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Histoire des Arts XIXme sicle
Anne Dumonteil et Aline Palau-Gaz, Service Educatif du Muse
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HISTOIRE DES ARTS XIXme SICLE LA PHOTOGRAPHIE ET LE
CINMATOGRAPHE, rel ou illusion ?
Le XIXme sicle se caractrise par de nombreuses innovations
techniques qui vont profondment modifier les pratiques artistiques
et le regard port sur le monde qui nous entoure. Les deux grands
apports de ce sicle sont indniablement la photographie invente en
1839 et le cinmatographe n en 1895. Il nest pas question ici de
faire un historique de ces deux innovations majeures relatives la
question de limage mais de les questionner dans leurs enjeux et
leurs spcificits. En effet, penser la photographie ou au
cinmatographe, cest envisager deux techniques denregistrement du
rel avec tout ce quelles peuvent avoir dobjectivit, voire de
neutralit. Or, il est paradoxal de constater que ces techniques
denregistrement du rel ont, ds leur invention, taient souvent mises
au service de la mise en scne, de lartifice, de la thtralisation et
de lillusion alors que cest du ct de la ralit et de son immdiatet
tangible que nous serions enclins les apprhender a priori. Voyons
donc en quoi ces deux techniques ont articul le rel et lillusion.
Si la photographie a cette capacit nouvelle, par rapport la
peinture, de saisir la ralit et la vie dans leurs manifestations
les plus quotidiennes avec objectivit, il apparat que ds ses dbuts,
elle a t utilise pour fixer des scnes construites de toutes pices.
Loin donc dtre un moyen denregistrer la ralit de manire factuelle
et documentaire, elle a t place sous lgide de lillusion, hrite de
la tradition picturale, dans lide de rpondre au got de lpoque du
travestissement et de la thtralisation. Cest essentiellement la
photographie victorienne, de 1840 1880, qui a mis en lumire cette
tendance avec des photographes comme Julia Margaret CAMERON
(1815-1879), Oscar Gustave REJLANDER (1813-1875), Henry PEACH
ROBINSON (1830-1901) ou encore Lewis CARROLL (1832-1898, Charles
Lutwidge Dodgson dit). Sous linfluence de modles picturaux, ces
photographes et dautres encore, entreprennent de mettre en scne des
sujets littraires, religieux, historiques ou de genre. Leurs
photographies apparaissent comme de vritables compositions
artistiques, largement ancres dans la pratique des tableaux
vivants, des charades mimes et du thtre amateur trs en vogue dans
les familles de la noblesse et de la bourgeoisie.
O.G. REJLANDER, Les deux faons de vivre, 1857, preuve l'albumine
argentique, 40,9x76,8, Moderna Museet, Stockholm
Roger FENTON (1919-1869), Zouave, 2me division, 1855, preuve sur
papier sal, LA County Museum of Art, LA
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Ces fantaisies photographiques tmoignent du got de lpoque
victorienne pour la narration et la fiction, au carrefour du monde
mdival des lgendes arthuriennes et de lunivers de Walter SCOTT ou
de William SHAKESPEARE et de la peinture. Cela traduit aussi le got
pour le dguisement et le travestissement qui permettait dtre, le
temps dune mise en scne photographique, un autre au sens large, un
autre dailleurs ou dune autre condition sociale. LAlbum de Mar
Lodge montre que la famille royale aussi se prtait volontiers cette
mise en scne de soi. Au-del de ces mises en scne, il est intressant
de se pencher sur les artifices qui ne rsultent pas de dcors et de
dguisements mais de manipulations faites la prise de vue ou avec
les ngatifs. Ainsi, une des photographies les plus clbres de cette
priode, The Two ways of life de O.G. REJLANDER, acquise par
Victoria pour son poux le Prince Albert, est la combinaison de
trente ngatifs diffrents donnant lieu une seule et mme image.
Cette approche de collage tmoigne de vritables tours de force
techniques rcurrents cette poque qui sont lorigine dun dbat sur la
nature artistique de la photographie. En effet, avec ces
photographies de grandes dimensions, utilisant parfois le
photomontage et le trucage, nous sommes l bien loin dune pratique
denregistrement du rel immdiat et quotidien. O.G. REJLANDER, Temps
durs, 1860, preuve lalbumine argentique, George Eastman house,
Rochester
Fantaisie et ferie se ctoient dans ces images produites par des
professionnels, souvent peintres de formation, ou par des amateurs
clairs comme pouvait ltre Lewis CARROLL qui pouvait retrouver par
ce mdium une imagerie construite de toutes pices qui ntait pas sans
rappeler son univers littraire. Ce got pour le merveilleux, que
partagent aristocrates et anonymes dans cette nouvelle pratique de
limage, trouve son apoge dans le travail de Julia Margaret CAMERON,
en particulier dans les annes 1864-1875, avec ses madones lenfant
et ses anges, ses bourgeois de Calais et ses personnages
shakespeariens trs influencs par la peinture prraphalite anglaise.
Ses illustrations photographiques taient conues pour ressembler aux
peintures lhuile issues de ce mouvement qui cherchait retrouver la
puret des primitifs italiens. Lintemporalit de ses mises en scnes
sophistiques, qui rompt avec un ralisme photographique de plus en
plus prsent dans cette dcennie, se cristallise pleinement dans sa
srie photographique, ralise en atelier en 1874-1875, illustrant Les
Idylles du roi de son ami Alfred TENNYSON (1809-1892) qui est un
recueil de pomes sur les lgendes arthuriennes.
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A gauche, Lewis CARROLL, Saint George et le dragon, 1875, preuve
lalbumine argentique, 11,6x14,8, Metropolitan museum of art, NY A
droite, Julia Margaret CAMERON, Gareth et Lynette, 1874, preuve
lalbumine argentique, 34,8x25,9
Il nous est permis de penser que le ralisme et la conformit de
ces mises en scne photographiques au sicle qui les a vues natre, se
situent dans la traduction des gots de lpoque : celui de lexotisme
et de lorientalisme, et plus largement des voyages, celui pour le
thtre et le dcor, celui pour la littrature et enfin celui pour les
innovations techniques. Ces engouements multiples se manifestent
dans lmergence de pratiques dartistes qui commencent tre
dcloisonnes et protiformes. Lexemple de Lewis CARROLL, crivain et
photographe, est significatif. Il a dailleurs la clairvoyance de ce
qui sera plus tard le spectacle cinmatographique puisquil crit en
1856 dans son journal " Je pense que ce serait une bonne ide que de
faire peindre sur les plaques dune lanterne magique les personnages
dune pice de thtre que lon pourrait lire haute voix : une espce de
spectacle de marionnettes". Avant de clore ce paragraphe sur la
photographie victorienne comme vecteur dillusion et de fantaisie,
il convient dvoquer une autre de ses richesses : la pratique
essentiellement fminine qui consiste en la ralisation dalbums.
Mlant le rel et lartifice, ils articulent des fragments de
photographies dtours et la pratique de laquarelle. Ces albums crs
dans les annes 1860 montrent, au fil de leurs pages, des
photomontages (ou photocollages) empreints, pour certains, de
ralisme et, pour dautres, de merveilleux. Cette pratique nglige et
oublie de jeu avec les images constitue un tmoignage sur les
loisirs des femmes aises de cette poque et sur une photographie qui
devenait de plus en plus accessible et quotidienne.
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Elisabeth PLEYDELL-BOUVERIE (?-1889), 1872-77, collection George
Eastman House, Rochester
Lexposition Playing with Pictures: The Art of Victorian
Photocollage lui est dailleurs consacre en cette anne 2010 lArt
Institute de Chicago, exposition qui voyagera ensuite New York et
Toronto. Cet vnement permet dexhumer ou, tout le moins, de mettre
au jour un phnomne de socit qui tait tout fait novateur en ce quil
articulait deux pratiques de limage, entre prsentation et
reprsentation, entre objectivit du rel et fantaisie, tout en
faisant merger la notion de dcoratif. Il est trs certainement
question dune vraie manifestation de la modernit dans cette
pratique fminine, avec ses hybridations, ses ruptures dchelle, ses
images surralistes avant lheure tantt teintes dhumour ou de
subversion.
Les auteurs ne sont pas toujours identifis et identifiables mais
quimporte ! Cest le tmoignage dune poque et des penses fminines
partiellement dvoiles dans ces manipulations dimages qui prime
ainsi que linnovation que la ralisation de ces albums
proposait.
Georgina BERKELEY (1831-1919), page de l'Album Berkeley,
1867-71, collage, aquarelle et tirages l'albumine, Muse d'Orsay
Constance SACKVILLE-WEST (1846-1929), page de l'Album
Sackville-West, 1867-73, George Eastman House, Rochester
Aprs avoir envisag la photographie dans ses manifestations
thtralises, illusionnistes et narratives, nous allons voir en quoi
elle rpond aussi sa spcificit technique de restitution du rel,
"puisquelle
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nous donne toutes les garanties dsirables dexactitude" pour
reprendre le mot de Charles BAUDELAIRE (1821-1867), de son Salon de
1859. Le domaine qui sera essentiellement abord sera celui de la
naissance du portrait photographique et de lide didentit.
Si des photographes comme Roger FENTON, Hippolyte BAYARD
(1801-1887) ou encore Oscar Gustave REJLANDER se mettent en scne
dans leur travail de limage, ce nest pas pour donner voir la ralit
de ce quils sont mais pour jouer un personnage linstant de la prise
photographique, un zouave pour le premier, un noy pour le deuxime
ou un soldat pour le dernier. Il nest pas question dun propos sur
lidentit propre mais sur la mise en scne de soi dans un rle
identifiable ou reconnaissable. Cest le personnage qui prime et non
la personne dans ces scnettes plus ou moins complexes sur le plan
du dcor, du dguisement ou de la composition. Lartifice est plus ou
moins masqu mais ce qui en ressort cest le sentiment de narration
photographique en lien avec un rcit de fiction.
Mais au moment o la mise en scne de soi comme personnage est
courante dans les pratiques photographiques sont galement conues
des images composes et fabriques intgrant la question de lidentit,
de la personne nomme et reconnaissable immdiatement. La tradition
du portrait pictural histori se perptue donc au moyen de
lenregistrement photographique. Une diffrence importante est
toutefois relever : les modles posent rarement habills en figures
mythologiques ou en hros prfrant jouer des rles nouveaux lis aux
horizons ouverts ou dmocratiss au XIXme sicle ou aux gots de cette
poque. Ainsi, lorient et le voyage sont souvent convoqus avec des
lments de dcor tels que des malles, des meubles volants en cannage,
des costumes ou accessoires exotiques alors en vogue, de mme que
les personnages contemporains ou les rles particulirement apprcis
en ce temps.
Warren THOMPSON se portraiture en artiste, en penseur ou encore
en arabe alors que Oscar Gustave REJLANDER se donne voir en
Garibaldi. Loin dtre un portrait (ou autoportrait) tel que nous
lentendons a priori, chaque image photographique est une vraie mise
en scne de la personne o le dcor et le costume sont toujours
particulirement soigns afin de viser la vraisemblance et de
tmoigner dune certaine authenticit. Il sagit donc de portrait de
fantaisie et de fiction o lidentit a sa place mais o elle ne se
suffit pas elle-mme dans la ralit physique et quotidienne du visage
et du corps. Rappelons-le, une fois encore, le got du dcor et du
travestissement tait trs marqu en ces temps o lon apprciait le
thtre, de ses formes les plus nobles ses manifestations les plus
populaires, la littrature et les contes ou encore lorientalisme. La
photographie, dans cette pratique artificialise du portrait,
apparat comme un substitut de la peinture puisquelle opre dans un
registre illusionniste, et non quotidien et immdiat. Nous nous
situons l dans un entre-deux du rel et de lillusion.
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Lewis CARROLL, Lorina et Alice Liddell en chinois, 1859, tirage
lalbumine argentique
Lewis CARROLL, Xie Kitchin, 1874, tirage lalbumine
argentique
Au-del de ces gots partags au XIXme, cest aussi une sociologie
de la photographie qui se dessine en regard de la production de
portraits. Rappelons dabord que la photographie demande, ses dbuts
et pour des dcennies, un temps de pose qui est loin de limmdiatet
que nous connaissons. Voil peut-tre un des lments qui expliquent la
question de lattitude et du dcor dans les pratiques
photographiques. Mais cela ne saurait suffire. Observer les
portraits photographiques du XIXme sicle, cest faire le constat dun
art de la posture et de la mise en scne o la personne joue
toujours, peu ou prou, un rle ou saffirme dans son rang social, sa
puissance ou sa renomme.
Ainsi, quil sagisse de personnalits, hommes de pouvoir ou
comdiennes, ou non, le portrait tmoigne dune fonction ou dune
qualit, ces dernires se manifestant au travers dlments de dcor et
dune mise en scne rigoureuse et soigne. Chaque dtail est pens dans
ce travail ralis presque exclusivement en studio : composition de
limage, lments mis en uvre, lumire. Les lments constitutifs de ces
dcors sont principalement des meubles, des rideaux ou une toile de
fond qui thtralisent et encadrent lensemble, des lments
architectoniques comme des colonnes qui structurent lespace et
vhiculent lide de pouvoir et de solennit.
Camille SILVY (1834-1910), Silvy dans le studio avec sa famille,
1866, tirage l'albumine, collection prive, Paris
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Camille SILVY, Ferdinand Philippe Marie d'Orlans, duc d'Alenon,
1861, tirage l'albumine, 8,5x5,5, National portrait Gallery,
Londres
Le dcor se met au service du ralisme de la photographie dans la
mesure o le modle se voit renforc dans sa fonction ou son rang par
des lments extrieurs lui qui lenvironnent et le situent. Cest
pourquoi, le cadrage est en plan moyen, afin de montrer le (ou les)
protagoniste(s) en pied mais aussi le lieu. A la diffrence des
portraits peints ou sculpts, cest la totalit du corps qui est
privilgie et non exclusivement le visage et le buste. Attitude,
posture, expressivit du corps et lments de dcor deviennent les
fondements de ces portraits photographiques qui dbordent la seule
question de lidentit propre. Regarder une photographie, cest avoir,
en effet, de nombreux indices sur la personne reprsente et sa place
dans la socit ce qui nous permet de penser que la fonction
photographique nest pas strictement identitaire, elle devient aussi
sociale. Si ralisme il y a, il ne se situe donc pas dans limmdiatet
de la prise photographique avec ce quelle pourrait avoir dobjectif
et de documentaire mais dans la restitution fidle ou dans
ladquation de la personne photographie et du dcor qui laccompagne.
Il est prciser, du point de vue de lhistoire de la photographie,
quun vnement important va marquer lanne 1854. En effet, cest lanne
o Andr Adolphe Eugne DISDRI met au point un nouvel appareil
photographique qui peut reproduire six huit clichs sur la mme
plaque de verre. Cela rompt avec le daguerrotype, qui ne permet
quun seul portrait et qui est, de fait, plus coteux. Cet appareil
utilisant le collodion humide va dmocratiser la photographie et la
dvelopper au travers du portrait-carte, aussi appel carte de visite
et dpos comme tel. Lengouement pour la photographie va prendre un
nouvel essor puisquelle devient une activit commerciale grande
chelle, avec cette rduction des cots et cette capacit reproduire
les images. Plus que jamais, elle saffirme comme un moyen de
reprsentation du statut social. Dun point du vue technique, les
photographies sont ralises avec plusieurs objectifs ce qui permet
une approche squentielle, visible lorsque les photographies ne sont
pas dcoupes et quelles se prsentent sous forme de planches (exemple
du portrait du Prince Lobkowitz reproduit ci-dessous). Dans la
ralit quotidienne du XIXme sicle, elles taient spares et
contrecolles sur une plaque de carton de 10,5x6,5 cm, do le nom de
carte de visite. La photographie ntait donc plus un luxe rserv
quelques-uns, elle se dmocratisait dans les couches aises de la
population, notamment sous limpulsion de Napolon III, lui-mme modle
de DISDRI, seul ou avec sa famille.
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Andr Adolphe Eugne DISDRI (1819-1889), Prince Lobkowitz, 1858,
tirage l'albumine argentique d'aprs une plaque de verre, 20x23,2,
Metropolitan museum, NY
Andr Adolphe Eugne DISDRI, Napolon III, vers 1857-60, tirage
lalbumine argentique, format carte de visite
Avec le dveloppement des cartes de visites nat la pratique de
lalbum dans les familles ainsi que lide de la carte comme
marchandise, avec lapparition de collections. Ainsi, il a t vendu
plus de trois millions de cartes de la Reine Victoria entre 1860 et
1862. Notons quoutre les photographies des puissants, ce sont aussi
les cartes des comdiens qui sont la mode avec le got marqu au XIXme
pour le thtre et pour le spectacle. Il est intressant de constater
que lidentit propre des personnes photographies saffirme de plus en
plus, notamment au travers du cadrage qui volue. Dun plan moyen qui
donnait voir les lments de dcor, la prise photographique se
rapproche comme nous pouvons le constater dans le portrait de
Napolon III par DISDRI ou dans ceux des comdiennes prises par le
studio londonien DOWNEY dans les annes 1890. Il nest pas encore
question de plan rapproch taille ou poitrine comme nous lentendons
aujourdhui mais de plan amricain. Le regard se concentre davantage
sur la physionomie marquant davantage lidentit propre avec la
singularit des traits et non le statut social par lentremise du
dcor et dun espace organis et scnaris.
Studio DOWNEY (W. & D. DOWNEY) A gauche, Sarah Bernhardt,
1890, Woodburytype National portrait Gallery A droite, Lillie
Langtry, 1891, 22,9x17,8
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La photographie est la mode. Tout un chacun en possde et dsire
se faire photographier par les studios qui se multiplient: DISDRI,
CARJAT, NADAR, MAYER ou encore PIERSON. A ces ateliers
professionnels de qualit sopposent des ateliers o le travail savre
standardis et mdiocre, pour rpondre une demande de plus en plus
forte et sans exigence artistique. Cest ce que NADAR (1820-1910,
Adrien Gaspard-Flix Tournachon dit) dnonce dailleurs propos de ses
concurrents MAYER ET PIERSON qui se contentent " d'un format peu
prs unique, singulirement pratique pour l'espace de nos logements
bourgeois. Sans s'occuper autrement de la disposition des lignes
selon le point de vue le plus favorable au modle, ni de
l'expression de son visage, non plus que de la faon dont la lumire
claire tout cela. On installait le client une place invariable, et
l'on obtenait de lui un unique clich, terne et gris la
va-comme-je-te-pousse ".1 Mais que se passe t-il du point de vue de
la perception et de lenregistrement du rel ? Il est indniable que
la photographie didentit saffirme de plus en plus en tant que
reprsentation de la physionomie des modles. Le dcor et les indices
se rapportant la personne photographie disparaissent de plus en
plus laissant pleinement sa place la ralit physique du corps, cadr
mi cuisses, la taille ou la poitrine, et plus rarement au niveau du
visage. Ainsi, dans les portraits de NADAR reprsentant les clbrits
artistiques de son temps (crivains, artistes peintres, musiciens ou
comdiens) rares sont les lments extrieurs lis aux modles qui
subsistent. Ce que privilgie cette gnration de photographes
franais, cest limage de la personne dans la singularit de ses
traits, de son regard et de son attitude. Une tude de la place des
mains dans des poses classiques est galement au cur du travail de
NADAR qui fait ainsi cho la pratique ingresque du portrait. Il nest
nullement question dexagration dans les attitudes et les
expressions ; ce qui prime, cest la restitution fidle de lidentit
et de lessence du modle.
NADAR, Victor HUGO Sarah BERNHARDT Gustave COURBET
Pour cela, la lumire est savamment travaille ainsi que la
posture afin de traduire la sensibilit, la concentration ou lesprit
du modle. Il sagit donc de portraits didentit, de portraits
physiques, mais qui, au-del de lapparence, visent aussi montrer
lintriorit, ce qui nous amne les considrer comme des photographies
artistiques et non seulement comme des photographies documentaires.
Rappelons, ce propos, que cette pratique de limage a toujours
suscit des rserves, voire des critiques, notamment de
1 NADAR, Quand j'tais photographe, Paris, Flammarion, p.
198.
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la part de Charles BAUDELAIRE dans son Salon de 1859, pour qui "
lart est et ne peut tre que la reproduction exacte de la nature".
Et de conclure " Un moyen industriel ne peut prtendre lart, dont la
vocation est dexprimer le beau ". En regard de toutes ces pratiques
photographiques mises en scne ou plus soucieuses de la question de
lidentit, il est mentionner que le XIXme sicle est galement porteur
dun type de photographie strictement identitaire et documentaire
qui sera mis au point par Alphonse BERTILLON (1853-1914) ds 1870.
Nous sommes, avec son travail, dans un enregistrement et une
restitution les plus fidles et les plus objectifs possible de la
ralit physique des personnes et dans lmergence de la notion
dindividu. De quoi sagit-il exactement ? Le bertillonnage est le
premier systme didentit judiciaire qui avait pour projet de
distinguer les individus au moyen de deux photographies (visage de
face et de profil, cadr en gros plan et neutre sur le plan de
lexpression) et de quatorze mesures particulires (taille, mains,
pieds, oreilles). Ces fiches, labores partir de 1882, lorsquelles
taient dment compltes permettaient didentifier de manire prcise et
sans ambigut les dlinquants et les criminels. Il est rappeler que
BERTILLON est un criminologue et que, dans ce cadre l, il recourt
la photographie uniquement pour saisir la ralit physique des
personnes et pour contribuer une anthropomtrie judiciaire. Cest
lobjectivit du mdium photographique qui lintresse et sa capacit
saisir les caractristiques individuelles et les singularits
physiques. Si lanalyse des donnes qui en a t faite est souvent
contestable, il nen reste pas moins que le travail de BERTILLON
prsente un intrt dans lhistoire de la photographie, avec ce quelle
peut avoir de documentaire et dobjectif, et dans la construction de
la notion didentit photographique.
Exemple de fiche. Ici, celle de BERTILLON (1891)
Une des quatorze mesures du corps
Pour conclure sur ces pratiques photographiques qui oscillent ds
1839 entre illusion et objectivit de la reprsentation, en passant
par de savants mlanges de fantaisie et de rel, nous pouvons
affirmer que la technique de la photographie a modifi le rapport
limage et sa diffusion et la relation que les personnes
entretenaient avec leur propre reprsentation. En outre, cest la
question de lidentit photographique qui sest construite tout au
long des premires dcennies de lhistoire de ce mdium. Il est
dailleurs noter quelle trouve encore des chos de nos jours avec le
photomaton qui apparat comme
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la version actuelle de lappareil de DISDRI, le cadrage de la
photographie didentit ou encore les fiches de police qui
sapparentent ceux inaugurs par BERTILLON. Mais si le XIXme sicle
est riche de linvention de la photographie et des images quelle a
pu produire, il est ncessaire de rappeler les approches
systmatiques et pseudo scientifiques quil a aussi engendres. Sous
couvert de critres et de caractres rcurrents, des typologies et des
profils ont t labors dans le cadre de recherches quelles soient
criminelles, anthropologiques, sociologiques ou encore
ethnologiques. Le recul historique nous a montr les limites et les
dangers de ces approches qui, oubliant la personne ou lindividu,
sintressait davantage un type avec ce que cela peut avoir de
classificatoire et de rducteur sur le plan scientifique. Cest le
cas notamment des thories eugnistes dArthur BATUT (1846-1918)
fondes essentiellement sur des photographies.
A gauche, Francis GALTON (1822-1911), composite des grands
mathmaticiens amricains A droite, Arthur BATUT, composite des
hommes de sa propre famille
QUESTIONNEMENTS EN RELATION AVEC LA PHOTOGRAPHIE, SES DMARCHES
ET SES ENJEUX
Henry PEACH ROBINSON, Deux photographies de la srie Jeune fille
au chapeau rouge, 1858, preuve l'albumine, 23,3x18,7, National
museum of Photography, Bradford, Angleterre
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- Rflexion sur la rfrence de ces photographies et sur les
notions de narration et de squence - Rflexion sur le passage de
lcrit lillustration et lillustration photographique (enjeux de
chacun des mdiums)
Lewis CARROLL, Saint George et le dragon, 1875, preuve lalbumine
argentique, 11,6x14,8, Metropolitan museum of art, NY
Andr Adolphe Eugne DISDRI, Les enfants Richie, 1862, portraits
carte de visite non dcoups, tirage albumino-argentique, 19,1x23,5,
Nat. Gall. of Australia, Canberra
- Reprage des lments qui contribuent la thtralisation de la
photographie - Rflexion sur la narration au travers de ces deux
exemples photographiques
NADAR, Sarah Bernhardt, 1864 NADAR, Sarah Bernhardt en Thodora
de Victorien
Sardou, 1882, 14,6x10,5
- Analyse comparative de ces deux photographies du mme modle par
NADAR (posture, dcor, vtement, cadrage, intention du
photographe)
- Rflexion sur les questions personne / personnage et identit /
rle
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Andr Adolphe Eugne DISDRI, Napolon III et sa famille, 1859,
format carte de visite
Andr Adolphe Eugne DISDRI, Napolon III, vers 1857-60, tirage
lalbumine argentique, format carte de visite
- Analyse comparative de ces deux photographies de Napolon III
(image de soi, image du pouvoir,
dcor, attitude, intention du photographe et du modle) - Rflexion
sur le cadrage et ses implications
- Rflexion sur larticulation personne, individu
et identit - Rflexion sur les chos contemporains du
travail dAlphonse BERTILLON Alphonse BERTILLON, Fiche de Francis
GALTON, 1893
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John William WATERHOUSE (1849-1917), The Lady of Shalott, 1888,
huile sur toile, 200x153, Tate Gallery, Londres
Henry PEACH ROBINSON, The Lady of Shalott, 1861, preuve
lalbumine argentique daprs deux ngatifs, 30,4x50,8, Coll.
Gernsheim, University of Austin, Texas
- Analyse comparative des deux oeuvres dont le sujet est
identique avec rflexion sur les
spcificits de chacune et les particularits de chacun des mdiums
- Rflexion sur larticulation peinture / photographie, sur leurs
influences rciproques et leurs
apports mutuels au XIXme sicle - Rflexion sur la question du
photographique