Nils Delcambre Juin 2010 Master 1 d’histoire sociale contemporaine Mémoire de recherches Sous la direction d’Isabelle Moret Lespinet, maître de conférence Université Paris-X Nanterre « L’Hygiène par l’exemple » : analyse d’un réseau et d’un projet sociale en France dans l’entre-deux-guerres 1920- 1939 légende : Assemblée générale de l'Hygiène par l'exemple, juin 1933 : de gauche à droite : le Dr Roux, président honoraire de l'HPE, Mme Clayton Paul Bert, Vice-présidente, M. Ernest Meyer, conseiller d'Etat, M. Justin Godard, Ministre de la santé publique, le Pr Marchoux [Iconographie] / L'Hygiène par l'exemple, Distributeur . - 1933 . - 1 photographie ; 12,5 X 17,5 cm (source : CEDIAS Musée Social) 1
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Nils Delcambre Juin 2010
Master 1 d’histoire sociale contemporaine
Mémoire de recherches
Sous la direction d’Isabelle Moret Lespinet, maître de conférence
Université Paris-X Nanterre
« L’Hygiène par l’exemple » : analyse d’un réseau et
d’un projet sociale en France dans l’entre-deux-guerres
1920- 1939
légende : Assemblée générale de l'Hygiène par l'exemple, juin 1933 : de gauche à droite : le Dr Roux, président honoraire de l'HPE, Mme
Clayton Paul Bert, Vice-présidente, M. Ernest Meyer, conseiller d'Etat, M. Justin Godard, Ministre de la santé publique, le Pr Marchoux
[Iconographie] / L'Hygiène par l'exemple, Distributeur . - 1933 . - 1 photographie ; 12,5 X 17,5 cm (source : CEDIAS Musée Social)
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« Le devoir de l’homme d’état n’est plus de pousser violemment les sociétés vers un idéal qui
lui paraît séduisant, mais son rôle est celui du médecin : Il prévient l’éclosion des maladies
par une bonne hygiène et, quand elles sont déclarées, il cherche à les guérir »
Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique
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Introduction
Avant propos :
Les guerres sont des événements brutaux qui sont souvent assimilées à la destruction et à la
mort. Certains peuples, certaines civilisations ne retrouvent jamais la grandeur qui était la leur
après un important conflit armé, parfois même, ils disparaissent complètement avec la défaite.
Nous pouvons notamment parler de la civilisation Inca qui disparaît à la suite du conflit avec
les Espagnols, à partir de 1532. Pourtant, les guerres sont également des moments privilégiés
de progrès qui irradient la société dans son ensemble, bien au-delà des avantages qu’ils
procurent en temps de guerre. Ainsi, Ambroise Paré (1510-1590), un des pères de la chirurgie
moderne, fait de très grandes découvertes grâce à ses expériences en tant que chirurgien
durant les guerres d’Italie, à partir de 1537. Les guerres poussent souvent les belligérants à
des mesures exceptionnelles qui ont des effets bien après la fin des hostilités. De manière
générale, la guerre, dès lors qu’elle oppose des peuples entre eux (et non plus des égos royaux
comme durant la période médiévale et moderne), pousse à des réactions de sauvegarde
identitaire et de tentative de « gommage » des effets du conflit. Des mouvements nationalistes
et militaristes germent en France après la défaite de la France dans les années 1870, avec
comme point d’orgue le Boulangisme, aux alentours des années 1890. Pourtant, l’idée de
revanche n’est pourtant pas basée que sur de la pure agressivité. Certains utilisent les conflits
pour mettre en avant leurs idées progressistes pour leur patrie. Ainsi, L’Association Française
pour l’Avancement des Sciences (AFAS), est créée en 1872 pour répondre aux nouveaux
défis auxquels la France doit faire face (Nous en reparlerons au fil du mémoire). Souvent, le
conflit armé révèle certaines faiblesses de la société et engendre une prise de conscience.
Cette prise de conscience est parfois l’occasion du retour d’idées anciennes oubliées dont les 3
promoteurs pensent qu’elle peut être salutaire pour le pays. Nous sommes tout à fait dans le
cadre là avec l’association de L’Hygiène Par L’Exemple (nous emploierons plus souvent la
terminaison « HPE » par la suite).
Définition du sujet et des bornes chronologiques :
Ainsi, l’association de l’Hygiène Par l’Exemple est une association privée qui naît en réaction
au conflit mondial qui se déroule de 1914 à 1918. Le fait que l’association ait été créée
seulement deux ans après la fin des hostilités justifie cette interprétation de cause à effet. De
plus, comme nous le verrons avec l’étude directe des sources, les motivations profondes des
membres qui composent l’association reflètent vraiment bien cette réalité. L’association se
donne comme rôle l’action car elle doit faire face à une situation d’urgence. En effet, cette
initiative d’assistance et de secours se donne pour but initial de venir en aide aux écoles
françaises qui souffrent d’une certaine vétusté de leurs installations (voir annexes 2, 3 et 4).
La France doit, selon les membres de l’association, aller de l’avant, et pour cela, la tactique
employée par l’HPE est de s’occuper des locaux plutôt que de l’éducation elle-même. Cette
attention portée sur l’école plutôt que de l’écolier est justifiée par le fait que l’association se
réclame de l’hygiénisme. L’hygiénisme est une doctrine médico-sociale qui fonde la santé de
l’Homme, ou du moins une bonne part de celle-ci, sur l’environnement qui l’entoure (l’eau
qu’il boit, l’air qu’il respire mais également son hygiène corporelle, d’où le nom
d’hygiénisme). Cette doctrine commence à avoir du succès au XVIII° mais c’est surtout au
XIX° siècle qu’elle est principalement utilisée, en parallèle à la montée de l’industrialisation
qui a des effets désastreux sur l’état de santé des gens. Ainsi, un premier sujet d’étonnement
pour nous est de constater qu’un groupe se réclamant directement de l’hygiénisme est créé
dans l’entre-deux-guerres. Certes, d’autres groupements existent, mais ils sont souvent plus
anciens et n’utilisent pas les méthodes de l’HPE. En réalité, si l’HPE est bien une réaction au
premier conflit mondial du XX° siècle, il faut tout de même préciser que ses racines sont bien
plus lointaines. Si nous regardons de plus prêt la composition du groupe, on observe que
beaucoup de membres ont déjà un certain âge et qu’ils se sont fait connaître pour des actions
antérieures. Ainsi, on retrouve dans les rangs de l’association certains grands noms de la
période de la réforme sociale, éducative et sanitaire de la fin du XIX° siècle. Le contexte de 4
création de l’association est donc très complexe, il nous faudra le décortiquer. La période de
l’entre-deux-guerres est d’autant plus intéressante à traiter, dans le cadre d’une action privée
comme celle-ci, qu’il il s’agit de la période de construction de l’Etat providence qui est
réellement effectif après 1945, mais que la première guerre mondiale a commencé à mettre en
germe. Ainsi, il est intéressant de voir, durant cette période, comment une initiative privée
évolue durant cette période charnière et quels sont ses rapports avec les administrateurs
publics. La période que nous avons choisie se prête assez facilement à cet exercice d’analyse
puisqu’elle permet, de 1920 à 1939, de voir environ 20 ans d’existence de l’association. Nous
pourrons ainsi décrypter les conséquences de la reconstruction de la France sur l’action de
l’HPE, puis les incidences de la crise économique de 1929. Mais surtout, cette étude permet
de voir comment les différents gouvernements s’impliquent au coté de l’association,
notamment le Front Populaire. Ainsi donc, nous commencerons notre étude en 1920, avec la
création de l’association et nous la terminerons en 1939, c'est-à-dire, juste avant l’entré en
guerre de la France. Cette période est assez longue afin de voir plusieurs évolutions
d’orientation de l’association tout en s’arrêtant au moment ou l’action de l’HPE perd en
vigueur. En effet, après 1939, la société repasse dans un système de guerre totale qui laisse
assez peu de place à une initiative comme celle qui nous intéresse, qui se donne pour but de
changer la société sur le long terme.
Quelles sources pour cette étude :
Afin d’étudier l’association l’Hygiène Par L’Exemple, nous disposons d’un fond d’archives
assez conséquent avec la collection que possède le Musée Social/ CEDIAS, à Paris. Ce centre
héritier de la fondation du même nom, grand lieu de rencontre des réformateurs de la fin du
XIX° siècle (dans ce cadre, ce n’est pas un hasard si les sources concernant l’HPE y sont
conservées). Ainsi, nous disposions, de divers fonds d’archives, tous très intéressants. Dans
un premier temps, nous nous sommes focalisés sur le fond iconographique qui est constitué de
plus d’un millier de clichés sur deux volumes recouvrant toute notre période. Cette étude
iconographique est extrêmement intéressante, notamment parce que l’association
communique beaucoup et tient à montrer son action afin de convaincre les gens de l’utilité de
son action. Elle a mis un système de cartes postales éducatives (voir Annexe 1) qui rentre
complètement dans le cadre de sa double vocation d’action concrète, mais également de
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propagande. Pourtant, ce fond ne peut pas être utilisé de façon satisfaisante parce qu’il
nécessiterait un trop grand travail pour un M1, mais surtout parce que les recueils
iconographiques sont trop fragiles. Il faudra attendre la fin de la numérisation des ressources
pour s’y atteler avec plus de sérieux. Ainsi, nous utilisons quelques photos de ce fond, mais à
titre d’exemple. D’autre part, nous avons également à disposition des procès verbaux
manuscrits de certaines réunions d’association. Cette source nécessiterait également une étude
assez complète car elle est transcrite au moment même des réunions. Il serait intéressant de se
pencher sur ce qui est écrit pour le coté spontané que revêtent ces carnets. Enfin, nous
disposons de l’ensemble des revues éditées par l’association de 1921 à 1940. Ces revues sont
distribuées pour 5 francs, principalement aux adhérents de l’association, avec plusieurs buts.
Le but premier est de rendre compte de l’action et des pistes de réflexions de l’association.
Parallèlement à cela, l’objectif est également la propagande en faveur de l’action auprès de
tout à chacun. A raison d’environ une revue toutes les deux mois, la masse de documentation
est extrêmement conséquente. Ainsi, il a fallu sélectionner l’objet de nos recherches de façon
à laisser la place pour des recherches de M2, tout en ayant une vue générale de la vie de
l’association durant notre période. C’est dans ce cadre que notre choix s’est porté sur l’étude
des comptes-rendus d’Assemblées générales (AG) se tenant une fois par an, qui sont
retranscrits dans les revues de l’association. Ces comptes rendus sont l’occasion d’étudier les
évolutions de l’association avec le bilan et les perspectives d’avenir décrites lors d’allocutions
du Secrétaire général, mais également, ses rapports avec le pouvoir public car les AG sont
souvent le théâtre de l’intervention d’invités comme les représentants de certains membres du
gouvernement et des pouvoirs locaux. Les comptes-rendus ont également une dimension
économique puisque le trésorier dresse à chaque AG un exercice financier. Ainsi, tous les
aspects importants de la vie de l’association peuvent être analysés par ce biais. Nous nous
proposons donc d’étudier les 20 comptes rendus d’Assemblées générales présents dans les
revues de l’association afin de répondre aux diverses interrogations que suscite l’HPE.
Problématiques et annonce du plan :
Les interrogations sont nombreuses concernant l’HPE car, comme nous l’avons vu, cette
association est créée dans une période charnière dans l’Histoire de l’assistance en France.
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Pour commencer, nous pouvons nous demander comment une association privée comme
l’HPE arrive à agir durant l’Entre-deux-guerres, alors même que la France ne cesse pas de
subir les effets économiques de la guerre, puis la crise économique de 1929. Nous pouvons
également axer notre étude sur les rapports complexes que l’association entretient avec les
pouvoirs publics, qu’ils soient centraux ou locaux. Enfin, nous pouvons nous demander quel
but profond l’association poursuit et surtout vers quelle autre cause similaire peut se tourner
l’association une fois que le but initial est atteint. Pour traiter ce sujet, nous diviserons en
deux parties principales notre travail. La première partie, axée sur les lectures que nous avons
faites d’ouvrages pouvant apporter des éclaircissements sur notre sujet se décompose de façon
thématique. Elle permet, en effet, d’aborder dans un premier temps l’histoire sanitaire, centrée
sur l’hygiénisme, de la révolution à l’Entre-deux-guerres. Puis nous traiterons dans un
deuxième temps l’Histoire sociale et éducative du XIX° siècle. Enfin, nous nous attarderons
plus spécifiquement sur les cercles réformateurs de la fin du XIX° siècle. Ainsi, cette étude
bibliographique nous permet de reprendre les divers héritages auxquels l’association de l’HPE
se rapporte. Dans une seconde partie, nous analyserons, de façon chronologique cette fois,
l’évolution de l’association elle-même, à l’aide des sources à notre disposition. Ainsi nous
articulerons notre démonstration autour de moments clés de l’évolution de l’HPE, de façon à
répondre aux questionnements qui accompagnent le sujet.
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Première partie
Chapitre 1 : L’hygiénisme, une doctrine au centre de la pensée de
l’association l’Hygiène Par l’Exemple
Le souci Majeur de l’HPE est de promouvoir des installations hygiéniques au sein des écoles.
Le sujet n’est pas nouveau en 1920, lorsque l’association est créée, il faut donc revenir sur le
contexte médico-social dans lequel se place cette initiative, et en particulier, sur le milieu
hygiéniste duquel se réclame l’oeuvre.
A) La maladie infectieuse : le terreau de l’intuition hygiéniste.
1) La grande peste au XIX° siècle : endiguer la contamination sans la comprendre
En 1347-1348, l’Europe est touchée de plein fouet par un nouveau fléau venu d’Asie, la
Grande Peste Noire. Celle-ci s’étend à une très grande rapidité de telle sorte qu’en étant
signalée à Marseille en novembre 1947, elle atteint Londres environ un an plus tard, décimant
par endroit, comme à Majorque, 70% de la population1. Compte tenu des moyens de
communication de l’époque, cette maladie va très vite. Certes, il ne s’agit pas du premier
1 Halioua B., Histoire de la médecine, « La grande peste ou peste noire », Masson, 20048
épisode de grande épidémie que connaissent les hommes. Nous pouvons prendre comme
exemple « La Peste de Justinien » qui décime l’Empire Romain D’Orient et toute la
méditerranée, du VI° siècle au VIII° siècle. Toutefois, la peste du XIV° siècle est un tournant,
car elle amorce un changement dans la gestion des épidémies. En effet, pour la première fois
sont mises en place des mesures de prophylaxie à grande échelle, c'est-à-dire, de prévention
de la maladie, ou plutôt, dans le cas présent, de mesures de limitations de la propagation.
Cette étape fondamentale est menée par les cités maritimes italiennes. Venise en tête, la très
grande cité maritime, ne peut pas se permettre que la peste endigue son commerce. Les
premières méthodes mises en place consistent, d’abord, à écarter les malades du reste de la
population en délimitant des zones de quarantaines étanches. Il s’agit du lazaret qui voit le
jour pour la première fois sur une des îles de la lagune vénitienne Cette méthode permet
efficacement de restreindre les effets endémiques de la maladie qui se transmet par contact.
Dans le même temps, les administrateurs des cités italiennes, au contact de l’Orient, mettent à
profit leur redécouverte de la médecine grecque conservée et enrichie par les savants
islamiques. Tout un pan oublié de la médecine antique est retrouvé. Ainsi, on redécouvre le
rapport entre la santé de l’Homme et son environnement, selon les principes hippocratiques.
Sans que la preuve scientifique en soit apportée, les Européens ont, dès cette période, tenté de
limiter la dangerosité des épidémies en identifiant la transmission par contact avec les
miasmes, vapeurs imperceptibles contenant le mal. Diverses mesures allant dans ce sens sont
prises partout en Europe, à la suite des avancées italiennes, afin de contenir l’épidémie. Jean
II Le Bon (1319-1364) importe ces dispositions en France et instaure les premières
quarantaines dans l’Hexagone. Plus tard, Colbert impose des mesures draconiennes de
limitation de la circulation, de 1665 à 1668, ce qui permet à Paris de ne pas subir le désastre
démographique que Londres connaît à cette époque2. Les administrateurs interventionnistes
n’ont donc pas attendu la période contemporaine pour faire face aux maladies infectieuses
avec un embryon de plan de santé publique. Par ailleurs, ces divers épisodes infectieux
montrent une évolution de la réponse apportée à la maladie, de telle sorte qu’on observe un
progrès, toujours plus important, dans la prise en charge des épidémies. Ainsi, la dernière
grande peste observée en Europe occidentale se propage à partir de Marseille en 1721. Les
moyens employés pour contraindre la maladie à demeurer en Provence sont énormes. On
utilise l’île Jarre comme zone de quarantaine, on brûle systématiquement les cadavres morts
2 Bourdelais P., Les Hygiénistes : enjeux, modèles, pratiques, Paris : Belin, 20019
de la peste. Comme cela ne suffit pas, les administrateurs font de la Provence une zone de
quarantaine géante à l’aide d’un mur militarisé aux frontières de la province. Pourtant, le coût
humain de ses mesures est très élevé car la quarantaine contraint au sacrifice de la population
restée dans la zone de confinement. Avec le XVIII° siècle, la mentalité change vis-à-vis des
maladies infectieuses en France, surtout à cause de la gestion de la maladie à Marseille. On
cherche maintenant non plus seulement à contraindre l’aire de l’infection, afin de limiter la
contamination, mais également à comprendre la maladie afin de la combattre frontalement.
On peut alors parler de prophylaxie active alors qu’elle était passive jusque là. Avec
l’expérience de Marseille, certains médecins s’inspirent des traités sur l’Homme et son
environnement, d’Hippocrate, avec une lecture originale. Partant du principe que l’Homme ne
peut pas être soigné étant donné l’état de la science à cette époque, on doit pouvoir changer
son environnement afin qu’il ne soit pas malade ou du moins, et c’est une distinction
importante, qu’il ne soit plus en état de l’être. Il faut alors rappeler que l’on rentre dans une
période, animée par les Lumières, en France, pour qui l’Homme occupe enfin une place
centrale : il mérite qu’on le sauvegarde de la maladie.
2) Louis Lepecq De La Clôture, « proto-hygièniste » de la deuxième moitié du XVIII° siècle
Parmi ces médecins pionniers d’une certaine façon de penser l’Homme, son corps, et par
conséquent, sa santé, Louis Lepecq De La Clôture est assez caractéristique. Ce médecin,
proche des idées des Lumières, est très marqué par les récits de la peste de Marseille (bien
qu’il ne soit pas encore né lorsque celle-ci éclate). Il tire de cet épisode la conviction que le
milieu dans lequel évolue l’Homme est le facteur le plus déterminant de sa santé. Plus encore,
ce médecin est profondément inspiré par la lecture qu’il fait de certains articles de
l’Encyclopédie. Ainsi, Diderot et Dalembert font paraître, en 1765, avec le tome 8 de leur
Encyclopédie, les termes « Hygée » (rédigée par le chevalier de Jaucourt, un des rédacteurs
les plus prolifiques de l’Encyclopédie3) et surtout « Hygiène » (probablement écrit cette fois
par le chirurgien Antoine Louis). On retrouve dans ces deux articles une définition littérale
des termes mais également, comme c’est souvent le cas dans l’Encyclopédie, un versant
critique original. Dans les deux articles, nous avons une critique sans concession de la
médecine telle qu’elle est pratiquée au XVII° siècle. Paradoxalement, les rédacteurs
3 Haechler J., L’Encyclopédie de Diderot et de Jaucourt : essai biographique sur le chevalier Louis de Jaucourt, Paris, Champion, 1995
10
progressistes de l’Encyclopédie tiennent à ce qu’un retour vers les préceptes d’Hippocrate4
soit fait. Ce retour aux principes antiques est double. En effet, Hippocrate s’élevait contre le
charlatanisme mystique de ses confrères qui agissaient par prières au lieu de guérir les
symptômes médicaux : il est le premier médecin au sens scientifique du terme. Ainsi, ce qui
est dénoncé dans l’Encyclopédie est le manque de rigueur médicale dont font preuve les
médecins du XVIII° siècle. Il s’agit aussi, pour les Lumières, de tirer profit des enseignements
des idées des savants européens comme Hoffman, surnommé « l’Hippocrate allemand »
(1660-1742), un des tous premiers à reparler de l’influence de l’environnement sur le corps.
Nous pouvons aussi parler de Sydenham en Grande-Bretagne et Ramazzini en Italie : tout un
milieu hygiéniste européen se crée au XVIII° siècle. Par ailleurs, en demandant un retour aux
préceptes d’Hippocrate, c’est, selon Daniel Teysseire (de qui émane l’article sur Louis Lepecq
de La Clôture5), aussi dans le but de montrer que si l’environnement est la cause de la maladie
humaine, alors la maladie individuelle est le souci de tous puisque nous bénéficions tous, plus
ou moins, du même environnement. Etant donné que l’infection est le pendant collectif de la
maladie individuelle, il faut pouvoir lutter contre l’individualisme dans le but que chacun
garde une bonne santé. Il s’agit dont, dans un certain sens, d’un plaidoyer pour une politique
de santé publique plus active, qui ne se cantonne pas à poser des murs pour isoler les zones
infectées. Louis Lepecq de La Clôture se rattache à ce courant de pensée médicale. Il reprend
complètement les théories hippocratiques, affirmant que les maladies ne sont pas attachées
aux Hommes mais aux environnements qu’ils côtoient. Plus encore, conscient que l’Etat
royal est au cœur du dispositif de santé publique qu’il serait nécessaire d’instaurer, Lepecq de
La Clôture tente, avec succès, d’approcher le plus possible le roi et ses conseillers. Le courant
néo-hippocratique est institutionnalisé en 1778, avec la Société royale de médecine à laquelle
participe Lepecq de La Clôture. Cela permet de compléter le maillage de médecine préventive
(un médecin correspondant pour les épidémies dans chaque intendance), déjà commencé en
1750. Ainsi, l’hippocratisme a le vent en poupe et Lepecq de La Clôture en profite à tel point
que son ouvrage est publié avec les deniers publics. Cette faveur place l’œuvre de ce médecin
en position d’ouvrage quasiment officiel. Preuve supplémentaire de cette approbation des plus
Grands, il est même anobli en 1785. Alors on peut se demander pourquoi ce médecin si bien
intentionné, qui jouissait de tant de puissants soutiens, n’a pas eu l’opportunité d’appliquer de
façon concrète ses préceptes, et ainsi devenir un des premiers hygiénistes français. Selon 4 Ayache L., Hippocrate, Paris, PUF. Collection Que sais-je ? 19925 Bourdelais P., Les Hygiénistes : enjeux, modèles, pratiques, ibidem, pp. 60-74.
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Daniel Teysseire, la raison de cet échec est le manque d’institutionnalisation de sa méthode
qui n’a pas permis de convaincre la population. De plus, un des grands obstacles qui lui barre
la route est l’à priori assez négatif chez les nobles locaux. En un mot, Lepecq de La Clôture
n’a pas pu agir car la société française, au XVIII° siècle, n’est pas prête. Il est trop précurseur
pour être pris au sérieux par tous, et plus particulièrement, dans les échelons locaux de
décisions, incontournables dans le cadre d’une expérimentation de terrain. Ainsi, bien que
l’on commence à parler d’hygiénisme, surtout vers la fin du XVIII° siècle, rien avant la
Révolution française ne permet réellement de l’expérimenter de façon concrète, ce qui bloque
sa progression6.
B) Le premier XIX° siècle et l’éclosion timide de l’hygiénisme en France
1) Le grand élan hygiéniste des années 1820-1840
Alors que le XVIII° siècle est un siècle de transition, nous l’avons vu, le XIX° siècle impose
de nouvelles contraintes qui forcent à reconsidérer la santé sous un autre angle. Certes le
XVIII° siècle a vu de grandes avancées, nous pouvons parler des premiers dons de
médicaments dès 1710, de la création de la Société royale de médecine en 1778, dont nous
avons déjà parlé. Mais un élément nouveau et primordial prend le dessus au XIX° siècle.
L’industrialisation des pays d’Europe occidentale se développe à une très grande vitesse sur
tout le XIX° siècle, il s’agit de ce qu’on appelle la révolution industrielle. Ce nouvel âge
économique vise à produire à grande échelle, dans des manufactures de grande taille, dans des
secteurs d’activité d’industrie lourde ou dans le textile. La nouvelle configuration de travail en
usine oblige à une très grande concentration d’effectifs dans un même lieu, la ville. Le milieu
urbain, foyer de la pollution industrielle et nouveau centre de concentration humaine est le
théâtre de nouvelles épidémies ravageuses. Ainsi, la fièvre typhoïde, le choléra, mais surtout
la tuberculose, font leur apparition. L’Etat met en place des « conseils d’hygiène et de
salubrité » à Paris en 1802, partout en province en 18177. Pourtant, ce sont les nouvelles
caractéristiques de la ville qu’il faut combattre. L’atmosphère humide, remplie de particules
de tissus, facilite grandement l’expansion de la tuberculose, « la grande tueuse du XIX° »8,
6 Le Roux T., Nuisances et pollutions industrielles. Paris, laboratoire de leur légitimation, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 20117 Le Roux T., Ibidem8 Courtine J.J., Histoire du corps: les mutations du regard, le XX° siècle-Tome 3, Paris, Seuil, 2006
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dans les bassins industriels textiles qui fleurissent partout en Europe occidentale. Ainsi, en
France, un milieu d’intellectuels hygiénistes, (terme que l’on retrouve dès la fin du XVIII°
mais surtout au XIX° siècle) se créé avec comme terreau les réflexions des néo-hippocratiques
du XVIII° siècle. De plus, les lectures de Rousseau sur les maladies d’inégalité9 revêtent un
nouveau sens avec l’industrialisation : la nature, en produisant des maladies, se venge contre
l’humain qui la maltraite. L’industrialisation est la coupable de ce regain de maladies
infectieuses. La France est clairement en retard vis-à-vis des autres pays européens,
Allemagne en tête, au début du siècle, concernant ces dispositions. Il faut un élément
déclencheur pour que l’Etat prenne conscience de ce retard. Les épidémies de choléra de 1832
et de 1849. Ces deux chocs démographiques font clairement passer l’Etat d’une volonté
simple d’enrayement des maladies au choix de les prévenir. Il s’agit alors d’une lutte qui est
menée vers les années 1850, afin d’aboutir à une législation adaptée. Les conservateurs (dont
je parlerai plus tard) catholiques, dont la charité chrétienne pousse à agir en faveur des
pauvres, principales victimes des maladies infectieuses, jouent un très grand rôle dans ce
combat législatif. Ainsi est créée La société d’économie charitable, constituée sur le besoin de
patronage des élites sur les classes populaires, avec notamment Armand de Melun (qui agit de
1838 à 1871) qui est à l’origine de la loi de 1850 sur les logements insalubres10. Cette loi est
l’aboutissement d’un long travail et d’une atmosphère très favorable à l’hygiénisme dans
l’Hexagone. En effet, des conseils « d’hygiène et de salubrité » recouvrent le territoire depuis
1848 et les élections de 1849 portent au pouvoir des députés (comme De Melun) très
favorables aux idées progressistes du l’hygiène. Pourtant, ce milieu hygiéniste est très
hétéroclite. Certains, comme les membres de La société d’économie charitable ne sont pas
très enthousiastes à voir l’intervention de l’Etat grandir car ce sont de grands propriétaires
fonciers conservateurs, tandis qu’une branche d’hygiénistes socialistes pousse à l’intervention
sans limite de l’Etat car ils pensent qu’il est le seul à pouvoir agir avec efficacité. Au delà des
dissensions chez ceux qui défendent l’hygiénisme, il faut bien dire que l’anti-hygiénisme se
développe. En effet, la loi de 1850 a nécessité, malgré une configuration très favorable, trois
délibérations, pour être adoptée. Les principaux opposants sont les grands propriétaires qui
n’ont aucune envie de faire les travaux nécessaires à la remise à niveau des biens qu’ils louent
aux ouvriers, et qui sont souvent insalubres. D’autre part, nous retrouvons, dans une certaine
mesure, les libéraux et les marchands internationaux qui refusent catégoriquement l’action de 9Bourdelais, op. cit., p. 2010 Guerrand R-H, Les origines du logement social en France : 1850-1914, Paris, Paris, Eds De La Villette, 2010
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l’Etat, qu’il s’agisse de constituer des zones de quarantaine (car elles ont un impact sur le
libre-échange) ou pour légiférer dans le domaine des logements ouvriers. La loi est également
connotée « socialiste», ce qui n’aide pas à son adoption malgré le soutien de certains
conservateurs humanistes. Paradoxalement, l’opposition aux hygiénistes est aussi populaire.
Dès l’épidémie de choléra de 1832, des émeutes s’élèvent contre les médecins qui mettent en
place des mesures trop contraignantes. La foule accuse même, par ignorance, les médecins
d’être à l’origine de la maladie. La loi n’a pas vraiment de portée car elle n’impose pas de
peine aux propriétaires qui n’agissent pas pour rénover leurs biens. Pourtant, cette étape est
très importante pour les hygiénistes parce qu’ils s’attaquent à un pan de la vie urbaine qu’ils
jugent comme l’environnement le moins propice à la bonne santé des individus.
2) L’enquête de Villermé, sa portée et la montée de l’hygiénisme contre les effets de
l’industrie.
Les années 1850 sont l’occasion, pour les élites, de réellement prendre conscience des
conditions de vie des classes populaires confrontées à l’industrialisation de l’Europe
occidentale. Dans cette prise de conscience, le médecin et sociologue Louis René Villermé
joue un grand rôle. Il fait partie des médecins qui travaillent sur l’épidémie de choléra de
Paris, en 1832, qui fit 19 000 morts. Au sortir de la crise, il publie une étude, Le choléra dans
les maisons garnies de Paris, ou il fait un portrait déjà très alarmiste des conditions de vie des
classes populaires dans les villes. En 1835, l’Académie des sciences morales et politiques
envoie Villermé faire une étude sur les conditions de vie des ouvriers avec comme objectif de
revenir sur la législation concernant le travail des enfants dans les usines. L’Académie des
sciences morales et politiques, restaurée par Guizot, le ministre de l’Instruction Publique, en
1832, a un rôle très important vis-à-vis du pouvoir du roi des Français. Villermé se rend dans
tous les foyers industriels de France où il étudie les conditions de travail des ouvriers mais
aussi leurs logements, leurs salaires, leur alimentation. Villermé se rapproche dont clairement
du courant hygiéniste car il englobe tout l’environnement de l’ouvrier dans ses recherches11.
Cette étude, dans la droite ligne de l’étude hygiéniste « type » de Bernardino Ramazzini (qui
l’écrit entre 1700 et 1714)12 sur les conditions de travail et de vie des artisans italiens est
publiée en 1840, a des répercutions énormes. En travaillant, en particulier sur les enfants,
11 Moriceau C., Les douleurs de l’industrie, l’hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, ed. EHESS, 201012Bourdelais P ., op. cit., p. 18
14
l’étude de Villermé permet dès 1841, de voter la loi sur le travail des enfants, ce qui était son
objectif premier. De plus, la loi de 1850 sur les logements insalubres est obtenue en partie
grâce aux conclusions de l’étude. De manière générale, cette étude, qui se focalise plus
particulièrement sur les ouvriers du textile, permet la naissance, chez les gouvernants,
d’ « une volonté d’objectivation du lien entre l’état de santé du travailleur et son travail »13. A
partir des années 1860 se met en place une série de réflexions sur l’impact du travail ouvrier
sur la santé des Hommes. Nous pouvons notamment parler du traité de Maxime Vernois sur
l’hygiène industriel14 qui parle d’une médecine technique spécifique aux maux de
l’industrialisation, avec des soins individuels et de la prévention collective, comme le
préconisent les hygiénistes. Dès lors, durant la seconde moitié du XIX° siècle, l’objectif des
politiques est de continuer l’industrialisation, nécessaire au développement économique du
pays, tout en essayant de ne subir ses effets, c'est-à-dire la dégradation de l’environnement et
l’usure des ouvriers. C’est d’ailleurs dans ces années 1860 que Paris est considérablement
transformée par l’haussmannisation qui crée de grandes artères dans la capitale et des
quartiers moins enclavés et plus aérés. Les préoccupations de Louis Napoléon Bonaparte
sont, tout d’abord politiques, comme nous le verrons plus bas, mais l’effet très important de
cet énorme changement est le bannissement de l’industrie lourde à l’intérieur de Paris. Certes,
cela repousse le problème en banlieue, mais cette disposition montre l’intérêt que la question
de la pollution suscite chez les politiques dans ces années 1860. Pourtant, les dirigeants ne
s’intéressent pas aux individus en tant que tels, le corps n’a pas encore une très grande
importance au XIX° siècle, malgré une certaine notion de « bio responsabilité»15 qui
commence à émerger dans la classe dirigeante. L’important est de pouvoir maintenir les gens
au travail afin de ne pas impacter la productivité, ce qui nécessite de s’intéresser à leur santé.
Lorsqu’il s’agit d’agir, l’Etat adopte alors une technique que nous retrouvons encore, après les
années 1920, avec l’association sur laquelle nous travaillons. Cette technique d’inspiration
libérale consiste à laisser faire les initiatives privées afin de ne pas avoir à agir soi-même.
Ainsi, si les dispositions sont prises sans être efficaces, cela permet à l’Etat de les condamner
sans se désavouer. Cette façon de faire, assez spécifique à la France se vérifie sur tout le XIX°
siècle, tant dans le domaine médical que dans celui de l’assistance.
13Moriceau, C., op. cit. p. 1214Moriceau, C., op. cit. p. 1715Bourdelais P., op. cit. p. 21
15
C) Le second XIX° siècle : la confirmation des succès et l’effervescence hygiéniste
1) Le mouvement congressiste hygiéniste (1850-1914) : le succès de
l’internationalisation des questions d’hygiène.
Les hygiénistes, conscients que les pouvoirs publics ne sont pas très enclins à aider leur cause,
s’organisent pour peser de tout leur poids dans les débats publics. Ainsi, se mettent en place
des congrès et des conférences hygiénistes, dès 1851, avec la Conférence hygiéniste de Paris.
Le mouvement hygiéniste est le premier mouvement scientifique à se constituer en congrès, il
faut attendre 1860 pour que d’autres l’imitent. Ce mouvement, principalement européen,
regroupe en particulier des médecins et des chercheurs. L’utilité de l’internationalisation du
mouvement est de lier scientifiques et politiques en vue d’une action concrète conjointe.
Ainsi, si la voie des débats en réunion est utilisée, c’est avant tout faire avancer les
questionnements en confrontant les avis des scientifiques. De plus, étant donné que les
maladies voyagent sans prendre soin de s’arrêter aux frontières, les hygiénistes doivent lutter
contre elles sans tenir compte des nationalités de chacun car il s’agit d’un seul et même
problème pour tous, surtout avec la montée du libre échangisme. Il faut distinguer deux types
de réunion qui n’ont pas la même fonction, dans le débat hygiéniste. Les conférences
sanitaires internationales se déroulent toujours « au contact des fléaux » selon Anne
Rasmussen16, afin de les stopper aux portes de l’Europe. Ainsi, on retrouve ces conférences à
Venise, Vienne, ou même Constantinople, trois villes touchées depuis des siècles par les
maladies infectieuses les plus virulentes, comme nous l’avons déjà vu. Ainsi, le rôle des
conférences est d’aider à venir à bout des maladies qui risqueraient d’arriver un jour au cœur
de l’Europe occidentale. Toujours selon Anne Rasmussen, les « congrès internationaux
d’hygiène » sont bien différents. Ces réunions ont toujours lieu dans les capitales du
mouvement scientifique, en quelque sorte, en terre conquise, afin d’asseoir un peu plus la
législation hygiéniste en vigueur. Ainsi, le congrès de 1852 se déroule à Bruxelles, en plein
centre de l’Europe occidentale. Nous pouvons diviser la période de ces congrès, de 1852 à
1912, en plusieurs moments qui montrent une certaine évolution du mouvement hygiéniste
dans ces années là. De 1860 à 1880, les congrès et conférences cherchent à se légitimer face
aux critiques. Nous pouvons notamment parler des congrès anti-vaccination, qui ont un 16 Rasmussen A., « L’hygiène en congrès (1852-1912) », in P. Bourdelais, Les Hygiénistes : enjeux, modèles, pratiques, op. cit. p. 373 Jorland G., Une société à soigner : hygiène et salubrité publique au XIX° siècle, Paris, Gallimard, 2010
16
certain succès durant cette période, ainsi que de toute l’opposition libérale. Le docteur Louis
Pasteur (1822-1895) joue un grand rôle dans cette légitimité. Il se lie à la cause des
hygiénistes alors qu’il a déjà travaillé sur les bactéries, dans les années 1870. Les hygiénistes
reçoivent son soutien avec beaucoup d’enthousiasme car il tente de prouver que
l’environnement comporte bien des bactéries responsables des maladies, ce que l’on appelait
jusque là des miasmes, sans savoir ce qu’elles contenaient vraiment. D’un autre coté, Pasteur
rejoint également les hygiénistes car cela lui permet d’étendre ses recherches17. Après les
maladies des végétaux, le vin de 1863 à 1869 et la bière, de 1873 à 1876, il peut, avec l’appui
des hygiénistes, tester ses théories sur des animaux, voire sur l’Homme, car il pense pouvoir
mettre en place des vaccins préventifs pour certaines maladies. Ainsi, les hygiénistes et
Pasteur poursuivent parfaitement le même but de lutte pour la prophylaxie, les hygiénistes sur
le plan de l’hygiène, Pasteur sur le plan strictement biologique et médical. De 1880 à 1900, il
s’agit, selon Anne Rasmussen, de « l’apogée congressiste » hygiéniste. Les hygiénistes
poussent alors très loin les débats, soulevant de réelles questions de fond, ce qui aboutit à de
grandes controverses scientifiques comme celle entre Koch et Pasteur, à Genève, en 1882, ou
bien celle du Docteur Roux (1853-1933), un des membres éminents de l’association de
L’Hygiène Par L’Exemple (dont nous reparlerons), qui se déroule à Budapest, en 1894. Par
ailleurs, cette période est également l’âge de la spécialisation des congrès dont les questions
débattues s’affinent. Ainsi nous pouvons citer un congrès centré sur la tuberculose en 1888 et
un autre sur l’hygiène scolaire en 1904.
Globalement, à partir de 1900, le mouvement congressiste hygiéniste s’étiole même si on peut
compter encore 34 congrès et conférences hygiénistes internationales entre 1900 et 1914. Le
bilan de cette action est d’ailleurs plutôt positif puisqu’elle a permis de confronter les idées et
de faire avancer la science de façon très importante en se basant sur la puissance du collectif
plus que sur les différentes individualités. Certes, de grandes controverses ont opposé des
hygiénistes entre eux, mais c’est toujours dans la recherche du progrès.
1) L’AFAS, une solution française à la passivité des pouvoirs publiques (1872-1914)
Nous l’avons vu plus haut, il s’agit d’une constante chez les décideurs politiques français, tout
au long du XIX° siècle, de laisser faire les milieux associatifs et philanthropiques (nous en
reparlerons) plutôt que de légiférer. Une grande part des hygiénistes critique ce mode de
17 Jorland G., Ibidem17
fonctionnement car la santé est pour eux l’affaire de tous, et donc, est particulièrement du
ressort de l’Etat. Le retard pris par la France dans le domaine de l’hygiène et de la santé est,
de ce fait, énorme vis-à-vis de voisins plus autoritaires comme les Allemands de Bismarck.
C’est dans ce cadre, en 1872, dans les premières années de la troisième République, que naît
l’Association Française Pour L’Avancement Des Sciences (AFAS) qui est une association
scientifique patriotique, comme le montre la devise du groupe, « Par la science, pour la
patrie ». Cette association, divisée en sections, s’intéresse de près à l’hygiène et la salubrité
puisqu’elle crée la section « hygiène et de santé publique » en 1883. L’association regroupe
nombre d’intellectuels, principalement des médecins au sein de la section d’Hygiène. Ainsi,
nous retrouvons Pasteur, qui a déjà intégré le Conseil de salubrité de la Seine en 1876.
Maintenant fermement ancré dans le milieu hygiéniste, comme nous l’avons vu, il entreprend
ses premières expérimentations sur le basile du charbon (sur les moutons en 1881), avant de
s’attaquer à la rage sur l’Homme. Ainsi, le groupe est très ancré, dès le commencement, dans
la lutte contre les microbes et les bactéries, dans « la révolution pasteurienne » selon Marc
Renneville18. La caractéristique très intéressante de ce groupe, dans lequel on retrouve aussi
Claude Bernard, est de produire une science appliquée. Ainsi, la situation est très claire pour
les membres de l’AFAS, pour Rochard, le retard de la France dans l’hygiène publique est dû
« à l’indifférence des pouvoirs publics et l’ignorance des administrés » (un argument que
nous retrouverons mot pour mot lors de l’étude de l’HPE). L’anarchie administrative n’aide
pas non plus à la promotion des mesures prophylactiques nécessaires. Ainsi, selon Renneville,
l’objet de l’association est de montrer aux pouvoirs publics qu’il coûte plus cher de soigner
les gens que de prévenir les maladies dont ils peuvent être victimes. L’association organise
des congrès (dans le plus pur style hygiéniste que nous évoquions plus haut), partout en
France, en choisissant à chaque fois une ville de province dont les avancées locales devraient
inspirer l’administration centrale, ou qui requiert l’aide des membres de l’AFAS. Ainsi, ce
choix délibéré du provincialisme tend à donner la main aux échelons locaux (qui avaient tant
manqués à Lepecq de La Clotûre, dont nous avons déjà parlé). Le but derrière cette idée est
d’agir, au contraire de tout ce qui a déjà été tenté, du pouvoir local vers le pouvoir central.
Ainsi, ces déplacements ancrent la section d’hygiène dans le concret, même si il ne s’agit
malgré tout, que de congrès pas forcement suivis d’effets. Partant du mot d’ordre évocateur «
Pasteur ou rien », la section d’hygiène de l’AFAS évolue afin d’être plus efficace, en 18 Renneville M., « la politique de l’hygiène à l’AFAS(1872-1914) » in Bourdelais P., Les Hygiénistes : enjeux, modèles, pratiques, Paris, Belin, 2001, pp. 77-96
18
modifiant son discours. Avec son expérience grandissante, ce discours tend à favoriser le
compromis avec les pouvoirs publics en affirmant, notamment, que l’AFAS ne doit pas
« entraver les grands rouages de l’économie »19, afin de ne pas inquiéter les libéraux
orthodoxes, encore très présents sur l’échiquier politique. Dans le même temps, la section
commence à ne plus être peuplée que de médecins, on trouve aussi des professeurs et des
inspecteurs de l’éducation qui voudraient voir l’hygiénisme appliqué aux écoles de la
République, ce qui la rapproche de façon très importante de l’association sur laquelle nous
travaillons directement. La comparaison ne s’arrête pas là puisque Éleuthère Mascart, le père
d’une des membres les plus actives de l’HPE (nous en reparlerons) est président de l’AFAS
en 1894, et de même, après la Première Guerre mondiale, en 1920, un des vices présidents
fondateurs de l’HPE, le professeur Calmette, est en même temps directeur de l’AFAS. Pour
finir, nous pouvons dire que l’intérêt de cette section d’hygiène de l’AFAS réside dans sa
volonté de défendre les idées de Pasteur à travers un certain « tourisme scientifique »20, ce qui
lui a permis, outre les nombreuses publications qui en découlent, d’être un premier exemple
de passerelle entre l’hygiénisme, les politiques et les industriels de la France. L’HPE a, sans
nul doute, beaucoup puisé d’inspiration dans cette initiative.
19 Renneville M., op. cit. .p. 9220 Renneville M., op. cit. p. 92
Chapitre 2 : La politique sociale et éducative en France, de la révolution
française à la seconde guerre mondiale
Tout comme l’avait imaginé Voltaire, les maladies ne sont absolument pas distinctes du
terreau social dans lequel vivent les individus. Ainsi, le combat médical va souvent de paire,
pour les hygiénistes, avec un combat social de lutte pour la reconnaissance de la faiblesse des
classes populaires face aux maladies.
A) tour d’horizon des politiques sociales en France au XIX° et début du XX° siècle : le va et
vient perpétuel entre libéralisme et interventionnisme jusqu'à 1939.
1) Les politiques sociales de la révolution au Second Empire
L’assistance, en France, durant l’Ancien Régime est avant tout l’histoire de l’Eglise qui gère
les hôpitaux destiné, à la différence de l’hôpital moderne, à venir en aide aux pauvres et
indigents. En parallèle de l’Eglise se développe, pendant tout le Moyen Age et l’époque
moderne, la charité individuelle qui permet aux riches de venir en aide aux pauvres et donc,
de se laver de leurs péchés. Ainsi, le système d’assistance avant la Révolution française est
entièrement fondée sur un idéal religieux faisant référence à une image du pauvre inspirée par
l’histoire du Christ. En plus de ce système, les artisans sont composés en corporations qui leur
permettent de se prémunir contre les accidents et les maladies. La révolution française fait
littéralement voler en éclat tout ce système selon F. Demier21. En effet, la Révolution permet
aux libéraux qui placent la liberté des individus d’entreprendre, et de se prémunir contre la
maladie, au dessus de tout. L’Eglise, amputée d’une bonne part de ses biens (qui sont
sécularisés) ne peut plus assurer son rôle d’assistance à travers les hôpitaux. De même, les
corporations d’artisans sont supprimées. Ainsi, tout le système repose maintenant sur les
sociétés de bienfaisance et « les sociétés populaires municipales » créées pour l’occasion, à
qui on donne la gestion des hôpitaux. Ce changement complet de modèle d’assistance laisse
beaucoup de gens sans aide. De plus, l’aide de l’Etat n’est pas mise en place afin de combler
ce nouveau manque car pour les libéraux qui ont le pouvoir, notamment des gens comme J.B
21 Demier F., Histoire des politiques sociales en Europe: XIX°-XX° siècles, Paris, MEMO seuil, 1997
20
Say (1767-1832), ou C. Dupin (1784-1873), si l’Etat intervient, cela aura surtout pour effet de
brider les individus et l’économie. Pour les intellectuels libéraux, l’assistance publique
encourage surtout les indigents à la paresse, leur solution réside dans la croissance, seule la
croissance peut, pour eux, venir à bout de la pauvreté. Pourtant, dans les années 1830-1840,
de nombreux troubles ouvriers font démentir les schémas théoriques des libéraux orthodoxes,
notamment « Les Trois Glorieuses » de juillet 1830 qui montrent clairement les limites d’un
système trop libéral en France. En 1840, Jean-Baptiste Marbeau, le bourgeois philanthrope et
créateur des crèches en France, fait état de la situation catastrophique, 6 millions de français
ont besoin de secours, soit 1/6 de la population et 250 000 mendiants sont livrés à eux même
dans les rues des grandes villes françaises22. Même les économistes libéraux comme Adolphe
Blanqui (1798-1954) comprennent qu’un modèle spécifique doit être créé en France, en
rompant avec certains aspects du libéralisme anglais. Pourtant, la part de l’assistance en elle-
même représente 0.3% du PIB du pays et dans ces 0.3% du PIB, seul 3% proviennent de
l’Etat (52% de l’aide privée, 45% des collectivités), on voit donc que le modèle libéral est
toujours parfaitement assumé par les pouvoirs publics. Alors, afin de pallier le manque d’aide,
le système mutualiste est renforcé (il est créé dès 1829). Celui-ci mise sur la prévoyance via
des fonds mutualisés, c'est-à-dire, mis en commun, de façon égalitaire. Pourtant, malgré les
2050 sociétés mutualistes présentes en 1847, le système peine à toucher les classes populaires
étant donné que ces sociétés, du côté de l’ordre, ne subventionnent, par exemple, pas les
grévistes. Ainsi, alors que tous les propriétaires, qu’ils soient artisans, agriculteurs, ou
bourgeois, arrivent à se créer des fonds d’assurances individuels libres, la classe ouvrière, qui
n’a que sa force de travail, ne bénéficie, la plupart du temps, d’aucune assurance23. La
nouvelle crise de 1848 montre que les pouvoirs publics ont encore fait fausse route en
concentrant le mécontentement au sein des ateliers nationaux et en accentuant la place des
mutuelles qui ne sont pas adaptées à ceux qui en ont besoin, les ouvriers. C’est dans le cadre
de la deuxième République, de 1848 à 1851 que la stratégie d’interventionnisme modéré de
l’Etat est tentée, avec notamment la loi de salubrité publique de 1850, après l’échec complet
des libéraux soutenus par les deux restaurations successives. Les premières crèches voient le
jour, ainsi que les premiers « établissements d’utilité publique », le 15 juillet 1850. Le 25
juillet 1850, la Caisse nationale des retraites est créée grâce à l’appui des catholiques sociaux.
En un mot, un vent de progrès législatifs sans précèdent souffle sur la France jusqu’à 22 Demier F., ibidem p. 1823 Dreyfus M., Se protéger, être protégé, une histoire des assurances sociales en France, Rennes, PUR, 2006
21
l’avènement du Second Empire. Avec le Second Empire, on se retrouve dans la même
position qu’avec Napoléon Bonaparte, en présence d’un régime autoritaire et interventionniste
sur les questions sociales, ce qui ne doit absolument pas être comparé à une forme d’Etat
providence. En effet, Napoléon III tient à un « libéralisme modulé par la puissance
publique »24, autant dire même directement contrôlé. Ainsi la fin du Second Empire
décrédibilise pour quelques temps l’action de l’Etat dans le domaine social car il a permis aux
libéraux de montrer que l’intervention de l’Etat pouvait rimer avec la réduction des libertés
individuelles.
2) Les multiples volets de la politique sociale durant la troisième République
La troisième République réinstaure, dès 1872, un fort libéralisme, compte tenu de l’échec de
l’Empire de Napoléon III, trop autoritaire. Le but est, également, de prendre le contre-pied de
l’exemple allemand de la République de Weimar contre laquelle la rancœur tricolore s’exerce
déjà. Ainsi, malgré un léger élan législatif en faveur de l’interventionnisme étatique impulsé
par les républicains sociaux (loi sur le travail des enfants en 1872), le libéralisme domine la
vie politique française jusque dans les années 1890. Les libéraux, toujours attachés à la liberté
des individus vis-à-vis de l’Etat, ne veulent pas, pour autant, que se reproduisent les troubles
de 1830, 1848 et la Commune. Ainsi, le paternalisme patronal, encore assez peu répandu,
prend de l’importance car il semble être une solution qui écarte les ouvriers des tentations
révolutionnaires. Le paternalisme place le patron au centre du système de l’assistance des
ouvriers. Ce mode de fonctionnement est surtout présent chez les patrons protestants et
philanthropes (comme Schneider au Creusot) qui cherchent le compromis entre les classes
sociales afin d’assurer la paix sociale. Pourtant, dans les années 1890, le constat est amer vis-
à-vis du paternalisme car les initiatives sont encore trop rares. De ce fait, 3,5% des ouvriers,
seulement, bénéficient d’un système de prévoyance25. Cette réalité pousse les classes
populaires à se tourner vers des mouvements associatifs ouvriers qui mènent souvent à la
contestation en regroupant les mécontents du système. Ainsi, les années 1890 voient se
développer l’anarchisme en France avec des attentats qui terrorisent la France, comme ceux
de Ravachol ou d’Emile Henri, au début de la décennie 189026. Comme dans les années 1840-
1850, de nouvelles études sont menées sur la pauvreté des milieux populaires. A nouveau, ces
24 Demier F., op.cit. p. 2925 Demier F., op.cit. p. 31 26 Bouhey V., Les Anarchistes contre la République 1880-1914, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009
études amènent les politiques à une prise de conscience des conditions de vie de la classe
ouvrière en France. Cette situation renverse la balance en faveur de l’action de l’Etat au
détriment du libéralisme classique. Par ailleurs, en mai 1891, le Pape Léon XIII (1810-1903)
publie l’encyclique Rerum Novarum qui encourage le catholicisme social partout en Europe.
Ce texte a un impact énorme puisqu’il permet à la République de rallier beaucoup de
catholiques socialement interventionnistes mais politiquement conservateurs (un peu à
l’image de De Melun, quelques décennies auparavant). Grâce à ce nouvel appui, les années
1890-1900 sont une période de reforme très importante en France car le consensus autour
d’un rénovation sociale et sanitaire de la France regroupe beaucoup de politiques d’horizon
très divers. Nous reviendrons ultérieurement plus en détail sur celle-ci mais il est important,
dès maintenant, de comprendre que l’office du travail (1891) puis le Ministère du travail
(1906) sont très largement confiés à des politiques qui veulent un vrai changement, durant
cette période. Ainsi, les « réformateurs » obtiennent en 1893, une loi qui rompt complètement
avec la « bienfaisance étatique »27, au bénéfice de l’assistance directe. Il s’agit de la loi sur
l’assistance médicale gratuite. En 1898, c’est la loi sur les accidents du travail. Pour F.
Demier28, cette vague réformiste, bien que non négligeable, se heurte à la volonté d’une
majorité des patrons de faire barrage à toute avancée, et à l’opposition des ouvriers pour qui
les avancées ne sont pas suffisantes. Ainsi, la loi de 1910 sur les retraites à 65 ans ne voit pas
le jour pour cette double raison. Même lorsque les lois sont votées, il se pose la question de
leur application, car souvent, des dérogations accompagnent les lois. La France étant un pays
d’assez grande instabilité du peuple, les radicaux (parti créé en 1901) ont peur d’émeutes
socialistes, ce qui a pour effet de freiner les avancées. L’Etat se place donc plutôt, à l’issu de
la période réformiste, du côté de l’ordre et de la défense de la propriété plutôt que de la
défense des citoyens. Cette position favorise les classes moyennes, nous le voyons notamment
avec la monté des caisses d’épargne à cette époque, et jusqu'à la Grande Guerre. Dans le
domaine de l’assistance, l’Etat encourage toujours fortement, comme au XIX° siècle, les
associations privées, à qui il donne tous les moyens d’agir sans intervenir directement lui-
même. La Première Guerre Mondiale amorce un changement crucial puisque l’Etat
s’implique pleinement dans le domaine économique. À titre d’exemple, il existe 291
entreprises d’Etat à la fin de la guerre29. Pourtant, on observe après guerre que la France a pris
27 Gueslin A., L’état, L’Economie Et La Société Française XIX°-XX° siècles, Paris, Hachette sup, 199928 Demier F., op. cit. p.4729 Gueslin A., op. cit. p.112
23
un très grand retard sur les réformes sociales, ce que ne manque pas de souligner le Bureau
International du Travail dans ses rapports. La crainte des Alliés est de voir une révolution
communiste à la «russe» en France. Ainsi, la puissance politique, jusqu'au succès du Front
populaire, est plutôt donnée à la droite, favorable à l’ordre. Dans les années 1920, la chute
démographique due à la guerre se fait sentir ce qui fait réagir l’Etat. Une large campagne
nataliste est lancée progressivement à partir de 1920 avec la création d’un « Conseil de la
natalité ». Un Ministère de l’hygiène, de l’assurance et de la prévoyance est créé en 1920
(notons qu’il s’agit de l’année de création de l’HPE) et est rattaché en 1921 au Ministère du
travail. Pourtant, on n’assiste pas à de réels changements sociaux car la priorité reste la remise
sur pied de l’économie française selon F. Demier30. Cette opinion n’est pas partagée par A.
Gueslin qui argumente en disant que l’Etat se doit de venir en aide aux ouvriers car la
tentation révolutionnaire est importante après guerre31. De cela découle un projet de loi
d’assurances sociales globales, en 1921. Cette loi est réellement mise en place 10 ans plus
tard, avec le gouvernement Tardieu (de droite) qui impose un système d’assurance obligatoire
secondé par des mutuelles en 1930, pensant ainsi éloigner le spectre révolutionnaire pour de
bon. Cette loi est un échec car seul 1/3 de la population en bénéficie vraiment. De plus, en
intervenant de cette façon, l’Etat se met à dos aussi bien les communistes que la droite
libérale, formant, ainsi, un très large front de contestation. Ce front de contestation est rejoint
par les médecins qui craignent pour la médecine libérale et par les sociétés mutualistes qui
craignent que leur puissance ne baisse32. La crise financière de 1929 arrive dans ce contexte et
surprend tout le monde. L’Etat réagit avec un « interventionnisme tâtonnant »33, des plans
contre le chômage sont lancés en 1929, 1931 et 1934 mais malgré la bonne volonté, ils n’ont
qu’un effet modéré. Selon F. Demier, la période du Front Populaire est certes un moment de
très bonnes volontés, mais il « ne modifie pratiquement pas la politique de protection sociale
en France »34. Les plus grandes velléités de changement de l’Entre-deux-guerres ont surtout
été tentées par la droite de Tardieu, toujours selon F. Demier.
B) Les politiques éducatives du XIX° siècle : une priorité de l’Etat français
30 Demier F., op.cit. p. 5231 Gueslin A., ibidem p. 11832 Gueslin A., op. cit. p. 11933 Gueslin A.,, ibidem p. 12434 Demier F., op. cit. p. 60
24
1) Les réformes « Ferry », le socle d’un modèle éducatif solide
Souvent l’hygiénisme a été dévalorisé dans les mesures prioritaires à prendre, au XIX° siècle,
car l’Etat français préfère construire des écoles. Il est donc intéressant de se pencher sur ce
choix français de l’éducation de la jeunesse, au moment où il se développe le plus, c'est-à-
dire, durant la Troisième République. L’intérêt de cette étude est double puisque l’association
sur laquelle nous travaillons centre son travail de promotion de l’hygiène justement sur
l’enfant et plus particulièrement dans le cadre de l’école laïque et gratuite, une des créations
de la Troisième République. Voyons donc le cheminement qui a mené à ce système éducatif
français. Après avoir perdu le soutien du Sénat avec les élections de 1879, qui donnent aux
républicains 179 sièges contre 121 pour les monarchistes et la droite, Mac-Mahon quitte son
poste de Président de la République le 30 janvier 187935. Cette démission laisse une grande
liberté aux républicains qui sont présents dans les deux chambres et ont gagné les municipales
en 1878. Ainsi, la République, enfin véritablement assise face aux oppositions monarchistes,
cherche un moyen d’affirmer de façon pérenne sa domination sur la France. Il est nécessaire,
pour les républicains, d’unifier tout le territoire autour du modèle républicain. La
transformation du système éducatif français est à comprendre dans ce contexte. La méthode
employée par le nouveau gouvernement, à partir de 1879 est d’agir par petits ajustements
plutôt que de faire de grands changements. Dans le domaine éducatif, l’homme
incontournable des réformes est Jules Ferry (1832-1893), qui a en charge le portefeuille de
l’Education nationale. Son objectif est de doter la France d’un système éducatif complet,
fondé sur l’enseignement primaire, qui puisse former de futurs citoyens éclairés. Pour cela, il
créé, dès 1879, un réseau d’écoles normales qui quadrille le territoire et qui a pour but de
former les maîtres d’école de la République, les « hussards noirs » de la République,
considérés comme de véritables vecteurs des idées républicaines. Ferry s’attaque au personnel
car il souhaite instaurer des bases solides à l’école, afin qu’elle puisse durer dans le temps
telle qu’il l’a imaginée. En 1881, avec un nouveau mandat du gouvernement Gambetta, la
gratuité de l’enseignement primaire public est votée de telle sorte qu’il soit accessible à tous.
En 1882 cette notion d’accessibilité de tous est accentuée avec une loi qui rend
l’enseignement primaire laïc et obligatoire. Dans le même temps, l’enseignement religieux,
l’ancien pilier de l’éducation des enfants, datant de l’Ancien Régime, est marginalisé
puisqu’il ne peut plus être dispensé dans le cadre scolaire. Ainsi, en l’espace de 3 ans, 35 Mayeur J-M, La Vie politique sous la Troisième République (1870-1940), p68, Paris, Éditions du Seuil, « Points-Histoire », 1984
25
immédiatement après la constitution du gouvernement entièrement républicain, l’école
française est totalement repensée. Afin de le seconder sur les lois de modelage de l’école
moderne républicaine, Ferry peut compter sur Paul Bert (1833-1886), son successeur au
Ministère de l’Education nationale, qui continue avec une très grande vigueur ses réformes.
Ce député et ministre républicain se donne pour rôle d’accentuer encore davantage
l’accessibilité des enfants à l’école laïque car il s’agit d’un très fervent anti-clérical. Par
ailleurs, son combat se situe sur le plan de la parité dans l’éducation, en faveur des petites
filles. Cet aspect a de l’importance pour nous puisque, comme nous le verrons dans l’étude de
l’association de l’HPE, sa fille, madame Clayton Paul Bert joue un rôle déterminant dans
l’œuvre que nous étudions.
2) Un agent actif de l’école de la troisième République : F. Buisson et son dictionnaire
pédagogique
Ferdinand Buisson (1841-1932) est un philosophe et homme politique français qui est l’un des
promoteurs les plus acharnés de l’école laïque en France, dans la seconde moitié du XIX°
siècle. Il entre au gouvernement sous la tutelle de Ferry, en 1879, en tant que Président de
l’enseignement primaire. Ce poste est hautement stratégique car, comme nous l’avons vu,
l’enseignement primaire est véritablement le cœur du nouveau système éducatif que Ferry
tente de mettre en place à partir de 1879. L’idée très intéressante de Buisson est de s’attaquer
à la rédaction d’un « dictionnaire pédagogique », dès son arrivée au gouvernement, en 1879,
afin d’améliorer la formation des maîtres, qui, rappelons le, sont les éléments centraux du
système voulu par Ferry. Le but de ce dictionnaire est d’accompagner directement les maîtres
d’école français, sur le terrain, dans leurs questionnements quotidiens, et ainsi, d’ancrer les
réformes de Ferry/ Paul Bert avec plus de force. Le choix du dictionnaire est, selon J-Y
Mollier36, absolument assumé par l’initiateur du projet car cela renvoie aux Lumières. Les
penseurs des Lumières ont été, pour certains, des précurseurs dans le milieu éducatif
(rappelons-nous, notamment, de L’Emile, ou De l’éducation de Rousseau). De plus, toujours
sous l’influence des Lumières, mais cette fois-ci, avec l’Encyclopédie de Diderot et
Dalembert, le XIX° siècle est le siècle du développement des encyclopédies et des
dictionnaires. Ce phénomène prend d’autant plus d’importance avec l’envolée des manuels
scolaires. Dès 1826, Louis Hachette édite des manuels scolaires, qui ont pour rôle d’assister
les instituteurs, à destination des enfants d’écoles primaires. Cette intuition, qui anticipe
36 Denis D. & Kahn P.(ed), L’école de la Troisième République en question ; débats et controverses dans le « dictionnaire pédagogique » de Ferdinand Buisson, Berne, Peter Lang, 2006
26
complètement les décisions ministérielles s’avère juste lorsqu’en 1833 est votée la loi
« Guizot » qui lance les commandes de manuels scolaires pour les écoles primaires, par l’Etat.
De ce fait, Hachette se trouve sans concurrent jusqu’en 1852 où Pierre Larousse arrive sur le
marché afin de prendre des parts de marché dans le domaine, désormais très attractif des
manuels scolaires. En 1865, Delagrave tente sa chance contre les deux premiers éditeurs dont
les manuels sont de grands succès. Un des rédacteurs de Delagrave, Auguste Collin, créé sa
propre maison d’édition spécialisée dans les manuels scolaires en 1870. En 1872, Armand
Collin, sa société, connaît un grand succès. Ainsi, ces quelques éléments de contexte
permettent de comprendre les enjeux autour du « Dictionnaire pédagogique » de Buisson.
Alors que la filière des manuels scolaires a déjà environ 50 ans, les lois Ferry qui instaurent
l’obligation des études primaire pour tous, de façon gratuite, permettent un dynamisme
inégalé pour ces maisons d’éditions. L’enjeu est, pour Buisson, de créer un manuel à
destination de ceux qui enseignent et qui ont besoin d’apprentissage en pédagogie. Le
dictionnaire de Buisson est une œuvre extrêmement complète, dotée de 4 volumes avec des
milliers de pages sur les sujets les plus divers. S’inspirant du modèle de l’Encyclopédie,
Buisson fait appel à des professeurs afin de rédiger les articles de son dictionnaire (5 francs la
colonne, soit 20 euros par feuillet de 3600 signes environ nous dit Mollier). Ce texte
fondamental est comparé à des « masses de granite de la République pédagogique », ou à un
« herbier» par P. Dubois37, pour décrire l’aspect monumental de l’ouvrage. Buisson s’est
attelé à la tâche également car il ne tenait pas à ce que l’idée vienne, comme pour le manuel
scolaire, d’une maison d’édition, avec un but lucratif assumé. Pourtant, ce « dictionnaire
pédagogique » est quand même édité par une société privée et non par l’Etat. Hachette, en
saisissant cette opportunité, passe devant ses concurrents en s’attaquant, à travers le
dictionnaire, à de nouvelles cibles, les instituteurs. Dans son contenu, le dictionnaire reprend,
selon L. Chalmel38, les principaux traits de la philosophie éducative des Lumières remis au
goût du jour. Ainsi, dans les modifications apportées, la laïcité prend une grande place dans
l’ouvrage, à partir du moment où elle est ajoutée aux reformes à appliquer, à partir de 1882.
Ce dictionnaire du Buisson est l’occasion de voir que la question de l’enseignement primaire
est, depuis longtemps, réglée, sur le plan éducatif, avant la fin du XIX° siècle. En effet,
plusieurs générations d’enseignants ont eu ce dictionnaire, comme ouvrage de référence, entre
les mains. Cet ouvrage reste, d’ailleurs, la référence durant l’Entre-deux-guerres, la période
qui nous concerne tout particulièrement. D’autre part, Buisson, est accompagné, dans la
37 Denis D. & Kahn P.(ed), idibem p.7338 Denis D. & Kahn P.(ed), op. cit. p. 75
27
rédaction du dictionnaire, d’un protestant républicain socialiste (voire anarchiste), James
Guillaume, arrivé de Suisse à la suite de la révolution de 1848. La réforme éducative est, à ce
titre, le moyen de voir que le terreau protestant est très favorable à la naissance de
personnalités prônant les différentes réformes de la fin du XIX° siècle en France, selon L.
Chalmel. Nous retrouverons ce phénomène lorsque nous parlerons de la vague de réforme des
années 1890, un peu plus tard.
C) Les différentes conciliations de l’éducatif et de l’hygiénisme au XIX° et au début du XX°
siècle.
1) Les écoles de plein air: faire de l’école un lieu de santé
L’idée des écoles de plein air est d’allier l’école moderne, avec les principes hygiénistes, en
particulier aéristes.39 L’aérisme est une sub-division de l’hygiénisme qui consiste à penser que
l’air que l’on respire est, pour bonne part, responsable de notre état de santé. L’air qui ne
circule pas n’est pas bon pour la santé, de même que l’air des villes, pollué par les fumées des
usines, à partir du XIX° siècle. Comme nous l’avons vu, ces théories reviennent au goût du
jour avec la redécouverte des traités médicaux de la Grèce antique, puis avec
l’industrialisation de l’Europe occidentale. Pourtant, il faut attendre 1881 pour que les
premières expériences des écoles de plein air fassent leur apparition, en Allemagne d’abord.
La première « Waldschulen » (littéralement « école de forêt ») voit le jour dans le quartier de
Charlottenburg, à Berlin, sous l’impulsion du médecin Adolphe Baginsky, pionnier en
matière de climatothérapie. La création des écoles de plein air en Allemagne semble être liée
au conflit franco-allemand de 1870 qui nécessite de « régénérer la race», c'est-à-dire, de
maintenir l’enfant en bonne santé afin de préparer de nouveaux conflits, ou en tout cas, de
rester compétitif vis-à-vis des autres grands pays d’Europe. Dans ce combat, la tuberculose
n’est pas un mal à négliger, comme nous l’avons vu, car il s’agit de la grande maladie du
XIX° siècle. Ainsi, la maladie pulmonaire qu’est la tuberculose peut être contrée avec l’école
de plein air qui permet un accès à un air sain et au soleil réparateur. Ce dispositif est souvent
renforcé par une méthode de surnutrition de l’enfant et d’importants exercices physiques afin
de renforcer le corps. Ainsi, avec le but de faire les cours en extérieur, on invente, en parallèle
de nouveaux objets comme du mobilier de classe transportable, et donc à la fois léger et
solide. Le mouvement des écoles de plein air s’exporte à partir du début du XX° siècle,
39 Châtelet A-M., Lerch D., Luc J-N.(dir.), L’école de plein air, une expérience pédagogique et architecturale dans l’Europe du XX° siècle, Paris, Editions Recherches, 2003
28
d’abord en Belgique et en Suisse, puis dans les pays anglo-saxons. En France, les écoles de
plein air suscitent peu d’intérêt malgré quelques initiatives, notamment à Saint-Ouen, en
1906, grâce à la Ligue française pour l’éducation40. L’idée des promoteurs des écoles de plein
air est également de faire une révolution pédagogique en axant l’enseignement sur un
équilibre entre les savoirs et la qualité de vie. Ainsi, l’école de plein air va de paire avec des
programmes allégés et adaptés. Le mouvement connaît sa plus grande croissance dans l’Entre-
deux-guerres, lorsque l’idée de palier au déficit de population dû à la guerre devient une
urgence. En parallèle des politiques natalistes que nous avons déjà évoquées, se mettent en
place des campagnes de sélections d’enfants nécessitant la scolarisation dans une école de
plein air. On contrôle les résultats des enfants sur le plan physique, mais aussi moral, car le
but est de faire des jeunes générations un peuple fort. Alors que l’Allemagne, toujours à la
pointe du mouvement, compte déjà 17 établissements en 191741, la France s’éveille
doucement au problème. Ainsi, le professeur Armand Delille (1874-1963) fait la promotion
des écoles de plein air en 1921, en expliquant que « La fleur humaine est, de toutes les fleurs,
celle qui a le plus besoin de soleil »42. Le mouvement suit en tout point le développement de
l’hygiénisme du XIX° siècle (dont nous avons déjà parlé) car il se constitue en congrès à
partir de 1922. Le besoin de ces grandes réunions internationales a les mêmes causes que les
congrès hygiénistes de la fin du XIX° et du début du XX° siècle. La première raison est le
besoin d’expérimentation des méthodes et d’évolution de la science par recoupement des
expériences menées partout en Europe. Deuxièmement, les congrès permettent d’unir les
promoteurs des écoles de plein air qui cherchent à légitimer leur action face aux critiques. Ces
critiques sont de deux ordres. Les libéraux (une catégorie d’opposants aux réformes
hygiénistes et aux interventions de l’Etat que nous connaissons bien maintenant) s’opposent
aux écoles de plein air car ils y voient une médecine trop autoritaire et institutionnelle qui
nécessite la puissance un dispositif local d’envergure avec l’appui des collectivités
territoriales. Ils assimilent donc ce mouvement à un vecteur de perte des libertés individuelles.
D’autre part, sur le plan scientifique cette fois, certains médecins critiquent les écoles de plein
air pour le trop grand empirisme de la méthode employée et les risques sanitaires d’une
surnutrition et d’une trop grande exposition au soleil, par exemple. Le point de vue de certains
scientifiques est donc de ne pas considérer les écoles de plein air comme un outil
thérapeutique. Pourtant, de façon globale, malgré certains ratés de structures implantées
directement en ville, la méthode semble porter ses fruits en redonnant une bonne santé aux 40 Châtelet A-M., Lerch D., Luc J-N.(dir.), op. cit. p.2141 Châtelet A-M., Lerch D., Luc J-N.(dir.), op. cit. pp. 22-2342 Châtelet A-M., Lerch D., Luc J-N.(dir.), ibidem
29
enfants malingres pris en charge. Le mouvement atteint son apogée entre 1930 et 1945. Après
la Seconde Guerre mondiale, les écoles de plein air sont délaissées à cause de la montée en
puissance de l’antibiothérapie partout en Occident. Il est intéressant de s’être attardé sur le
phénomène des écoles de plein air car il est contemporain à l’association et les points
communs ne s’arrêtent pas là, nous le verrons lors de l’étude précise de nos sources.
2) Sport à l’école et colonies de vacance : hygiénisme ou embrigadement ?
Le sport à l’école en France apparaît dans la seconde moitié du XIX° siècle, dans un contexte
très particulier, celui de la préparation à la guerre franco-allemande de 1870. Le but est à la
fois le maintien en forme physique, mais également la recherche d’une certaine discipline
militaire. Un décret de 1869 institue une pratique militaire du sport à l’école43. Les exercices
physiques consistent principalement au maniement des armes et des exercices de discipline et
de coordination du groupe tels que l’alignement et la marche en formation militaire. Ces
entraînements n’ont pas pour objet l’épanouissement physique des enfants mais
l’apprentissage de l’ordre et la possibilité future d’utilité nationale. En 1881, quelques années
après la fin de la guerre, Aristide Rey (1834-1901), député républicain libertaire (un ami de
James Guillaume, dont nous avons parlé précédemment), propose, à Paris, la formation, dans
les écoles, de bataillons « armés et équipés ». Cette idée a pour but d’inculquer aux enfants
l'esprit républicain et de combattre la logique de castes des armées permanentes. Se méfiant
de l’armée après la défaite de 1870, les républicains cherchent ainsi à remettre en question la
force de l’armée de métier en faisant de chaque école un camp d’entraînement citoyen.
D’abord appliquée à Paris, cette mesure devient un décret national en 1882. Ces dispositions
durent jusqu’aux années 1890 où l’échec du boulangisme et la chute de la droite militariste
invalide la stratégie républicaine des bataillons écoliers. Pourtant, malgré l’arrêt des
bataillons, l’enseignement sportif reste durablement marqué par cette première orientation
(qui coïncide beaucoup avec les débuts de l’école de Ferry, aux origines de l’école moderne
en France). La gymnastique scolaire reste ainsi, durant la première moitié du XX° siècle, liée
à des références militaires. En parallèle de l’exercice physique en classe se développent,
également à partir des années 1880, les colonies de vacances. L’idée, cette fois, est clairement
hygiéniste car les colonies de vacances sont avant tout destinées aux enfants des villes qui
pourraient passer leurs vacances loin des villes dont les vapeurs leur dégradent la santé. Le
domaine des colonies de vacances est d’abord exclusivement associatif. Deux modèles se
43 Corbin A. (dir.), Histoire du corps, tome2, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005
30
détachent lors du développement des colonies de vacances, à partir des années 188044. Dans
un premier temps, le but est avant tout d’envoyer les écoliers citadins, individuellement, dans
des foyers de ruraux, afin de ne pas perdre le lien avec la nature qui ne lui est plus familière.
D’autre part, comme nous avons dit, cela permet également de régénérer la santé du petit
citadin. Il se développe, en plus de cette méthode, des centres collectifs, entièrement destinés
à recevoir les colonies de vacances. Ces centres sont jugés, par certains, plus aptes que les
ruraux sans infrastructures ou formations particulières, même si cela ne permet pas le contact
avec l’habitant des campagnes. Ainsi, entre les défauts et les qualités de chaque méthode, les
deux modèles cohabitent, dans un premier temps. A partir de la fin de la Première Guerre
mondiale, le modèle des colonies de vacances, qui repose maintenant, de plus en plus, sur les
collectivités locales, prend de l’ampleur. En 1919, Henri Sellier, un des cadres du parti
socialiste français (la SFIO à l’époque), est élu maire de Suresnes. Suresnes devient alors son
terrain d’expérimentation, que ce soit dans le domaine des habitations à loyers modérés, à
destination des classes populaires, en créant les cités jardins (sur lesquelles nous ne pouvons
pas vraiment nous arrêter). Sellier se sert également de son poste de maire pour promouvoir
les colonies de vacances. Ainsi, durant tout l’entre-deux-guerres, Suresnes est le modèle du
genre puisque tous les enfants de la ville peuvent partir en vacances grâce aux colonies de
vacances dans la Nièvre. La Nièvre est choisie par Sellier, nous dit Laura Lee Downs, car
c’est un département où le socialisme est très bien implanté et où la déchristianisation est bien
amorcée. Ainsi, cela permet aux enfants de Suresnes de rencontrer d’autres jeunes, vivant une
existence rurale, mais élevés dans le même terreau idéologique. Malgré la crise financière que
traverse la France dans les années 1930, le projet sanitaire national, lié au déficit
démographique dû à la Grande Guerre, permet que la croissance des colonies de vacances ne
cesse pas. Cette période signe même plutôt le désengagement progressif des associations
privées dans les colonies de vacances, au bénéfice des collectivités locales. Ainsi, durant la
période du Front Populaire, en 1936, Sellier est très vite nommé Ministre de la Santé
publique, notamment grâce à son action vis-à-vis des colonies de vacances. 45
44 Downs L L., Histoire des colonies de vacances : de 1880 à nos jours, Paris, Perrin, 201045 Guerrand R-H.& Moissinac C., Henri Sellier, urbaniste et réformateur social, éd. La Découverte, Paris, 2005
Chapitre 3 : Le réseau de la réforme des années 1890-1900
Parmi les membres de l’HPE, beaucoup, comme le professeur Calmette ou l’homme politique
Siegfried, sont des personnalités incontournables chez les réformateurs de la fin du XIX°
siècle. Il est donc important de s’attarder sur cette mouvance.
A) Point général sur les réformateurs et étude d’une association réformiste hygiéniste
1) La mouvance réformiste : les combats communs et les dissensions au sein des congrès
internationaux
Fin 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est condamné pour trahison contre la France, au
bénéfice de l’Allemagne. Cette affaire, qui secoue tout l’opinion publique française, créé de
nombreuses coupures dans le paysage politique français, habituellement, jusque là, scindé
entre les partisans de « l’ordre » et ceux du « mouvement ». En effet, se constitue un troisième
parti médian, formé de tous les mécontents de la division entre les conservateurs et les
révolutionnaires, en France. Ce groupement souhaite le progrès mais récuse les méthodes et
les théories révolutionnaires. L’idée qui regroupe les partisans de ce mouvement est celle du
progrès dans lequel la France doit se lancer en cette extrême fin du XIX° siècle. Hormis ce
point de concordance, rien ne rapproche les réformateurs entre eux, c’est pourquoi C. Topalov
parle d’une « nébuleuse réformiste »46, dans le sens où ses acteurs appartiennent au même
ensemble mais tournent, comme des planètes, avec leur propre axe, leurs propres idées. Avec
une référence à Bourdieu, Topalov revient à la fin de son ouvrage, en détail sur cette idée, en
comparant les réformistes à un « champ ». Le champ47 est, pour Bourdieu, un milieu avec sa
propre logique, sa propre population, sa propre hiérarchie. Il existe une multitude de champs
dans la société, tous différents. Ainsi, le champ réformiste regroupe des gens qui n’ont,
comme seul point commun que de vouloir des réformes dans les domaines sociaux et
sanitaires. Il existe des réformateurs très conservateurs comme les Leplaysiens, qui estiment
que la réforme est une bonne solution pour éviter la révolution, tandis qu’il existe aussi des
réformateurs socialistes comme Millerand, qui pensent que la réforme est plutôt le premier
pas vers la révolution48. Ce phénomène est également présent en Grande Bretagne et aux
46 Topalov C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuse réformiste et ses réseaux en France-1880-1914, Paris, EHESS, 199947 Topalov C. (dir.), ibid p. 46148 Topalov C. (dir.), op. cit. p. 12
32
Etats-Unis, ce qui rend les échanges internationaux entre les différents réseaux réformistes
très productifs. En France, la troisième République bien ancrée permet la création d’une
Direction de l’assistance publique rattachée au Ministère de l’Intérieur, en 1886. En 1889, le
premier congrès réformateur s’ouvre, en marge de l’exposition universelle qui se tient à Paris.
Le thème de cette conférence est l’assistance. Le débat est très mouvementé, autour d’une
assistance obligatoire où non (les catholiques et libéraux orthodoxes s’y opposent
catégoriquement). L’intérêt des congrès réformateurs est le même que les congrès hygiénistes
dont nous avons déjà parlé. Pour Topalov, les congrès sont des « machines à consensus »49,
des outils nécessaires étant donné les grandes différences idéologiques entre les réformateurs.
Ce congrès international permet au mouvement de confronter les expériences sur le terrain des
différentes communautés réformistes, notamment les travaux des «charity organisation
societies » anglaises. En 1896, un nouveau congrès réformateur s’ouvre à Genève. Les
oppositions s’y font plus fortes entre les différentes mouvances. Le point de fixation de ces
oppositions est la place de l’assistance publique vis-à-vis de l’assistance privée. Il faut
préciser que « l’idéal officiel et républicain des années 1890 est celui d’une coopération entre
une bienfaisance privée préformée et l’assistance publique »50. Or à Genève, les deux
systèmes semblent se concurrencer dans les débats, les partisans de l’assistance publique
accusant l’assistance privée, principalement protestante, de prosélytisme. Ainsi, durant le
congrès de 1900 est renommé « congrès d’assistance publique et de bienfaisance privée »,
afin de bien dissocier les deux modes d’assistance qui ont chacun leur place dans le système.
En effet, personne ne semble vouloir une assistance complètement gérée par l’Etat et les
collectivités, parmi les congressistes. Les libéraux extrêmes absents, on arrive à la victoire de
la position médiane qui cherche le compromis, il s’agit d’une des manifestations concrètes du
tiers parti dont nous avons parlé précédemment. Ainsi, l’assistance aux valides est laissée aux
organismes privés qui viennent en aide par le travail, tandis que ceux qui ne sont pas aptes au
travail doivent pouvoir jouir de l’assistance publique. Ce congrès montre bien les fragilités et
les forces qui découlent de la diversité des membres du réseau réformiste.
2) L’hygiénisme au centre des idées réformatrices : L’association générale des hygiénistes et
techniciens municipaux
En 1884, une loi donne plus de pouvoir aux collectivités locales avec le souci de décentraliser
peu à peu la France trop tournée, selon certains, vers sa capitale, Paris. Pour les réformateurs,
49 Topalov C. (dir.), ibidem. p. 2050 Topalov C. (dir.), ibidem, p. 17
33
la question du pouvoir grandissant donné aux municipalités est assez délicate puisqu’ils sont,
pour beaucoup, en faveur de l’intervention de l’Etat central. En réalité, le but, derrière cette
décision, est de donner plus de pouvoir aux collectivités locales afin qu’elles rénovent leur
propre réseau d’adduction d’eau et d’assainissement car la situation, dans ce domaine, est
assez grave, en France. Dès 1877, une société hygiéniste prône des réformes de fond dans ce
domaine. Il s’agit de la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle,
principalement composée de médecins hygiénistes de l’armée française qui tiennent à voir les
villes où sont stationnées les garnisons militaires dans un meilleur état de salubrité. Dans cette
société, nous retrouvons également des ingénieurs des ponts et chaussées particulièrement
impliqués dans les services municipaux de voiries et des eaux, mais ce sont les médecins qui
dominent le groupe. L’hégémonie des médecins freine la société qui ne jouit pas assez
d’appuis locaux selon V. Claude51. Ainsi, malgré des efforts conséquents, notamment une
revue publiée à partir de 1879, l’association peine à faire bouger les choses jusqu’au début du
XX° siècle. L’Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux, elle, créée en
1905, intervient juste quelques années après une loi promulguée en 1902 (qui a nécessité 15
ans de discussion) qui traite enfin de la santé publique, et entre autre, de l’assainissement des
villes françaises. L’Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux jouit
d’une profonde assise locale car elle n’est pas dominée par des médecins et compte beaucoup
d’agents municipaux ingénieurs spécialisés dans le génie civil. L’importance grandissante des
« techniciens » dans une société hygiéniste est une première car, durant tout le XIX° siècle,
les médecins dominent largement ce milieu. Ainsi, l’association compte de nombreuses
personnalités. C. Perrier (ancien Président de la République), J. Siegfried (ancien ministre,
membre du musée social et même membre de l’HPE), E. Cheysson (un des chefs du courant
Leplaysien de l’époque, ingénieur des ponts et chaussées) en font tous partie. En 1906, un an
après la création de l’œuvre, seuls 21 médecins font partie de l’association ; en revanche, ce
sont tous des médecins très réputés et importants. Nous pouvons notamment citer Broardel et
Calmette (un futur membre de l’HPE, tout comme Siegfried). L’apogée de ce groupe se situe
autour des années 1910, avec la présidence de G. Berckmann. Cet homme est la synthèse
parfaite des membres de la société puisqu’il est à la fois médecin et ingénieur. Berckmann est
président de la société de 1912 à 1919 et est, par ailleurs, membre de la section d’hygiène du
musée social (dont nous reparlerons vite). La volonté de Berckmann est de rénover de façon
globale les villes françaises, et non seulement leurs réseaux d’eau, pour une meilleure 51 Claude V., "Technique sanitaire et réforme urbaine : l'Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux", in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, EHESS, 1999, pp. 269-298.
34
hygiène. Sa vision est également assez proche de celle que défendent, quelques années plus
tard, les membres de l’HPE car il prône également un changement des habitudes par la
pratique et le concret. On peut donc voir, à travers l’Association générale des hygiénistes et
techniciens municipaux une mutation du cercle réformiste vers ce qui aboutit, au début des
années 1920, à la naissance de l’association que nous étudions, l’HPE.
B) Un mouvement commun mais des initiatives propres à chaque courant
1) Les leplaysiens réformistes : la société d’économie sociale
F. Le Play (1806-1882) est un polytechnicien ingénieur des corps des mines et sociologue. Il a
été un des grands noms du Second Empire, dans lequel il occupe le poste de conseiller d’Etat
puis celui de sénateur du Second Empire à partir de 1867. Le Play est également un des pères
de la sociologie française, établissant de grandes enquêtes sur le peuple français. Sa vision,
très conservatrice et anti-révolutionnaire lui vaut de s’intéresser au paternalisme social, c'est-
à-dire, comme nous l’avons précédemment déjà signalé, à l’assistance patronal envers ses
employés. Son courant de pensée fait de nombreux adeptes parmi les penseurs conservateurs
du social. Pour ces intellectuels, les adversaires les plus dangereux sont les socialistes qu’il est
extrêmement important de neutraliser car ils prônent la révolution. Dès 1856, Le Play crée la
« société d’économie sociale » (SES) qui regroupe tous les intellectuels affiliés à son mode de
pensée. Après quelques années, de nombreux organes gravitant autour de la SES voient le
jour. Ainsi, cinq instances, toutes différenciées et autonomes, comme la Société internationale
des études pratiques d’économies sociales par exemple, sont clairement affiliées aux
leplaysiens. A partir de 1867, la SES reprend le travail sociologique de son fondateur en
organisant des enquêtes individuelles et collectives en France. Ce travail d’étude est complété
par un dispositif de réunions de réflexions de la SES à partir de 1882, lorsque Le Play meurt.
Ainsi, à la mort de Le Play, les conservateurs leplaysiens sont dotés d’une structure très
efficace à tous les échelons, gravitant autour de la structure de la SES, qui détermine le
« dogme leplaysien » et ses évolutions. La structure est très dynamique car elle anime le débat
avec ses études de terrain sur les problèmes de société ainsi qu’avec ses réunions annuelles
qui permettent de faire le point sur l’action tout en organisant le futur du groupe. Ainsi, on
peut suivre l’évolution de la SES, après la mort de Le Play, à travers trois âges bien distincts
selon A. Savoye52. De 1883 à 1887, il s’agit de l’âge des disciples directs de Le Play. Ces 52Savoye A., Les paroles et les actes : les dirigeants de la société d’économie sociale (1883-1914) in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914.Paris, EHESS, 1999, pp. 61-95
35
disciples directs, à la tête de la SES, ne veulent pas aller au-delà du dogme original, ils suivent
les idées de Le Play avec zèle, en exploitant les pistes qu’il avait commencé à traiter avant sa
mort. De 1888 à 1900, les dirigeants de la SES, tout en se référant toujours autant aux idées de
Le Play, commencent à se détacher de l’ombre tutélaire du fondateur. Ainsi, durant cette
période qui est considérée comme « l’âge d’or » par Savoye, nous retrouvons de grands noms
comme E. Cheysson, G. Picot ou bien L. Lefebvre, qui dirigent tous la SES durant la période
très importante des années 1890-1900. Les Leplaysiens sont, en effet, à la pointe du réseau
réformateur. Prônant une intervention limitée de l’Etat et un recours au paternalisme,
l’organisation tente de convaincre l’opinion afin de le rallier à sa cause. Dans un premier
temps, la SES organise des congrès, des réunions, publie des feuillets sur ses idées. Ainsi, le
public de la SES s’étend, principalement chez les catholiques sociaux réformateurs. La
Société d’économie sociale est, ainsi, d’une « efficacité redoutable» selon Savoye durant la
période ou le cercle réformiste agit puisqu’elle arrive à faire entendre sa voix dans des
domaines aussi variés que le logement social, le crédit populaire et l’assistance aux sans-
travail. Ainsi, nous retrouvons les leplaysiens à la pointe de la volonté de réforme, ce qui
montre bien à quel point ce groupe est particulier dans sa volonté d’une France reformée sur
le plan social, mais conservatrice sur le plan politique. L’action de la SES tend même, au plus
fort de son activité, à produire un soutien direct aux réformes et à faire de la propagande par
l’exemple. Toutefois, nous pouvons remarquer que le cœur de l’activité des leplaysiens se
situe sur le terrain idéologique et théorique, même si les enquêtes de terrain sont, dès le
commencement, utilisées. A partir de 1900, le courant leplaysien perd de son dynamisme.
Nous pouvons donc directement l’affilier à la période de la fin du XIX ° siècle.
2) La bienfaisance privée et le socialisme : la société des visiteurs
En 1896, André Spire (1868-1966) et René Bazin (1853-1932), deux amis qui se rencontrent
au Conseil d’Etat ont l’idée de créer une société d’assistance, sur le modèle de la Société de
Saint-Vincent de Paul, que Bazin a déjà côtoyé, en tant que jeune chrétien philanthrope, mais
sous forme laïque et d’aspiration républicaine. Ce que reproche vraiment Bazin à la Société de
Saint-Vincent de Paul, c’est sa passivité. L’idée des deux hommes est de créer une société
d’assistance, à la manière des « charity organisation societies » anglaises, qui sélectionnent
ses bénéficiaires grâce à des visites qui permettent d’apporter l’aide à ceux qui en ont le plus
besoin. Ainsi, se développe, à partir de 1900, un réseau de visiteurs aux horizons très divers,
aussi bien dans la bourgeoisie libérale que chez les ouvriers réformateurs. Il s’agit quand
même, surtout au début, d’un recrutement républicain et plus particulièrement des hauts
36
fonctionnaires du Conseil d’Etat où les deux hommes se sont rencontrés. La Société des
visiteurs se donne le rôle d’établir une aide aux secourables (par opposition aux
irrécupérables, nous dit S. Dab53). Ainsi, la méthode employée est très rationnelle, les visiteurs
font des études sur les bénéficiaires ainsi que des fiches de renseignement. L’action est décrite
comme « paternaliste », « moralisatrice » et « autoritaire » par S. Dab qui rajoute que « la
science de l’expert doit se substituer aux approximations des philanthropes généralistes »54.
Nous sommes donc dans une assistance très ciblée et très orientée, qui véhicule une image
d’ordre. L’œuvre est pourtant socialiste car ses fondateurs prennent position en faveur de la
république lors de l’affaire Dreyfus. S. Dab rappelle dans son article que les deux positions ne
sont pas incompatibles dans les années 1900, dans le cadre du cercle réformateur. En effet,
avec les visiteurs, nous nous trouvons en présence d’une aile « droite » du socialisme. Celle-ci
est contre le libéralisme, assez proche du solidarisme de Bourgeois (dont nous parlerons plus
en détail dans les paragraphes suivants) mais très loin du collectivisme également. Nous
pouvons donc, à travers cette mouvance très singulière de socialisme, voir à quel point les
réseaux de la réforme sont divers. Nous voyons des différences idéologiques entre des
orientations politiques fondamentalement opposées, mais parfois, au sein même de certaines
sensibilités, les avis sont très éloignés. Un membre des visiteurs n’a pas du tout le même avis
sur l’assistance aux pauvres, puisqu’il se donne comme but de traquer les profiteurs, qu’un
intellectuel socialiste vraiment ancré à gauche qui souhaiterait une assistance publique
généralisée et très interventionniste.
C) Le tiers parti à l’œuvre : le musée social et le solidarisme
1) Le Musée Social : l’antre du cercle de la réforme
Dans le milieu réformateur, le Musée social est un élément tout à fait particulier dans le sens
où il fait la synthèse des différents courants et des idées qu’ils portent en commun. Le Musée
social, créé en 1894 est en quelque sorte l’interface « para politique »55 de ceux qui souhaitent
un changement en France dans les années 1890-1900. Cette position très particulière est due
aux personnalités créatrices de la fondation. En effet, nous retrouvons toutes les composantes
53Dab S., Bienfaisance et socialisme au tournant du siècle : la société des visiteurs,1898-1902, in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914.Paris, EHESS, 1999, pp. 219-23554 Dab S., ibidem p. 22155 Horne J., Le Musée Social et ses réseaux réformateurs, 1894-1914, in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914.Paris, EHESS, 1999, pp.121-141
37
de la nébuleuse réformiste associées dans cette organisation. J-B Say, grand économiste
partisan d’un libéralisme intransigeant à la française y côtoie E. Cheysson, le président
leplaysien de la très conservatrice SES (dont nous avons déjà parlé). De même, nous
retrouvons, parmi les fondateurs, J. Siegfried, l’homme politique qui est à l’origine de la loi
sur les habitats à loyers modérés (justement déposée en 1894) ainsi que le comte de
Chambrum, ancien monarchiste, philanthrope leplaysien qui place beaucoup de sa fortune au
service du Musée Social. La fondation jouit d’une grande influence qui lui permet d’acquérir
le statut « d’utilité publique » moins d’un an après sa création. Ainsi, grâce à ce statut, la
fondation se place entre initiative privée et organisation publique ce qui lui permet de jouer un
rôle absolument central (rappelons-nous des controverses entre assistance privée et publique,
lors du congrès de 1896). Même si certains monarchistes philanthropes sont présents, comme
le comte de Mun ou le prince d’Aremberg, l’institution est majoritairement dominée par des
républicains, qu’ils soient conservateurs ou modérés. Dans ce groupe, les futurs membres du
parti radical qui se dessine peu à peu (rappelons qu’il est créé en 1901), jouent un rôle majeur.
Ainsi, Léon Bourgeois (créateur de l’HPE et idéologue du radicalisme) fait partie du Musée
Social. En revanche, nous pouvons observer que le Musée Social compte peu de socialistes,
même si de grands noms comme Jaurès et Millerand intègrent l’institution56. Le courant de
pensée dominant, dans les premières années du Musée Social, est le courant leplaysien, qui
prône un modèle laïc et conservateur d’action sociale. En opposition à ce courant, les
chrétiens (protestants comme catholiques) tendent à prendre une certaine importance
également en promouvant l’assistance de charité. La véritable force du Musée Social réside
dans sa diversité sociologique. En effet, au-delà des amitiés idéologiques vont souvent de
paire avec des alliances professionnelles très intéressantes. Ainsi, le courant hygiéniste, très
majoritaire chez les médecins du Musée Social57, obtient la loi de 1902 sur la santé publique,
proposée par Brouardel et soutenue, sur le plan politique, par des hauts administrateurs
comme Léon Bourgeois58, qui est président, depuis 1894, de la Commission d’assurance et de
prévoyance sociale, un des très importants organes de la politique sociale durant la Troisième
République. Ainsi, les politiques du Musée Social, surtout des parlementaires, ne ménagent
pas leurs efforts pour faire adopter des idées d’autres intellectuels ne bénéficiant pas de
positions particulières dans les milieux décisionnaires. Un nouveau courant de pensée nait
même au Musée Social. Il s’agit d’un nouveau libéralisme modéré qui admet l’action de l’Etat
dans le social tout en protégeant la primauté de l’action privée. C’est donc parce que le Musée 56 Horne J., ibidem. 57Chambelland C., Le Musée social en son temps, Paris, ENS éditions, 199858 Audier S., Léon Bourgeois. Fonder la solidarité, Paris, Michalon, 2007
38
Social est le lieu de rencontre privilégié de politiques influents et d’experts compétents qu’il
peut être considéré comme un des cœurs de la période de réforme, en France, des années 1890
à 1914.
2) Solidarisme et solidarisme interventionniste : les contre-pieds des modèles libéraux et
socialistes.
Comme nous l’avons déjà expliqué dans l’analyse du terrain politique de la seconde moitié du
XIX° siècle, les libéraux, comme J.B Say, jouissent d’une opinion publique très favorable à
leurs idées après la dérive autoritaire du Second Empire qui échoue à imposer son modèle
conservateur en perdant la guerre de 1870 contre l’Allemagne. Pourtant, la Troisième
République porte une certaine vision de l’Etat qui va à l’encontre du libéralisme orthodoxe.
Les économistes, tous très libéraux maîtrisent le champ universitaire de l’économie politique,
notamment avec l’Académie des sciences politiques et morales, mais ils peinent à imposer
leurs idées aux politiques. Ainsi, en 1873, P. Caurvès, proche du pouvoir, défend le
protectionnisme et l’interventionnisme sans que les libéraux ne puissent l’en empêcher59. C.
Gide (1847-1932), un libéral lui-même, émet des doutes sur la capacité du libéralisme
orthodoxe à répondre aux questions posées par les enjeux de la deuxième moitié du XIX°
siècle. Pour cette position, il est exclu du groupe des libéraux, ce qui le fait radicaliser son
discours vis-à-vis des libéraux orthodoxes. Dans le but de lutter contre l’idéologie de ses
anciens condisciples, Gide créé la Revue d’Economie Politique en 1887. Ce changement de
position de Gide est en adéquation avec une remise en cause très forte des libéraux par les
nationalistes et les socialistes qui souhaitent tous, pour des raisons différentes, un
interventionnisme important de l’Etat. Ainsi, les conditions pour la création de la Revue
d’économie politique sont idéales puisqu’elle est créée avec le but avoué de devenir « une
machine de guerre contre la forteresse libérale »60. Afin de contrecarrer les libéraux, la revue
se lance sur le terrain scientifique qui est sensé contrebalancer l’implication politique des
théories libérales. Le champ des rédacteurs de la revue est très varié, nous trouvons des
libéraux modérés et des interventionnistes. En plus de ces économistes, la revue publie des
juristes comme P. Pic (un expert en droit du travail), des sociologues comme E. Durkheim,
ainsi que des rédacteurs étrangers. Gide développe l’idée d’une idéologie médiane, ni
socialiste ni libérale, qui base les rapports entre humains, dans la société, autour de la
59 Penin M., Un solidarisme interventionniste : revue d’économie politique 1887-1914, , in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880-1914.Paris, EHESS, 1999, pp. 95-12160 Penin M., op. cit. p. 97
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solidarité, avec comme outils l’interventionnisme étatique. Dans le cadre réformateur de la fin
du XIX° siècle, le solidarisme devient une alternative intéressante aux idées extrêmes
libérales et socialistes. Ainsi, Léon Bourgeois, dont nous avons déjà longuement parlé et dont
nous reparlerons, réfléchit, durant la même période, au solidarisme61. En tant que membre des
groupes réformateurs, il aurait pu être un élément moteur du groupe créé par Gide. Pourtant,
les « solidaristes interventionnistes » de Gide ne se mêlent pas au groupe de Bourgeois et très
peu de solidaristes écrivent dans la revue d’économie politique. La raison de cette
imperméabilité entre les deux milieux est idéologique, selon M. Penin. Les solidaristes de
Bourgeois soutiennent l’idée d’un contrat qui permettrait une assistance efficace. Ce contrat
passé entre les individus suffit à pacifier les rapports entre les individus et à organiser
l’assistance des plus faibles. Or la place de l’Etat dans ce contrat est limitée. A l’inverse, né
d’une opposition avec les libéraux, le courant solidariste interventionniste de Gide n’imagine
pas un solidarisme isolé d’une action de l’Etat, seul à pouvoir contraindre les différentes
composantes de la société d’accepter le solidarisme. Au delà de l’idéologie, la méthode
diffère aussi beaucoup entre les deux courants. Toujours afin de contrer les libéraux, Gide
place son courant dans le champ scientifique, avec sa propre revue. Cela lui permet de
critiquer les libéraux comme des empiristes dont la pensée n’est pas scientifique. Bourgeois,
lui, ne se place absolument pas dans une logique scientifique puisqu’il est attaché à des
responsabilités politiques dans lequel le solidarisme joue un grand rôle. Nous pouvons
d’ailleurs préciser que le solidarisme fait office de doctrine de parti, lorsque le parti radical est
créé. Ainsi, malgré des dénominations et des objectifs communs, rien ne semble rapprocher le
politique Bourgeois et le savant Gide62.
61 Blais M-C, Le solidarisme, histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007.62 Penin M., op. cit. p. 102
40
Deuxième partie
Chapitre 1 : Fondation de l’association : objectifs, statuts et sociologie des
membres de l’HPE
La fondation d’une association est d’une importance capitale pour comprendre ses évolutions.
Ainsi, nous allons nous intéresser, dans un premier temps, à un état des lieux du statut de
l’association, à une analyse générale de ses membres et à une étude des premières années
d’action.
A) Objectifs profonds et méthode initiale
1) Réflexion sur les objectifs profonds de l’association : un contexte géopolitique à cerner
L’association L’Hygiène Par l’Exemple est créée le 27 février 1920 lors de l’Assemblée
constituante qui se déroule à 17h dans la bibliothèque de l’Institut Pasteur à Paris selon les
principes imposés par la loi sur les associations de 1901 de Waldeck-Rousseau. Il nous est
parvenus, à travers les procès verbaux de la séance (car les revues ne parlent pas de création
de l’association) que, le nom de l’association en lui-même a nécessité un débat. En effet, le
nom d’Hygiène club avait été, dans un premier temps, choisi, mais, il n’avait pas l’avantage
de présenter le programme, comme un slogan, à l’inverse de L’Hygiène Par l’Exemple et,
surtout, il n’était pas jugé assez « français ». Pourtant, les « clubs » étaient alors très à la
mode, d’abord dans les pays anglophones avec des initiatives comme le Lions Club (créé en
1917) mais également en France. Il faut donc s’attarder sur le choix du nom de cette
association et sur ses motivations profondes. L’association l’Hygiène Par l’Exemple est une
œuvre. Ceux qui prennent la parole dans les revues parlent exclusivement de « l’œuvre » des
membres, ce qui signifie que l’action de ce groupe est volontairement connotée, bien loin du
terme neutre et général d’association. Le terme d’ « œuvre » décrit parfaitement la situation
de l’association et n’est pas choisi au hasard. En effet, dans l’inconscient collectif, l’idée
d’œuvre est accrochée aux œuvres charitables. Ces groupements sont un héritage fort de la
société d’Ancien Régime où l’idéal chrétien commandait aux riches d’assister les pauvres par
le biais de la charité, c'est-à-dire, de façon libre mais dans un but précis : la rédemption des
41
péchés commis sur terre. Le phénomène de l’assistance privée est un élément encore
extrêmement important tout au long du XIX° siècle comme nous avons déjà pu le voir. On
peut donc conclure que l’HPE est, dans une certaine mesure, un héritage de ce mode de
fonctionnement. Pourtant, à l’inverse des œuvres charitables, l’HPE est une association
laïque. Les membres de l’association peuvent être animés par une foi et par la charité
chrétienne en tant que telles mais l’association en elle-même est strictement laïque. Jamais au
cours des recherches que nous avons entreprises, sur presque vingt assemblées générales, des
motivations religieuses n’apparaissent. C’est donc qu’un autre idéal a remplacé la religion, un
objectif comparable au salut religieux. Il est alors important de se rappeler que la création de
l’association intervient à peine deux ans après la fin de la Première Guerre mondiale qui a
profondément affaibli l’Europe, et, pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, la France.
Les pertes économiques sont énormes, mais, plus grave pour les membres de l’association,
elles vont de paire avec des pertes humaines sans précédent. Ce souci de la démographie
française est capital dans les motivations de l’association. En effet, la richesse d’un pays, ce
qui fonde sa puissance, ce sur quoi une nation peut et doit compter, c’est avant tout sa
population et plus particulièrement ses travailleurs. Les calculs sont très vite faits par tous les
contemporains: avec 1,4 million de tués et de disparus, soit 10 % de la population active
masculine, la France est, proportionnellement, la nation la plus touchée par la guerre63. La
situation est vécue, sur le long terme, comme une catastrophe puisque les Français ont perdu
une très importante partie de la génération de jeunes hommes partis à la guerre. Ceci a des
conséquences sur la courbe de natalité à venir. Le propos de l’association n’est absolument
pas pacifiste, il ne s’agit pas, en adhérant à l’HPE, de protester contre les effets de la guerre
sur la puissance et le rayonnement de la France. Il s’agit, comme le dit le docteur Marchoux,
secrétaire général emblématique de l’association, lors de la première Assemblée générale du
16 juin 1921, de travailler pour « le salut national » à travers l’hygiénisme et de gommer ainsi
les ravages de la guerre, sans la condamner. Il dit également, une autre fois, lors de
l’Assemblée générale du 24 février 1924, qu’une compétition démographique est à mener
contre les Anglais (pour des raisons économiques) et contre les Allemands (pour des raisons
militaires). C’est clairement dans ce cadre là que se place l’association, son combat est
patriotique et républicain. Compte tenu de l’objectif profond de l’HPE et du contexte
géopolitique suscité, on peut comprendre pourquoi les cibles privilégiées de l’action sont les
enfants français. Tout comme la population d’un pays fait sa puissance, ses enfants font son
futur. Là encore, très rapidement, les déclarations sont explicites concernant ce choix. Ainsi,
63Becker J-J, Dictionnaire de la Grande Guerre, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2008.
car il avait jusque là donné les moyens d’agir aux oeuvres sans agir lui-même. Ici, c’est une
situation hybride, entre le système d’assistance du XIX° siècle et l’Etat providence d’après
1945. L’HPE prend ce nouveau rôle très à cœur. A la date du 15 juin 1933, 385 écoles ont été
visitées par les 4 visiteuses (exclusivement des femmes) de l’association. Cette mainmise
complète de l’Etat qui pousse presque à une réorientation des activités de l’association, est
prise, par les orateurs de l’association, comme une consécration. Le but de l’association,
depuis le début, était de devenir un auxiliaire de l’Etat. Grâce à ces dispositions, c’est
officiellement chose faite. L’indicateur le plus parlant de cette tutelle de l’Etat sur
l’association est la présence, à partir de 1932 et jusqu'à la fin de notre période, du ministre de
l’Instruction Publique [Education Nationale après 1933] ou d’un de ses représentants, de
façon systématique, aux Assemblées générales annuelles de l’association. Il faut également
signaler que Justin Godard est un membre du gouvernement mais aussi le fondateur du Parti
Social De La Santé Publique qui est une manifestation politique de tous les idéaux défendus
par l’association à des fins de lutte contre l’affaiblissement de la « race ». Il n’est pas
surprenant de voir qu’Emile Marchoux fait également partie des fondateurs de ce parti qui
place la démographie au centre des richesses. Cette information est certainement une des
données importantes qui permet de comprendre la très rapide « percée » institutionnelle de
l’association dans ce début des années 1930.
B)1933-1936 : malgré les doutes persistants, le succès final est à porté de main
1) L’enlisement de la crise financière et la disparition de la première génération des
membres de l’œuvre.
Les années 1931-1933 sont l’occasion de voir des changements assez importants dans
l’organigramme de l’association. Certes, le nouveau statut de l’association vis-à-vis de l’Etat
perturbe un peu les habitudes du personnel et il a fallu embaucher de nouvelles personnes,
notamment pour les voyages de contrôle dont le rôle est central, ainsi qu’une architecte
professionnelle, mademoiselle Jolly, pour les plans d’écoles, mais la restructuration vient bien
64
plus de la disparition de membres incontournables de l’œuvre. Tout d’abord, le docteur
Macail, directeur de la revue durant un certain temps et ancien médecin général du corps
colonial qui perd la vie en 1931. Puis, madame Clayton Paul Bert, une des vices présidentes
de l’association, la première femme de l’association d’un point de vue chronologique, celle
par qui toutes les femmes issues de divers fondations comme l’Association des dames de
France sont arrivées dans les rangs de l’HPE, qui meurt en 1932. Un long passage de
l’allocution d’E. Marchoux lui est dédiée car elle a, selon lui, joué « un rôle décisif dans la
formation de la société ». Elle a beaucoup fait pour l’association et avait toute la confiance
des membres, compte tenu de « l’esprit social qu’elles tenait de ses nobles origines ». En
effet, rappelons qu’il s’agit de la fille de l’ancien ministre de l’Instruction Publique, Paul Bert.
D’autre part, l’année 1933 voit décéder deux autres fondateurs de l’association de toute
premier plan. Nous avons déjà abordé le fait qu’Emile Roux, trop âgé pour mener de front ses
activités, se décharge au profit d’André Honnorat, afin de n’avoir plus à s’occuper que de
l’Institut Pasteur. En 1933, après 29 ans à la tête de l’Institut Pasteur, le docteur Roux s’éteint
à Paris. Enfin, le docteur Calmette, vice-président de l’association et membre de l’Institut
Pasteur meurt également en 1933. Ainsi donc, une très grande part des initiateurs qui jouaient
encore un rôle dans l’œuvre disparaissent, ce qui modifie beaucoup la composition de la
« tête » de l’association. Honnorat reste Président de l’association, là-dessus, aucun
changement n’est à observer. En revanche, Marchoux qui était le secrétaire général de
l’association depuis le premier jour prend le poste vacant de Vice-président de l’HPE de sorte
qu’il reste, comme dans les premières années, un homme issu du monde politique assisté d’un
membre du corps médical, dans le bureau de direction. Là où la nouvelle composition est
beaucoup plus originale, c’est sur le poste de secrétaire général de l’association. Il revient à
madame Mascart qui était la secrétaire générale adjointe. Certes Mascart est totalement
légitime à ce poste puisqu’elle était la plus proche sur l’organigramme à pouvoir prétendre au
poste, mais nous pouvons avancer l’hypothèse qu’elle est d’autant plus à sa place en tant que
secrétaire générale, à la tête des opérations de l’association, avec la nouvelle orientation de
l’œuvre, tournée vers les activités de contrôles déléguées par l’Etat. En effet, Mascart a elle-
même fait partie des « visiteuses » de l’œuvre et de manière générale, c’est elle qui
coordonnait les tournées. Il apparaît donc que les disparitions de l’association sont l’occasion
de coordonner les activités avec le personnel le plus apte à les mener. Madame Chevalier
quitte aussi l’association pour diriger une école d’infirmière, madame Kern la remplace,
notamment pour sa tache de visiteuse et à la direction de la propagande. Dans le même temps,
alors que pourtant, tout semble sourire à l’association et la restructuration semble poser de
65
bonnes bases pour le futur, on observe un renforcement de la crise qui fait craindre le pire
pour l’avenir de l’œuvre. Les membres de l’association ont beau être presque des
fonctionnaires bénévoles (de l’aveu même du représentant de l’Education Nationale, monsieur
Barrier), il leur faut des moyens financiers pour agir. Les contributeurs, les mécènes, tous sont
démarchés, mais la crise les rend sensibles à la moindre dépense, notamment via une tombola.
Le Président de la République lui-même offre un vase de Sèvre comme lot pour cette tombola
qui rapporte au final 30 000 francs. L’enjeu est énorme car malgré les 126 nouvelles écoles
visitées en 1933, beaucoup reste à faire, or l’HPE ne peut plus compter sur le fond Buhl et la
rumeur d’un assèchement des subventions semble être suffisamment pris au sérieux pour que
M. Berthod, le nouveau ministre de l’Education Nationale, vienne rassurer les membres de
l’association sur le soutien de l’Etat, lors de l’Assemblée générale du 5 juin 1934. Pourtant le
ministre a du mal à cacher qu’il se trouve lui-même dans une situation financière délicate
étant donné que son gouvernement risque de réduire son propre portefeuille de 10%. Berthod
compte tenir le cap qu’il s’est imposé mais il avoue être dans une situation comparable à celle
d’un capitaine sur son navire (qu’il appelle une barque) durant une tempête, c'est-à-dire,
impuissant. Cette comparaison est déjà utilisée par Mascart qui se demande si l’association ne
va pas cesser d’exister compte tenu de la pression exercée par la crise sur les finances de la
France.
2) La commission « De Monzie » et ses péripéties
En 1933, l’association de L’Hygiène Par L’Exemple a déjà fait preuve de beaucoup de
professionnalisme quand à la tache que lui a demandé de remplir l’Etat. L’Etat français prend
de plus en plus au sérieux les volontés réformatrices de l’HPE, sûrement grâce à ce degré
d’expertise acquis avec l’expérience, mais également peut être grâce aux réseaux politiques
dont font partie certains membres. Ainsi, Anatole de Monzie, nommé en 1933 comme
ministre de l’Education Nationale du gouvernement Herriot sollicite Marchoux et Mascart en
tant qu’experts dans une commission qui a pour but d’aboutir à un nouveau texte remplaçant
celui de 1887 sur la construction des écoles. Rappelons que ce texte de 1887 est, depuis
l’origine de l’HPE, le texte jugé très archaïque contre lequel tous les membres de l’œuvre
s’élèvent. Par extension, nous pouvons dire que c’est pour l’améliorer et y incorporer la
logique hygiéniste que l’association a été créée. Une première tentative afin d’aider à la
modification de cette loi a déjà échouée, elle se basait sur une loi du ministère de
l’Agriculture qui obligeait à l’installation d’une douche par commune au minimum dans les
zones rurales (et donc de tout un réseau d’eau, ce qui est très rare dans les années 1930).
66
Ainsi, grâce à cette loi, l’association imaginait pouvoir imposer, par la même occasion, que
cette installation soit construite dans le cadre de l’école communale. Cette initiative ayant
échouée, la nouvelle commission demandée de De Monzie, mais aussi Rosset, qui est le
directeur de l’Instruction primaire, est une véritable grande occasion pour l’association de se
faire entendre. Ainsi donc, cette commission dont on ne connaît pas la composition (hormis
Mascart et Marchoux donc) se réunit et produit un rapport avec divers pistes de réflexion qui
sont, pour beaucoup, directement inspirées des dispositions que prône l’HPE depuis ses
débuts. Les recommandations de la commission d’experts ont toutes les chances d’aboutir à
un texte officiel puisque tout le monde semble y être favorable au Ministère. Pourtant, le 30
janvier 1934, De Monzie est remplacé par Adrien Berthod au sein du gouvernement Daladier.
Malgré le fait que ce ministre soit très favorable aux travaux de la commission, il subit une
très importante coupe budgétaire, toujours au nom de la crise financière à l’œuvre en France.
Le 1 juin 1935, Marius Roustan reprend le ministère de l’Education Nationale sous le
gouvernement de Bouisson. Là, encore, l’association espère énormément de cet homme qui
pourrait permettre par une simple signature, d’aboutir à une circulaire d’une importance
capitale aux yeux des membres de l’association. Rosset, toujours en place à la direction de
l’Instruction primaire sent que Roustan n’a toujours pas la possibilité de satisfaire les attentes
de l’association. L’association et Rosset organisent alors un plan hybride consistant à envoyer
1000 circulaires, aux frais de l’association, décrivant les conclusions de la commission.
L’HPE a comme espérance de voir cette lettre prise au sérieux ce qui permettrait de voir la
situation législative de ce texte se débloquer. Pourtant, cette initiative est un échec car cette
lettre n’a pas le poids d’une lettre directement adressée par le ministre, étant donné que c’est
Rosset qui la signe. Ainsi, elle est considérée comme officieuse, et, par conséquent, elle n’est
pas appliquée. Pourtant, la situation se débloque enfin, 3 ans après que la commission ait
rendu ses conclusions, avec la constitution du gouvernement du Front Populaire en 1936. La
nouvelle coalition au pouvoir, aussi bien socialiste (SFIO), communiste que radical-socialiste
est en totale adéquation avec les idées hygiénistes de l’HPE. Le texte, officiel cette fois, des
directives ministérielles, de l’Education Nationale, du 24 août 1936, appuyé par le Parlement,
signe l’aboutissement de 16 ans de combat de l’association pour la promotion de l’hygiène à
l’école. Ainsi, le 1 mars 1937, le ministre de l’Education Nationale, Jean Zay, signataire du
texte, et tout son cabinet, sont présents pour assister à l’Assemblée générale où est annoncé à
tous les membres l’aboutissement tant espéré de leurs efforts. Jean Zay, par ce texte, crée un
Comité central des constructions scolaires constitué de deux inspecteurs généraux ainsi que
d’un architecte dont le but est de promouvoir les projets dotés d’installations hygiéniques.
67
Sous ses ordres, des Comités départementaux sont créés afin d’occuper tout le territoire, c’est
donc un système complet qui est mis en place. Par ailleurs, toujours sur le compte politique du
Front Populaire, nous pouvons brièvement nous arrêter sur le fait mademoiselle Ferry, une
assistante du Maire et ministre de la Santé Publique, Sellier, intègre justement l’association
dans les années 1936-1937. Il est assez étonnant de voir que ce pionnier de l’hygiénisme n’ait
jamais été invité par l’association où simplement, que l’on n’entende pas parler de lui avant
1936 alors qu’il agit depuis 1920 à Suresnes. Là encore, comme ça a souvent été le cas, nous
pouvons attribuer cet oubli, jusqu’en 1936, à la forte teinte radicale de l’association, alors
même que Sellier est un des pontes de la SFIO. La marche du progrès semble donc avoir eu
ses limites, même pour l’HPE, en l’occurrence, celles de la rivalité politique.
C) 1936-1939 : la refonte totale des objectifs de l’HPE
1) Un nouveau combat qui mérite d’être mené : les colonies de vacances
Pour les membres de l’œuvre, il est absolument certain que le texte signé par Zay a une portée
considérable. Comme nous le disions, il s’agit d’un texte officiel instituant un nouveau mode
de fonctionnement dans les créations d’écoles dotées de tout le nécessaire hygiénique.
L’association est particulièrement fière de la place qu’elle a pu prendre dans l’élaboration de
ce texte puisqu’il est censé métamorphoser les conditions de vie des petits écoliers français, et
par conséquent, sauver la « race » française. Pourtant, cette métamorphose est extrêmement
longue, puisqu’il faut que toutes les écoles de France soient rénovées, ce qui risque de prendre
des décennies. Alors que l’HPE pourrait continuer dans la voie qu’elle a toujours suivie, en
visant maintenant à accélérer le processus, c’est un autre projet qui est imaginé. En effet,
rappelons-nous que le but premier de l’association était de faire naître chez les administrateurs
le souci d’une législation moderne et volontaire sur les installations hygiéniques des écoles de
France. L’objectif est pleinement atteint avec le texte de 1936. Sur ce plan, donc, le rôle de
l’association s’arrête le jour où la circulaire rentre en vigueur. Alors se pose la question du
devenir de l’association, du but qu’elle doit rechercher, car sinon elle n’a plus de raison
d’exister. Les membres de l’œuvre pensent alors que leur expertise peut très bien être
employée dans un domaine parallèle de l’occupation initiale de l’HPE. Pour ce changement
radical d’orientation de l’association, c’est Rosset, toujours directeur de l’Enseignement
primaire, qui donne l’impulsion de la nouvelle orientation. Il s’agit, pour les membres de
l’association, de faire la promotion des colonies de vacances rurales, en établissements
(comme nous l’avons déjà vu, l’idée de colonies collectives monte justement dans les années
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1930). En effet, le problème des écoles citadines n’est pas réglé avec l’adoption de méthodes
hygiéniques appropriées. Les petits citadins restent toute l’année dans le même air pollué par
les activités industrielles de la ville. C’est donc un nouveau devoir de l’association de
soustraire, pendant les périodes de vacances, les enfants à leur milieu d’origine. Cette
nouvelle initiative se veut très originale puisqu’elle ne compte pas s’arrêter aux enfants
citadins. L’association part du principe que l’épanouissement de l’enfant passe par un
changement d’air, d’où qu’il vienne. Ainsi, le projet est, certes, de substituer le petit citadins
aux vapeurs de la Ville, mais aussi, d’apporter de l’air marin aux enfants issus de milieux
montagneux, et inversement. Nous nous trouvons donc dans une optique très globale qui vise,
encore une fois, à éclairer l’état sur les bienfaits de ces dispositions. Dès l’été 1936, 56
fillettes parisiennes sont envoyées Saint-Maurice Sur Moselle, dans les Vosges. L’expérience
est concluante car elles reviennent toutes en meilleure santé. Ainsi, la nouvelle orientation est
validée. Par ailleurs, il est intéressant de voir la rapidité avec laquelle le projet se met en
place. Cette rapidité est due à deux facteurs déterminants. Premièrement, l’appui du Ministère
de l’Education Nationale qui dote, immédiatement, de 30 000 francs la nouvelle action. Zay
propose même d’élargir, dès 1936, l’initiative aux colonies de vacances à la mer. D’autre part,
les partenariats d’écoles dans le cadre de ces nouvelles colonies de vacances se fait dans le
cadre des anciennes écoles aidées par l’association, de telle sorte que le projet peut très vite
voir le jour grâce à des installations adéquates et un personnel volontaire. Nous voyons donc
qu’il s’agit d’un nouveau projet, mais que l’association se sert intelligemment de son
expérience passée pour être la plus efficace possible. Grâce à cette expérience, l’association
sait également que le personnel employé dans ces colonies doit être formé afin d’accueillir au
mieux les enfants. Se met alors en place un projet parallèle de camps d’entraînement des
maîtres qui est censé voir le jour dès l’année scolaire 1936-1937.
2) L’établissement de la nouvelle orientation de l’association jusqu’à l’entrée en guerre de
septembre 1939
Ainsi donc, sur toute la fin de notre période, de 1937 à 1939, les subventions publiques à
destination de l’œuvre, pour son travail direct dans les écoles, baisse de 150 000 francs à
l’apogée de son action à 121 000 francs. Ce désengagement progressif de l’Etat suit la volonté
de changement d’orientation de l’association amorcée à l’été 1936. Le projet des colonies de
vacances s’étoffe dans le même temps. Les « maisons de campagnes » reprennent l’idée de la
fin du XIX° siècle de mise en relation des citadins avec la ruralité, mais dans le cadre d’écoles
affiliées à l’association, ce qui rend l’initiative plutôt originale. C’est notamment le cas dans
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les Vosges qui est la « terre de prédilection de l’association » où l’on envoie de nouveau des
enfants à l’été 1937. Dans le même temps, les enfants des Vosges sont envoyés à Plozevet, en
Bretagne, au bord de la mer. Il s’agit dont d’un véritable réseau d’écoles qui permet aux
enfants de passer leurs vacances loin de leur terroir original. Sur l’été 1937, pas un seul
malade n’est à déplorer et tous les enfants semblent rentrer chez eux en pleine santé, c’est
donc un franc succès. Cette réussite motive les vieux amis de l’association à la suivre sur son
nouveau chemin. Nous retrouvons donc le Touring Club qui propose à l’association, à travers
son vice-président, Auscher, d’organiser des colonies de vacances populaires au ski. Ainsi,
« Ski à l’école » naît de l’initiative conjointe de l’HPE et du Touring Club (qui fournit les
skis) et se concrétise à Saint-Pierre-de-Chartreuse (dont est originaire Auscher) durant les
vacances de noël 1937. Puis à Pâques, une école de la région parisienne se déplace à Saint-
Gervais, en réutilisant le matériel de Saint-Pierre. L’action suivant son cours, l’association
projette alors, pour l’année 1938, de former du personnel spécialisé dans ce type de séjours.
Ainsi, mademoiselle Ferry, ancienne assistance d’Henri Sellier, déjà membre de l’association
depuis 1936, prend la tête des stages de formations qui sont organisés à Breteuil-sur-Iton et à
Andernos-Les-bains durant la Pentecôte ainsi qu’à Beaurecueil à Pâques. L’objectif est même
de séparer les rôles au sein des colonies de vacances en créant des stages spécifiques destinés
aux directeurs des centres de colonies de vacances. La formation du personnel de ces centres
est gérée de façon conjointe par l’association, mais aussi par des membres des équipes
d’encadrement des écoles normales ainsi que par des membres du Scoutisme français. De
cette façon, l’objectif est de concentrer les expertises de ces différents groupes d’experts afin
d’aboutir à la formation la plus pointue possible dans le cadre de ces stages. En 1939, trois ans
seulement après la refonte de l’HPE, on observe que les subventions destinées à promouvoir
l’action des colonies de vacances représentent la grande majorité des fonds dont dispose
l’association. La gestion de cet argent représente une telle part de l’activité de l’œuvre qu’elle
est séparée du reste dans les bilans comptables à partir de 1939 sous la dénomination
« activités loisirs ». C’est également en 1939 que les centres de formations, 1 an seulement
après leurs débuts, se détachent complètement de l’association, afin de devenir des centres de
formations de référence pour le personnel de colonies de vacances de tous les organismes
français. A ce titre, Ferry quitte l’association pour prendre la tête du dispositif de formation de
façon indépendante. Cette nouvelle structure regroupe désormais des membres de la Ligue de
l’enseignement, des membres des Eclaireurs de France et d’anciens membres de l’HPE.
Malgré ce détachement de la cellule de formation, l’activité de l’association semble repartir
dans un nouveau cycle très prometteur lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, avec la
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déclaration de guerre de la France, le 3 décembre 1939. Cette nouvelle guerre est la pire chose
qui puisse arriver à l’œuvre puisque c’est contre les effets de la guerre que se bat l’association
depuis sa création. Mais cette entrée en conflit est surtout synonyme d’hibernation pour
l’œuvre car l’Etat doit avant tout rentrer dans une économie de guerre afin de supporter le
front, de telle sorte que le soutien de l’action de l’HPE est très fortement relégué. Ainsi,
l’association continue d’exister pendant et après la guerre, mais jamais plus avec la même
intensité que durant la période de l’entre-deux-guerres.
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Conclusion
Les réponses aux problématiques posées :
Nous avons pu voir, tout au long de cette analyse de l’association L’Hygiène Par l’Exemple
que son rôle n’est pas l’assistance directe. Le rôle qu’elle se donne est tout à fait différent de
celui des sociétés d’assistance du XIX° siècle. L’HPE représente un type d’association
hybride qui croit en la puissance de l’action privée, dans la droite lignée de la doctrine du
solidarisme de Bourgeois, tout en étant parfaitement consciente que l’assistance publique est
le meilleur système qui soit. Ainsi l’HPE se place dans une action directe d’assistance qui
n’est qu’un moyen d’éveiller les pouvoirs publics aux initiatives qu’elle préconise. Dans cette
tâche, l’œuvre bénéficie de l’appui de personnalités tutélaires ancrées dans des réseaux
d’influence connectés aux cercles du pouvoir. De plus, dans ses premières années d’existence,
l’association dispose d’aides financières et logistiques supplémentaires liées à la
reconstruction de la France. Ces aides ont très vite permis de faire la démonstration concrète
du bienfait du matériel d’hygiène corporelle au sein des écoles. Pourtant, malgré ces
avantages indéniables pour l’association, celle-ci peine à arriver à ses fins. L’Etat, très
intéressé par le travail fourni par l’HPE, fait vite voter son statut d’utilité publique, de sorte
qu’à mesure que les années 1920 passent, les subventions publiques augmentent. Ces aides
sont une bonne chose car elles permettent d’élargir le champ d’action de l’association et de ne
pas subir de plein fouet les soubresauts économiques découlant de la guerre, puis de la grande
crise financière mondiale qui touche la France au tout début des années 1930. Mais cet argent
de l’Etat injecté dans l’association privée fait réellement penser à une gestion de l’assistance
publique anachronique, très ancrée dans le XIX° siècle. En effet, qu’il s’agisse de la fin du
XIX° siècle ou de l’Entre-deux-guerres, nous avons affaire ici aux mécanismes de la troisième
République qui préfère encore donner les moyens aux initiatives privées d’agir plutôt que de
réformer elle-même tout un système. Alors que la réaction des pouvoirs locaux est très inégale
selon les régions, nous observons le glissement de la politique de l’Etat central vers une
mainmise des gouvernants sur l’association, à travers le système qui place les membres du
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bureau de l’association comme des experts affiliés à l’Etat de façon directe. Nous avons donc
une politique étatique qui entreprend, de façon assez directe, l’assimilation. Pour autant, cette
assimilation effectuée en 1932 laisse les membres de l’association sur une impression mitigée.
Certes, cette disposition permet d’obtenir plus de moyens pour l’action, mais le rôle
d’éclaireur voulu initialement se transforme en rôle d’auxiliaire officiel de l’Etat. De cette
façon, la mission d’urgence de l’HPE se transforme en situation stable, ce qui n’est pas du
tout la vocation initiale que les fondateurs avaient imaginée. En Août 1936 la situation
législative se débloque pourtant avec le Front Populaire qui offre la possibilité à l’HPE de
concrétiser 16 ans de combat avec une loi qui impose les installations hygiéniques dans les
écoles de France. Avec cette loi, l’association a atteint son objectif premier. Alors qu’elle
pouvait continuer sur sa lancée, ses membres choisissent de l’atteler à une nouvelle action
hygiéniste. Cette nouvelle action est la mise en place de colonies de vacances. Les colonies de
vacances sont bien souvent associées à l’hygiénisme et commencent à voir le jour dans les
années 1880. Or c’est réellement dans les années 1930 que le phénomène prend une véritable
ampleur en France. Ainsi, malgré le fait que les membres fondateurs soient souvent des
réformateurs ancrés dans le XIX° siècle, l’HPE montre, de même qu’elle a su le faire en
choisissant la place d’aiguillon de l’Etat sur la question hygiéniste, qu’elle est une initiative
qui est profondément de son temps (tout en oubliant pas l’héritage du XIX° siècle qu’elle
possède). A l’inverse, les relations qu’elle entretient avec l’Etat montrent que tous les
échelons décisionnaires ne sont pas prêts à jouer le rôle interventionniste et volontaire. C’est
en tout cas vrai jusqu’au Front Populaire, 3 ans seulement avant le début de la Second Guerre
Mondiale.
Perspectives en vue d’un mémoire de M2 :
Nous n’avons pas tout traité avec ce mémoire, il reste encore beaucoup de points qui restent à
approfondir. En effet, malgré un travail assez important sur les comptes-rendus d’Assemblées
générales, il nous reste à traiter tout le reste du contenu des revues qui est très riche en
informations sur le déroulement, mois après mois, de l’action sur le terrain, avec des
expériences parfois menées dans des écoles spécifiques. Nous pouvons également retrouver
dans ces revues des tentatives d’intrusion de l’association dans d’autres milieux, comme celui
de l’entreprise ou dans des villages entiers par exemple. Ainsi, bien que ces expériences ne
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forment pas les grands traits de l’action de l’association, durant la période qui nous occupe, il
serait bon de pouvoir s’y attarder plus sérieusement en seconde année de master. D’autre part,
nous disposons des carnets de procès verbaux des importantes réunions de l’association dans
lesquels sont notées de façon spontanée les interventions de chacun. Nous pouvons imaginer
qu’il serait intéressant de croiser les articles de la revue et les fiches des carnets de procès
verbaux afin de voir si des modifications importantes et révélatrices apparaissent entre les
deux sources. Enfin nous disposons du fond iconographique qui nécessiterait à lui seul une
étude complète, avec un protocole d’étude bien spécifique. En ayant parcouru ce fond, nous
pouvons nous rendre compte du travail de terrain de l’association avec des photos des
installations. Des organes de la propagande de l’association sont également présents comme
les cartes postales de propagande dont nous avons déjà parlé, des photos du stand de
l’association lors de l’exposition universelle. Ainsi, ce fond très riche pourrait nous occuper
de la même façon que les deux autres fonds de sources écrites et permettrait de dégager des
aspects de l’action de l’association non encore développés.
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Annexes et Bibliographie
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Annexe 1 : publicité pour les cartes postales produites par l’association (source : revue de l’Hygiène par l’exemple, page de garde cartonnée)
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Annexe 2 légende : Groupe scolaire de Carnoules (Var) : un canal d'irrigation laissant couler les eaux usées suit le mur de l'école [Iconographie] / L'Hygiène par l'exemple, Distributeur. - [1932] . - 1 photographie ; 10,5 X 16 cm. (Source : fond iconographique du CEDIAS)
Annexe 3 Légende : Groupe scolaire de Carnoules (Var) : une classe : le sol est une fondrière et le chauffage est insuffisant [Iconographie] / L'Hygiène par l'exemple, Distributeur. - [1932]. - 1 photographie ; 10,5 X 16 cm. (Source : fond iconographique du CEDIAS Musée Social)
Annexe 4 : Groupe scolaire de Carnoules (Var) : la maquette du groupe en construction. Architecte : Amédée Peynaud à Saint-Raphaël (1932) [Iconographie] / L'Hygiène par
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l'exemple, Distributeur. - [1932]. - 1 photographie ; 12 X 17 cm (source : fond iconographique du CEDIAS Musée Social)
Annexe 5 : Exposition permanente de l'Hygiène par l'exemple au Musée pédagogique, aménagée en septembre 1934 : [cabines de déshabillage, cabines de douches...]
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[Iconographie] / L'Hygiène par l'exemple, Distributeur ; M. Rigal, Photographe. - 1934. - 1 photographie ; 11 X 16,5 cm. (Source : CEDIAS Musée Social)
Bibliographie et sources utilisées
Bibliographie complète ayant servi à écrire ce mémoire :
Ouvrages généraux et dictionnaires
Becker J-J, Dictionnaire de la Grande Guerre, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2008.
Demier F., Histoire des politiques sociales en Europe: XIX°-XX° siècles, Paris, MEMO seuil, 1997
Gueslin A., L’état, L’Economie Et La Société Française XIX°-XX° siècles, Paris, Hachette sup., 1999
Mayeur J-M, La Vie politique sous la Troisième République (1870-1940), p68, Paris, Éditions du Seuil, « Points-Histoire », 1984
Ouvrages spécialisés
Médecine et corps
Ayache L., Hippocrate, Paris, PUF. Collection Que sais-je ? 1992
Bourdelais P., Les Hygiénistes : enjeux, modèles, pratiques, Paris : Belin, 2001
Corbin A. (dir.), Histoire du corps, tome 2, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005
Courtine J.J (dir.)., Histoire du corps:tome 3, Les mutations du regard, le XX° siècle, Paris, Seuil, 2006
Halioua B., Histoire de la médecine, « La grande peste ou peste noire », Masson, 2004
Jorland G., Une société à soigner : hygiène et salubrité publique au XIX° siècle, Paris, Gallimard, 2010
Les conséquences de l’industrialisation sur la santé
Le Roux T., Nuisances et pollutions industrielles. Paris, laboratoire de leur légitimation, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011
Moriceau C., Les douleurs de l’industrie, l’hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, ed. EHESS, 2010
Histoire de l’assistance
Dreyfus M., Se protéger, être protégé, une histoire des assurances sociales en France, Rennes, PUR, 2006
Guerrand R-H, Les origines du logement social en France : 1850-1914, Paris, Paris, Eds De La Villette, 2010
Histoire du milieu réformateur de la fin du XIX° siècle
Audier S., Léon Bourgeois. Fonder la solidarité, Paris, Michalon, 2007
Blais M-C, Le solidarisme, histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007.
Chambelland C., Le Musée social en son temps, Paris, ENS éditions, 1998
Guerrand R-H.& Moissinac C., Henri Sellier, urbaniste et réformateur social, éd. La Découverte, Paris, 2005
Topalov C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuse réformiste et ses réseaux en France-1880-1914, Paris, EHESS, 1999
Ouvrages liés à l’enfance et à l’éducation
Châtelet A-M., Lerch D., Luc J-N.(dir.), L’école de plein air, une expérience pédagogique et architecturale dans l’Europe du XX° siècle, Paris, Editions Recherches, 2003
Denis D. & Kahn P.(ed), L’école de la Troisième République en question ; débats et controverses dans le « dictionnaire pédagogique » de Ferdinand Buisson, Berne, Peter Lang, 2006
Downs L L., Histoire des colonies de vacances : de 1880 à nos jours, Paris, Perrin, 2010
Durkheim E., Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988 (publié en 1894)
Hélias N., La dynamique de l’Occident, 1975, en poche Pocket
Autres
Bouhey V., Les Anarchistes contre la République 1880-1914, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009
Haechler J., L’Encyclopédie de Diderot et de Jaucourt : essai biographique sur le chevalier Louis de Jaucourt, Paris, Champion, 1995
Sources utilisées dans ce mémoire
Pour les Photos utilisées : L'Hygiène par l'exemple:HPE3-Fonds iconographique de l'HPE:Album B. Conservé au centre CEDIAS Musée Social (cote : de i1051 à i1060)
Pour les sources écrites utilisées :
[Périodique] L'Hygiène par l'exemple [Imprimé] / Ligue d'hygiène scolaire (Paris), 1921-1941. Conservé au centre CEDIAS Musée Social (cote : 35 839p)