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This is an author version of the contribution published on: Ruggero Druetta "Quoi comme voiture?" La predication seconde dans la construction d'une proforme interrogative FAITS DE LANGUES (2009) 31-32
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« Quoi comme voiture? » La prédication seconde dans la construction d’une proforme interrogative

Mar 31, 2023

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Giuliano Bobba
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Ruggero Druetta"Quoi comme voiture?" La predication seconde dans la construction d'une

proforme interrogativeFAITS DE LANGUES (2009) 31-32

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Version manuscrite de l’article paru dans Faits de Langues 31-32 (2008), pp.369-378

« Quoi comme voiture? » La prédication se-conde dans la construction d’une proforme in-

terrogative

Ruggero Druetta*

Parmi les constructions interrogatives « non standard » du français, la structure quoi comme N figure parmi les plus méconnues, bien que l’usage courant indique un recours assez abondant à ce type d’interrogation, comme le montrent les dépouillements de corpus que nous avons effectués préalablement à cette étude1. Il ne s’agit pas par ailleurs d’un hapax dans le panorama des langues européennes : l’allemand possède une structure analogue, fondée sur la préposition für et avec article, qu’on retrouve en français de Belgique ; parmi les langues romanes, l’italien et l’espagnol connaissent une structure semblable, pouvant utiliser, de surcroît, l’équivalent de la préposition de :

(1) all. was ist für ein Wagen ? (c’est quoi comme voiture?) (2) qu’est-ce que c’est pour une voiture ? (français de Belgique) (3) it. cosa ti metti di/come maglione ? (tu mets quoi comme tricot ?) (4) es. ¿Qué quieres de/como regalo ? (tu désires quoi comme cadeau ?) La large utilisation de cette forme et le type de questionnement qu’elle

permet (questionnement sur la qualité, forme supplétive de quel genre de N), nous ont poussé à analyser de plus près ce que nous considé-rons comme une proforme complexe et à y reconnaître une relation pré-dicative secondaire qui la structure.

1. LA PREDICATION SECONDE : DEFINITIONS, APORIES ET TYPOLOGIE

* Università di Urbino « Carlo Bo » et Università di Torino ; courriel: [email protected]; [email protected]. 1 Notre corpus de travail a été constitué à partir des corpus G.A.R.S. et D.E.L.I.C., ainsi que de quelques corpus personnels de français parlé ; nous avons ensuite élargi la recherche d’exemples aux écrits interactifs des forums Internet, ce qui nous a permis d’atteindre environ 200 occurrences de la struc-ture analysée.

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La notion de prédication seconde est souvent convoquée pour décrire des phénomènes fort différents mais qui, tous, présentent un rapport sémantique binaire entre deux constituants dont un au moins est intégré à une construction verbale CV1 (la prédication principale), de type sup-port – apport, thème – rhème, argument – prédicat. La relation entre les constituants n’est pas elle-même organisée par un verbe autonome, à tel point qu’on est souvent tenté de décrire cette relation en termes d’ellipse verbale ou d’« effet de sens ». Répondant à des évidences empiriques primordiales, la diversité des constructions où se manifeste la prédication seconde pose de manière cruciale le problème de sa définition. Wilmet (1997) avance une défini-tion sémantique assez vaste :

« Greffée sans copule sur un terme quelconque de la prédication première, la prédication seconde confère à son thème la fonction d’apposé, à son rhème la fonction d’apposition » (p. 525). La définition de Wilmet, intéressante car elle unifie sous une même

étiquette toutes les constructions manifestant une tension prédicative à l’intérieur de l’énoncé, est cependant trop large, car elle ne permet pas de séparer les constructions où le « rhème » n’est pas lui-même cons-truit par le verbe (les « appositions » et « épithètes détachées ») de celles où aussi bien le « thème » que le « rhème » sont régis (les attri-buts du complément d’objet, par exemple)2.

Cadiot et Furukawa (2000), quant à eux, proposent une définition en deux temps, distinguant les aspects syntaxiques (intégration de la sé-quence) et sémantiques (le contenu phrastique) :

« La prédication seconde, c’est celle qui est réalisée par un type de sé-quence qui, malgré son statut syntaxiquement intégré, exprime sémantique-ment un contenu phrastique à l’intérieur même de la phrase » (p. 3 ; cf. aussi Furukawa 1996, p. 7). « La prédication seconde, c’est celle qui est réalisée par un type de sé-quence qui est syntaxiquement intégré à la phrase, mais dans lequel l’élément nominal concerné ne constitue pas sémantiquement une tête par rapport à l’élément non nominal impliqué » (p. 4). La deuxième définition de ces auteurs, plus restrictive que celle de

Wilmet, semble exclure toutes les séquences où la relation prédicative n’est pas médiatisée par le verbe constructeur de la CV1, et où la partie prédicative de la séquence n’est pas intégrée à la CV13, ce qui écarterait les constructions détachées décrites par Combettes (1998), les épi-thètes détachées ainsi que les appositions.

2 Voir, pour une critique de cette approche, Scheppers (2002). 3 Cf. Caddéo (2002), p. 282.

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Méthodologiquement, nous préférons adopter une définition pure-ment sémantique, comme celle de Wilmet, malgré l’ambiguïté des termes apposé, apposition, pour distinguer ensuite des catégories sur la base de la réalisation syntaxique de la prédication seconde. On pourra ainsi distinguer au moins trois cas de figure : 1) Nexus4 prédicatif régi par le verbe constructeur : le véritable objet du verbe c’est la relation prédicative unissant les deux parties du nexus, globalement pronominalisable par ça. Par conséquent, aucun des consti-tuants ne peut être supprimé sans modification notable du sens :

(5) Je regarde Paul dormir / qui dort (5’) Je regarde ça (6) * Je regarde dormir / qui dort (7) ? Je regarde Paul

2) Attributs construits directement ou indirectement : le constituant pré-dicatif secondaire est l’une des valences prévues par le lexique verbal5 à côté de l’objet ; ce constituant peut précéder le support mais sa sup-pression modifie la valence et, partant, le sémantisme verbal ; le groupe objet + constituant prédicatif n’est pas pronominalisable par ça :

(8) Je juge cet exposé intéressant – Je juge intéressant cet exposé (8’) ? Je juge ça (9) * Je juge intéressant (10) ? Je juge cet exposé6

De même, les attributs construits indirectement : il considère cet homme comme un étranger ; Marie m’a pris pour un autre. 3) Appositions et constructions détachées : les constituants prédicatifs ne sont pas intégrés à la construction verbale, par conséquent leur sup-pression n’a aucun effet sur la bonne formation de l’énoncé ; s’établissant en dehors de la prédication principale, la relation prédicative secondaire n’est donc ni prévue ni conditionnée par le lexique verbal.

(11) Pierre, un ami, est passé chez moi hier matin (12) S’ouvrant aux autres, elle a oublié son chagrin (13) Comme date, je vous propose le 27 juillet (14) C’est toujours ça de gagné

4 Cf. Jespersen (1971). 5 Ou alors il peut s’agir d’une extension de valence ; cf. Muller (2000). 6 Dans ce cas, la présence ou l’absence de l’attribut ne modifie pas la structure actancielle, tandis que dans le cas du nexus, l’absence de la partie prédicative de celui-ci modifie profondément la structure actancielle (l’objet du verbe, en effet, n’est plus une relation prédicative mais un SN) et, partant, le sémantisme verbal.

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C’est à cette troisième catégorie que semble appartenir la proforme quoi comme N, ainsi que l’indique l’examen de ses propriétés distribu-tionnelles ci-après.

2. CARACTERISTIQUES DISTRIBUTIONNELLES DE QUOI COMME N

2.1. Le déterminant dans le constituant comme N

Dans la construction interrogative quoi comme N, on remarque l’absence de déterminant dans le constituant comme N, ce qui permet notamment de discriminer l’emploi comparatif de l’ « autre » comme7 :

(15) il écoute quoi comme (*une) musique ? (16) tu aimes quoi comme voiture / collaborateur ? (16’) ? tu aimes quoi comme une voiture / un collaborateur ? (17) il pense à quoi comme musique (= à quel type de musique pense-t-

il ?) (17’) il pense à quoi comme à8 une musique (comme il penserait à une

musique) ? Dans ces exemples, l’article force l’interprétation comparative ; du

point de vue sémantique, l’absence d’article donne au groupe comme N un caractère purement intensionnel (il délimite une classe, sans identifier aucun spécimen), alors qu’il revient à la proforme quoi (ou au SN qu’elle sous-tend) d’en marquer l’extensité9, via l’instanciation d’un spécimen de la classe indiquée par N, dans une relation méronymique. Ce même fonctionnement se retrouve avec les indéfinis en quoi (quoi que ce soit, n’importe quoi), avec rien et avec le neutre ça.

2.2. Position de comme N

La position du constituant comme N est théoriquement libre, ce qui permet de postuler un degré d’intégration variable : il peut être détaché en position frontale, position thématique prototypique10 (avec ou sans pause prosodique), suivre immédiatement la proforme quoi ou être dislo-

7 Damourette et Pichon, qui consacrent une longue étude à comme (tome VII), préfèrent par contre unifier la description de ce « strument » sous le signe de la comparaison. Cf. aussi Portine (1996). 8 Le caractère comparatif de comme est également manifesté par la répétition de la préposition prévue par le verbe, dans cette small clause sans répétition du lexique verbal. 9 Cf. Hulk (1996), p. 52. 10 Cf. Furukawa (1996), chap. 1.

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qué en position finale11, après d’autres constituants régis par le verbe ou adjoints à la CV12 :

(18) mais comme boulot tu fais quoi ? (19) tu parles quoi comme langues ? (20) A Valeuil vous avez fait quoi comme métier, en fait, dans votre vie ? (21) je sais pas quoi mettre comme condition de départ (22) Donnie Darko, c’est quoi ça comme nom ? Néanmoins, malgré cette liberté théorique, les attestations de corpus

documentent presque exclusivement la configuration avec comme N conjoint à quoi postverbal, ce qui indiquerait une certaine stabilisation de ce tour, dont les différents éléments peuvent être considérés globale-ment comme une proforme interrogative complexe13.

Inversement, le remplacement de la proforme par un SN ordinaire (dans la phrase assertive, par exemple) exclut généralement la position conjointe de comme N et n’est compatible qu’avec la dislocation en posi-tion frontale, assortie d’une pause (virgule) à l’écrit, ce qui affaiblit le lien entre les éléments de la construction, donnant à comme N un statut résolument thématique :

(23) Vous écoutez quoi comme musique ? (24) ? J’écoute Vivaldi comme musique (24’) Comme musique, j’écoute Vivaldi (25) C’est quoi comme colombes ? (26) ? C’est des palombes comme colombes (26’) Comme colombes, c’est des palombes Lorsque quoi a un emploi percontatif, il garde sa position conjointe,

alors que comme N est rejeté après le verbe de l’infinitive : (27) je refais mon bac (350 litres ) et je cherche quoi mettre comme sol nu-

tritif (27’) * je cherche quoi comme sol nutritif mettre (28) je sais pas trop quoi choisir comme ski (28’) * je sais pas trop quoi comme ski choisir

11 D’après Furukawa (1996), malgré la symétrie apparente entre position initiale et position finale, le constituant détaché en position finale ne jouerait plus le rôle de thème mais de simple « supplément d’information » (p. 33-35). 12 Lorsque la proforme est représentée par la suite grammaticalisée qu’est-ce que (Druetta 2002 et 2003), le constituant comme N ne peut pas la suivre immé-diatement, à cause de restrictions topologiques sur la place respective de la proforme et du verbe, entre lesquels on ne peut rien intercaler mais il garde toutefois la position postverbale, ce qui indiquerait une identité de structure (ex. qu’est-ce que vous avez exercé comme métier [Nouguier 110,13-15]). 13 Sur environ deux cents exemples recueillis, nous n’avons recensé que deux énoncés avec antéposition de comme N et trois avec un adjoint intercalé entre quoi et comme N. Les exemples de détachement final sont absents.

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En revanche, le remplacement de cette construction par quel (genre

de), qui aboutit à un SN ordinaire, permet à ce SN de ne pas être sépa-ré :

(27’’) je cherche quel (genre de) sol nutritif mettre (28’’) je sais pas trop quel (genre de) skis choisir Cette différence de distribution correspond, d’après nous, à deux

types de relations à l’œuvre dans ces segments, la relation prédicative de quoi comme N n’étant évidemment pas assimilable à la détermination dans quel (genre de) N.

2.3. Extraction et modalités

L’extraction et le contraste de modalités sur comme N donnent des énoncés mal formés, ce qui montre le caractère non régi du constituant comme N14 :

(29) ? Tu lis quoi comme journal pas comme magazine ? (30) ? c’est comme voiture que j’ai une Peugeot (31) * c’est comme stylos (pas comme feutres) que j’achète des Bic Par contre, lorsqu’on extrait l’ensemble quoi/SN comme N, on re-

marque une différence de comportement entre la proforme interrogative et un SN ordinaire : les énoncés contenant la proforme sont acceptables, tandis que ceux qui contiennent un SN n’admettent pas l’extraction groupée15 :

(32) tu as quoi comme voiture ? (32’) c’est quoi comme voiture que tu as ? (32’’) ? c’est une Peugeot comme voiture que j’ai16 (33) c’est quoi comme sports qu’il y a ? (33’) ? c’est de la natation et du tennis comme sports qu’il y a (34) c’est quoi comme pantoufles que vous aimez ? (34’) ? c’est des anglaises comme pantoufles que nous aimons

14 Le test est appliqué à des propositions assertives, car la focalisation sous modalité interrogative crée une question totale, incompatible avec la proforme interrogative (*c’est comme voiture que tu as quoi ?). Parfois l’extraction, combi-née avec le sémantisme verbal, peut déclencher l’interprétation comparative ou attributive (donc régie) de comme N : ex. c’est comme élève (pas comme prof) que je préfère Yann. 15 Conformément à ce que nous avons observé à propos des énoncés (24) et (26). 16 Certains témoins signalent que la modalité négative rend encore plus problé-matique le clivage du groupe SN comme N, tandis qu’elle passe bien dans le dégroupage : ?? ce n’est pas une Peugeot comme voiture que j’ai vs ce n’est pas une Peugeot que j’ai comme voiture.

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La meilleure acceptabilité de la proforme par rapport au SN dépend du niveau d’intégration plus élevé de ces constituants, du fait de la relation prédicative secondaire, mais aussi d’un début de grammaticalisation, qui permet à cet assemblage de fonctionner seul, sans besoin d’un verbe constructeur médiatisant la relation entre ses constituants. Ce test nous permet par ailleurs d’écarter une analyse du groupe quoi comme N en termes de détermination nominale, car il est toujours possible d’extraire la proforme quoi, en la séparant du reste du groupe (ex. 35), ce qui n’est pas le cas de la tête nominale d’un SN comportant une détermina-tion (ex. 36) :

(35) c’est les vertes que j’aime comme pantoufles (* c’est les vertes

comme pantoufles que j’aime) (36) Il mange une glace au chocolat * c’est une glace qu’il mange au

chocolat (* c’est au chocolat qu’il mange une glace)

Alors que les éléments des SN comportant une détermination ne peu-vent pas être séparés, notamment par un dispositif d’extraction, le groupe quoi comme N admet explicitement cette possibilité, à l’instar d’autres binômes prédicatifs secondaires17.

Nous conclurons ce paragraphe sur les modalités en remarquant que, à l’instar des constituants apposés18, comme N n’est pas affecté par la modalité du verbe : dans les exemples suivants, la présupposition appor-tée par comme musique reste la même (il aime la musique, il aime un certain type de musique), et celle-ci n’est pas modifiée par la modalité négative du verbe.

(37) il aime ça comme musique (37’) il n’aime pas ça comme musique (37’’) ce n’est pas ça qu’il aime comme musique

2.4. La pronominalisation du SN

Si l’on teste la substitution clitique du quoi ou du SN à gauche de comme N, on aboutit souvent à des phrases peu acceptables, voire agrammaticales, tandis que l’emploi du démonstratif neutre (ça) est net-tement meilleur.

(38) Il a quoi comme voiture ? (une Peugeot) (39) * Il l’a comme voiture / *comme voiture, il l’a (39’) Il a ça comme voiture

17 Cp. C’est son lait qu’il boit tiède – c’est tiède qu’il boit son lait ≠ c’est son lait tiède qu’il boit ; c’est deux places que j’ai de libres – (?) c’est deux places de libres que j’ai. 18 Cf. Combettes (1998), p. 13 et Caddéo (2002), p. 280.

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(40) Vous parlez quoi comme langues ? (l’allemand et le tchèque) (41) ? Je les parle comme langues19 (41’) Je parle ça comme langues Un comportement analogue (pronominalisation par ça, blocage des

clitiques) se manifeste avec la cataphore pronominale des noms déter-minés (c’est un médecin vs il est médecin) ; avec des propositions évé-nementielles (j’aime ça quand tu souris vs *je l’aime quand tu souris)20, ou avec l’antécédent des relatives appositives, qui ne peut être cliticisé (Paul a rencontré Marie, qui est sa meilleure amie : Paul l’a rencontrée, *qui est sa meilleure amie). Dans ce dernier cas, la relative, bloquée par le clitique, est en revanche permise par le démonstratif21 :

(42) Pierre va acheter cette maison, dont personne ne veut (42’) Pierre va *l’acheter / acheter ça, dont personne ne veut 22 Il est tout à fait remarquable que les prédications secondes en

de manifestent le même fonctionnement : (43) il a deux pizzas de chaudes * il les a de chaudes / il a ça de chaud ;

il en a deux de chaudes On observe par ailleurs que le lexique verbal joue un rôle dans

l’acceptabilité de la transformation pronominale : lorsque le lexique verbal est compatible – directement ou par subduction – avec une construction à attribut de l’objet en comme, la cliticisation de l’objet est non seulement admise comme l’une des possibilités, mais son utilisation sélectionne l’interprétation attributive, médiatisée par le verbe principal, de comme N. Tel est le cas, par ex., du verbe choisir :

19 L’insertion d’un adverbe améliore dans bien des cas l’acceptabilité des cons-tructions avec clitique : (Cette Peugeot) il l’a toujours comme voiture; je les parle souvent (volontiers, assez bien) comme langues. On peut se demander si cela modifie le sémantisme profond du verbe, qui en vient à admettre un attribut en comme, comme dans le cas de avoir + toujours (synonyme de garder) ou si la présence de l’adverbe « étoffe » simplement le clitique, à travers l’évocation d’une occurrence discursive antérieure. 20 Cf. Jeanjean (1983) et (1985), Boone (1998), Cadiot (1998), Druetta (2001). 21 La pronominalisation de l’antécédent permet par ailleurs de discriminer entre relatives appositives et restrictives : pour l’antécédent de la relative appositive, on utilise des démonstratifs bornés à droite, comme celui-ci/là…ça, tandis que dans le cas de la relative restrictive le démonstratif est ouvert : sa borne droite est constituée par la relative elle-même. Par ex., en parlant d’achat d’aspirateur, on opposera : Je veux celui qui n’a pas besoin d’entretien et Je veux celui-ci (ça), qui n’a pas besoin d’entretien. 22 Lorsque la relative contient des éléments anaphoriques renvoyant directement aux marques morphologiques de l’élément pronominalisé, l’emploi de la forme pronominale fléchie est obligatoire : il a acheté celle-là/*ça, qui est la plus belle.

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(44) tu choisis quoi comme stylos ? Des Bic (45) je les choisis comme stylos (ceux-ci vont être désormais mes stylos) (45’) je choisis ça comme stylos (parmi toutes les marques, voilà ce que je

choisis) L’incompatibilité du lexique à gauche de comme N avec la cliticisa-

tion, ainsi que les schémas actanciels différents des verbes admettant ou interdisant un clitique à côté de comme N prouve assez clairement le statut non régi de ce constituant, quelle que soit sa position dans l’énoncé. En dislocation frontale (rôle sémantique de thème), il est exté-rieur à la CV (ce peut être un adjoint d’un élément de la CV23) ; dans le cas de la construction postnominale conjointe, par contre, il se rattache directement à un SN ou à une proforme, notamment quoi, mais pas au verbe. C’est dans ce dernier cas que l’émergence d’une prédication as-surant, entre autres, la cohésion du groupe se manifeste le plus nette-ment.

3. QUOI COMME N ET LA PREDICATION SECONDE

Les propriétés distributionnelles que nous avons dégagées indiquent de manière convergente l’existence d’une relation prédicative dans quoi comme N, indépendante de la prédication verbale (qui peut être absente dans certains cas). L’absence de déterminant dans le groupe comme N, tout d’abord, qui permet de discriminer cet emploi de comme de son usage comparatif, confère au constituant comme N un caractère pure-ment intensionnel ; son rôle sémantique est donc celui, typiquement prédicatif, d’attribution d’une propriété à un support ; c’est à ce dernier que reviendra la charge de fournir les marques d’extensité.

Le blocage des clitiques et la pronominalisation par ça, quant à eux, confirment, du côté de l’élément support intégré à la CV, la présence d’une relation prédicative secondaire. C’est l’emploi de ça qui s’avère crucial de ce point de vue : « la reprise par ce / ça induit une saisie de l’élément disloqué comme un argument d’une proposition et non comme une valeur […] Avec ça ou ce, la dislocation mettrait en jeu deux relations prédicatives en les soudant » (Blasco-Dulbecco 1999, p.121). On peut en effet postuler que dans un énoncé en quoi comme N, la pro-forme quoi – toujours remplaçable par ça – est prise dans deux relations prédicatives : la première organisée autour du verbe conjugué, la deu-xième posant un rapport attributif binaire avec comme N. « Vous aimez plutôt quoi comme pantoufles » peut donc recevoir la représentation sémantique suivante :

23 Ex. : Comme film, ce n’est pas très intéressant ; toutefois, il y a aussi des cas où le constituant comme N porte sur l’ensemble de la CV et pas sur un élément en particulier : comme précaution, on a vacciné tous les enfants. Ce type d’incidence est beaucoup plus problématique avec le détachement final.

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(46) [p1 vous aimez plutôt (p2 quoi] comme pantoufles) Le double parenthésage avec constituant pivot correspond exacte-

ment à celui proposé par Furukawa (1996, p. 114) pour les prédications secondes du type « il y a une place de libre ». Cela permet de prévoir, conformément aux données, que la suppression du verbe conjugué n’entraîne ni la mauvaise formation de l’énoncé, ni la perte de la relation prédicative secondaire, alors que la suppression de comme N modifie la structure sémantique de l’énoncé (perte de la prédication seconde). La suppression de quoi, enfin, rend l’énoncé agrammatical, car les deux segments résiduels n’appartiennent plus à la même proposition. Les tests d’extraction et de contraste de modalités mettent en évidence que, dans cet emploi, comme N n’est pas régi par le verbe, ce qui le soustrait aux restrictions lexicales d’autres types de prédications se-condes, mais ils montrent aussi qu’il ne s’agit pas non plus d’une déter-mination nominale ordinaire, ce qui est évidemment de la plus grande importance pour la thèse que nous avons avancée. Ces tests nous ont en outre permis de ne pas amalgamer cette structure à l’emploi compa-ratif de comme. Dans ce cas, en effet, comme n’introduit pas une propo-sition réduite, contrairement à la construction comparative, mais il relie directement le support et l’apport réalisant la prédication. L’emploi pure-ment prépositif de comme permet, dans cette optique, d’accomplir la réduction de thématicité indiquée par Furukawa (1996, p. 63-65) comme l’une des caractéristiques essentielles de la prédication seconde. Les données relatives à la position postverbale conjointe du constituant comme N lorsque celui-ci accompagne la proforme interrogative confir-ment en effet son statut non thématique, ce qui le rend disponible pour l’émergence d’une prédication seconde.

L’instauration d’une relation pareille stabilise l’ordre topologique des constituants et configure, à terme, un processus de grammaticalisation assorti d’une réanalyse sémantique de la structure, qui passe d’une question sur l’identité (la réponse est une instanciation lambda de la proforme) à une question sur la qualité (la proforme est déjà instanciée par comme N ; la réponse doit qualifier sémantiquement et actualiser morphologiquement l’intension purement virtuelle que la question a mise en place). Quoi comme N, centré sur une seule relation de type prédica-tif, acquiert par là le rôle de forme supplétive de quel (genre de) N, préfé-rable à ce groupe nominal complexe composé de deux déterminations emboîtées sur N, où la proforme occupe la position la plus extérieure, généralement non accentuée, alors que dans quoi comme N, la proforme est à la fois le noyau de la construction interrogative et le porteur de l’accent de groupe.

Enfin, il faut remarquer le parallélisme existant entre cette construc-tion et celle en de + adj. (j’ai deux pizzas de chaudes), que nous avons déjà évoquée : dans les deux cas, seule la pronominalisation par ça est

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possible (j’ai ça de chaud vs *je l’ai de chaud) ; la relation prédicative s’organise autour de la « préposition » (cf. Druetta, à par.) ; le contraste et l’extraction ne peuvent porter que sur l’élément pronominalisable, pas sur l’adjectif après de (ou sur le N après comme). Ces éléments nous amènent à postuler que dans les deux cas la relation prédicative secon-daire est analogue et qu’elle s’organise autour de la préposition de / comme.

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