Université de Provence UFR « Psychologie, sciences de l’éducation » Travail d’étude et de recherche présenté pour l’obtention du Diplôme d’État de Conseiller d’Orientation-Psychologue « La perception et la relation chez la personne dyslexique » par Juliette Leprince Fabienne Costantini sous la direction de Catherine Rouyer Promotion 2004-2006 29 avenue Robert Schuman 13621 – Aix en Provence CEDEX 1 1
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Université de Provence
UFR « Psychologie, sciences de l’éducation »
Travail d’étude et de recherche
présenté pour l’obtention du
Diplôme d’État de Conseiller d’Orientation-Psychologue
« La perception et la relation
chez la personne dyslexique »
par
Juliette Leprince
Fabienne Costantini
sous la direction de
Catherine Rouyer
Promotion 2004-2006
29 avenue Robert Schuman
13621 – Aix en Provence CEDEX 1
1
Nous remercions Catherine Rouyer, directrice de cette recherche, pour l’intérêt
qu’elle a porté à notre travail ainsi que pour son aide et son soutien.
Nous remercions aussi les équipes de direction et les équipes éducatives de nos lieux
de stage, de nous avoir permis de mener cette recherche au sein de leurs établissements
scolaires.
Enfin, nous souhaitons remercier Amélie, Cynthia, Sébastien et Sandy pour leur
participation et tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à l’élaboration de ce travail
J. Fijalkow2 dans son article « Dyslexie : le retour », nous rappelle que c’est la
médecine qui crée le terme de dyslexie, introduit au premier Congrès International de
Psychiatrie de l’Enfant à Paris en 1937.
Suite à nos lectures et après avoir assisté à quelques réunions d’information3 sur la
dyslexie, destinées aux parents et aux enseignants, nous constatons que ce trouble reste la
propriété de la médecine. En effet, malgré de nombreux affrontements entre le corps médical
et celui des sciences humaines et sociales, l’hypothèse épistémologique qui est actuellement
soutenue reste celle selon laquelle les difficultés d’entrée dans le langage écrit renvoient à des
facteurs de type neurologiques dont la dyslexie en serait la manifestation.
Il semble que pour le moment l’origine de la dyslexie n’ait pas encore été mise en
évidence et qu’il existe toujours une grande diversité de conceptions théoriques. Dans son
rapport J.-C. Ringard4 reconnaît d’ailleurs qu’il s’agit d’un sujet très controversé et tente une
synthèse scientifique n’aboutissant à aucune conclusion et surtout à aucune unanimité
scientifique.
Aujourd’hui la dyslexie, (dont le problème se pose essentiellement au niveau
éducatif), se révèle au moment de l’entrée dans les apprentissages. Elle oscille entre
2 Fijalkow, J. (2002). « Dyslexie : le retour ». p. 150. 3 Conférence donnée par le docteur Cheminal le 7-12-2004 au collège de Servian dans l’Hérault et celle donnée par le docteur Habib le 16-3-2005 au collège Emilie de Mirabeau à Marignane. 4 Rapport présenté par J.-C. Ringard (2000). « A propos de l’enfant dysphasique et de l’enfant dyslexique ». Ce rapport était destiné à la ministre de l’Education Nationale S. Royale.
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préoccupations pédagogiques et préoccupations médicales depuis son rattachement au
ministère de l’Education Nationale et à celui de la Santé.
C’est donc conjointement que ces deux ministères ont mis en place un plan d’action5
présentant les mesures administratives. Ces dernières constituent un quadrillage systématique
par les réseaux de santé de la population des « mauvais lecteurs ». Le dépistage se fait donc
par le médecin scolaire ou le médecin de protection maternelle et infantile (PMI).
Sur le terrain nous avons pu remarquer que les élèves dyslexiques ne sont pas toujours
repérés et que le recours à un diagnostic se fait essentiellement pour bénéficier du tiers temps
au moment des examens et donc tardivement. De plus afin de bénéficier de cet aménagement
particulier, l’élève doit être reconnu comme dyslexique, ce qui lui confère un statut de
« handicapé »6.
Malgré cette reconnaissance du trouble de la dyslexie, nous avons constaté que sur le
terrain des mesures n’étaient pas toujours mises en place pour aider ces élèves. Enseignants et
parents semblent manquer de renseignements afin de mieux comprendre ces sujets. Nous-
mêmes avions le sentiment que finalement l’intérêt des spécialistes se portait peu sur la
manière dont les personnes dyslexiques vivent avec ce trouble alors que c’est justement ce sur
quoi porte notre interrogation.
Afin de préciser notre questionnement, nous allons reprendre la définition et la
symptomatologie de ce trouble tel qu’il est présenté à l’heure actuelle par les médecins et les
associations.
5 Le « Plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage » a été présenté par le ministre de l’Education Nationale, le ministre délégué à la Santé et le secrétaire d’Etat aux personnes âgées et aux personnes handicapées. 6 Le 21 mars 2001, à la suite du rapport de J.-C. Ringard et F. Veber, les troubles du langage écrit ont été reconnus de manière officielle par la présentation d’un plan d’action des ministères de l’Education Nationale, de la Santé et du secrétariat d’état aux handicapés. Cependant, la reconnaissance de la dyslexie comme handicap donnant droit à des aménagements scolaires est plus ancienne, puisque les dispositions spéciales pour les examens ont été étendues aux élèves dyslexiques dès 1985 (Circulaire n°85-302 du 30 août 1985 - BO n° 31 du 12 septembre 1985 - Décret n° 93-1916 du 4 novembre 1993).
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1.2 - Définition de la dyslexie
La définition que nous allons reprendre ici est donnée par M. Bonnelle7 dans son
ouvrage qui s’intitule La dyslexie en médecine de l’enfant. Cette formule, retenue par la
Fédération Mondiale de Neurologie en 1968 est actuellement largement diffusée.
Pour cet auteur, il s’agit d’un trouble qui se manifeste « par une difficulté durable
dans l’apprentissage de la lecture en dépit d’un enseignement normal, d’une intelligence
adéquate, de conditions socioculturelles satisfaisantes ». Nous pouvons noter que cette
définition consiste en une présentation négative et qu’elle se fonde essentiellement sur des
critères d’exclusion : absence de difficultés intellectuelles, pas de troubles sensoriels ou
perceptifs, pas de troubles psychologiques primaires prépondérants durant les apprentissages
initiaux, pas de soucis concernant l’environnement affectif, social et culturel, pas de
problèmes de scolarité.
Il s’agirait donc de troubles dynamiques de l’apprentissage de la lecture et de
l’orthographe, qui seraient caractérisés par une « diminution significative des performances en
lecture ou en orthographe par rapport à la norme d’âge ».
Nous avons pu remarquer, au cours de nos différentes lectures que la définition de la
dyslexie présente certaines ambiguïtés. Il est parfois difficile de déterminer avec certitude la
ou les cause(s) des difficultés rencontrées par un enfant. Comme le fait remarquer M.
Bonnelle il peut y avoir une conjonction de facteurs. Une dyslexie peut être associée à un
faible niveau socioculturel ou à des circonstances pédagogiques néfastes, etc…
Il s’agirait donc d’identifier les enfants qui manifestent ce décalage entre
l’apprentissage de la lecture tel qu’il est observé et celui tel qu’il est attendu, compte tenu de
7 Bonnelle, M. (2002). La Dyslexie en médecine de l’enfant.
8
l’ensemble des facteurs (pédagogiques, socioculturels, psychologiques,…) pouvant avoir une
influence, sans exclure toutefois que plusieurs facteurs défavorables puissent coexister.
Ces facteurs associés ne sont donc pas systématiquement incompatibles avec une
dyslexie, mais ils ne doivent alors pas avoir été la cause principale des difficultés observées.
Ainsi, nous pouvons noter que finalement une part de subjectivité clinique est inévitable dans
le diagnostic. Il reste en effet difficile de faire la part respective des différents facteurs, de
déterminer le niveau de lecture attendu et d’avoir une connaissance suffisante des influences
environnementales.
1.3 - Symptomatologie
1.3.1 - Difficultés dans les apprentissages scolaires8
L’apprentissage de la lecture
La lecture est lente, hésitante, saccadée, syllabique, marquée par des anomalies de
déchiffrage (confusions auditives de lettres proches, inversions, ajouts,…). Le ton est
monocorde, avec un mauvais respect de la ponctuation. L’enfant se fatigue vite et sa
compréhension du texte lu est en générale assez médiocre, parfois même quasiment
inexistante.
L’apprentissage de l’écriture
La dyslexie est souvent associée à une dysorthographie : l’écriture est lente,
irrégulière, hésitante, avec des lettres mal formées et une difficulté à suivre la ligne
horizontale. Nous retrouvons de nombreuses ratures et erreurs en dictée et en copie. L’élève
dyslexique peut omettre des mots ou groupes de mots, car malgré une application il n’arrive
8 Bonnelle, M. (2002). Op. Cit.
9
pas à prendre un recul suffisant. On observe également une très mauvaise maîtrise de la
ponctuation.
Les erreurs écrites sont à peu près de même nature que celles dues à la lecture. S’y
ajoutent des erreurs dans la séparation des mots (« à l’école » écrit « alécole ») ou des
découpages inappropriés (« il sanglote » écrit « il sans glote »). De même que chez les élèves
non-dyslexiques il y a des fautes « non-spécifiques » telles que les fautes d’usage (« fusil »
écrit « fusis »), les fautes de grammaire, ce qui n’exclut pas que les règles soient connues par
la personne dyslexique (qui est d’ailleurs souvent capable de se corriger si on lui indique
l’erreur).
Les autres apprentissages de la personne dyslexique
Il y a souvent existence d’un contraste entre de mauvais résultats en français et de
bonnes performances en mathématiques. Mais les insuffisances du langage écrit retentissent
sur les autres matières engendrant ainsi des difficultés dans les autres apprentissages.
1.3.2 - Les symptômes associés
Les personnes dyslexiques ont souvent eu préalablement un trouble dans l’acquisition
du langage oral.
Les troubles de l’attention et les troubles psychomoteurs
Nous notons chez certains sujets dyslexiques, une attention labile, instable, des
difficultés à rester concentré. Parfois il peut aussi exister une instabilité psychomotrice, de
l’impulsivité et une hyperactivité permanente et incoercible.
Les troubles de la mémoire
C’est plus spécialement la mémoire à court terme qui peut être atteinte.
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Les troubles de l’organisation spatiale
La personne dyslexique est parfois mal assurée dans la gestion de l’espace, dans les
opérations mettant en jeu le repérage spatial. Chez les sujets plus âgés, les difficultés
concernent les figures géométriques, les axes de symétrie, les labyrinthes, l’orientation dans
un bâtiment nouveau, le repérage sur un plan, etc…
Il arrive aussi que le schéma corporel soit également mal affirmé, rendant ainsi le sujet
maladroit, avec en particulier une confusion droite/gauche sur lui-même ou en projection sur
autrui.
Les troubles de l’organisation temporelle et séquentielle
Les sujets dyslexiques ont des difficultés dans la gestion des informations à
composante temporelle (mauvais repérage dans le temps, confusion dans le temps des verbes,
difficultés à utiliser les mots ayant une signification temporelle…).
Au niveau de l’organisation séquentielle, la gestion d’informations séquentielles pose
problème. Elle concerne des successions ordonnées telles que des séries de figures, d’images,
de sons à reproduire, …
Les troubles psychologiques et relationnels
Les troubles psychologiques, affectifs et socio-relationnels sont fréquents chez les
enfants dyslexiques.
- Troubles du caractère et du comportement exprimés sur un mode actif (réactions
d’opposition, agitation, indiscipline, agressivité, provocations, mensonges, larcins, fugues et
parfois même, conduites déviantes ou violentes).
- Sur le mode passif (repli sur soi, timidité, inhibitions, désintérêt, régression affective,…).
La perte de l’estime de soi et l’angoisse sont souvent très importantes.
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Il arrive que certains réagissent par un surcroît de travail excessif et obsessionnel,
alors que d’autres restent indifférents. Enfin, nous pouvons noter parfois des troubles du
comportement alimentaire, de l’énurésie, des manifestations psychosomatiques.
Les troubles de la latéralisation
Les personnes dyslexiques auraient souvent une latéralisation aléatoire.
2 - Problématique et hypothèses de recherche
Comme nous l’avons vu précédemment la dyslexie n’est pas seulement une atteinte du
langage écrit, elle peut être associée à des troubles du langage oral, de l’attention,
psychomoteurs, à des troubles de la mémoire, de l’organisation spatio-temporelle, mais aussi
à des troubles psychologiques et relationnels9.
A ce stade de nos lectures et de notre réflexion nous nous interrogions quant à
l’étendue possible des troubles dyslexiques. Notre questionnement, qui jusqu’alors portait sur
le thème plus large du vécu dyslexique, s’est recentré sur celui du relationnel. Compte tenu de
l’existence de nombreux troubles associés, nous nous demandions comment le sujet
dyslexique se construisait dans son rapport à l’environnement et quel type de relation il
entretenait avec lui.
C’est au travers des écrits de R. Mucchielli et A. Bourcier10 que nous avons pu
approfondir cet aspect de la dyslexie et explorer notre question concernant le vécu du sujet
dyslexique, en lien avec son environnement.
9 Bonnelle, M. (2002). Op. Cit. 10 Mucchielli, R. & Bourcier, A. (1963). La Dyslexie maladie du siècle.
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2.1 - « Etre-au-réel-en-tant-que-dyslexique »
Selon ces auteurs, nous devons « analyser sa façon propre d’être-au-réel-en-tant-que-
dyslexique, comprendre son état non pas comme état « désorganisé », mais comme type de
conscience en rapport avec un monde non organisé selon nos systèmes de significations ».
L’univers de ces personnes serait « non stable et ambigu ». « Les choses sont là
comme pour tout le monde, mais les rapports qu’elles ont entre elles, ou par rapport à lui-
même, sont mouvants […] ». Le sujet dyslexique n’a pas uniquement un problème dans son
rapport au langage écrit, son trouble semble être bien plus complexe. Selon ces auteurs, « les
prises rassurantes sur l’univers et sur les significations qui l’habitent, échappent malgré
l’effort ou l’intention, ont des ratés […] ».
Cet univers ambigu engendrerait une ambiguïté de sens qui existerait pour le sujet
dans toutes les dimensions de son monde : « sens-direction, sens-signification, sens-point de
vue, sens-sentiment, sens-symbole ». Cet univers que R. Mucchielli et A. Bourcier désignent
comme « amphibologique », va être source d’échec dans la voie de l’apprentissage de la
lecture.
En effet, « pour un mot dont il a besoin, le dyslexique voit aussi arriver à sa
conscience plusieurs mots proches par le sens ou par la forme […] ». « Il va multiplier les
points de repères et les systèmes permettant d’ajuster les réponses […] ». Ce système entraîne
donc des interprétations, des raccourcis, des lacunes. « Mais le dyslexique s’y tient parce que
le procédé lui donne une ligne de repère, un invariant de référence, auquel il s’accroche dans
la mesure même où il fuit le désarroi et l’insécurité de la sarabande des sens possibles et des
doubles sens ».
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R. Mucchielli et A. Bourcier nous donnent une définition de la dyslexie bien différente
de celles qui font référence à l’heure actuelle notamment dans le milieu de l’Education
Nationale et dans celui du médical.
« La dyslexie est la manifestation d’une perturbation dans la relation du Moi11 et de
l’Univers (en majuscules dans le texte), perturbation qui a envahi sélectivement les domaines
de l’expression et de la communication » (p. 88).
Nous avons fait le choix d’appréhender la question de la dyslexie à partir des écrits de
R. Mucchielli et A. Bourcier, parce que ces derniers nous ont éclairé sur nos interrogations
quant à l’existence d’un mode relationnel spécifique au sujet dyslexique. En effet, les auteurs
ne s’interrogent pas uniquement sur l’origine de ce trouble, ils nous donnent à voir un mode
de relation moi-environnement qui semble être spécifique du vécu de ces personnes.
De façon à présenter notre problématique et notre hypothèse, nous avons choisi de
reprendre cette théorie au travers de deux thèmes :
- la perception
- la relation
2.2 - La perception chez le sujet dyslexique
La dyslexie se caractérisant par un trouble de la perception visuelle ou auditive des
mots écrits ou dictés, nous avons décidé d’explorer de façon plus approfondie cette
dimension.
Dans leur développement, R. Mucchielli et A. Bourcier, prennent pour point de départ
les théories gestaltistes de la perception. Ils nous rappellent que la théorie de la Forme pèse de
son autorité essentiellement par son « hypothèse de l’objectivité des structures ».
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Cette théorie présente la progression de la perception comme « une marche de plus en
plus clairvoyante vers un lieu fixé à l’horizon. La perception, d’abord globale et
indifférenciée, puis de plus en plus riche et analytique, s’épanouirait, enfin complète, dans
l’installation au cœur de ce seul réel, naturel et social… » (p. 22).
R. Mucchielli et A. Bourcier ont un regard critique sur cette théorie et souhaitent se
placer au plus près de l’expérience et réintroduisent la dimension de la subjectivité propre au
développement de chacun.
Ils nous rappellent que : « A tous les niveaux du développement de l’enfant, à chacun
des paliers qui ne sont tels que pour l’observateur étranger, qui se juge « plus évolué », il faut
constater qu’il existe un « objet », une activité perceptive, une psychomotricité et bien
d’autres fonctions encore. Mais toutes ces données sont, d’une part reliées entre elles d’une
certaine manière, d’autre part, solidaires d’un « monde », expressives d’une manière d’être-
au-monde… » (p. 23).
Ces auteurs s’appuient sur la notion de « structuration réciproque », qui sous-entend
que le monde et le moi se constituent corrélativement et réciproquement pour soutenir
l’hypothèse selon laquelle la dyslexie est « le développement d’un trouble spécifique de la
Relation (en majuscules dans le texte) à un certain moment particulier de l’évolution de
l’enfant » (p. 23).
R. Mucchielli et A. Bourcier nous expliquent que les personnes dyslexiques, dans leur
évolution, se trouvent « engluées dans des difficultés d’orientation et de structuration spatio-
temporelle» les empêchant d’accéder au « symbolisme »12 (p. 48).
11 R. Mucchielli et A. Bourcier ne définissent pas le terme « moi », nous l’utiliserons dans le sens freudien, à savoir comme instance de l’appareil psychique qui se distingue du « ça » et du « surmoi ». 12 R. Mucchielli et A. Bourcier définissent le symbolisme comme « le niveau des idées représentatives du réel et du concret, une forme de pensée libérée des images et des sensations » (p. 49).
15
Le symbolisme serait « le produit de la pensée conceptuelle et de l’intelligence
analytique », il permettrait de rendre possible quatre fonctions de l’intelligence que sont
l’analyse, l’abstraction, la généralisation et l’objectivation des relations et des rapports.
Le passage au stade de l’intelligence analytique-synthétique permet le « détachement
par rapport au niveau du perceptif » (p. 52).
Dans l’apprentissage de la lecture un arrêt au stade syncrétique se traduit par une
fixation dans le concret, le sujet va ainsi échouer au plan de la logique syntaxique. « Chaque
mot est perçu pour lui-même, souvent de manière aberrante mais toujours immédiate, hors
contexte, hors syntaxe » (p. 72).
Le résultat est que le sujet dyslexique n’analyse pas, il va avoir tendance à globaliser
et il découle de cette « perception globalisatrice un à peu près où les lettres sont tantôt à une
place, tantôt à une autre » (p. 84).
Dans leur exposé, R. Mucchielli et A. Bourcier, nous laissent entendre que, dans son
développement, la personne dyslexique négocie mal son passage à l’intelligence analytique,
notamment en raison d’une insuffisante structuration spatio-temporelle. Cette situation
engendre ainsi une difficulté à se « détacher des perceptions, à s’arracher au sensible et à
penser les relations des choses entre elles ». Ce type de pensée présente « un obstacle à une
objectivation et à l’abstraction » (p. 46). Afin d’accéder à l’intelligence analytique, il faut, au
préalable, s’être détaché partiellement du perceptif.
Les personnes dyslexiques semblent donc se distinguer par un mode perceptif qui leur
est propre. Selon les auteurs, ces dernières auraient des difficultés à prendre la distance
nécessaire par rapport aux objets perçus afin d’accéder à une pensée plus analytique et ainsi
construire des relations entre les objets.
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2.3 - Un mode relationnel spécifique
Les personnes dyslexiques, qui ont une difficulté à passer au stade de l’intelligence
analytique, présentent un trouble de la perception caractérisé entre autre par une impossibilité
à se dégager de l’affectivité et des qualités sensorielles. Ce trouble de la perception, qui a
priori ne se réduit pas uniquement à une difficulté de déchiffrage des mots lus ou entendus,
serait en lien avec un trouble de la relation.
Dans la suite de leur développement, R. Mucchielli et A. Bourcier nous expliquent que
« l’univers sans orientation du dyslexique est corrélatif d’un moi qui vit l’incertitude et une
certaine forme d’insécurité. Le trouble semble très localisé, mais il résume et fait apparaître
une ambiguïté générale, correspondant à une ambivalence vécue. La relation s’est développée
à partir d’un certain moment sur le mode de l’amphibologie, provoquant l’instabilité sur
l’ensemble du champ psychologique » (p. 28).
Selon R. Mucchielli et A. Bourcier, il existe quatre facteurs de stabilisation de
l’Univers vécu13:
- la latéralisation
- le schéma corporel : s’élabore à partir de la conscience du corps propre et donc de la
différence entre le corps propre et le corps de la mère. Il représente la première spatialité du
monde, du non-moi.
- l’orientation spatio-temporelle : elle correspond à la mise en place corrélative des choses et
du corps, et d’une orientation réciproque. Le schéma spatial s’élabore en même temps que le
schéma corporel. Dans ce même temps, il apprend à habiter de plus en plus son espace vécu.
13 Définition de « l’Univers vécu » que les auteurs nomment aussi « espace vécu ». R. Mucchielli et A. Bourcier font un rapprochement entre ce qui différencie l’espace vécu et l’espace représenté et ce qui différencie le « temps vécu » et le temps socialisé, qu’est le temps régulier s’inscrivant sur un cadran. Le « temps vécu », décrit par E. Minkowski dans son livre Le temps vécu, « est lié au rythme de l’existence pour chacun », à la manière dont on éprouve de façon personnelle la durée. « L’espace vécu est inséparable du temps vécu », « la distance vécue est à la fois un intervalle et un délai » (p. 37).
17
- la stabilisation des valeurs, concernant la vie affective.
Les auteurs rappellent qu’en se situant au niveau du vécu (sur le plan affectif
lui même), « la stabilisation de la vie affective entretient avec la stabilisation de l’univers
vécu, des rapports étroits ». Et ceci toujours en fonction de cette loi de la structuration
réciproque, qui paraît « régir la relation du moi et de son monde » (p. 39).
Dans le cas de la dyslexie il ne peut y avoir une stabilisation de l’univers vécu,
puisque ces quatre facteurs s’élaborant réciproquement ne vont pas correctement se structurer,
le dysfonctionnement de l’un engendrant celui de l’autre.
De même, il ne pourra y avoir de structuration de l’univers orienté14, la structuration
spatio-temporelle ne pouvant s’effectuer sans passage à la pensée analytique.
La dyslexie sera donc un des effets de cet état particulier de la relation moi-univers,
relation construite sur de mauvaises bases (latéralisation défectueuse, affectivité troublée,
schéma corporel mal assuré, structuration spatio-temporelle insuffisante, etc…), lorsque
l’enfant sera mis en situation de devoir apprendre à lire. L’apprentissage de la lecture va
constituer « l’épreuve révélatrice de cet état particulier de la relation tel que nous l’avons
décrit, où le moi est mal assuré dans un univers désorienté » (p. 58).
Dans ce travail nous souhaitons, non pas comprendre ce qui est à l’origine de ce
trouble de la relation, mais plutôt explorer ce qui spécifie le mode relationnel chez la personne
dyslexique, tout en tenant compte de la part de subjectivité inhérente au développement de la
dyslexie.
14 Nommé espace orienté, géométrique, physique. Définit par Grünbaum : « l’espace propre est la liaison dynamique du corps physique propre avec son entourage le plus proche. Cet espace propre est donné en tant qu’une unité de fonction kinesthésique-optique-motrice et constitue l’arrière-plan pour la motricité du corps physique ». Extrait de Binswanger, L. (1998). Le problème de l’espace en psychopathologie. (p. 64).
18
Pour cela, nous utiliserons la notion de « relation d’objet » telle que l’a définie M.
Houser15, comme « expression désignant notamment les formes prises par la relation du sujet
avec ses objets (lui-même compris) au cours de ses différents moments évolutifs ». Il est
intéressant de remarquer que dans la relation d’objet, tout comme le décrivait R. Mucchielli et
A. Bourcier concernant le moi et son environnement, il y a une « interrelation dialectique ». Il
est question « non seulement de la façon dont le sujet constitue ses objets (externes et
internes), mais aussi la façon dont ceux-ci modèlent l’activité du sujet »
2.4 - Problématique
Nous avons pu voir dans notre développement que la dyslexie se caractérisait par une
perception « globalisatrice » ; les sujets dyslexiques ayant des difficultés à penser les relations
des choses entre elles et à se détacher du perceptif et du sensoriel.
Au cours de cette recherche, nous avons découvert les travaux d’un autre auteur,
B. Jumel16 qui s’intéresse au lien qu’il peut y avoir entre une attitude relationnelle de
dépendance et un symptôme de dyslexie-dysorthographie. Concernant la perception, B. Jumel
explique que « l’axe vertical du corps, au lieu d’assurer leur relation, tend à séparer la gauche
de la droite, en les opposant ». Il ajoute : « le lien avec la dyslexie apparaît ici, si l’on pense
que le principe de notre écriture relève de l’association des lettres pour constituer des syllabes,
des syllabes pour constituer des mots… » (p. 135).
Ce trouble perceptif se traduirait par un problème de mise en relation, nécessitant une
liaison entre ce qui se présente à la gauche et à la droite du corps. Ces personnes auraient des
difficultés à réunir, lier, mettre en relation.
15 Bergeret, J. & coll. (1998). Psychologie pathologique théorique et clinique. p. 6. 16 Jumel, B. (2005). Comprendre et aider l’enfant dyslexique. p. 131.
19
Nous pensons que cette difficulté de mise en relation des lettres ou des syllabes…, est
le signe d’un trouble plus large atteignant la capacité du sujet dyslexique à construire des
relations avec ses objets.
Comment une personne ayant à la fois des difficultés à bâtir des relations entre les
objets constituant son environnement et en même temps du mal à se détacher de la perception,
peut-elle se construire dans une relation d’objet ?
Encoure-t-elle des risques à entrer en relation, compte tenu du fait qu’elle y entre sur
un mode perceptif ?
2.5 - Hypothèses
Malgré les éléments de réponse que nous ont apportés les écrits de R. Mucchielli et
A. Bourcier, ainsi que ceux de B. Jumel, nous souhaitons visualiser les troubles de la
perception des personnes dyslexiques que nous allons rencontrer, à partir d’un matériel bien
différent du support verbal, qu’est celui de Rorschach.
Ceci nous semble nécessaire puisque notre première hypothèse est que la dyslexie ne
se limite pas à un trouble du langage écrit, mais à un trouble perceptif plus large en lien avec
la capacité à construire des relations entre les différents éléments.
Ce trouble perceptif engendre un trouble de la relation moi-univers que R. Mucchielli
et A. Bourcier qualifient d’amphibologique (reposant sur l’ambivalence vécue) et qui selon
B. Jumel est caractérisé par un mode relationnel de dépendance.
Ceci nous amène à poser notre seconde hypothèse : la spécificité de la relation du sujet
dyslexique à la lecture indique une spécificité de l’organisation du moi par rapport à
l’environnement et notamment dans la construction des relations objectales.
20
Chapitre 2 : Méthodologie
L’objectif de cette étude, étant de décrire la manière singulière « d’être-au-monde » du
sujet dyslexique, nous avons choisi de répondre aux questions de recherche formulées
précédemment à l’aide de la méthode clinique, et donc à travers une analyse qualitative de cas
individuels.
Une première partie présente brièvement les sujets et les conditions dans lesquelles
nous les avons rencontré. Une seconde développe les outils méthodologiques utilisés et la
justification de ce choix. Enfin, la dernière retrace les différentes étapes de notre procédure de
recueil, puis d’analyse des données.
1 - Présentation des sujets
Afin de satisfaire notre travail de recherche, nous avons contacté plusieurs COP
intervenant dans des établissements scolaires où la prise en charge des élèves dyslexiques
était particulièrement investie. Ceux-ci nous ont alors mis en relation avec des élèves
dyslexiques que nous avons pu solliciter pour notre intervention.
Nous avons rencontré Sandy, Sébastien, Cynthia et Amélie au mois de mai 2005.
Sandy est âgée de quinze ans et est scolarisée en 4e dans le même collège que Sébastien. Ce
dernier a quinze ans et est en 3e générale. Cynthia a quatorze ans et est en 4e. Enfin, Amélie,
âgée de seize ans suit une classe de 3e à projet professionnel dans un lycée professionnel.
Dans cette recherche, nous avons choisi de travailler avec des sujets qui ont été
reconnus comme dyslexiques, conformément au diagnostic médical17.
17 Nous avons pu consulter le dossier médical de chacun des sujets, dans lequel figurait un bilan neuropsychologique attestant la dyslexie.
21
2 - Outils méthodologiques
Les deux principaux outils méthodologiques destinés à recueillir nos données sont
l’entretien clinique de recherche et le test projectif de Rorschach. Il nous est apparu nécessaire
d’associer deux techniques différentes afin d’apprécier plus exhaustivement ce qui spécifie la
perception et le mode relationnel du sujet dyslexique.
2.1 - L’entretien clinique de recherche
Notre choix pour l’entretien clinique comme technique de recherche est avant tout lié
au fait que nous nous intéressons à la manière singulière dont le sujet dyslexique vit son
trouble. L. Fernandez et M. Catteeuw18 le définissent comme « la technique de choix pour
accéder à des informations subjectives (histoire de vie, représentations, sentiments, émotions,
expériences) témoignant de la singularité et de la complexité d’un sujet ». Nous avons donc
aussi choisi l’entretien car nous recherchons des informations subjectives, c'est-à-dire des
informations élaborées et mises en sens par le sujet lui-même.
Ayant pour objectif de recueillir des informations pertinentes, relatives à nos
hypothèses, nous avons décidé de mettre en place un entretien semi-directif tel que le
définissent H. Bénony et K. Chahraoui19 : « Dans ce type d’entretien, le clinicien dispose
d’un guide d’entretien ; il a en tête quelques questions qui correspondent à des thèmes sur
lesquels il se propose de mener son investigation ».
Les thèmes en fonction desquels nous avons élaboré notre grille d’entretien sont les
suivants :
18 Fernandez, L. & Catteeuw, M. (2001). La Recherche en psychologie clinique. p. 74. 19 Bénony, H. & Chahraoui, K. (1999). L’entretien clinique. p. 16.
22
- l’histoire personnelle, familiale et scolaire des sujets,
- le vécu de la dyslexie,
- les rapports entretenus avec leur environnement,
- les facteurs de stabilisation décrits par R. Mucchielli et A. Bourcier (la latéralisation, le
schéma corporel, l’organisation spatio-temporelle, la vie affective).
La consigne utilisée avait pour but d’induire un discours de narration : « j’aimerais que
tu me parles de ta scolarité, comment ça se passe pour toi à l’école ? ». Comme le souligne
L. Fernandez et M. Catteeuw20 « la consigne doit permettre au sujet de s’exprimer le plus
librement possible et de déployer son monde interne ».
D.W. Winnicott21 rappelle que durant l’adolescence, « il y a un renforcement des
défenses contre le fait d’être trouvé, c'est-à-dire d’être trouvé avant d’être là pour être
trouvé ». Ainsi, nous avions prévu un ensemble de sous-thématiques à aborder au cas où les
sujets adopteraient une attitude plutôt défensive. Ce dispositif gardait pour objectif d’éclaircir
notre canevas d’interrogations en évitant que l’entretien ne prenne la forme d’un
interrogatoire.
A cette technique de semi-directivité, nous avons associé une attitude clinique dans la
relation au sujet, c’est-à-dire une attitude respectueuse, neutre, empathique et bienveillante.
Ainsi, l’attitude que nous avons adoptée avait pour principale finalité de laisser les sujets
associer librement sur les thèmes proposés, sans les interrompre et donc d’ouvrir un certain
espace de parole.
Enfin, nous avons utilisé l’entretien pour établir une relation de confiance et de
sécurité avec les sujets avant de leur proposer le test projectif.
20 Fernandez, L. & Catteeuw, M. (2001). Op. Cit. p. 77. 21 Winnicott, D.W. (1970). Processus de maturation chez l’enfant. p. 165.
23
2.2 - Le test projectif de Rorschach
Le test projectif de Rorschach22, de par son matériel (présentation de taches d’encre à
percevoir), nous est apparu dans un premier temps comme privilégié pour explorer le champ
de la perception du sujet dyslexique.
Comme nous l’avons noté précédemment, R. Mucchielli et A. Bourcier estiment que
le sujet dyslexique resterait « bloqué » dans son développement au stade syncrétique de la
pensée, ce qui se traduirait, lors de l’apprentissage de la lecture, par une fixation dans le
concret engendrant une tendance à la globalisation et des difficultés d’analyse.
Pour N. Rausch de Traubenberg23 « Appréhender, percevoir la planche du test et plus
largement la situation globale, c’est montrer la manière que l’on a d’aborder le réel des
situations quotidiennes ; c’est y réagir soit globalement, soit analytiquement, soit par le biais
d’attitudes parcellaires, voire inverses à celles supposées ».
Ainsi, avec l’aide de l’épreuve projective de Rorschach, l’examen des sujets
dyslexiques nous permettra de vérifier si leur façon de structurer et d’organiser leurs
perceptions de manière globale porte uniquement sur des lettres, ou s’il y a effectivement
envahissement sur toutes les formes.
Ensuite, c’est la dimension structurale des planches du Rorschach, c'est-à-dire leur
organisation spatiale qui nous a semblé intéressante afin d’explorer ce qui spécifie le mode
relationnel chez le sujet dyslexique.
En effet, C. Chabert24 mentionne que l’organisation spatiale des planches du
Rorschach, « symétriques par rapport à un axe médian appelle des références corporelles qui
22 H. Rorschach (1921). Test projectif structural de type constitutif, comportant dix planches représentant une tache d’encre symétrique et plus ou moins complexe que le sujet doit organiser. 23 Rausch de Traubenberg, N. (1990). La Pratique du Rorschach. p. 34. 24 Chabert, C. (1987). La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach. p. 92.
24
fondent la projection ». Elle montre ainsi l’intérêt de l’utilisation du Rorschach pour l’étude
de la représentation de soi, rappelant que « la représentation de soi s’élabore en même temps
que s’établissent et se développent les relations d’objet ».
En conséquence, le test de Rorschach permet d’explorer les deux pôles de
représentations implicitement sollicités par son matériel : la représentation de soi aux
planches compactes (I, IV, V, VI, IX), et les représentations de relations aux planches
bilatérales (II, III, VII, VIII).
L’analyse du contenu latent des planches permet selon D. Anzieu et C. Chabert25 « de
regrouper les sollicitations implicites du matériel en référence d’une part à l’image de soi,
d’autre part aux représentations de relations, les deux aspects étant liés, bien entendu ». Nous
attacherons donc une attention toute particulière à l’étude du mode de relation à l’imago
maternelle26 essentiellement présente aux planches I, VII et IX selon les écrits de
C. Chabert27. En effet, le mode particulier de relation du sujet dyslexique à ses objets
interroge la relation à son premier objet.
Enfin, notre choix de l’épreuve projective de Rorschach comme technique de
recherche est lié à la possibilité qu’il donne selon L. Fernandez et M. Catteeuw « d’accéder
aux aspects les plus profonds de la personnalité tant en termes de ressources, que de
défaillances » (p. 85). C’est donc aussi pour l’étude d’éléments plus projectifs et plus
personnels que nous utilisons cette méthode. Ainsi, les auteurs D. Anzieu et C. Chabert
s’accordent « à considérer que le Rorschach, comme les autres épreuves projectives, sollicite
à la fois des conduites perceptives et projectives » (p. 62). Cette double dimension (perceptive
25 Anzieu, D. & Chabert, C. (1997). Les Méthodes projectives. p. 109. 26 J. Laplanche et J.-B. Pontalis définissent l’ « imago » comme un « prototype inconscient de personnages qui oriente électivement la façon dont le sujet appréhende autrui ; il est élaboré à partir des premières relations intersubjectives réelles et fantasmatiques avec l’entourage familial ». Vocabulaire de la psychanalyse. p. 196. 27 Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique.
25
et projective) permet de rendre compte du rapport du sujet au réel et au monde extérieur, mais
également de la façon dont il gère son monde intérieur.
3 - Procédure de recueil et d’analyse des données
Notre recherche bibliographique a été particulièrement conséquente car il était
légitime d’aller regarder ce que disent aujourd’hui les spécialistes de la dyslexie. C’est
pourquoi la lecture d’articles issus des courants de la psychologie cognitive et de la
neuropsychologie, notamment les écrits de S. Valdois28 et de M. Habib29 nous est apparue
comme un préalable nécessaire à l’appréhension de la dimension affective de la dyslexie.
Le recueil des données proprement dit a débuté au mois de mai 2005:
Nous avons tout d’abord demandé une autorisation écrite aux principaux et au
proviseur des établissements dans lesquels nous voulions mener notre investigation
psychologique (voir Annexe 1).
Nous avons par la suite reçu Sandy, Sébastien, Cynthia et Amélie une première fois
afin de leur faire part de notre demande. Lors de cette entrevue, nous leur avons présenté
l’objectif de notre étude : tenter de comprendre comment chacun d’eux vivait sa dyslexie ;
nous leur avons expliqué comment allait se dérouler la recherche s’ils acceptaient d’y
participer : nous devions les rencontrer dans un premier temps pour parler de ce qu’ils
vivaient à l’école, des difficultés causées par la dyslexie…, puis une seconde fois afin de faire
un exercice sans rapport avec les apprentissages scolaires.
28 Valdois, S. (2000). « Pathologies développementales de l’écrit » ; Valdois, S. (2002). « Approche cognitive des dyslexies développementales ». 29 Habib, M., Robichon, F. & Démonet, J. F. (1996). «Le singulier cerveau des dyslexiques » ; Habib, M. (2002). « Bases neurologiques des troubles spécifiques d’apprentissage ».
26
Le but de cette rencontre visait à établir un premier contact chaleureux et rassurant
afin de mettre les sujets en confiance, ainsi qu’à clarifier les règles du déroulement de la
recherche (deux rencontres d’environ une heure chacune), les objectifs (mieux comprendre ce
que vivent les personnes dyslexiques) et les moyens utilisés pour la recherche (un entretien et
un exercice). De même, nous leur avions remis une lettre de consentement à destination de
leurs parents (voir Annexe 2).
Sandy, Sébastien, Cynthia et Amélie ont accepté de participer à la recherche et nous
avons donc pu les rencontrer lors de l’entretien et lors de la passation du Rorschach. Le
matériel fournit par ces rencontres sera la base clinique sur laquelle nous nous appuierons au
cours de cette étude.
Notre analyse se base sur les notes que nous avons prises durant l’entretien et à
posteriori, ainsi que celles prises au cours de la passation du Rorschach. Nous avons choisi
d’effectuer une analyse clinique des protocoles en référence aux théories psychanalytiques
post-freudiennes, notamment à l’aide des écrits de C. Chabert30, de N. Rausch de
Traubenberg31 et enfin ceux de C. Beizmann32 pour la cotation des formes.
Les deux axes de réflexion autour desquels est organisée notre recherche sont ceux de
la perception et du relationnel chez le sujet dyslexique. Nous avons choisi d’organiser nos
notes en fonction de ces deux dimensions. Nous nous sommes ensuite concertées afin de
partager nos réflexions sur l’interprétation de nos données et c’est au cours de plusieurs allers
et retours entre nos résultats et la théorie que nous avons pu affiner nos explications (voir en
Annexe 3 les notes d’entretien et en Annexe 4 les protocoles de Rorschach).
30 Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique ; Chabert, C. (1987). La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach. 31 Rausch de Traubenberg, N. (1990). La Pratique du Rorschach. 32 Beizmann, C. (1966). Livret de cotation des formes dans le Rorschach.
27
Chapitre 3 : Interprétation des résultats
1 - Un attachement au réel
C’est à travers le mode d’analyse du matériel projectif de Rorschach que nous avons
tenté de mettre en évidence ce qui caractérise la façon de percevoir de la personne dyslexique.
Cet aspect recouvre assez exactement ce que l’on entend par approche des conduites
intellectuelles33 au Rorschach.
Le travail de Dworetzki repris par N. Rausch de Traubenberg, distingue trois étapes
dans la perception : « perception générale et confuse du tout, perception distincte et analytique
des parties et recomposition synthétique de ce tout avec reconnaissance des parties intégrées »
(p. 37). Au niveau du Rorschach, à un premier stade de « globalisation primitive », la
perception des taches est globale, indifférenciée, syncrétique : « arbre », « maison »,
« rideau ». Ce stade est à rapprocher du stade syncrétique décrit par R. Mucchielli et
A. Bourcier.
Les difficultés d’analyse et la tendance à la globalisation dans l’apprentissage de la
lecture chez la personne dyslexique, mises en avant par R. Mucchielli et A. Bourcier se
retrouvent dans la façon qu’ont Amélie, Cynthia, Sandy et Sébastien d’appréhender les
planches du Rorschach. Pour reprendre un terme qu’emploie B. Jumel, il semble qu’ils aient
tous recours à la « synthèse abusive », correspondant à un défaut d’analyse de la tache.
En effet, nous remarquons dans le protocole d’Amélie l’utilisation privilégiée du mode
d’appréhension globale simple (G simple). Ce choix met en évidence l’utilisation de ce
premier stade de « globalisation primitive ». Selon N. Rausch de Traubenberg, au niveau du
33 Rausch de Traubenberg, N. (1990). La Pratique du Rorschach. p. 207. Pour l’auteur, les facteurs exprimant au plus près les conduites intellectuelles sont : la productivité dans sa mobilité et son rythme (R), les modes d’appréhension : réponses globales (G), de détail (D), petit détail (Dd)…, la précision des engrammes formelles (F + %), les réponses « kinesthésie humaine » (K), le A % et le nombre de Ban.
28
processus d’élaboration, les G simples correspondent à « une vision immédiate, directe,
souvent basée sur une vue unitaire des contours » (p. 45). Ainsi, les G simples abordent la
planche par une lecture directe du matériel, sans différenciation préalable des détails. Aussi,
nous avons pu remarquer une surcharge de réponses globales (G % = 75 %) et une faible
utilisation de la découpe parcellaire (D % = 25 %). Pour N. Rausch de Traubenberg,
« Génétiquement, le D est plus difficile que certains G ; en effet, il n’apparaît en masse qu’à
l’âge de six/sept ans, âge marqué par ailleurs par l’apprentissage de la lecture […] » (p. 51).
De même, il semblerait que Cynthia et Sandy utilisent encore à certains moments le
premier stade de « globalisation primitive ». En effet, nous notons dans leurs protocoles la
présence de G confabulés appelés encore réponses « pars pro toto » par N. Rausch de
Traubenberg (p. 37). Dans ces réponses, il y a élargissement d’un seul détail à tout l’ensemble
sans tenir compte des autres détails. Par exemple, à la planche VI, Cynthia perçoit « un
animal » (« à cause des moustaches »), elle va ainsi du détail au tout, la généralisation hâtive
aboutissant à une mauvaise forme. Nous pouvons noter que cette appréhension, par le petit
détail donnant sa couleur à l’ensemble, est un mécanisme que l’on retrouve dans l’activité de
lecture du sujet dyslexique.
Par ailleurs, nous remarquons que Sébastien, qui pourtant donne des réponses D en
majorité (D % = 57 %), ne fait pas pour autant un travail d’analyse, de mise en relation des
éléments, le détail isolé fait office de seule réponse.
L’analyse des protocoles confirme le fait que les sujets dyslexiques ont tendance à
coller au perceptif. En effet, nous notons dans un premier temps un F + % souvent très élevé
(Sébastien : 83 % et Amélie : 100 %), celui-ci atteste d’une inscription nécessaire dans la
réalité concrète. N. Rausch de Traubenberg explique que la saisie perceptive opérée ainsi a
pour but de « maîtriser le chaos » et réduit au minimum la participation de l’imagination
29
créatrice et l’ingérence des réactions émotionnelles (p. 72). Nous pouvons y voir aussi une
recherche d’unité. Quand le F + % est supérieur à 65 %, cela peut être le signe d’un
étouffement de la vie affective du sujet et d’une mise à distance des aspects affectifs, c’est un
mode défensif.
Cette difficulté à se détacher de la perception se traduit parfois aussi par un nombre
réduit de réponses comme dans les protocoles de Sébastien, seulement sept réponses,
d’Amélie, huit réponses et de Sandy, dix réponses. Ce petit nombre de réponses peut être le
signe d’un blocage lié à un envahissement du perceptif et donc une difficulté à élaborer
plusieurs réponses.
La présence de refus à certaines planches, tel qu’aux planches III et X pour Amélie ou
aux planches IV, VII et X pour Sébastien peuvent être le signe d’une impossibilité à
construire une image en raison d’un envahissement par le perceptif.
Nous pouvons penser que ces planches, sans aborder leur dimension symbolique, soit
de par leur dimension structurale ou sensorielle, mettent les sujets en difficulté. En effet,
ceux-ci en raison d’un enlisement dans le perceptif peuvent être mis en échec par des planches
dont les dimensions structurales et sensorielles rendent plus ardue la construction d’une
forme.
Il se peut qu’Amélie échoue à la planche III du fait de sa configuration bilatérale ou de
la présence du rouge. A la planche X la dispersion du stimulus semble bloquer les
associations. Sébastien lui éprouve des difficultés aux planches IV, VII et X. Pour la planche
IV, nous pouvons penser que le côté massif de cette planche fermée ainsi que l’estompage qui
donne peu de consistance soient à l’origine de son refus. En ce qui concerne la planche VII, ce
peut être dû, une fois de plus aux estompages, mais aussi à un changement radical avec cette
planche ouverte laissant apparaître un blanc central. Enfin pour la planche X, nous pouvons
30
penser que peut être sa dimension structurale très diffuse, avec beaucoup de détails, rend
difficile la construction d’une forme ou d’une unité, le mettant ainsi en échec.
Il nous semble important de remarquer le peu, voire l’absence d’utilisation de
déterminants sensoriels (réponses couleurs ou estompages).
Concernant les réponses couleur nous relevons que Sandy ne donne que des réponses
descriptives, par exemple à la planche II « une tache un peu triste, le rouge ça fait triste pour
moi ». Xavier ne donne aucune réponse couleur et par contre réagit par deux chocs au rouge
aux planches II et III. Si l’on se penche sur le protocole d’Amélie, on ne note aucune réponse
couleur. Enfin, Cynthia intègre peu les couleurs à ses réponses (Σ C = 2). Ces réactions face à
la présence de couleurs, notamment le rouge qui suscite la violence, l’agressivité, nous laisse
penser que c’est le signe une fois de plus d’une difficulté à se détacher de la perception afin
de réussir à symboliser ce qui est ressenti, à intégrer l’affect dans une réponse, le lier à une
représentation.
L’absence de réponses estompages vient renforcer cette remarque. Les sujets
dyslexiques, n’ayant pu atteindre le stade analytique, ni se dégager de la perception ainsi que
de l’affectivité et des qualités sensorielles (comme nous l’avons vu au cours du premier
chapitre de ce travail, p. 13), ont des difficultés à se laisser aller vers des positions plus
régressives suscitées par les planches présentant des estompages.
Enfin, nous avons pu observer dans les protocoles une tendance à l’effacement ou à la
sur-représentation des lignes d’articulation internes au matériel, à savoir le blanc
intermaculaire des planches II, III et VII. C’est comme si cet axe vertical représenté par un
blanc et qui sépare la tache entre une gauche et une droite n’autorisait pas leur liaison. Ceci se
traduit, par exemple chez Sandy, par des liaisons abusives : à la planche III, elle donne une
31
réponse unitaire : « un taureau » et n’identifie pas la banalité (deux personnages). Il semble
aussi que la sensibilité de Cynthia et de Sébastien à la lacune blanche de la planche II et leur
besoin de la remplir par un objet vienne appuyer cette hypothèse de la représentation de l’axe
vertical par un blanc, jouant comme obstacle à la liaison.
En somme, les difficultés d’analyse et la tendance à la globalisation dans
l’apprentissage de la lecture (chez la personne dyslexique) mises en avant par R. Mucchielli et
A. Bourcier se retrouvent dans la façon qu’ont Amélie, Cynthia, Sandy et Sébastien
d’appréhender les planches du Rorschach. Nous allons tâcher maintenant, à partir de ce même
matériel, d’explorer les différentes modalités de la relation d’objet chez Amélie, Cynthia,
Sandy et Sébastien.
2 - Le relationnel
2.1 - Investissement de la relation
C’est tout d’abord à travers la présentation des sujets, dans leur manière de prendre
contact avec nous et d’investir la relation que nous avons tenté de voir si la dyslexie interroge
une modalité spécifique de relation objectale.
Dès la première rencontre, Sébastien se présente comme un garçon assez distant, il
parle peu, reste en retrait de par son attitude et son discours. Il ne construit pas de phrases et
ne développe pas ses réponses. Très souvent il se contente de donner un mot ou de répondre
« oui ». Le climat de l’entretien est ainsi très marqué par de nombreux moments de silences,
d’hésitations et par cette position de recul.
Durant l’entretien, Sandy est quant à elle plutôt souriante et semble prendre un certain
plaisir dans l’échange. Toutefois, nous pouvons noter certaines difficultés dans l’expression.
32
La plupart du temps Sandy ne construit pas de phrases et tout comme Sébastien elle répond
par un mot ou deux, nous obligeant à compléter nos questions par d’autres pour développer
davantage ses réponses ou pour mieux expliciter ce qu’elle dit.
Lors de notre première rencontre, Amélie se prend vite au jeu de l’entretien. Elle parle
facilement d’elle et livre quelques événements ou sentiments assez personnels (sur-protection
de ses frères, divorce de son oncle, crises d’angoisse...). Cependant, ses réponses sont assez
brèves et je dois à plusieurs reprises l’aider à les développer. Aussi, elle évoque des difficultés
à trouver ses mots lorsqu’elle s’exprime à l’oral et le « besoin de réfléchir » avant de parler.
Cynthia se présente comme une jeune fille charmeuse et souriante. Lors de l’entretien,
elle accepte avec plaisir de répondre aux questions, mais elle adopte en contrepartie une
attitude plutôt défensive. Elle répond souvent par « oui » ou « non » ou bien encore par « je
sais pas ».
Nous avons aussi choisi d’explorer la relation au travers du mode d’adaptation, auquel
fait référence N. Rausch de Traubenberg34, et qu’elle décrit comme étant « le reflet d’une
manière de faire », observable dans la façon d’aborder les planches, à travers la verbalisation,
les temps de latence, les commentaires qualitatifs, ainsi que l’utilisation de processus
descriptifs ou plutôt interprétatifs.
Concernant Sébastien nous avons noté des temps de latence longs, nous remarquons
qu’en plus de ces moments de silence, il ne fait pas de commentaires. Ainsi il ne semble pas
chercher la relation avec l’autre, il peut rester silencieux durant une minute trente et répondre
« rien » (planche IV). Sébastien semble vouloir maintenir une distance avec l’autre et ceci
s’observe aussi par sa position physique, puisqu’il reste appuyé au dossier de sa chaise et ne
prend pas les planches dans ses mains, il les manipule du bout des doigts seulement.
34 Rausch de Traubenberg, N. (1990). La pratique du Rorschach. p. 22.
33
Si nous nous intéressons au mode d’adaptation utilisé par Sandy, nous notons des
hésitations dans ses réponses, Sandy semble manquer d’assurance et répète souvent « on
dirait ». Dans son protocole, nous ne relevons pas de commentaires, c’est au travers de ses
hésitations qu’elle essaie de chercher l’approbation de l’autre, ses « on dirait » sont
interrogatifs.
Quant à Amélie, l’impression laissée par son protocole, est celle d’une implication
difficile. Le nombre de réponses est réduit (R = 8). De plus la manière d’amener les réponses
rend compte d’une faible assurance dans l’expression verbale : des images sont mises en
avant puis le discours est ponctué d’hésitations et de doutes (« euh…. », « je sais pas »).
Amélie semble mal à l’aise et se montre plus fermée dans ce cadre.
Enfin, l’impression laissée par le protocole de Cynthia est celle d’un contexte très
formel impliquant une approche un peu sèche de la réalité. Le nombre de réponses (R = 25)
est dans la moyenne mais les réponses sont peu projectives. Des images figées sont mises en
avant, offertes sans aucun adjectif et sans aucun verbe : « un papillon », « un scarabée », « un
masque »… Aussi, dans la verbalisation, l’accent porte sur le défaut de connaissance (« je sais
pas ») et sur la critique de l’objet (« c’est dur »), ce qui peut nous laisser entendre le désarroi
qu’elle manifeste face à cette situation projective.
Nous remarquons donc que nos quatre sujets dyslexiques ont visiblement quelques
difficultés à entrer dans la relation avec l’autre ou, tout du moins, semblent avoir besoin de se
protéger en gardant une distance. Nous pouvons noter que dans ces situations les relations
sont asymétriques puisqu’elles se construisent entre un adolescent et un adulte, mais aussi
entre un élève et un conseiller d’orientation-psychologue appartenant au corps des
enseignants. B. Jumel explique que « le trouble de l’apprentissage de la lecture […] est le
signe d’une prévention contre le risque que représenterait la confrontation à l’adulte sur son
34
terrain, le maniement raisonné et responsable de la parole » (p. 130). Malgré les efforts que
nous avons faits pour créer des conditions de confiance, l’entretien ainsi que la passation du
Rorschach restent deux situations assez anxiogènes qui peuvent induire chez certains sujets la
mise en place de barrières, de distance entre soi et l’autre pour se protéger.
Au travers des écrits de R. Mucchielli et A. Bourcier, nous avons vu que les personnes
dyslexiques semblent avoir un moi « qui vit l’incertitude et une certaine forme d’insécurité »
(p. 28) en raison d’une « perturbation dans la relation du Moi et de l’Univers » (p. 88). Nous
avons donc souhaité étudier, au moyen du Rorschach, les représentations de relations afin
d’explorer cette dimension et peut-être mettre en évidence une problématique spécifique
autour de la constitution de relations objectales.
2.2 - Analyse de la relation à « l’imago » maternelle
En se référant aux écrits de C. Chabert35, nous nous sommes penchées sur le mode de
relation à l’imago maternelle, essentiellement présente aux planches I, VII et IX (C. Chabert)
et aussi planche II (N. Rausch de Traubenberg).
La planche VII est considérée comme « la planche maternelle par excellence »,
« quelle que soit la qualité des réponses et de ces évocations, elles s’inscrivent toujours dans
la dialectique des relations au premier objet » (p. 81). A cette planche Sébastien répond par un
refus au bout d’une minute, puis à l’enquête il dira « on dirait deux masques » (éléments
centraux et symétriques). Ce refus, puis cette réponse « masque », renvoyant à un besoin de
s’entourer d’une peau protectrice, peut nous laisser penser à une certaine insécurité dans la
35 Chabert C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte.
35
relation à l’objet précoce. Nous pouvons compléter cette remarque par la réponse donnée à la
planche II, l’interprétation du détail blanc (Dbl) central comme « un parapluie qu’on met sur
les glaces » vient renforcer cette hypothèse de manque, de faille dans la relation précoce.
Enfin, à la planche IX, qui « favorise des évocations parfois si régressives qu’on a pu
la dénommer planche utérine » (p. 82), Sébastien donne une réponse kinesthésie d’objet
(kob), qui correspond à une décharge pulsionnelle relevant d’une source interne et visant à la
suppression d’une tension, qui en principe se manifeste dans le protocole à travers les
réponses précédentes (p. 182-183). Nous pouvons ainsi penser que cette charge est en rapport
avec le contenu latent de la planche VII, pour laquelle Sébastien ne nous a pas fourni de
réponse, à savoir la symbolique maternelle. La planche IX sollicitant la régression et
renvoyant elle-même à une symbolique maternelle pré-génitale.
Il semble que chez Sébastien la relation à l’objet précoce soit sous-tendue par du
manque : dans cette relation l’objet manque de contenance et ne paraît pas très rassurant. Si
la relation à l’objet est vécue sur ce mode « du risque à courir dans la relation à un objet non
rassurant » nous pouvons penser que c’est peut-être pour cette raison que Sébastien a mis en
place des procédés défensifs assez rigides.
C. Chabert rappelle la présence du symbolisme maternel à la planche I, qui de par sa
position de première planche peut faire appel à la relation au premier objet. Sandy, par sa
réponse « un masque… de monstre » à la planche I, nous laisse voir une imago maternelle
plutôt menaçante, inquiétante, voire persécutrice. La planche VII induit de nouveau une
réponse traduisant l’insécurité, l’angoisse dans les relations d’objet précoce. Elle répond : « ça
ressemble à du papier qui est brûlé et qui est taché et voilà ».
Nous pouvons rappeler que dans le registre de ce contenu latent nous devons intégrer
les réponses qui renvoient à l’image du corps, puisqu’il est « difficile d’isoler cette mise en
36
place de repères fondamentaux de la relation à l’imago maternelle » (p. 89). Il y a un lien
entre une relation précoce vécue comme non sécurisante et une sensation d’enveloppe
corporelle poreuse et fragile, puisque le sujet se construit dans la relation à l’autre.
La planche IX qui renvoie aussi à une symbolique maternelle ne permet pas à Sandy
d’élaborer une réponse correcte, elle donne une mauvaise forme (F -). Il semble que cette
planche soit traitée de la même façon que la planche VI. Sandy donne pratiquement des
réponses identiques de livres ouverts. Pour ces réponses, elle s’appuie sur l’axe central qui
symbolise la dimension phallique. Peut-être que Sandy éprouve des difficultés à se
positionner par rapport à cette dimension phallique, ou peut-être que l’imago maternelle est
vue comme dangereuse et puissante ? Nous pouvons noter à ce sujet qu’à la planche I, la
jeune fille voit un masque de monstre et à la planche V (où la référence à l’imago maternelle
est suscitée), elle voit un « oiseau… méchant ». En effet, ces différentes interprétations,
associées à la vue d’animaux menaçants (« taureau en colère », « l’oiseau méchant ») et des
« yeux » à la planche X, peuvent nous laisser penser à un vécu de la relation d’objet sur le
mode persécutif.
Concernant le protocole d’Amélie, nous avons noté qu’à la planche I, elle réagit par un
choc manifeste pouvant être dû à l’aspect massif et sombre de celle-ci, évoquant angoisse et
anxiété. Comme nous l’avons mentionné pour Sandy, cette planche peut faire appel à la
relation au premier objet et Amélie en répondant d’abord par un choc puis « un papillon […]
il a l’air seul, il est sombre », nous donne à voir une imago maternelle peu rassurante ayant un
caractère anxiogène.
A la planche VII, Amélie par sa réponse « deux statues d’anges » donne une
représentation d’une imago maternelle peu chaleureuse, témoignant d’une certaine insécurité.
37
Ainsi, cette planche amène une image négative pouvant rejoindre un vécu abandonnique
(froideur de la statue).
Enfin à la planche IX, dans laquelle la symbolique maternelle est présente et qui,
comme le précise C. Chabert, peut aussi témoigner du « type de vécu des relations à
l’environnement relationnel »36 au travers du climat ressenti, Aurélie nous livre une figure
déprimée et solitaire.
Les réponses données par Amélie semblent traduire dans sa relation à l’imago
maternelle un certain manque, elle évoque beaucoup la solitude et donne des représentations
froides et déprimées (« un SDF …seul », « un papillon …seul …et sombre »).
Enfin, pour ce qui concerne les représentations de l’imago maternelle de Cynthia, une
réponse « masque » est présente à la planche I. Cette image peut signifier que l’extérieur
apparaît menaçant. Le masque est ainsi protecteur, et permet à Cynthia de se cacher, il lui
permet de se tenir en retrait par rapport au monde. Le masque représente aussi une réponse
« peau », tout comme le « papillon » (animal fragile) et le « scarabée » (animal à carapace),
qui offrent une sorte de seconde peau au soi de Cynthia.
A la planche II, nous pouvons remarquer que Cynthia donne trois réponses intégrant le
fond (réponses Dbl ou Gbl), ce qui peut être le signe d’une carence dans les relations
précoces. L’interprétation du vide peut renvoyer à une sensibilité au manque.
La planche VII induit de nouveau une réponse « masque » traduisant le besoin chez
Cynthia d’apporter des éléments de protection.
Enfin, la présentation de la planche IX suscite une réaction d’arrêt. Le temps de
latence est particulièrement élevé et Cynthia ne donne que des réponses de mauvaises formes.
36 Chabert C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. p. 73.
38
Ainsi, les réponses données par Cynthia aux planches à symbolique maternelle
peuvent nous laisser penser à une certaine insécurité dans la relation à l’objet précoce.
Nous avons mis en évidence, au travers de cette étude de l’imago maternelle,
qu’Amélie, Cynthia, Sébastien et Sandy semblent, dans leurs relations précoces, tous avoir
souffert de la présence d’un objet peu rassurant.
2.3 - La relation au travers des réponses kinesthésiques
C’est à travers l’étude des réponses kinesthésiques, qui sont le support de la
fantasmatique projective, liée aux représentations de relations et de soi ainsi qu’aux
identifications, que nous avons cherché à compléter cette étude d’une problématique
spécifique autour de la constitution des relations objectales chez les personnes dyslexiques.
Nous avons pu remarqué que l’absence de relations et de kinesthésies (K) prime sur
l’ensemble des protocoles, et qu’elles ne sont pas davantage représentées par des images
animales.
Chez Amélie, nous notons tout de même la présence de deux kinesthésies. La première
est donnée à la planche II : « deux amis ensemble, ils ont l’air joyeux, ils s’amusent bien
ensemble ». C’est une représentation de relation, de bonne forme, en configuration bilatérale.
Cependant, l’identification semble oscillante : Amélie désigne les « deux amis » au masculin
(« ils »), puis fait référence à elle-même lors de l’enquête : « je me suis vue au parc avec une
amie. J’étais au parc et on s’amusait à se pousser ». De même, l’image donnée, dynamique,
met en évidence une conduite agie (« ils s’amusent ») et la formation réactionnelle suscitée
par la couleur rouge (« ils sont joyeux »).
39
Une seconde kinesthésie, de bonne forme et localisée en D intervient à la planche IX.
L’image est d’emblée masculine et décrit une activité motrice sans échange : « un SDF en
train de pousser un chariot ». Comme nous l’avons déjà noté, cette image renvoie à une
représentation déprimée et désocialisée et pourrait évoquer une certaine insatisfaction
relationnelle.
Chez Cynthia, la seule kinesthésie du protocole est celle de la planche III : « des
personnes » cotée K par convention selon Rorschach. En effet, celui-ci supposait que les
éléments kinesthésiques n’étaient pas arrivés à maturité ou qu’ils avaient été tronqués ou
réprimés dans leur manifestation.
Cynthia ne parvient pas à exprimer le besoin de représentation de soi face à l’autre et
le type de relation recherchée. Des personnes statiques sont données en lieu et place de la
projection du vécu relationnel. Les personnes ne sont pas sexuées et il n’est donc pas question
d’identification réussie. Cynthia donne uniquement des représentations humaines non sexuées
telles que « des personnes » (réponses 8 et 16) ou caractérisées par une fonction : « un
clown » (réponse 6). La difficulté à se situer apparaît ainsi dans l’évitement d’un quelconque
choix d’identification.
Enfin nous remarquons chez Cynthia, un rapport H/Hd inversé. Pour N. Rausch de
Traubenberg « le H % signifie classiquement capacité de contact humain, ceci tant qu’il est
composé de plus de H que de Hd et, lorsque ce dernier est prévalent, surtout sous forme de
profils et en l’absence de K, il indique plutôt la recherche anxieuse de contacts humains et la
difficulté de relations » (1990. p. 170).
Chez Sébastien, nous pouvons noter l’absence de kinesthésies majeures, de relation
entre les personnages ou animaux ainsi que l’anonymat des personnes humaines. A la
planche I : « deux personnages », à la VII : « deux masques » et à la VIII : « deux animaux »,
Sébastien ne projette pas de relation si ce n’est une relation en miroir de type narcissique.
40
Enfin, nous constatons une absence de kinesthésies et de contenus humains dans le
protocole de Sandy. Le fait de ne pas donner de kinesthésies peut être lié à un contrôle un peu
rigide ou à une crainte de la projection pouvant aussi être en rapport avec une inhibition
adolescente. L’absence de contenu humain peut souligner une fragilité de l’image de soi.
La faible présence de kinesthésies vient confirmer cette difficulté, qui maintenant se
précise de plus en plus, que ces personnes dyslexiques semblent avoir à se projeter dans des
relations.
Comme nous l’avons vu l’étude des kinesthésies nous a aussi permis d’explorer le
champ des identifications et de remarquer que celles-ci ne semblent pas bien assurées. Afin
d’essayer de répondre à notre hypothèse : la spécificité de la relation de l’élève dyslexique à
la lecture indique une spécificité de l’organisation du moi par rapport à l’environnement et
notamment dans la constructions des relations objectales, nous nous sommes intéressées à
l’organisation du moi, au travers des protocoles de Rorschach. Pour cela nous avons
commencé par étudier la représentation de soi.
3 - Le moi du dyslexique
3.1 - La représentation de soi
L’analyse de la représentation de soi nous a semblée être un préalable important pour
l’exploration de l’organisation du moi. S. Freud dit lui-même : « Le Moi est avant tout un Moi
corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d’une
surface »37.
37 Citation de Freud, S. (1923) in Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. p. 139.
41
Il nous paraît important de rappeler qu’il y a une interdépendance de la construction de
l’image de soi et de l’établissement des relations d’objets38. Nous aborderons donc
brièvement cette dimension de façon à ne pas répéter ce qui a été dit dans les parties
précédentes.
Concernant Sébastien, nous avons remarqué que ses personnages ne sont pas identifiés
sexuellement et que pour plusieurs réponses : « deux personnages » (Pl. I), « deux masques »
(Pl. VII) et « deux animaux » (Pl. VIII), il utilise une relation en miroir de type narcissique.
Nous avons aussi noté qu’à la planche VII, à l’enquête, il donne une réponse « masque ». Ce
type de réponse, renvoyant à un besoin de s’entourer d’une peau protectrice, peut être rattaché
à une certaine insécurité dans la relation à l’objet précoce. Nous pouvons compléter cette
remarque par la réponse donnée à la planche II, l’interprétation du Dbl central comme « un
parapluie qu’on met sur les glaces », qui vient renforcer cette hypothèse de manque, de faille
dans la relation précoce et les limites du corps propre.
Dans le protocole de Sandy nous constatons une absence de kinesthésies et
l’inexistence de contenus humains. Cette absence de contenus humains peut souligner une
fragilité de l’image de soi. L’indice d’angoisse assez élevé, mais à relativiser compte tenu du
nombre restreint de réponses, peut témoigner de la fragilité du corps en tant qu’enveloppe,
fragilité du contenant qui se laisse trop facilement pénétrer. La réponse « masque » (Pl. I) et la
réponse estompage FE (Pl. IV), qui nous renvoie à la notion de « Moi-peau » de D. Anzieu
laissant entrevoir un besoin de s’entourer d’une peau protectrice, viennent appuyer
l’hypothèse d’une fragilité des limites.
Amélie construit deux kinesthésies, mais une seule est la projection d’une relation
entre deux personnes. Nous avons remarqué que pour Amélie les identifications sexuelles
semblent encore oscillantes, notamment pour la planche III, qu’elle refuse. Ces
38 Chabert C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. p. 79.
42
représentations humaines sont bien construites mais laissent entrevoir une fragilité concernant
la représentation de soi : à la planche IV, elle répond « un grand bonhomme, seul aussi, euh…
avec un handicap » et à la planche IX « un SDF [….] il est seul ». Comme Sébastien, Amélie
utilise des relations en miroir de type narcissique : « deux amis ensemble » (Pl. II), « une
paire de chaussures » (Pl. V) et « deux statues d’anges » (Pl. VII).
Cynthia ne donne aucune réponse kinesthésique et ses représentations humaines
restent très vagues, ce sont « des personnes » (Pl. III et Pl. VII) ou un clown (Pl. II) et ne sont
pas du tout identifiées sexuellement. Nous remarquons que Cynthia semble très sensible aux
lacunes blanches, ainsi elle donne trois réponses « masque » aux planches I, VII et X et une
réponse « visage » à la planche II. Comme pour Sébastien et Sandy, il semble que Cynthia
présente une image corporelle fragile avec des limites poreuses.
3.2 - Les mécanismes de défense
Pour cette analyse nous nous appuierons sur les écrits de C. Chabert39.
Dans le protocole de Sébastien et concernant les manifestations hors réponses, nous
avons relevé un nombre restreint de réponses (sept), l’absence de commentaires et de
remarques impliquant la subjectivité, des temps de latence initiaux longs, de nombreux
silences et trois refus. Dans son livre C. Chabert regroupe ces manifestations dans les
procédés marquant l’inhibition et explique que ces mécanismes visent à lutter au maximum
contre une implication projective ressentie comme dangereuse (p. 263).
Dans les réponses, nous remarquons un anonymat des personnes humaines (Pl. I),
l’absence de K et d’actions projetées, ainsi qu’un évitement perceptif à certaines planches :
évitement du rouge (Pl. II) ou des couleurs pastel (Pl. VIII, IX, X), et dès que possible
39 Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte.
43
l’utilisation de banalités : nœud papillon (Pl. II), chauve-souris (Pl. V) et deux animaux
(Pl. VIII) qui servent alors d’écran à une expression plus spontanée.
Les facteurs spécifiques nous amènent à remarquer que les déterminants sont dominés
par l’apparition de réponses formelles (F % = 86 %), qui signent une mise à distance des
aspects affectifs. Le type de résonance intime (TRI) est coarté ce qui met en évidence le frein
apporté à l’expression fantasmatique et affective, les réactions dans le test étant
essentiellement formelles (p. 265).
Dans le protocole de Sébastien il y a une absence de réponses couleurs, beaucoup
d’équivalents chocs, ce qui nous semble être le signe d’une sensibilité à certaines couleurs,
mais aussi celui d’une difficulté à symboliser l’affect.
Sébastien semble plutôt chercher à mettre en place des défenses de façon à se protéger
de l’impact des excitations suscitées par la symbolique des planches.
Sébastien a mis en place, au cours de la construction de son moi, qui rappelons le n’est
pas achevée, des mécanismes de défenses faisant appel à un certain nombre de procédés
marquant l’inhibition.
Dans le protocole de Sandy, comme pour Sébastien, nous pouvons noter la présence
de procédés marquant l’inhibition : peu de réponses (dix) et très peu de commentaires.
Dans les réponses nous notons un certain souci de maîtrise du matériel en ce qui
concerne ses configurations perceptives. Selon C. Chabert il s’agit d’une nécessité de
mainmise sur les désirs, de contrôle des émergences pulsionnelles considérées comme
dangereuses, « dans l’embrigadement de la réalité externe, c’est la contention des
mouvements internes qui est recherchée en particulier dans l’effort d’appréhender le matériel
globalement », voir le G % très élevé.
44
Concernant les manifestations hors réponses, nous retrouvons « l’accent mis sur la
dimension du vécu ». Il s’agit du recours à certains éléments de la réalité interne (les affects)
comme défense contre l’émergence d’autres éléments de cette réalité interne (les
représentations). Nous pouvons penser qu’à la planche II, quand elle mentionne la tristesse
évoquée par le rouge, une autre représentation est présente et plus proche de la violence que
de la tristesse. Cette violence apparaît dans la mention du « sang ».
Ce protocole est aussi marqué par la labilité des réactions émotionnelles, qui sont
contrastées et en rapport avec la qualité chromatique des planches. Le noir c’est la
méchanceté (Pl. I et V), le rouge la tristesse (Pl. II), le jaune c’est la joie (Pl. IX et X).
Dans les facteurs spécifiques, nous retrouvons, le souci de se maintenir à distance des
planches qui va de pair avec le recours à une approche globale, vague ou impressionniste.
Cette tendance à utiliser l’approche globale semble échouer à certaines planches telles qu’à la
VI et à la IX, pour lesquelles Sandy va jusqu’à investir les limites de la planche elle-même et
donne ainsi deux mauvaises formes. Enfin, nous observons un recours intense aux
manifestations sensorielles, sous-tendues par des émotions et des affects.
Le TRI extratensif pur témoigne d’une grande émotivité et d’une instabilité venant
confirmer les remarques précédentes. Ce type de résonance intime induit un manque de recul
dans l’appréciation de la réalité objective. « La labilité rend ces personnes très malléables et le
réel extérieur et l’objet les envahissent facilement ». Par ailleurs, N. Rausch de Traubenberg
précise que le relâchement des fonctions cognitives et du contrôle produit des effets de
régression qui sont salutaires et au service du Moi40.
Le F % (40 %) assez faible peut souligner cette difficulté à maîtriser le réel extérieur,
et dans le Rorschach, le caractère chaotique des planches. Il témoigne aussi d’une adaptation à
la réalité moyenne et d’une difficulté dans la différenciation entre les limites
40 Rausch de Traubenberg, N. (1990). La pratique du Rorschach. p. 158.
45
internes/externes, dedans/dehors. Les deux F - aux planches III et IX, ajoutées aux deux
réponses CF - et C’F - aux planches II et VI, sont les traces d’une faiblesse de la capacité à
mettre en forme et à poser des limites.
Cette pénétration par la réalité extérieure s’observe dans les différentes réactions
suscitées par les couleurs aux planches II, IX et X, ainsi que dans les réponses Clob aux
planches I et V41.
L’indice d’angoisse assez élevé, mais à relativiser compte tenu du nombre restreint de
réponses, peut témoigner de la fragilité du corps en tant qu’enveloppe, fragilité du contenant
qui se laisse trop facilement pénétrer. Là encore il est question d’une fragilité des limites.
Le protocole d’Amélie met en évidence, comme les protocoles de Sébastien et Sandy,
l’utilisation de procédés marquant l’inhibition. Il y a peu de réponses (huit), pas vraiment de
commentaires et la trace d’un blocage associatif42 qui se traduit par la mention de nombreux
« voilà », « voilà c’est tout » (Pl. I, II, V, VI, VIII, IX et X).
Comme dans le protocole de Sandy nous remarquons qu’Amélie a tendance à mettre
l’accent sur la dimension subjective de son propre vécu notamment pour expliquer ses
réponses lors de l’enquête (Pl. I, II, IV, V et VI). Nous avons mentionné précédemment (pour
Sandy) qu’il s’agit du recours à certains éléments de la réalité interne comme défense contre
l’émergence d’autres éléments de cette réalité interne. Par ailleurs son protocole met aussi en
évidence une labilité des réactions émotionnelles en rapport avec la qualité chromatique des
planches, planche I elle dit « un papillon […] il a l’air seul, il est sombre », nous pouvons
penser qu’il y a un lien entre le côté sombre de la planche et la solitude.
Concernant les facteurs spécifiques, nous notons que (comme pour Sandy) son
protocole présente un G % élevé (75 %) signifiant un souci de maîtrise du matériel et surtout
41 Les réponses Clob témoignent d’une grande réceptivité à tout ce qui est émotions pénibles. 42 Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte.
46
une nécessité de mainmise sur les désirs et de contrôle des émergences pulsionnelles
considérées comme dangereuses.
Nous pouvons relever aussi un F % élevé (75 %) qui met en évidence une mise à
distance des aspects affectifs, ainsi qu’un renforcement des limites.
Le TRI est introversif pur ce qui signifie qu’Amélie peut facilement se laisser absorber
dans son propre imaginaire et que son monde interne imaginaire prend le pas sur la réalité
extérieure. Les sujets dont le TRI est introversif pur sont des personnes centrées sur
elles-mêmes.
Dans le protocole d’Amélie il y a une absence de réponses couleurs, il semble pourtant
qu’elle ne soit pas indifférente à ce stimulus puisqu’elle réagit aux planches compactes noires
(Pl. I et IV) en voyant de la solitude, ainsi qu’à la planche II pour laquelle elle voit de la joie
(déplacement de la violence du rouge vers un sentiment de joie). En revanche elle ne réussit
pas à donner de réponse à la planche III (choc au rouge), qui est aussi une planche rouge
invitant à la représentation de relations.
Nous terminerons cette étude par le protocole de Cynthia. Concernant les
manifestations hors réponses, nous notons comme pour Amélie la présence de blocages
associatifs aux planches I, II, VIII et X où elle termine ses réponses par « c’est tout ». Nous
relevons aussi l’utilisation de commentaires tels que : « je ne me dépêche pas ? » (Pl. I) ou
« je dis au hasard, c’est dur » (Pl. II), ceux-ci peuvent permettre au sujet une mise à distance
de représentations gênantes.
Dans les réponses nous remarquons un anonymat des personnes humaines ainsi qu’une
absence d’action, tout semble figé. Malgré un nombre moyen de réponses, de nombreuses
persévérances sont présentes (beaucoup de réponses masques, animal, feuilles), celles-ci
47
témoignent d’une lutte contre une implication projective ressentie comme dangereuse
(procédés marquant l’inhibition).
Les déterminants sont dominés par l’apparition de réponses formelles (F % = 80 %),
signant comme pour Sébastien et Amélie, une mise à distance des aspects affectifs.
Les réponses « pars pro toto » (élargissement d’un seul détail à tout l’ensemble sans
tenir compte des autres détails) sont assez fréquentes (Pl. I : « un scarabée, pour les
crochets ») et montrent l’incapacité à désagréger les ensembles perçus d’une façon sommaire
et schématique. Cette façon d’élaborer des réponses peut être en lien avec une difficulté dans
la construction d’une forme bien délimitée. Cynthia semble avoir une grande difficulté à
trouver des formes bien délimitées et ceci est mis en évidence par la présence de neuf
mauvaises formes.
Par ailleurs l’utilisation fréquente des lacunes présentes aux planches I, II, VII et IX,
vient renforcer cette hypothèse d’une fragilité des limites pouvant être en lien, comme nous
l’avons vu précédemment avec une carence dans la relation au premier objet.
48
Conclusion
Notre postulat de départ, dans ce travail de recherche était que la dyslexie ne se
limitait pas à un trouble du langage écrit, et qu’elle était en lien avec un trouble plus large de
la perception, ainsi qu’avec une difficulté dans la mise en place des relations objectales.
Nous avons pu montrer au moyen du Rorschach qu’Amélie, Cynthia, Sandy et
Sébastien présentaient des difficultés d’analyse du matériel, ainsi que de mise en relation des
différents éléments. Une tendance à la « synthèse abusive » semble confirmer une difficulté à
passer au stade analytique. Nous avons mis en évidence un fort attachement au réel (nombre
élevé de déterminants formels et peu de réponses) pouvant traduire un souci de maîtrise du
matériel. Au travers de nos observations, nous avons remarqué une attitude plutôt réservée
dans la relation, ainsi que des difficultés dans la projection de relations.
L’étude de la relation à l’imago maternelle a permis de dégager une insécurité dans la
relation à l’objet précoce, celle-ci étant en lien avec une enveloppe corporelle poreuse et
fragile.
L’analyse de la représentation de soi ainsi que des mécanismes de défense nous a
permis de comprendre qu’Amélie, Cynthia, Sébastien et Sandy présentaient, chacun à leur
façon, des failles dans les limites de leur corps propre. Ceci traduit ainsi une fragilité du moi
et permet de mieux comprendre cette difficulté à construire des relations et ainsi à accéder à
l’apprentissage de la lecture, qui se fait dans une situation de relation asymétrique entre un
élève et un adulte possédant le savoir.
Dans notre pratique de COP, nous pensons avoir un rôle à jouer dans l’aide à
l’adaptation et à la réussite scolaire des élèves. Par notre spécificité de psychologue, nous
49
devons accompagner l’élève dans son adaptation tant sur le plan du travail que sur le plan
affectif. Nous avons en effet comme préoccupation de considérer le jeune non seulement en
tant qu’élève mais en tant que sujet vivant aussi à l’extérieur du champ scolaire.
Les pratiques pédagogiques nécessitent d’être adaptées aux caractéristiques
personnelles des élèves, autrement la formation à l’autonomie risque d’être compromise.
Dans ce cadre là, ce travail de recherche sur la dyslexie a été intéressant à plusieurs
titres :
- D’une part, il a participé à l’accroissement de notre compréhension de la spécificité
de la relation du sujet dyslexique à son environnement.
- D’autre part, en tant que COP, nous pouvons nous intéresser à la démarche
pédagogique adoptée par les établissements scolaires et par les enseignants accueillant des
élèves dyslexiques. Il peut être mis en place pour l’élève dyslexique un projet d’accueil
individualisé (PAI), dans lequel nous avons certainement un rôle à jouer.
50
Références Bibliographiques
Ouvrages
Anzieu, D., & Chabert, C. (1997). Les Méthodes projectives (11è éd.). Paris : PUF.
Beizmann, C. (1966). Livret de cotation des formes dans le Rorschach. Paris :
Editions du Centre de Psychologie appliquée.
Bergeret, J. & coll. (1998). Psychologie pathologique théorique et clinique (7e éd.).
Paris : Masson.
Bénony, H., & Chahraoui, K. (1999). L’entretien clinique. Paris : Dunod.
Binswanger, L. (1998). Le problème de l’espace en psychopathologie. Toulouse :
Presses universitaires du Mirail (PUM).
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Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation
psychanalytique. Paris : Dunod.
Chabert, C. (1987). La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach. Paris : Dunod.
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Paris : Nathan.
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Mucchielli, R., & Bourcier, A. (1963). La Dyslexie maladie du siècle. Paris :
Editions Sociales Françaises.
Rausch de Traubenberg, N. (1990). La Pratique du Rorschach (6è éd.). Paris : PUF.
51
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et environnement. Paris : Payot.
Chapitres d’ouvrage
Valdois, S. (2000). Pathologies développementales de l’écrit. In M. Kail & M.
Fayol. Le langage en développement au-delà de trois ans. (p. 247-273). Paris : PUF.
Articles de journal
Fijalkow, J. (2002). Dyslexie : Le retour. VEI Enjeux, 126, 148-165.
Habib, M., Robichon, F., & Démonet, J. F. (1996). Le singulier cerveau des
dyslexiques. La Recherche, 289, 80-85.
Habib, M. (2002). Bases neurologiques des troubles spécifiques d’apprentissage.
Réadaptation, 486, janvier 2002, 16-28.
Valdois, S. (2002). Approche cognitive des dyslexies développementales.
Réadaptation, 486, janvier 2002, 29-31.
Textes officiels
Ministère de l’Education Nationale : rapport de J.-C. Ringard. « A propos de
l’enfant dysphasique et de l’enfant dyslexique ». Juillet 2000.
Circulaire du 31-1-2002 : « Mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants
atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit », BOEN n°6 du 7-2-2002.
52
Annexe 1 : Autorisation chefs d’établissements
Université de Provence (Aix-Marseille I)
Centre de Formation des Conseillers d’Orientation Psychologues
Madame, Monsieur,
Dans le cadre de mon année de formation et en raison de mon rattachement au CIO
de……………………., je me permets de vous solliciter pour effectuer une étude sur le thème
de la dyslexie auprès de certains élèves de votre établissement. Le but de cette étude étant de
parvenir à une meilleure compréhension des difficultés d’adaptation que peuvent rencontrer
les élèves dyslexiques en milieu scolaire.
Cette recherche va consister à une investigation psychologique à l’aide d’un entretien
et d’un test. La fréquence des entrevues sera de deux séances dont la durée sera environ d’une
heure chacune.
Je soussigné(e).………………………………………………………………., Principal(e) du