MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE Commissariat au Développement Durable (CGDD) - Direction de la Recherche et de l’Innovation (DRI) Service de la Recherche (SR) - Mission risques environnement santé « Les frontières de l’expertise : cas des OGM » Séminaire 23 avril 2019 Synthèse de la journée
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« Les frontières de l’expertise : cas des OGM...2019/04/23 · Avant-propos Depuis la fin des années 1990, la controverse publique sur les OGM s’est manifestée par une contestation
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MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Commissariat au Développement Durable (CGDD) - Direction de la Recherche et de l’Innovation (DRI)
Service de la Recherche (SR) - Mission risques environnement santé
« Les frontières de l’expertise : cas des OGM »
Séminaire 23 avril 2019
Synthèse de la journée
Avant-propos
Depuis la fin des années 1990, la controverse publique sur les OGM s’est manifestée par une
contestation de l’expertise publique. Alors que dans les années 2000, les critiques et les débats
étaient focalisés sur les enjeux environnementaux et sur les conditions d’organisation de la
coexistence, la parution de l’étude menée par l’équipe de G.E. SERALINI en 2012 a orienté les débats
vers les risques sanitaires.
Dans ce contexte, le projet GMO90+, réalisé dans le cadre du programme RiskOGM du Ministère de
la Transition Ecologique et Solidaire (MTES), a été conçu pour répondre aux questionnements sur le
test réglementaire à 90 jours chez le rat. Une étude chez le rat sur une durée de 6 mois a été menée
en combinant une approche de toxicologie réglementaire et de biologie des systèmes. Ce projet de
recherche a été mené en synergie et en partenariat avec 3 projets européens développant des
approches complémentaires.
Au terme de ces travaux, ce Séminaire final du programme RiskOGM vise à tirer les leçons de ces
recherches. Le but n'est pas de mener le nième
débat sur les tests de toxicologie sur les rats, mais de
réfléchir à partir de ce dossier aux transformations des rapports entre recherche, expertise scientifique
et décision publique.
Pierre-Benoît JOLY
Directeur de recherche INRA et Président du Conseil Scientifique du Programme RiskOGM
PERSONNES PRESENTES
NOM Prénom ORGANISME
APOTEKER Arnaud Justice Pesticides
AUBRY Sylvain Office fédéral de l'agriculture
BARD Denis Société française de santé environnement
BARNY Marie-Anne INRA
BECKERT Michel Ministère de la Recherche
BERGEOT Laurent Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
BERTHEAU Yves CESCO, MNHN
BIGOT Marie Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS)
BOARINI Serge Personnalité qualifiée
BOIREAU Pascal ANSES
BOULEAU Nicolas Ecole des Ponts et FNH
BOUTRAIS Régine ANSES
CHEVILLARD Sylvie CEA
COMMERE Bernard Ministère de la Recherche
COUDERC-OBERT Céline Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
COUMOUL Xavier Université Paris Descartes
DEMORTAIN David INRA
DOMINIQUE Thierry Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
FAURE Jean-Denis AgroParisTech
FELICE Benjamin Langevin & Associés
FUNTOWICZ Silvio Université de Bergen
GHOUATI Kamil INRA
GRASTILLEUR Charlotte ANSES
GREVET Anne Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
GUILLEMAIN Joël Université de Tours
GUIMIER Lucie HCB
HERVIEU Bertrand Académie d’Agriculture
HIPPOLYTE Isabelle Agence Nationale de la Recherche
JACQUEMART Frédéric Inf'OGM
JOLY Claudine FNE
JOLY Pierre-Benoît INRA
KASTLER Guy Confédération Paysanne
LEBRUN Jean-Pierre Réseau "Semences paysannes"
LUCAS François Coordination Rurale
MAXIMILIEN Rémi CEA
MEURS Eliane Institut Pasteur
MIRALLES Emmanuelle Ministère de l'Economie et des Finances
MOULIN Lionel Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
NATUREL Bertrand Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
O'CONNOR Martin Paul Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
RAIMBAULT Benjamin Sciences Citoyennes
SAINDRENAN Patrick CNRS
SALLES Bernard INRA
SEGURENS Béatrice CNG
SIMONET Pascal CNRS
VALCESCHINI Egizio INRA
VERGRIETTE Benoit ANSES
VINDIMIAN Eric Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire
PROGRAMME DE LA JOURNEE
I. TABLE RONDE : CONTEXTUALISATION DU PROGRAMME RISKOGM ............. 7
Etat des débats, évolution de la science réglementaire ............................................... 7
La demande du MTES et la réponse scientifique ........................................................ 7
II. LES LEÇONS DES PROJETS FINANCES : ENJEUX ET PERSPECTIVES ....... 12
L’évolution générale sur les 5-6 dernières années .....................................................12
Zoom sur GMO90+ ....................................................................................................19
III. EPISTEMOLOGIE DE L’ANALYSE DES RISQUES ........................................... 40
Evolution de la production de connaissances ............................................................40
Au-delà du paradigme de l’analyse des risques ? ......................................................40
Evaluation et économie politique des connaissances ................................................40
IV. TABLE RONDE : ET DEMAIN ? QUID DU « GENOME EDITING » ? ................ 48
Comment évaluer les risques des technologies émergentes ? ...................................48
V. CONCLUSION ..................................................................................................... 53
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I. TABLE RONDE : CONTEXTUALISATION DU PROGRAMME RISKOGM
Etat des débats, évolution de la science réglementaire
La demande du MTES et la réponse scientifique
Intervenants :
Pierre-Benoît JOLY - INRA
David DEMORTAIN - INRA
Lionel MOULIN - Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES)
Pierre-Benoît JOLY remercie tout d’abord l’ensemble des personnes présentes de participer à ce
Séminaire final du programme RiskOGM. Il déplore malgré tout qu’il n’y ait pas plus de participants et
fait le constat qu’il y a une grande différence entre le niveau de couverture de l'étude SERALINI dans
les journaux nationaux, les grands magazines, la télé et la radio et le peu d'intérêt pour les résultats
des études publiées depuis l'automne 2018. Puis il rappelle le contexte dans lequel l’étude SERALINI
est entrée dans le champ médiatique. Il note notamment la réaction précipitée du Ministre de
l'Agriculture de l'époque qui n'a pas attendu confirmation des résultats, donnant ainsi crédit à cette
publication en avançant de suite des mesures d'urgence. Il n'y a pas eu de prise de recul, alors que,
suite aux scandales sanitaires des années 1990, des agences et comités d'expertise référents dans le
domaine auraient dû être sollicités pour expertiser et évaluer ces travaux.
David DEMORTAIN explique que cette étude a entraîné une rupture dans le traitement des questions
scientifiques en lien avec l’évaluation des OGM et en particulier avec la fiabilité de l’étude à 90 jours.
En effet, le débat sur les protocoles d’évaluation existait bien depuis des années, mais il était restreint
aux instances techniques, comme par exemple les comités d'experts (toxicologues) au sein de
l'autorité sanitaire des aliments. Les débats techniques ont été soudainement sortis de leur
confinement et révélés au grand public, et le travail critique sur cette publication n'a débuté qu'après.
Lionel MOULIN indique que le débat sur la méthodologie de l'évaluation des risques existait avant
l’emballement médiatique du 19 septembre 2012. Si les résultats de l’étude SERALINI ont pu diviser
la communauté scientifique et susciter la controverse, il rappelle qu’au Ministère de l’environnement,
l’intérêt pour les éventuels risques environnementaux liés aux OGM était déjà fortement présent. En
effet, c'est à l'occasion du Grenelle de l'Environnement de 2008 qu'il est décidé de mettre en place un
programme spécifique dédié à l'évaluation des risques liés aux OGM. De plus, il rappelle que le
principe de précaution a été intégré dans le droit constitutionnel en 2005 et qu’il nourrit en arrière plan
également la mise en œuvre de ce programme. C’est également à ce moment que les travaux de
l’ANR sur les OGM débutent (ces travaux ne traitent pas de la notion de risque). Le programme
RiskOGM lancé en 2010 vise à amener la recherche à travailler sur les éventuels risques
environnementaux liés aux OGM. Pour ce faire, il porte 2 thématiques majeures : l’évolution du cadre
législatif au niveau européen ou national et celle des techniques de biologie moléculaire à haut débit.
Comme les autres programmes du Ministère, le programme s’appuie sur un Conseil Scientifique
(composé d’experts thématiques) et sur un Comité d’Orientation réunissant les parties prenantes
classiques (administrations, agences d'expertise, organisations du milieu professionnel, organisations
du milieu associatif) mais également l’OCDE et l’EFSA. Ce Comité d’Orientation est composé de 22
membres (contre une dizaine pour les autres programmes), ce qui traduit l’importance du sujet pour
ces acteurs même s’il y a eu au fil des années une érosion de leur implication.
Pierre-Benoît JOLY explique que le Conseil Scientifique a eu deux missions. La première était de
définir les priorités de recherche du programme d’appui à la décision publique ; la seconde, plus
classique, a été de rédiger les appels à propositions de recherche, d’évaluer les propositions
soumises, et de réaliser un suivi des recherches financées. Il explique qu’il a été très difficile de
mobiliser le monde la recherche sur les thématiques du programme. Il pense que la thématique des
OGM est davantage définie par son importance sociale et sociétale, que par ses impacts scientifiques
potentiels et que le rendement scientifique n’est pas garanti. De ce fait, et parce qu’il pense qu’il y a
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une usure du sujet auprès des chercheurs, les appels à projets n’ont pas été totalement satisfaisants.
Lionel MOULIN indique qu’en effet, lors du 1er AAP en 2010, l’enveloppe budgétaire n’a été
entièrement utilisée (1 à 2 million(s) d’euros prévus pour seulement 600 000 euros mobilisés), ce qui
est suffisamment rare pour être noté. Les 3 thématiques de cet AAP étaient la surveillance et la
coexistence entre cultures OGM et non-OGM, la sécurité des aliments contenant des substances
transgéniques et enfin les aspects économiques, éthiques et sociaux liés aux OGM. Au final, 3 projets
ont été retenus. Lionel MOULIN fait part de l'étonnement qu'il avait eu de constater que peu de
projets ont été proposés sur le dernier thème : seul 1 projet a été retenu, qui portait sur l’évaluation
globale des risques, mais aucun projet n'a été présenté sur la dimension économique.
Pierre-Benoît JOLY présente brièvement les 3 projets retenus lors de l’AAP 2010. Le projet
DISTRACO portait sur la dispersion des transgènes de colza. Les résultats mettent en évidence le
transport à longue distance des gènes via le pollen et les graines et pointent la grande difficulté à
organiser la coexistence pour le colza dans un paysage agricole donné. Le projet CRYMUC portait sur
les interactions des toxines insecticides Cry avec le mucus du tube digestif. Les résultats de ce projet
ont montré l'existence de phénomènes de liaison entre les protéines et les cellules. Toutefois, il y a un
enjeu à poursuivre les recherches pour voir si les phénomènes mis en évidence permettent d'identifier
des risques significatifs potentiels. Enfin, le projet EVAGLO portait sur la question de la conception et
de la mise en œuvre de l'évaluation des risques. Bien que les résultats de ces 3 projets soient très
intéressants, ils sont néanmoins partiels et leur suivi et leur utilisation par les autorités publiques dans
la gestion publique nécessiterait des approfondissements et des recherches complémentaires.
Concernant le second AAP (2013), Lionel MOULIN rappelle qu’il était doté d’un budget de 2,5
millions d’euros, et faisait suite aux discussions autour de l’étude SERALINI et aux questionnements
des dispositifs d'expertise. Il était donc très intéressant de se tourner vers la recherche afin de re-
questionner ou de réalimenter les dispositifs. L’AAP visait la sélection d’un consortium unique avec
une volonté d’ouverture au niveau européen.
Pierre-Benoît JOLY rappelle que lorsque le CS a été sollicité, celui-ci est parti de l'évidence qu'il y
avait un consensus scientifique sur le fait que Gilles-Eric SERALINI ne donnait pas les bonnes
réponses, mais qu’il posait les bonnes questions. Il y avait donc un enjeu à mener des travaux.
Lorsque le CS a consulté les instances qualifiées (HCB, ANSES) qui avaient déjà travaillé sur ces
questions, il a constaté que le consensus était fragile. Il n'était donc pas évident qu'il y ait un soutien
pour refaire l’étude SERALINI en corrigeant quelques erreurs. Face à ce constat, le CS a mené une
réflexion pour profiter du deuxième AAP pour faire progresser la connaissance sur les questions
posées par Gilles-Eric SERALINI.
Suite à la projection lors de ce présent Séminaire d’un extrait de l’intervention de Cédric VILLANI sur
les conflits d'intérêt (Audition devant l’OPECST - 19/11/2012), les questions éthiques et les
conséquences de l'étude de SERALINI lors d’une audition sénatoriale, David DEMORTAIN explique
que cette étude fait partie des sujets scientifiques qui deviennent sujets de controverses, pour
lesquels la discussion scientifique se retrouve traversée par d'autres registres de discussion, à la fois
politique et moral. En effet, Gilles-Eric SERALINI a été motivé, pour entrer dans le débat sur
l'évaluation des OGM et réaliser une étude à 2 ans, par un point de vue moral et politique exprimé
ainsi : on ne peut pas ne pas tester au maximum et sur toute la durée de vie des rats des aliments
que l’on va distribuer en très grand volume et avec lesquels des populations humaines vont être
alimentées sur de très longues durées. Pour David DEMORTAIN, l’une des hypothèses à laquelle
répond l'étude à 2 ans est avant tout politique, voire également commerciale, du fait qu'elle porte sur
les impacts des OGM sur les populations humaines et sur leur diffusion à grande échelle.
David DEMORTAIN rappelle que la question du conflit d'intérêt, en tant que prisme de lecture de ces
questions scientifiques, était déjà présent à l’époque. Il explique avoir interrogé en 2009 l'équipe
scientifique de Greenpeace qui, à l'époque, surveillait les débats sur les protocoles et les études
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animales, et lui avait dressé la liste des experts impliqués sur ces questions à travers le prisme du
conflit d’intérêt. Il rappelle également que ce séminaire se tient 1 an et demi après l’affaire du Médiator
qui avait soulevé à nouveau, dans l’espace public français, les questions sur la manière dont sont
évalués les produits, par qui, et quelle est la place de la relation avec l'industrie.
Pierre-Benoît JOLY explique qu’au-delà de la notion de conflit d'intérêt, Cédric VILLANI évoque dans
la vidéo la place des convictions personnelles. Pour lui, cet aspect est essentiel. Il existe toujours le
« biais de confirmation » : on croit d’autant plus facilement ce que l'on veut croire ; il y a une
prédisposition à adhérer à une information. Les faits ne parlent pas d'eux-mêmes : il n’existe pas de
fait brut car il y a toujours une interprétation déterminée par un environnement cognitif. Afin d’y
remédier, il y a dans la recherche la nécessité de recourir à l'évaluation par les pairs afin de se
soumettre systématiquement à la critique et d’organiser l'expertise collégiale et contradictoire. C'est
par la contradiction que l'on arrive à faire le tri entre ce que sont les convictions et les résultats
solides.
Suite à un nouvel extrait, diffusé lors de ce présent Séminaire, de l’intervention de Cédric VILLANI
abordant les questions du doute (Audition devant l’OPECST - 19/11/2012), des controverses et de la
fabrique du consensus, Pierre-Benoît JOLY explique qu’il y a une prise de conscience sur le fait que
l'on vit dans un monde incertain. Pour lui, il n’y a pas à choisir entre le doute et la certitude : souvent,
des situations amènent à faire avec l'incertitude. Pour lui, il faut sûrement s'appuyer sur la notion de
"doute raisonnable" ou de "doute irraisonné". Le doute raisonnable existe dans notre corpus juridique :
il renvoie au principe de précaution qui est extrêmement important, car celui-ci permet de se dégager
de l'alternative entre la certitude (les faits avérés) et l'ignorance, et donc de s’appuyer sur la
plausibilité des hypothèses pour prendre des décisions. Le principe de précaution n’est pas qu’un
questionnement épistémologique : il est également politique, à savoir qu’il met en balance la
robustesse des connaissances dont on dispose et la gravité des questions qui leur sont liées.
Par ailleurs, Pierre-Benoît JOLY explique que depuis 15-20 ans, il existe une utilisation systématique
du doute à des fins stratégiques pour produire de l'ignorance. On connaît sur ce sujet les travaux de
Naomi ORESKES et d’Erik M. CONWAY (Les marchands de doute, 2010) ou bien encore les
Monsanto Papers. Il y a un enjeu à s’intéresser à l’économie politique de la connaissance, à la façon
dont la production de la connaissance ou de l'ignorance peut être liée à des structures d'intérêt ou à
des structures institutionnelles et cela appelle à la vigilance. Il faut utiliser l'arme du doute pour se
départir des certitudes absolues. Il rappelle que pour Karl POPPER, une connaissance est scientifique
si elle est falsifiable et réfutable. Une connaissance scientifique est, d'une certaine façon, une erreur
en sursis. Le doute est essentiel, bien que certains sont irraisonnés.
Pour David DEMORTAIN, la force de la recherche est d'avoir des protocoles, des normes de preuves,
et de pouvoir répliquer les études et les protocoles pour construire des connaissances auxquelles on
peut croire de manière robuste collectivement. En situation de controverse, il y a une recherche des
dispositifs de tests à partir desquels on va pouvoir construire des vérités partagées/collectives dans
des cercles élargis (conférence de citoyens ou de parties prenantes, instances de dialogue, agences
d'expertise sanitaire). L'étude SERALINI et l'étude GMO90+ font partie d’un processus de recherche
qui sert de support de délibération collective, afin de se départir du « tout croire » et du « douter de
tout ». Mais l’exercice est délicat à mener, car il faut être capable de mettre en discussion les résultats
et de suivre le protocole pour aboutir à des résultats robustes.
Lionel MOULIN rappelle qu’il faut aussi considérer le cadre règlementaire, qui est constamment remis
en question par des gens qui ont intérêt à le voir défié. Ce cadre s'accompagne d'un jeu d'acteurs
économiques ; certains vont considérer qu'il doit être immuable, parce que cela fait leur intérêt, quand
d'autres vont le défier, en disant qu'il faut qu'il évolue. Dans tous les cas, ce cadre est amené à
évoluer par la veille menée par les autorités sur la gestion des risques et sur les risques émergents.
Le doute fait partie intégrante des autorités chargées d’encadrer l'évaluation des risques. Ces
structures sont amenées à prendre en compte les évolutions, les changements de comportement et
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des pratiques sociales.
Concernant les conflits d’intérêt, Lionel MOULIN rappelle qu’il est important de savoir d'où les gens
parlent, mais qu'il est aussi important de garder des scènes de dialogue assez ouvertes afin qu’il n’y
ait pas d'exclusion. En effet, pour lui, il existe des points de vue qui, même venant de parties
prenantes engagées, apportent aussi des considérants dont il faut tenir compte. Enfin, il y a un enjeu
en évaluation des risques à élargir le cercle de discussion afin de multiplier les points de vue pour
éviter d'avoir des surgissements.
Pour David DEMORTAIN, il y a un avant et un après SERALINI. Tout d’abord, il y a eu un après
SERALINI immédiat (2012-2013-2014), qui a mis en débat public des questions très techniques
(protocole, type de rats, nombre de rats par groupe, méthode statistique...) et qui a forcé les
institutions à se questionner sur la prolongation de la durée des tests ou le changement de protocole
des tests. Les institutions au niveau européen ont dû se positionner sur le fait d’imposer ou non aux
entreprises de réaliser des études à 2 ans. Pendant quelques années, le débat s’est stabilisé autour
du test à 90 jours qu’il convenait de faire comme étude sentinelle pour éventuellement révéler des
signaux d'effets indésirables liés aux OGM. Aujourd’hui, après ces nouvelles études, il existe toujours
un "effet SERALINI" mais peut-être différent de celui escompté. Depuis cette étude, il n’y pas eu de
nouvelles recherches démontrant la toxicité des OGM. Même les études à 2 ans ne semblent pas
révéler de signaux très préoccupants. Enfin, le débat actuel se porte à nouveau sur l’étude à 90 jours
et sur la nécessité d’une durée si longue des tests.
David DEMORTAIN rappelle que lorsque la controverse éclate, faire la preuve et produire des
connaissances partagées et considérées par tous comme robustes est très difficile. C’est d’autant
plus vrai dans le cas des OGM où le débat est extrêmement fragmenté et polarisé, y compris par des
convictions scientifiques ("voilà la bonne manière de tester les choses et les bonnes hypothèses"), et
des prises de position morales, juridiques et politiques sur le bien-fondé de l'industrialisation de
l'agriculture, du contrôle des semences par les grands groupes, etc. Dans ce cas précis, il est très
difficile de mettre autour de la table des personnes cataloguées comme "anti" ou "pro". Toutefois, il
indique qu’en retravaillant sur des temps de recherche plus longs, avec des projets de recherche
assez larges qui regroupent un assez grand nombre d'acteurs, comme c’est le cas des projets
européens et du projet GMO90+, cela a permis de retrouver une capacité à presque clore ces
controverses.
La manière dont on produit, dont on met en débat et dont on interprète la connaissance scientifique
est toujours en mouvement (conférences de citoyens, etc.). Concernant les OGM, la seule chose dont
on est peut-être sorti est l’approche selon laquelle la seule solution est d'allonger la durée des tests.
La seule limite aux travaux de recherche sur les OGM est que cet espace de recherche n’est ni très
riche ni pluriel, et donc n’attire pas une diversité de scientifiques à impliquer.
Enfin, concernant la captation de la recherche sur les OGM par les grands groupes industriels, David
DEMORTAIN indique qu’au-delà de la question des OGM, il y a un processus très long
d'industrialisation et peut-être de privatisation de la recherche. Cela est peut-être dû, en partie, à la
règlementation qui demande aux industriels de faire les études. De plus, même si cela est difficile à
mesurer, on peut faire l'hypothèse que, quantitativement, une grande partie des connaissances
actuelles produites expérimentalement sur les OGM provient des milieux industriels, ce qui ne veut
pas dire qu'il faille les cataloguer d'une manière ou d'une autre, car le processus de recherche
implique souvent des groupes universitaires.
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Echanges avec la salle
Un participant indique que, pour lui, savoir si quelque chose existe ou non n’est pas aussi simple que
11
ce que disait Karl POPPER. Pour ce dernier, il suffisait de faire des expériences pour invalider une
théorie ; or, il estime que l'on se trouve dans des situations contemporaines plus complexes.
Un autre souhaite faire des remarques sur la contextualisation du programme RiskOGM. Le
programme ne s'est pas penché sur les questions socio-économiques ; il pointe la question de la
brevetabilité des OGM qui n’a jamais été abordée dans ce programme et souhaite tiret la sonnette
d’alarme. Il indique également que malgré les conclusions des comités d’experts, les assurances
refusent toujours d’assurer le risque OGM, ce qui pose question. Il rappelle enfin que l’INRA a refusé
qu’une recherche sur la coexistence soit menée.
Pierre-Benoît JOLY rappelle qu’en tant que Président du Conseil scientifique, en plein accord avec
les membres du Conseil, les thématiques évoquées par le participant figuraient en bonne place dans
les AAP. Malheureusement, il n’y a pas eu de candidatures sur ces sujets. S’agissant du projet sur la
coexistence, il rappelle que celui-ci portait sur la coexistence des semences paysannes de maïs et
des semences OGM et pas sur l’ensemble des questions socio-économiques évoquées. Il regrette
également que cette question n’ait pas fait l’objet d’une recherche et indique pour conclure qu’il s’agit
bien d’une préoccupation importante.
Lionel MOULIN rappelle qu’en tant qu’institution, le Ministère avait intégré les questions socio-
économiques à l’AAP de 2010, dans le 3e axe. Il précise que le premier point de cet axe portait su les
plans de surveillance et les modalités de coexistence des cultures. Concernant la dissémination, le
programme RiskOGM a soutenu le projet DISTRACO. Il précise enfin que concernant d’autres
programmes du Ministère, les AAP intégrant des questions socio-économiques de recherche trouvent
également très peu de réponses.
Un participant estime qu’à aucun moment on a cherché à savoir si les questions évaluatives des
risques ont été bien posées. De plus, il se demande pourquoi il y a eu un scandale SERALINI, mais
pas de scandale Astwood (filiale de Monsanto) qui a publié une méthode sur l’évaluation de
l’allergénicité utilisée dans la totalité des dossiers OGM et qui est une falsification, comme l’a montré
Tong-Jen FU, de l’US Food and Drug Administration.
Une personne réagit aux propos et indique que ses collègues allergologues ne travaillent pas
seulement sur ce test qui ne représente qu’une petite partie du processus d’évaluation. Il précise qu’il
existe bien d’autres méthodes prises en compte pour savoir s’il y a un risque, en particulier l’analogie
de séquence avec des allergènes reconnus. Il rappelle que l’évaluation d’un risque repose sur le
rassemblement d’éléments pour aboutir à une décision et non la seule prise en compte d’un élément
isolé de son contexte. Concernant le test évoqué, il indique que ce test n’est pas d’une pertinence
extrême, mais que l’enjeu majeur est de savoir s’il est le seul à pouvoir juger de l’allergénicité ou pas ;
or, ce n’est pas le cas, puisqu’il y a bien d’autres éléments qui sont pris en compte.
Le participant précise qu’il ne parle pas de la question de l’évaluation, mais du problème que ce test
est reconnu comme étant falsifié, qu’il est publié et qu’il ne fait pas scandale.
Une autre personne fait le parallèle avec l’étude SERALINI qui, elle, a fait scandale car elle portait sur
des effets sanitaires en lien avec le cancer, qui certainement fait plus facilement écho dans l’agenda
public. Dans ce cas précis, l’étude SERALINI est venue pointer des questionnements sur la toxicité et
la sécurité des OGM sur lesquels il manquait une étude pivot. Pour lui, concernant l’allergénicité, la
question est peut-être plus diluée.
12
II. LES LEÇONS DES PROJETS FINANCES : ENJEUX ET PERSPECTIVES
L’évolution générale sur les 5-6 dernières années
Intervenants :
Joël GUILLEMAIN - Université de Tours
Rémi MAXIMILIEN - CEA/DRF
Joël GUILLEMAIN présente tout d’abord le contexte dans lequel l’étude à de toxicité orale à 90 jours
chez le rat a été proposée en France à la fin des années 90. Le Conseil supérieur d’hygiène publique
de France (CSHPF) a sollicité en 1998 un groupe de travail qui a été repris par l’Afssa (ex Anses) à
l'époque où la demande d’autorisation de mise sur le marché du MON810 a été déposée. Ce groupe
de travail avait pour objectif d'établir une stratégie raisonnée d'études de sécurité à mettre en œuvre
chez l'animal de laboratoire, pour statuer du les risques potentiels des OGM. Le groupe s’est
notamment appuyé sur un état des lieux des pratiques utilisées dont il a évalué la recevabilité, pour in
fine formaliser des propositions. Le groupe avait bien noté que l'évaluation de la toxicité était un
élément clé du débat et qu’il convenait également de prendre en compte les interrogations des
autorités sanitaires, des scientifiques et du public sur l'intérêt de ces produits au regard de leur
sécurité.
(Diapo 3)
13
(Diapo 4)
En 2000, l'évaluation sanitaire se limitait, à quelques exceptions près, à une étude de toxicité par
administration unique de la protéine exprimée par la plante. Il n’existait donc pratiquement pas
d'élément sur les effets sanitaires potentiels liés à la consommation de la plante entière..
Le groupe de travail à pris en compte - plusieurs règlements -, notamment celui - intitulé - " Safety
studies for Biotechnological products » (CPMP/302/95 - 1997) qui traite des produits issus des
biotechnologies et celui - relatif - aux « Médicaments à base de plantes - Avis aux fabricants 90/22
bis » qui propose de mettre en œuvre des études de toxicité par administration unique et une étude
sub-chronique de 4 semaines -. Ainsi, il a été considéré - que l’OGM était - à la fois un produit issu
des biotechnologies, et un équivalent de plante médicinale constituée d’une matrice végétale
complexe. Concernant la durée maximale des études, les toxicologues ont considéré que l’OGM ne
devait pas être assimilé à une entité chimique nouvelle, mais comme "mix" d'un organisme
« receveur » dont les caractéristiques initiales sont bien connues - avec des protéines, parfois elles-
mêmes connues au plan de la sécurité, exprimées dans la plante ainsi modifiée dont les risques
potentiels doivent être documentés .
(Diapo 5)
-
14
Fort de ces éléments, le groupe de travail a proposé une durée d’exposition de 3 mois chez l’animal
de laboratoire, basée sur un compromis entre l’étude 28 jours appliquée aux plantes médicinales et
celle de 6 mois, durée maximale pour les études de toxicité chroniques (en dehors des produits
chimiques).
Pour rappel, c’est la France qui a soutenu ce type d'étude au niveau européen qui ne la préconisait
pas. Le groupe de travail a également indiqué qu’au lieu d'imposer d'emblée une durée de 6 mois, il
était préférable de s'interroger sur 2 aspects : la pertinence de l’« espèce cible » et le choix des
critères de jugement qui se devaient- d’être actualisés en fonction de l'évolution des connaissances et
des « retours » d'utilisation dans le cadre d'une « Biovigilance ».
Depuis lors, de multiples documents ont été publiés sur la valeur ajoutée de l’étude de toxicité orale à
90 jours. C’est le cas en particulier des publications qui considèrent que cette étude à 90 jours n’a pas
de valeur ajoutée car inadaptée à l’évaluation de matrices végétales complexes comme les OGM.
Cependant, la littérature comporte de nombreux exemples d’études réalisées sur des plantes
médicinales (représentant des matrices végétales complexes) qui montrent qu'il est possible de mettre
en évidence une toxicité au moyen d'études d'une durée égale ou inférieure à 90 jours. C’est le cas,
par exemple, d’une large série d’études à 14 jours, 90 jours et 2 ans effectuées sur une plante utilisée
à la fois comme médicament et comme complément alimentaire et qui montre une augmentation du
poids du foie à 14 jours,- 90 jours et- 2 ans. Ainsi, l'étude à 90 jours est susceptible de détecter une
toxicité potentielle, même dans le cas d’une matrice végétale complexe.
(Diapo 6)
L’intérêt d’une durée d’étude de 90 jours versus 28 jours a par ailleurs été soulevé par TAYLOR et al.
(Regulatoty Toxicology and Pharmacology, 2014) à partir de produits chimiques. Les auteurs ont
montré qu’en l’absence de signes de toxicité après l’administration d’une dose considérée comme
maximale (jusqu’à 4g/kg de poids corporel) sur une durée de 28 jours, la prolongation du traitement
pendant 90 jours n’apportait pas plus de renseignements. Il est a noter que dans le cas des mais
OGM, la dose maximale est plus élevée, de l’ordre de 33 à 50 g/kg de poids corporel et cela sur une
durée de 90 jours.
15
(Diapo 7)
Il est important de resituer l’étude à 90 jours dans le cadre de l’évaluation globale des OGM. Plusieurs
points clés doivent être considérés, notamment les risques liés à l’organisme donneur, à l’organisme
receveur, aux protéines exprimées (pour lesquelles des études de toxicité par administration unique
ou répétée sur 28 jours à forte dose sont requises), et à la plante modifiée (pour laquelle une étude à
de toxicité à 90 jours systématique, une étude d’allerginicité, et une étude d’alimentarité sont exigées).
De plus, en amont, il est essentiel de disposer d'études biomoléculaires, ainsi que d'analyses de
composition (qui ont été renforcées depuis quelques années).
(Diapo 8)
L’étude à 90 jours est particulièrement utile dans le cas des produits chimiques, pour lesquels les
études toxicocinétiques montrent notamment un potentiel de bioaccumulation, ce qui nécessite de
vérifier si l’exposition prolongée à des faibles doses peut induire un effet toxique. Pour rappel, l’étude
à 90 jours doit se conformer aux lignes directrices édictées par guides OCDE afin de disposer de
protocoles standardisés et reproductibles. Ces guides au nombre de 88 concernent les effets
sanitaires et sont actualisés régulièrement (dernière révision en 2018 pour l'étude à 90 jours). L’une
des critiques récurrente de ces lignes directrices concerne le caractère "désuet" de certaines
méthodes, mais il faut bien tenir compte de la nécessité de validation des nouvelles méthodes,
consommatrice de temps (10 ans en moyenne) avant leur intégration aux guides. Cette "inertie" peut
expliquer le conflit entre la recherche et la règlementation.
16
(Diapo 9)
Concernant l’évaluation des risques, et en particulier le risque associé aux substances chimiques,
l’approche usuelle est l’identification des dangers chez l’Homme, objectivable uniquement par
l’épidémiologie. Compte tenu du manque de données humaines sur d'innombrables produits, il est
généralement admis de référer à des études expérimentales sur l’animal en utilisant de fortes doses
de substances pour être à même de détecter un danger, s'il existe. Toute la difficulté consiste ensuite
à transposer les données à l'homme et d'évaluer les risques de doses très largement inférieures à
celles mises en œuvre sur l'animal. Selon les réglementations sectorielles, la liste des études
requises est bien définie (pesticides, médicaments, OGM…) ou non (REACH). S'ajoute la difficulté
éthique de justification du recours à l'animal. Toutes les études de toxicité se doivent non seulement
d'être conformes aux lignes directrices UE/OCDE, réalisées en conditions BPL, de porter sur des lots
produits représentatifs (spécification/impuretés) de ceux mise sur le marché (consommateur final) et
faire l'objet d’un traitement statistique adéquat des données.
(Diapo 10)
Rémi MAXIMILIEN prend la parole et explique que ces études sur le danger à forte dose de
substance sur des lots limités d’animaux servent à identifier le danger, et le cas échéant de
rechercher un seuil d’apparition des effets. Dans le cas des substances sans seuil, des abaques
standardisées ou des modèles mathématiques d’extrapolation des fortes aux faibles doses sont
utilisables pour évaluer les risques. Par exemple la Dose Journalière Admissible (DJA) d'un pesticide
17
est fixée en retenant, parmi toutes des études disponibles, celle présentant le NOAEL (No Adverse
Effect Level) le plus faible observé chez l'espèce la plus sensible, puis en appliquant une série de
« facteurs de sécurité » : 200 à 1000 en cas d'effet critique (effet cancérogène par exemple) et au
minimum 100 (en considérant que les hommes sont 10 fois plus sensibles que les animaux et que
dans la population humaine, certains groupes sont 10 fois plus sensibles que les autres).
(Diapo 11)
L’étude à 90 jours a pour objectifs d’évaluer les effets toxiques généraux (dits "systémiques"), ,
d’identifier des organes cibles, de mettre en évidence une éventuelle réversibilité et d'identifier une
dose seuil. De plus, l’étude à 90 jours sert également à calibrer les doses utilisables pour les études à
long terme qui ne sera considérée valide que si les animaux atteignent leur espérance de vie. Pour
rappel, le protocole de l’étude à 90 jours sur le rats nécessite 10 individus par sexe et par dose, avec
3 lots exposés à avec 3 doses différentes, 7 jours par semaine pendant 90 jours. Sont réalisés de
multiples analyses biologiques, (ligne directrice OCDE actualisée) et anatomopathologiques.
(Diapos 12-13)
18
Actuellement, pour les protéines transgéniques, on est en capacité de les caractériser (séquence,
activité enzymatique, immunoréactivité...), de connaître leur stabilité (stockage, procédés de
transformation…) et leur résistance à la protéolyse (SGF, SIF), de réaliser des homologies de
séquence avec les protéines/toxines connues, de réaliser un test de toxicité orale aiguë sur souris
(OCDE 420) et, selon les cas, de réaliser un test de toxicité orale à 28 jours (OCDE407).
A ces démarches, s'ajoute l’étude à 90 jours sur la plante entière pour répondre mettre en évidence
des modifications inattendues. Jusqu'à récemment, la réglementation européenne exigeait une
analyse comparative de composition et en cas d'équivalence, aucune investigation complémentaire
n'était demandée (EFSA 2011) ; depuis 2013, l’ANSES puis l’Union Européenne (règlement
503/2013) exigent une l’étude de toxicité orale à 90 jours adaptée (OCDE 408) avec entre 16 et 20
rats par sexe et par dose (2 doses demandées dont une dose maximale de nourriture tolérable par le
rat 33%, voire 50%). De ce fait, la puissance statistique est limitée pour détecter des effets très
faibles. A cela s’ajoute la représentativité du matériel testé (correspondance avec les produits
consommés, facteurs antinutritionnels, complémentation du régime, traitements des plantes).
19
Zoom sur GMO90+
Intervenants :
Bernard SALLES - Inra et Université de Toulouse
Xavier COUMOUL - Université Paris Descartes
(Diapo 2)
Bernard SALLES rappelle que l’objectif de l’étude GMO90+ était de tester et d’implémenter le
protocole à 3 mois sur la base d’une expérimentation à 6 mois, d’identifier des marqueurs précoces
d’exposition, potentiellement marqueurs d’effets chez des rats nourris avec deux maïs OGM (MON810
et NK603) et de réaliser des analyses toxicologique et génétique des maïs et des granulés. En ajout
du suivi des rats, selon la ligne directrice TG408, le projet a également analysé des fonctions
hépatique, rénale, digestive et de reproduction afin de répondre aux points soulevés par diverses
publications dont l’étude publiée par l’équipe du Pr. SERALINI. En plus de cette analyse toxicologique
classique des rats, des profils en transcriptomique (foie et rein) et métabolomique (sang et urine) chez
les rats nourris avec du maïs OGM et non-OGM ont été établis en s’appuyant sur les techniques
omiques.
Le projet GMO90+ s’est structuré autour d’un consortium regroupant l’INRA, l’INSERM et l’ANSES, un
laboratoire du CNRS et des start-up (Profilomic et Méthodomics), et toutes les expérimentations ont
été réalisées en BPL par un CRO privé (Cytoxlab). GMO90+ a mis en place une instance de dialogue,
par l’intermédiaire de l’ANSES avec différentes parties prenantes. Les déclarations publiques d’intérêt
des équipes ont été publiées sur le site internet du programme RiskOGM.
Ce projet s’est coordonné avec deux projets européens : GRACE (projet à 3 mois et 1 an chez le rat
avec du MON810) et G-Twyst (projet à 3 mois, 1 an et 2 ans chez le rat avec du NK603). Le MOU
(Memorendum Of Understanding), signé entre ces 3 projets, prévoyait une culture de maïs en
commun et un partage d’échantillons. Les équipes des 3 projets se sont réunies à de nombreuses
reprises durant 3 ans. Franck FOURES (ANSES) puis Bernard SALLES ont été membres de
l’advisory board de G-Twyst. L’ensemble des données brutes des 3 projets (GMO90+, GRACE et G-
Twyst) ont été publiées sur la plateforme internet CADIMA.
(Diapo 3)
La production des maïs a été répartie entre G-Twyst et GMO90+ pour éviter tout retard dans les
projets (NK603 : 1 culture aux Etats-Unis pour GMO90+ et 1 au Canada pour G-Twyst ; MON810 : 2
cultures en Espagne pour ces 2 projets). Suite à l’analyse des différents maïs, les productions
retenues sont celle du Canada pour le NK603 et celle du site n°2 en Espagne pour le MON810.
20
GMO90+ a ensuite poursuivi ses analyses, notamment en transcriptomique et métabolomique sur le
maïs à la recherche de divers contaminants : pesticides (dont le glyphosate et AMPA), polluants
organiques, métaux, mycotoxines et de marqueurs génétiques.
(Diapo 4)
La caractérisation des granulés a montré des traces de glyphosate dans tous les granulés en raison
de la présence de soja « organique » (agriculture biologique) provenant d’Amérique du Sud contaminé
au glyphosate, et des traces de 4 insecticides provenant du blé « organique ». Cette analyse des
granulés a également montré que ces derniers étaient également contaminés par des métaux, mais à
des concentrations faibles, et par des mycotoxines (notamment l’aflatoxine B1 ou AFB1) en faible
concentration. Sur la base de ces résultats avec une présence de contaminants en concentration non
toxique, les granulés ont pu être utilisés dans l’alimentation des rats.
(Diapo 5)
Le schéma expérimental du GMO90+ est le suivant : les rats ont consommé du MON810, du NK603
ou du contrôle (8 régimes différents). Il existe 3 groupes de rats : le groupe A (étude à 3 mois), et le B
et C (études à 6 mois). Le nombre de rats a été décidé par les statisticiens. Les rats ont été alimentés
pendant 3 et 6 mois et différents prélèvements ont été réalisés. Les traitements ont été réalisés en
21
aveugle, tout comme les premières étapes d’analyse statistique au sein de la société
« Methodomics » et des plateformes de l’INRA. Les échantillons prélevés ont permis des observations
anatomo-pathologiques et histo-pathologiques, des analyses hématologique et biochimique et des
analyses « omiques » pour rechercher des biomarqueurs.
(Diapo 6)
Le projet GMO90+ prévoyait une instance de dialogue. Un appel a été lancé par l’ANSES en mars
2014. Cette instance se composait de la Confédération paysanne, d’ONG (CRIIGEN, Greenpeace,
Inf’OGM, CLCV), d’industriels (Europabio/Monsanto, Bayer, Limagrain, ANIA), de l’ANSES, de
l’INSERM, de l’INRA et du programme RiskOGM.
Il n’y a eu qu’une seule réunion organisée (le 28 mai 2014, dont le verbatim de la réunion est
consultable sur le site internent RiskOGM). En effet, les représentants des ONG avaient averti la veille
qu’ils allaient boycotter cette instance. Les ONG avaient soulevé plusieurs points :
« Monsanto invité à s’auto-évaluer avec 3 millions d’euros d’argent public » (Nicolas
DEFARGE)
« Insuffisances du protocole et composition partiale et sans légitimité scientifique de l’instance
de dialogue créée pour ce projet » (Nicolas DEFARGE)
La durée de l’expérimentation (Nicolas DEFARGE).
L’échec de constitution d’une instance de dialogue a été compensé par la création d’une cellule
communication regroupant les partenaires institutionnels, INSERM, Ministère de la Transition
Ecologique et Sokidaire dont la coordination a été assurée par l’INRA. Une implémentation du site
web du programme RiskOGM a été réalisée. Enfin une communication du projet et des résultats
préliminaires a été réaliséé au cours de réunions de comités d’orientation technique de l’Anses.
(Diapo 7)
22
Le suivi de la croissance des animaux n’a montré aucune différence de poids entre les régimes, ni de
différence de consommation d’aliments et d’eau. Concernant le bilan hématologique, il existe
quelques différences entre régimes mais aucune corrélation quand sont pris en compte le temps
expérimental, la composition du régime, le pourcentage de maïs OGM et le genre. Concernant le bilan
en biochimie clinique, il existe quelques différences, mais dont la grande majorité est sans relation
avec le temps expérimental ni le pourcentage de maïs OGM. Ces différences sont très souvent en lien
avec la variété et l’environnement (MON810 versus NK603).
(Diapo 8)
Concernant les données issues de l’autopsie, il existe quelques différences mineures sur le poids des
organes. Ces effets ne sont pas confirmés par les observations en histopathologie. Tous les
changements macroscopiques sont typiques de cette souche de rat et de l’âge. A noter l’absence
d’augmentation du nombre d’observations macroscopiques à 6 mois en comparaison à 3 mois, ainsi
que l’absence d’augmentation du nombre d’observations histo-pathologiques à 6 mois en
comparaison de 3 mois et enfin l'absence de tumeur observée à 3 et 6 mois.
(Diapo 9)
23
Concernant le ciblage des organes, aucune différence de perméabilité de la barrière intestinale n’a été
démontrée. A noter une expression différentielle d’occludine dans le jéjunum entre les régimes NK11
et NKG11, mais une absence d’effet en comparaison du régime contrôle NK et une limite de
puissance statistique. Par contre, le nombre moyen de mastocytes (sans modification de marquage)
par unité de surface est élevé pour tous les régimes, en comparaison des données de la littérature.
Cet effet « maïs » est actuellement testé en laboratoire.
24
(Diapo 10)
Concernant la reproduction, il y a un effet marginal et négligeable chez les mâles, et aucun effet chez
les femelles. Il n’y a aucune modification des taux d’hormones stéroïdes dans les urines. A noter qu’il
existe un effet significatif à T90 entre les régimes MON et NK chez les mâles, quelques différences
dans le profil des stéroïdes urinaires sans valeur biologique au regard du métabolisme général de
stéroïdogenèse chez les femelles, et enfin aucune différence entre les régimes OGM en comparaison
des contrôles non-OGM.
(Diapo 11)
Xavier COUMOUL aborde l’approche multi-omiques de GMO90+. Le projet s’est concentré sur
l’analyse du transcriptome global hépatique et rénal, et l’analyse du métabolome plasmatique (MS) et
urinaire (NMR), afin d’apporter une réponse à la possibilité d’identifier des biomarqueurs précoces
d’altération physiologique.
25
(Diapos 12-13)
Concernant les profils d’expression dans le foie, le nombre de gènes modifiés en matière d’ARN
messager est très faible quelles que soient les conditions testées (effet dose d’OGM) qu'il s'agisse des
femelles ou des mâles, et des mRNA ou des miRNA. En comparaison, l’effet sexe sur le nombre de
mRNA modifiés à 90 jours entre les mâles et les femelles est beaucoup plus important.
26
(Diapos 14-15)
Le projet s’est appuyé sur l’approche multi-omiques pour réaliser des analyses géniques en
composante principale afin de différencier de grands ensembles. Avec cette technique, la distinction
de l’effet sexe est très nette ; en revanche, il n’est pas possible de distinguer les différents régimes.
Les analyses deux à deux sur l’effet d’une consommation d’OGM par rapport à une consommation
non-GMO ne montrent que peu de changement du transcriptome dans le foie et dans le rein.
(Diapos 16-17-18)
27
Concernant l’analyse du métabolome plasmatique (Profilomic, plateforme en MS), les analyses
géniques en composante principale montrent qu’il y a un effet sexe mais pas d’effet régime.
28
(Diapo 19)
Concernant l’analyse du métabolome urinaire (INRA plateforme AXIOM, NMR), il y a des différences
entre les contrôles et les rats bénéficiant de régimes OGM. De ce fait, les analyses ont été poussées.
Par exemple, le tableau de gauche présente le cas des régimes MON810 (11%) ou MON810 (33%)
par rapport à l’ISOMON. Les nombres affichés traduisent le nombre de métabolites pour lesquelles il y
a des différences significatives au niveau statistique. Les variations sont relativement faibles et ces
différences statistiques n’induisent pas forcément de différences biologiques. Pour chaque métabolite
présent dans le tableau, une analyse de la littérature a été faite pour voir si, pour les niveaux
observés, il y avait des signaux d’alerte potentiels.
(Diapo 20)
Pour conclure, il est à noter que les résultats inattendus issus de l’analyse des granulés montrant la
présence de glyphosate dans tous les granulés (même ceux du contrôle) amènent à ne pas
restreindre les analyses au seul OGM, mais à les élargir à l’alimentation dans son ensemble.
Concernant les analyses de métabolomique et transcriptomique, elles permettent de différencier le
genre et l’origine du maïs, mais ne discriminent pas un OGM de son contrôle non-OGM et conduit à
l’incapacité d’identifier des biomarqueurs d’effet. Les résultats issus des expérimentations en multi-
omiques renforcent la conclusion sur l’absence d’effet d’une alimentation avec du maïs OGM par
comparaison avec le contrôle non-OGM dans le cas du protocole utilisé par ce projet. Concernant la
durée d’expérimentation, l’équipe projet n’a pas trouvé de valeur ajoutée à une expérimentation à 6
29
mois par rapport à une expérimentation à 3 mois. Enfin, les résultats portent finalement sur une
expérimentation recherchant un potentiel effet toxique de deux maïs et non des OGM.
30
Intervenants :
Joël GUILLEMAIN - Université de Tours
Rémi MAXIMILIEN - CEA/DRF
Joël GUILLEMAIN indique que l’étude GMO90+ et les autres projets européens s’inscrivent dans
l’amélioration des protocoles d'évaluation de la toxicité des PGM et que cette intervention se
focalisera sur certains aspects méthodologiques : l'identification de biomarqueurs et les techniques
omiques.
(Diapos 3-4)
Le processus d’évolution des critères d’évaluation de la toxicité est en constante évolution. La
publication de MACGREGOR 2003 « le futur de la toxicologie réglementaire », posait déjà la question
de l’évolution des protocoles. Elle faisait l’inventaire des paramètres (biomarqueurs) utilisables à
l’époque (marqueurs fonctionnels, d’intégrité cellulaire, lésionnels). L’auteur proposait une série
d’améliorations pour la recherche de biomarqueurs d’effets toxiques (marqueurs d’altérations des
fonctions et de réactions de défense, marqueurs spécifiques d’intégrité cellulaire et tissulaire
notamment) et également les techniques omiques.
31
(Diapos 5-6)
Concernant la notion de biomarqueurs, 2 organes apparaissent particulièrement intéressants car ils
transforment et éliminent les substances exogènes : le foie et le rein. Ces organes ont fait l'objet de
nombreux travaux. En 2002, « A toxicologist’s guide to biomarkers of hepatic response » listait une
quinzaine de biomarqueurs de la toxicité hépatique. Plus récemment, les agences américaine et
européenne ont identifié une liste de biomarqueurs (20 à 25) de la toxicité rénale permettant de cibler
certaines fonctions rénales. Suite à ces études, certains de ces marqueurs ont été intégrés à l’étude
de toxicité orale sur 90 jours mise en œuvre dans l'évaluation de la sécurité des PGM. La prise en
compte des biomarqueurs s’inscrit donc dans un processus évolutif d’évaluation de la sécurité
sanitaire.
32
(Diapo 7)
Joël GUILLEMAIN indique que concernant l’utilisation des techniques omiques, l’EFSA en 2004 avait
proposé de procéder à des études protéomiques ; l’agence américaine NTP utilise également les
techniques de toxicogénomiques. Entre 2009 et 2011, l’AFSSAPS (devenue l'ANSM) avait formulé
des recommandations sur l’utilisation de la protéomique, et rédigé un guide de propositions de
soumission volontaire des données omiques. A noter toutefois qu’il existe encore des réserves sur
l’utilisation de telles techniques de la part de certains spécialistes.
(Diapo 8)
Dès la proposition du groupe de travail du CSHPF à la fin des années 90, 2 options avaient été
envisagées : l’une dite de « maximalisation », qui consiste à multiplier les études, à augmenter les
effectifs, la durée d’exposition, les espèces... ; l’autre, dite « d’optimisation » (utilisée dans le cas de
GMO90+ et des projets européens), qui consiste à optimiser les paramètres et les analyses pour in
fine considérer l’ensemble des résultats disponibles et analyser le "poids de la preuve".
33
(Diapo 9-10)
Concernant le MON810 et la protéine Cry1Ab, il est à noter qu'un grand nombre d’études, intégrant
les techniques omiques, a été réalisé, soit sur la composition des aliments par rapport aux plantes non
GM, soit sur un certain nombre de biomarqueurs de toxicité potentielle.
34
(Diapo 11)
Des pistes de réflexion peuvent être dégagées suite aux études GMO90+ et aux projets européens.
Dans le cadre des protocoles actuels, les contraintes statistiques ont été augmentées en faisant en
sorte de disposer notamment d’études de différences et des études d’équivalences de composition.
Concernant les études de toxicité et la durée des études sub-chroniques, il apparaît que les études "6
mois et plus" ne semblent pas apporter des éléments supplémentaires pour l'évaluation de la sécurité
sanitaire. Enfin, concernant l’innocuité de la Cry1Ab, et du fait des nombreuses données de sécurité
sur MON810/Cry1ab, notamment des derniers programmes GRACE et GMO90+, ainsi que de la
revue annuelle de la littérature depuis plus de 20 ans de commercialisation, il faut s’interroger sur le
bien fondé scientifique et éthique de la poursuite d’études sur cet OGM. En regard des données
accumulées sur la protéine Cry1ab, la question de l’extrapolation des données de sécurité de cette
protéine Cry1ab à d’autre protéines de la même famille peut se poser pour le maïs ou pour des
variétes autres que le maïs. Sans pour autant sous estimer la necessité de s’assurer de la sécurité
des PGM destinés à l’alimentation, la prise en compte de l’éthique animale se doit d’être considérée.
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Echanges avec la salle
Un participant s’étonne que les techniques omiques n’aient pas été utilisées plus tôt et se demande
pourquoi ces études coûteuses se sont pas directement réalisées par les producteurs d’OGM. Joël
GUILLEMAIN rappelle que l’intérêt des omiques a bien été soulevé il y a quelques années, mais que
l’Agence du médicament s’interrogeait encore en 2009 sur la façon dont les résultats devaient être
présentés, étant donné les différences qui existaient entre les méthodologies. A cette époque, un
effort de standardisation était en cours de réalisation et il semble qu’il n'ait pas encore totalement
abouti à l’heure actuelle. Bernard SALLES indique qu’il y a un enjeu à savoir quelle technique
omique utiliser selon les questions posées. En effet, la transcriptomique apporte une réponse
différente de la protéomique ou de la métabolomique. Cette dernière technique est actuellement très
utilisée et devient de plus en plus intéressante à mobiliser, selon lui. Concernant la structure qui
devrait réaliser les études, Bernard SALLES indique que les industriels répondent à la
réglementation et si des études autres doivent être menées, elles doivent l’être avec de l’argent public
et avec des toxicologues qui font de la recherche fondamentale.
Le même participant demande ce qu'il se passe si des effets sont trouvés en n’utilisant pas les
protocoles admis par la communauté scientifique. Rémi MAXIMILIEN explique que pour toute
nouvelle substance, des évaluations sont réalisées. Ces évaluations sont par la suite révisées avec
35
une revue systématique de la littérature. S’il subsiste un doute, des études complémentaires peuvent
être demandées.
Une autre personne rappelle que les techniques omiques ne sont pas récentes et devraient être
généralisées. Il indique que GMO90+ ne répond qu'à la question du maïs (et pas à la question des
autres espèces végétales, dont le soja OGM, pour lequel les phytoestrogènes ne réagissent pas à la
dose/effet). Bernard SALLES explique qu’il ne pouvait pas traiter toutes les espèces, et que
connaissant la problématique des phytoestrogènes du soja, il n’avait pas souhaité initialement en
inclure dans la composition dans ses granulés. Toutefois, il a dû s’y résoudre, car il souhaitait pouvoir
comparer ses résultats avec ceux du projet GRACE qui avait inclus du soja dans ses granulés. Rémi
MAXIMILIEN rappelle que dans la T90 jours étendue, il y a des éléments sur les hormones sexuelles
et plasmatiques, et également sur les gonades.
Un participant s’étonne que les relations entre les différents programmes européens n’aient pas été
abordées. Même si les conclusions générales de ces études sont les mêmes, il existe des différences
dans les protocoles et il aurait souhaité bénéficier d'une synthèse des résultats généraux, présentant
les similitudes et les différences entre projets. Bernard SALLES explique que pour GRACE, étude à 6
mois et à 1 an, il y avait des différences statistiques, mais qu’elles n’ont pas été jugées significatives
du point de vue biologique. Concernant G-Twyst aussi bien à une concentration de maïs à 50% dans
la ration sur 3 mois et à 33% à 3 mois, à 1 an et à 2 ans, absence d’effet observable du maïs OGM.
Les résultats de GMO90+ ont été présentés précédemment dans la matinée. La grande différence
provient de l’analyse statistique s’appuyant sur l’historique des CRO. Pour GMO90+, Cytoxlab n’avait
pas d’historicité sur le rat Wistar, ce qui a amené à faire une comparaison deux à deux, au contraire
de GRACE et de G-Twyst qui se sont appuyés sur la littérature.
Une autre personne s’interroge sur le fait que l’instance de dialogue de GMO90+ n’a pas fonctionné, à
la différence de celle de GRACE. Bernard SALLES indique qu’en Allemagne, les opposants
acceptent d’assister aux instances, ce qui est moins le cas en France. L’ANSES s’est donc appuyée
sur ses Comités d’Orientation Techniques (COT) pour diffuser des informations relatives au projet
GMO90+. Il rappelle enfin qu’en Allemagne, la majorité des parties prenantes provient de l’industrie. .
36
Intervenant :
Frédéric JACQUEMART - Inf’OGM
Pour comprendre la problématique de l'évaluation et les différences de fond entre celle qui nous est
imposée et celle qui intéresse une partie de la société civile, Frédéric JACQUEMART propose de
réaliser un bref historique.
En 1986, sous la présidence de REAGAN, Monsanto a demandé au vice-président George BUSH
père de règlementer les OGM, de manière à ce que ce visa officiel vienne tempérer l'inquiétude
attendue de la population confrontée à des organismes génétiquement modifiés. Selon lui, il ne fallait
pas que cela entrave les projets de l'entreprise. Il cite le New York Times (JACQUEMART, F. (2012)
« Expertise des OGM : l'évaluation tourne le dos à la science » Inf'OGM éd. pp 34 et suivantes
(https://www.infogm.org/expertise-des-ogm-l-evaluation-tourne-le-dos-a-la-science) : « Dans ce
domaine, les agences du gouvernement des États-Unis ont fait exactement ce que la grosse industrie
lui a dit de faire, dit le Dr Henry MILLER, un directeur de recherches à la Hoover Institution, qui était
responsable des questions de biotechnologies à la Food and Drug Administration de 1979 à 1994 ».
Ensuite, l'épisode de la « vache folle » conduit à la création de l'Agence Européenne pour la Sécurité
des Aliments (AESA ou EFSA en Anglais) et la réglementation des OGM.
Selon Frédéric JACQUEMART, tout ce processus est « accompagné » par l'industrie, notamment
(mais pas seulement) par l'ILSI (International Live Science Institute), association dont les membres
sont Monsanto, Bayer, Dow Agrobio Science, Cargill, Nestlé, Coca-Cola, Novartis, etc. Il considère
que non seulement l'ILSI a une influence « de couloir », mais qu'elle est également présente dans
toutes les commissions concernées par les biotechnologies et des experts de l'EFSA en font partie.
Frédéric JACQUEMART s’étonne d’ailleurs que Diana BANATI, de l'ILSI, soit entrée au conseil
d'administration de l'EFSA.
Il rappelle que la société civile critique la manière dont sont constitués les dossiers de demande
d'autorisation de dissémination d'OGM, et notamment :
aucun dossier, pour aucun test comprenant des comparaisons statistiques, ne présente de
calcul de puissance. On conclut donc qu'on ne voit rien, sans montrer qu'on est en mesure de
voir quelque chose ;
les tests sont faits sans témoin positif et dans aucun dossier et dans aucun test, il n'est
présenté de témoin positif (même dans le test d'Astwood-Monsanto) ;
dans tous les dossiers, des conclusions d'équivalence sont portées ; aucun de ces dossiers
ne comporte pourtant de test d'équivalence ;
les tests concernant l'allergénicité sont sur-interprétés (voir à ce sujet « Evaluation allergologique » in
« Expertise des OGM : l'évaluation tourne le dos à la science », p 31 et suivantes) et l'un de ces tests,
dit « test de résistance à la pepsine » est même parfaitement inacceptable selon lui. Il s’interroge sur
la raison qui fait que personne ne parle du scandale Astwood alors que cela est très significatif des
méthodes utilisées dans le monde de l'industrie agro-alimentaire et semencière. Le principe de ce test
découle d'une hypothèse, jugée « simpliste » par Frédéric JACQUEMART. Elle est proposée par
ASTWOOD, FUCHS et LEACH, trois salariés de Monsanto, et suppose que si l'antigène (à savoir, ici,
la protéine d'intérêt de l'OGM testé) est dégradé au niveau de l'estomac, il n'entre pas en contact avec
le système immunitaire de l'intestin et ne peut donc provoquer d'allergie. L’expérimentation consiste
alors à ajouter la protéine d'intérêt (par exemple, une protéine Bt) produite par une bactérie et purifiée
dans un tube à essai contenant une solution à pH 1,2 d'acide chlorhydrique et de la pepsine (enzyme
protéolytique présente dans l'estomac) et à observer si la protéine est totalement et rapidement
dégradée (ASTWOOD, J.D., LEACH, J.N. & FUCHS, R.L. (1996) « Stability of food allergens to
digestion in vitro ». Nature Biotechnology 14 : 1269-73).
Frédéric JACQUEMART soulève un premier problème : le pH est beaucoup plus acide (1,2) que le
pH gastrique au moment de la digestion (en général autour de 2,5) ; quant au taux de pepsine utilisé,
il correspond à 3000 fois le taux physiologique. Lorsque Jean-Michel WAL, expert en allergologie de
l'EFSA, fait le même test sur la CRY1Ab du MON810 (Guimaraes V., Drumare M.F., Lereclus D.,