeutique à l’égard d’une santédéfaillante, mais de nombreux pro-blèmes de santé sont engendrés parun environnement dangereux. Laconférence de Stockholm avait affirméce principe en 1972, en précisant que« l’homme a un droit fondamental à laliberté, à l’égalité et à des conditionsde vie satisfaisantes, dans un environ-nement dont la qualité lui permette devivre dans la dignité et le bien-être. Il ale devoir solennel de protéger etd’améliorer l’environnement pour lesgénérations présentes et futures »(principe n° 1).

Le droit français s’est inspiré de ceprincipe dans son nouveau code del’environnement. Ce dernier disposedans ses principes généraux que « laprotection, la mise en valeur, la restau-ration, la remise en état et la gestiondes espaces, ressources et milieuxnaturels, les sites et paysages, la qua-lité de l’air, les espèces animales etvégétales, la diversité et les équilibresbiologiques auxquels ils participentsont d’intérêt général et concourent àl’objectif de développement durablequi vise à satisfaire les besoins dedéveloppement et la santé des géné-rations présentes sans compromettre

la capacité des générations futures àrépondre aux leurs » (Article L. 110-1-Iet II).

Si l’on part du constat que chacund’entre nous se voit confronté dans lavie de tous les jours à des pollutionsmultiples (pollution des villes, de l’ha-bitat, etc., pollutions chroniques àfaibles doses), il nous semble évidentqu’il faut procéder à une évaluationsérieuse et scientifique de ces risques.

Le domaine juridique se trouve iciface à une triple difficulté :

– il y a un constat de vide juridique.Par exemple, l’interdiction ou la régle-mentation des produits a du mal à sui-vre la vitesse de leur apparition, et lerecul nécessaire pour connaître leurdegré de toxicité n’est pas pris encompte par le marché. C’est le casdes OGM ;

– il y a un constat d’inadaptationdes textes. Les textes, fondés sur uneapproche sectorielle des activitéshumaines sont remis en cause par uneréalité environnementale transversale.La protection de l’environnement neconnaît pas les catégories mises enplace dans l’arsenal juridique, lestextes sont donc parcellaires et nepeuvent pas apporter une réponseadaptée aux réalités de terrain (droitdes affaires, droit de l’environnement,politiques urbaines, aménagement duterritoire, etc.). La problématiquesanté et protection de l’environnementoblige à se poser les questions demanière globale et interdépendante ;

– en matière d’environnement, il estdifficile d’évaluer la causalité et lerisque. Il faut que la preuve ait été faited’une causalité entre l’activité incrimi-née et les dommages environnemen-taux, pour que le droit accepte decontraindre l’activité économique enquestion. Dans la démarche scienti-fique actuelle, on cherche systéma-tiquement une relation cause-effet

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immédiate en centrant l’attention surchaque polluant pris individuellement.Or, les interactions entre polluantspeuvent, elles aussi, être nocives et lelien de causalité n’est pas forcémentdirect, car les interactions en pré-sence sont complexes. De plus, leseffets sont souvent différés et obligentà une prise en compte du long terme.

Les problèmes liés à l’environne-ment questionnent les juristes sur lapertinence d’intervenir en réaction auxproblèmes rencontrés. Le droit est enmajorité curatif car il réglemente desproblèmes qui sont déjà posés. Ladégradation de l’environnement et seseffets sur la santé ne permettent pasd’attendre la certitude du risque réelpour interdire ou réglementer une acti-vité.

Ces différents constats question-nent le droit, et des réponses sontalors élaborées à différents niveaux.

L’approche transversale entre pro-tection juridique de l’environnement etsanté est fondamentale pour larecherche de l’effectivité du droit à unenvironnement sain. La protection del’environnement a longtemps étéconsidérée comme secondaire etfutile face aux priorités du développe-ment humain. Comme l’homme et lanature sont également victimes d’undéveloppement qui fut conçu demanière irresponsable et qui répandses effets négatifs sur le modèle del’épidémie, un certain nombre de prin-cipes du droit à un environnement sainsont également applicables en ma-tière de santé publique. La reconnais-sance d’un lien entre la qualité de l’en-vironnement et la santé de l’homme apermis de renforcer la protection del’environnement.

Pour mettre en œuvre le droit à unenvironnement sain, un certain nom-bre de principes ont été déclinés. Ilsprévoient de réinsérer l’homme dans

son contexte naturel et culturel en pre-nant en compte les interactions quecela implique, y compris si cela doitinterroger le modèle économique.

Le principe de précaution

Face à la multiplication et à la com-plexité des problèmes rencontrés, ilest enfin apparu qu’il fallait parfoisanticiper les problèmes, car une dé-marche curative manquait d’efficacitéet pouvait avoir des conséquenceshumaines, naturelles et financièrescatastrophiques. En envisageant uneapproche globale à long terme, pourassurer un droit à un environnementsain, on change de logique. Onaccepte d’agir en amont pour évaluerles risques à venir et s’inscrire dansune logique de prévention. Le principede précaution est un des outils privilé-giés de cette démarche.

Le principe de précaution veut queface à la menace d’une dégradationirréversible de l’environnement, on nesaurait s’autoriser de l’absence d’uneconnaissance scientifique absoluepour remettre à plus tard des mesuresqui sont justifiées en elles-mêmes. Leprincipe de précaution peut donc ser-vir de base à des politiques touchantdes systèmes complexes qui ne sontpas encore bien compris et dont on nepeut encore prévoir quelles consé-quences auront leurs perturbations.Ce raisonnement permet d’intégrer lelien entre protection de l’environne-ment et santé publique.

• Il est défini par la communautéinternationale de la manière suivante :« Pour réaliser un développement sou-tenable (NDLR : traduction littérale desustainable development), les poli-tiques doivent être fondées sur le prin-cipe de précaution. Les mesures envi-ronnementales doivent anticiper, pré-venir et attaquer les causes de la dé-

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gradation de l’environnement. Quanddes menaces existent d’un dommagesérieux ou irréversible, l’absenced’une certitude scientifique totale nedoit pas être utilisée pour ajourner lesmesures prévenant la dégradation del’environnement » [6].

Depuis la conférence des Nationsunies sur le développement et l’envi-ronnement à Rio en 1992, la majoritédes États a reconnu officiellement, autravers de deux conventions, le prin-cipe de précaution comme base dudéveloppement durable : « En cas derisque de dommages graves ou irré-versibles, l’absence de certitudescientifique absolue ne doit pas servirde prétexte à remettre à plus tardl’adoption de mesures effectivesvisant à prévenir la dégradation del’environnement ». Au lieu de réparerles dommages à la santé, il s’agiradonc d’essayer autant que possiblede les prévoir et les éviter.

Plusieurs autres textes juridiquesont repris ce principe, comme le Pro-tocole sur la biosécurité (relatif auxOGM), adopté à Montréal le 28 janvier2000. La Conférence des Parties à laConvention sur la diversité biologiquea expressément reconnu dans sonarticle 10-6 le recours au principe deprécaution. Il est, en effet, indiqué :« L’absence de certitude scientifiquedue à l’insuffisance d’information et deconnaissance scientifique pertinenteen ce qui concerne les effets négatifspotentiels d’un organisme vivantmodifié sur la conservation et l’utilisa-tion durable de la diversité biologiquedans la partie importatrice, prenantégalement en compte les risques pourla santé humaine, n’empêche pascette partie de prendre une décision,si approprié, concernant l’importationde l’organisme vivant modifié enquestion dans le but d’éviter ou deréduire de tels effets potentiellementnégatifs ».

• Au niveau de l’Union européenne,des prises de positions des différentesinstitutions, et en particulier de la Courde Justice des communautés euro-péennes et de la Commission (7),confirment l’importance du principede précaution dans l’arsenal juridiqueeuropéen, tant pour la protection del’environnement que la santé del’homme.

Le Traité d’Amsterdam (Maastricht),dans son article 174, indique que « lapolitique de la Communauté dans ledomaine de l’environnement vise unniveau de protection élevé, en tenantcompte de la diversité des situationsdans les différentes régions de la com-munauté. Elle est fondée sur les prin-cipes de précaution et d’action pré-ventive, sur le principe de la correc-tion, par priorité à la source, desatteintes à l’environnement, et sur leprincipe du pollueur payeur (...) ».

L’article 95-3 du Traité CE prévoitque « la Commission, dans ses propo-sitions en matière de santé, de sécu-rité, de protection de l’environnementet de protection des consommateurs,prend pour base un niveau de protec-tion élevé en tenant compte notam-ment de toute nouvelle évolutionbasée sur des faits scientifiques ».

L’article 152-1 du Traité CE prévoit« un niveau élevé de protection de lasanté humaine qui est assurée dans ladéfinition et la mise en œuvre de tou-tes les politiques et actions de la com-munauté ».

La Commission rappelle que le prin-cipe de précaution « couvre les cas oùles données scientifiques sont insuffi-santes, peu concluantes ou incer-taines et où une évaluation scientifiquepréliminaire montre qu’on peut raison-nablement craindre que des effetspotentiellement dangereux pour l’envi-ronnement et la santé humaine, ani-male ou végétale soient incompatibles

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avec le niveau de protection recherchépar l’Union européenne ». « Bien quele principe de précaution ne figurepas explicitement dans le traité CE, sice n’est pour l’environnement, laCommission considère que sa portéeest beaucoup plus vaste et s’étendégalement à la protection de la santéhumaine, animale et végétale » (...)« La Commission considère qu’à l’ins-tar des autres membres de l’OMC, laCommunauté dispose du droit de fixerle niveau de protection, notamment enmatière d’environnement et de santéhumaine, animale ou végétale, qu’elleestime approprié. L’application duprincipe de précaution est un élé-ment essentiel de sa politique, et leschoix qu’elle effectue à cette fin conti-nueront d’influer sur les positionsqu’elle défend au niveau internationalquant à la manière d’appliquer ceprincipe » [7].

Dans le cadre de la crise de la vachefolle, la commission a souhaité créerrapidement une agence de la sécuritéalimentaire, chargée d’assurer descontrôles sur les pratiques des Étatsmembres, augmentant ainsi l’implica-tion de l’Europe dans ce dossier,même si elle affirme que la politiquede sécurité alimentaire est l’affaire dechaque État. Une autorité européennede sécurité des aliments fonctionnedepuis septembre 2002. Sa principaleresponsabilité est de dispenser desconseils scientifiques indépendantssur tous les sujets ayant des retom-bées directes ou indirectes sur lasécurité alimentaire.

Dans une résolution du 10 mars1998, le Parlement européen constateque « la législation alimentaire euro-péenne se fonde sur “le principe d’uneprotection préventive de la santé desconsommateurs” ». La gestion desrisques doit être appropriée et baséesur le principe de précaution.

Le Comité parlementaire mixte del’Espace économique européen (EEE)a adopté, le 16 mars 1999, une résolu-tion relative à la « sécurité alimentairedans l’EEE ». À cet effet, d’une part il« souligne l’importance que revêt l’ap-plication du principe de précaution »(point 5) et d’autre part, il « réaffirmel’impérieux besoin de développer uneapproche prudente au sein de l’EEEen ce qui concerne l’évaluation desdemandes de mises sur le marchéd’OGM destinés à entrer dans lachaîne alimentaire (...) » (point 13).

Le Conseil a adopté le 13 avril 1999,une résolution demandant à la Com-mission, entre autres, « de se laisser, àl’avenir, guider davantage encore parle principe de précaution lors de l’éla-boration de propositions de législationet dans le cadre de ses autres activitésliées à la politique des consomma-teurs, et d’élaborer de manière priori-taire des lignes directrices claires etefficaces en vue de l’application duprincipe ».

La Cour de Justice des Communau-tés Européennes (CJCE) adopte uneposition plus radicale dans l’applica-tion du principe de précaution en ledésolidarisant de la recherche de lacertitude d’un risque confirmé. Dansson arrêt sur la validité de la décisionde la Commission interdisant l’expor-tation du bœuf du Royaume-Uni pourlimiter le risque de transmission del’ESB (arrêts du 5 mai 1998, aff. c157/96 et C-180/96), la Cour a précisé :« Or, il doit être admis que, lorsque lesincertitudes subsistent quant à l’exis-tence ou à la portée des risques pourla santé des personnes, les institutionspeuvent prendre des mesures sansavoir à attendre que la réalité et la gra-vité de ces risques soient pleinementdémontrées » (attendu 99). Cetteapproche « est corroborée par l’article130R, paragraphe 1er du Traité CE,selon lequel la protection de la santé

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des personnes relève des objectifs dela politique de la Communauté dans ledomaine de l’environnement. Le para-graphe 2 du même article prévoit quecette politique, visant un niveau deprotection élevé, se fonde notammentsur le principe de précaution et d’ac-tion préventive et que les exigences deprotection de l’environnement doiventêtre intégrées dans la définition et lamise en œuvre des autres politiquesde la communauté » (attendu 100).

Dans un autre arrêt relatif à la pro-tection de la santé de consommateurs(arrêt du 16 juillet 1998, aff. t-199/ 96),le Tribunal de première instancereprend le passage utilisé dans l’arrêtrelatif à l’ESB (attendus 66 et 67).

Dans l’ordonnance du 30 juin 1999(aff. t-70/99), le Président du Tribunalde première instance confirme lespositions exprimées dans les arrêtsmentionnés. Il importe toutefois desouligner que dans cette décision juri-dictionnelle, une allusion explicite auprincipe de précaution est effectuée etqu’il est réaffirmé que « les exigencesliées à la protection de la santépublique doivent incontestablementse voir reconnaître un caractère pré-pondérant par rapport aux considéra-tions économiques ».

• Au niveau français, le code del’environnement dispose dans sesprincipes généraux que « le principede précaution, selon lequel l’absencede certitudes, compte tenu des connais-sances scientifiques et techniques dumoment, ne doit pas retarder l’adop-tion de mesures effectives et propor-tionnées visant à prévenir un risque dedommages graves et irréversibles àl’environnement à un coût économi-quement acceptable » (L. 110-1-II-3).Malheureusement, la portée du prin-cipe est limitée par la dernière partiede la phrase qui donne prise à l’éco-nomie sur les décisions qui peuvent

être prises. Cependant, un certainnombres d’organismes se sont saisisde cette question.

– Un Comité de la prévention et dela précaution (CPP) a été créé par unarrêté ministériel du 30 juillet 1996. CeCPP est composé de dix-neuf person-nalités scientifiques reconnues dans ledomaine de l’environnement et de lasanté. Ce comité, qui se réunit tous lesmois depuis 1997, a rendu six recom-mandations et trois avis dont un surl’application du principe de précau-tion, dans le sens souhaité par la com-mission européenne.

– Une agence de sécurité sanitaireenvironnementale (Afsse) qui travaillesur la problématique « santé-environ-nement ». Elle est créée pour dévelop-per et renforcer les capacités et lacohérence de l’expertise sur la ques-tion de l’impact de l’ensemble desfacteurs de l’environnement sur lasanté. Son fonctionnement (prévu parun décret du 26 mars 1999), finalisé en2003, est complémentaire avec l’Insti-tut de veille sanitaire (InVS), l’Agencefrançaise de sécurité sanitaire desproduits de santé (Afssaps) etl’Agence française de sécurité sani-taire des aliments (Afssa)*.

Des principes juridiquescomplémentaires

Un certain nombre d’autres prin-cipes juridiques existent qui renfor-cent l’effectivité du principe de pré-caution. Ils s’inscrivent de manièreplus générale dans la logique de pré-vention.

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* Ces trois établissements publics de l’État ontété créés par la loi du 1er juillet 1998 relative à laveille sanitaire et la surveillance des produitsdestinés à l’homme.

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Le droit à la sécurité, lié à l’idée depaix ; si l’environnement est perturbé,le bien-être, la santé, voire la vie peu-vent être menacés, par exemple dansla lutte pour certaines denrées qui seraréfient. Ce droit inclut aussi le droit àêtre informé sur ce que l’on respire etce que l’on consomme dans le cadred’une politique nationale et internatio-nale qui minimise le risque de conta-mination par des substances nocives(OGM, vache folle).

Le principe de solidarité entre lespays développés et les pays en déve-loppement, entre les différentes ré-gions d’un même pays, dans unemême région entre les différentescomposantes de la population.

Le droit de la responsabilité desindustriels, des politiques, s’ils portentatteinte par leurs actions ou leurmanque d’action aux droits des ci-toyens du monde à un environnementsain. La responsabilité des politiquesest mise en avant dans les affairesrécentes et les pouvoirs publics fran-çais ont été de nouveau mis en accu-sation, mais cette fois, des respon-sables britanniques et de la Commis-sion européenne ont été aussi mis encause. On a reproché aux administra-tions, pouvoirs publics ou politiquesde ne pas vouloir « provoquer un mou-vement de panique de nature à fragili-ser la filière bovine française et ne pasfreiner la construction du marchéunique européen. Mme Honnorat, avo-cat des familles de deux victimes fran-çaises de la maladie de Creutzfeldt-Jakob utilise ces motifs contre lespouvoirs publics. Elle dit qu’on a“sacrifié” la santé publique sur l’auteldu marché unique. Alors que laconstruction européenne aurait dûreposer sur la principe de la primautéde l’homme, on a privilégié des inté-rêts économiques catégoriels au détri-ment de la santé publique ».

Les autorités politiques et les filièreséconomiques sont remises en cause,peut-être aussi parce qu’elles ont agide concert, sans la prise en comptedes intérêts des citoyens. Le ques-tionnement sur la responsabilité inter-roge sur la répartition des compé-tences, sur la présence de garde-fouset sur la place que chaque citoyenoccupe dans la société. Sommes-nous des sujets ou l’objet de poli-tiques qui nous échappent ?

Il inclut aussi la responsabilisationde chacun dans ses choix. Par l’infor-mation, par la formation et par l’édu-cation, chaque citoyen doit pouvoirchoisir en connaissance de cause sonalimentation, son système de soin,son hygiène de vie, son rapport à l’en-vironnement (voir dans ce numérol’article de A.L. Beq et J. Pommier, Ci-toyens et démocratie sanitaire).

Ce droit devrait alors s’accompa-gner d’un droit à la participation, quipour le moment, se limite, en France,pour les questions qui nous concer-nent, à l’accès aux informations rela-tives à l’environnement, y compriscelles relatives aux substances et acti-vités dangereuses (il y a encore peude concertation, et les études d’im-pacts sont souvent trop discrètespour toucher le grand public).

Droit de l’environnement :un choix de société

La longue tradition de droit écrit estrequestionnée par le principe de pré-caution et l’impératif de prévention. Leprincipe de précaution s’est déve-loppé en droit de l’environnement aufur et à mesure que l’on réalisait lacomplexité des problèmes. Mais cen’est qu’à partir du moment où le liena été fait avec d’éventuelles consé-quences négatives sur l’homme qu’il apris l’essor qu’il a actuellement. La

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santé a donc servi à conforter la placedu principe de précaution en droit del’environnement.

Protection de l’environnement etsanté sont donc deux domaines quiquestionnent les choix de nos socié-tés. Éviter l’apparition ou la recrudes-cence de pathologies, surtout lors-qu’elles sont graves et invalidantes,est, de l’avis général, moins coûteuxet plus efficace que se limiter à l’ap-proche curative qui reste largementdominante à ce jour. Différentes ques-tions interpellent les pouvoirs poli-tiques à cet égard :

– quelles sont les priorités d’action ?– quels outils nouveaux faut-il mettre

en œuvre ?– comment améliorer l’approche

normative actuelle en matière de pro-tection de l’environnement et de lasanté ?

L’approche multifactorielle est detoute évidence indiquée dès lors quel’on veut cerner la réalité au plus près.La nouvelle démarche qui s’imposeconsiste à évaluer globalement danstoutes leurs retombées les différentesfilières et politiques qui ont un impactpotentiel sur l’environnement. En nes’attaquant pas aux logiques indus-trielles et commerciales profondes, onne fait que déplacer les problèmes.Par exemple, en matière d’agriculture,l’interdiction de certaines substancesa débouché, fort logiquement, sur uneaugmentation de la consommationd’autres substances tout aussi dange-reuses, ou presque, sur la santéhumaine.

S’attaquer aux graves problèmessanitaires liés aux pollutions environ-nementales par des approches plusglobales permettrait de limiter très for-tement les coûts socio-économiquesde prévention tout en entraînant uneplus forte réduction des risques liés

aux effets cumulés de la rencontre deplusieurs pollutions :

– en matière de transport d’éner-gie : la problématique de la pollutionélectromagnétique peut être abordéetout autrement si l’ensemble du sys-tème énergétique se redéploie commele suggère l’Agenda 21 (économiesd’énergie et production d’énergiesrenouvelables) ;

– en matière d’agriculture, la ques-tion de savoir quel est le bilan coût-avantages de l’interdiction de certainspesticides perd de son importance sil’on décide de s’orienter vers des ré-formes plus radicales (agriculture bio-logique) ;

– en matière de transport, la polé-mique sur l’augmentation du coût defabrication des voitures en cas de ren-forcement de certaines normesd’émission perd de son importance sil’on met en place une politique demobilité basée sur les principes dudéveloppement durable (transportscollectifs) ;

– en matière de déchets, la contro-verse sur l’incinération de déchetstoxiques dans les cimenteries dispa-raît d’elle-même si l’on peut menerune véritable politique visant à préve-nir la production de déchets toxiques.

Plus on s’attaque à des problèmesrestreints et isolés les uns des autres,plus on risque de buter sur des situa-tions où effectivement les coûts deprévention marginaux apparaissentexcessifs par rapport aux coûts so-ciaux évités. Sinon, on ne fait quedéplacer le problème (remplacer unproduit toxique par un autre produittoxique) [8].

Le droit, comme l’économie, doi-vent être des outils qui permettent lemieux-être des hommes. Les nou-veaux textes doivent être pris sur labase de trois objectifs :

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– protéger la sécurité et la santédes êtres humains contre le mal ou lerisque et la potentialité de ce mal ;

– assurer le bien-être général del’homme (protection contre les nui-sances, répondre à des besoins es-thétiques et de détente, etc.) ;

– protéger les intérêts économi-ques contre l’épuisement et la pénurie(en particulier dans le domaine del’agriculture, de l’exploitation fores-tière et des ressources maritimes), etcontre les effets nocifs de la pollution(production d’énergie et fournitured’eau potable).

Les politiques ont à réaffirmer leurplace et leur rôle de décideurs dans uncontexte où l’économie a pris le passur les autres secteurs de la société.La protection de l’environnement et dela santé publique nécessite des choixradicalement différents de ceux pro-posés et obligent à développer despriorités politiques orientées vers lebien-être des hommes dans un envi-ronnement qui puisse fournir les ser-vices écologiques fondamentaux,même si ce doit être en désaccordavec les pratiques économiques do-minantes.

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Ce texte est issu d’une contribution au colloque du Syndicat national des médecins dePMI en novembre 2000.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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6. Déclaration de Bergen sur le développement durable dans la région ECE, mai 1990, Paragraphe 7.In : Churchill R.R., Freestone D. (eds.) International Law and Global Climate Change, 1991, p. 344.Voir aussi : La déclaration de Rio de 1992, principe 15 « Pour protéger l’environnement, des mesuresde précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risquede dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servirde prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégrada-tion de l’environnement ». On retrouve ce principe en des termes similaires dans le préambule de laConvention sur la diversité biologique et dans l’article 3 de la Convention cadre sur les changementsclimatiques de Rio en 1992.

7. Commission Européenne, Direction générale de la santé et de la protection du consommateur. Commu-nication sur le principe de précaution. Bruxelles, le 2 février 2000, http://europa.eu.int/comm/dgs

8. Defeyt P. Coûts de la santé et politique de prévention. In : Huss J., Lannoye P. (sous la dir.). La santéempoisonnée. Paris : Frison-Roche, 1998 : 33-50.

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 303-307

Résumé : Le libéralisme économique, la montée de l’individualisme et de lavalorisation de la performance individuelle appellent l’affirmation de valeurs éthiquesque peuvent porter la société civile et, notamment, le mouvement associatif. Lapromotion de la santé est, elle-même, porteuse de cette éthique qui tient compte à lafois des libertés et désirs individuels, et des libertés et désirs collectifs.

Approche politico-sociale,psychosociale etcommunicationnelle dela promotion de la santéA social-political, psycho-social andcommunity approach to health promotion

Michel Mercier (1)

Tiré à part : M. Mercier

Le paradigme de la promotion de lasanté dépend notamment de trois fac-teurs importants, que nous aborde-rons ici :

– les évolutions de la pensée scien-tifique et technologique ;

– les changements sociaux en ma-tière d’idéologie de l’individu et de laperformance ;

(1) Professeur de psychologie, Université Notre Dame de la Paix, Namur, Belgique.

– l’articulation des politiques pu-bliques et des mouvements associa-tifs.

Dans ces changements, la sociétécivile prend une place croissante entreles logiques du libéralisme écono-mique et les logiques des décisionspolitiques.

Mots-clés : mondialisation - associations - éthique.

DOSSIER

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M. MERCIER

Le mouvement associatif,réponse éthiqueau libéralisme économique

La Renaissance a vu se développerune rationalité qui s’est rendue indé-pendante de la tradition religieuse. Ausein même des traditions religieuses,des courants de rationalité différentset parfois antagonistes se sont déve-loppés, surtout en ce qui concerne lesimplications socio-politiques des reli-gions. À la Renaissance, par sa libéra-tion de la tradition, la raison s’est éri-gée en pensée autonome. Cette évo-lution a également entraîné des tenta-tives ultérieures de séparation del’État, ou de la raison d’État, et de lareligion, ou de la rationalité religieuse.Cette séparation a peut-être faitprendre le risque d’une rationalité quitourne sur elle-même sans plus deréférence au sacré et au sens. Il estdonc essentiel, tout en prônant l’auto-nomie de la pensée, de continuer àposer les questions de sens, tant auniveau symbolique qu’éthique.

La modernité a vu s’ériger les scien-ces comme référence de la raison. Lascience est source de progrès, définitle bien, met en place des régulations,se pose comme critère de vérité. Ellese situe comme l’horizon de la ques-tion du sens. Or, par cette démarche,nous prenons le risque d’une sciencesans conscience. Les technologies,résultats opérationnels des sciences,ont participé à cette évolution. Ellessont devenues leurs propres finalitéset tout développement technologique,quel qu’il soit, a eu tendance à s’érigeren bien pour l’humanité. Dans cesillage, les technologies et les scien-ces se sont sacralisées. Notammentdans le domaine de la santé.

La perte des références du sacré,par la séparation de la raison et de latradition, et la perte de sens, par leretournement de la raison sur elle-

même, ont pu être les causes pro-fondes de cette sacralisation dessciences et technologies. Aujourd’hui,nous devons retourner à une réflexionéthique et aux questions de sens, phi-losophiquement fondées, pour mettreen question la sacralisation dessciences et des technologies. C’est làla seule manière de sortir du retourne-ment des sciences sur elles-mêmes etde leur auto-justification.

Le libéralisme économique, dans saforme justifiée scientifiquement, faitpartie de ces sacralisations qu’il s’agitde remettre en question. De la mêmemanière, l’ordre politique mérite d’êtremédiatisé par un ordre éthique qui endéfinit les limites, l’efficacité et lesfinalités. L’ordre économique et l’or-dre politique devraient s’articuler dansl’ordre éthique. Cet ordre éthiqueserait porté par un système indépen-dant des deux ordres précédents : lesystème des idéologies collectivesregroupées dans le mouvement asso-ciatif et la société civile. La rationalitéassociative est peut-être une rationa-lité démocratique qui pourrait interpel-ler aussi bien l’ordre économique quel’ordre politique. Bien entendu, elle nepeut pas non plus s’auto-fonder etnécessite des discussions et desréflexions qui débouchent sur despositions éthiques démocratiquementet collectivement concertées.

Le culte de l’individualismeet de la performance

Ces sacralisations que l’on est enmesure de critiquer par les contradic-tions qu’elles soulèvent, se sont stig-matisées dans des évolutions ac-tuelles du monde social. La montée dulibéralisme économique et les mouve-ments sociaux de la fin du XXe siècle,ont mis en évidence une idéologie del’individu plutôt qu’une idéologiesociale. Le libéralisme économique

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APPROCHE POLITICO-SOCIALE, PSYCHOSOCIALE ET COMMUNICATIONNELLEDE LA PROMOTION DE LA SANTÉ

puise, selon Max Weber [1], ses ra-cines dans la pensée protestante, etl’individualisme semble issu en droiteligne du fondement même de ladémocratie, dans le concept de libertéindividuelle. On a prôné la liberté, par-fois au détriment de l’égalité et de lasolidarité. L’État a été lui-même misen question par les excès du commu-nisme et du libéralisme.

Dans un domaine autre, la sexualitéde son côté a été mise en question parles marginalisations, les perversions,les difficultés dans les couples. Eneffet, la société de la fin du XXe siècleest passée notamment dans une révo-lution culturelle autour de la sexualité,d’une conception de l’obligation à uneconception du désir, tel que l’a décritChristiane Olivier dans Filles d’Eve [2]L’obligation du mariage et l’obligationd’avoir des enfants ont été battues enbrèche dans les normes et les valeurssociales pour être remplacées par ledésir qui se joue dans la relationamoureuse, d’où est issu le désird’enfant. Cette mise au centre dudébat de la notion de désir a provoquédavantage de fluctuations, d’incerti-tudes, de déconstruction dans la sta-bilité familiale. Si la relation est fondéesur le désir, lorsque le désir se modi-fie, la relation peut disparaître. Plus deliberté individuelle et davantage deréponses aux désirs de l’individuentraînent une déstabilisation desstructures familiales, qui n’était pasobservable dans la société de l’obliga-tion.

La sociologie et la philosophiecontemporaine ont mis en évidenceque la société se fondait sur desnormes de performance et d’excel-lence, telles que les proposent AlainEhrenberg [3] et Vincent De Gaulejac[4]. Ces notions de performance etd’excellence vont tout à fait dans lesens de la sacralisation des scienceset des technologies. De plus, ces deux

concepts sont des moteurs essentielspour un libéralisme économique fondésur la concurrence et la loi de la jungleentre individus : il faut être le plus per-formant, le plus battant, le plus ga-gnant pour trouver sa place dans lasociété. Dans de telles conceptions,liées à l’individualisme et à la domina-tion par la performance, les référenceséthiques sont mises à mal. Sur quoifonder les solidarités et les égalitésentre hommes dans une société oùl’individualisme est prôné et/ou ladomination de l’autre est hypervalo-risée ?

Seules des associations qui défen-dent des valeurs éthiques au-delà dulibéralisme économique et en deçàd’une sacralisation du politique dansl’État et dans l’individualisme, peuventprétendre opérer des changementsd’attitudes, des mises en questionidéologiques en vue de modifier nosreprésentations sociales déliées desens éthique. C’est à travers la sociétécivile que de nouvelles solidarités, envue de plus d’équité et d’égalité, pour-ront être trouvées.

Libertés individuelles etlibertés collectives

Les libertés individuelles risquent dese fonder sur des individualismes.L’utilisation des performances tech-nologiques répond très souvent à cetindividualisme : il n’y a pas de vue glo-bale et pas de vue à long terme. Lamondialisation fonde des intérêts indi-viduels de puissances économiqueset militaires. Le développement du-rable est délaissé à l’avantage desprofits immédiats des plus puissants.De telles positions dans l’utilisationdes performances technologiques,fondées sur l’individualisme, ne ré-pondent en rien à des fondementsd’éthique sociale.

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M. MERCIER

Les libertés collectives devraientprendre en compte l’intérêt communtant dans l’espace que dans le temps.Elles devraient être portées par lasociété civile, qui est seule capabled’interpeller tant les pouvoirs écono-miques que les pouvoirs politiques.Des motivations individuelles, démo-cratiquement exprimées, peuvent setraduire en revendications de droitscollectifs, par le biais du monde asso-ciatif organisé dans la société civile.C’est ainsi que les problèmes de pol-lution, de mobilité, de dopage dans lesport, de marché de l’emploi, etc. sontautant d’enjeux sociaux qui doiventêtre relayés par un monde associatifqui relaye, de son côté, des libertésindividuelles et les traduit en libertéscollectives. La démocratisation et lavisée éthique ne peuvent être envi-sagées en dehors de débats quiconfrontent des libertés individuelles,pour organiser des revendications col-lectives, sources de libertés collecti-vement décidées.

Pour une éthique de lacommunication

De tels objectifs ne peuvent êtreréalisés que dans un mouvementéthique qui se fonde sur les communi-cations, les dialogues, les débatsentre citoyens pour déboucher sur unagir émancipatoire, tel que le définitJürgen Habermas [5].

Selon Jürgen Habermas, dans l’agirobservationnel, la communication estde type scientifique. Le monde estobjectivé dans la logique scientifiqueet dans des pratiques technologiques.C’est le discours scientifique quifonde le rapport à l’autre et à la nature.Or, ce discours est objectivant paressence et ne tient pas compte d’en-jeux liés aux dialectiques du débat.Même si les scientifiques confrontentleurs résultats, il n’y a pas entre eux devéritable débat, puisque les para-

digmes dominants et normalisés défi-nissent les modalités de relation auxobjets étudiés.

Dans l’agir communicationnel, l’au-tre est pris dans sa réalité, dans sa dif-férence. Cependant, la relation à sonégard est souvent fondée sur la domi-nation de l’initiateur de la communica-tion. L’autre est repris dans la réalisa-tion du désir de celui qui initialise lacommunication. En sciences humai-nes, il y a prise en compte de la sub-jectivité de l’autre, mais dans les inter-ventions, ce sont souvent des profes-sionnels et des détenteurs de savoirqui définissent les modalités à traverslesquelles l’autre est appréhendé.C’est le cas, par exemple, dans lesinterventions auprès des populationspauvres ou auprès des personneshandicapées : les intervenants détien-nent le savoir et interprètent la réalitéde l’autre à partir de leur propre pers-pective et de leur propre manièred’aborder le réel.

Dans l’agir émancipatoire, l’autreest respecté en tant qu’autre, dans sadifférence mais aussi dans son pou-voir de définir sa propre réalité. Cha-cun peut exprimer ses émotions, sesdésirs, ses idéologies, sa culture et lesexprimer en les confrontant auxdétenteurs du savoir scientifique.C’est le regard d’en bas, le regard del’autre, qui est étudié par la science etqu’il s’agit de prendre en compte.C’est une telle perspective que nousdéfendions dans l’ouvrage collectif LaConnaissance des pauvres [6], réaliséen collaboration avec le Groupe inter-universitaire recherche et pauvreté(GIReP).

Perspectives en promotionde la santé

C’est dans cet esprit de l’agir éman-cipatoire que nous situons la revendi-cation de liberté collective, pour défi-

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APPROCHE POLITICO-SOCIALE, PSYCHOSOCIALE ET COMMUNICATIONNELLEDE LA PROMOTION DE LA SANTÉ

nir des droits collectifs, assumés ausein du monde associatif, dans lasociété civile. Seule une représentati-vité associative des intérêts des diffé-rents individus peut être émancipa-toire et démocratique. Au sein desassociations, les individus agissentcomme individus, vers des revendica-tions sociales, dans l’intérêt de tous,avec le regard de tous.

C’est dans cet esprit égalementque nous devons fonder la promotionde la santé. Il ne s’agit pas d’uneintervention éducative individualisée,même si celle-ci tient compte de l’au-tonomie de l’autre et de sa capacitéde réappropriation (empowerment). Ilne s’agit plus d’éduquer les individus,mais de mettre en place des condi-tions de communication qui fontqu’ils s’apportent mutuellement deséléments favorisant leur santé indivi-duelle et la santé collective, dans desgroupes d’entraide par exemple (peercounselling). Il s’agit, en outre, de re-vendiquer politiquement pour mettreen place les conditions d’équilibre desanté pour tous, tant dans l’espaceque dans le temps. La santé est leréférent éthique pour les dispositions

en matière d’utilisation de l’environ-nement et elle exige une prise encompte des intérêts d’un plus grandnombre, dans une perspective de dé-veloppement durable, sans que lepouvoir d’un petit nombre impose sespropres intérêts.

Il s’agit de retrouver, à partir desindividus, à travers le monde associa-tif et la collaboration avec les servicespublics, une éthique de la communi-cation émancipatoire qui tiennecompte des libertés et des désirs indi-viduels, ainsi que des libertés et desdésirs collectifs. Il s’agit de prendre encompte les intérêts des plus vulné-rables, en tenant compte de leurvisées particulières et de leurs diffé-rences, à partir du monde associatif etdes services publics, pour développerdes politiques d’intérêt commun.Nous devons tous agir comme indi-vidu, sur des situations sociales, dansl’intérêt de tous, en nous regroupantdans une perspective de débat démo-cratique. Le rôle de la société civile estindéniable dans ce domaine : elleprend sa place entre la décision poli-tique d’une part et la logique de l’éco-nomie de marché d’autre part.

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BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1. Weber M. L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Paris : Flammarion, 2000 : 358 p.

2. Olivier C. Filles d’Eve : psychologie et sexualité féminines. Paris : Denoël, 1990.

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4. De Gaulejac V., Aubert N. Le coût de l’excellence. Paris : Seuil, 1991 : 352 p.

5. Habermas J. Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard, coll. L’espace du politique, 1987 :vol. 1 ; 448 p., vol. 2 ; 480 p.

6. Fontaine P. (sous la dir. de). Connaissance des pauvres. Louvain la Neuve : Academia-Bruylant, coll.Regards croisés sur, 1996.

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 309-312

Résumé : Dans le contexte de la mondialisation, la participation des citoyens apparaîtcomme une alternative à la concentration des pouvoirs économiques et politiques. Decette utopie dont parle B. Poirot-Delpech, naissent et naîtront sans doute des nouvellesformes d’organisation, de manières « de faire ensemble » à l’échelle de la planète, maisaussi au niveau des pays, des villes, des quartiers.

Citoyens et démocratiesanitaireCitizens and health democracy

Anne Laurent-Beq (1), Jeanine Pommier (2)

Tiré à part : A. Laurent-Beq

Le champ de la santé n’est pas épar-gné par les questions relatives à lamondialisation. Quelles en sont desconséquences sur la santé, la gestiondes systèmes de santé, la définitiondes politiques ? Comment contrôler,diminuer, prévenir les conséquencesnégatives sur la santé des popula-tions, d’une mondialisation aussi pro-ductrice d’inégalités, d’inéquités enmatière d’accès aux soins et à lasanté ? [1, 2]. L’Organisation mondialede la santé a mis à jour cinq liens prin-cipaux entre la mondialisation et lasanté [3]. Trois effets directs compren-nent l’impact immédiat sur les sys-tèmes de santé, sur les marchés inter-nationaux (et notamment les effets sur

(1) Conseillère technique à la revue Santé publique.(2) Chargée d’études, Société française de santé publique, Vandœuvre-lès-Nancy.

les prix des produits pharmaceu-tiques) et sur les droits de propriétéintellectuelle touchant au commerce(voir les articles de Jean-Claude Fritzet Ronald Labonte dans ce dossier).Deux effets indirects concernantd’autres déterminants de la santécomme la transmission au-delà desfrontières des maladies infectieuses etla commercialisation du tabac. Pluslargement, les effets de la mondialisa-tion affectent les économies natio-nales et, par ricochet, les ressourcesdisponibles pour financer les dépen-ses publiques, dont celles consacréesà la santé. Ils affectent aussi les reve-nus des ménages et de ce fait, créentou renforcent des inégalités de condi-

Mots-clés : mondialisation - démocratie sanitaire - participation.

DOSSIER

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A. LAURENT-BEQ, J. POMMIER

tions de vie et d’existence, influençantainsi les nombreux déterminants de lasanté : logement, alimentation, travail,éducation, etc.

Promotion de la santé :les questions poséespar la mondialisation

S’interroger sur la mondialisation etla santé nécessite de modifier quelquepeu les approches en promotion de lasanté :

– les projets politiques devraientexplicitement viser le bien-être au lieude considérer que le lien est systéma-tique entre des stratégies favorisant lacroissance économique et le bien-êtrede l’ensemble des populations. Lasituation actuelle montre que tout lemonde ne bénéficie pas de manièreéquitable des progrès sociaux et sani-taires liés à la croissance. Les inéga-lités en matière de santé persistantes,y compris à l’échelle d’un pays, sont letémoin de cette répartition encoreinjuste des progrès [4] ;

– sortir de l’approche individualisteet promouvoir le développement deprojets de société ;

– la santé et la promotion de lasanté devraient être considéréescomme une ressource et non plusseulement comme une fin en soi ;

– renforcer l’existence d’un projetpolitique à travers les actions de pro-motion de la santé : sortir d’une ap-proche parcellaire pour réintroduireune cohérence entre les actions etdéfinir clairement les objectifs pour-suivis y compris en termes de projetde société ;

– questionner la place des citoyensdans les processus d’élaboration desdécisions, y compris la définition despolitiques et des allocations de res-sources, mais aussi et surtout en ter-me de définition de la société danslaquelle ils souhaitent évoluer.

C’est ce dernier point que nousallons développer. Il convient de rap-peler que le droit à la participation descitoyens – notion avant tout politique,qui désigne le statut de l’individu dansla communauté et qui se définit parses responsabilités, ses droits et sesdevoirs vis-à-vis de cette société –s’inscrit dans la déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires,depuis 1978. Elle faisait valoir le faitque « les hommes ont le droit et ledevoir de participer individuellementet collectivement à la planification et àla mise en œuvre des mesures de pro-tection sanitaire qui leur sont desti-nées ». Les soins de santé primaires« exigent et favorisent au maximuml’autoresponsabilité de la collectivité etdes individus et leur participation à laplanification, à l’organisation, au fonc-tionnement et au contrôle des soins desanté primaires, en tirant le plus largeparti possible des ressources locales,nationales et autres, et favorisant àcette fin, par une éducation appro-priée, l’aptitude des collectivités à par-ticiper ».

Pourquoi la participation ?

Énoncée comme un droit, la partici-pation ne devrait pas avoir à être sanscesse justifiée. Elle est un élémentfondamental de la reconnaissance desindividus à participer à la constructionde la société dans laquelle ils vivent.Elle est, dans le contexte de la mon-dialisation, une, et peut-être la seule,alternative pour élaborer un sytèmed’échange différent de celui qui primeactuellement, et qui est souventincompatible avec le respect et ladignité des plus pauvres.

Ces dernières années pourtant, laparticipation s’est imposée plusqu’elle n’a été reconnue d’embléecomme un droit. En France, notam-ment, et dans le domaine de la santé,

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CITOYENS ET DÉMOCRATIE SANITAIRE

elle est devenue un projet politique àtravers le mouvement associatif.Associations de personnes séroposi-tives ou malades, associations deparents d’enfants handicapés ont faitentendre leur voix pour dire leurs diffi-cultés d’accès aux soins, d’intégrationau travail...

Il a fallu réaffirmer ce droit à laparole et à la participation dans larésolution de problèmes « concrets »de santé. Ce mouvement a sans doutepermis d’amorcer ensuite une ré-flexion sur la place des citoyens dansles politiques de santé. En France,pour l’instant, les conférences régio-nales, les états généraux de la santé,les programmes régionaux de santéont tenté de donner une place auxcitoyens dans l’élaboration des poli-tiques.

À l’échelle de la planète, le devoird’équité et de solidarité impose que làaussi les intérêts de tous et particuliè-rement des plus vulnérables soientdéfendus. Et qui mieux qu’eux-mêmespeuvent apporter leur contribution,reprenant ainsi leur place légitimemais favorisant aussi une plus grandetransparence dans l’allocation desressources et la mise en cause desdécisions. À Porto Alegre, dans uneexpérience de démocratie directe oùles habitants ont pris le statut de déci-deurs, les priorités municipales habi-tuelles ont été inversées. Par exemple,la municipalité a imposé aux transpor-teurs privés des itinéraires dans lespériphéries où les bus n’allaient pas.

S’interroger sur la mondialisation etla participation des citoyens ne doitcependant pas servir d’alibi. Défendreles intérêts des plus pauvres àl’échelle de la planète commencesans doute par la question de la parti-

cipation à une plus petite échelle. Ceque nous défendons à l’échelle mon-diale, sommes-nous prêts à le dé-fendre à l’échelle d’un quartier, d’uneville, d’un territoire national ? Dansl’élaboration de nos projets en tant queprofessionnels de promotion de lasanté, sommes-nous prêts à nousinterroger sur notre place d’acteursconcernés ? Sommes-nous prêts àengager notre responsabilité poli-tique ? Sommes-nous prêts à déve-lopper la participation, c’est-à-direpas seulement solliciter un avis, orga-niser la consultation, mais redonner laplace à chacun dans la définition depriorités, la conception de projets, lamise en œuvre et l’évaluation ? Quelsens a cette participation pour nous ?

Les enjeuxde la participation :construire une sociétéplus solidaire

Il est de notre responsabilité d’im-poser nos choix, y compris méthodo-logiques. Cela implique de notre part,de la part de nos institutions un véri-table engagement. Nous ne sommespas de simples prestataires de ser-vices. Nous pouvons et devrions êtredes acteurs du changement social.Encourager, développer la participa-tion, c’est avant tout être persuadé deson efficacité en termes de change-ment des rapports humains. Avons-nous d’autres moyens à notre disposi-tion pour que la promotion de la santécontribue à l’amélioration des condi-tions de vie, participe au même titreque d’autres activités à la lutte contreles inégalités, à une meilleure réparti-tion des ressources des richessesdans le champ de la santé ?

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A. LAURENT-BEQ, J. POMMIER

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 313-325

Résumé : La charte d’Ottawa sur la promotion de la santé date de 1986. Elle constitueun des textes fondamentaux de la santé publique moderne et suggère un capus deméthodes particulièrement adapté à la lutte contre les excès de la mondialisationéconomique et ses effets sur la santé

Une « relecture » de la charted’OttawaA re-reading and examination of the Ottawa charter

Jean-Pierre Deschamps (1)

Tiré à part : J.-P. Deschamps

Pourquoi « relire » la charte d’Otta-wa ? Et pourquoi la relire à proposd’un dossier consacré à la mondialisa-tion dans ses rapports avec la promo-tion de la santé ?

D’abord, la charte d’Ottawa datede 1986. Dix-huit ans, l’âge des re-mises en cause… Pionnier en 1986(même si la notion de promotion de lasanté avait été formulée avant, etnotamment en France en 1982), letexte n’a pas toujours été compris àla hauteur des enjeux qu’il proposait.Et lorsque ces enjeux ont été perçus,ils ont volontiers été considéréscomme dangereux. Un haut respon-sable de l’Assurance maladie n’avait-il pas déclaré, il y a une dizaine d’an-nées : « la promotion de la santé estun concept subversif » ? La politique

(1) Professeur honoraire de santé publique.

française de santé publique continueà ignorer la promotion de la santé,récusée dans la loi de mars 2002 etdans la dénomination de l’Institutnational de prévention et d’édu-cation pour la santé (INPES), maisévoquée dans la dénomination duservice de santé scolaire. Incomprise,récusée, volontiers rétrécie par leséducateurs de santé eux-mêmes quin’y ont souvent vu qu’une sorte desuper-éducation à la santé, sansconsidérer ce qu’elle remettait encause dans les pratiques habituelles ;la promotion de la santé méritaitmieux. Pionnier en 1986, le texte avieilli, où plutôt il doit s’intégrer au-jourd’hui dans un contexte modifié etpeut donner l’impression d’avoir prisquelques rides.

Mots-clés : Ottawa - actualisation - mondialisation - promotion de la santé.

DOSSIER

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J.-P. DESCHAMPS

Ensuite, il n’est jamais inutile derelire un texte fondateur, d’en dé-battre, de le critiquer, de le commen-ter, d’en triturer le contenu pour enfaciliter l’adaptation aux mouvancessociales, culturelles, institutionnelles,d’en rechercher la modernité, de leconfronter à l’expérience qu’il a per-mis d’acquérir et de mesurer les chan-gements qu’il a pu engendrer.

Enfin, parce que, justement, lecontexte de l’application de la charted’Ottawa est largement dominé parles implications sanitaires de la mon-dialisation des échanges culturels etéconomiques, et parce que l’on peutfaire l’hypothèse de l’utilité possibledu texte comme référentiel de mé-thodes pour adapter les pratiques desanté à la lutte contre les effets néga-tifs de la mondialisation.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, endéfinitive. La mondialisation est lepseudonyme édulcoré d’une doctrinephilosophique ultralibérale en rupturecomplète avec les valeurs de la cultureoccidentale (et des autres…) et encontradiction avec les impératifs debien-être de l’ensemble de l’humanité– alors que la richesse du monde per-mettrait d’atteindre cet objectif debien-être considéré parfois commerelevant de l’utopie. L’article de Jean-Claude Fritz, dans ce dossier, argu-mente ces considérations et remet àleur juste place quelques discoursvoulant faire croire que la mondialisa-tion, c’est-à-dire en fait la doctrineultralibérale appliquée à l’économie,permettra le développement des pays« sous-développés », la justice socialeet le bonheur de l’humanité.

C’est donc dans ce climat qu’il estbon de relire et de commenter lacharte d’Ottawa (voir le texte intégralen fin d’article). D’abord, la définitionqu’elle donne de la promotion de lasanté, puis les « conditions préala-

bles » à la santé qu’elle énumère, etchacun des cinq axes stratégiquesqu’elle propose.

Un plus grand contrôlesur la santé…

La définition de la promotion de lasanté n’est pas l’élément le plus palpi-tant de la charte. On l’aurait souhaitéemoins générale, plus concrète. Ce-pendant, elle a le mérite de formulerun objectif fondamental. Il s’agit d’ai-der les personnes, les groupes, lespopulations à exercer un plus grandcontrôle sur leur santé et sur les déter-minants de celle-ci.

Quel programme ! Lorsque l’on saitla diversité et la multiplicité des déter-minants de la santé – du bien-être –,on peut être pris de vertige. Et pour-tant, n’est-ce pas là, plus simplement,une re-définition de la démocratie ?Celle-ci n’est-elle pas l’exercice d’unpouvoir (le fameux « empowerment »anglophone, intraduisible en français)sur les conditions du bien-être collec-tif – social – et des propres conditionsde vie de chacun ?

Et si c’est de démocratie qu’il s’agit,pourquoi donc ces craintes sur lecaractère « subversif » de la promotionde la santé, pourquoi ces réticencesofficielles à en accepter l’idée dans laformulation de la politique françaisede santé publique ? Dans une sociétédémocratique, la démocratie fait en-core peur, car donner plus de pouvoirà l’ensemble des citoyens, c’est enretirer un peu à quelques-uns, profes-sionnels, responsables d’institutions,décideurs ayant parfois oublié queleur mandat de décision n’est légitimeque parce que conféré par les ci-toyens.

L’introduction du terme « démocra-tie sanitaire » dans la loi de 2002 estencourageante. Décevante aussi

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parce que le développement du texteparle plus des droits des usagers dusystème de soins que de la place ducitoyen dans la formulation de la poli-tique de santé, ou – plus simplement –de la possibilité de mieux contrôler lasanté et ses déterminants.

La route est encore longue vers unevraie démocratie sanitaire, mais il fautcroire à la bonne foi de ceux qui en ontdonné l’idée. Croire que derrière lesmots se profile bien le projet de l’auto-nomie fondamentale de la personne,premier principe de la démarcheéthique et préalable absolu à lacitoyenneté. Croire que tous les pou-voirs qui s’arrogent le droit de déciderà la place des personnes seront remisen cause dans les réformes politiqueset institutionnelles actuelles et à venir.

Les conditions préalables…

Là encore, quel vertige ! Car l’énu-mération des conditions préalables àla santé est impressionnante, telle-ment impressionnante qu’elle peutdécourager tous ceux qui voudraienttravailler à la promotion de la santé.Tellement impressionnante que la ver-sion française officielle du texte a étécurieusement amputée de moitié,omettant des préalables aussi impor-tants que l’éducation, l’écosystèmestable ou la justice sociale…

Pour ne considérer que la premièredes conditions préalables, commentles professionnels pourraient-ils tra-vailler à instaurer « la paix » ? Mais quia dit que la charte ne s’adressaitqu’aux professionnels de santé ?Parmi les trois organisateurs de laconférence d’Ottawa figure l’Organi-sation mondiale de la santé (OMS),une organisation gouvernementale.On parle tellement des organisationsnon gouvernementales qu’on en vientà oublier que le terme a été créé pour

distinguer les institutions associatives,de statut privé, des organisations gou-vernementales, de statut public.Quand l’OMS s’exprime, ce sont lesgouvernements qui eux-mêmes sefont des recommandations. On n’apas entendu dire que l’administrationde l’OMS ait été désavouée, après laconférence d’Ottawa, par l’Assembléemondiale de la santé, constituée desministres de la santé de tous les Étatsmembres de l’ONU.

Ce sont donc, à travers l’OMS, desgouvernements qui affirment ainsiconsidérer que la paix est un préalableà la santé de leur peuple. Ne rêvonspas trop à la mise en applicationimmédiate de cette déclaration, dansun temps où la famine, les agressionsenvers l’environnement, le déplace-ment des populations apparaissentcomme des armes utilisées dans tousles conflits, par les pays industrialiséscomme par les autres. Mais saluons lefait que cela ait été dit et que cela peutêtre utilisé par tout citoyen, par toutgroupement de personnes, dans lesdébats démocratiques.

Et les professionnels ? Bien sûr, lacharte d’Ottawa s’adresse aussi à euxet il faut se souvenir qu’un autre desorganisateurs de la conférence était laSociété canadienne de santé pu-blique. Deux modalités au moins delecture de la charte les concernentdans l’énumération de ces préalables.

D’une part, il n’est pas inutile derappeler que, travaillant à la santé desgens, on travaille sur ce que peuventmenacer les manquements à la paix, àla satisfaction des besoins essentiels,à la justice sociale, à la préservationde l’environnement, au devoir d’édu-cation. Cette transcendance permetaux professionnels de santé de mieuxapprécier la hauteur de leur mission, lagrandeur (au sens propre et au sensfiguré) de leur champ d’action. Elle

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encourage à prendre du recul par rap-port aux pratiques du quotidien et auxétroitesses des institutions. Non, nousne pouvons pas grand chose, en tantque professionnels, sur la paix et ledéveloppement durable, sur la justicesociale et l’équité. Non, bien sûr, nousn’allons pas attendre que tout celasoit réalisé pour travailler à la promo-tion de la santé.

Mais, d’autre part, l’interpellationest salutaire car les professionnelssont aussi des citoyens comme lesautres, et surtout parce qu’ils savent.Ce sont eux qui, mieux que d’autres,savent à quel point l’insécurité – lavraie, pas celle que fabriquent lesmédias et quelques politiques pourmieux rogner la démocratie –, la pau-vreté, le chômage génèrent desatteintes terrifiantes au bien-être et àla santé. Les professionnels voient lessituations, en identifient les causes. Ilssont des témoins et ont le devoir detémoigner. En témoignant, pour pour-suivre dans la métaphore judiciaire, ilspeuvent aussi être avocats, plaiderpour les personnes et les groupesécrasés par leurs conditions d’exis-tence, et constamment rappeler auxdécideurs, personnellement ou plusprobablement par leurs associationsprofessionnelles, leur responsabilitédirecte dans la santé des populations.Il ne s’agit pas d’agresser, mais d’ex-pliquer, car beaucoup de respon-sables, imprégnés du modèle biomé-dical de gestion de la santé, imaginentde bonne foi que tout est un problèmede médecine…

Tout n’est justement pas un pro-blème de médecine et les profession-nels de santé pourraient même refuserd’intervenir si leur action ne devait êtrequ’un alibi à la perpétuation de situa-tions dramatiques, une façon de don-ner bonne conscience aux respon-sables. Osons une comparaison sansdoute exagérée : des groupes entiers

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de population sont physiquement etmentalement torturés par les manque-ments aux conditions préalables à lasanté et par la mondialisation : soignerles victimes de la torture est unenécessité, mais contribuer à la bonneconscience des tortionnaires est unacte complice.

Les professionnels ont encore uneresponsabilité à propos des condi-tions préalables à la santé. N’oublionspas que ce qui est en jeu est lecontrôle exercé par les gens sur leursanté. Peut-on contrôler ce que l’onne connaît pas ou ce que l’on ne com-prend pas ? Qui peut décrypter avecles personnes et les groupes, lesmécanismes en cause dans l’altéra-tion de la santé, sinon les éducateursde santé ? N’est-ce pas là une pistepour l’éducation à la santé dans unevraie perspective de promotion de lasanté ?

Promouvoir des politiquespubliques de bonne santé

La charte d’Ottawa, dans sa traduc-tion en français du mot « healthy », dit« des politiques publiques saines ».Cette version est réductrice, ou fran-chement trompeuse. Il s’agit en fait depolitiques publiques conformes auxexigences de bonne santé des ci-toyens. Cet axe stratégique est sou-vent mal compris, d’une manière limi-tée à des politiques publiques desanté, au niveau des pays. Cette inter-prétation est doublement erronée. Lacharte dit clairement que tous les sec-teurs des politiques publiques sontconcernés, et pas seulement le sec-teur sanitaire. En d’autres termes, ils’agit de politiques sociales, écono-miques, éducatives, des politiques del’emploi et des loisirs, de l’environne-ment, de l’urbanisme et de l’habitat.C’est une interpellation très directe detous les décideurs sur leur responsa-

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bilité en matière de santé. La tentationest toujours grande, quand un pro-blème de santé se pose, d’en référerau ministère de la Santé où à l’admi-nistration sanitaire. Bien des déci-deurs sont, de façon souvent incons-ciente, des adeptes fidèles du modèlebiomédical de la santé. Un problème ?Voyez le docteur…

Il s’agit là, fréquemment, d’une solu-tion de facilité, évitant de considérer lefond des problèmes. Développer dessolutions d’accès aux soins pour lespauvres est nécessaire, mais non suf-fisant si, simultanément, des mesuressociales et économiques volontaristesde lutte contre la pauvreté ne sont pasprises. S’occuper de la santé des chô-meurs est bien, mais ne saurait dis-penser de mesures structurelles decréation d’emplois. Dépister le satur-nisme infantile peut être justifié, maisne peut éviter de promouvoir une poli-tique de logement des familles dému-nies. Les exemples pourraient êtremultipliés. Il faut que les responsablespolitiques soient conscients des impli-cations sanitaires de leurs décisions etde leurs non-décisions.

L’autre malentendu fréquent est dene concevoir la proposition de déve-lopper des politiques publiques debonne santé qu’à l’échelon national.Et bien des praticiens de la santé pu-blique ne se sentent pas concernés,d’abord parce qu’apparemment seulesles politiques sont interpellées ici,ensuite parce que le niveau nationalleur paraît bien éloigné de leur terrain…

La charte d’Ottawa ne précise pas,en fait, qu’il s’agit de politiques natio-nales. On peut donc imaginer que lespolitiques publiques de bonne santédont il est question se déclinent égale-ment à l’échelon départemental oulocal. Le maire d’une petite communeprend également des mesures de poli-tique publique qui ont un impact sur la

santé ; pensons à l’urbanisme, à la cir-culation routière, aux transports, etc.Plus localement encore, un chef d’éta-blissement scolaire, un responsabled’entreprise, déterminent une politiquede bonne – ou de moins bonne – santépour les enfants et les adultes dont ilsont la responsabilité. Un proviseur delycée, définissant la promotion de lasanté et le rôle qu’il pouvait jouer à sonégard, disait : « pour moi, c’est quetoute décision que je prends, concer-nant la vie dans le lycée, y compris àpropos de l’organisation de l’enseigne-ment, soit conforme au bien-être et à labonne santé des élèves et des adultesde la communauté éducative ».

À ce niveau, les éducateurs desanté peuvent se sentir concernés.Certes, ils ne prennent pas les déci-sions, mais ils sont fréquemment les« conseillers techniques » des déci-deurs. C’est le cas, officiellement, desprofessionnels de santé scolaire àl’égard des responsables administra-tifs de l’Éducation nationale. C’est lecas, officieusement, de bien desmédecins ou pharmaciens, ou respon-sables de comités d’éducation à lasanté, sollicités pour donner un avisou intervenir dans des problématiqueslocales de santé. Et, dès lors, pour-quoi cette fonction de conseil tech-nique serait-elle limitée au niveaulocal ? À tous les échelons, ceux quidécident ont besoin d’être informés ; illeur faut le témoignage de ceux quisont confrontés quotidiennement àdes souffrances que des mesures depolitique publique « de bonne santé »auraient pu éviter.

Un tel travail paraît effectivementplus délicat au niveau national. Il estcependant indispensable et peut êtremis en œuvre par les nombreusesassociations professionnelles existantdans le champ de la santé. Il ne peuty avoir de politiques publiques debonne santé si ceux qui les décident

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ne sont pas informés, conseillés,encouragés. Dans des logiques poli-tiques où les intérêts en cause sontfréquemment contradictoires, la parti-cipation aux débats et le plaidoyerpour la santé sont une fonction pharedes éducateurs de santé. C’est unebonne façon de « faire de la politiquede santé ».

Créer des environnements« supportifs »

Là encore, on est obligé de recourirà une traduction littérale et néologiquedu texte anglais original. Car la traduc-tion française officielle évoque « desmilieux favorables » : c’est plat etinsuffisant. Le paragraphe qui suit cetitre appelle l’attention sur la conser-vation des ressources naturelles :cette préoccupation est effectivementfondamentale et constitue un enjeumajeur de promotion de la santé auniveau local comme à celui de l’en-semble de la planète.

Mais le texte va beaucoup plus loin :il s’agit bien de faire en sorte que l’en-vironnement physique et plus encoresocial, « supporte », soutienne, lespersonnes et les communautés dansleurs efforts de promotion, de change-ment, de bien-être. Il invite à « veillerles uns sur les autres ». « La promotionde la santé engendre des conditionsde vie et de travail sûres, stimulantes,plaisantes et agréables »… On pourraitajouter « et vice versa ». Dans la pra-tique, on est encore loin des condi-tions de travail épanouissantes et cer-taines méthodes actuelles de gestionde salariés comportent explicitementun harcèlement moral cherchant àatteindre les personnes dans leurdignité et leur santé. C’est ce typed’environnement qu’il faut dénoncer.

Les environnements « supportifs »,ce sont aussi tous ceux qui permet-

tent aux personnes et aux groupes dechanger leurs comportements, en les« portant », littéralement. C’est unevoie magnifique pour l’éducation à lasanté, qui s’est toujours donné tant demal pour modifier les comportementsdes personnes, parfois sans se sou-cier de la compatibilité entre les effortsdemandés et les conditions de vie desintéressés. Cette problématique adéjà été argumentée, en particulier parBrigitte Sandrin Berthon. Plutôt qued’essayer de convaincre les gens detransformer leurs pratiques, il est plusefficace – et plus acceptable du pointde vue éthique – d’agir pour changerleur environnement. Souvenons-nousde l’exemple fourni par B. SandrinBerthon dans le livre Apprendre lasanté à l’école : on amène plus facile-ment les enfants à de bonnes pra-tiques d’hygiène corporelle si l’écoleest aménagée de manière « suppor-tive » à cet égard, avec un cadreattrayant et propre, des sanitairesconfortables, de l’eau chaude, du sa-von, des serviettes, des possibilités dese brosser les dents et de ranger lesbrosses, etc. Cette démarche estd’autant plus justifiée que l’on saitdepuis longtemps que beaucoup decomportements de santé sont impo-sés par les conditions de vie etd’environnement et non pas choisislibrement.

Elle rejoint évidemment l’incitation àdes « politiques publiques de bonnesanté ». Car les pratiques à changerdeviennent dès lors celles des res-ponsables sociaux et économiques.Ce sont eux qui doivent constituer legroupe prioritaire de nos interventionset non pas les usagers souvent culpa-bi l isés par e l les d’adopter desconduites qu’ils n’ont pas la possibi-lité de modifier. Les personnes, enparticulier les plus vulnérables et lesplus fragiles, ont une énergie considé-rable à déployer pour vivre et assurer

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leur quotidien. N’ajoutons pas à leurfardeau en attendant d’elles desefforts supplémentaires là où il suffiraitd’améliorer leur environnement.

Il faut impérativement, avant d’en-treprendre un programme visant àchanger des comportements indivi-duels, passer en revue les éventuali-tés d’action sur l’environnement et detravail avec ceux qui en sont respon-sables.

Réorienter les servicesde santé

Cette modalité d’intervention est ladernière citée dans la charte d’Otta-wa, parce qu’elle concerne des insti-tutions et des professionnels. Maispréférons la considérer avant cellesqui interpellent les usagers. « Le sec-teur sanitaire, dit la charte, doit sedoter d’un nouveau mandat, plaiderpour une politique de santé multisec-torielle, soutenir les personnes et lesgroupes dans l’expression de leursbesoins de santé et dans l’adoption demodes de vie sains ». Peut-être la ré-daction du texte, en insistant sur l’ac-tion multisectorielle, déjà suggéréepar les politiques publiques de bonnesanté, ne met-elle pas suffisammentl’accent sur les changements à opérerau sein même des services de santé ?

Nos services de santé restent mar-qués par un cloisonnement entre lesactivités de nature curative et la pré-vention. La notion de promotion de lasanté ne fait pas cette distinction per-verse entre les différentes manières de« prendre soin » de la santé d’unepopulation, par des mesures de soinscuratifs ou préventifs où il est souventdifficile de faire la part des uns et desautres. Plaider pour la prévention, demanière quasi incantatoire comme lefont beaucoup de politiques, ou créerdes institutions dévolues à la seule

prévention, est inefficace et illusoire.Tant que l’on opposera ou dissocierasoins préventifs et soins curatifs, cesderniers auront la part belle dans unpermanent déséquilibre au profit duvisible, du court terme, de la prouessetechnologique.

La promotion de la santé ne fait pasce clivage. Les soins curatifs permet-tent évidemment, lorsqu’ils sont justi-fiés et de bonne qualité, de promou-voir la santé, comme un des élémentsd’un ensemble global d’interventions.La charte d’Ottawa ne va pas assezloin dans ce sens, en restant ici dansdes considérations trop générales.

La promotion de la santé demandeun vrai bouleversement de la logiqueactuelle des services de santé, tropexclusivement orientés vers des soinstechniques nécessaires, mais non suf-fisants. Il leur manque une vision glo-bale des besoins de santé des popula-tions qu’ils servent. De plus en plus demédecins généralistes l’ont comprisdans le secteur ambulatoire ; à l’hôpi-tal, les infirmier(e)s ont développé desapproches modernes des soins glo-baux. Il reste beaucoup à faire… Etceux qui peuvent faire beaucoup dansce domaine sont les usagers eux-mêmes. L’institution médicale, empe-sée par son conservatisme, a peu dechance de se réformer de l’intérieur.Elle le fera si elle y est poussée, dudehors, par ses usagers. La « démo-cratie sanitaire » évoquée dans lespages qui précèdent par A. Laurent-Beq et J. Pommier n’est plus seule-ment un slogan facile : elle devient uneréalité, et le sera d’autant mieux quel’éducation à la santé saura aider lescitoyens à trouver la place qu’ils doi-vent désormais tenir dans le systèmede santé.

Mais il faut également préparer lesprofessionnels de santé au change-ment des politiques qu’impliquent ces

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évolutions. Clairement, il faut réorien-ter la formation initiale et continue desmédecins ; les infirmier(e)s ont déjàparcouru une grande partie du che-min. Un colloque s’est tenu à Besan-çon, en novembre 2002, sur « la res-ponsabilité sociale des facultés demédecine ». Responsables universi-taires et associations d’usagers ontconvenu qu’ils devaient travaillerensemble, que les associations depatients avaient à apprendre desmédecins et que ceux-ci ont aussibesoin de leur expérience et de leurscompétences. Des usagers formantdes médecins ? Peu y auraient crudans un passé récent. Et pourtant…

Renforcer l’actioncommunautaire

Ici, la charte est claire, évoquant « laparticipation effective et concrète dela communauté à la fixation des priori-tés, à la prise de décision et à l’élabo-ration des stratégies de planification ».Il faut d’emblée remarquer que le textene désigne pas particulièrement lespriorités de santé ni la planificationsanitaire ; il ne parle pas de « santécommunautaire », mais d’« actioncommunautaire ». C’est logique si l’onconsidère que la promotion de lasanté s’intéresse à tous les détermi-nants de la santé et pas seulementaux services de santé. Ce qui est encause ici, c’est la notion de dévelop-pement social communautaire. Il fautse méfier des projets trop spécifiquesde « santé communautaire », souventtéléguidés, dans leur genèse et leurfonctionnement, par des profession-nels de santé. L’action communau-taire, au sens large, a son origine dansles initiatives venues de la commu-nauté et non pas des professionnelsou des institutions. Même si ellen’aborde pas précisément des problé-matiques de santé, elle s’intègre tou-

jours dans un contexte de promotionde la santé puisqu’elle réalise unemobilisation en vue de meilleuresconditions de vie, de plus de bien-être.

Du développement social commu-nautaire aux « politiques publiques debonne santé » et aux « environne-ments supportifs », ou encore auxassociations d’usagers dont il étaitquestion plus haut, il n’y a pas loin. Defait, la charte d’Ottawa est rédigéedans une grande cohérence. Elle pro-pose une véritable alternative auxfortes tendances politiques et écono-miques du moment. D’une part, ellecomplète notre démocratie représen-tative par des procédures de démo-cratie participative et cela n’est passuperflu dans un contexte de crise dupolitique et de perte de confiance dupeuple à l’égard de ses représentantsélus. D’autre part, en multipliant lesincitations à un développement com-munautaire local, donc à une démo-cratie locale, en donnant une place ausecteur associatif, elle peut contribuerà rééquilibrer le jeu social et écono-mique actuellement faussé par lesmécanismes d’un processus de mon-dialisation, dont les ficelles sont tiréespar des groupes financiers peu sou-cieux de la démocratie et du bien-êtredes populations.

Acquérir des aptitudesindividuelles

Cette cinquième proposition d’ac-tion est souvent interprétée commeune invitation à confirmer les appro-ches individuelles classiques de l’édu-cation à la santé. Mais le texte est plusriche. S’il évoque effectivement l’édu-cation à la santé, il fait égalementmention des « aptitudes indispen-sables à la vie ».

Concrètement, de quelles aptitudespeut-il s’agir ? À l’évidence, de celles

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que requière la contribution à desdécisions de politiques publiques debonne santé, à la création d’environ-nements « supportifs », à l’évolutiondu système de santé, au développe-ment communautaire. Sans cettesignification donnée à l’acquisitiond’aptitudes individuelles, la chartedevient incompréhensible.

C’est donc à une singulière révisiondes objectifs de l’éducation à la santéque nous sommes invités. Aider lespersonnes à agir en citoyens res-ponsables, à s’informer, à prendre laparole, à intervenir dans les grandsdébats de société, à s’investir dansdes actions communautaires… Don-ner les compétences permettant dedécrypter les mécanismes sociaux etéconomiques générateurs d’altérationde la santé et de s’organiser pour agirlocalement (ou à un échelon plusélevé) afin d’y faire obstacle… Il s’agitvraiment là de contribuer à l’acquisi-tion de compétences en vue « d’exer-

cer un plus grand contrôle sur sasanté » et sur les déterminants decelle-ci. On est bien loin des dixcommandements de la bonne santéet de tous les messages injonctifs,normatifs que la modernisation del’éducation à la santé n’a pas encoreéliminés des pratiques profession-nelles.

La charte d’Ottawa invite à donnerune autre dimension à l’éducation à lasanté, en conférant aux personnes lacapacité à retrouver un pouvoir sur lesdéterminants de leurs conditions devie et de leur santé. À l’heure de lamondialisation, la promotion de lasanté permet à chaque personne et àchaque groupe de ne pas se laisserécraser par les excès de ceux qui prô-nent la seule performance individuelleet la recherche du profit comme seulobjectif de vie… pour quelques-uns,s’accommodant de la mise en dépen-dance ou de l’exclusion du plus grandnombre.

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ANNEXE322

Charte d’Ottawa

La première Conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawaen ce 21e jour de novembre 1986, émet la présente Charte pour l’action, visant la Santépour tous d’ici l’an 2000 et au-delà.

Promotion de la santé

La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyensd’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci. Cette démar-che relève d’un concept définissant la « santé » comme la mesure dans laquelle un grou-pe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, etd’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçuecomme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; il s’agit d’unconcept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que lescapacités physiques. Ainsi donc, la promotion de la santé ne relève pas seulement du sec-teur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être.

Conditions préalables à la santé

Les conditions fondamentales et ressources préalables sont, en matière de santé : lapaix, un abri, l’éducation, la nourriture, un revenu, un écosystème stable, des ressourcesdurables, la justice sociale et l’équité. Toute amélioration du niveau de santé est néces-sairement solidement ancrée dans ces éléments de base.

Promouvoir l’idée

Une bonne santé est une ressource majeure pour le progrès social, économique et indi-viduel, tout en constituant un aspect important de la qualité de la vie. Les facteurs poli-tiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biolo-giques peuvent tous intervenir en faveur ou au détriment de la santé. La démarche depromotion de la santé tente de rendre ces conditions favorables par le biais de la pro-motion des idées.

Conférer les moyens

La promotion de la santé vise l’égalité en matière de santé. Ses interventions ont pourbut de réduire les écarts actuels caractérisant l’état de santé, et d’offrir à tous les indivi-dus les mêmes ressources et possibilités pour réaliser pleinement leur potentiel santé. Celacomprend une solide fondation dans un milieu apportant son soutien, l’information, lesaptitudes et les possibilités permettant de faire des choix sains. Les gens ne peuvent réa-liser leur potentiel de santé optimal s’ils ne prennent pas en charge les éléments qui déter-minent leur état de santé. En outre, cela doit s’appliquer également aux hommes et auxfemmes.

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CHARTE D’OTTAWA

Servir de médiateur

Seul, le secteur sanitaire ne saurait offrir ces conditions préalables et ces perspectivesfavorables à la santé. Fait encore plus important, la promotion de la santé exige l’actionconcertée de tous les intervenants : les gouvernements, le secteur de la santé et lesdomaines sociaux et économiques connexes, les organismes bénévoles, les autoritésrégionales et locales, l’industrie et les médias. Les gens de tous milieux interviennent entant qu’individus, familles et communautés. Les groupements professionnels et sociaux,tout comme les personnels de santé, sont particulièrement responsables de la médiationentre les intérêts divergents, en faveur de la santé.

Les programmes et stratégies de promotion de la santé doivent être adaptés auxbesoins et possibilités locaux des pays et régions, et prendre en compte les divers sys-tèmes sociaux, culturels et économiques.

L’intervention en promotion de la santé signifie que l’on doit :

Élaborer une politique publique saine

La promotion de la santé va bien au-delà des soins. Elle inscrit la santé à l’ordre du jourdes responsables politiques des divers secteurs en les éclairant sur les conséquences queleurs décisions peuvent avoir sur la santé, et en leur faisant admettre leur responsabilité àcet égard.

Une politique de promotion de la santé combine des méthodes différentes mais com-plémentaires, et notamment : la législation, les mesures fiscales, la taxation et les chan-gements organisationnels. Il s’agit d’une action coordonnée qui conduit à la santé, et depolitiques fiscales et sociales favorisant une plus forte égalité. L’action commune permetd’offrir des biens et services plus sains et moins dangereux, des services publics favori-sant davantage la santé, et des milieux plus hygiéniques et plus plaisants.

La politique de promotion de la santé suppose l’identification des obstacles gênantl’adoption des politiques publiques saines dans les secteurs non sanitaires, ainsi que ladétermination des solutions. Le but doit être de rendre les choix sains les plus faciles pourles auteurs des politiques également.

Créer des milieux favorables

Nos sociétés sont complexes et interreliées, et l’on ne peut séparer la santé des autresobjectifs.

Le lien qui unit de façon inextricable les individus et leur milieu constitue la base d’uneapproche socio-écologique de la santé. Le grand principe directeur menant le monde, lesrégions, les nations et les communautés est le besoin d’encourager les soins mutuels, deveiller les uns sur les autres, de nos communautés et de notre milieu naturel. Il faut attirerl’attention sur la conservation des ressources naturelles en tant que responsabilitémondiale.

L’évolution des schèmes de la vie, du travail et des loisirs doit être une source de santépour la population, et la façon dont la société organise le travail doit permettre de la rendreplus saine. La promotion de la santé engendre des conditions de vie et de travail sûres,stimulantes, plaisantes et agréables.

L’évaluation systématique des effets du milieu sur la santé – et plus particulièrementdans les domaines de la technologie, de l’énergie et de l’urbanisation, qui évoluent

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ANNEXE324

rapidement – est indispensable ; de plus, elle doit être suivie d’une intervention garantis-sant le caractère positif de ces effets. La protection des milieux naturels et artificiels et laconservation des ressources naturelles doivent recevoir une attention majeure dans toutestratégie de promotion de la santé.

Renforcer l’action communautaire

La promotion de la santé procède de la participation effective et concrète de la com-munauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l’élaboration des straté-gies de planification, pour atteindre un meilleur niveau de santé.

La promotion de la santé puise dans les ressources humaines et physiques de la com-munauté pour stimuler l’indépendance de l’individu et le soutien social, et pour instaurerdes systèmes souples susceptibles de renforcer la participation et le contrôle du publicdans les questions sanitaires. Cela exige l’accès illimité et permanent aux informations surla santé, aux possibilités de santé et à l’aide financière.

Acquérir des aptitudes individuelles

La promotion de la santé soutient le développement individuel et social en offrant desinformations, en assurant l’éducation pour la santé et en perfectionnant les aptitudes indis-pensables à la vie. Ce faisant, elle permet aux gens d’exercer un plus grand contrôle surleur propre santé, et de faire des choix favorables à celle-ci.

Il est crucial de permettre aux gens d’apprendre pendant toute leur vie et de se préparerà affronter les diverses étapes de cette dernière. Cette démarche doit être accomplie àl’école, dans les foyers, au travail et dans le cadre communautaire, par les professionnels,commerciaux et bénévoles, et dans les institutions elles-mêmes.

Réorienter les services de santé

Dans le cadre des services de santé, la tâche de promotion est partagée entre lesparticuliers, les groupes communautaires, les professionnels de la santé, les institutionsoffrant les services et les gouvernements. Tous doivent œuvrer ensemble à la création d’unsystème de soins servant les intérêts de la santé.

Le rôle du secteur sanitaire doit abonder de plus en plus dans le sens de la promotionde la santé, au-delà du mandat exigeant la prestation des soins médicaux. Ce secteur doitse doter d’un nouveau mandat comprenant le plaidoyer pour une politique sanitaire multi-sectorielle, ainsi que le soutien des individus et des groupes dans l’expression de leursbesoins de santé et dans l’adoption de modes de vie sains.

La réorientation des services de santé exige également une attention accrue à l’égardde la recherche sanitaire, ainsi que des changements au niveau de l’éducation et de la for-mation professionnelle. Ceci doit mener à un changement d’attitude et d’organisation ausein des services de santé, recentrés sur l’ensemble des besoins de l’individu perçuglobalement.

Entrer dans l’avenir

La santé est engendrée et vécue dans les divers cadres de la vie quotidienne : là où l’onapprend, où l’on travaille, où l’on joue et où l’on aime. Elle résulte des soins que l’ons’accorde et que l’on dispense aux autres, de l’aptitude à prendre des décisions et àcontrôler ses conditions de vie, et de l’assurance que la société dans laquelle on vit offreà tous ses membres la possibilité de jouir d’un bon état de santé.

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CHARTE D’OTTAWA

L’intérêt pour autrui, l’approche holistique et l’écologie sont des éléments indispen-sables à la conceptualisation et à l’élaboration des stratégies de promotion de la santé.Ainsi donc, les auteurs de ces stratégies doivent adopter comme principe directeur le faitque, à tous les niveaux de la planification, de la mise en œuvre et de l’évaluation de lapromotion de la santé, hommes et femmes sont des associés égaux.

L’engagement face à la promotion de la santé

Les participants de cette conférence s’engagent :

– à intervenir dans le domaine des politiques publiques saines et à plaider en faveurd’un engagement politique clair en ce qui concerne la santé et l’égalité dans tous lessecteurs ;

– à contrer les pressions exercées en faveur des produits dangereux, des milieux etconditions de vie malsains ou d’une nutrition inadéquate ; ils s’engagent également àattirer l’attention sur les questions de santé publique telles que la pollution, les risquesprofessionnels, le logement et les peuplements ;

– à combler les écarts de niveau de santé dans les sociétés et à lutter contre les inéga-lités produites dans ce domaine par les règles et pratiques des sociétés ;

– à reconnaître que les individus constituent la principale ressource sanitaire, à lessoutenir et à leur donner les moyens de demeurer en bonne santé, eux, leur famille et leursamis ; ils s’engagent également à accepter la communauté comme le principal porte-paro-le en matière de santé, de conditions de vie et de bien-être ;

– à réorienter les services de santé et leurs ressources au profit de la promotion de lasanté, et à partager leur pouvoir avec d’autres secteurs, d’autres disciplines et, ce qui estencore plus important, avec la population elle-même ;

– à reconnaître que la santé et son maintien constituent un investissement socialmajeur, et à traiter la question écologique globale que représentent nos modes de vie.

Les participants de la Conférence prient instamment toutes les personnes intéresséesde se joindre à eux dans leur engagement en faveur d’une puissante alliance pour la santépublique.

Appel pour une action internationale

La Conférence demande à l’Organisation mondiale de la santé et aux autres organismesinternationaux de plaider en faveur de la promotion de la santé, dans le cadre de tous lesforums appropriés, et d’aider les pays à établir des programmes et stratégies de promo-tion de la santé.

Les participants de la Conférence sont fermement convaincus que si les gens de tousmilieux, les organismes non gouvernementaux, les associations bénévoles, les gouverne-ments, l’Organisation mondiale de la santé et toutes les autres instances concernéess’unissent pour lancer des stratégies de promotion de la santé conformes aux valeursmorales et sociales inhérentes à cette Charte, la Santé pour tous d’ici l’an 2000 deviendraune réalité.

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 327-332

Les effets de la mondialisation :une grille de travail pourl’éducation pour la santé ?The effects of globalisation : an area inwhich health education should work ?

Alain Douiller (1)

Tiré à part : A. Douiller

Pour des éducateurs pour la santé,qui se situent dans l’action éducative« ici et maintenant », l’évocation deseffets et des mécanismes de la mon-dialisation peut exercer un effet de dé-couragement voire de sidération. Eneffet, l’analyse des causes et desconséquences de la mondialisation neva-t-elle pas essentiellement dans lesens d’une aliénation des libertés indi-viduelles et collectives ? Et peut-êtredans une certaine mesure, d’une dé-possession des responsabilités et despouvoirs d’action de chacun... Si l’ons’accorde ainsi à reconnaître que la

(1) Directeur de l’Association départementale d’éducation pour la santé du Rhône, Lyon.

mondialisation impose au plus grandnombre un modèle économique etculturel dominant, quelle marge demanœuvre reste-t-il alors à l’actionéducative ? Dans sa conception laplus classique et la plus courammentutilisée, l’éducation pour la santé nerepose-t-elle pas en effet sur la possi-bilité de changement des personneset des groupes et sur un champ d’in-tervention géographiquement et quan-titativement limité ?

Si l’on veut proposer des axes detravail aux éducateurs de santé, deux

Résumé : Les effets de la mondialisation peuvent et doivent (?) inspirer les éducateurspour la santé. Ainsi A. Douiller nous suggère plusieurs pistes. À la pression des imagesnous pourrions résister par une analyse, à l’éloge de la vitesse, nous pourrions opposercelle de la lenteur, à un travail sur les conséquences nous pourrions substituer uneaction sur les causes, à un travail éducatif nous pourrions ajouter un travail politique…Il nous faut mettre en place une éducation pour la santé engagée, et faire nôtre le« penser globalement, agir localement » de l’OMS. La santé publique et la promotion dela santé peuvent pour cela s’appuyer sur des textes existants. Mis au débat ces textesqui rappellent les droits fondamentaux de toute personne humaine où qu’elle se trouve,pourraient servir de support à un véritable échange avec les sphères économiques,politiques et médiatiques qui pour l’instant, détiennent une grande partie du pouvoir surnotre santé.

DOSSIER

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A. DOUILLER

(au moins !) questions importantes seposent. L’une est pratique et immé-diate : « Sur quels facteurs les éduca-teurs peuvent-ils agir pour contrecar-rer les effets de la mondialisation lesplus néfastes sur la santé ? ». L’autreest sans doute plus fondamentale :« À quelles conceptions de notre rôleéducatif, de la plus restrictive etconservatrice, à la plus globale et cri-tique, renvoient les éléments d’analy-se ici produits ? ».

Mondialisation et libertés

Outre la liberté d’entreprendre et decommercer, la liberté des échanges etde la communication est l’un des effetsde la mondialisation le plus fréquem-ment évoqué comme positif. Interneten est l’un des stigmates embléma-tiques. L’apologie naïve de l’Internetparaît aussi excessive que son op-probre : s’il est vrai que cet outil decommunication bouleverse les ma-nières de travailler, d’échanger et decommuniquer, l’éducateur pour la san-té peut interroger la nature même de cebouleversement. La multiplication desinformations et la formidable accéléra-tion de leur circulation sont-elles en soiles marques d’un progrès irréfutable ?La qualité des relations sociales s’entrouve-t-elle forcément améliorée ? Quiprofite réellement de cette multiplica-tion des informations, et notammentdes informations sur la santé ? Quellescatégories sociales, culturelles, quelspays en bénéficient le plus ? Quelle estla société qui se construit dans cettevolonté de vitesse exponentielle ?Quelles sont ses valeurs, ses finalités ?

Cette accélération renforce aussi leculte de l’immédiateté et du présent.D’un point de vue éducatif, il est pour-tant important de favoriser l’acquisi-tion d’une mémoire individuelle et col-lective qui permette de construire desidentités clairement situées dans l’es-

pace et dans le temps, de s’inscriredans une histoire et dans un groupesocial. Travailler sur les récits de vie,par exemple, c’est permettre uneconstruction généalogique qui aidenon seulement à connaître le passé,mais aussi à comprendre le présent età anticiper le futur.

Ces questions ne sont pas réser-vées à la philosophie ou à la métaphy-sique. L’éducateur pour la santé peut,en de multiples occasions, en dé-battre et les faire vivre : lors d’anima-tions, de formations, de débats, avecdes publics d’enfants, d’adolescents,mais aussi de parents et de profes-sionnels qui eux-mêmes véhiculent ettransmettent des systèmes de réfé-rences et de valeurs.

Le culte de la vitesse est un corol-laire immédiat de celui de la communi-cation, car la vitesse se vit aussicomme un vecteur de liberté et d’éman-cipation. La pertinence de cet axiomepeut pourtant être questionnée par leséducateurs de santé. Ses consé-quences sur la santé sont particulière-ment visibles. Travail, relations socia-les, familiales ou amoureuses, condui-te routière, loisirs, sensations, prisesde risques : la vitesse est au cœur debien des comportements, comme unemarque de performance individuelleou collective, de qualité, de liberté,d’autonomie... Rarement discutée au-delà des cercles de la philosophie etde la sociologie politique [1-3], ceculte de la vitesse mérite pourtantd’être interrogé par les éducateurs.Les moments, les expériences, lessupports mettant en jeu ce culte de lavitesse ne manquent pas pour leurpermettre d’imaginer des démarchespédagogiques intéressantes : décryp-tage des publicités à l’école ou dansles auto-écoles, réflexion en milieu detravail sur les liens entre vitesse, ren-tabilité, performance et bien-être indi-viduel et collectif, etc.

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LES EFFETS DE LA MONDIALISATION :UNE GRILLE DE TRAVAIL POUR L’ÉDUCATION POUR LA SANTÉ ?

Quelles valeurs opposeraux valeurs marchandes ?

A de valeur ce qui se vend ; la gra-tuité devenant bien la marque d’uneabsence de valeur... Il n’est plus dansnos sociétés de champs d’activitéhumaine qui ne soit désormais hors dela sphère économique et marchande,y compris les plus intimes et les plusancestraux comme la mort, la sexua-lité, la naissance, le mariage, la mala-die, etc. Les biens, les ressources, leséléments vitaux les plus inaliénables,passent inexorablement sous lecontrôle d’intérêts privés, sans quepersonne ou presque ne s’en indigne,pas même les pouvoirs publics quiparticipent le plus souvent à cette dila-pidation : ainsi l’eau, les transports,les télécommunications, mais aussi lasanté et même l’éducation.

Cette « marchandisation » du mon-de s’accompagne d’une individuationprésentée comme libératoire. Ce n’estainsi pas un hasard si les idéologies li-bérales du néocapitalisme, s’accom-pagnent d’un rejet féroce des valeurset des idéologies collectives : le com-munisme et le socialisme bien sûr,mais aussi les défenses d’intérêtspublics (lorsqu’ils ne sont pas essen-tiellement catégorie). L’homme ne doitdésormais son salut qu’à lui seul, l’in-dividu étant devenu tout à la fois unitéfondamentale et valeur suprême.Axiome que s’empresse de relayer etde renforcer un monde marchand ypuisant là une source de besoins et dedébouchés économiques sans fin. Iln’est pour s’en convaincre qu’à obser-ver le culte de la personne, de l’indivi-du et de son corps, célébré par lesmédias et particulièrement par la pu-blicité : des produits cosmétiques etd’hygiène pour femmes et maintenantpour hommes, aux valeurs déployéespour vendre automobiles, biensd’équipement, retraites ou assurances– de moins en moins « sociales » et

mutualisées et de plus en plus indivi-dualisées.

Si la prédominance de l’image etl’omniprésence de la publicité commemoyens de créer des besoins, maisaussi de forger des identités, des re-présentations et des valeurs peuventdécourager, elles n’en demeurent pasmoins des supports possibles à desactions éducatives. De telles actionsont jusqu’ici été très insuffisammentexpérimentées, par les éducateurspour la santé notamment. Ainsi, desdémarches éducatives sont à inven-ter, non seulement pour analyser lesimages qui s’imposent à nous en per-manence, sans qu’habituellement au-cune distance critique ne soit possibleou en tout cas facilitée, mais aussipour permettre de réfléchir aux effetsde cette omniprésence sur nos repré-sentations, nos valeurs, nos mentali-tés et nos idées.

Éducation ou promotionde la santé ?

Les éducateurs pour la santé doi-vent-ils continuer à s’adresser auxindividus ou aux groupes auprès des-quels les problèmes de santé sont re-pérés... ou s’attacher davantage auxconditions (sociales, économiques,etc.) qui produisent ces problèmes ?

Pour ne prendre qu’un seul exem-ple : les éducateurs pour la santé doi-vent-ils se saisir en l’état de la propo-sition faite par les pouvoirs publicsd’animer des « ateliers santé », dont lebut est d’augmenter les capacitéspersonnelles (« les compétencespsychosociales ») de personnes engrandes difficultés sociales et écono-miques ? Autrement dit, la vocation del’éducation pour la santé est-elle vrai-ment de traiter les conséquences de laprécarité sans se préoccuper de sescauses ? Avec Michel Demarteau quiaffirmait, en 1993, que « l’éducateur

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A. DOUILLER

pour la santé doit lui-même participeraux débats sociaux où s’élabore et senégocie l’évolution de notre société »ou avec Eric Le Grand qui prône « uneprofessionnalité militante », nous plai-dons fortement pour une approche del’éducation pour la santé intellectuelle-ment, politiquement et professionnel-lement plus engagée.

Ces questions en appellent d’au-tres : comment naissent les pro-grammes de prévention ? Qui les éla-bore ? Les appels d’offre, les prioritésnationales et régionales de santé, sontencore essentiellement définis sur labase de critères épidémiologiques,exclusivement centrés sur la santébiomédicale des individus. Commentrépond-on à ces mêmes appelsd’offre qui structurent et enfermentnombre de programmes de préven-tion : doit-on y répondre de façon dis-ciplinée – quitte à écrire hypocrite-ment ce qui est attendu – ou n’a-t-onpas un devoir de retour auprès desconcepteurs et des instructeurs deces appels d’offre ? Quelles struc-tures, quelles procédures permettentde penser et d’agir de façon globale ?Citons par exemple les législations oc-cidentales contre le tabac de plus enplus contraignantes, qui incitent ac-tuellement les cigarettiers à porterleurs efforts commerciaux en Afriqueou en Asie où les législations sontsouvent absentes. Quelle formationpolitique et stratégique reçoivent leséducateurs pour la santé ? La réponseest rapide : aucune ! Pourtant, ne de-vient-il pas indispensable de mieuxconnaître les procédures législativeset institutionnelles à l’œuvre dans lesecteur de la santé ? Ou d’avoir lesmoyens et les compétences d’exercerdes actions de lobbying, dont l’effica-cité est démontrée dans les prises dedécisions de très nombreuses ins-tances ? Comment faire entrer l’actionde promotion de la santé parmi lespréoccupations des administrations et

des législateurs ? Les instances pu-bliques, proches des pouvoirs poli-tiques, peuvent-elles avoir la positiond’aiguillon, de neutralité et de vigilan-ce impartiale que nécessite la promo-tion de la santé ? Les appels d’offre,propositions d’actions, axes d’inter-vention en prévention, restent encoreet très traditionnellement centrés surl’éducation des publics, voire des pu-blics les plus vulnérables et les pluscaptifs... au détriment de l’éducationdes éducateurs (les parents ou les en-seignants plutôt que les enfants parexemple), ou de l’éducation des res-ponsables politiques, des respon-sables économiques, des leadersd’opinion, des producteurs d’informa-tion. Sans attendre d’improbables for-mations ou directives administrativesplus utopiques encore, ces pistesconstituent des axes de travail bienréels et concrets pour les acteurs deprévention présents et à venir.

Démocratie sanitaire etdémarche participative

La participation des publics est de-venue la tarte à la crème de bien desdiscours. Le véritable enjeu estd’ailleurs plutôt celui de la participa-tion des populations, les publics ayantétymologiquement la position passivedes spectateurs... Le « faire pour » a,en effet, fait la preuve de son ineffica-cité, en matière de prévention commeen bien d’autres. Mais le « faire avec »reste encore plus souvent une volontéincantatoire qu’une réalité éprouvée etsystématisée.

C’est pourtant dans la volonté quo-tidienne, régulière et intransigeanted’associer les populations aux déci-sions, aux programmes ou aux outilsqui leur sont destinés que les acteursde l’éducation et de la promotion de lasanté ont les moyens de faire évoluerleurs pratiques de façon la plus radi-cale. Donner la parole aux gens, sans

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LES EFFETS DE LA MONDIALISATION :UNE GRILLE DE TRAVAIL POUR L’ÉDUCATION POUR LA SANTÉ ?

démagogie, en l’organisant, en pre-nant le temps qu’elle émerge, qu’elles’enrichisse collectivement, qu’elles’affine, sans qu’elle ne serve d’alibiou de caution à des décisions déjàprises est une démarche forte et exi-geante. Ceux qui s’y essaient saventaussi que ces efforts sont presquetoujours récompensés par un investis-sement, une mobilisation et une ri-chesse de réflexion collective qui nes’obtient par aucune autre méthode.Les discours fréquents dans le mondepolitique, mais pas totalement ab-sents du monde de la prévention, surle prétendu désinvestissement despopulations repose sur une représen-tation non fondée qui arrange plusd’un professionnel soucieux deconserver ses prérogatives. Lorsquel’on se donne la peine d’interroger, deconstruire, d’analyser ou de validerdes projets, des démarches ou desprogrammes avec les gens, ils sonttrès rarement absents, très rarementmuets, très rarement sans opinion surles décisions qui les concernent.

Ainsi, au quotidien, les démarches –réellement – participatives, sont l’oc-casion de mobiliser chacun dans unmonde où les décisions importantessemblent le plus souvent nous échap-per, le moyen de redonner le sens et laconscience d’un pouvoir d’action surles choses et sur les événements, lemoyen aussi de rendre chacun plusexigeant, plus critique, moins crédule,parce que concrètement et personnel-lement investi.

Le désenchantementdu monde

Lorsqu’on l’interrogeait sur le fata-lisme que pouvaient produire ses ana-lyses en matière d’action sociale et po-litique, Pierre Bourdieu affirmait que lasociologie était en effet « la science dudésenchantement du monde » [6], mais

que le monde social lui était suppor-table car il avait pu garder sa capacitéd’indignation [7]. Ainsi, l’ampleur dutravail d’éducation et de promotion dela santé face aux puissances des mé-canismes en jeu dans la mondialisationpeut provoquer une forme de découra-gement. C’est pourquoi il est importantd’être au clair avec les idées et les va-leurs défendues par ces disciplines, carc’est de la conviction qui s’en dégageque peut naître cette capacité d’indi-gnation. L’Organisation mondiale de lasanté avait trouvé une formule parti-culièrement juste pour lier ambition in-tellectuelle et collective et modestiedes engagements et des actions indivi-duelles, en affirmant qu’il fallait « pen-ser globalement et agir localement ».

Pour lever toute ambiguïté, termi-nons en affirmant que notre positionn’invite évidemment pas à un repli fri-leux et identitaire, mais à une réflexionouverte et constructive sur les effetsd’une libéralisation des échanges éco-nomiques dont les ravages sur la san-té et le bien-être des populationscommencent seulement à être perçus.Si les causes de ces méfaits sontd’ordre mondial, les solutions ne peu-vent être trouvées que dans des régu-lations, des engagements et des mo-bilisations à l’échelle de la planèteégalement. La santé publique et lapromotion de la santé offrent ainsi desexemples intéressants de textes et deprincipes mobilisateurs : la Déclara-tion universelle des droits de l’homme,la Déclaration de constitution de l’Or-ganisation mondiale de la santé, laCharte d’Ottawa, la Convention inter-nationale des droits de l’enfant. Le rô-le des éducateurs pour la santé pour-rait ainsi évoluer vers la promotion etla mise en débat de ces textes hors deleurs champs professionnels res-treints : vers les milieux politiques,économiques et médiatiques qui dé-tiennent les pouvoirs les plus impor-tants sur notre santé.

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A. DOUILLER332

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1. Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse à l’occasion de l’extension deslignes du TGV. Paris : Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 1998 : 35 p.

2. Laïdi Z. La tyrannie de l’urgence. Éditions Fides, 1999 : 48 p.

3. Sansot P. Du bon usage de la lenteur. Paris. Payot, 1998 : 202 p.

4. Demarteau M. Projet éthique de l’EPS. In : L’observatoire : revue d’action sociale et médico-sociale.Belgique : n° 3-4, 1993 : 66-7.

5. Le Grand E. Éducation pour la santé et politique : s’engager ou renoncer. Diplôme universitaire desanté communautaire, promotion de la santé, développement local. Bordeaux, 2002 : 42 p.

6. Bourdieu P. Questions de sociologie. Paris : Éditions de Minuit, 2002 : 288 p.

7. Bourdieu P., Spire A. Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner.Éditions de l’Aube, 2002 : 64 p.

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Santé publique 2003, volume 15, no 3, pp. 333-342

Mondialisation et santé : repèreset ressources documentairesF. Lemonnier (1), C. Lavielle (2)

Tiré à part : F. Lemonnier

IntroductionOutre des ressources documentaires,nous proposons ci-dessous une sériede définitions de concepts peu fami-liers aux professionnels de la santépublique et utiles à la compréhensiondes questions de mondialisation.D’autres mots, plus couramment utili-sés dans notre champ comme parexemple citoyenneté, participation,communauté n’ont pas fait l’objet derecherche mais auraient leur placedans cette rubrique.

Ce thème de la mondialisation re-présente une telle quantité de res-sources bibliographiques que nousn’aurions pu y réaliser une sélectionpertinente sans l’aide de MonsieurJean-Claude Fritz que nous tenons àremercier ici.

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Repères

Développement durable

Dans les années quatre-vingt, unnouveau mouvement apparaît qui dé-fend l’environnement tout en inscri-vant l’homme au centre de ses pré-occupations.

(1) Chargée de mission, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), Vanves, France.(2) Documentaliste, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES).

En 1987, le rapport Notre Avenir àtous de la Commission mondiale surl’environnement et le développement(Commission dite Brundtland, du nomde Mme Gro Harlem Brundtland, pre-mier ministre norvégien, qui l’a prési-dée) consacre le terme de SustainableDevelopment, successivement traduiten français par développement soute-nable puis développement durable oudéveloppement viable.

Le concept est entré dans le lexiquedes Nations unies avec la définitionsuivante : un développement qui ré-pond aux besoins du présent sanscompromettre la capacité des généra-tions futures de répondre aux leurs en-core largement acceptée de nos jours.

Le développement durable est unprocessus de développement quiconcilie l’écologique, l’économique etle social et établit un cercle vertueuxentre ces trois pôles. C’est un déve-loppement, économiquement effica-ce, socialement équitable et écologi-quement soutenable.

Il repose sur une nouvelle forme degouvernance, où la mobilisation et laparticipation de tous les acteurs de lasociété civile aux processus de déci-sion doit prendre le pas sur le simple

DOSSIER

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F. LEMONNIER, C. LAVIELLE

échange d’informations. Le dévelop-pement durable entend promouvoir ladémocratie participative et rénoverl’approche citoyenne. L’accès à l’in-formation et la transparence en sontdes pré-requis.

www.mondialisations.org rubriquedictionnaire

Gro Harlem Brundtland. Notre ave-nir à tous, rapport de la Commissionmondiale sur l’environnement et ledéveloppement. Oxford : Oxford Uni-versity Press, 1987 : 398 p.

Économie solidaire

L’économie solidaire s’est progres-sivement définie à partir de pratiquesqui ont émergé au sein d’actions indi-viduelles et collectives puis se sontconfrontées aux difficultés de la réali-té du terrain.

Ce sont à la fois des habitants, usa-gers ou professionnels prenant encharge la conception des servicesqu’ils estiment nécessaires, des entre-preneurs voulant contribuer à l’inté-gration par l’économique des popula-tions en difficulté, des consomma-teurs s’organisant pour vérifier la qua-lité des produits qu’ils achètent, desépargnants qui utilisent différemmentleur argent.

Toutes ces pratiques, malgré la di-versité des situations, se retrouventautour de caractéristiques commu-nes. Elles mettent l’entraide et la réci-procité au cœur de l’action écono-mique. Des personnes s’associentlibrement pour mener en commun desactions qui contribuent à la créationd’activités économiques et d’emploistout en renforçant la cohésion socialepar de nouveaux rapports sociaux desolidarité

Ces expériences s’organisent dansune dynamique citoyenne en favo-risant la mise en place d’espaces

publics de proximité, c’est-à-dire delieux permettant aux personnes deprendre la parole, de débattre, de dé-cider, d’élaborer et de mettre enœuvre des projets économiquesadaptés aux contextes dans lesquelsils émergent.

www.inter-reseaux-economie-solidaire.org/ires_es/ecosol.htm

Gouvernance

La gouvernance est un concept quia beaucoup évolué depuis sa sortiedans les débats entourant la problé-matique du développement vers la findes années quatre-vingt. Dans lespremiers essais classiques en scien-ces politiques sur le sujet, on parlaitde gouvernabilité, qui plaçait le droit etl’ordre au centre du développement.Avec la fin de la guerre froide, leconcept de gouvernance s’est substi-tué à celui de gouvernabilité. Il a étédéfini comme le remodelage ou la ré-invention de la gestion publique, ausens large du terme, pour faire faceaux nouveaux défis du développe-ment à l’ère de la globalisation.

La gouvernance aborde maintenantles questions reliées aux mécanismesnécessaires à la négociation des diffé-rents intérêts dans la société. Elle estde plus en plus perçue comme unconcept englobant une série de méca-nismes et de processus susceptiblesde maintenir le système, de responsa-biliser la population et de faire en sorteque la société s’approprie le proces-sus.

La plupart des organisations inter-nationales et des agences bilatéralesse sont dotées de leur propre défini-tion de gouvernance. Certaines ontadopté une stratégie et une politiquebien spécifiques (Pnud, Banque asia-tique de développement), d’autres sesont limitées à définir le concept. LeCAD-OCDE a développé des orienta-

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MONDIALISATION ET SANTÉ : REPÈRES ET RESSOURCES DOCUMENTAIRES

tions sur le développement participatifet la bonne gestion des affairespubliques. Celles-ci reflètent le stadede leur réflexion actuelle commune surles principes et stratégie à appliquer etles actions à mener dans ce domaine.Le Pnud a développé une stratégie etune politique assez larges reliant lagestion du service public, la gouver-nance et le développement humaindurable. Les banques de développe-ment, de leur côté, sont principale-ment concernées par les aspects so-ciaux et économiques du concept degouvernance. L’Union européenne etla Berd ont des visions plus larges enintégrant des aspects politiques à lagouvernance, tels que les droits hu-mains et la démocratie.

Isabelle Johnson. La gouvernancepour une redéfinition du concept.Agence canadienne pour le dévelop-pement international, mars 1997, 18 p.[www.acdicida.gc.ca/INET/IMAGES.NSF/vLUImages/HRDG/$file/GovCon-cept-f.pdf]

Mondialisation

La mondialisation, au sens généraldu terme, constitue à la fois le pro-cessus et le résultat du processusselon lequel les phénomènes dedivers ordres (économie, environne-ment, politique, etc.) tendent à revêtirune dimension proprement planétaire.

www.universalis-edu.com

Société civile

C’est l’ensemble des rapports inter-individuels, des structures familiales,sociales, économiques, culturelles, re-ligieuses qui se déploient dans unesociété donnée, en dehors du cadre etde l’intervention de l’état. La sociétécivile inclut généralement les indivi-dus, les familles, les associations, lesorganisations bénévoles, tout ce quel’on appelle les corps intermédiaires

(intermédiaires entre l’état et l’individu)dans la mesure où ils n’émanent pasde l’état.

Jan Spurk. Critique de la raison so-ciale. L’école de Francfort et sa théoriede la société. Les presses de l’univer-sité de Laval, 2001.

Ouvrages et rapports

Mondialisation, développementdurable, commerce équitable

• Apfel-Marglin F. Défaire le déve-loppement, refaire le monde. Paris :Parangon-L’Aventurine, 2003.

• Bertrand A., Kalafatides L. OMC,le pouvoir invisible. Paris : Fayard,2002 : 240 p.

• Blanchet C. Sommet mondial surle développement durable, Johannes-burg 2002. Dossier documentaire.Paris : ministère de l’Écologie et duDéveloppement durable, mai 2002.[www.environnement.gouv.fr/interna-tional/johannesburg2002/dossier-do-cumentaire.htm]

• Brundtland G.-H. Notre avenir àtous, rapport de la Commission mon-diale sur l’environnement et le Déve-loppement. Oxford : Oxford UniversityPress, 1987.

• Charvin R. Relations internatio-nales, droit et mondialisation : un mon-de à sens unique. Paris : L’Harmattan,2000 : 348 p.

• Delfau G., Laville J.-L. Auxsources de l’économie solidaire. Do-mont (Val-d’Oise) : Thierry Quinquetonéditeur, 2000.

• Fourçans A. La mondialisation ra-contée à ma fille. Paris : Seuil, 2001 :295 p.

• Groupe d’études et de recherchesur les mondialisations. Dictionnairecritique de la mondialisation. Paris :

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F. LEMONNIER, C. LAVIELLE

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• Institut français de l’environne-ment. Les indicateurs de développe-ment durable pour la France. Paris :Ifen, juillet 2002 : 8 p.

• Korten D. C. When corporationsrule the world. Hartford : KumarianPress, 1995.

• Lorot P. (sous la dir. de). Diction-naire de la mondialisation. Paris :Ellipses, 2001 : 495 p.

• Ministère de l’Aménagement duterritoire et de l’Environnement.Secrétariat d’État à l’économie soli-daire. Circulaire relative à la place del’économie sociale et solidaire dansles processus de contractualisationterritoriale. Paris : ministère de l’Amé-nagement du territoire et de l’Environ-nement, 5/09/2000 : 4 p. [www.social.gouv.fr/economie-solidaire/econo-mie/textes/circ050900.pdf]

• Ministère de l’Éducation natio-nale. Délégation aux Relations interna-tionales et à la Coopération. Éduca-tion au développement et à la solidari-té internationale. Note du 3 mai 2002,publiée au Bulletin officiel, n° 21,23 mai 2002 : 1436-9.

• Tronquoy P. (sous la dir.). Déve-loppement et mondialisation. Cahiersfrançais, vol. 310, octobre 2002, 99 p.

Liens avec la santé, promotion de la santé

• Agence canadienne pour le déve-loppement international. Plan d’actionen matière de santé et de nutrition.Hull (Canada) : ministère des Travauxpublics et des Services départe-mentaux, 2001 : 64 p. [en, ligne surwww.acdi-cida.gc.ca rubrique res-sources puis publications]

• Apostolidis C. (sous la dir. de),Fritz G., Fritz J.-C. L’humanité face à la

mondialisation, droit des peuples etenvironnement. Paris : L’Harmattan,1997 : 229 p.

• Bauman Z. Le coût humain de lamondialisation. Paris : Hachette,1999 : 204 p.

• Farmer P. Infections and inequali-ties : The Modern Plagues. Berkeley :University of California Press, 2001(2e ed.).

• Blanchet C. Santé et développe-ment durable, fiche n° 5. In : Sommetmondial sur le développement du-rable, Johannesburg 2002. Dossierdocumentaire. Paris : ministère del’Écologie et du Développement du-rable, mai 2002. [www.environne-ment.gouv. fr/international/johannes-burg2002/fich5.htm]

• Dollar D. La mondialisation est-el-le bonne pour votre santé ? Bulletin del’OMS, Recueil d’articles n° 6 (Thèmespécial – Mondialisation), 2002 : 16-22.

• Hofrichter R. Reclaiming the Envi-ronnemental Debate : The Politics ofHealth in a Toxic culture. Cambridge :The MIT Press, 2000.

• Labonte R. Health Promotion andthe Common Good : Toward a Politics ofPractice. In : Callahan D. PromotingHealthy Behavior. How Much Freedom?Whose Responsibility ? Washington :Georgetown University Press, 2000 :192 p.

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• Ministère de l’Emploi et de la Soli-darité. Délégation aux Affaires euro-péennes et internationales. Un minis-tère acteur dans la mondialisation.Paris : ministère de l’Emploi et de laSolidarité, 2001 : 128 p. [www.sante.gouv.fr/htm/publication/monde.pdf]

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MONDIALISATION ET SANTÉ : REPÈRES ET RESSOURCES DOCUMENTAIRES

• Mittlemark M. B. Peut-on ré-soudre les problèmes sociaux à coupde conférences mondiales ? Les gainssont-ils suffisants ? Promotion & édu-cation 2002 ; 9, n° 3 : 113-4.

• Organisation mondiale de lasanté. Macroéconomie et santé : in-vestir dans la santé pour le développe-ment économique : rapport de laCommission macroéconomie et santé.Genève : OMS, 2002 : 220 p.

• Organisation mondiale de la san-té. Déclaration de Jakarta sur la pro-motion de la santé au XXIe siècle.1997.

• Organisation mondiale de la san-té. Déclaration de Sündsvall sur les mi-lieux favorables à la santé. 1991.

• Organisation mondiale de la san-té. Charte d’Ottawa pour la promotionde la santé. 1986.

• Organisation mondiale du com-merce, Organisation mondiale de lasanté. Les accords de l’OMC et la san-té publique : étude conjointe de l’OMSet du secrétariat de l’OMC. Genève :OMC, 2002 : 196 p.

• Woodward D., Drager N., Beagle-hole R., Lipson D. Mondialisation etsanté : un cadre pour l’analyse et l’ac-tion. Bulletin de l’OMS, Recueil d’ar-ticles n° 6 (Thème spécial – Mondiali-sation), 2002 : 36-42.

Ressources

Organismes internationaux

L’Organisation des Nations unies :ONU (UNO)www.un.org

Créée en 1945, elle est forte aujour-d’hui de 188 états membres.

Des organismes opérationnels ontété progressivement créés pour per-mettre d’agir directement dans les

pays où une intervention urgente estnécessaire. Ils sont soumis à l’autori-té du Secrétaire Général des Nationsunies même s’ils disposent d’un bud-get et d’organes de décision qui leursont propres. Il s’agit, entre autres,des organismes suivants :

– la CNUCED (UNCTAD) : Confé-rence des Nations unies sur le com-merce et le développement.www.unctad.org

– le PNUD (UNDP) : Programmedes Nations unies pour le développe-ment.www.undp.org

– le PNUE (UNEP) : Programmedes Nations unies pour l’environne-ment.www.unep.org

– le PNUCID (UNDCP) : Program-me des Nations unies pour le contrô-le international des drogues.www.unodc.org/odccp

– le HCR : Haut Commissariat desNations unies pour les réfugiés.www.unhcr.ch

– l’Unicef : Fonds des Nationsunies pour l’enfance.www.unicef.org

– le PAM (WFP) : Programme ali-mentaire mondial.www.wfp.org

– le FNUAP (UNFPA) : Fonds desNations unies pour la population.www.unfpa.org

– le HCDH (HCHR) : Haut Commis-sariat aux droits de l’homme.http ://193.194.138.190

Enfin, les institutions spécialisées,dont les champs d’action sont plussectoriels, sont des organisations in-tergouvernementales qui travaillent demanière indépendante tout en ayantdes accords de collaboration avecl’ONU, dans le cadre du conseil écono-mique et social. Il s’agit entre autres de :

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F. LEMONNIER, C. LAVIELLE

– l’OMS (WHO) : Organisation mon-diale de la santé (www.who.int), fon-dée le 7 avril 1948. Comme il est pré-cisé dans sa Constitution, l’OMS apour but d’amener tous les peuples auniveau de santé le plus élevé possible.

– le groupe de la banque mondiale(World bank group). www.banque-mondiale.org

Il compte cinq institutions spéciali-sées dans divers aspects du dévelop-pement parmi lesquelles la BIRD(IBRD) : Banque internationale pour lareconstruction et le développement etl’AID (IDA) : Association internationalede développement.

La banque mondiale (ce terme dé-signe la BIRD et l’AID) dispose d’uncadre général de lutte contre la pau-vreté et définit des stratégies propresà chaque pays et à chaque secteur dedéveloppement. Elle offre des ser-vices qui peuvent être rangés en plu-sieurs catégories : services financiers(prêts qui soutiennent la mise en placede réformes ou financement de pro-jets), services d’analyse et de conseilet renforcement des capacités.

– le FMI : fonds monétaire interna-tional (www.imf.org) a pour but de pré-venir les crises systémiques en encou-rageant les pays à adopter des poli-tiques économiques saines. C’estégalement un fonds auxquels les étatsmembres qui ont besoin d’un finance-ment temporaire peuvent faire appel.

On désigne parfois la BIRD et leFMI comme « les institutions de Bret-ton Woods » du nom de la conféren-ce qui les a créés en 1944.

– l’organisation des Nations uniespour l’alimentation et l’agriculture(FAO)www.fao.org

– l’organisation des Nations uniespour l’éducation, la science et laculture (Unesco).www.unesco.org

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L’Organisation mondiale ducommerce : OMC (WTO). www.wto.org

L’OMC s’occupe des règles régis-sant le commerce entre les pays. Saprincipale fonction est de favoriserautant que possible la bonne marche,la prévisibilité et la liberté deséchanges.

Elle s’acquitte de cette mission en :– administrant les accords com-

merciaux ;– servant de cadre aux négocia-

tions commerciales ;– réglant les différends commer-

ciaux ;– examinant les politiques commer-

ciales nationales ;– aidant les pays en développe-

ment dans le domaine de la politiquecommerciale par le biais de l’assistan-ce technique et des programmes deformation ;

– coopérant avec d’autres organi-sations internationales.

Les règles de l’OMC, dits accordsrésultent des négociations menéespar les Membres. Celles qui sont ac-tuellement en vigueur découlent desnégociations du Cycle d’Uruguay(1986-1994), qui ont donné lieu no-tamment à une révision majeure dutexte original de l’Accord général surles tarifs douaniers et le commerce(GATT). Le GATT constitue désormaisle principal recueil de règles de l’OMCpour ce qui est du commerce desmarchandises. Le Cycle d’Uruguay aégalement abouti à l’établissement denouvelles règles régissant le commer-ce des services, les aspects pertinentsde la propriété intellectuelle, le règle-ment des différends et l’examen despolitiques commerciales. Ces règlesreprésentent une trentaine d’accordset d’engagements distincts (que l’onappelle les listes), contractés par lesdifférents membres dans des do-

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F. LEMONNIER, C. LAVIELLE

maines spécifiques tels que l’abaisse-ment des taux de droit ou l’ouverturedu marché des services.

L’Union internationale de promo-tion de la santé et d’éducation pourla santé : UIPES (IUHPE). www.iuhpe.org

Fondée en 1951, c’est la seule ONGd’envergure mondiale concernant uni-quement la promotion de la santé etrassemblant tant des individus quedes ministères ou des agences natio-nales d’éducation et/ou de promotionsanté (2 000 membres). L’UIPES esten relation officielle de travail et co-opère étroitement avec l’OMS, l’Unes-co et l’Unicef, et d’autres grandes or-ganisations intergouvernementalescomme la Banque mondiale, pouraméliorer des stratégies et des projetsde développement en promotion de lasanté et en éducation pour la santé.Compte-tenu de sa position unique,l’OMS lui a confié la mission de formeret de coordonner un réseau mondiald’ONG qui s’intéressent à la pratiquede la promotion de la santé et del’éducation pour la santé.

Organismes français

Commission coopérationdéveloppement

Structure de concertation paritaireentre les pouvoirs publics français etles associations de solidarité interna-tionale dans une volonté communede dialogue et d’échange d’informa-tions. www.ritimo.org/ccd.html

Coordination SUD (Solidarité urgencedéveloppement)

C’est la coordination nationale desONG françaises d’action humanitaire etd’aide au développement. Elle a pourbut de les promouvoir et de les repré-senter et d’appuyer leurs actions :

– en les aidant à investir les débatssur les enjeux à l’échelle inter-nationale ;

– en développant leurs possibilitésd’accès aux ressources et finance-ments ;

– en leur permettant d’accéder auxinformations qui leurs sont utiles et enrelayant à l’extérieur les informationsles concernant ;

– en leur permettant de se rassem-bler pour peser plus efficacement etéchanger entre elles autour d’outils etprocessus démocratiques.

Coordination Sud regroupe ainsiplus d’une centaine d’ONG parta-geant une éthique commune en matiè-re de programmes de développementet d’actions d’urgence pour les popu-lations vulnérables des pays du sud.La charte une éthique partagée est enligne sur le site. www.coordinationsud.org/

Haut Conseil de la coopérationinternationale

C’est une instance consultativeindépendante, rattachée au Premierministre, qui a pour missions de per-mettre une concertation régulièreentre les différents acteurs de lacoopération internationale pour le dé-veloppement et de sensibiliser l’opi-nion publique aux enjeux de cettecoopération. Le Haut Conseil s’envi-sage comme un lieu de réflexion de lasociété civile sur les problèmes de lamondialisation, du développement etde la démocratisation. À ce titre, ilentretient des contacts avec de trèsnombreux partenaires, notammentavec les conseils consultatifs qui luisont similaires en Europe. www.hcci.gouv.fr

Institut du développement durable etdes relations internationales (Iddri)

Créé en 2001, dans un contextemarqué par la mondialisation desquestions d’environnement ou de san-té et par la multiplication des risques,

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MONDIALISATION ET SANTÉ : REPÈRES ET RESSOURCES DOCUMENTAIRES

l’Iddri est un groupement d’intérêtscientifique qui compte douzemembres, six organismes publics derecherche et six ministères français. L’Iddri vise quatre objectifs princi-paux :

– participer à la préparation intel-lectuelle des décisions internationaleset aux communautés d’expertise im-pliquées dans ces processus ;

– rassembler les connaissances etl’expertise sur les principaux sujets in-ternationaux du développement du-rable ;

– renforcer les communautésscientifiques qui travaillent sur le dé-veloppement durable en promouvantdes travaux de recherche et d’experti-se pluridisciplinaires sur des sujetsnouveaux ;

– informer les décideurs publics etprivés, les acteurs économiques et so-ciaux.www.iddri.org

Revues spécialisées

Alternatives économiques – men-suel. Magazine engagé, qui s’intéres-se à l’économie comme enjeu collectifet social. Europe, mondialisation, tra-vail, emploi, santé, retraites, famille,transports, solidarité, éducation,cadre de vie, environnement sontabordés au travers de rubriques régu-lières et d’un dossier par numéro.Outre les sujets d’actualité, il traiteaussi de thèmes rarement abordésdans la presse économique : inégali-tés, pauvreté du tiers monde, condi-tions de travail... www.alternatives-economiques.fr

Alternatives internationales – bimes-triel. Magazine sur l’actualité interna-tionale qui a pour objectifs de donnerà ses lecteurs des outils pour réfléchiret pour agir pour un développementraisonné, pour la justice, contre les in-

égalités. Chaque numéro est compo-sé de rubriques régulières et d’un dos-sier qui traite en profondeur de sujetscomme les mouvements citoyens oula guerre contre le terrorisme. www.alternatives-internationales.fr

Alternatives Sud – trimestriel. Re-vue fondamentale, donnant accès àune vision critique venant de cher-cheurs de l’ensemble des pays duSud. www.cetri.be

Courrier international – hebdoma-daire. Journal proposant le meilleur dela presse étrangère dans toutes sesrubriques : actualité, magazine, dos-sier, débat. Journalistes et traducteurspuisent l’information dans 1 200 titresdifférents pour refléter la diversité etles nuances des visions de l’actualité.www.courrierinternational.com

Économie et humanisme – trimes-triel. Revue proposant dans chaquenuméro un dossier de 60 pages axésur une question forte concernant lavie économique et le développementdes sociétés humaines. À noter, ledossier du n° 360, consacré au déve-loppement durable. www.economie-humanisme.org

Le courrier de la planète – Bimes-triel. Publié par Solagral, organisationnon gouvernementale française crééeen 1980, agissant pour davantage desolidarité dans les régulations interna-tionales en matière d’agriculture, d’en-vironnement et de développement. Ànoter, le numéro 69, consacré auxcourants « pro » et « anti » mondialisa-tion et présentant de nombreuses res-sources documentaires. www.solagral.org/publications/cdp/index.htm

Le Monde diplomatique – mensuel.À travers enquêtes, reportages etanalyses, cette publication couvre lesgrands enjeux géopolitiques, avec unsuivi régulier des conflits régionaux et

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F. LEMONNIER, C. LAVIELLE

locaux et des relations internatio-nales. Sont également abordées lesquestions sociales, économiques etfinancières, la culture et les enjeux desociété (de la vie privée aux biotech-nologies, des armes aux logiciels).www.monde-diplomatique.fr

Third World Economics – Bimen-suel. Ce magazine aborde des sujetséconomiques et de développementen lien avec le tiers-monde. Il reflètedes points de vues représentant lesintérêts des personnes du Sud et pro-pose des analyses alternatives surl’actualité et les évolutions du monde. www.twnside.org.sg/twe.htm

Third World Resurgence – Mensuel.L’objectif de ce magazine est de trai-ter dans une perspective tiers-mon-diste l’ensemble des sujets auquel leTiers-monde est confronté directe-ment : environnement, santé et be-soins vitaux, affaires internationales,politique, économie, culture, etc.www.twnside.org.sg/twr.htm

Sites portail

Groupe d’Études et de Recherchessur les Mondialisations (GERM)

Cette association œuvre dans lesdomaines de la recherche, de l’éduca-tion et de la formation. Son réseau estreprésenté dans une cinquantaine depays et plus de 150 universités,centres de recherche et établisse-ments culturels. Son site Internet apour objectifs, d’une part, d’assurerune diffusion large et internationaledes travaux de son réseau, d’autrepart, de stimuler ces travaux par lacréation d’un espace éditorial et d’ou-tils innovants en rapport avec les pro-blématiques étudiées. Il est accessible

en cinq langues, espagnol, anglais,portugais, allemand et français, etpropose les rubriques suivantes :

– un dictionnaire critique desconcepts et expressions liés aux mon-dialisations ;

– une revue de presse multilingue,offrant plus de 1 800 articles d’analyseet d’actualité originaires de plus de350 sources internationales diffé-rentes ;

– des articles, des documents etdes liens sur des thématiques de l’ac-tualité des mondialisations : Union-Européenne, Développement durable,OMC, ZLEA (Zone de Libre Échangedes Amériques), Forums de Davos,New-York et Porto-Alegre, Diversitéculturelle et Pauvreté, Santé, Guerreet paix ;

– des études, rapports et monogra-phies ;

– des déclarations officielles etautres documents publics : projets detraités, décisions multilatérales,chartes et conventions internatio-nales.www.mondialisations.org

Réseau d’Information Tiers Mondedes centres de documentation pour ledéveloppement (Ritimo)

Le réseau compte quarante centresde documentation ayant notammentpour objectif d’informer le public leplus large possible sur le mal déve-loppement et ses causes. Il produitune base de données bibliogra-phiques de plus de 30 000 référencessur le développement durable et lasolidarité internationale ainsi qu’unebase de données d’outils pédago-giques.www.ritimo.org

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