Les Dames galantes au l des mots 005
Jay oy faire un pareil compte1 au chevallier de Sanzay2 de
Bretagne, un trs-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort
neust entrepris sur3 son jeune aage, fust est un grand homme de
mer, comme il avoit un trs-bon commencement : aussi en portoit-il
les marques et enseignes4, car il avoit eu un bras emport dun coup
de canon en un combat quil fist sur mer. Le malheur pour luy fut
quil fut pris des corsaires5, et men en Alger6. Son maistre, qui le
tenoit esclave, estoit le grand prestre de la mosque de l, qui
avoit une trs-belle femme qui vint samouracher si fort dudict
Sanzay quelle luy commanda de venir en amoureux plaisir avec elle,
et quelle luy feroit trs-bon traittement, meilleur qu aucun de ses
autres esclaves ; mais surtout elle luy commanda trs-expressement,
et sur la vie7, ou une prison trs-rigoureuse, de ne lancer en son
corps une seule goutte de sa semence, dautant8, disoitelle, quelle
ne vouloit nullement estre pollu9 et contamine du sang chrestien,
dont elle penseroit offenser grandement et sa loy10 et son grand
prophete Mahommet ; et, de plus, luy commanda quencor quelle fust
en ses chauds plaisirs, quand bien elle luy commanderoit cent fois
dhazarder le paquet11 tout trac12, quil nen fit13 rien, dautant que
ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit ravie14 qui le luy
feroit dire, et non pas la volont de lame.1 2
Les secrtaires de Brantme ne distinguent pas compte et conte.Je
men rapporte, pour lidentication de ce personnage, ce quen a crit
Anatole de Barthlemy [1821-1904], qui lui a consacr une plaquette :
Anne de Sanzay, comte de La Magnanne, abb sculier de Lantenac ,
Saint-Brieuc, Guyon frres, 1852. In-8o, 34 p. ; lessentiel, pour ce
concerne notre propos, sen retrouve dans la notice de la Biographie
bretonne (tome II, 1857, pp. 370-374), sous la direction de Prosper
Levot.
Il sagit dAnne de Sanzay (surnomm Bras-de-fer) comte de La
Ma(i)gnanne, chevalier de lordre, gentilhomme ordinaire de la
chambre, capitaine de 50 hommes darmes des ordonnances, marchal de
camp, seigneur de Bourouguel et dAlollac. Fils de Ren, seigneur de
Saint-Marsault, et de Rene du Plantys. Le conntable de Montmorency
tait son parrain.Bulletin de gographie historique et descriptive,
Anne 1891, no4 : Luvre gographique des Reinel, par le Dr
Ernest-Thodore Hamy, page 125. Signature appose par lun des
propritaires dune carte tablie par le cartographe portugais Pedro
Reinel vers 1504. Cest sans doute quand il armait contre les
Algriens, que Sanzay stait procur la carte de Reinel, o il a mis
son nom , crivait le Dr Hamy.
La carte fait partie de la collection Kunstmann (Atlas zur
Entdeckungsgeschichte Amerikas, Herausgegeben von Friedrich
Kunstmann, Karl von Spruner, Georg M. Thomas ; Zu den Monumenta
Saecularia der K.B. Akademie der Wissenschaften, 28 Mrz, 1859,
Mnchen) la Bayerische Staatsbibliothek de Munich.
Anatole de Barthlemy, p. 374 :La seule mention quon trouve
ensuite de ce partisan [ partisan de la sainte Union , partisan de
lunion des princes catholiques , ligueur] se rencontre dans une
requte par laquelle labb de Lantenac demandait (16 dcembre 1624)
lautorisation dtre reprsent la leve des scells apposs au
Bourouguel, chez La Magnanne, pour quil pt vrifier sil ne sy
trouvait pas des titres provenant de labbaye. Depuis long-temps, on
le regardait comme mort, puisque, ds les premires annes du XVII e
sicle, Brantme, qui semblait ignorer que son ancien ami le
chevalier de Sanzay et La Magnanne fussent un seul et mme
personnage, regrettait en ces termes la mort prmature de notre
terrible partisan : Le chevalier de Sanzay, de Bretagne [].
attaquer marques ; marques et enseignes est un clich qui se
retrouve chez Amyot, Montaigne, Calvin, Henri Estienne 5 captur par
des corsaires 6 comme en Arles, en Avignon ; mais Alger dsigne tout
un territoire, le royaume dAlger 7 sous peine de perdre la vie 8
dautant que comme, tant donn que, vu que 9 souille 10 sa religion
11 pour hasarder le paquet , TLFi fournit comme premire attestation
: 1606 hasarder le paquet (DU VILLARS, Mm., VIII ds GDF. Compl.) ;
on voit quil est possible dantdater. 12 tout net, tout fait,
carrment 13 on attendrait quil nen st rien 14 dont elle serait
comme transporte, mise en extase 3 4
Ledict Sanzay, pour avoir bon traittement15 et plus grande
libert, encor quil fust chres-
tien, ferma les yeux pour ce coup sa loy16 : car un pauvre
esclave rudement17 traitt et miserablement18 enchaisn peut soublier
bien quelques fois19. Il obeit la dame, et fut si sage et si
abstraint20 son commandement quil commanda fort bien son plaisir ;
et moulloit21 au moulin de sa dame tousjours trs-bien, sans y faire
couller deau : car, quand lescluse22 de leau vouloit23 se rompre et
se deborder, aussitost il la retiroit, la resserroit et la faisoit
escouler o il pouvoit ; dont cette femme len ayma davantage, pour
estre si abstraint sont estroit24 commandement, encor quelle lui
criast : Laschez, je vous en donne toute permission ! mais il ne
voulut onc25, car il craignoit destre battu la turque26, comme il
voyoit ses autres compagnons devant soy27.15 16 17 18 19 20 21
22
an dtre bien trait ferma les yeux pour cette fois sur sa
religion avec brutalit pitoyablement peut bien soublier loccasion
(astreint) soumis son injonction (de moudre) les meules sont
superposes (cluse) il sagit de la vanne pour les moulins ( eau),
cf. biez Foss creus ct dune rivire pour lusage dun moulin, et pris
dassez loin pour pouvoir mnager une chute deau ou au moins une
pente qui augmente la rapidit de leau. Le conduit se nomme buse
quand leau tombe sur la roue, et coursier quand elle passe
au-dessous Littr ; la forme bief ne sest impose quau XXe sicle 23
sapprtait , tait sur le point de 24 strict 25 jamais 26 allusion
lapplication de coups de bton sur la plante des pieds : falaka, en
turc ; arabe FaLaQa fendre , car le mot dsigne, au propre, un
morceau de bois aux extrmits duquel est attache une corde servant
immobiliser les chevilles du supplici le dbat reste ouvert en ce
qui concerne la forme grecque , de : voir, dans Clmence et
Chtiment, dit par Sydney H. Aufrre et Michel Mazoyer (LHarmattan,
2009), Moniales rcalcitrantes et violence ducative (falaque) au
Deir el-Abyad, daprs un passage du canon 4 de Chnout pp. 31-48, par
Sydney H. Aufrre et Nathalie Bosson, page 47 note 31.
Henri Lammens SJ, Remarques sur les mots franais drivs de larabe
(1890), page 111.
27
[ltre] devant lui
Voil une terrible humeur de femme28 ; et pour ce il semble
quelle faisoit beaucoup, et pour son ame qui estoit turque, et pour
lautre qui estoit chrestien, puisquil ne se deschargeoit29
nullement avec elle : si me jura-il quen sa vie30 il ne fut en
telle peine. Voil une femme au caprice terriant cf. et voil que
servent telles escholes de marys ! Les Dames galantes au l des mots
004, note 15. 29 on est pass de se dcharger le ventre, lestomac
lelliptique (et encore pronominal) se dcharger ; lultrieur dcharger
jaculer , employ absolument, est une ellipse de dcharger une arme
feu, employ au gur 30 que de toute sa vie 28
Il men t un autre compte, le plus plaisant quil est possible,
dun trait31 quelle luy fit ; mais, dautant quil est trop sallaud,
je men tairay, de peur doenser les oreilles chastes32. le sens est
celui donn par Littr, 28o : Action, acte ayant quelque chose de
remarquable 32 Brantme pense la lecture haute voix, qui tait de
rigueur depuis lantiquit pour les personnes dun certain rang social
: elles avaient un liseur attitr ; cest ainsi qu se mtamorphose en
anagnoste chez Rabelais, cf. Der Vorleser de Bernhard Schlink (et
le lm de Stephen Daldry)31
Du depuis33 ledict Sanzay fut rachept par les siens, qui sont
gens dhonneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent
34 beaucoup de grands, comme M. le Connestable qui aimoit fort son
frere aisn35, et qui luy ayda beaucoup cette delivrance, laquelle
ayant eu, il vint la cour36, et nous en conta fort M. dEstrozze37
et moy de plusieurs choses, et entre autres il nous fit ces
comptes.33
par la suite lexistence de du depuis stend du moyen franais
(chez Gringore, par exemple) au dbut du XVIIe sicle, avec des
attestations sporadiques de Malherbe Montesquieu 34 sont au service
de (vocabulaire de la fodalit) 35 Ren de Sanzay 36 ( Amboise) 37
Filippo di Piero Strozzi [1541-1582], grand ami de Brantme. Attir
en France par sa cousine Catherine de Mdicis, il devint
marchal.
Que dirons-nous maintenant daucuns marys qui ne se contentent de
se donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes,
mais en donnent de lappetit38, soit leurs compagnons et amys, soit
dautres ? Ainsi que jen ay cogneu plusieurs qui leur loent39 leurs
femmes, leur disent leurs beautez, leur figurent40 leurs membres et
partyes du corps, leur re-presentent leurs plaisirs quils ont avec
elles, et leurs follastreries dont elles usent envers eux, les leur
font baiser, toucher, taster, voire voir nus.38 39 40
en suscitent le dsir leur font lloge dcrivent
Que meritent-ils ceux-l ? sinon quon les face cocus bien
point41, ainsi que t Gigs42, par le moyen de sa bague, au roy
Candaule, roy des Lidiens, lequel, sot quil estoit, luy ayant lo la
rare beaut de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et
dommage, et puis, la luy ayant monstre toute nu, en devint si
amoureux quil en joit son gr, et le fit mourir, et simpatronisa43
de son royaume. On dit que la femme en fut si desespere, pour avoir
est represente44 ainsi, quelle fora Gigs ce mauvais tour, en luy
disant : Ou celuy qui ta press et conseill de telle chose, faut
quil meure de ta main, ou toy, qui mas regarde toute nu, que tu
meures de la main dun autre45. Certes, ce roy estoit bien de
loisir46 de donner ainsi appetit dune viande nouvelle, si belle et
bonne, quil devoit47 tenir si chere. ni trop ni trop peu, ni plus
ni moins la lgende est rapporte (avec plus que des nuances entre
eux) par Hrodote, Platon et Cicron ; chez ces deux derniers, le rle
principal est dvolu lanneau dor que dcouvre Gygs : chaque fois quil
en tourne le chaton vers lintrieur de sa main, Gygs devient
invisible. Chez Plutarque, il est question dun talisman royal (une
hache), mais de reine aucune mention. On comprend, ds lors,
pourquoi la prfrence de lauteur est alle au texte dHrodote mtin de
Platon.41 42
Candaule, roi des Lydiens, a un regain de notorit notre poque la
faveur du candaulisme. (Source de lillustration : BnF Ms Fr 230 fo
54, miniature ornant la traduction du De Casibus de Boccace par
Laurent Guillot de Premierfait.)
se rendit matre cf. les fortes paroles de Dorine : Certes, cest
une chose aussi qui scandalise De voir quun inconnu cans
simpatronise ; le mot nest pas inconnu de langlais et Francis Bacon
a pu crire (en 1624, dans Considerations touching a war with Spain)
: They have now twice sought to impatronise themselves of this
kingdom of England. 44 exhibe 45 au cur de lnonc (un dilemme ou
choix entre deux branches qui sexcluent), un impersonnel, faut,
dpourvu de pronom et non rpt : une russite architecturale 46 avait
du temps perdre appetit dune viande envie, dsir dune chair 47
(latinisme) quil aurait d 43
Louis, duc dOrleans48, tu la porte Barbette49, Paris, t bien au
contraire (grand desbaucheur des dames de la cour, et tousjours des
plus grandes) : car, ayant avec luy couch une fort belle et grande
dame, ainsi que son mary vint en sa chambre pour luy donner le
bonjour, il alla couvrir la teste de sa dame, femme de lautre, du
linceul50, et luy descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout
nud et toucher son bel aise, avec defense expresse sur la vie de
noster le linge du visage, ny la descouvrir aucunement, quoy il
nosa contrevenir, luy demandant par plusieurs fois ce qui luy
sembloit de ce beau corps tout nud : lautre en demeura tout
esperdu51 et grandement satisfait. Le duc luy bailla cong52 de
sortir de la chambre, ce quil fit sans avoir jamais pu cognoistre53
que ce fust sa femme. Louis Ier dOrlans [13 mars 1372-23 novembre
1407, assassin sur lordre de Jean sans Peur, duc de Bourgogne],
frre de Charles VI. Thomas Basin [1412-1491, vque de Lisieux, n
Caudebec-en-Caux] a crit son sujet :48
Aurelianensium dux, qui, ut satis famosum tunc habebatur, ad
omnem ferme speciosissimam mulierem, uelut equus aliquis emissarius
adhinniebat Le duc dOrlans le fait tait de notorit publique lpoque
ragissait la prsence de pour ainsi dire nimporte quelle trs jolie
femme en hennissant comme un talon49
Porte Barbette
50 51 52 53
drap de lit en proie une motion violente, submerg par le trouble
donna la permission sans jamais avoir t capable de reconnatre sa
femme
Sil leust bien veu et recogneu toute nu, comme plusieurs que jay
veu, il leust cogneu plusieurs sis54, possible55 ; dont il fait bon
les visiter quelquesfois par le corps56.54 55 56
signes, marques note le pluriel de signe (prononc /sin/)
peut-tre raison pour laquelle il convient de procder loccasion sur
sa femme une inspection physique/corporelle ; le mdecin visitait
son patient, cest--dire lauscultait, lexaminait, cf. le Mdecin
malgr lui (II, III) :SGANARELLE: en voulant toucher les tetons de
la Nourrice. Mais comme je mintresse toute votre famille, il faut
que jessaye un peu le lait de votre nourrice, et que je visite son
sein.
Elle, aprs son mary party57, fut interroge de M. dOrleans si
elle avoit eu lallarme58 et peur. Je vous laisse penser ce quelle
en dist, et la peine et laltere59 en laquelle elle fut lespace dun
quart dheure : car il ne falloit quune petite indiscretion60, ou la
moindre desobeissance que son mary eust commis pour lever le
linceul ; il est vray, ce dist M. dOrleans, mais quil leust tu
aussitost61 pour lempescher du mal quil eust faict la femme.
(latinisme) aprs le dpart de son mari, une fois son mari parti (de
mme pour fut interroge si fut questionne par M. dOrlans qui voulait
savoir si ) 58 inquitude, angoisse 59 trouble, agitation, motion,
angoisse, anxit 60 tourderie, imprudence 61 mais (il ajouta) quil
laurait tu sur-le-champ 57
Et le bon62 fut de ce mary, questant la nuict damprs63 couch
avec sa femme, il luy dit que M. DOrleans luy avoit fait voir la
plus belle femme nu quil vit64 jamais, mais, quant au visage, quil
nen savoit que rapporter, dautant quil luy avoit interdit. Je vous
laisse penser ce quen pouvoit dire sa femme dans sa pense. Et, de
cette dame tant grande et de M. dOrleans, on dit que sortit ce
brave et vaillant bastard dOrleans, le soustien de la France et le
fleau de lAngleterre, et duquel est venu ceste noble et genereuse
race des comtes de Dunois65.62 63
le plus drle, le comble variante daprs avec nasalisation
on attendrait vist la protagoniste de lanecdote serait Yolande
(dite Mariette) dEnghien (dite dHavr), dame de Wige et de Fagnoles,
pouse [en 1389] dAubert Le Flamenc, seigneur de Cannysur-Matz et de
Varesnes, capitaine de la ville de Noyon, chambellan (mais de qui ?
les attributions varient) ; matresse de Louis dOrlans, elle en a eu
un ls : Dunois (1402-1468 au chteau de lHa-les-Roses), compagnon
darmes de Jeanne dArc. Le mari, la femme et lamant sont des
personnages dans la pice de thtre de Grard de Nerval, le Prince des
Sots, et dans le roman du mme titre quil a tir de sa propre pice.64
65
Or, pour retourner encor nos marys prodigues de la veu de leurs
femmes nus, jen say un qui, pour un matin66, un sien compaignon
lestant all voir dans sa chambre ainsi quil shabilloit, luy monstra
sa femme toute nu, estendu tout de son long toute endormie, et
sestant elle-mesme ost ses linceuls de dessus elle, dautant quil
faisoit grand chaud, luy tira le rideau67 demy, si bien que, le
soleil levant donnant dessus elle, il eut loisir de la bien
contempler son aise, o il ne vid rien que tout beau en perfection ;
et y put paistre68 ses yeux, non tant quil eust voulu, mais tant
quil put ; et puis le mary et luy sen allerent chez le roy.
variante, moins frquente mais qui semble avoir eu la prfrence de
Brantme, de par un matin un (beau) matin : exemples :66
Li Rois Di-moi, fu-tu onques jalous ? Et puis sapelerai* Robin.
Gautiers Ol, sire, pour .j. matin Que jos hurter lautre fie* A luis
de la cambre mamie ; Si en soupechonnai .j. home. Estant seulet
auprs dune fenestre Pour un matin, comme le jour poignoit
* jappellerai (s = si, adverbe de renforcement) * quand
jentendis frapper lautre fois Adam de La Halle, Li Gieus de Robin
et de Marion Clment Marot
le cosmographe Andr Thevet se vante, en rappelant ses
prgrinations dans les mers du Sud, davoir pour un matin [] trouv
sur le tillat [tillac] du navire bien vingt-sept poissons volants,
autrefois moins, selon les lieux o nous estions (cit par Frank
Lestringant, Sous la leon des vents)67
le lit colonnes est ferm par des rideaux ou courtines (do
langlais curtain rideau ) sur chaque ct ; cest lun de ces rideaux
de lit et non pas des rideaux de croise que le mari carte pour
rvler lintimit de sa femme son visiteur. (Dans le meilleur des cas,
les fentres taient grillages on disait grilles , disposaient de
persiennes et de tentures, mais certainement pas de voilages).
Lillustration est un document Educol.net ; comme de juste,
lillustrateur a privilgi le lit aux dpens des courtines.
68
a) patre na pas toujours t restreint la nourriture des animaux :
Mais la dame voulait patre encore ses yeux Du trsor quenfermait la
bire (La Fontaine, la Matrone dphse); b) au figur, la forme simple
a t supplante par repatre (cf. repas, repu) Le lendemain, le
gentilhomme, qui estoit fort serviteur de ceste dame honneste, luy
racconta ceste vision, et mesme luy gura beaucoup de choses quil
avoit remarques en ses beaux membres, jusques aux plus cachez ; et
si69 le mary le luy conrma, et que cestoit luy-mesme qui en avoit
tir le rideau. La dame, de despit quelle conceut contre son mary,
se laissa aller et soctroya son amy par ce seul sujet70 ; ce que
tout son service71 navoit sceu gagner.69 70 71
et dailleurs La dame sabandonna et accorda ses faveurs son ami
pour ce seul motif dans le vocabulaire courtois, lhomme est le
serviteur de la dame (cf. chevalier servant) et lui doit donc un
service, comme le vassal son suzerain dans le systme fodal : ce que
toutes ses prvenances et attentions ne lui avaient pas permis
dobtenir
Jay cogneu un trs-grand seigneur qui, un matin, voulant aller la
chasse, et ses gentilshommes lestant venu trouver72 son lever73,
ainsi quon le chaussoit74, et avoit sa femme couche prs de luy, et
qui luy tenoit son cas75 en pleine main, il leva si promptement la
couverture quelle neut loisir de lever la main o elle estoit
pose76, que lon ly vit laise et la moiti de son corps ; et, en se
riant77, il dit ces messieurs qui estoyent presents : Et bien,
Messieurs, ne vous ai-je pas fait voir choses et autres de ma femme
? Laquelle fut si despite de ce trait78 quelle luy en voulut un mal
extresme, et mesme pour la surprise de cette main ; et, possible,
depuis elle le luy rendit bien. supposer quadopter un point de vue
normatif pour ce texte ait un sens, cest la leon imprime par Henri
Vigneau qui serait retenir : lestans venus trouver. 73 Louis XIV a
fait codier en tiquette son petit et son grand lever (variante :
lev ; le mot est pass en anglais : levee), mais la pratique est
bien antrieure 74 A. R. Allinson traduit even as they were booting
him (pendant quon lui mettait ses chaussures) mais Georg Harsdrffer
gerade wie man ihm die Strmpfe anzog (pendant quon lui enlait ses
bas). Voici tout dabord un bon rsum de la situation par Lazare
Sainan, la Langue de Rabelais, I (1922), p. 159 :72
Une des rvolutions les plus importantes dans lhistoire du
costume [masculin] est le remplacement, pendant la seconde moiti du
XVe sicle, des anciennes braies par des chausses, pantalons
collants auxquels, au moyen daiguillettes [Brantme crit
esguillettes], tait attach le pourpoint. Vers la mme poque, les
chausses compltes se diffrencient en haut-de-chausses et
bas-de-chausses. Le premier est un caleon court muni dune
braguette, lun et lautre prenant de lampleur principalement sous
Franois Ier ; le second, enveloppant la jambe et le pied, a donn
naissance aux bas modernes.
L o nous disons en proverbe ce sont toujours les cordonniers les
plus mal chausss , Montaigne crivait : Quand nous voyons un homme
mal chauss, nous disons que ce nest pas merveille [a na rien
dtonnant] sil est chaussetier , o le fabricant de chausses est
prsent comme portant des chausses qui ne sont pas sa taille : il
nest pas question de ce quil a aux pieds. Le Roman de Renart le
Contrefait, dition de Gaston Raynaud et Henri Lematre (1914), t. I,
pp. 281-282, Deuxime Branche, 123 :En ce temps, avoit deux qui se
faisoient pappes : lun esconmenioit lautre, et lun ne faisoit force
de la sentence de lautre ; pour quoy le menu peuple prisoit moins
(205 a) les clercs et la court de lEglise, pour ce quilz voient
telle discorde entre les souverains. En ce temps, rengnoit en
Angleterre ung roy que on appelloit Guillame, qui fut Pestillent,
lequel fist monlt [lire moult] de griefs a saint Ancelme, pour
laquelle chose il sen alla en exil avec sa religion. Advint que a
ung matin, ainsi comme on le chaussoit dunes chausses noeufves, il
demanda a son chanbellan, combien ellex avoient coust, et il lui
dist : Trois solz. Lors le roy ot despit, et lui dist en fremissant
: Vil tresort [= trs ort] filz de putain, appartient il au roy
chausses de si petit pris ? Va tost, et men aportes unes qui
coustent un marc dagent [lire argent]. Tantost [aussitt] cellui sen
va au chausetier, et print unes chausses qui ne valloient pas les
premieres, et lui dist du pris. Telles, ce dist le roy,
appartiennent la majest royal. [dans ce passage, appartenir =
convenir ]
Le verbe, sous linuence de chausses, a pris pour un temps le
sens de (se) vtir, (s)habiller et, de l, celui encore plus gnral de
mettre (comme un vtement) : dans le Glossaire de sa Chrestomathie,
Bartsch rend chaucier et ses variantes graphiques par anziehen,
bekleiden. Baligant, dans la Chanson de Roland : Si len dunez cest
guant ad or pleiet, El destre poign si li faites chalcer ,
donnez-lui en gage ce gant brod dor et quil le mette sa main
droite.Littr, chausser, HIST. se fait lcho de La Curne de
Sainte-Palaye (III, 1877, p. 273) citant Froissart : Et [Charles
VI] chaussant son espe, et la levant contre mont pour ferir et
donner un coup ; mais chaussant tel quel serait impossible chez
Froissart : Buchon donne haussant et Kervyn de Lettenhove
haulchant.
Ainsi sexpliquent chez Rabelais, ce pendant quon chaussoit
gantelets de tous costs , il sen chausse comme dune mitaine ,
Attendez que je chausse mes lunettes et sois recors de deschausser
tes lunettes ; et chez Montaigne, cette vilaine chaussure et cette
ridicule piece de la chaussure de nos peres , priphrase grce
laquelle lcrivain vite dcrire le mot braguette. Dans notre passage,
les gentilshommes venus assister au lever du seigneur sont tmoins
dune priptie pendant quon lhabille. 75 son sexe 76 il ta si
brusquement la couverture que sa femme neut pas le temps dter sa
main do elle tait pose 77 en plaisantant, en badinant 78 tellement
irrite de cette rexion Jen say un autre79 dun grand seigneur,
lequel, connoissant80 quun sien amy et parent estoit amoureux de sa
femme, fust81 ou pour luy en faire venir lenvie davantage, ou du
depit et desespoir quil pouvoit concevoir de quoy il avoit eu une
si belle femme et luy nen
tastoit point82, la luy monstra un matin, lestant all voir83,
dans le lict tous deux couchez ensemble, demye nu ; et si84 t bien
pis, car il luy t cela85 devant luy-mesme86, et la mit en besogne87
comme si elle eust est part88 ; encor prioit-il cet amy de bien
voir le tout, et quil faisoit tout cela sa bonne grace89. Je vous
laisse penser si la dame, par une telle privaut90 de son mary,
navoit pas occasion de faire son amy lautre91 toute entiere, et bon
escient92, et sil nestoit pas bien employ93 quil en portast les
cornes. (conte anecdote ) sachant soit ou du depit et desespoir
quil [le mari] pouvoit concevoir de quoy il [le visiteur] avoit eu
une si belle femme et luy [le mari] nen tastoit point 83 un matin o
lautre tait venu le voir 84 et mme 85 il lui t lamour 86 en sa
prsence 87 cf. besogner chez Mellin de Saint-Gelais, Aux
Hostelliers, dbut :79 80 81 82
Hostelliers, vos hostes passans De ces droits-cy sont joissans :
Ils peuvent, en toute saison, Besongner en vostre maison, Par prix
ou par douces prieres, Vos lles et vos chambrieres.
comme sils avaient t seul seul, en tte tte, lcart par
complaisance familiarit excessive, inconvenante lautre (privaut)
les dernires faveurs , comme on disait jadis [Corneille, Clitandre,
1632 Ils [Rosidor et Hippolyte] avaient rendez-vous dans les bois
le lendemain au lever du soleil pour en venir aux dernires faveurs
] ; sens attest depuis les fabliaux 92 . Vaucheret : vigoureusement
93 Cest bien employ, on a bien fait de punir ou battre cette
personne-l (Oudin) On dit proverbialement, Cest bien employ,
parlant de celuy qui il est arriv par sa faute ou par son
imprudence quelque malheur ou chastiment quil meritoit Furetire88
89 90 91
Adont commencerent a cheminer vers le chastel. Mais encores
devez entendre que tres grant plent des habitans de la fortresse
estoient saillis illec pour voir la bataille, qui estoient bien
joyeulx de ce que leur seigneur estoit vaincu pour ce quil leur
estoit tant ruide et tant divers qua merveilles. Et lui disoient
quil avoit establi ce mauvais treu [page] du pont et que cestoit
bien employ sil en avoit aucune punition, car il y traveilloit
[tourmentait] moult les chevaliers qui y passoient, quelz quilz
fussent, mais principalement tous les chevaliers du Francq Palais
ou ceulx qui se renommoient de lostel du noble roy Perceforest. Sy
furent tous moult joyeulx de la male fortune de leur seigneur.
Perceforest, IIIe Partie, XIII, tome I, p. 135, d. de Gilles
Roussineau, 1988 Quand le demeurant [des Flamands] qui eschapper
purent, furent venus en lost devers leurs compagnons, si conterent
leurs aventures [la bataille de Saint-Omer, 26 juillet 1340] aux
uns et aux autres ; et vinrent les nouvelles messire Robert dArtois
et messire Henry de Flandre, qui peu les en plaignirent, mais
dirent que cestoit bien employ, car sans conseil et sans
commandement ils y estoient alls.
Froissart Cest bien employ sil a pass pour un fripon dit Apollon
propos de Titus, dans Brnice.
Jay oy parler dun autre et grand seigneur, qui le faisoit94
ainsi sa femme devant un grand prince, son maistre, mais cestoit
par sa priere et commandement, qui se delectoit tel plaisir. Ne
sont-ils pas donc ceux-l coulpables, puisquayant est leurs propres
maquereaux95, en veulent estre les bourreaux96 ?94 95
faisait lamour maquereau homme qui vit de la prostitution des
femmes, souteneur, proxnte et son pendant maquerelle tenancire de
maison close , tous deux attests depuis le Roman de la Rose, sont
emprunts (avec mtathse) au moyen-nerlandais makelare (moderne
makelaar) intermdiaire, agent, courtier 96 donc leurs propres
bourreaux ; serait-ce une rminiscence du titre de la pice de
Trence, Heautontimoroumenos (Mnandre : ), le Bourreau de luimme ?
Il ne faut jamais montrer sa femme nu, ny ses terres, pays et
places, comme je tiens dun grand capitaine, propos de feu M. de
Savoye97, qui desconseilla et dissuada nostre roy Henry dernier98,
quand, son retour de Pologne, il passa par la Lombardie, de naller
ny entrer dans la ville de Milan, luy alleguant que le roy
dEspagne99 en pourroit prendre quelque ombre ; mais ce ne fut pas
cela : il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien point,
et contemplant sa beaut, richesse et grandeur, quil ne fust tent
dune extresme envie de la ravoir et reconquerir par bon et juste
droit, comme avoyent fait ses predecesseurs. Et voyl la vraye
cause, comme dit un grand prince qui le tenoit du feu roy, qui
cognoissoit ceste encloueure100. Mais, pour complaire M. de Savoye
et ne rien alterer du cost du roy dEspagne, il prit son chemin
cost, bien quil eust toutes les envies du monde dy aller, ce quil
me t cet honneur, quand il fut de retour Lion, de me le dire : en
quoy ne faut douter que M. de Savoye ne fust plus Espagnol que
Franois.
Emmanuel-Philibert [1528-1580], dit Tte-de-fer ou le Prince cent
yeux ; il pousa Marguerite de Valois, lle de Franois Ier et de
Claude France, et sur dHenri II. 98 Henri III [1551-1589] 99
Philippe II [1527-1598] 100 dicult, obstacle, inconvnient 97
Jestime les marys aussi condamnables, lesquels, aprs avoir receu
la vie par la faveur de101 leurs femmes, en demeurent tellement
ingrats que, pour le soupon quils ont de leurs amours avec dautres,
les traitent trs-rudement, jusques attenter sur leurs vies. Jay oy
parler dun seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs ayant
conjur et conspir, sa femme, par supplication, les en destourna, et
le garantit102 destre massacr ;
dont depuis elle en a est trs-mal recogneu103, et traitte
trs-rigoureusement.101 102 103
grce lui vita ce qui ne lui a gure valu de reconnaissance, ce
dont elle a t mal rcompense Quand la livre tait lunit montaire, lcu
valait 3 livres.
Jay veu aussi un gentilhomme104, lequel ayant est accus et mis
en justice pour avoir fait trs-mal son devoir secourir son general
en une battaille, si bien quil le laissa tuer sans aucune
assistance ny secours, estant prs destre sentenci et destre condamn
davoir la teste tranche, nonobstant105 vingt mille escus quil
presenta pour avoir la vie sauve, sa femme106 ayant parl un grand
seigneur de par le monde et couch avec luy par la permission et
supplication dudit mary, ce que largent navoit pu faire, sa beaut
et son corps lexecuta ; et luy sauva la vie et la libert. Du
despuis107, il la traita si mal que rien plus108. Certes, tels
marys, cruels et enragez, sont trs-miserables109.104
Dans la notice quil consacre Pierre dOssun ( 1562), Brantme est
plus explicite :
Nostre roy Henry dernier troisiesme, par la solicitation de la
reyne sa mre [Catherine de Mdicis], fit constituer prisonnier le
sieur de Saincte-Souline [Joseph dOineau (ou Doineau), seigneur de
Sainte-So(u)line], pour avoir manqu au secours de son general, M.
dEstrozze [Filippo Strozzi], Sainct-Michel et La Tercire [S.
Miguel, Terceira, deux des Aores, le 26 juillet 1582], et son procs
sen alloit faict, et en danger de mort, sans la faveur de ses amis,
par lesquelz il se purgea [se disculpa].
son retour de la dsastreuse expdition des Aores, Sainte-Soline
fut accus de trahison par un autre combattant minent, Charles II,
duc de Coss-Brissac [1550-1621] ; incarcr pendant prs dun an ( la
Bastille, pour lessentiel),il fut arrach grandpeine la colre de
Catherine de Mdicis qui demandait une victime pour venger la mort
de Strozzi son compatriote, assassin de sang-froid [par les
Espagnols] aprs le combat. Enfin, ses amis sauvrent sa tte aux
dpens de son honneur, en persuadant ses juges que le cur lui avait
manqu au moment de laction. La honte de sa dtention, le pardon
humiliant qui lavait suivie, ne le dtachrent point cependant de la
cause royale, et si on en cherchait quelque raison personnelle,
peut-tre faut-il se souvenir que Brissac, son accusateur et son
ennemi, se montra ds la journe des barricades [12 mai 1588] un des
plus furieux ligueurs. Henri Ouvr, Essai sur lhistoire de la Ligue
Poitiers, Mmoires de la Socit des Antiquaires de lOuest, Anne 1854,
p. 160.105 106 107 108
malgr, en dpit de entre 1577 et 1602, lcu valait 60 sous = 3
livres Sainte-Soline pousa en 1570 Louise de Clermont, lle du
seigneur de Galeraude. par la suite cf. le Prologue du Cinquiesme
Livre ils sont tous tant bons, tant humains, gracieux et
debonnaires que rien plus ; Monluc en toute la cit nestoit demeur
que quatre vieilles jumens, si maigres que rien plus ; saint
Franois de Sales (lettre du 2 novembre 1607) Je suis tant homme que
rien plus ; Molire, les Amants magniques Il y paroit le dieu de
londe Et le dieu du mont Parnassus Avec tant dclat que rien plus .
Littr : Que rien plus, ellipse pour : que rien ne lest plus. Ils
soutiennent quun tel repentir [sincre, larticle de la mort] est si
rare que rien plus, Anal[yse raisonne] de Bayle, t. III, p.
282.109
mprisables
Dautres en ay-je cogneu qui nont pas fait de mesmes, car ilz ont
bien sceu recognoistre le bien do il venoit110, et honoroyent ce
bon trou toute leur vie, qui111 les avoit sauvez de mort.
(latinisme) ont su manifester leur reconnaissance envers lorigine
du bien quon leur avait fait 111 a pour antcdent ce bon trou110
Il y a encor une autre sorte de cocus, qui ne se sont contentez
davoir est ombrageux112 en leur vie113, mais allans mourir et sur
le poinct du trespas le sont encores ; comme jen ay cogneu un qui
avoit une fort belle et honneste femme, mais pourtant qui ne
sestoit point tousjours estudie114 luy seul ; ainsi quil vouloit115
mourir, il luy disoit : Ah ! ma mye, je men vais mourir ! Et plust
Dieu que vous me tinssiez compagnie, et que vous et moy allassions
ensemble en lautre monde ! Ma mort ne men seroit si odieuse, et la
prendrois plus en gr116. Mais la femme, qui estoit encore trs-belle
et jeune de trente-sept ans, ne le voulut point suivre ny croire
pour ce coup-l, et ne voulut point faire la sotte, comme nous
lisons de Evadn117, fille de Mars et de Thb, femme de Capane,
laquelle layma si ardemment118 que, luy estant mort, aussitost que
son corps fut jett dans le feu, elle sy jetta aprs toute vive, et
se brusla et se consuma avec luy par une grande constance et force,
et ainsi laccompaigna sa mort. souponneux leur vie durant, de leur
vivant rserve sapprtait je laccepterais plus volontiers vadn (),
femme de Capane (), un des Sept contre Thbes, qui stant proclam
indestructible et ayant ainsi fait preuve d (mlange darrogance,
dorgueil, de prsomption, doutrecuidance, de susance, dinsolence),
fut foudroy par Zeus ; ses restes furent brls et sa veuve, au
dsespoir, se jeta sur le bcher. Ironie dramatique : (Eschyle dcrit
le bouclier de Capane) lemblme en est un homme nu portant une
torche ( ) et la devise en lettres dor je brlerai la ville ( ). Je
nai trouv aucune piste reliant une vadn (il y en a plusieurs) une
Thb ( ; mme remarque), mme en substituant Ars Mars. 118 dans un
nonc o le feu constitue le motif central, ardemment est-il une
pointe ?112 113 114 115 116 117
Alceste119 t bien mieux, car, ayant sceu par loracle que son
mary Admette, roi de
Thessalie, devoit mourir bientost si la vie nestoit rachepte par
la mort de quelque autre de ses amis, elle soudain se precipita la
mort, et ainsy sauva son mary.119
( est le titre dune pice dEuripide) son mari (dont le nom Admte
veut dire indomptable ) est roi de Phres, localit de Thessalie (le
nom moderne est ) qui doit son nom au pre dAdmte, Phrs. Il ny a
plus meshuy120 de ces femmes si charitables, qui veulent aller de
leur gr dans la fosse121 avant leurs marys, ny les suivre. Non, il
ne sen trouve plus : les meres en sont mortes122, comme disent les
maquignons123 de Paris des chevaux, quand on nen trouve plus de
bons.120
dsormais ; de mais + hui aujourdhui (il existe aussi une forme
symtrique huimais, de mme sens) 121 pour la spcialisation du sens,
cf. fosse commune et fossoyeur 122 locution phrastique (phrase ge)
pour dire que quelque chose est devenu introuvable
LEstoille, octobre 1610 :Le mesme [saint Bernard] raconte dun
abb, nomm Sisoy, lequel, ayant, un jour trouv un de ses moines qui
pleuroit, lui en aiant demand la raison : Jay bien occasion, mon
Pere (lui respondit-il), de pleurer, car il y a j deux ans entiers
que Dieu ne sest point souvenu de menvoier quelque maladie . Je
crois que, de tels moines, la mre en est morte.
Tahureau :Mais o men pescher-vous un de ces bons espris et tant
homme de bien qui desire plustost la mort que son profit ? Il y a
long tems que la mere en est morte !
Henry Prunires [1886-1942], Histoire de lopra italien en France
avant Lulli, Paris, 1913, p. XV, note 6 :Dans une curieuse lettre,
datant sans doute des annes 1520-1525, Claude de Sermisy [dit
Claudin] rpondit au duc de Ferrare, qui lui avait demand de lui
fournir des chantres : il est fort difficile de trouver bons enfans
pour le present en France. Je croy que la mere en est morte.
Mais un dpouillement rcent, louvrage de Pierre Enckell (dj
mentionn), permet de relever une datation antrieure : Le Mistere du
Viel Testament (1500 env.), I, 140 : [Avec jeu de mots, puisquil
sagit de la mort dve]ENOS CAYNAM O mr a tous les humains, Qui te
eust creu voir en ceste sorte ? Tous en auront ne plus ne mains.
Sen est fait, la mre en est morte.
P. Enckell indique mme une variante assez rjouissante qui orne
le tome VII du Recueil de posies franoises des XVe et XVIe sicles,
dAnatole de Montaiglon (1857). Le texte, intitul la Dsolation des
frres de la robe grise, pour la perte de la marmite, quest renvers
[sic], est une pice protestante imprime Lyon en 1562 :
Nostre bissac, jadis tout plein dandouilles, Nest plus rien
rapportant ; Nous avons beau contrefaire grenouilles, Criant et
barbottant, Nostre frere Judas, sur son espaule forte, Ne rapporte,
En la sorte Que souloit, deniers ; De nous donner la grand mere en
est morte.
Remarque On a dit de mme le moule en est cass , cf. une des
pitaphes de lacteur Baron [ 1729] :
Selon TLFi, probablement issu de maquereau courtier [voir plus
haut note 95], avec substitution de suxe sous linuence de
barguigner (FEW t. 16, p. 504).123
Et voyl pourquoy jestimois ce mary, que je viens dalleguer124,
malhabile de tenir ces propos sa femme si fascheux, pour la convier
la mort, comme si ce fust est quelque beau festin pour ly convier.
Cestoit une belle jalousie qui luy faisoit parler ainsy, quil
concevoit en soy du desplaisir125 quil pouvoit avoir aux enfers
l-bas126, quand il verroit sa femme, quil avoit si bien dresse127,
entre les bras dun sien amoureux ou de quelque autre mary
nouveau.124 125 126 127
de citer de la douleur, du chagrin, de la peine l en-bas
forme
Quelle forme de jalousie voil, quil fallust que son mary en fust
saisy alors, et qu tous les coups il luy disoit que, sil en
reschappoit, il nendureroit128 plus delle ce quil avoit endur ! et,
tant quil a vescu, il nen avoit point est atteint, et luy laissoit
faire son bon plaisir.128
ne tolrerait plus, naccepterait plus
Ce brave Tancrede129 nen t pas de mesme, luy qui dautre fois130
se t jadis tant signaler131 en la guerre sainte132. Estant sur le
point de la mort, et sa femme prs de luy dolente, avec le comte de
Tripoly, il les pria tous deux aprs sa mort de sespouser lun
lautre, et le commanda sa femme ; ce quils rent133.129
Tancrde de Hauteville [vers 1072, en Italie mridionale-1112], un
des hros du Tasse dans Jrusalem dlivre. Brave nest pas
condescendant et veut dire courageux . 130 autrefois (fait
curieusement double emploi avec jadis qui suit) 131 se distingua,
sillustra ; le verbe est form sur signal, qui est un italianisme
132 la [premire] croisade 133 Voici le texte de Guillaume de Tyr et
sa traduction par Guizot.Per idem tempus, dominus Tancredus,
illustris memori et pi in Domino recordationis, cuius eleemosynas
et pietatis opera, in perpetuum enarrabit omnis ecclesia sanctorum,
lethale debitum persoluit. Hic dum in suprem lecto gritudinis
decubaret, circa se in sui obsequio adolescentem Pontium, domini
Bertrami comitis Tripolitani filium habebat; uidensque sibi mortis
imminere diem, uxore sua coram se posita, Ccilia, qu, ut superius
prmisimus, domini Philippi Francorum regis filia erat, et prdicto
iuuene, consuluisse dicitur ambobus, ut post eius obitum iure
conuenirent maritali. Factumque est ita, ut post eius ex hac luce
decessum, mortuo etiam domino Bertramo comite Tripolitano, eiusdem
patre, prdictus Pontius, eamdem dominam, prdicti domini Tancredi
uiduam, uxorem duxerit. Vers le mme temps, le seigneur Tancrde,
guerrier de pieuse et illustre mmoire, acquitta sa dette envers la
mort. Toute lglise des Saints racontera perptuit les uvres
charitables et les libralits qui honorent son souvenir. Tandis quil
tait tendu sur son lit de mort, il avait auprs de lui et son
service le jeune Pons, fils du seigneur Bertrand, comte de Tripoli.
Lorsquil se vit prs de son dernier jour, il fit appeler sa femme
Ccile, fille du roi des Franais Philippe, ainsi que le jeune homme
que je viens de nommer, et leur conseilla, dit-on, tous les deux de
sunir aprs sa mort par les liens du mariage. En effet, aprs la mort
de Tancrde et aprs celle du seigneur Bertrand, comte de Tripoli,
Pons, fils de ce dernier, pousa Ccile, veuve de Tancrde.
Alors que Guillaume de Tyr nuance son armation par un prudent
dicitur que Guizot nomet pas de rendre, le traducteur en
vernaculaire du XIIIe sicle en dcide autrement, avec une assurance
dont il est permis de se demander sur quoi elle repose. Guillaume
de Tyr et ses continuateurs Texte franais du XIIIe sicle Paulin
Paris Firmin-Didot, 1879, livre XI, ch. XVIII (dbut), p. 409.
Pensez quil en avoit veu quelques approches134 damour en son
vivant : car elle pouvoit estre aussi bonne vesse135 que sa mere,
la comtesse dAnjou, laquelle, aprs que le comte de Bretagne leut
entretenu136 longuement, elle vint trouver le roy de France
Philippes, qui la mena137 de mesmes, et lui t cette lle bastarde
qui sappella Cicile, et puis la donna en mariage ce valeureux
Tancrede, qui certes, par ces beaux exploicts, ne meritoit destre
cocu. (terme de poliorctique ou art dassiger les villes) Travaux
pour approcher, couvert, dune place assige Littr, 5o ; nous parlons
encore de travaux dapproche 135 le sens premier est Vent qui sort
du corps sans bruit (Littr), cf. vesse-de-loup (do lycoperdon),
dverbal de lancien vessir [lat. pop. uissre, classique uisre], puis
vesser (forme apparente : vesner, cf. le seigneur Humevesne et le
diminutif venette , peur) ; cf. aussi avoir veze de paour, vesarde,
vezarde peur (ce qui fait vesser). Cotgrave explique crment :
Panier vees. Cet le cul. 134
TLFi donne comme premire attestation 1410-20 dans Les Miracles
de sainte Genevive, dition de Clotilde Sennewaldt [Le Quart Fol,
Fy, fy, tu as fait une vesse !], mais le dialogue de Salomon et
Marcoulf, o on relve De blanche levriere Grant saut en bruyere, Ce
dist Salemons De grosse lodiere Grant vesse pleniere, Respont lui
Marcon nest-il pas antrieur ?
De lemploi du mot comme insulte lgard dune femme (dans la Farce
du Cuvier, seconde moiti du XVe sicle), le sens est pass
Marie-couche-toi-l, dbauche .Remarque On rencontre un jeu de mots,
attest depuis 1507, entre vesse et vesce (lentille sauvage), qui
explique ce passage des Historiettes de Tallemant des Raux : Cette
madame dEstres [Franoise Babou de La Bourdaisire, mre de Gabrielle
dEstres] toit de La Bourdaisire, la race la plus fertile en femmes
galantes qui ait jamais t en France ; on en compte jusqu vingt-cinq
ou vingt-six, soit religieuses, soit maries, qui toutes ont fait
lamour hautement ; de l vient quon dit que les armes de La
Bourdaisire, cest une poigne de vesces/vesses ; car il se trouve,
par une plaisante rencontre [concidence], que dans leurs armes il y
a une main qui sme de la vesce. On fit sur leurs armes ce quatrain
: Nous devons benir cette main Qui seme avec tant de largesses,
Pour le plaisir du genre humain, Quantit de si belles vesces.
(Lillustration a t faite partir du blason de
Montlouis-sur-Loire, commune sur le territoire de laquelle se
trouve le chteau de La Bourdaisire.) Ccile de France [1097-aprs
1145] est la lle naturelle de Philippe Ier, quatrime des Captiens
directs, mari avec Berthe de Hollande,
et de Bertrade de Montfort, pouse de Foulque IV dAnjou le
Reschin ( hargneux, querelleur , cf. rche) ; elle ne sera lgitime
quen 1104. Rsum de lpisode par Mrime et Lacour :
Bertrade, lle de Simon de Montfort et dAgns dvreux, cinquime
femme (1088) de Foulques-Rchin, comte dAnjou ; elle abandonna ce
prince en 1092, pour devenir la concubine, puis la femme du roi de
France, Philippe Ier (mme anne). Considre comme adultre par le Pape
et les conciles, elle resta dix ans sous le coup de
lexcommunication. En 1106, aprs la leve de linterdit qui la
frappait, elle revint Angers avec son second mari et fut reue par
le premier, dans cette ville, avec les honneurs souverains.136
137
leut eue comme matresse la traita
Un Albanois138, ayant est condamn de-l les monts139 destre pendu
pour quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi
quon le vouloit140 mener au supplice, il demanda voir sa femme et
luy dire adieu, qui estoit une trs-belle femme et trsagreable.
Ainsi donc quil luy disoit adieu, en la baisant il luy trononna
tout le nez avec belles dents141, et le luy arracha de son beau
visage. En quoy la justice layant interrog pourquoy il avoit fait
cette villainie142 sa femme, il respondit quil lavoit fait de belle
jalousie, dautant, ce disoit-il, quelle est trs-belle ; et, pour
ce, aprs ma mort je say quelle sera aussitost recherche et
aussitost abandonne un autre de mes compagnons, car je la cognois
fort paillarde, et quelle moublieroit incontinent143. Je veux donc
quaprs ma mort elle ait de moy souvenance, quelle pleure et quelle
soit afflige ; si elle ne lest par ma mort, au moins quelle le soit
pour estre144 defigure, et quaucun de mes compagnons nen aye le
plaisir que jay eu avec elle. Voil un terrible jaloux ! Sous
Charles VIII, au cours de la Ire guerre dItalie, les armes
franaises eurent loccasion dapprendre connatre des mercenaires
originaires des Balkans que les Vnitiens utilisaient pour faire des
reconnaissances (comme claireurs) et des coups de main, parce quils
taient constitus en petites units de cavalerie lgre.138
Trois jalons : Les estradeurs [ceux qui battent lestrade, les
claireurs] de lost [larme] des Venitiens estoient moult estranges,
fort barbuz, sans armures et sans chausses, ayans une targette
[petite targe, bouclier, do langlais target cible ] en une main, et
une demy lance [assagaye] en laultre. Souvent ils donnoient cops
fort soubdains, et quant ils peuvent tuer ung Franchois, ils lui
coppent la teste et la portent aux Venitiens qui leur donnent ung
ducat de chascune teste. Molinet Estradiotz sont gens comme
genetaires [cavalier mont sur un genet] : vestuz, pied et cheval,
comme les Turcs, sauf la teste, o ilz ne portent ceste toille quilz
appellent tolliban [turc tlbent turban ], et sont dures gens, et
couchent dehors tout lan et leurs chevaux. Ilz estoient tous Grecz,
venuz des places que les Venissiens y ont, les ungz de Naples de
Rommanie [Nauplie, , , en Argolide ; italien : Napoli di Romania ],
en la Moree, aultres dAlbanie, devers Duras [Durrs, lancienne ;
italien : Durazzo] : et sont leurs chevaulx bons, et tous chevaulx
turcs. Les Venissiens sen servent fort, et sy fient. Je les avoye
tous veu descendre Venise, et faire leurs monstres [revues de
troupes ; muster] en une isle o est labbaye de sainct Nicolas [San
Nicol], et estoient bien quinze cens : et sont vaillans hommes
et qui fort travaillent un ost [harclent une arme], quant ilz sy
mettent. Commynes [Jean, comte dAstarac, sieur de Fontrailles] a eu
en son temps reputation dun bon capitaine, et surtout bien
commandant aux chevaux legers, et les bien menant. Aussi le roy
Louys [XII] son maistre laymoit fort, et lui donna lestat de
couronnel general des Albanois quil avoit son service : car de ce
temps il ne se parloit point de cavalerie legere franoise, sinon de
la gendarmerie, qui pour lors surpassoit toutes les autres du
monde, je ne veux pas dire seulement de la chrestient ; mais on
saydoit desdicts Albanois, qui ont port nous la forme de la
cavallerie legere et la methode de faire la guerre comm eux. Les
Venitiens appelloient les leurs estradiotz, qui nous donnarent de
la fatigue [du fil retordre] Fornoue [6 juillet 1495 ; furia
francese] ; ils les appelloient aussi corvats [Croates, de Hrvat ;
cf. cravate ], cause de la nation. Les Espagnolz appelloient les
leurs genetaires. Brantme
Estradiot est emprunt (avec voyelle prosthtique) litalien
stradiotto, lui-mme emprunt (avec inuence de strada) au grec soldat
. Voir luvre en greghesco dAntonio da Molin, dit il Burchiella (le
terme dsignait la barque de louage reliant Venise la terre ferme) :
O Strathiotti puveretti [-th- notant une spirante interdentale ?].
. Vaucheret fait tat dun rapprochement avec laaire Le Voix (mai
1581, voir les MmoiresJournaux de LEstoille) : le conseiller en la
Cour de Parlement de Paris, apprenant par sa matresse quelle rompt
avec lui, lui fait taillader le visage par des archers du guet et
obtient sa propre relaxe au moyen, dit-on, de pots de vin. Hormis
la sauvagerie, peu de rapports avec lAlbanais. (M. Rat fait tat du
mme rapprochement propos de lallusion vague contenue dans le
paragraphe suivant de Brantme, ce qui est inattendu : lappel de
note aura t mal plac.) 139 en Italie 140 alors quon sapprtait le
mener au supplice 141 belles dents Pierre de Larivey se sert de
lexpression avec belles dents dans sa traduction des Facetieuses
nuits de Straparola (VIIIe nuit, fable IV) : un gros singe grimpe
amont larbre de la navire et entre en la gabie, o avec belles dents
il desnoue les sacz una scimia rattamente ascese larboro della
nave, ed entr nella gabbia, e cominci trar fuori i danari de
sacchetti (cest donc un ajout du traducteur) 142 outrage 143
sur-le-champ, aussitt 144 parce quelle a t Jen ay oy parler dautres
qui, se sentans vieux, caducs145, blessez146, attenuez147 et
proches de la mort, de beau depit et de jalousie secretement ont
advanc les jours 148 leurs moitiez149, mesmes150 quand elles ont
est belles. caduc qui menace de tomber, prs de tomber , do dlabr
(caducit : Priode de la vie humaine qui stend de la soixante-dixime
la quatre-vingtime anne, et qui prcde la dcrpitude Littr ; 1re
attestation en 1588, dans les Bigarrures) 146 bless meurtri (comme
un fruit blet) 147 diminus 148 ht la mort de 149 mes surs , medias
naranjas ; TLFi fournit les repres suivants :145
1552 1552 1610 1662150
ma ere moiti dsigne une femme aime (Ronsard, Amours, Sonnet 17,
7) ; ma moiti dsigne un homme aim (Jodelle, Cloptre, IV) ; sa plus
chre moiti dsigne une pouse (Montchrestien, Reine dcosse, III,) ;
[cf. his better half] fam. votre moiti id. (Molire, cole des
femmes, I, 1).
surtout
Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui
font mourir ainsi leurs femmes, jay oy faire une dispute151,
savoir-mon152 sil est permis aux femmes, quand elles sapperoivent
ou se doutent de la cruaut et massacre que leurs marys veulent
exercer envers elles, de gaigner le devant153 et de joer la
prime154, et, pour se sauver, les faire joer les premiers et les
envoyer devant faire les logis155 en lautre monde.151 152
un dbat savoir mon sert introduire une citation, une numration,
une prcision et correspond cest--dire ou bien au signe de
ponctuation deux-points ( : ) ; dans le cas prsent, ce qui suit est
lnonc du sujet dbattu, sous la forme (hrite du latin) dune
proposition interrogative indirecte, cf. Rabelais nous suons
disputans, savoir mon si la face du medicin chagrin contriste le
malade mon est une particule armative en usage du XIIe au XVIIe
sicle (amon chez Molire) 153 prendre les devants 154 la prime tait
un jeu de cartes trs rpandu ; ici, il y a jeu de mots et
lexpression signie agir le premier 155 Nicot dnit fourrier celuy
qui marque de craye blanche les logis o chascun de ceux qui suyvent
la court, ou un grand Seigneur, ou arme doibvent loger dans ville,
bourg, ou village [cela quivaut une rquisition]. Et parce quil y en
a plusieurs, chascun marque au quartier qui luy est donn par le
Mareschal des logis, escrivant la porte du logis le nom et la
qualit de celuy qui y doibt loger, avec son paraphe. Le mot avait
pris le sens gur davant-coureur : Et cet heureux hymen, qui les
charmoit si fort, Devient souvent pour eux un fourrier de la mort ,
crit Corneille, dans la Suivante. Quand la femme se sent menace de
mort par son mari, a-t-elle le droit de prendre les devants et de
lenvoyer ad patres, prparer sa venue ultrieure, linstar du fourrier
qui, prcdant les personnalits en dplacement, marque la craie les
demeures o elles rsideront ltape ? Jay oy maintenir156 quoy, et
quelles le peuvent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est
defendu, ainsi que jay dit, mais, selon le monde, prou157 ; et se
fondent sur ce mot158, quil vaut mieux prevenir que destre
prevenu159 ; car enn chacun doit estre curieux de sa vie160 ; et,
puisque Dieu nous la donne, la faut garder jusques ce quil nous
appelle par nostre mort. Autrement, sachant bien leur mort, et sy
aller precipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, cest se tuer
soy-mesme161, chose que Dieu abhore fort ; parquoy cest le meilleur
de les envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que
fit Blanche dAuverbruckt son mary le sieur de Flavy162, capitaine
de Compiegne et gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et
de la mort de la Pucelle dOrleans. Et cette dame Blanche, ayant
sceu que son mary la vouloit faire noyer, le prevint, et, avec
layde de son barbier, lestouffa et lestrangla, dont le roy
Charles septiesme luy en donna aussitost sa grace ; quoy aussi ayda
bien la trahison du mary pour lobtenir, possible, plus que tout
autre chose. Cela se trouve aux Annales de France, et
principalement celles de Guyenne.156 157 158 159
soutenir beaucoup proverbe mieux vaut prendre linitiative que
laisser linitiative ; se trouve dj dans Laberinto de Fortuna, o las
Trescientas (1444), strophe 132 :Por ende vosotros, algunos
maridos, si sois trabajados de aquella sospecha, nunca vos sienta
la vuestra derecha, nin menos entiendan que sois entendidos ; sean
remedios enante venidos que nesesidades vos trayan dolores ; a
grandes cautelas, cautelas mayores : ms val prevenir que ser
prevenidos.
chacun doit prendre grand soin de (prserver) sa vie ; cure, cest
le soin ou le souci que lon a de quelque chose ou de quelquun, cf.
je nen ai cure 161 suicide nest pas attest avant 1734 (auparavant,
on disait homicide de soi mesme ou, comme ici, se tuer soi mesme,
soccire soi mesme ; cf. felo de se) ; voici ce qucrit JeanBaptiste
Racine son frre Louis, en 1741 :160
A lgard du suicide (mot que vous avez vraisemblablement employ
pour rire, car personne ne lentend [ne le comprend] et deux gens
desprit me dirent hier que ce ne pouvoit estre quun charcutier), ce
ne sera jamais un pch fort la mode parmi les gens de bon sens [les
gens desprit feignaient de croire le mot form partir du latin ss
porc, cochon et cdre frapper, tuer ]162
(Louvrage de rfrence reste la thse de Pierre Champion, Guillaume
de Flavy, capitaine de Compigne, 1906.)
Guillaume de Flavy, chef de guerre, capitaine de Compigne, pouse
en 1436 alors quil approche de la quarantaine une llette de 9 10
ans, Blanche dOverbreuc, vicomtesse dAcy, dont il capte lhritage et
quil va, semble-t-il, maltraiter : elle trame avec Pierre de
Louvain (son futur 2e mari) lassassinat de Flavy ; lhomicide a lieu
le 9 mars 1449, avec la complicit du barbier et de lcuyer. (Pierre
de Louvain est assassin en 1464 par un des frres de Flavy ; sa
veuve convolera de nouveau en justes noces.) Blanche dOverbreuc
obtient des lettres de rmission, dans des conditions qui ne sont
peut-tre pas irrprochables. En dehors de ce fait divers tragique
(cf. Marcel Schwob, Blanche la Sanglante, et Anatole France, dans
les Sept femmes de la Barbe-Bleue), ce qui a retenu lattention dans
la carrire de Guillaume de Flavy cest la possibilit quil soit
lorigine de la capture de Jeanne dArc : on trouve des allgations
dans ce sens ds 1445 (donc, dj du vivant de Flavy). Aprs cet tat
des lieux, trac grands traits, voici la source directe de Brantme
:
Apres ce couronnement [de Charles VII Reims, le 17 juillet
1429], et que le petit Henry eut est couronn en Angleterre [Henri
VI en labbaye de Westminster, le 6 novembre 1429, avant son 9e
anniversaire], repassa la mer, et vint en Normandie avec son armee,
en lan 1430. Et au regard de la Pucelle, feit plusieurs
escarmouches contre les Anglois autour de Paris, ou elle deffeit
quatre ou cinq cents Anglois : puis sen alla tenir garnison dedans
Compiegne, dont Guillaume de Flavy estoit capitaine. Et au
comancement du mois de Iuing, 1430, messire Iehan de Luxembourg,
les comtes de Hantonne et de Harondel [Arundel], en une grande
compaignie de Bourgoignons allerent assieger ladicte ville de
Compiegne : et par lintelligence [connivence] que ledict capitaine
avoit avec eulx, esquels [ qui] il avoit vendu la Puccelle, trouva
moien de lenvoier vers le roy querir gens a diligence [en hte],
pour lever ledict siege, et la feit passer par une des portes ou le
siege nestoit. Avant que partir elle feit dire messe bien matin en
leglise sainct Iaques, ou elle se confessa, et receut le sainct
sacrement de lautier [le saint sacrement de lautel, leucharistie].
Et en sortant de leglise, ou plusieurs gens sestoient assembls pour
la veoir, leur dist : Mes seigneurs et amys, ie vous signifie
[informe, annonce, apprends] quon ma vendue, et trahie, et que de
brief [sous peu] on me fera mourir, priez Dieu pour moy. Et comme
elle fut sortye en la compaignie de .XXV. ou XXX. archiers a ung
quar de lieue de ladicte ville apperceut le duc de Luxembourg et
autres ennemys du roy en grant nombre. Se cuida [crut] se saulver
en ladicte ville mais le traistre de Flavy incontinant aprs son
partement [dpart] avoit faict fermer les barres et les portes de la
ville. Parquoy fut prinse et depuis vendue et livree aux Anglois
mais on ne peut [put] prouver la trahison dudict de Flavy. Ledict
en fut de Dieu pugny aprs. Car depuis sa femme nommee Blanche
dAnvrebruch qui estoit belle damoiselle le souffoqua et estrangla
par laide de son barbier lors questoit couch au lict en son chastel
de Neelle en Tardenois [Nesles-en-Tardenois, dans lAisne]. Dont
depuis elle eut grace et remission dudict roy Charles VII parce
quelle prouva que ledict de Flavy avoit entreprins de la faire
noyer.
Jean Bouchet, Les Annalles dAcquitaine (1524), Quarte Partie, fo
XXXII (haut). Document des Bibliothques Virtuelles Humanistes. De
mesme en t une madame de la Borne, du regne du roy Franois premier,
qui accusa et deera163 son mary164 la justice, de quelques follies
faites et crimes, possible enormes165, quil avoit fait avec elle et
autres, le t constituer prisonnier166, sollicita167 contre luy et
luy t trancher la teste. Jay oy faire ce compte ma grand-mere168,
qui la disoit de bonne maison et belle femme. Celle-l gaigna bien
le devant.
dfra pour la forme, dnona pour le sens Charles dAubusson,
seigneur de La Borne [nom dune localit de la Creuse absorbe par
Blessac en 1842] et du Dognon. Voici le commentaire succinct de
lpisode le concernant dans le Nobiliaire du diocse et de la gnralit
de Limoges (1882) :163 164
Ayant fait plusieurs violences quelques monastres de son
voisinage et sur ses propres vassaux, il fut emmen prisonnier au
Petit-Chtelet de Paris, et condamn, par arrt du grand conseil du
roi, avoir la tte tranche pour ses excs et divers crimes ; ce qui
fut excut, le mme jour, au pilori, Paris, le 23 fvrier 1533. Il fut
ensuite mis quartiers. Il avait pous, le 9 mars 1525, Jeanne de
Montal, fille dAimeri Sgr de Montal, et de Jeanne de Balzac. Une
gnalogie manuscrite, dresse en 1657 par Pierre Robert, prsident et
lieutenant-gnral de la Basse-Marche au sige du Dorat, porte que les
galanteries de cette dame, pour lesquelles son mari lavait
maltraite, furent cause de sa mort, elle-mme ayant fait rechercher
la conduite de son mari, et que ses poursuites le conduisirent
lchafaud.
Des prtendues galanteries de la dame, nulle nouvelle ; alors que
les turpitudes du seigneur de La Borne sont bien documentes, car il
a jou de malchance. quelques lieues de sa demeure slevait le
monastre de Blessac, prieur de lles de lordre de Fontevrault, dont
le prieur tait Jean dAubusson, son propre frre, et la prieure
Franoise dAubusson (appartenant la branche des seigneurs de
Villac). Lorsque Rene de Bourbon [1468-1534], lle de Jean VIII de
Bourbon-Vendme et dIsabelle de Beauvau, vingtseptime abbesse de
Fontevrault, fut enn en mesure de rformer son ordre, deux enqutes
furent diligentes sur les dportemens des dirigeants de la maison de
Blessac ; les rapports (publis par Alfred Leroux en 1886 dans
Chartes, chroniques et mmoriaux pour servir lhistoire de la Marche
et du Limousin, document CXVIII = pp. 152-183) laissent assez
apparatre que les deux frres se croyaient tout permis. Madame de La
Borne (qui navait pas besoin de faire rechercher la conduite de son
mari pour tre die sur son compte) a d proter de laubaine que
reprsentaient pour elle les enqutes en cours pour porter plainte
contre lui et charger la barque. 165 peut-tre abominables 166
obtint une prise de corps 167 intenta une action en justice (cf.
solliciteur, devenu en anglais britannique solicitor) 168 Louise de
Daillon du Lude, dame dhonneur de la sur de Franois Ier, Marguerite
de Valois ou dAngoulme ou dAlenon ou de Navarre. La reine Jeanne de
Naples premiere169 en t de mesmes lendroit de linfant de
Majorque170, son tiers mary, qui elle t trancher la teste pour la
raison que jay dit en son Discours171 ; mais il pouvoit bien
estre172 quelle se craignoit173 de luy et le vouloit depescher174
le premier : quoy175 elle avoit raison, et toutes ses semblables,
de faire de mesme quand elles se doutent de176 leurs gallants.169
170 171
Jeanne Ire dAnjou-Sicile [vers 1328-1382] Jacques de Majorque
[1336-1375], prince dAchae voici le paragraphe auquel lcrivain
renvoie le lecteur :
Elle espousa aprs, pour son tiers mary, ung nomm Jacques de
Tarancon [dAragon], infant de Majorque, qui estoit pour lors tenu
le plus deliber, dispost et beau personnage qui se trouvast en la
place, quelle ne voulust pourtant quil portast tiltre de roy, ains
de simple duc de Calabre ; car elle vouloit seule dominer et
regner, et ne vouloit plus avoir de compaignon, ainsin quelle
faisoit bien ; et luy monstra bien aussy ; car, ayant sceu quil
sestoit donn une autre femme (malheureux quil estoit, car de plus
belle nen pouvoit-il choisir que la sienne,) lui fit trancher la
teste, et ainsy mourut.
Brantme cite sa source : Pandolfo Collenuccio, Compendio delle
historie del Regno di Napoli, (publication posthume en 1548) :
En ralit, le 3e mari mourut en Espagne, loin de la reine Jeanne,
de ses blessures ou bien empoisonn, on ne sait. 172 peut-tre
(conjugu limparfait) 173 se mait 174 lexpdier, le tuer (langlais to
dispatch et le castillan despachar connaissent galement cette
acception) 175 en quoi 176 quand elles craignent cf. redouter Jay
oy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittes de
ce bon oce177 et sont eschappes par ceste faon ; et mesmes jen ay
cogneu une, laquelle, ayant est trouve avec son amy par son mary,
il nen dit rien ny lun ny lautre, mais sen alla courrouc et la
laissa l-dedans avec son amy, fort panthoise178 et desole179 et en
grand alteration180. Mais la dame fut resolu jusques l de dire181 :
Il ne ma rien dit ny fait pour ce coup182, je crains quil me la
garde bonne183 et sous mine184 ; mais, si jestois asseure quil me
deust faire mourir, jadviserois185 lui faire sentir la mort le
premier. La fortune186 fut si bonne pour elle, au bout de quelque
temps, quil mourut de soy-mesme ; dont bien luy en prit187, car
oncques puis il ne luy avoit pas fait bonne chere188, quelque
recherche189 quelle luy t190.177 178 179 180 181 182
ont courageusement rendu ce service (cf. ocieux qui aime rendre
service ) penaude tourmente, mortie trouble, motion (cf. altere(s)
et altr, saltrer) fut dtermine au point de dire pour cette fois
La garder quelquun, la lui garder bonne, Conserver du
ressentiment contre quelquun, et attendre loccasion de se venger.
Dictionnaire de lAcadmie. 184 secrtement cf. Littr, mine 2, 4o :
Dans lantiquit et le moyen ge, cavit que, dans les siges, l'on
pratiquait sous des murailles, sous une tour, etc. ; on tanonnait,
puis le mineur, mettant le feu aux tanons, se retirait ; les tanons
manquaient et la muraille scroulait et TLFi, mine2 : 1578 cavit
souterraine pratique sous un rempart, un roc pour les faire sauter
au moyen dexplosifs 185 je veillerais 186 le hasard, la chance, le
sort 187 ce qui fut une chance pour elle cf. Littr, prendre, 64o.
188 car jamais depuis lincident il ne lui avait fait bon visage ;
le mot est pass en anglais : cheer. 189 ouvertures, avances 190 on
attendrait st.183