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צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

Jan 20, 2023

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Jean Maurais
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FACULTÉ DE THÉOLOGIE ÉVANGÉLIQUE

UNIVERSITÉ ACADIA

Juillet 2013

© Jean Maurais, 2013

צדק et צדקהUne analyse lexicale et sémantique

Jean Maurais

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Maître ès Arts (Théologie)(M. A. Théologie)

À la Faculté de théologie évangélique

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IDENTIFICATION DES MEMBRES DU JURY

Ce mémoire de maîtrise intitulé

צדק et צדקהUne analyse lexicale et sémantique

présenté par :

Jean Maurais

a été évalué par uni jury composé des personnes suivantes :

M. Amar Djaballah , président

M. Gerbern S. Oegema , Examinateur externe

M. Daniel C. Timmer , Directeur du mémoire

Ce mémoire a été accepté le par la Faculté de théologie

évangélique (Université Acadia) pour le grade de Maître ès Arts (Théologie)

Page 4: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

ii

AUTORISATION DE DIFFUSION

Je, soussigné, atteste que le présent travail, remis comme mémoire de maitrise à la

Faculté de théologie évangélique (Montréal), Université Acadia, constitue ma propriété

intellectuelle personnelle. Ce n'est pas le résultat d'un plagiat et il n'a pas été obtenu par des

procédures contraires à l'éthique universitaire. J'autorise la Faculté à déposer un exemplaire

dans sa bibliothèque, un exemplaire dans la bibliothèque de l'université Acadia, et à envoyer

un exemplaire à la Bibliothèque nationale du Canada à Ottawa.

De plus, j'autorise le micro filmage et micro fichage de mon mémoire ainsi que d'autres

moyens de diffusion pour des fins non commerciales.

_______________________________________________Signature de l’étudiant

____________________________________Date

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iii

SOMMAIRE

Certains mots du vocabulaire d’hébreu biblique présentent un défi de traduction

important pour les exégètes et lexicographes. Il en est ainsi des mots habituellement traduits

par « justice » que l’on retrouve dans la Bible hébraïque sous deux formes : צדק et .צדקה

Leurs divers usages, qui ont longtemps troublé les spécialistes, expliquent les nombreuses

théories avancées pour comprendre leur sens et relier ces usages ensemble.

Malheureusement, plusieurs de ces études ont été faites en l’absence de principes

linguistiques solides et dans le but d’extraire une théologie du mot. Il s’ensuit une confusion

entre le mot, ses divers usages et la notion plus large de justice.

Les recherches des dernières décennies dans le domaine de la cognition humaine ont

contribué à plusieurs avancées au niveau de la linguistique. La linguistique cognitive et sa

théorie des cadres cognitifs, sa catégorisation à l’aide de schémas et de prototypes permet

d’aborder le problème de la polysémie d’un angle différent en examinant la manière dont le

cerveau humain catégorise et schématise l’information. La linguistique cognitive met à notre

disposition des outils qui nous permettent d’évaluer les contextes d’usage d’un mot de même

que les similitudes et les différences entre ces différents usages. Nous avons donc un autre

moyen à notre disposition pour analyser non seulement le sens précis des mots צדק et

,צדקה mais aussi la question d’un sens commun reliant leurs divers usages.

Bien qu’il s’agisse d’une étude de mot, notre analyse nous conduit à examiner

certaines notions qui se rattachent à l’emploi de ces mots. Ainsi, l’analyse lexicale faite à

l’aide des cadres contextuels permet de mieux comprendre le rôle de divers mots qui sont en

cooccurrence avec צדק et צדקה tout en précisant les limites des conclusions qui peuvent

être tirés d’une telle approche.

Page 6: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

iv

TABLE DES MATIÈRES

Identification des membres du jury ____________________________________________________ i

Autorisation de diffusion ___________________________________________________________ ii

Sommaire________________________________________________________________________ iii

Table des matières _________________________________________________________________ iv

Liste des tableaux _________________________________________________________________ vi

Liste des figures__________________________________________________________________ vii

Remerciement ___________________________________________________________________ viii

Introduction______________________________________________________________________ 1

Chapitre 1

Historique des études portant sur צדק et צדקה _________________________________________ 5

1.1. Études d’importance _____________________________________________________ 5

1.2. Les dictionnaires et lexiques ______________________________________________ 13

1.3. Évaluation _____________________________________________________________ 16

1.4. Conclusion _____________________________________________________________ 22

Chapitre 2

L’approche proposée______________________________________________________________ 24

2.1. Justification des principes linguistiques essentiels_____________________________ 29

2.2. Apport de la linguistique cognitive _________________________________________ 34

2.3. Champs lexicaux et cadres contextuels______________________________________ 37

2.4. La définition du cadre ___________________________________________________ 42

2.5. Délimitation de l’étude ___________________________________________________ 45

2.6. Conclusion _____________________________________________________________ 47

Chapitre 3

Analyse des textes ________________________________________________________________ 49

3.1. L’administration équitable du droit ________________________________________ 51

3.2. La manière dont on se comporte avec autrui (conduite, pratique) _______________ 55

3.3. Légitimité d’une revendication devant un juge _______________________________ 61

3.4. Un acte qui délivre de l’oppression, habituellement en réponse à une revendication 62

3.5. Un état de fait découlant de l’obéissance ou rétabli par la délivrance ou le jugement 66

3.6. Qualité de celui qui agit de manière droite et intègre __________________________ 68

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v

3.7. Un statut ou mérite accordé devant YHWH _________________________________ 72

3.8. Conformité des sacrifices aux attentes ou instructions _________________________ 76

3.9. Exactitude d’une mesure _________________________________________________ 77

3.10. Conclusion _____________________________________________________________ 79

Chapitre 4

Synthèse ________________________________________________________________________ 81

4.1. Une abstraction de צדק et צדקה __________________________________________ 83

4.2. Polysémie ou non________________________________________________________ 90

4.3. Conclusion _____________________________________________________________ 96

Conclusion______________________________________________________________________ 99

Bibliographie ______________________________________________________________________v

Attestation concernant l’usage de matériel sous copyright _________________________________ x

Page 8: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

vi

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 3.1 Cadre contextuel pour l’usage « Rectitude des jugements »_________________ 53

Tableau 3.2 Cadre contextuel pour l’usage « Conduite droite et intègre » _______________ 59

Tableau 3.3 Cadre contextuel pour l’usage « Revendication légitime » __________________ 62

Tableau 3.4 Cadre contextuel pour l’usage « Délivrance de l’opprimé »_________________ 65

Tableau 3.5 Cadre contextuel pour l’usage « État de justice rétabli » ___________________ 68

Tableau 3.6 Cadre contextuel pour l’usage « Qualité d’intégrité d’une personne » ________ 72

Tableau 3.7 Cadre contextuel pour l’usage « Statut moral/légal » ______________________ 75

Tableau 3.8 Cadre contextuel pour l’usage « Conformité d’un sacrifice » _______________ 77

Tableau 3.9 Cadre contextuel pour l’usage « Conformité des poids et mesures »__________ 78

Tableau 4.1 Éléments des divers cadres contextuels__________________________________ 84

Page 9: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

vii

LISTE DES FIGURES

Figure 2.1 Relations mot - chose__________________________________________________ 28

Figure 2.2 Relations mots - notions _______________________________________________ 28

Figure 3.1 Répartition des usages de צדק et ___________________________________צדקה 79

Figure 4.1 Réseau sémantique de צדק et ______________________________________צדקה 82

Figure 4.2 Les différents degrés de polysémie_______________________________________ 93

Figure 4.3 Facettes de צדקה/צדק _________________________________________________ 94

Page 10: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

viii

REMERCIEMENT

Il est impossible de compléter un projet de ce genre sans la contribution significative de

plusieurs personnes. Je tiens premièrement à remercier ma chère épouse qui m’a

accompagné tout au long de cette démarche en supportant patiemment les nombreuses

heures passées à travailler sur ce projet écrit.

Mon directeur Daniel Timmer a aussi joué un rôle indispensable dans l’achèvement de

ce projet par son encouragement continuel, sa grande disponibilité et ses commentaires

toujours pertinents. Sans le savoir, sa passion pour l’Ancien Testament a indirectement

contribué à m’orienter il y a quelques années vers l’étude de cette partie des Écritures. Ce fut

d’autant plus une surprise lorsqu’il devint disponible pour superviser mon travail, comme quoi

rien n’échappe à la providence divine. Merci !

Je suis aussi reconnaissant pour l’aide de Reinier de Blois qui a bien voulu prendre le

temps de lire les sections de ce travail portant sur l’application de la linguistique cognitive.

Finalement, je tiens aussi à remercier notre doyen et son épouse, Amar et Jeanne Djaballah.

Par leur dévouement, leurs conseils et encouragements tout au long de mon programme, ils

ont grandement encouragé chez moi (et plusieurs autres) un amour pour la Bible et notre

Seigneur.

לא לנו יהוה לא לנו כי־לשמך תן כבוד על־חסדך על־אמתך

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INTRODUCTION

L’exégète du texte biblique fait parfois face à des situations où les dictionnaires et

lexiques ne sont pas d’une grande aide puisqu’ils proposent un éventail de sens difficile à

manier. Leurs définitions sont brèves et ne fournissent aucune justification. De plus, ces

attributions de sens ne sont que l’interprétation d’un individu ou d’un groupe de personnes

dont les méthodes de travail ne sont pas toujours au fait des avancées linguistiques1. Il

devient donc difficile de savoir sur quelle base nos choix doivent s’opérer.

Un de ces mots occupe une place importante dans le vocabulaire biblique. Il s’agit du

mot habituellement traduit par « justice » que l’on retrouve dans l’Ancien Testament sous

deux formes, l’une masculine, l’autre féminine : צדק et .צדקה Bien que plusieurs de leurs

occurrences ne causent pas de difficultés de compréhension, d’autres sont davantage

problématiques. Nous retrouvons alors souvent dans les lexiques des variations importantes

quant au sens proposé, en particulier lorsqu’il est question d’identifier son sens fondamental.

De plus, comme ces termes sont essentiels à la compréhension de la religion, l’éthique et la

culture de l’Israël ancien, ils ont souvent été étudiés pour tenter d’y retirer une théologie, une

notion de justice telle que comprise par ce peuple.

Cette dernière approche mène à d’autres problèmes puisque qu’elle est souvent

accompagnée de l’erreur qui consiste à confondre un mot hébreu avec une notion à laquelle

il se rapporte. Les efforts constants de délimiter un « sens premier » pour une famille de mots

comme צדק et צדקה s’est souvent fait dans l’ignorance de la réalité de la langue, c’est-à-

dire qu’un mot possède souvent plus d’un sens (polysémie) et que ceux-ci ne sont pas

1 Ceux-ci s’appuient la plupart du temps sur le travail de leurs prédécesseurs, qui n’est pas à négliger pour autant.Voir les commentaires de Silva à cet effet dans Moisés SILVA, Biblical Words and their Meaning : An Introduction to Lexical Semantics, Grand Rapids, Zondervan, 1994, p. 137‑138.

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2

toujours reliés entre eux. De plus, il est commun, comme nous le verrons, d’imposer des

catégories d’usage provenant d’un système théologique ou des préférences du chercheur

plutôt que de tenter de les faire émerger par l’étude inductive du texte. Bien qu’il soit

maintenant communément admis que ces mots disposent d’usages variés, leur traduction ne

va pas de soi. Une consultation sommaire de diverses traductions sur quelques textes précis

(Dt 6.25 et Es 56.1 par exemple) aura tôt fait de démontrer cet état de fait. De même, il n’est

pas toujours évident de savoir s’il faut distinguer entre קצד et .צדקה Bien que ces

considérations soient certainement reliées à notre projet, notre visée est plus fondamentale.

L’objectif de cette étude est l’analyse des mots hébreux קצד et צדקה à l’aide des outils

les plus récents de la sémantique lexicale. En cours de route, nous nous pencherons sur la

méthode appropriée pour entreprendre une telle étude, ainsi que la contribution de la

linguistique cognitive quand vient le temps d’élucider le sens de mots qui ont une riche

tradition exégétique mais dont le contenu sémantique demeure contesté. Il ne suffit pas de

dire que צדקה signifie justice, puisque ce mot (ou le mot righteousness en anglais) a acquis

un bagage théologique important2. Notre priorité est plutôt d’expliquer le sens de ces mots

par leur usage et, dans la mesure du possible, d’identifier les notions évoqués par ces mots

chez les auteurs des textes bibliques. Il s’agit d’une étude lexicale puisqu’elle s’intéresse à

l’étude du vocabulaire d’une langue particulière, ici l’hébreu biblique. Il est aussi question de

sémantique puisque l’on s’interroge sur le sens et les notions symbolisés par les mots ainsi

que le contexte cognitif dans lequel ils sont employés. Nos préoccupations sont celles de la

sémantique lexicale, bien résumées par Anthony Thiselton il y a maintenant quelques

décennies :

2 Le mot justice en français comporte plusieurs nuances qu’il convient aussi de distinguer.

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3

Semantics […] raises explicit questions about such issues as synonymy, multiplemeaning, types of semantic opposition, kinds and degrees of vagueness andambiguity, change of meaning, cognitive and emotive factors in meaning, and soon3.

La linguistique cognitive est une branche récente de la linguistique moderne qui est en

développement constant et dont les avancées ne font que commencer à être appliquées

dans le domaine de la recherche biblique. La sémantique lexicale cognitive tente d’aller au-

delà de simples définitions de type « dictionnaire » en mettant en évidence la nature

encyclopédique du sens. Nous tenterons d’appliquer certains principes de cette discipline afin

d’identifier les éléments qui font partie du contexte de chaque occurrence et qui sont utiles

pour catégoriser les usages. Ces cadres contextuels nous seront utiles pour déterminer les

relations entre les divers usages des mots hébreux קצד et צדקה et ainsi clarifier la question

de la polysémie. Nous pourrons ainsi déterminer s’il existe une définition commune pour ces

mots et la nature de celle-ci. Voilà les questions qui sont au cœur de notre travail. Il s’agit

d’identifier les différents usages de ces mots afin d’être en mesure de décrire ce qui distingue

un usage d’un autre. C’est ici que nous croyons que notre travail peut apporter une

contribution intéressante et utile dans le domaine des études bibliques et plus spécifiquement

les études lexicales.

Il devient par le fait même évident qu’il ne s’agit pas ici d’une étude théologique, mais

lexicologique. Nous nous intéressons premièrement au sens de ces mots et non à celui de

l’enseignement biblique sur la notion de justice. Bien que dans le cadre d’une analyse

cognitive nous nous intéressons aussi au monde conceptuel des auteurs, notre étude reste

centrée sur deux mots en particulier. Une telle étude peut servir de point de départ lorsqu’il

3 Anthony THISELTON, « Semantics and New Testament Interpretation », in I. H. MARSHALL dir., New TestamentInterpretation, Exeter, Paternoster Press, 1977, p. 75.

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4

est question de décrire la notion de justice dans l’Israël ancien, mais cette notion dépasse

largement l’emploi des mots קצד et צדקה et donc le cadre de ce travail.

Dans le premier chapitre, nous effectuerons un survol puis une évaluation de diverses

études portant sur קצד et צדקה ainsi que l’approche de certains lexiques et dictionnaires. Au

chapitre suivant, nous décrirons notre méthodologie ainsi que les principes linguistiques qui

la soutiennent. Le chapitre 3 occupera une place centrale dans ce travail alors que nous

examinerons les 276 occurrences des mots קצד et צדקה dans le but de catégoriser chacun

de leurs usages. Le chapitre 4 présentera une synthèse de ce qui a été découvert et

proposera une réponse à la question de la relation entre les divers sens de קצד et .צדקה

Nous terminerons en revenant sur la question principale de notre travail, à savoir celle de la

contribution de la linguistique moderne et particulièrement de la linguistique cognitive à la

compréhension des mots קצד et .צדקה La linguistique cognitive est-elle utile lorsque vient le

temps d’identifier les variations de sens d’un mot et peut-elle nous aider à trancher le débat

entourant le « sens premier » de ces mots ?

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5

CHAPITRE 1

Historique des études portant sur צדק et צדקה

Les mots קצד et צדקה ont fait l’objet de nombreuses études, particulièrement dans les

premières décennies du 20ième siècle alors que les études de mot étaient particulièrement

prisées. Nous observons en fait deux grandes tendances, l’une très influencée par les

courants théologiques dans les décennies précédant 1980, et l’autre dans les décennies qui

suivent et marquée d’efforts tentant d’intégrer des méthodes d’analyse issues de la

linguistique moderne. Nous n’allons pas fournir ici un inventaire complet des recherches dans

ce domaine puisque cela a déjà été fait4. Nous nous contenterons de définir

chronologiquement les grandes lignes tout en soulignant les tendances et approches

distinctives parmi les contributions les plus importantes. Ce survol des études d’importance

sera suivi de l’examen de quelques dictionnaires dont les approches diffèrent

considérablement, afin de nous situer par rapport à ce qui a été fait jusqu’à présent et de

souligner les points positifs de chacun dans l’évaluation qui suivra.

1.1. ÉTUDES D’IMPORTANCE

Plusieurs études ont été écrites sur ce sujet par les savants européens depuis la fin du

19ième siècle. E. Kautzsh (1881) définit les mots de la racine צדק comme signifiant la

conformité à une norme (Normgemässheit), notion qui fut reprise et raffinée par l’étude de F.

4 On trouvera un survol assez complet de la recherche allemande et scandinave dans Bent MOGENSEN, « Sedāqā in the Scandinavian and German Research Traditions », in The Productions of Time: Tradition History in Old

Testament Scholarship, Sheffield, Almond Press, 1984, p. 67‑80. Plus récemment, J. J Scullion et Mark Seifridoffrent aussi un survol de la recherche, quoi que beaucoup plus bref. Voir J. J. SCULLION, « Righteousness (Old

Testament) », in Anchor Bible Dictionary, New York, Doubleday, coll. vol. 5, 1992, p. 724‑736. De même, MarkA. SEIFRID, « Righteousness Language in the Hebrew Scriptures and Early Judaism », in Justification andVariegated Nomism Vol. 1, The Complexities of Second Temple Judaism, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. vol. 1,

2001, p. 415‑442.

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6

Nötscher5. Partant de cette définition, ce dernier analyse de manière assez sommaire les

instances des mots issus de la racine צדק chez les prophètes, afin d’identifier le type de

conformité en question6. Cette correspondance à une norme prend surtout la forme d’actions

dans les domaines juridiques, éthiques ou religieux de la vie. Dans le domaine juridique, il

prend le sens d’un exercice impartial du droit. Dans le domaine éthique, on parle plutôt de

droiture, d’intégrité (righteousness), tandis que dans le domaine religieux, Nötscher

comprend ces termes sous le sens de piété7. Déjà à cette époque, on observe que deux

conceptions distinctes de justice sont décrites par les mots de la famille צדק : la justice

distributrice ou punitive (justicia distributiva) et la justice salutaire (justicia salutifera).

L’histoire de l’étude de ces mots se veut une fluctuation entre ces deux concepts.

Cette définition normative fut présentée en réaction à une interprétation concurrente,

popularisée par Albrecht Ritschl, qui contestait que צדקה ait un lien quelconque avec une

justice punitive. Ritschl cherchait plutôt à comprendre toutes les instances de ce nom sous le

sens de « recherche du bien-être du peuple de Dieu », c’est-à-dire le salut que YHWH

apporte aux siens. En conséquence, il s’agit d’une justice salutaire qui est synonyme de

hesed, la bienveillance du Dieu de l’alliance8.

Le théologien danois Johs. Pederson poussa cette notion plus loin en décrivant צדקה

ainsi : « The soul must be healthy in order to be able to develop in complete harmony; the

Israelites term this sort of health ‘justice’,…the spiritual attribute by means of which peace is

5 Friedrich NÖTSCHER, Die Gerechtigkeit Gottes bei den vorexilischen Propheten: Ein Beitrag zuralttestamentlichen Theologie, Münster, Aschendorff, coll. « Alttestamentliche Abhandlungen », n° 6.1, 1915,125 p. Voir le compte-rendu dans Bent MOGENSEN, op. cit., p. 68.6 Voir les commentaires à cet effet dans Jože KRAŠOVEC, La justice (SDQ) de Dieu dans la Bible hébraïque etl’interprétation juive et chrétienne, Freiburg-Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « OBO », n° 76, 1988,

p. 12‑13.7 Bent MOGENSEN, op. cit., p. 69.8 Ibid., p. 71.

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7

achieved»9. Cette paix ne s’exerce pas seulement chez l’individu, mais aussi dans la

collectivité. Cette communauté essentielle aux relations humaines est communauté

d’alliance : Il y a une alliance « naturelle » entre parents, amis, voisins, etc. Ainsi, la justice

devient la paix de l’âme au-travers du maintien de l’alliance10

. Puisque l’harmonie sociale

s’effritera, comme les prophètes préexiliques nous le confirment, et que les pauvres ne

pourront plus se faire justice, ce rôle incombera à YHWH. Quand à ,צדקה/צדק ils dénotent

une qualité intérieure inhérente à YHWH et l’homme. James Barr ne manquera pas de

critiquer l’approche psychologisante de Pedersen, ce dernier étant l’un des principaux

acteurs parmi ceux qui tentait de déceler une « mentalité hébraïque » au-travers de la

structure de sa langue11

.

Fahlgren reprendra la thèse de Pedersen pour appuyer davantage sur l’aspect

communautaire de .צדקה Pour lui, ce terme a pour sens le maintien de l’alliance, c’est-à-dire

le maintien de la communauté12

. Il s’agit de la norme régissant les relations sociales13

. À

noter que l’étude de Fahlgren porte une attention particulière aux synonymes de ,צדקה

notamment ceux qui visent aussi la fidélité à la communauté. Malgré tout, il s’agit plutôt d’une

9 Johannes PEDERSEN, Israel, Its Life and Culture, London, H. Milford, Oxford University Press, coll. I-II, 1926,p. 336. Comme le note Mogensen, Pedersen avait une conception assez particulière de l’âme (nephesh) qu’ilconsidérait comme synonyme avec la personne. La justice est donc un attribut de l’âme (the soul) qui lui donnel’habileté d’agir selon sa nature, c’est-à-dire de se réaliser pleinement. Voir Bent MOGENSEN, op. cit., p. 72.10 Bent MOGENSEN, op. cit., p. 72. Comme le notera Mogensen, il s’agit d’alliance au sens large et non dans lesens biblique.11 Voir les nombreuses références de Barr à Pedersen dont celle-ci: “In his discussion…we see the sameweaknesses […] : the fastening on to a particular piece of data which appears to harmonize with the theologicallyor psychologically valuable thoughts, the failure to test the suggestions against the linguistic data as a whole, andthe belief that the linguistic structure reveals the relations of ideas or objects as the Israelites understood them.”Ces observations sont faites dans le contexte d’une étude sur le sens du verbe hemin (croire) qui, parce qu’ils’agit d’un verbe au Hif’il, doit avoir selon Pederson un élément causatif dans son sens. Cet élément de syntaxedoit révéler la manière de penser des Israélites. Voir James BARR, The Semantics of Biblical Language, Eugene,

Wipf & Stock, (1961), 2004, p. 181‑184. La discussion au sujet de la relation entre les multiples sens du mot

dabar est aussi très instructive pour notre sujet. Voir Ibid., p. 134‑140. La monographie de Barr est disponible enfrançais : James BARR, Sémantique du langage biblique, Paris, Cerf, (1970), 1988, 346 p.12 K. H. FAHLGREN, Sedākā nahestehende und engegengesetzte Begriffe im Alten Testament, Uppsala, Almqvist& Wiksells, 1932, p. 78.13 Ibid., p. 82.

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8

revue statistique des termes qu’un éclaircissement de leur signification14

. C’est donc sans

surprise que nous constatons que sa définition de צדקה se rapproche davantage de la

justitia salutifera, particulièrement lorsqu’il est question de la צדקה de YHWH.

Cette compréhension de /צדק צדקה aura une influence importante sur la génération de

savants qui suivra, de Mowinckel à von Rad : צדקה est étroitement associée à l’alliance

(ברית) puisqu’on comprend la justice presque exclusivement sous sa dimension alliancielle,

relationnelle et salutaire15

. Le sens judiciaire et punitif de /צדק צדקה est plutôt considéré

comme étant un développement tardif attribuable au judaïsme. Ce serait seulement à ce

stade de l’évolution de la religion juive que la racine צדק deviendrait associée à l’observance

des commandements de l’alliance. En valorisant un sens « original » au dépend d’un sens

« dérivé » associé au judaïsme, cette ligne de pensée rejoint en tout point l’évaluation faite

par Wellhausen de la religion israélite plusieurs décennies auparavant16

. La perception

négative de l’aspect sacerdotal et légal de la religion israélite, alors associée au judaïsme

naissant, mène à un rejet de la conception légale de .צדקה Après tout, cette dérive n’est

qu’une représentation de la mort lente de la vraie religion israélite, qui elle, doit être le centre

d’attention du chercheur.

Pour von Rad, la צדקה de YHWH est comprise comme don salutaire : Il est donc

inconcevable que celle-ci ait pu menacer Israël. Conséquemment, צדקה est beaucoup plus

qu’une qualité possédée par un individu, mais un don, une puissance qui vient en aide au

14 Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 18.15 Bent MOGENSEN, op. cit., p. 73‑75. Mogensen décrit le décalage qui s’est fait à partir de la définitiongénérique “d’alliance” faite par Pedersen vers une application de ce concept à l’alliance avec YHWH dans lecontexte Israélite.16 Voir les nombreux passages en ce sens en Julius WELLHAUSEN, Prolegomena to the History of Ancient Israel.With a Reprint of the Article, Israel, from the Encyclopedia Britannica by Julius Wellhausen., New York, TheWorld Publishing Co., 1957, p. 81, 100, 405 .

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9

peuple17

. Par contre, lorsqu’il est question de la צדקה de l’individu ou d’Israël, la situation est

beaucoup plus complexe. Elle pourrait être décrite comme l’observance des dispositions

légales et rituelles de l’alliance, qui sont la manifestation concrète des exigences de la

communauté18

. Cette conception est reprise et élaborée par son étudiant, Klaus Koch, pour

qui la justice d’un individu est aussi décrite comme fidélité à la communauté de l’alliance19

.

H. H. Schmid bousculera ce consensus avec la parution en 1968 d’un ouvrage

consacré à cette question20

. Dans celui-ci, Schmid avance que l’idée de fidélité à la

communauté n’est pas suffisante parce qu’elle ne tient pas compte de toute la portée

sémantique de .צדקה Il place plutôt l’emphase sur la justice comme étant un « ordre

universel » (Weltordnung) qui se manifeste dans six domaines différents, trois de ceux-ci

n’étant pas particulièrement soulignés parmi les définitions jusqu’alors avancées : le culte, la

nature, et la fertilité21

. Avant même d’étudier les textes bibliques, Schmid analyse les religions

environnantes pour déterminer leur conception de l’ordre universel. Il applique ensuite ce

concept à la religion israélite et procède à l’analyse des textes contenant des références aux

mots issus de la racine .צדק Selon Schmid :

One can say then with a certain simplification: the interpretation of ṣdq as ‘conformity to a norm’ is clearly close to the original meaning and usage of ṣdq;

17 Gerhard VON RAD, Old Testament Theology (vol 1)  : The Theology of Israel’s Historical Traditions., NewYork, Harper & Row, 1962, p. 377. Les pages 370-383 portent sur ce sujet. La traduction française de cetteouvrage s’intitule Gerhard VON RAD, Théologie de l’Ancien Testament. Théologie des traditions historiquesd’Israël, Genève, Labor et Fides, 1963, 445 p.18 Krašovec résume l’argument de von Rad ainsi: “La première caractéristique fondamentale de la notionhébraïque de la justice est de ne pas être définie par une norme éthique idéale et absolue mais par une relationcommunautaire (Gemeinschaftsverhältnis) de chaque instant. Le juste est celui qui en conformité avec lesexigences de la communauté. » Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 14.19 Klaus KOCH, ṢDQ im Alten Testament, Universität Heidelberg, Heidelberg, 1953, 128 p. Voir encore ici lasynthèse de Mogensen en Bent MOGENSEN, op. cit., p. 76‑79. Koch avait aussi repris une idée lancée plus tôtcomme quoi צדק et צדקה auraient pu être des noms de divinités. Ceci aurait été repris par Israël, conférant ainsià צדקה une sorte d’existence indépendante et autonome. C’est ainsi qu’on explique des textes tels que Ps 85.11.Voir Klaus KOCH, op. cit., p. 15.20 H. H. SCHMID, Gerechtigkeit als Weltordnung: Hintergrund und Geschichte des altestamentlichenGerechtigkeitsbegriffes, Tübingen, Mohr, coll. « BHT », n° 40, 1968, 203 p.21 Les trios autres domaines sont : Loi, sagesse et royauté.

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10

the translation, ‘community loyalty’, however, embraces better the concreteapplication by the OT in a great number of cases. A survey of the history ofscholarship clarifies the basic problem of OT language which comes nicely intofocus in the case of ‘righteousness’: a distinction must be made between the

original Canaanite idea and its usage in the OT22

.

L’élément le plus intéressant de l’approche de Schmid est sa manière de voir la racine

צדק comme une idée abstraite qui prend plusieurs formes dans divers contextes. Il y a là une

ressemblance intéressante avec l’approche que nous décrirons plus tard23

. Mais comme J. J.

Scullion l’observe, en parlant d’une idée ou d’un concept ,צדק Schmid court le danger

d’imposer une même notion à tous les mots issus de la racine .צדק De plus, on doit se

demander si l’usage des mots de cette racine se distribue nettement dans les six domaines

mentionnés24

.

D’autres études suivront et tenteront de bâtir sur ces premières. Notons

particulièrement celle de Reventlow qui parle de צדקה/צדק comme étant l’ordre mis en place

par YHWH, ainsi que ses interventions salutaires instaurant ou restaurant cet ordre25

. L’étude

de Frank Crüsemann tentera pour sa part d’éclaircir la question de la צדקה de YHWH de

manière diachronique26

. L’action du Dieu d’Israël prend une forme différente selon les

époques : Délivrances militaires à l’époque pré-monarchique, la rectitude du culte et le

secours de l’individu en détresse à l’époque monarchique, puis l’action salvifique de YHWH

dans un horizon lointain à l’époque exilique27

. L’emphase de cette étude est placée sur les

actions de YHWH et nous trouvons une distinction utile selon les époques, mais nous

22 H. H. SCHMID, op. cit., p. 185‑186. La traduction provient de J. J. SCULLION, op. cit., p. 735.23 C’est aussi l’approche de A. Jepsen: צדק marque un état en conformité avec l’ordre universel tandis que צדקהdénote le comportement approprié en lien avec cet ordre. Voir A JEPSEN, « צדק und צדקה im Alten Testament », inGottes Wort und Gottes Land, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1965, p. 78‑99.24 J. J. SCULLION, op. cit., p. 735.25 Henning Graf REVENTLOW, Rechtfertigung im Horizont des Alten Testaments, Munich, Kaiser, coll. « BEvT »,n° 58, 1971, 164 p.26 Frank CRÜSEMANN, « Jahwes Gerechtigkeit (ṣedāqā/sädäq) im Alten Testament », Evangelische Theologie,

vol. 36, 1976, p. 427‑50.27 J. J. SCULLION, op. cit., p. 735.

Page 21: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

11

sommes tout de même en présence d’une étude basée sur un nombre limité de textes dont la

catégorisation semble plutôt rigide puisqu’elle ne contient que trois catégories.

Quelques publications ont paru depuis, tentant d’analyser le vocabulaire qui nous

occupe en intégrant des principes de la linguistique moderne. Jože Krašovec publia en 1988

sa thèse doctorale portant sur la notion de justice (צדק) dans l’Ancien Testament28

. Celui-ci

déplore justement que la plupart des études sur le sujet se concentrent soit sur un nombre

limité de textes ou font un survol statistique qui ne peut s’attarder suffisamment au contexte

de chaque occurrence. Krašovec veut intégrer des principes linguistiques à son étude,

particulièrement l’étude des champs sémantiques, et surtout les synonymes29

. Par contre,

même s’il mentionne l’utilité des antonymes en introduction, l’étude qui suit n’en fait pas

grand cas30

. L’auteur tente plutôt d’intégrer l’étude lexicale à une étude de la religion de

l’Israël ancien, ce qui a pour résultat de teinter le résultat de ses recherches, le contexte

religieux établi par l’auteur ayant précédence. Encore ici, le concept de justice est abordé en

étudiant les instances des mots issus de la racine .צדק La définition retenue est de nature

sotériologique : Elle désigne le rapport personnel de Dieu envers son peuple dans toutes les

situations de son existence. Selon les circonstances, elle peut désigner la bonté de Dieu, le

salut, la victoire, la fidélité, la fermeté, la rectitude de l’action ou de la conduite de Dieu31

.

Cette notion personnelle, dynamique et intérieure exclut toute compréhension rétributrice.

Bien que Krašovec approche la question de différents angles et propose plusieurs

28 Voir note 6.29 Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 27.30 Contraster cette affirmation : « Dans toutes les langues, les antonymes sont un phénomène très naturel et pourcette raison régulier. On pourrait dire que les antonymes sont plus naturels et plus inévitables que lessynonymes…seule la sémantique moderne leur consacre l’attention qu’ils méritent. » avec « Les antonymes sontlogiquement peu représentés lorsqu’il s’agit de la justice de Dieu. La justice ne s’adresse qu’aux justes, c’est

pourquoi les antonymes, en relation avec eux, ne trouvent pas place ici. » Voir Ibid., p. 29, 261‑262.31 Ibid., p. 355. Seifrid observe avec justesse que l’auteur opère dès le commencement sous la notion que lajustice de Dieu consiste en sa promesse à sauver son peuple et dont seul les justes peuvent bénéficier. Voir MarkA. SEIFRID, op. cit., p. 421.

Page 22: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

12

observations très pertinentes, le résultat final n’est pas une étude lexicale, mais plutôt une

analyse fortement influencée par une reconstitution de la religion israélite qui semble

rejoindre les sensibilités théologiques de l’auteur.

La monographie d’Ahuva Ho32 bien que traitant toutes les instances de צדק et ,צדקה

n’arrive pas elle non plus à faire une analyse linguistique solide malgré ses intentions en ce

sens. Chaque passage bénéficie d’une mini-exégèse33 mais le but de l’ouvrage est surtout

d’établir le sens des deux noms l’un vis-à-vis de l’autre et de chercher à identifier une

possible évolution sémantique selon le genre et l’époque des textes. Positivement, les mots

sont étudiés dans leur contexte et on s’appuie premièrement sur celui-ci pour élaborer une

définition. Mais il est difficile de tracer une évolution chronologique alors que la datation de

plusieurs textes est contestée voire impossible à établir. Les occurrences de צדק et צדקה

dans certains genres sont peu nombreuses. Les conclusions manquent de synthèse et de

clarté : Les résultats de l’analyse ne sont pas classifiés selon les cooccurrences,

connotations et autres éléments contextuels qui peuvent apporter des nuances importantes.

Par exemple, comment expliquer que צדקה peut être employé non seulement pour décrire

un attribut de Dieu et ses actes mais aussi comme quelque chose qui soit accordé à une

personne ? Pour Ho, צדקה signifie un état de fait, humain et divin, l’épanouissement de soi-

32 Ahuva HO, Sedeq and Sedaqah in the Hebrew Bible, New York, Peter Lang, 1991, 212 p.33 En fait il s’agit souvent de quelques lignes et même moins, donc rien de suffisant pour argumenter solidementune interprétation quelconque.

Page 23: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

13

même selon l’ultime code d’éthique. Il s’agit d’un ensemble de comportements et d’actions34.

צדק signifierait justice, droiture ou bénédiction35.

Finalement, l’étude de Mark Seifrid36 est d’une grande utilité, non seulement parce qu’il

résume l’état de la recherche sur la question, mais parce qu’il manifeste une plus grande

attention aux questions de sémantique lexicale. Dans sa brève étude, il s’intéresse

particulièrement au lien supposé entre le vocabulaire pour « justice » et le vocabulaire de

l’alliance, y allant d’observations brèves et ponctuelles sur les autres usages des mots de

cette famille (ainsi que le verbe et adjectif). Sa conclusion est utile : Il n’existe pas d’étude

basée sur la sémantique lexicale (donc sur les principes de la linguistique moderne)

définissant le champ sémantique de la terminologie reliée au concept de justice dans l’Ancien

Testament37.

1.2. LES DICTIONNAIRES ET LEXIQUES38

Les dictionnaires et lexiques reprennent souvent les études mentionnées ci-haut pour

fonder leur analyse. Ainsi, l’article sur la racine צדק dans le Theological Dictionary of the Old

Testament se veut surtout une synthèse de la recherche allemande sur le sujet. Comme la

majorité des dictionnaires et lexiques, l’étude des mots débute par un survol complet du

vocabulaire semblable dans les langues et cultures apparentées. De plus, on note une

34 On ne peut s’empêcher de remarquer une contradiction ici, comment un mot peut signifier simultanément unétat de fait et une action ? Dans le même paragraphe, Ho y va de cette remarque tout aussi contradictoire : «צדקה is broader in meaning and is more specific than צדק » Ahuva HO, op. cit., p. 143. Comment une définitionpeut être plus large et plus spécifique ? Peut-être est-il question d’un potentiel sémantique plus large, mais avecdes usages très précis ? Malheureusement, l’auteur n’élabore pas.35 Ibid.36 Mark A. SEIFRID, op. cit., p. 415‑442.37 Ibid., p. 421.38 Pour une analyse plus générale de l’approche des divers lexiques et dictionnaire d’hébreu biblique de laperspective de la linguistique moderne, voir Reinier DE BLOIS, « Towards a New Dictionary of Biblical Hebrew

based on Semantic Domains », Journal of Biblical Text Research, vol. 8, February, 2001, p. 267‑271.

Page 24: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

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section importante traitant des mots que sont souvent rencontrés avec ceux-ci. Le sens de

צדק est défini comme évoquant la notion de rectitude et d’ordre. Pour sa part, צדקה met

l’emphase sur l’action et l’activité plutôt qu’une condition. צדקה serait une représentation

« fonctionnelle » de .39צדק L’analyse qui y est faite, bien que s’appuyant fortement sur les

études théologiques européennes, tente tout de même de trouver un fondement plus solide

en analysant les synonymes et antonymes de ces termes. L’étude des occurrences est brève

et porte un intérêt particulier aux métaphores. Au final, il s’agit d’un dictionnaire théologique

typique, qui traite d’une racine hébraïque pour finalement parler d’une notion.

Une exception à ce niveau est le Dictionary of Classical Hebrew édité par David Clines.

Celui-ci a la particularité de définir les mots principalement dans le contexte de la phrase où il

se retrouve. Les divers articles sont conséquemment organisés à l’aide d’une analyse

syntagmatique40 des mots. Chaque mot est étudié en identifiant ses cooccurrences (les

verbes auxquels un nom est associé, les divers sujets ou objets d’un verbe, etc.). Les

synonymes et antonymes rencontrés dans le texte sont aussi indiqués41. La principale

difficulté vient lorsqu’il est question de catégoriser ces usages et de fournir une définition

pour le mot. Il n’est pas toujours évident de savoir quelles procédures ont été suivies pour

arriver à cette fin, ce qui est normal étant donné la vocation de ce dictionnaire. Celui-ci est

39 Bo JOHNSON, « Tsdq », in Theological Dictionary of the Old Testament, Grand Rapids, Eerdmans, vol. 12,2003, p. 256.40 Les relations syntagmatiques sont les relations syntactiques qui relient les divers mots d’une phrase. Ainsi,« japper » et « chien » font l’objet d’une relation syntagmatique puisqu’ils se combinent souvent ensemble dansun énoncé. Voir M. Lynne MURPHY, Lexical Meaning, Cambridge, Cambridge University Press, coll.

« Cambridge Textbooks in Linguistics », 2010, p. 108‑109.41 Clines décrit sa méthode ainsi: « For us, Synonyms and Antonyms mean essentially words attested in our textsin synonymous or antonymous relationship with the term under consideration…in some cases, of course, thereobviously existed in classical Hebrew synonyms and antonyms that are not actually attested as such within theextant texts […] however, we have felt it prudent to restrict ourselves to what can be attested from the textsthemselves—if for no other reason than that, once embarked upon the task of stating the synonyms and antonymsfor a given word that might have been used but that never have been used as such in the texts that we have, it ishard to know where to stop. » David J. A. CLINES, « The Dictionary of Classical Hebrew », in On the Way toPostmodern: Old Testament Essays 1967-1998, Volume II, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1998, p. 606.

Page 25: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

15

finalement un répertoire exhaustif des divers usages du mot, ce qui est tout de même très

utile.

Nous retrouvons souvent dans les lexiques des variations importantes quant au sens

proposé, en particulier lorsqu’il est question d’identifier un sens fondamental. Ainsi, le

vénérable Brown-Driver-Briggs s’en tient aux définitions centrales de justice (justice,

rightness, righteousness) pour en définir des nuances dans divers contextes. Par exemple,

dans certains contextes, צדקה signifierait justice avec la nuance de justification, légitimation,

et donc salut. Elle peut aussi résulter en prospérité. On garde donc l’idée centrale de

rightness, righteousness tout en lui donnant des nuances différentes selon les contextes, qui

sont énumérés.

Pour sa part, le Dictionnaire d’hébreu et d’araméen bibliques de Philippe Reymond

introduit la définition du mot צדקה de cette manière : « Théol. Bibl. :… terme sans équivalent

direct dans nos langues indo-européennes. Idée générale : Conformité à une norme. D’où 1.

Loyauté, fidélité (de Dieu…) 2. Loyauté, fidélité (de l’homme à l’égard de Dieu) 3. Ordre (qui

découle du respect du droit)…etc.42 ». Il est assez facile de reconnaître à quel point ces

définitions sont calquées des études que nous venons de voir. Ce lexique n’apporte donc rien

de nouveau sinon la déclaration explicite que nous n’avons pas de terme équivalent dans

notre langue43.

42 Philippe REYMOND, Dictionnaire d’hébreu et d’araméen bibliques, Paris, Cerf, 1991, p. 315. Les autres sensmentionnés dans l’article : 4. Rectitude du comportement 5. Justice (d’une cause) 6. Légitimité 7. Salut, victoires(au pluriel). Ce dictionnaire est fortement inspiré du Hebrew Aramaic Lexicon of the Old Testament par Koehler& Baumgartner.43 On pourrait dire la même chose du dictionnaire de Koehler et Baumgartner qui, bien qu’il prenne en compte lesdécouvertes plus récentes de la littérature du Proche Orient ancien, produit lui aussi des articles qui sontfortement teintés par les études de théologie biblique que nous avons cité. Voir l’évaluation faite par SylvainRomerowski en Sylvain ROMEROWSKI, Les sciences du langage et l’étude de la Bible, Charols, Excelsis, 2011,

p. 176‑177.

Page 26: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

16

1.3. ÉVALUATION

De par leur nature brève, les lexiques sont très limités dans l’aide qu’ils peuvent

apporter lorsqu’il est question de délimiter le sens de .צדקה/צדק Ils sont d’ailleurs

grandement dépendants d’une certaine tradition lexicale, qu’elle soit de tendance

étymologique (BDB) ou comparative/théologique (Reymond/KB). Lorsque nous analysons les

divers sens proposés, on s’aperçoit rapidement que les chercheurs font face à deux nuances

sémantiques importantes. Ceux pour qui l’aspect salvifique domine peinent à expliquer les

textes où il est question de justice punitive. À l’opposé, une étude comme celle de Nötscher

n’arrive pas à rendre compte du fait que צדקה apparait dans un contexte salvifique quatre

fois plus souvent44. Ces études démontrent pour la plupart trois faiblesses importantes :

La première et la plus courante consiste à confondre le sens du mot צדקה (ou (צדק et

la notion45 de justice. Cette difficulté est avantageusement illustrée par l’article d’Elizabeth

Achtmeier sur le sujet46 : Le sujet de l’article est la justice, ce qui est tout à fait à propos. Mais

le deuxième paragraphe nous informe que la notion de justice dans l’Ancien Testament est

décrite par les mots de la racine .צדק L’auteur procède ensuite à une étude des diverses

apparitions de ce mot. Après avoir passé en revue ces usages, elle regroupe ceux-ci sous

une même définition : « la satisfaction des exigences qu’impliquent une relation, avec les

hommes ou avec Dieu47 ». Il n’y a donc aucune distinction entre le mot et la notion à laquelle

celui-ci est associé. En conséquence, le mot se retrouve surchargé de sens à cause des

44 Mark A. SEIFRID, op. cit., p. 415‑416.45 La notion est l’idée ou la notion de justice auquel le mot fait référence.46 Elizabeth R. ACHTEMEIER, « Righteousness in the OT », in Interpreter’s Dictionary of the Bible, Nashville,

Abingdon Press, coll. vol. 4, 1981, p. 80‑85.47 Ibid., p. 80.

Page 27: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

17

diverses associations observées dans le texte biblique. La definition finale d’Achtmeier lit

comme suit:

Righteousness in the OT, then, is the fulfillment of the demands of a relationship,whether with men or with God. And though man’s righteousness fails, God’sendures. He intervenes on behalf of his own, saving them from bondage, forgivingtheir sin, declaring them to be in the right before himself and all the world48.

Une autre difficulté survient par la suite lorsqu’on lit cette notion dans les diverses

instances du mot. Puisque le concept de justice est parfois associé à la foi, paix, et ainsi de

suite, le mot צדקה en vient à signifier toutes ces choses49. Il s’agit d’un raisonnement

circulaire qui vient fausser totalement le sens d’un mot dans un contexte précis. Puisque,

comme nous l’avons vu, l’usage de ces mots se fait dans un grand nombre de contextes, une

définition du genre devient naturellement très vague. D’un point de vue pratique, il y a donc

lieu de se demander s’il est approprié de regrouper tous ces usages sous un même sens ou

si nous ne sommes pas plutôt en présence de polysémie, c’est-à-dire du phénomène où un

même mot réfère à plus d’une chose50. Mais cela n’est pas l’approche qui est favorisée. À

cause de cette confusion entre mot et notion, le mot se doit d’avoir une définition ou un

facteur qui gouverne tous ses usages51. L’aboutissement de ce raisonnement est l’effort de

trouver une définition commune et fondamentale.

48 Ibid., p. 85. À noter que nous ne contestons pas cette définition de la justice, mais plutôt la manière d’y arriver.L’étude de notion dépasse une étude des mots issus de la racine צדק et on ne peut lire cette notion dans chaqueinstance de ce mot.49 « Wherever you find an appeal to Yahweh’s righteousness or salvation or deliverance in the OT, you find theattitude of faith […] such faith is the righteousness of the afflicted, Israel’s fulfillment of her relationship withYahweh. » Ou encore à la lumière de צדקה en Ps 37.39-40 : « This is Israel’s righteousness, that she repents andtakes refuge in her God, that she trusts in him, that she is faithful. Her faith is the fulfillment of her relationshipwith Yahweh ». Ibid., p. 84. Il s’agit d’un transfert de totalité illégitime, tel que discuté par Barr, et dontRomerowski fournit plusieurs exemples en Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 307‑312.50 Ce type d’ambiguïté linguistique est fréquent et la manifestation de l’évolution d’une langue. Il s’agit

d’extensions du sens qui deviennent conventionnels avec le temps. Voir M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 88‑89.51 Achtmeier décrit son approche ainsi : « Obviously, the only course of action is to examine the use of צדק ineach of its contexts, to note its synonyms and antonyms, and to try to find a common factor governing its use ».

Page 28: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

18

Ce présupposé mène à un deuxième problème : En agissant de la sorte, le point de

départ (et d’arrivée) est souvent d’ordre théologique. Il s’agit de l’approche des dictionnaires

théologiques : On emploie un mot hébreu pour finalement parler d’un concept beaucoup plus

large52. La conséquence ultime de cet exercice vient à énoncer, comme plusieurs l’ont fait,

que nous n’avons pas de concept équivalent dans notre langue. Ainsi, Achtmeier parle d’un

« thoroughly Hebraic concept, foreign to the Western mind and at variance with the common

understanding of the term.53 » Mais si nous partons du postulat qu’un mot a un sens précis

dans un contexte particulier, il devrait être possible de trouver dans notre langue un ou

plusieurs mots qui puissent traduire ce sens de manière satisfaisante54. Mais l’idée d’un sens

riche, potentiellement intraduisible laisse place à beaucoup de spéculation, et

particulièrement à l’« eiségèse », c’est-à-dire une insertion de ses propres concepts

théologiques dans le texte étudié.

Ceci est sans compter les études qui prennent pour point de départ un concept

religieux ou théologique pour ensuite étudier les mots issus de צדק à cette lumière. Au lieu

Bien que la méthode décrite soit intéressante, le dernier énoncé trahit le besoin d’avoir un noyau sémantiqueunificateur derrière le mot. Hors, il est tout à fait possible qu’un mot dénote plusieurs choses ou notionsdifférentes et cette possibilité ne devrait pas être écartée avant d’avoir soigneusement évalué ses usages. VoirElizabeth R. ACHTEMEIER, op. cit., p. 80.52 La critique très capable de James Barr à cet égard est connue et nous n’allons pas la répéter. Une notion (ou unconcept) est décrite par une (ou plusieurs) phrase(s) et non un seul mot.53 Elizabeth R. ACHTEMEIER, op. cit., p. 80. Voir aussi l’article du dictionnaire de Reymond cité précédemment.À noter qu’il classe se mot sous « théologie biblique ». James Barr mentionne sur ce point que ce typed’argument ignore le phénomène de la polysémie et place le matériel linguistique sous la domination de lathéologie systématique qui cherche justement à employer des mots bibliques de manière technique en les

chargeant de sens. Voir James BARR, op. cit., p. 147‑148, 188‑189 pour quelques exemples. Ce type deraisonnement s’appuie souvent sur une analyse de la racine des mots. Barr remarque avec justesse que « someforms of theological interpretation so emphasize the peculiarity of Hebrew and the reflection of the thoughtstructure by the language that they lead in principle to the untranslatability of the Bible. » Ibid., p. 81.54 La correspondance sémantique entre mots de langues différentes n’est jamais parfaite, mais on peut s’appuyersur le contexte dans ces cas problématiques pour délimiter le sens voulu. Bien sûr quelques exceptions existentdans le cas de mots dénotant des notions ou objets qui n’existent tout simplement pas dans notre culture. Dans cecas, il faudra « inventer » un ou un ensemble de mot(s) équivalent(s) ou expliquer davantage la traduction. Voir

la discussion à cet effet dans Moisés SILVA, op. cit., p. 175‑176.

Page 29: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

19

d’adopter une approche inductive, il est commun, comme Nötscher et Schmid le démontrent,

d’imposer son propre cadre puis de faire l’étude du vocabulaire. C’est ainsi que des concepts

tel « fidélité » ou « ordre universel » se trouvent insérés dans des contextes qui ne leur sont

pas naturels. Bien sûr, les présupposés sont inévitables, mais il doit y avoir une manière de

contre-vérifier une telle thèse, habituellement par une combinaison d’approches. C’est

justement parce que beaucoup de ces études ont été faites sans les contrôles qu’offre la

sémantique lexicale que nous nous retrouvons avec des analyses spéculatives et guidées

par les intérêts des interprètes55. Un des résultats d’une telle approche est la tendance

d’imposer des catégories qui proviennent de notre culture ou de nos propres tendances

théologiques. On tombe ainsi dans de faux dilemmes où nous sommes obligés à choisir par

exemple entre une justice judiciaire et personnelle56. De plus, les enjeux théologiques sont

nombreux : Le choix de l’un ou l’autre de ces paradigmes a des conséquences importantes

pour la conception de la religion d’Israël et même la théologie chrétienne57. Ces

préoccupations deviennent centrales à l’étude du vocabulaire.

Finalement, une autre conséquence d’une telle approche, et surtout de la conclusion

qu’il s’agit d’un mot « particulièrement riche en signification58 » est que certains exégètes se

tournent vers une analyse de la pensée sémitique pour déterminer le sens des mots

.צדקה/צדק Bien que le souci de ne pas imposer nos catégories modernes soit certainement

louable, la recherche de ces catégories mène souvent l’interprète à des sources distantes et

55 Voir Mark A. SEIFRID, op. cit., p. 431 pour quelques exemples.56 Krašovec avance par exemple que : «…le plus grave dans la supposition juridique de la significationfondamentale de la notion de justice est le fait que la justice perd son caractère personnel. Mais dans le sens leplus élémentaire la justice ne peut être que la somme des qualités qui apparaissent dans la dynamique du rapportvital entre les personnes.... » Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 49.57 Seifrid observe avec justesse que les interprètes ont longtemps été influencés par ces considérations nonseulement dans les résultats de leurs recherches, mais aussi dans les questions qu’ils posent aux textes. Voir MarkA. SEIFRID, op. cit., p. 416.58 Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 17.

Page 30: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

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peu nombreuses : elle peut prendre la forme d’une analyse de la mentalité du Proche Orient

ancien, particulièrement à partir de ses inscriptions et de sa littérature cunéiforme59. Ainsi, on

retrouve dans l’analyse d’Henri Cazelles des affirmations telle la suivante : « Alors que la

pensée prophétique saisit toujours l’unité d’une situation, alors qu’elle ne sépare jamais

l’homme de la nature, le physique du moral, le juridique du comportement individuel et

social…on risque d’appauvrir cette pensée…60 » Il y a lieu de se demander d’où vient cette

théorie sur la pensée unificatrice des prophètes. L’auteur ne justifie pas sa pensée mais

expliquera plus loin que son analyse des inscriptions royales du VIIIe siècle ne témoigne pas

d’une compréhension juridique de la justice. Celle-ci serait le résultat de l’influence de la

pensée grecque61.

Il est certainement à-propos de s’interroger sur le contexte culturel et religieux de la

littérature qui nous occupe. Mais l’étude de l’usage d’un mot et des notions qui s’y rattachent

doit se faire premièrement dans la littérature concernée avant d’être comparée à un mot ou

notion semblable dans une autre langue ou culture. Ces notions, ainsi que les différences

inévitables d’une culture et d’une religion à l’autre doivent être établies avant de pouvoir

parler d’influence ou de pensée commune62. Krašovec observe avec justesse que :

59 Henri CAZELLES, « A propos de quelques textes difficiles relatifs à la justice de Dieu dans l’AncienTestament. », Revue Biblique, vol. 58, 1951, p. 169, 171. Ibid., p. 171.60 Henri CAZELLES, op. cit., p. 171. Noter que Cazelles opère lui aussi avec les présupposés décrits ci hautlorsqu’il parle de certaines définitions de justice qui « [brisent] l’unité vivante du concept biblique au lieu de nousdonner la théologie vécue. »61 Ibid., p. 187. Peu après, Cazelles ajoute : « Ainsi dans tous ces textes de l’Ancien Orient la ‘justice’ paraitéchapper à nos catégories juridiques. Elle ne fait pas appel à des normes abstraites, elle ne vise qu’indirectementla morale individuelle ou sociale, elle traduit avant tout un idéal de concorde et de bien-être sociaux. » Cette idéede la différence entre la pensée grecque abstraite et la pensé hébraïque concrète et unitaire est typique dumouvement de la théologie biblique que James Barr a bien cerné.62 Et ceci lorsque les données provenant des autres langues est suffisante. Ainsi, la thèse de Schmid comme quoila notion de justice aurait été adaptée de celle des Cananéens est fragile puisque la quantité peu importante dedocuments conservés ne nous permet pas de connaître avec certitude la signification des mots issus de la racineצדק chez les cananéens. Voir Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 16. Ce dernier ajoute : « On ne peut comparer entre euxde la même façon des textes hébraïques et non hébraïques […] on peut encore moins comparer directement entre

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21

[…] de telles comparaisons sont souvent problématiques, parce que d’habitudeles auteurs comparent entre eux des textes de différentes cultures et religions,sans même tenir compte ou en tenant compte insuffisamment du contexte encoreplus large que constituent les structures linguistiques : la conception spécifique dumonde et de la théologie, qui est en arrière-plan des textes63.

Ainsi, bien que les études comparatives puissent enrichir considérablement l’étude du

vocabulaire et des notions bibliques, cet exercice doit se faire suite à l‘analyse lexicale et

sémantique du sens du mot au sein même du corpus étudié, et non au préalable comme

c’est le cas dans beaucoup de lexiques et de dictionnaires64.

Mais même en tenant compte de ces contraintes, la question demeure quant à la place

du contexte culturel et religieux dans l’interprétation du sens d’un mot. Il s’agit en quelque

sorte de la question de l’œuf et de la poule65. Si toutefois nous voulons procéder autant que

possible de manière inductive, il semble préférable de mettre de côté - initialement du moins -

nos conceptions plus larges de l’Israël ancien et de tenter de discerner le sens du mot

premièrement à partir de son contexte littéraire, c’est-à-dire du contexte immédiat de la

phrase, du discours, du genre, de l’auteur et ainsi de suite66. Certes, il y a des éléments de la

signification qui dépassent les catégories linguistiques et qui exigent de consulter le cadre de

la « pensée hébraïque », ou dit autrement, l’expérience religieuse et culturelle de l’Israélite

ancien67. Mais cela devient trop facilement une porte d’accès pour imposer aux textes les

eux les mots mêmes, bien que tant de fois ils soient issus de la même racine. Il faut d’abord parvenir à desconclusions synthétiques concernant la signification des mots dans la littérature ougaritique...ce n’est qu’aprèsqu’on pourra comparer le sens des mots en ougaritique et en hébreu. » Ibid., p. 39.63 Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 37.64 Bien sûr ces études lexicales comparatives sont indispensables lorsqu’il est question de vocabulaire peu attestédans le corpus d’hébreu ancien. Nous reviendrons sur ce point.65 La source première d’information concernant le contexte culturel et religieux de l’Israël ancien demeure lalittérature biblique. Il y a donc une certaine circularité.66 Voir les commentaires de Silva sur la priorité des divers « cercles contextuels » en Moisés SILVA, op. cit., p.

156‑159.67 Tel que le suggère Krašovec en Jože KRAŠOVEC, op. cit., p. 38. Celui-ci ajoute au même endroit : « Le contextedoit s’élargir jusqu’aux dernières limites possibles ; il doit englober le monde des sens et des idées d’unecivilisation ou d’une religion donnée. » Si nous reconnaissons que notre connaissance de ces idées provient destextes étudiés, et que nous sommes conscients de nos propres présupposés en abordant l’étude de son vocabulaire,

Page 32: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

22

concepts religieux et théologiques favoris de l’interprète. Il s’agit d’ailleurs de la principale

lacune de l’étude de Krašovec qui, après avoir si bien étayé sa méthode linguistique, finit par

importer dans sa lecture des textes sa propre conception de la justice dans l’Israël ancien.

1.4. CONCLUSION

Ces études ne sont pas pour autant sans valeur, puisque le contexte littéraire et

l’intuition de ces savants ont souvent corrigé ou minimisé les travers dans lesquels certaines

de leurs méthodes les auraient fait tomber. Toutefois, le constat demeure que l’étude de mots

bibliques est une tâche périlleuse et que beaucoup reste à faire pour clarifier les méthodes

en ce sens, en particulier lorsqu’il est question de termes abstraits et de nature éthique tel

צדק et .צדקה

La discipline de la sémantique lexicale a beaucoup à offrir lorsqu’il est question

d’instaurer des contrôles qui nous permettent de valider et de mieux structurer les études

lexicales. En cela, elle nous permet de faire une distinction utile (et même indispensable)

entre le mot et la notion, évitant ainsi toutes sortes d’amalgames qui embrouillent davantage

qu’ils n’éclairent. Elle nous fournit aussi des méthodes pour analyser les champs

sémantiques68 et minimiser l’impact de nos conceptions théologiques sur les mots étudiés.

Quelques études plus récentes présentent des approches prometteuses. On pense entre

autre au Dictionary of Classical Hebrew qui favorise une étude presque exclusivement

linguistique des mots par l’analyse de leurs relations paradigmatiques et syntagmatiques.

il est plus facile d’éviter les écueils d’une définition qui est déterminée d’avance et de s’approcher davantage de

l’intention de l’auteur. Voir la discussion à cet effet en Moisés SILVA, op. cit., p. 143‑148.68 Un champ sémantique est un réseau de concepts qui sont sémantiquement reliés, habituellement d’une mêmeposition syntactique. Ainsi, « doigt », « pouce », « index » font partie d’un champ sémantique qui décrit les

composantes de la main. Voir M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 127‑128.

Page 33: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

23

Malgré tout, il ne s’agit que d’un lexique dont les définitions ne sont que la traduction du mot

dans divers contextes69.

Des avancées plus récentes au niveau de la linguistique cognitive nous permettent

aussi de tenir compte de l’expérience cognitive ancienne dans nos recherches lexicales tout

en demeurant plus près du corpus étudié. Quelques études de mots guidées par les

principes cognitifs ont commencé à paraître, et même une brève présentation sur les mots

qui nous occupent70. Une nouvelle étude tenant compte de ces questions est donc

nécessaire et pourra, nous l’espérons, mieux fonder l’approche. C’est à la définition de cette

approche que nous nous tournons maintenant.

69 Notons aussi l’article de J. J. Scullion qui y va d’une analyse qui ne cherche pas à imposer un concept

unificateur. J. J. SCULLION, op. cit., p. 724‑736.70 Sebastian J. FLOOR, Sedeq versus Sedaqa : Is There a Distinction After All?, présenté à SBL InternationalAnnual Meeting, Londres, 2012. Ce dernier avance que ces mots appartiennent au cadre cognitif de laconformité à une norme. Peu d’efforts sont consacrés à valider cette affirmation au-delà d’une simplecatégorisation des diverses instances de ces mots auxquels il ajoute certains exemples. Floor n’est pas non plus endialogue avec l’histoire de l’étude de ce vocabulaire et certaines de ses conclusions en lien avec la polysémiedoivent être examinées de plus près. Il s’agit d’une approche très semblable à la nôtre, mais qui laisse plusieurspoints en suspend de par sa nature brève.

Page 34: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

24

CHAPITRE 2

L’approche proposée

Le présupposé de base dirigeant notre étude est celui que le message biblique, bien

que divinement inspiré, est transmis dans un langage humain correspondant aux

caractéristiques générales des langues71. Pour qu’il y ait communication entre deux parties,

celle-ci doit se faire dans un langage qui est commun et compris par les deux parties. Ce qui

caractérise le message biblique comme étant divin n’est pas un emploi différent de la

syntaxe, une structure lexicale distincte ou des modes de discours de l’hébreu ou du grec

biblique qui sont inédits. Après tout, ces langues n’étaient pas limitées au matériel biblique.

Sa particularité provient plutôt de la nature et de l’origine du message transmis par le moyen

de ces langues, son auteur, sa fiabilité, sa véracité et donc son autorité. Il n’y a donc pas de

contradiction à dire que la Bible est inspirée de Dieu et qu’il s’agisse simultanément de

langage humain comparable à n’importe quel autre usage des langues de l’époque. En

réalité, il serait permis de douter de la capacité des lecteurs de l’époque à comprendre une

communication divine qui se ferait par un usage de la langue qui ne serait pas commun72.

Conséquemment, il est tout à fait approprié, dans notre quête pour une meilleure

compréhension du message biblique, de s’intéresser à la sémantique lexicale, c’est-à-dire

l’étude linguistique de la signification des mots.

71 Le postulat fondamental de la linguistique moderne est que l’étude du langage est possible parce que lesdiverses langues ont beaucoup en commun et que l’étude de ces points communs peut nous aider dans notre quêtepour une meilleure compréhension de la communication écrite ou verbale. Comme la Bible est écrite en langagehumain, il est naturel pour l’interprète biblique de s’intéresser à la contribution de cette science. Voir PeterCOTTERELL et Max TURNER, Linguistics & Biblical Interpretation, Downers Grove, InterVarsity Press, 1989,p. 19, 26.72 Par usage de la langue, nous entendons par exemples les genres littéraires et la structure grammaticale de lalangue et son stock lexical. Silva commente : « There can be no question that biblical scholars and ministersinfluenced by [the biblical theology movement] have been much too worried about words; the approach was notdeemed necessary by the great theologians of the church, nor is it the normal method in other areas of philology(classical studies, modern literature). » Moisés SILVA, op. cit., p. 23.

Page 35: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

25

Il doit être souligné à ce point que les mots sont sémantiquement importants, mais

seulement dans la mesure où ils s’intègrent à une phrase pour communiquer un sens

particulier. Bien que les mots forment la plus petite unité sémantique à notre disposition, ils

sont habituellement assemblés en phrases et paragraphes pour décrire le ou les notions

auxquels ils font référence. Ce sont ces notions qui communiquent un message qui vient de

l’auteur et donc de Dieu73. Il est tout à fait concevable qu’un mot puisse être substitué pour un

proche synonyme dans un contexte précis sans pour autant modifier le message voulu par

l’auteur, puisque ce synonyme, dans le contexte de la phrase, peut renvoyer à la même

notion74. Parfois, les auteurs bibliques emploient des mots de manière interchangeable

comme le témoigne certains éléments de la poésie hébraïque. L’importance sémantique du

mot doit donc être placée dans une perspective plus juste, en particulier suite aux abus des

études de mots accordant généralement beaucoup trop d’importance au mot seul75. La

réflexion théologique sera beaucoup plus solide si, au lieu de s’intéresser à l’occurrence de

tel ou tel mot, elle analyse plutôt les notions enseignées par l’auteur biblique dans les

phrases, paragraphes et discours qu’il emploie pour communiquer76.

73 Un mot employé seul est en fait la forme la plus ambigüe de communication. Si quelqu’un dit simplement« Justice »… nous ne saurions de quoi il parle. Même dans le cas d’exclamations (« Regarde ! ») ou de réponses(‘Non »), nous avons besoin d’un contexte (un cadre de référence), généralement un discours ou une situationpour comprendre ce qui est dit. « Words, then, function in constructions and sentences. Here they combine in acountless number of ways. On this level the possibilities of meaningful expression are unlimited…Instead ofoverinterpreting interesting but isolated linguistic facts, biblical theology must concentrate on carefullyinterpreting the sentence and still larger discourse units that are able to convey theological information. » K. A.TÅNGBERG, « Linguistics and Theology », Bible Translator, vol. 24, 1973, p. 304.74 Bien sûr, il y a une limite aux substitutions possibles, tout comme il y a une limite à la synonymie qui n’estsouvent que partielle.75 Dit autrement, ce n’est pas parce que nous croyons en l’inspiration verbale de la Bible que le mot devient uneunité chargée d’un sens particulier. Ce serait une erreur que d’attribuer plus d’importance au mot que dans noscommunications courantes simplement parce qu’ils sont inspirés de Dieu. Dieu aurait pu inspirer un autre motpour en arriver exactement au même sens. Nous n’avons aucune indication comme quoi les premiers lecteurs ouauditeurs devaient interpréter les énoncés bibliques autrement que de la manière qu’ils interprétaient tout autretype de discours.76 Cela rejoint finalement ce que nous disions en introduction concernant les mots. « Le mot ne peut aucunementm’apprendre ce que pense une personne. Pour savoir ce que quelqu’un pense, ce n’est pas le mot qui importemais ce que cette personne fait avec, c’est-à-dire des phrases, des paragraphes, des discours. On apprend ce que

Page 36: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

26

Avant d’aller plus loin, il convient d’introduire des distinctions indispensables pour la

suite de cette étude. Nous faisons souvent mention du « sens » d’un mot, « sens » étant un

terme plus général pour définir le contenu sémantique d’un mot. Il est utile de décrire plus

finement particulièrement les termes « mot », « concept lexical » et « notion » :

1) Lorsque nous parlons d’un mot, nous faisons référence à un lexème, la plus petite

unité porteuse de sens. Ainsi, le mot ‘bon’ se décline de plusieurs manières (‘bons’,

‘bonne’, ‘bon’) mais il s’agit toujours du même lexème. Nous continuerons

d’employer le terme mot dans ce sens plus général.

2) Il est essentiel de distinguer entre le mot, qui peut varier selon la langue, et le sens

lexical, qui est une définition habituellement associée à ce mot77

. Lorsque le mot est

associé à plus d’un sens lexical, nous sommes alors en présence de polysémie. Un

sens lexical est le reflet d’un consensus social et se limite habituellement aux

caractéristiques essentielles de la chose à laquelle il réfère78

. Il s’agit de ce que le

mot en lui-même contribue sémantiquement à l’énoncé dont il fait partie. Il est

souvent question du ou des sens d’un mot, donc nous avons voulu dans ce

contexte préciser qu’il s’agit de sens lexical pour éviter l’ambiguïté associée à

l’emploi du mot sens (Se réfère-t-il à la définition du mot, la notion, etc. ?) Le mot

garçon en français fait référence au même sens lexical que « boy » en anglais. Son

pense une personne en considérant ce qu’elle dit…le concept lexical appartient à la langue, la notion relève de cequ’une personne pense et cela s’exprime dans ses actes de parole. » Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 298.Romerowski reprend ici la distinction saussurienne qui fait une distinction très nette entre le mot et la pensée.Comme nous le verrons plus loin, certains courants linguistiques plus récents n’opèrent pas une distinction sinette bien que celle-ci demeure fondamentale.77 Nous suivons ici la distinction discutée dans Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 117‑118, 164‑165.

Voir aussi la discussion de Romerowski à cet effet en Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 295‑296.78 Le terme anglophone est « entailment », c’est-à-dire les caractéristiques indispensables qui font partie de ladéfinition du mot. Voir M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 31. La linguistique cognitive postule pour sa part un sensencyclopédique plutôt qu’un sens lexical comme nous le retrouvons dans un dictionnaire.

Page 37: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

27

sens premier (sens lexical) est celui d’un enfant male : Un garçon qui ne serait pas

mâle serait un non-sens. Mais le fait de parler de garçon dans notre culture évoque

beaucoup plus que ce sens lexical.

3) Il y a donc en troisième lieu la notion qui a plutôt à une portée encyclopédique : Il

s’agit de nos connaissances au sujet des garçons, et qui dépasse les

caractéristiques essentielles et indispensables du sens lexical. Elle est meublée de

déductions qui sont faites à partir du contexte (le cotexte, le contexte littéraire plus

large, les présupposés de l’auteur, sa culture et sa connaissance du monde). Par

exemple, le fait qu’un garçon soit typiquement actif, grimpeur, aime les voitures, et

ainsi de suite79

. La notion est décrite par des phrases et par conséquent inclut non

seulement les éléments essentiels associés au sens lexical employé dans la phrase

mais aussi d’autres éléments sémantiques qui y sont associés dans le discours80

.

Nous sommes donc en présence de mots dans le texte et de notions dans notre esprit.

Certaines notions n’ont pas de mot pour les décrire, tandis qu’un seul mot peut être lié à

plusieurs notions (dans certains cas de polysémie ou d’homonymie). Le sens lexical est

généralement l’unité sémantique qui fait le lien entre le mot et une notion81. La relation entre

ces termes peut être avantageusement illustrée de cette manière :

79 Voir Ibid., p. 30‑32, 38‑39 et l’explication plus détaillée qui y est présentée. Les auteurs anglophonesemploient souvent le mot « concept » pour décrire ce que nous appelons « notion ». Cotterell et Turner parlentplutôt d’un sens spécialisé ou rattaché au discours. Nous ne sommes plus autant dans l’abstraction de la languemais dans les concepts qui habitent la pensée des gens. Comme le mentionne Murphy, la distinction n’est pastoujours facile à faire entre définition linguistique (sens lexical) et encyclopédique (notion). Ce qu’il faut garder àl’esprit par contre est que la notion est beaucoup plus large qu’un sens lexical.80 Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 164‑165. Le contexte vu ainsi combine ultimement lasémantique et la pragmatique puisque le contexte inclut aussi l’environnement social et historique du texte.81 M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 39. Comme l’observent Cotterell et Turner, le lien précis entre mot, sens lexical,notion et chose-dans-le-monde ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les spécialistes, mais tous conviennent del’importance de maintenir ces distinctions. Voir Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 118.

Page 38: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

28

Figure 2.1. Relations mot - chose

Bien entendu, dans les cas de polysémie un mot dispose de plus d’un sens lexical, ce

qui le lie à plus d’une notion. De même, plusieurs mots servent à décrire une même notion,

ce qui a pour résultat de former un réseau sémantique :

Figure 2.2. Relations mots - notions

Cette distinction entre sens lexical et notion est très pertinente aux études de mots

puisqu’il s’agit là de la principale difficulté des études que nous avons mentionnées. Lorsque

nous parlons de définir le sens de ,צדקה/צדק il est important de savoir de quoi il est

question : Sommes-nous en train de définir le ou les sens lexicaux qui sont rattachés aux

emplois de ce mot, à l’exemple d’un lexique ? Ou sommes-nous en train de définir une notion

de justice à laquelle l’auteur fait référence en employant le mot צדקה/צדק ? L’usage du mot

צדקה

Sens lexical Notion

Chose

Mot 2Mot 1Sens

lexical 1

Senslexical 2

Senslexical 1Notion 1

Notion 2Sens

lexical 3

Page 39: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

29

par un auteur donné peut lui aussi présenter certaines particularités82. En fait, si nous voulons

faire une étude de mot dont l’usage est commun à tous les auteurs de l’Ancien Testament, la

seule conclusion sûre à laquelle nous pouvons arriver est celle concernant le sens lexical. Il

est aussi pertinent de s’intéresser à la manière dont צדקה/צדק fait appel à la notion de

justice et les associations qui y sont faites, mais il est primordial qu’une telle étude se fasse

avec la compréhension que le mot צדקה/צדק n’est qu’une information partielle en ce qui

concerne la notion de justice dans la Bible hébraïque. Une étude complète de cette notion de

justice incorporera beaucoup d’autres données en plus des instances des mots qui nous

intéressent83. Un auteur peut certainement employer le mot צדקה/צדק pour décrire sa notion

de justice. Il nous importe alors de savoir ce qu’il tente de communiquer comme notion par ce

mot en étudiant le contexte de son emploi.

2.1. JUSTIFICATION DES PRINCIPES LINGUISTIQUES ESSENTIELS

Ces considérations, ainsi que les critiques énoncées précédemment mènent aux

postulats linguistiques suivants. Ce sont les postulats de base qui guideront notre étude :

1. Dans un énoncé particulier, un mot est associé à un seul sens lexical (sauf pour les

cas évidents de jeu-de-mot). Le sens d’un mot n’est donc pas un amalgame des

différents sens lexicaux qui sont associés au mot dans divers contextes.

2. Relié au point précédent, un mot ne renvoie pas nécessairement à un sens lexical

ou notion fondamentale dans toutes les instances où il est employé. Dans des cas

de polysémie, un mot peut comporter plusieurs sens lexicaux distincts sans qu’on

82 Cotterell et Turner parlent d’un sens spécialisé, tel la foi chez Paul vs Jean ou Jacques. Il faut réaliser qu’unauteur emploie parfois un terme avec des nuances sémantiques qui lui sont propres. Voir Peter COTTERELL et

Max TURNER, op. cit., p. 166‑167.83 Silva mentionne qu’il serait absurde d’étudier la notion de connaissance chez Kant en faisant une étude desoccurrences dans ses livres du verbe wissen et des mots apparentés. Moisés SILVA, op. cit., p. 27. Voir aussi lesremarques et exemples pertinents en Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 298‑300.

Page 40: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

30

doive revenir au « sens premier » dans chaque cas. Parfois, une notion commune

peut relier les divers sens lexicaux d’un mot, mais cela n’implique pas que l’auteur

fait référence à cette notion commune dans le texte étudié

3. Plus généralement, le contenu sémantique d’un mot est délimité par son usage,

c'est-à-dire par l’analyse de son emploi et des notions reliées dans divers contextes

où il se retrouve.

4. Les catégories d’usage doivent être tirées du contexte autant que possible et non

imposées dès le départ (Ex. théologique vs séculier, judiciaire vs relationnel).

Suivant Silva84, nous observons que puisque le mot et la notion à laquelle il se rapporte

sont deux choses distinctes, nous ne pouvons présumer qu’un mot signifie la même chose à

chaque fois qu’il est employé85. Le phénomène de la polysémie est très répandu et nous

permet de faire une économie de mots dans notre vocabulaire86. De plus, différents éléments

du contexte contribuent à préciser la notion dont il est question dans l’énoncé étudié. Il n’est

donc pas exclu que les mots צדקה/צדק puissent faire référence à des notions différentes

dans les divers contextes où ils sont employés, ou du moins présenter des nuances

sémantiques importantes. Il est alors mal avisé de combiner ses divers sens en un seul,

puisque les différentes nuances sémantiques du mot se trouvent dans un contexte précis et

84 Moisés SILVA, op. cit., p. 26. Celui-ci observe que le mot espagnol llave est employé en Amérique du Sud pourdécrire 3 objets différents : une clé (pour serrure), une clé (de plombier) et un robinet. Pourtant, personnen’arriverait à la conclusion que le même objet est employé pour ouvrir une porte, réparer un conduit ou fairecouler l’eau.85 C’est aussi l’observation de Romerowski qui déplore que l’on continue encore aujourd’hui à faire des études denotion en étudiant des mots. Le mot est donné par la langue et employé par divers locuteurs pour signifierdifférentes choses. Romerowski donne l’exemple du mot hébreu El qui signifie « dieu ». Ce mot est commun àtous les Israélites, mais tous n’ont pas la même compréhension de la notion à laquelle se rapporte El : YHWH,Baal, le El cananéen. Le fait de partager une même langue et d’employer un même mot ne signifie pas que l’onréfère à la même chose ou que nous définissons cette chose de la même manière. En ce sens, il y a plusieursnotions qui sont rattachées à El et aborder la notion de Dieu en faisant seulement l’étude du mot El serait une

erreur. Voir Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 295‑298.86 « Most words in a language have not a single sense but a whole range of senses. Words occupy a domain ofmeanings and only rarely have a single point meaning…this phenomenon - that one (phonological) word has amultiplicity of senses – allows for considerable economy. » Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 135.

Page 41: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

31

dépendent donc de lui87. Le contexte d’utilisation nous confirmera le sens précis dans le

discours en question.

De plus, malgré une certaine ambiguïté qui est intrinsèque au langage, un mot dénote

habituellement une chose précise dans un contexte donné. Il y a bien sûr des exceptions

alors que l’ambiguïté est volontaire (et même parfois accidentelle) mais le contexte sert

justement à limiter l’ambigüité de manière à faciliter la compréhension88. Ainsi, si צדקה a

pour sens « salut » dans un contexte précis et « droiture » dans un autre, cela est attribuable

au contexte où le mot se retrouve et non parce que le mot en lui-même signifie « salut » et

« droiture » simultanément. On ferait erreur d’assumer que chaque fois qu’il est employé, il

dénote « salut » et « droiture » ou que l’interprète a le loisir de choisir la nuance sémantique

qui lui convient89. Il est donc plus prudent de débuter une étude du genre avec le postulat que

le mot en question peut avoir plusieurs emplois - des sens lexicaux qui renvoient à des

notions - qui ne partagent pas un sens commun ou fondamental. Il n’est donc pas nécessaire

de découvrir un « sens premier » à ,צדקה/צדק encore moins de la racine .צדק Il n’est pas

question ici de nier que les différents usages du mot aient quoi que ce soit en commun, mais

plutôt d’affirmer que plusieurs sens lexicaux peuvent être rattachés à un même mot90. Il s’agit

87 Ibid., p. 120.88 Moisés SILVA, op. cit., p. 150‑151. Voir aussi Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 179.89 En Es 56.1, צדקה est employé à deux reprises mais de manière différente. Dans un cas, il s’agit de quelquechose qui doit être pratiqué par le peuple, dans l’autre quelque chose venant de YHWH qui est révélé. La plupartdes traductions bibliques traduisent la première instance par « justice » et la deuxième par « salut ». Pourquoi ?Parce qu’ils reconnaissent que le mot dénote ici deux choses différentes. Souvent, le désir d’avoir une définitionfondamentale mène l’interprète à ignorer les particularités du contexte et de l’emploi du mot (son verbe, sonsujet, préposition, article). Moisés SILVA, op. cit., p. 26.90 Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 179. Ceux-ci avancent ailleurs que la plupart du temps, l’élémentcommun aux divers sens d’un mot est d’importance historique puisqu’il explique comment un sens déviré s’estdéveloppé à partir d’un sens original. Mais cette information est marginale puisqu’elle n’est souvent pasl’élément central ou saillant du sens dérivé. Par exemple, le mot pied dénote une partie du corps humain, maisaussi la région à la base d’une montagne ou d’une colline. Peu importe la raison pour laquelle on est arrivé àdécrire la base d’une montagne à partir d’un mot servant à décrire un membre de l’anatomie humaine, cetteraison n’a pas beaucoup à contribuer dans la compréhension du mot pied dans divers contextes. Il serait tout à faitinutile de s’attarder à trouver une définition de pied suffisamment vague qui engloberait un membre et une région

topographique. Sur ce point, voir la discussion en Ibid., p. 137‑139.

Page 42: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

32

de garder à l’esprit qu’un mot est employé de diverses manières selon le contexte et que le

présumé noyau commun n’est pas un élément significatif lorsqu’il est question d’identifier le

sens voulu par un auteur dans un contexte particulier91.

En cela, nous rejoignons notre troisième postulat qui maintient que l’usage du mot est

le facteur déterminant lorsqu’il est question de cerner son sens, et non le recours à

l’étymologie (son histoire) ou la comparaison avec des mots semblables dans les langues

apparentées (son pedigree). L’étymologie est certainement utile, particulièrement lorsque

nous disposons de peu de données concernant l’usage du mot. On pourrait dire la même

chose de l’étude de la racine et de mots semblables dans d’autres langues. Ce sont des

procédés scientifiques très utiles dans certaines circonstances mais qui demeurent tout de

même des outils de dernier recours lorsqu’il est question d’établir le sens d’un mot92 :

The history of a word (a diachronic study of its use) may explain how a wordcame to be used with some particular sense at a specified time, but in order tofind out what a lexeme means at that particular time we have only to look at thecontemporary usage. The state of a language, and of its lexical stock, can beunderstood entirely by direct observation of usage at the time in question(synchronous study). We no more need to know the history of the language, or ofits lexical stock, to understand the sense of utterances today, than we need toknow precisely what moves have been made in a game of chess in order tounderstand the state of the game and its potentialities now93.

91 C’est d’ailleurs pour cela que les biblistes font attention de distinguer l’usage des mots que font différentsauteurs bibliques tel Paul, Jean et ainsi de suite. Ils reconnaissent que chacun y décrit une notion particulière enemployant parfois les mêmes mots. Voilà pourquoi il est primordial de ne pas confondre sens lexical, qui estcommun à toutes les occurrences (sauf dans les cas évidents de polysémie), et notion. Voir encore ici Peter

COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 166‑167.92 Ceci est particulièrement vrai du vocabulaire hébreu qui est parfois peu attesté et qui semble avoir des liensétroits avec plusieurs dialectes voisins tirant leur origine d’une langue commune dite « proto-sémitique ». Mais,comme le rappelle Sue Groom : « Due to the abstract nature of the results this method should be resorted to onlyafter all available Hebrew data have been examined. » Voir Susan GROOM, Linguistic Analysis of BiblicalHebrew, Carlisle, Paternoster Press, 2003, p. 162.93

Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 132. Ce point est encore contesté par certains, dont RobertThomas pour qui l’étude étymologique serait une manière de sonder l’esprit et l’intuition des écrivains del’antiquité : « The writer belonged to a culture in which this kind of awareness was intuitive, an intuition that themodern interpreter lacks. To atone for that missing intuition, an interpreter must reconstruct the history in orderto appreciate what was subconsciously available for an ancient culture and therefore an implied element in hisusage of a given word. This is the only way modern man has to “get into the minds” of the ancients and so betterunderstand their intentions in the choice of words. Without knowing how word meanings have developed, the

Page 43: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

33

Le lecteur moderne sera offusqué de voir Calvin employer des mots comme

« imbécilité » ou « débilité » alors qu’il ne fait que parler de faiblesse, ces mots n’étant plus

employés de la même manière aujourd’hui94. Bref, le contenu sémantique des mots est en

constante évolution et bien que les informations historiques provenant d’une étude

étymologique soient intéressantes et même parfois utiles, elles peuvent aussi tromper quant

au sens voulu par un auteur dans les divers contextes où il l’emploie. Au mieux, l’étymologie

fournira une estimation du sens du mot, mais c’est encore une fois le contexte de l’énoncé

qui sera le guide le plus sûr en ce qui concerne le sens précis voulu par l’auteur au moment

de sa rédaction95. Pour reprendre l’exemple de Calvin, c’est en examinant son usage du mot

« débilité » que nous saurons qu’il ne parle pas de maladie mentale, mais de l’état de

faiblesse générale de l’humanité. La place primordiale qu’occupe l’étude synchronique des

mots ne signifie pas pour autant que le sens soit détaché de l’histoire ou une donnée

subjective. Cette crainte vient plutôt d’une certaine approche à la théologie qui emploie les

mots de manière technique, avec une définition très fixe et précise96. Elle tend parfois à traiter

le vocabulaire biblique de la même manière, faisant peu de cas du genre littéraire, de l’usage

particulier d’un auteur et d’autres éléments du contexte de l’énoncé. Pourtant, la précision du

langage ne sera que renforcée si l’on s’intéresse premièrement au sens que les mots avaient

understanding of an exegete is impoverished. » Voir Robert L. THOMAS, « Modern Linguistics versus TraditionalHermeneutics », The Master’s Seminary Journal, vol. 14, no 1, 2003, p. 33. Mais comme l’observe Silva, nousemployons la grande majorité de notre vocabulaire sans avoir aucune idée de son origine et de son évolution dansle temps : «We must accept the obvious fact that the speakers of a language simply know next to nothing aboutits development; and this certainly was the case with the writers and immediate readers of Scripture twomillennia ago. » Moisés SILVA, op. cit., p. 38. Il semble donc très périlleux d’entreprendre l’analyse de la penséedes auteurs antiques à partir de l’étymologie.94 L’exemple souvent employé pour illustrer les périls de cette méthode est celle du mot anglais nice, qui a poursens « bon », « gentil », « agréable ». Par contre une étude étymologique révèlerait que sa racine latine estnescius, qui veut dire « ignorant ». De plus, il signifiait en vieil anglais « simple, ignorant » puis au 15ième siècle

« timide ». Voir Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 157‑158.95 Ibid., p. 160.96 Une fluidité sémantique serait alors catastrophique ! À noter que si un auteur cherche à communiquer avec seslecteurs, il ne se permettra pas d’employer un mot dans un sens différent du sens commun à moins de prendrebien soin de définir le mot en question. Sinon, il ne ferait que confondre, le signal envoyé ne pouvant êtrecorrectement perçu par le destinataire. Voir Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 18.

Page 44: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

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au moment où les écrits en question ont été rédigés. Il s’agit là de la préoccupation principale

de l’étude synchronique de la langue97. Pour ces mêmes raisons, nous ne nous attarderons

pas à l’étude des mots apparentés dans les langues voisines. Nous sommes en présence de

mots suffisamment attestés dans le corpus d’hébreu biblique pour ne pas devoir recourir à

ces données qui peuvent être utiles mais aussi trompeuses98.

2.2. APPORT DE LA LINGUISTIQUE COGNITIVE

Notre quatrième postulat, concernant l’origine des catégories, nous amène à réfléchir à

la manière d’aborder le contexte du discours et la portée sémantique de celui-ci sur le sens

lexical d’un mot, d’un côté, mais aussi à la notion à laquelle le mot se rapporte. Une approche

linguistique plus récente, la linguistique cognitive99, a beaucoup à contribuer à ce niveau et

plusieurs biblistes y ont déjà recours pour élucider divers problèmes sémantiques100.

97 Ibid., p. 178. Et qui englobe finalement l’approche grammatico-historique de l’exégèse, qui tente justement decomprendre les textes (et donc leur vocabulaire) dans leur contexte d’origine.98 Nous n’avons qu’à penser à la similitude entre « corps » en français et « corpse » en anglais pour nous rappelerque la comparaison de mots issus de la même racine dans une autre langue n’est pas toujours une activitéproductive. Malgré les réserves mentionnées ici, et qui sont aussi les siennes, James Barr propose de conserverces données comparatives dans les dictionnaires, ne serait-ce que pour éviter des études étymologiques encoreplus farfelues. Voir James BARR, « Hebrew Lexicography: Informal Thoughts », in Linguistics and Biblical

Hebrew, Winona Lake, Eisenbrauns, 1992, p. 142‑143.99 Pour une explication de l’évolution de la sémantique lexicale jusqu’à tout récemment, et en particulier lacontribution de la linguistique cognitive, voir Dirk GEERAERTS, Theories of Lexical Semantics, Oxford, OxfordUniversity Press, 2009, 384 p. Plusieurs études récentes tentent d’intégrer ces principes à l’étude du vocabulairehébreu, dont celles-ci : Christo VAN DER MERWE, « An Overview of Recent Developments in the Description ofBiblical Hebrew Relevant to Bible Translation », in Contemporary Translation Studies and Bible translation: ASouth African perspective, Bloemfontein, University of the Free State, coll. « Acta Theologica Supplementum »,

vol. 2, n° 2, 2002, p. 228‑245. Christo VAN DER MERWE, « Lexical Meaning in Biblical Hebrew and Cognitive

Semantics: A Case Study », Biblica, vol. 87, no 1, 2006, p. 85‑94. Christo VAN DER MERWE, « The Differencebetween הן, הנה and ראה », in « Ich werde meinen Bund mit euch niemals brechen! » (Ri 2,1): Festschrift für

Walter Gross zum 70. Geburtstag, Freiburg, Herder, 2011, p. 237‑256. David K. H. GRAY, « A New Analysis ofa Key Hebrew Term: The Semantics of Galah (’To Go into Exile’) », Tyndale Bulletin, vol. 58, no 1, 2007,

p. 43‑59.Des projets de lexiques et de dictionnaires basés sur ces principes ont aussi vu le jour à la SIL (Projet KTBH) etla Société Biblique Universelle (Projet SDBH).100 Généralement, les études bibliques accusent d’un retard d’une génération sur les développements de lalinguistique moderne (ou la linguistique générale). Ainsi, les premières théories étayées à partir des principesstructuralistes de Ferdinand de Saussure apparurent vers 1930. Ce n’est qu’en 1961 que l’intégration de cesprincipes aux études bibliques commença à se faire de manière plus intentionnelle suite à l’importantecontribution de James Barr en son ouvrage, The Semantics of Biblical Language. Mais déjà à cette époque, la

Page 45: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

35

Cette approche plus récente de la linguistique cherche à fonder l’analyse sémantique sur

la manière dont le cerveau humain organise l’information. Selon la recherche cognitive, celui-

ci a tendance à organiser l’information à l’aide de cadres101 (schémas, scénarios) reliant

diverses notions entre elles, habituellement sur la base de l’expérience humaine (une

situation ou un contexte de vie précis)102. Un mot n’est donc pas simplement un signe qui se

rapporte à un sens lexical abstrait se définissant principalement en relation avec d’autres

mots dans un même lexique. Il s’agit aussi d’un élément de la réalité que nous

expérimentons :

Cognitive semantics represents an experimental approach to meaning. In somerespects it links up with pre-structuralist and romantic approaches to linguisticmeaning. It does not believe that the meaning of linguistic expression can bedetermined merely by a structural analysis of linguistic signs (e.g. theirsyntagmatic and paradigmatic distribution) in abstraction from the society thatuses them103.

linguistique structuraliste commençait à évoluer et se formaliser sous l’influence de Norm Chomsky. C’est à cettepériode que nous devons l’analyse componentielle du sens et la centralité de l’analyse des champs (ou domaines)sémantiques tel qu’adoptées par Eugene Nida dans son Greek-English Lexicon of the New Testament based onSemantic Domains. De ce mouvement sont issus deux tendances : l’une plus formelle qui incorpore la logiquesémantique. Elle s’intéresse plutôt à la validation logique des énoncés et donc néglige davantage les motsindividuels. À l’opposé, la linguistique cognitive étend son horizon de recherche en stipulant que lacompréhension (et donc le sens des mots) n’est pas détachée de la réalité cognitive mais fortement influencée parles expériences, croyances et pratiques d’une communauté. Le lien entre la pensée et le langage, après avoir étécoupé par le structuralisme, est tout doucement rétabli par l’approche cognitive. C’est un juste retour dubalancier, qui permet de tenir compte de certains éléments pragmatiques du langage ainsi que de ses liens étroitsavec l’environnement cognitif (culture, organisation de la pensée, environnement social) de ceux qui le parlent.101 De l’anglais « frame ». On pourrait aussi parler de cadre de référence, concept tiré de l’intelligence artificielle.Charles Fillmore est l’un des pionniers de cette approche sémantique qui est concrétisée dans la base de donnéesFrameNet, un projet de l’Université de Berkeley (https://framenet.icsi.berkeley.edu/fndrupal/). Plusieursdescriptions de l’approche de Fillmore sont disponibles dont celle-ci : Charles FILLMORE et Colin BAKER, « AFrames Approach to Semantic Analysis », in The Oxford Handbook of Linguistic Analysis, Oxford, Oxford

University Press, 2010, p. 313‑340.102 Voir William CROFT et D. A CRUSE, Cognitive Linguistics, Cambridge, Cambridge University Press, 2004,

p. 1‑2. Pour une application aux études bibliques en général, voir Enio R. MUELLER, « Semantics of Biblical

Hebrew: Some Remarks from a Cognitive Perspective »,, document PDF en ligne, 2002, p. 13‑15. Disponibleen : http://www.sdbh.org/documentation/EnioRMueller_SemanticsBiblicalHebrew.pdf. Consulté le 27 juin 2013.103 Christo VAN DER MERWE, op. cit., p. 87. À la défense des exégètes, bien peu ont employé une analysestructuraliste à l’exclusion des données culturelles et religieuse. Par contre, la sémantique cognitive peut apporterun peu plus de rigueur à ce niveau.

Page 46: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

36

Bien qu’un mot soit doté d’un vaste potentiel sémantique, un sens précis est activé

selon le contexte d’usage. De cette manière, nous reconnaissons un certain lien entre les

divers sens d’un mot, sans toutefois tomber dans le travers de lire tous ces sens dans

chaque usage de ce mot. Ce qui prime, c’est l’emploi du mot, le cadre contextuel dans lequel

il se trouve et qui active certains de ses aspects sémantiques grâce aux liens qui sont établis

avec les autres éléments du cadre. Pour comprendre un mot, il faut examiner l’usage qui en

est fait à l’intérieur de son cadre contextuel, c’est-à-dire la situation de vie où il est employé.

Un mot particulier peut évoquer le cadre et ainsi activer des relations vers d’autres

éléments nécessaires à la compréhension, et ceci de manière encyclopédique. Des mots

sont ainsi associés dans notre esprit alors qu’ils n’auraient aucun lien sémantique au niveau

du lexique. Toutefois, ils partagent des liens bien concrets dans notre expérience104. Bien sûr,

l’expérience du peuple israélite au 8ième ou 6ième siècle av. J.-C. est difficile à reconstituer,

particulièrement lorsqu’il est question de mots faisant référence à des concepts abstraits105.

Nous avons toutefois plusieurs indices qui nous sont préservés dans les textes et c’est à eux

que nous devons premièrement avoir recours.

Le principal bénéfice de cette approche pour notre étude est que l’identification du

cadre contextuel de l’auteur, des éléments de connaissance qui font partie de son énoncé et

des usages contextuels des mots צדקה/צדק nous permettront de mieux comprendre leur

potentiel sémantique et de mieux cerner les frontières sémantiques entre les divers usages.

Pour cela, il faut aller au-delà des sens lexicaux associés à ces mots et s’intéresser aux

éléments de connaissance encyclopédique qui nous informent des notions auxquelles ils font

104 Les notions ne flottent pas dans notre esprit de manière aléatoire, ni de manière structurelle (hyponymie,antonymie), mais sont organisés sur la base d’expériences communes. Croft et Cruse donnent l’exemple duconcept « restaurant » qui est étroitement lié dans notre esprit à l’acte de manger, le rôle de client, cuisinier,serveur, la facture et ainsi de suite. La seule unité qui permet de rassembler ces divers concepts est celle du cadre

cognitif. William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 7‑8.105Moisés SILVA, op. cit., p. 146.

Page 47: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

37

référence. En ce sens, la linguistique cognitive est un outil qui nous permet d’analyser les

données textuelles sous un autre angle et qui peut aider le lecteur à saisir le sens approprié,

qui est – nous le souhaitons – plus fidèle au contexte d’origine.

2.3. CHAMPS LEXICAUX ET CADRES CONTEXTUELS

La théorie des cadres contextuels apporte aussi un fondement plus solide à l’analyse des

synonymes et antonymes, tentant d’extraire ceux-ci des textes étudiés plutôt que de les

imposer à partir de notre estimation du lexique ou sous l’inspiration de catégories

modernes106. Plusieurs des mots observés en parallèle avec צדקה/צדק ne sont pas

strictement synonymes et s’intègrent difficilement dans une étude de champ lexical107. Par

contre, on peut beaucoup plus facilement les organiser dans un cadre cognitif qui se veut un

schéma de l’expérience. En ce sens, la théorie cognitive est semblable à la théorie des

champs lexicaux sauf qu’au lieu de regrouper les mots d’une même famille en les comparant

entre eux à même le lexique, les mots sont regroupés dans un cadre structuré par

l’expérience du locuteur. Ce qui importe, ce n’est pas les mots voisins dans le champ lexical,

mais d’avoir un cadre dans lequel on peut intégrer le mot. Un seul mot ne peut définir la

structure complète du cadre, mais il permet au locuteur et son auditeur de focaliser sur une

106 À noter que les synonymes et antonymes ne doivent idéalement pas être tirés de la structure de notre languemais de celle de l’hébreu classique. Il ne s’agit pas non plus d’examiner le vocabulaire hébreu et d’identifier desmots qui pourraient avoir un sens semblable ou opposé. La méthode la plus sûre à cet égard consiste à identifierces relations paragdigmatiques à partir du contexte d’utilisation, par des mots qui sont naturellement identifiéscomme synonymes ou antonymes dans le contexte immédiat : « For us, Synonyms and Antonyms meanessentially words attested in our texts in synonymous or antonymous relationship with the term underconsideration…in some cases, of course, there obviously existed in classical Hebrew synonyms and antonymsthat are not actually attested as such within the extant texts… however, we have felt it prudent to restrictourselves to what can be attested from the texts themselves—if for no other reason than that, once embarkedupon the task of stating the synonyms and antonyms for a given word that might have been used but that neverhave been used as such in the texts that we have, it is hard to know where to stop. » David J. A. CLINES, op. cit.,p. 606.107 Parfois aussi appelé « champs sémantique ».

Page 48: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

38

partie de ce cadre108. Il est à noter qu’une telle analyse ne se détache pas complètement de

l’approche structurale et l’intérêt pour les analyses syntagmatiques et paradigmatiques qui lui

sont typiques. Elle cherche plutôt à intégrer celles-ci dans une approche plus large, qui

cherche à définir le sens d’un mot en son ou ses cadres contextuels109.

Ainsi, les principes lexicaux que nous avons énoncé jusqu’à présent, bien que fondés

sur des principes linguistiques plus traditionnels, ne sont pas incompatibles avec l’approche

cognitive. Au contraire, pour déceler les éléments qui appartiennent ensemble et qui

pourraient constituer le cadre contextuel, il faut analyser le texte où se trouve le mot en

question ainsi que son contexte littéraire plus large. Comme le démontre Gray dans son

étude110, l’analyse syntagmatique nous informe sur le cadre contextuel de l’emploi du mot,

tandis que l’analyse paradigmatique peut mettre en évidence d’autres concepts lexicaux qui

sont souvent combinés au mot étudié et qui ont donc un rôle à jouer dans sa compréhension

dans un contexte précis111.

De Blois illustre comment l’approche des cadres contextuels diffère de l’étude classique

des champs lexicaux : (son contextual domain correspond à ce que nous décrivons comme

cadre contextuel) :

Lexical entries like soldier and carpenter, for example, both have one lexicalmeaning. From a lexical point of view both could be covered by one single lexicaldomain labeled People. From a contextual perspective, however, the former

108 Christo VAN DER MERWE, op. cit., p. 89‑90.109 Voir William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 9‑11. À noter que l’approche cognitive représente tout demême un certain retour du balancier vers une sémantique « idéaliste » et plus traditionnelle pour qui le sens d’unmot équivaut aux idées ou notions qui lui sont associées. C’est aussi en quelque sorte le produit d’un « réalismeexpérientiel » qui voit le sens comme étant étroitement lié à l’expérience, la pensée avec la cognition et le corps.En contrepartie, la sémantique structurale traite le sens comme étant le produit de la relation entre les mots dansle stock lexical de la langue et donc divorcée du contexte de vie. Voir la discussion en ce sens et les comparaisons

avec l’approche de James Barr en Enio R. MUELLER, op. cit., p. 7‑9.110 David K. H. GRAY, op. cit., p. 45.111 Ibid., p. 55‑58. Ceux-ci sont appelés des domaines ou éléments du cadre contextuel.

Page 49: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

39

would need to be assigned to a contextual domain like Warfare, whereas thelatter would fit well under the contextual domain Crafts. In a similar way words likesword and chisel, could be dealt with. Lexically, both are Objects (Artifactsaccording to Louw and Nida’s classification), but from a more contextual point ofview they could be classified under the same domains as the two wordsdiscussed in the previous paragraph112.

Bien qu’il soit utile d’analyser les mots selon leurs champs lexicaux, cet exercice

suscite plusieurs questions d’ordre méthodologique dont les suivantes :

1) Pour bien délimiter le sens d’un mot par rapport aux autres qui lui sont semblables,

il faut une connaissance exhaustive du vocabulaire de cette langue sans quoi les

« frontières » sémantiques ne peuvent être bien cernées. Une analyse de ce genre

présuppose un vocabulaire complet mais comme le corpus de l’hébreu biblique est

tout de même limité, nous n’avons pas le vocabulaire complet à notre disposition. Il

est aussi indispensable de disposer d’une connaissance intime des nuances de la

langue, tel qui serait envisageable s’il était possible de compter sur un locuteur

vivant. Mais encore ici, puisqu’il s’agit d’une langue morte, notre connaissance des

nuances synonymiques se trouve handicapée.

2) L’analyse des champs lexicaux a tendance à nous éloigner du texte et du contexte

immédiat pour s’intéresser à la structure de la langue113

. Cette analyse abstraite

peut nous entraîner dans un travail infini : Puisqu’un même mot dispose

régulièrement de plusieurs sens qui appartiennent à divers champs lexicaux,

l’organisation de cette information devient alors très problématique114

. Voilà

112 Reinier DE BLOIS, op. cit., p. 277.113 Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p. 155‑157.114 D’ailleurs, il s’agit de la raison principale pour laquelle James Barr n’a pas voulu travailler de cette manière,

préférant plutôt à s’en remettre à un index. Comme il le remarque, un mot hébreu comme בית fait référence à

plusieurs concepts lexicaux distincts : « famille », « temple », « à l’intérieur » et appartient donc à plusieurs

champs lexicaux. Voir James BARR, op. cit., p. 144‑145.

Page 50: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

40

probablement pourquoi peu de personnes ont entrepris ce travail, particulièrement

avec les mots qui nous intéressent.

3) L’analyse des synonymes que nous retrouvons dans plusieurs ouvrages est sujette

à plusieurs travers. Alors qu’on prétend avoir fait une étude de champ lexical, il y a

souvent confusion entre synonymie et cooccurrence. Ainsi, puisque טוב et צדקה

apparaissent ensemble, on assume que « justice » est équivalent de « bien-

être »115

. Pourtant, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles deux mots

peuvent être employés ensemble, même sur des lignes parallèles sans qu’il

s’agisse d’une synonymie étroite entre ces deux termes. Par exemple, supposons

qu’un homme dise à son épouse : « De tout mon coeur je t’aime, je te promets

fidélité. » Ces lignes parallèles ne signifient pas qu’amour et fidélité sont

sémantiquement équivalents dans ce contexte. Bien sûr, un amour véritable

suppose une fidélité à sa future épouse. En ce sens, il y a un lien qui unit amour et

fidélité. Mais à l’opposé, la fidélité n’équivaut pas à l’amour dont il est question ici.

Parce que deux mots sont employés pour définir une même situation, on les

associe souvent de cette manière116

. Les cooccurrences telles que celles-ci sont

utiles pour distinguer les nuances du sens du mot amour (ici amour conjugal) mais

ne sont pas nécessairement une indication de synonymie. Il serait encore plus

grave d’avancer que lorsqu’on rencontre le mot amour, il est question de fidélité

conjugale. Pourtant ce genre d’analyse est très répandu dans les études de mots

bibliques et nous oblige à traiter les cooccurrences avec prudence, particulièrement

115 Cette association est faite par Gordon McConville dans son analyse de la péricope de Dt 6.20-25 en J. G.

MCCONVILLE, Law and Theology in Deuteronomy, Sheffield, JSOT Press, 1984, p. 14‑15.116 Barr a décrit ce problème comme « transfert d’identité illégitime ». Cotterell et Turner parlent quand à euxd’une erreur co-référentielle, celle d’assumer que puisque deux mots sont employés pour parler d’une mêmechose ou situation, les deux mots doivent avoir le même sens. Voir Peter COTTERELL et Max TURNER, op. cit., p.

143, 160‑161.

Page 51: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

41

dans le parallélisme de la poésie hébraïque. En contrepartie, les antonymes sont

très utiles puisque la nature de la relation entre ceux-ci est déjà beaucoup plus

clairement établie117

.

4) Finalement, l’étude des champs lexicaux s’appuie sur le présupposé de

l’importance du choix des mots : Puisqu’un mot a été choisi et non son proche

synonyme, certains affirment qu’il doit y avoir un élément de signification qui est

unique à ce mot et qui le rend indispensable dans la signification de la phrase118

.

Bien que l’emploi d’un mot puisse refléter un choix (conscient ou non), il y a aussi

de nombreuses raisons qui permettent de croire que ce choix de mot est souvent

insignifiant, par exemple pour des raisons de style. Les mots sont souvent

employés de manière interchangeable et il est conséquemment plus prudent de ne

pas attribuer une importance aussi grande à un mot individuel. Tout choix lexical

n’est pas significatif, ce qui implique que lorsque nous analysons la portée

sémantique d’un mot, il est préférable de s’en remettre au sens qui contribue le

moins à la phrase119

.

117 L’opposition peut être binaire, ou par gradation, mais il reste tout de même qu’il s’agit de contraires. Ilimporte alors de savoir quels éléments sémantiques sont en opposition, ce qui nous permet de cerner plusfacilement le sens du mot étudié. Par exemple, Dt 24.13-15 place ולך תהיה צדקה et והיה בך חטא en opposition.Peut importe le sens que nous attribuons à צדקה en ce contexte, il doit prendre en considération le fait qu’il s’agitde ne pas être chargé d’un péché. Voir les commentaires de Silva à cet effet qui parle des différents typesd’antonyme en : Moisés SILVA, op. cit., p. 129‑132.118 Comme le remarque Silva, les diverses langues n’ont pas le même nombre de mots pour décrire une chose (lapeur par exemple), ce qui fait que dans un lexique moins riche, un mot aura une plus grande aire ou potentielsémantique. Le potentiel sémantique est donc en lien avec le nombre de proches synonymes et les nuances que

ceux-ci permettent de faire. Ibid., p. 159‑163.119 Voir les remarques judicieuses et nombreux exemples de Silva en Ibid., p. 163‑169. Romerowski décrit cetterègle, le théorème de Joos, comme suit : « Dans un contexte donné, le sens à retenir pour un terme est celui dontl’apport sémantique est le moindre dans ce contexte, c’est-à-dire celui qui apporte le moins d’information, lemoins original, et le moins riche…en effet, lorsqu’un locuteur veut insister sur telle nuance particulière, ou surtelle information, il ne se contentera pas d’une formulation susceptible de la laisser passer inaperçue. Il

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42

À la lumière de ces réserves, et comme nous nous proposons d’étudier seulement deux

mots qui sont étroitement liés, il nous semble plus utile et plus prudent de nous intéresser

davantage à l’organisation de leur cadre contextuel que le ou les champs lexicaux auxquels

ils appartiendraient dans le vocabulaire d’hébreu biblique120.

2.4. LA DÉFINITION DU CADRE

La définition du cadre contextuel n’est pas simple et requiert beaucoup de réflexion.

Certains comme Floor présentent d’abord un cadre défini au préalable et analysent les

données à cette lumière121. Cette approche n’est pas très différente que celle de Schmid que

nous avons critiqué précédemment puisqu’elle semble imposer une idée dès le départ. Il

nous apparait préférable d’étudier toutes les occurrences des mots concernés avant de se

prononcer sur ce sujet. L’identification du ou des cadres contextuels doit tenir compte de la

fonction sémantique et du contexte (scénario, situation) des propos où se trouve le mot

étudié.

Par exemple, Dt 6.25 et 24.13 emploient le mot צדקה de manière identique : L’analyse

syntagmatique révèle qu’ils sont combinés au même verbe et complément. Voilà un premier

indice que ce mot pourrait avoir un même sens dans les deux versets. De plus, l’analyse

paradigmatique indique que dans les deux cas, le mot est en relation avec des termes

comme bénédiction et absence de culpabilité. D’autres notions décrites dans le contexte

immédiat ne sont pas strictement en relation paradigmatique mais nous informent au sujet du

s’assurera, en donnant toutes les précisions nécessaires, que ce qu’il veut communiquer va être compris de sesauditeurs. » Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 196.120 « It should be noted that more is involved [than relations of similarity and contrast] in determining thesemantic contribution of a lexical item to the sentence and to the discourse in which it occurs. Contrary to whatstructuralism seems to suggest, semantics cannot escape the fact, that cognitive meaning essentially deals withreferences in context and cotext. » Voir Gerrit VAN STEENBERGEN, « Componential Analysis of Meaning andCognitive Linguistics: Some Prospects for Biblical Hebrew Lexicology », Journal of Northwest SemiticLanguages, vol. 28, no 1, 2002, p. 33.121 Sebastian J. FLOOR, op. cit., p. 2‑5.

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43

cadre contextuel : Il est question de commandements, de comportement, de récompense, de

YHWH. D’une certaine manière l’alliance mosaïque est aussi présente en arrière-plan

puisque que les commandements sont des obligations d’alliance. Dans cette situation

précise, le mot צדקה s’inscrit dans un cadre contextuel qui est avantageusement décrit par

« obéissance ». Une autre manière de parler d’obéissance serait de dire qu’il est question de

la conformité à une norme établie. Dans les deux cas צדקה est promise à ceux qui agissent

en conformité aux commandements de YHWH. Notre analyse révèle donc que ces deux

instances de צדקה font partie du cadre « conformité à une norme » et qu’elles se traduisent

avantageusement par « justice », c’est-à-dire un statut qui est accordé à celui qui obéit aux

commandements divins122.

Conséquemment, l’organisation des divers sens lexicaux du mot צדקה tiendra compte

des cadres identifiés, c’est-à-dire du contexte cognitif. Dans un texte quelconque, un sens

lexical sera associé à un cadre contextuel. Si le cadre change, le sens lexical sera lui aussi

appelé à changer123. Le cadre a donc pour fonction d’isoler un des sens possibles du mot à

partir de son potentiel sémantique124. À l’opposé, un mot peut, comme nous le verrons, servir

à mettre en lumière différentes régions d’un même cadre selon le contexte. Voilà pourquoi il

nous faut parler d’usages contextuels. Par exemple, dans le cadre « conformité à une

norme », le mot צדקה peut être employé de différentes manières pour désigner une action

juste ou encore le statut de justice qui en découle. Ce sont deux régions du cadre qui seront

affectées selon le cas. Ainsi, suite à l’étude de Dt 6.25 et 24.13, nous pouvons structurer

notre définition comme ceci :

122 Strictement parlant, il faut prendre la phrase entière (ולך תהיה צדקה) qui pourrait être traduite par « nousserons justes ».123 Du moins son usage contextuel.124 David K. H. GRAY, op. cit., p. 59.

Page 54: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

44

צדקה

- Sens lexical 1 : État de fait conforme à l’ordre moral

o Usage contextuel 1 : Statut moral/légal en conformité aux normes de droit

o Usage contextuel 2 : …

- Sens lexical 2 : Comportement en conformité à une norme

o Usage contextuel 1 : Obéissance aux normes de la loi (voir plus bas)

- Sens lexical 3 : …

L’étude d’autres instances du même mot révèlera probablement que celui-ci parait

parfois dans le même cadre mais désignant une réalité différente. Ainsi, lorsqu’il est question

de pratiquer la ,צדקה il est possiblement encore question d’un cadre « conformité à une

norme », sauf que l’usage contextuel désigne le comportement comme tel et non le statut qui

en découle. Nous aurions donc un deuxième sens sous la même définition générale de

« conformité à une norme ».

Bref, la sémantique lexicale cognitive peut nous être très utile pour établir les

catégories d’usage de manière inductive, à partir des cadres dans lesquels se trouvent les

diverses instances de .125צדקה/צדק À noter que les cadres identifiés s’appliquent aux

acteurs divins comme humains. Il n’y a donc pas lieu, jusqu’à présent du moins, d’imposer

des catégories « séculière » et « théologique » ou « humain » et « divin ». Bien que le

contexte immédiat suffise souvent pour décrire le cadre auquel le mot renvoie, il faut

admettre qu’un contexte plus large doit être consulté. Après tout, l’aspect cognitif fait

référence aux expériences communes d’une société. Ainsi, un mot désignant une réalité

125 « The use of frames and (more artificially) semantic domains, as ways of organizing information in our minds,is the basis of cognitive linguistics. Top-down approaches that start with theological ideas and premises and workdown to the text are much less productive than methods that look at how words are actually used in their variouscontexts. » Ibid., p. 44.

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45

abstraite et de nature religieuse ou éthique tel צדקה/צדק fera normalement référence à des

pratiques culturelles et religieuses qui dépassent le cotexte immédiat étudié. Toutefois, notre

source d’information première pour la religion de l’Israël ancien demeure la Bible hébraïque.

Il y a peu de données externes appartenant à ce peuple qui nous informe de leur notion de

.צדקה/צדק Nous aurons donc à certains moments besoin d’élargir notre cadre pour

examiner le contexte cognitif de צדקה/צדק et ainsi dépasser le cotexte de l’occurrence.

Notons que la culture hébraïque n’est pas une entité qui existe indépendamment de la

pensée de l’israélite ancien :

Culture is not a material phenomenon; it does not consist of things, peoples,behavior, or emotions. It is rather an organization of these things. It is the form ofthings that people have in mind, their models for perceiving, reacting andotherwise interpreting them126.

La culture hébraïque est donc représentée dans les textes bibliques, dans la manière

dont les discours sont structurés et surtout, dans le contenu sémantique de ceux-ci. Une

analyse sémantique tentera donc d’identifier les liens entres ces mots dans le contexte du

discours.

2.5. DÉLIMITATION DE L’ÉTUDE

Un projet de cette nature exige que certaines limites soient imposées. Nous aurions pu

aussi nous intéresser au verbe צדק et l’adjectif ,צדיק mais ceci aurait étendu notre étude

davantage sans pour autant ajouter une valeur significative. Bien que ces mots soient

étroitement reliés par une racine commune, le sens qui est propre à chacun doit être établi

126 Ward GOODENOUGH, « Cultural Anthropology and Linguistics », in Report of the seventh annual round tablemeeting on linguistics and language study, Washington, Georgetown University Press, coll. « Monograph Serieson Language and Linguistics », n° 9, 1957, p. 167.

Page 56: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

46

spécifiquement : Une racine commune ne signifie pas un sens commun127. Nous allons donc

nous restreindre à ces deux noms. Bien entendu, comme il s’agit du vocabulaire hébreu et

d’une étude lexicale, ce projet se limitera au texte hébreu de la Bible hébraïque. Nous

aurions pu étendre notre recherche à tous les textes habituellement considérés comme

faisant partie du corpus d’hébreu classique. Mais étant donné que צדק et צדקה sont

amplement attestés dans le texte biblique, il ne nous a pas semblé indispensable d’inclure les

manuscrits de Qumran et les inscriptions anciennes. Ce choix ne traduit pas un désir

d’accorder un statut particulier au texte biblique : Notre recherche est plutôt motivée par des

considérations pratiques et linguistiques. Comme nous avons déjà plus de 270 instances de

ces mots dans le texte biblique, cet échantillon nous apparait suffisant pour étudier le sens du

mot dans une variété de contextes128.

Par ailleurs, les situations où la lecture des manuscrits bibliques est contestée (selon

BHQ ou BHS) seront notées.

127« Another danger lies in the fact that some users may be inclined to overemphasize the semantic relationship

between a particular root and its derivatives. In order to be able to understand the meaning of a word we will haveto study it within its context and though the etymological aspects of a particular word are not to be neglected, anumber of derivatives undergo a certain amount of semantic shift which only the context in which they occur canhelp us discover. » Reinier DE BLOIS, op. cit., p. 6.128 On pourrait s’objecter qu’il est périlleux d’étudier le sens d’un mot parmi des textes qui ont été écrits sur unesi longue période. Mais peu importe la supposée date de rédaction des divers éléments du corpus de la Biblehébraïque, l’étude s’intéresse à chaque occurrence séparément. Comme nous ne cherchons pas à établir un senscommun, la datation des textes devient une préoccupation secondaire. Il est aussi possible, comme James Barr lesouligne, qu’un mot ait pu changer de sens avec le temps et à même les différents stades de rédaction d’un mêmetexte. Mais le contexte sémantique qui nous est disponible est celui de la forme finale du texte. C’est ce contextesémantique (« linguistic web of texts ») qui doit être considéré comme absolu pour le lexicographe. Voir James

BARR, op. cit., p. 146‑147.

Page 57: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

47

2.6. CONCLUSION

En conclusion, le but de cette analyse est de répertorier toutes les instances de

צדקה/צדק dans la Bible hébraïque selon la démarche suivante :

1) Analyser le cotexte afin d’identifier les relations syntagmatiques (les cooccurrences). Le

nom est employé comme sujet ou objet de quels verbes ? Il est en état construit avec

quel autre nom ? Quel est son rôle dans la phrase et quel type de réalité désigne-t-il ?

Y-a-t’il des combinaisons de mots qui se répètent et qui semblent apporter une nuance

sémantique ?

2) À partir du contexte immédiat, identifier les relations paradigmatiques (synonymes ou

antonymes) qui pourraient être présentes et qui nous aideront à cerner davantage le

sens recherché.

3) Identifier les éléments de connaissance qui font partie du cadre contextuel dans le

cotexte, en particulier ceux qui sont nécessaires pour une juste compréhension du sens

précis du mot dans ce contexte.

4) Identifier le cadre contextuel en question. L’usage contextuel du mot est étroitement lié

à ce cadre. Si ce cadre change, la sens lexical ou son usage contextuel changeront

aussi.

L’identification des cadres contextuels et des éléments reliés permettront de faire une

présentation structurée du sens des mots צדקה/צדק à l’étape de la synthèse. Notre étude

s’attardera donc premièrement à définir les usages contextuels qui sont associés à

,צדקה/צדק puis à s’intéresser, à la lumière du cadre contextuel aux éléments

encyclopédiques qui leur sont reliés et qui dépassent le sens lexical. Nous entrerons ainsi

d’une certaine manière dans le domaine de la notion du mot ,צדקה/צדק tout en étant

Page 58: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

48

conscient qu’il ne s’agit que de ce mot et non de la notion plus générale de justice.

Finalement, nous tirerons quelques conclusions qui tenteront de répondre à notre question

initiale : La linguistique cognitive est-elle utile pour clarifier le sens de mots tels que

צדקה/צדק ?

Page 59: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

49

CHAPITRE 3

Analyse des textes

Une étude attentive des 276 occurrences de צדק et צדקה dans le corpus de la Bible

hébraïque nous amène aux constatations suivantes : Nous remarquons 8 usages différents

pour le mot צדק et 7 pour le mot .צדקה Plusieurs de ces usages sont communs aux deux

mots, ce qui fait que nous dénombrons en réalité 9 usages distincts au total. Il est question

d’usage à ce point puisque nous devrons revenir plus loin sur la manière de considérer ces

variations sémantiques. S’agit-il de sens lexicaux distincts, d’usages contextuels ou d’autre

chose ? Ce n’est qu’après avoir analysé l’ensemble des données que nous serons en

mesure d’avancer une réponse à cette question.

Ces différents usages sont apparus suite à une analyse syntagmatique et

paradigmatique, tout en considérant la réalité précise (ontologique) désignée par le mot dans

un contexte précis. Autrement dit, nous avons analysé l’apport sémantique du mot, son rôle

dans le cadre contextuel ainsi que les éléments de connaissance qui lui sont associés.

Comme l’usage de צדק et צדקה semble identique dans beaucoup de cas, nous

présenterons d’abord leurs usages communs et ensuite les usages qui sont distincts. Le

tableau suivant compare 9 extraits où les mots צדקה/צדק présentent des nuances

sémantiques significatives :

1. L’administration équitable du droit

1 R 10.9

וצדקהמשפטלעשותלמלךוישימךלעלםאת ישראליהוהאהבתב

C’est parce que l’Éternel aime à toujours Israël, qu’il t’a établi roi pour que tu fasses droit

et justice129

.

129 Les traductions de ce chapitre proviennent de la Louis Segond 1910 à moins d’avis contraire.

Page 60: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

50

2. La manière dont on se comporte avec autrui (conduite, pratique)

Es 33.15

ואזנ אטםבשחדמתמךכפיונערמעשקותבבצעמאס מישריםודברצדקותהלך

ברעמראותיועינ עצםו דמיםמשמעCelui qui marche dans la justice, et qui parle selon la droiture, qui méprise un gain acquis

par extorsion, qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent, qui ferme l’oreille

pour ne pas entendre des propos sanguinaires, et qui se bande les yeux pour ne pas voir

le mal […]

3. Légitimité d’une revendication devant un juge

2 S 19.30

(19.29)

המלךאלעודולזעקצדקהעודליישומה

Quel droit puis-je encore avoir, et qu’ai-je à demander au roi ?

4. Un acte qui délivre de l’oppression, habituellement en réponse à une revendication

Es 46.13

קרבתי צדקתי לא תרחק ותשועתי לא תאחר ונתתי בציון תשועה לישראל

תפארתיJe fais approcher ma justice : elle n’est pas loin ; Et mon salut : il ne tardera pas. Je

mettrai le salut en Sion, Et ma gloire sur Israël.

5. Un état de fait qui découle de l’obéissance ou rétabli par la délivrance/jugement

Es 48.18

יםה גליכ וצדקתךךשלומ כנהרויהילמצותיהקשבתלוא

Oh ! si tu étais attentif à mes commandements ! Ton bien-être serait comme un fleuve, Et

ton bonheur comme les flots de la mer ;

6. Qualité de celui qui agit de manière droite et intègre

Gn 30.33לפניךשכריתבוא עלכימחרביוםיצדקת יב וענתה

Ma droiture répondra pour moi demain, quand tu viendras voir mon salaire ;

7. Un statut ou mérite accordé devant YHWH

Dt 6.25a

אלהינויהוהפניל זאתה מצוהה את כללעשותנשמרכילנותהיהוצדקה

Nous aurons la justice en partage, si nous mettons soigneusement en pratique tous ces

commandements devant l’Éternel, notre Dieu.

Page 61: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

51

8. Conformité des sacrifices aux attentes ou instructions

Ps 4.6יהוהאלובטחוצדקזבחיזבחו

Offrez des sacrifices de justice, Et confiez-vous à l’Éternel.

9. Exactitude et conformité d’une mesure

Lv 19.36לכםיהיהצדקאיפת צדק והיןצדקאבניצדקמאזני

Vous aurez des balances justes, des poids justes, des épha justes et des hin justes.

Nous allons maintenant considérer dans les sections qui suivent les particularités de

chaque usage et les caractéristiques qui nous permettent de les distinguer. Nous allons aussi

tenter de définir le cadre contextuel général pour chaque usage tel que nous le rencontrons

dans le contexte. Mais comme nous souhaitons procéder de manière inductive, nous

attendrons au prochain chapitre pour déterminer s’il y a lieu de rassembler ces divers usages

sous une définition commune et s’il existe un cadre prototypique qui serait évoqué à chaque

fois que le mot est employé.

3.1. L’ADMINISTRATION ÉQUITABLE DU DROIT

L’administration équitable du droit est l’usage le plus fréquent et l’une des plus

caractéristiques observées dans la Bible hébraïque. Dans le contexte, les mots צדקה/צדק

sont accompagnés du mot משפט pour décrire l’exercice du droit. L’expression וצדקהמשפט

est parfois employée comme complément du verbe .עשה L’exemple #1 présenté au tableau

précédent est typique et se retrouve quatorze fois dans un contexte d’administration du droit :

2 S 8.15, 1 R 10.9, Jr 9.23, 22.3, 22.15, 23.5, 33.15130, Ez 45.9, Ps 89.15, 97.2131, 99.4, Ec

130 Il y a deux instances de צדקה dans ce verset mais la première ne se retrouve pas dans tous les manuscrits nidans la Septante. La deuxième instance est celle qui nous intéresse ici puisqu’elle fait partie de l’expression

וצדקהמשפט .131 Ps 89.15, 97.2 et 98.9 n’ont pas le verbe עשה mais présentent une image sémantiquement équivalente. Letrône du roi est établi.

Page 62: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

52

5.7132, 1 Ch 18.14, 2 Ch 9.8. Il est fort possible que וצדקהמשפט soit une hendiadys133

assez connue puisqu’on la retrouve aussi dans les langues apparentées134. צדקה prendrait

alors un sens adjectival : On pourrait traduire par « jugements de justice » ou « droit juste ».

Plusieurs textes poétiques semblent aussi employer צדקה/צדק de la même manière, bien

que la paire צדקה/צדק et משפט soit séparée en deux lignes superposées pour fins de

parallélisme135 : Dt 33.21, Es 1.21, 26, 27, 5.7, 16, 9.6, 16.5, 28.17, 32.1, 16, 17, 58.2 (2x),

59.9, 14, Jr 22.13, Am 5.7, 24, 6.12, Ps 33.5, 36.7, 11, 48.11, 58.2, 72.1, 2, 3, 89.15, 17,

103.6136, 119.40, 138, Jb 8.3, 37.23, Pr 16.12, Ec 3.16.

Le mot צדק est lui aussi employé avec ,משפט mais parfois de manière un peu

différente, comme adjectif du nom פטמש pour décrire la qualité du jugement (Dt 16.18, Es

58.2, Jr 11.20, Ps 9.5, 94.15, 119.7, 62, 75, 106, 160, 164, Pr 8.16137) ou comme adverbe

accompagnant le verbe .שפט Il décrit alors la manière dont le droit est exercé : Lv 19.15, Dt

1.16, Es 11.4, 59.4, Ps 9.9, 35.24, 96.13, 98.9, Pr 31.9.

Les antonymes de צדקה observés dans ce contexte sont : צעקה (cri de détresse) dans

Es 5.7 - un jeu de mot avec צדקה -, עשק (oppression) en Es 54.14, חמס ושד (violence et

destruction) en Ez 45.9 et רשע (mal, injustice) en Pr 16.12. צדק quant à lui est opposé à עול

132 Ici on parle de l’inverse, de la violation (גזל) de וצדקהמשפט133 Ou hendiadyin, c’est-à-dire remplacer la combinaison d’un nom et son adjectif ou complément par deux nomscoordonnés. Ainsi צדקה serait possiblement un complément ou adjectif de .משפט « Hendiadys refers to thepresentation of a single idea by a co-ordinate combination of words, inter alia two NOUNS, two VERBS or twoadjectives, for example, nice and warm for nicely warm. » Christo VAN DER MERWE et al., A Biblical HebrewReference Grammar, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1999, p. 359.134 Voir le chapitre 1 de Moshe WEINFELD, Social Justice in Ancient Israel and in the Ancient Near East,

Jerusalem, Magnes Press, 1995, p. 25‑44. Celui-ci ne découpe pas les usages de la même manière que nous, maiscela est aussi une conséquence du fait qu’il s’appuie largement sur les textes du Proche Orient ancien pour établirses distinctions. Plusieurs des comparaisons qui y sont faites sont sujettes à débat.135 Ce phénomène est noté par Weinfeld mais aussi expliqué plus en détail dans Adele BERLIN, The Dynamics of

Biblical Parallelism, édition révisée, Grand Rapids, Eerdmans, 2008, p. 79‑83.136 Exceptionnellement ici, les deux termes sont au pluriel.137 La présence de צדק dans ce verset est incertaine. Plusieurs manuscrits ont ,ארץ en conformité avecl’expression semblable en Ps 2.10 et Es 40.23.

Page 63: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

53

(iniquité, injustice) en Lv 19.15, רצח (meurtre) en Es 1.21, עמל (détresse) et און (trouble) en

Es 59.4 et רשע (mal, injustice) en Ps 45.8, Pr 25.5 et Ec 5.7.

Il est à noter que le parallélisme n’est pas suffisant pour délimiter cet usage puisque

ces deux mots sont parfois employés ensemble dans d’autres contextes (voir le point

suivant). Le facteur déterminant outre la construction וצדקהמשפט est le cadre cognitif où

ces deux mots apparaissent ensemble. Le mot dénote la manière qu’un dignitaire (roi, prince,

juge) doit agir pour que justice soit rendue, que l’opprimé soit délivré et l’oppresseur puni.

Ainsi nous retrouvons habituellement dans ce contexte un ou plusieurs dignitaires, un

comportement, des normes d’équité et un peuple ou un individu. Souvent s’ajoute aussi

l’oppression lorsque le droit n’est pas exercé ou la délivrance de celle-ci lorsque l’on exerce

וצדקהמשפט . Conséquemment, il est parfois question de l’opprimé (particulièrement le

pauvre, l’orphelin et la veuve) et du méchant qui l’opprime. Toutefois, l’élément qui est

désigné par le mot, c’est-à-dire l’aspect sémantique qui est focalisé par cet usage dans le

cadre est la manière dont le droit est administré, la norme qui dirige l’action du roi. C’est la

צדקה/צדק qui est pratiquée, qui établit le trône du roi, qui est renversée ou aimée. Le cadre

contextuel se résumer ainsi :

Tableau 3.1. Cadre contextuel pour l’usage « Rectitude des jugements »

Cadre

Éléments du cadreDignitaire, Comportement, Normes d’équité, Récipiendaire, Jugements,

Délivrance, Opprimé, Oppresseur

Élément focalisé Rectitude des jugements

Scène Un dignitaire exerce un jugement équitable pour rétablir le droit

Page 64: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

54

Certains usages ne combinent pas משפט et צדקה mais semblent néanmoins

employer צדקה/צדק de manière semblable pour référer à l’exercice conforme du droit par un

dignitaire, qu’il soit humain ou divin : Es 10.22, 41.2, 42.6, 21, 54.14, 63.1, Jr 23.6, 33.16, Ps

7.18, 35.28, 45.5, 8, 119.142, 144, 172 et Pr 8.15, 25.5, Da 9.7.

Plusieurs textes rassemblent tous ces éléments et nous informent au sujet du cadre

cognitif. Par exemple, le Psaume 72 débute par une prière pour que le roi reçoive les משפט

et צדקה de Dieu, afin qu’il puisse lui-même juger son peuple selon la משפט et צדק (v. 1-2) :

מלךלבןךוצדקת תןמלךל יךמשפט אלהיםשלמהל

וענייך במשפטידין עמך בצדקDe Salomon. O Dieu, donne tes jugements au roi, Et ta justice au fils du roi !

Il jugera ton peuple avec justice, Et tes malheureux avec équité.

Le roi étant le représentant de YHWH, son rôle est d’appliquer le droit et la justice

divine à son peuple, et spécialement ceux qui sont opprimés138. C’est ainsi que le peuple

peut faire l’expérience de la paix ,(שלום) une paix qui est causée par la ,צדקה c’est-à-dire le

droit juste139 (v. 3) :

צדקהב וגבעותעםל שלוםהריםישאוLes montagnes porteront la paix pour le peuple, Et les collines aussi, par l’effet de ta justice.

צדקה n’est donc pas synonyme de שלום mais plutôt sa cause. Les versets suivants

décrivent en quoi consiste l’exercice de וצדקהמשפט . Il s’agit de faire droit (ישפט) au

malheureux, de sauver (יושיע) les enfants des pauvres et d’écraser l’oppresseur .(עושק)

C’est dans ce contexte que les justes s’épanouiront et que la paix régnera (v. 7). Les v. 13-14

138 L’exercice du droit appartient à Dieu et le peuple appartient lui aussi à Dieu. Le roi est l’agent divin qui meten application le droit divin. Voir les commentaires en ce sens en Marvin E TATE, Word Biblical Commentary : Psalms 51-100, Dallas, Word, coll. vol. 20, 1998, p. 223.139 La préposition ב est absente de certaines versions anciennes mais la lecture du manuscrit hébreu n’est pas endoute.

Page 65: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

55

poursuivent la description des actions du roi juste : Il aura pitié et préservera (יושיע) la vie de

ceux qui sont vulnérables et opprimés. Il les délivrera (יגאל) de la violence (חמס) et leur

sang (vie) sera précieux à ses yeux.

Bref, la raison pour laquelle le dignitaire exerce le droit (ses arrêts de justice) est

d’assurer le traitement équitable de chacun ; que personne ne soit opprimé sans cause et

ceci peu importe son statut social. Il s’agit en quelque sorte de faire respecter un ordre moral

nécessaire et indispensable au bien-être de son peuple en punissant le mal et en

récompensant le bien. Ce texte ne nous dit rien concernant la provenance précise de ces

normes d’équité (loi, alliance ?) sinon qu’elles proviennent de Dieu.

3.2. LA MANIÈRE DONT ON SE COMPORTE AVEC AUTRUI (CONDUITE, PRATIQUE)

Un deuxième usage observé est celui où צדקה/צדק fait référence à un type de

comportement, des actions qui sont pratiquées vis-à-vis d’autrui. Bien que certaines

constructions grammaticales soient similaires au point précédent, le contexte où l’on retrouve

cet usage est beaucoup plus général. Encore une fois, l’expression דקהוצמשפט est parfois

employée comme complément du verbe עשה : Gn 18.19, Ez 18.5, 19, 21, 27, 33.14, 16, 19,

Ps 119.121 et Pr 21.3. Dans les textes de nature poétique, nous retrouvons aussi cette

combinaison sur des lignes parallèles : Es 56.1a, Is 58.2140, Ps 106.3, Pr 8.20 et Jb 29.14.

Mais dans ce contexte, les mots צדקה/צדק apparaissent plus souvent sans .משפט On

la pratique (עשה) en Ez 18.22, 24 et Es 64.4, (פעל) en Ps 15.2, on s’en détourne (שוב) en

Ez 18.26, s’y confie (בטח) en Ez 33.13, la sème (זרע) en Os 10.12, la recherche (בקש) en

140 Ici le mot משפט est associé à un autre verbe et est possédé par Dieu. Donc bien qu’il y ait colocation avec

,משפט il ne s’agit pas de l’expression וצדקהמשפט .

Page 66: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

56

So 2.3, la poursuit (רדף) en Pr 15.9, 21.21 et Es 51.1. La צדקה délivre (נצל) de la mort (Pr

10.2), élève (רום) une nation (Pr 14.34). Les jugements équitables de Dieu servent à faire

apprendre (למד) le צדק au méchant (Es 26.9, 10) et sont déterminés par la conduite du juste

et du méchant 1 R 8.32 ≈ 2 Ch 6.23. Dans ce contexte, צדקה/צדק sont parfois employés en

relation avec מישרים (droiture).

צדקה/צדק sont aussi employés de manière adverbiale avec la préposition ב pour

décrire la conduite de quelqu’un (הלך בצדקה) en 1 R 3.6, du peuple qui invoque le nom de

YHWH injustement ( ולא בצדקה [...]באלהי ישראל יזכירו ) en Es 48.1, qui ne juge pas de

manière juste et qui jure (prêtre serment) avec droiture ( ובצדקה [...]ונשבעת ) en Jr 4.2. Les

sacrificateurs présenteront avec justice des offrandes (והיו ליהוה מגישי מנחה בצדקה) en

Ma 3.3. Cette préposition sert aussi de construction adjectivale en Pr 8.8 et 16.13 pour

signifier des paroles justes141.

À l’état construit, elle décrit le chemin où l’individu doit marcher, les voies justes (Ps

23.3, Pr 8.20, 12.28, 15.9 et 16.31), une métaphore du genre de conduite qu’il faut adopter.

D’ailleurs Es 33.5, 64.4 et Pr 16.7-8 reprennent aussi l’image de la justice comme voie où il

faut marcher. En Gn 18.19, il est demandé d’Abraham que lui et sa postérité pratiquent la

justice et le droit ( ומשפט צדקה לעשות ), comportement qui découle du fait de garder ou

observer la voie de l’Éternel ( יהוה דרך שמרוו ). En 1 R 8.32 ≈ 2 Ch 6.23, l’Éternel rend au

méchant selon sa voie (להרשיע רשע לתת דרכו בראשו) mais au juste selon sa conduite

juste .(ולהצדיק צדיק לתת לו כצדקתו)

Parfois la forme du mot צדקה est au pluriel (Es 33.15, 64.5, Ez 3.20, 33.13b). Dans

cette forme, il semble dénoter directement les actes de justice comme en Es 64.5a :

141 On retrouve aussi צדקה comme adjectif dans un sens semblable mais sans préposition en Es 45.19 et 23.

Page 67: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

57

ינוצדקת כלעדיםגדוכ כלנוכטמאונהי

Nous sommes tous comme des impurs, Et tous nos actes de justice sont comme un vêtementsouillé

142.

Les antonymes de צדקה observés dans ce contexte sont : עון (iniquité, offense) en Es

64.5, עול (iniquité, injustice) en Ez 3.20, 18.24 et 26, פשע (transgression) en Ez 18.22,

חטאת (péché) en Ez 33.14, 16 et Pr 14.34, puis en 1 R 8.32 ≈ 2 Ch (mal, injustice) רשע

6.23, Ez 33.19, Os 10.12, Pr 10.2, 15.9. צדק quant à lui est opposé à רשע (mal, injustice) en

Es 26.10.

Ésaïe 56.1 nous donne un exemple de cet usage et du contexte dans lequel il se

trouve. L’exhortation du chapitre 56 vise toute personne du peuple en lui demandant

d’observer le droit (שמרו משפט) et de pratiquer la justice .(ועשו צדקה) Le v.2 précise ce qui

est entendu par cette expression, soit de garder le sabbat143 ,(שמר שבת) et de veiller sur sa

conduite pour ne pas faire de mal ( מר ידו מעשות כל־רעש ). Cette offre est même étendue à

l’étranger et l’eunuque (v. 3-8) qui seront inclus parmi le peuple de Dieu s’ils gardent le

sabbat (שמר שבת) et s’attachent à son alliance (v. 6). C’est dans ce contexte que viendra le

salut de l’Éternel (v.1) qui rassemblera les exilés ainsi que d’autres peuples sur sa montagne

sainte (v. 7-8).

Ésaïe 58.1-2 apporte un exemple négatif alors que le prophète est appelé à annoncer

au peuple ses transgressions (פשע) et ses péchés .(חטאת) Ce peuple cherche YHWH et

veux connaitre ses voies, comme s’il aurait pratiqué la justice (כגוי אשר־צדקה עשה) alors

qu’en réalité il a abandonné les jugements de son Dieu .(ומשפט אלהיו לא עזב) Il jeûne alors

142 Notre traduction.143 Dans ce contexte et celui d’Es 58 que nous verrons ensuite, il est fort probable que la mention de Sabbat soitun procédé métonymique pour faire référence à l’alliance de Sinaï.

Page 68: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

58

qu’il se livre à ses penchants et opprime ses ouvriers, qu’il se dispute et se querelle. S’ensuit

un plaidoyer pour des pratiques religieuses qui sont sincères et non superficielles ; pour un

jeûne qui est accompagné d’un réel respect de la loi de YHWH (v. 3-14). Encore une fois, le

respect du Sabbat est mentionné (v. 13) comme manifestation d’un cœur disposé à servir

YHWH. Celui qui agit de cette manière sera témoin de l’accomplissement des promesses de

l’alliance et sera béni de son Dieu.

Nous sommes donc en présence de plusieurs éléments cognitifs : l’individu, son

comportement, la loi divine, l’alliance, ses prescriptions et la bénédiction qui accompagne

l’obéissance. La notion de péché et de transgression se rattache à un comportement qui

n’est pas conforme aux attentes divines, tandis qu’à l’opposé, la personne pratiquant la

justice gardera sa main de tout mal. Cela rejoint la métaphore qui décrit ce comportement

comme marcher dans les voies de la .צדקה/צדק L’élément qui est désigné ici par le mot est

ce qui caractérise les actions d’une personne, ce qu’elle pratique, son comportement vis-à-

vis de ses semblables. Il est intéressant de noter que dans ce contexte, l’alliance du Sinaï est

souvent mentionnée comme contexte de l’obéissance. Celui qui est intègre et qui fait le bien

bénéficiera des promesses de l’alliance. De manière générale, pratiquer la justice dans ce

contexte revient à agir de manière droite vis-à-vis son prochain et de s’éloigner du mal, en

conformité aux exigences de Dieu et de son alliance. Nous pouvons donc classifier ces

éléments comme suit :

Page 69: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

59

Tableau 3.2. Cadre contextuel pour l’usage « Conduite droite et intègre »

Cadre

Éléments du cadreIndividu, Comportement, Prescriptions divines, Alliance, Le prochain,

Promesses, Péché, Transgression

Élément focalisé Conduite droite et intègre

Scène Un individu se comporte de manière intègre envers son prochain et YHWH

Logiquement, il semble qu’une formule comme וצדקהמשפט עשה devrait toujours

signifier la même chose. Dans ce cas-ci, pourquoi n’est-elle pas associée à l’exercice du

droit par un dignitaire ? Il semble que ce soit en fait majoritairement le cas, mais que deux

situations précises font exception. En Gn 18.19, il est question qu’Abraham commande à sa

descendance cette pratique de וצדקהמשפט . On pourrait toujours considérer Abraham

comme juge à titre de chef de clan, mais il n’est pas question ici de son exercice du droit

mais qu’il commande à ses fils de garder la voie de l’Éternel. Dans le contexte, la justice et

l’obéissance d’Abraham et sa descendance est contrastée à celle des habitants de Sodome

dont le péché est tellement énorme qu’il est sur le point de subir le jugement divin. Tant que

la postérité d’Abraham pratique la justice et le droit, Dieu sera libre d’accomplir les

promesses faites à leur père.

Ezéchiel 18 et 33 reprennent ce même thème et explorent le sort du juste et du

méchant. Comme le suggère le commentateur Gordon Wenham, il est possible qu’il y ait un

lien entre les deux textes étant donné la répétition de cette expression et du souci similaire

vis-à-vis de la portée du jugement sur un individu parmi un groupe144. La préoccupation de

144 Gordon J WENHAM, Word Biblical Commentary : Genesis 16-50, Dallas, Word, coll. vol. 2, 1994, p. 50.Weinfeld suggère aussi ce lien entre Gn 18.19 et Ez 18 et 33. D’ailleurs, le reproche fait à Israël en Ez 16.49 est

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60

ces textes est celle de la place de l’obéissance dans la réalisation de la promesse divine.

Celui qui obéit sera béni et vivra, mais celui qui pèche mourra. Ils semblent donc faire un

usage spécifique de cette expression pour dénoter la conduite d’un individu. Les autres

textes où cette expression se retrouve sont plus difficiles à analyser. Ps 119.121 et Pr 21.3

présentent de brefs énoncés qui s’enchaînent et dont le contexte est difficile à établir. Selon

notre estimation, ils semblent faire référence à un comportement d’obéissance et non à

l’exercice du droit, mais il est difficile de pouvoir l’affirmer avec le même degré de certitude

que les textes précédemment mentionnés.

Il est aussi important de noter que les antonymes répertoriés sous la rubrique

précédente (la manière dont le droit est exercé) présentent des différences intéressantes par

rapport à ceux observés pour cet usage (la manière dont on se comporte avec autrui) : Le

premier est associé avec des termes tels qu’oppression, détresse, violence, meurtre et

trouble. Il s’agit de termes associés davantage à la notion de justice sociale, d’ordre moral

universel et l’exercice du droit. Les antonymes associés à l’usage qui nous occupe sont plutôt

en lien à YHWH et ses prescriptions : péché, transgression, offense. Ils marquent la conduite

d’un individu (mais aussi d’un peuple) et sa réponse aux normes de conduite établies par

Dieu. Bien que cet usage ait aussi une portée sociale, il n’est pas habituellement question

d’oppression ou de délivrance, mais plutôt de promesse-obéissance-réalisation. Ainsi, même

si nous sommes en présence d’une formule grammaticale qui semble être enracinée dans la

langue, c’est encore le contexte de l’énoncé qui en détermine la portée sémantique145.

que celui-ci ait agit comme Sodome sa sœur en ne se souciant pas du malheureux et de l’indigent. Genèse 18.19serait un mandat de justice sociale confié à Israël dans son ensemble. Voir Moshe WEINFELD, op. cit., p. 30. Bienque ce mandat soit donné à chaque individu au lieu du dignitaire seulement, il nous semble que Wenfeld chercheà tout rassembler sous le concept de justice sociale au lieu de permettre un usage distinct des mêmes termes.145 Et ceci en contraste avec Weinfeld qui cherche à rassembler toutes les occurrences de l’expression משפטוצדקה sous la rubrique de justice sociale. Il opère une distinction à trois niveaux entre 1) le caractère divin dejustice sociale accordé au roi, 2) l’idéal de justice sociale qui fonde son trône, et 3) son exercice concret. L’usage

Page 71: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

61

3.3. LÉGITIMITÉ D’UNE REVENDICATION DEVANT UN JUGE

Le troisième usage noté place plutôt l’accent sur l’opprimé, sur la légitimité de sa cause

devant un juge. Nous observons que cet usage se caractérise (comme d’autres d’ailleurs) en

décrivant צדקה/צדק comme possession soit à l’état construit ou par l’ajout d’un suffixe

pronominal marquant la possession. Par exemple, lors d’un différent judiciaire,

Méphiboscheth demande au roi David en 2 S 19.28 (19.29 dans le texte hébreu) : « Quel

droit (צדקה) puis-je encore avoir ? » .(מה־יש־לי עוד צדקה) La phrase suivante confirme

qu’il s’agit d’une revendication : « et qu’ai-je à demander au roi ? » .(ולזעק עוד אל־המלך) Le

psalmiste reprend les mêmes termes en Ps 17.1 demandant à l’Éternel d’écouter sa droiture

.(צדק) En Es 5.23, il est question de juges corrompus qui justifient (verbe (צדק le coupable

pour un présent et qui privent les innocents de leur revendication (צדקה) : וצדקת צדיקים

.יסירו ממנו Dans un cas comme celui-ci, צדקה ne peut ni faire référence à la conduite ni

même à l’intégrité du juste qu’un juge ne pourrait enlever ou l’en priver. Il s’agit plutôt de leur

juste cause, de leur revendication légale. Il en est de même pour un usage très marqué de

צדקה en Ne 2.20b alors que Néhémie prévient ses adversaires qu’ils n’ont aucune

revendication légale sur Jérusalem :

נקום ובנינו ולכם אין־חלק וצדקה וזכרון בירושלםואנחנו עבדיו

Nous, ses serviteurs, nous nous lèverons et nous bâtirons ; mais vous, vous n’avez ni part, ni

droit, ni souvenir dans Jérusalem.

Cet usage peut aussi s’étendre à des textes tels Jr 51.10 où il est question du jugement

de YHWH sur les oppresseurs d’Israël. En cela, il manifeste la צדקה (juste cause) de son

qui nous occupe serait catégorisé comme exercice concret de la וצדקהמשפט divine, c’est-à-dire uncomportement équitable dans la sphère sociale. Moshe WEINFELD, op. cit., p. 27‑31. De notre côté, nous avonsplutôt préféré découper les usages selon leur contexte. La dichotomie abstrait/concret devient moins importante,tandis que la place du mot dans le cadre cognitif l’est davantage.

Page 72: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

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peuple dans le litige qui l’oppose à l’oppresseur. On pourrait ajouter ici Es 54.17, Ps 7.9,

18.21, 35.27, 37.6, Jb 6.29, 35.2 qui témoignent tous d’un contexte judiciaire et qui pourraient

faire référence à la juste revendication du plaidant146.

Comme les instances de cet usage sont peu nombreuses, nous n’avons pas répertoriés

d’antonymes. En s’attardant au cadre contextuel, nous remarquons les éléments suivants :

L’opprimé et la revendication qu’il présente, les standards d’équité auxquels il fait appel, le

juge et les jugements qu’il rend. Il est aussi parfois question de l’autre partie, l’oppresseur.

L’élément focalisé est la juste cause dont dispose le plaignant devant un juge. Cette situation

est possible parce qu’il y a injustice.

Tableau 3.3. Cadre contextuel pour l’usage « Revendication légitime »

Cadre

Éléments du cadreJuge, Normes d’équité et justice sociale, Jugements, Délivrance, Opprimé,

Oppresseur, Revendication

Élément focalisé Revendication légitime

Scène Un opprimé cherche à recevoir justice

3.4. UN ACTE QUI DÉLIVRE DE L’OPPRESSION, HABITUELLEMENT EN RÉPONSE À

UNE REVENDICATION

Nous avons noté précédemment que certaines instances de צדקה au pluriel font

référence à des actions intègres (Voir section 2 de ce chapitre). Les autres instances au

146 Dans certains de ces textes, il est difficile d’affirmer hors de tout doute qu’il ne s’agit pas plutôt d’une qualitémorale tel intégrité, droiture. Bien sûr ce sont ces qualités et l’innocence qui permettent une revendication, doncil y a un lien sémantique entre ces deux usages qui rend parfois leur différentiation plus difficile.

Page 73: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

63

pluriel que nous retrouvons dans la Bible hébraïque font plutôt référence à des actes de

délivrance. C’est le cas en particulier de Jg 5.11, où l’on retrouve l’hymne de Déborah

racontant la délivrance d’Israël de l’oppression de Madian. Le v. 11 apparait comme ceci :

יתנו צדקות יהוה צדקת פרזנו בישראלמקול מחצצים בין משאבים שם

À la voix de ceux qui séparent les troupeaux, du milieu des abreuvoirs, Que là ils célèbrent les actes de

délivrance de l’Éternel, Les actes de délivrance de ses paysans en Israël !147

Il serait curieux de traduire ici aussi au pluriel par « justices ». Qu’il s’agisse d’actes de

délivrance est confirmé par le contexte du chant qui décrit la victoire d’un reste du peuple

d’Israël, victoire que YHWH orchestre sur la puissante armée de l’oppresseur. Voilà

l’évènement que célèbre Israël. 1 S 12.7 emploie la même forme (כל־צדקות) pour rappeler

la délivrance d’Égypte et les interventions de YHWH en faveur de son peuple pendant la

période des juges. Il en est de même pour Mi 6.5 où cette forme est employée pour décrire

des actes de délivrance. Bien qu’ils ne fassent pas référence à des évènements spécifiques,

Es 45.24, Ps 11.7 et Da 9.16 présentent aussi la forme plurielle et peuvent avantageusement

être compris de cette manière puisqu’il est toujours question de jugement et de délivrance.

Outre cette forme, l’usage « salvifique » de צדקה est aussi apparent au singulier,

habituellement accompagné du mot ישע ou un dérivé (salut, délivrance). Ils décrivent un acte

libérateur, une intervention qui rétablit l’opprimé. Ainsi, la צדקה/צדק de YHWH approche

(קרב) en Es 46.13 et 51.5, elle ne sera pas anéantie (חתת) en Es 51.6, durera à toujours

(לעולם תהיה) en Es 51.8 et sera révélée (גלה) en Es 56.1b et Ps 98.2. Elle recouvre comme

un manteau (מעיל צדקה יעטני) en Es 61.10, germera en Es 45.8 et 61.11 et paraîtra (יצא)

aux yeux des nations en Es 62.1-2. Le juste la contemplera (ראה) en Mi 7.9, la célèbrera

147 Notre traduction. Certains termes de ce verset sont peu attestés, ce qui explique les variations que l’onretrouve chez les différentes traductions bibliques.

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64

(רנן) en Ps 51.16, l’annoncera (בשר) en Ps 40.10-11, la publiera (ספר) et la fera connaître

(זכר) en Ps 71.15-16148. Ses yeux chancellent (כלה) en l’attendant en Ps 119.123 mais le

méchant n’y aura pas part (אל־יבאו בצדקתך) en Ps 69.28. YHWH répond à son peuple par

ses prodiges de délivrance (נוראות בצדק) en Ps 65.6149. La צדקה et les prodiges (פלא) de

YHWH ne seront pas connus dans la terre de l’oubli (Ps 88.13).

Dans plusieurs textes précédemment cités, il s’agit de la justice de YHWH, alors que le

mot צדקה est à l’état construit, combiné à un suffixe possessif renvoyant à YHWH : Es

46.13, 51.5,6, 8, Mi 7.9, Ps 51.16, 69.28, 71.15, 16, 88.13. L’état construit est aussi employé

pour décrire le Dieu qui délivre le psalmiste (אלהי צדקי) en Ps 4.2. Aucun antonyme n’a pu

être clairement identifié dans ce contexte.

Quant aux éléments qui font partie du cadre cognitif de cet usage, nous pouvons citer

Ésaie 46 comme exemple. Ce chapitre conclut sur l’annonce que YHWH fait approcher sa

צדקה et sa תשועה (délivrance).

תאחרקרבתי צדקתי לא תרחק ותשועתי לא

Je fais approcher ma justice: elle n’est pas loin ; Et mon salut: il ne tardera pas.

Dans le contexte, l’oracle débute aux v. 1-2 par une annonce de la chute de Babylone

qui sera elle-même emportée captive. S’ensuit aux v. 3-4 un rappel des promesses de

YHWH : Il porte Israël dès ses origines et lui demeurera fidèle, le soutenant et le sauvant. Il

ne peut être comparé aux idoles muettes et impuissantes, lui qui annonce ce qui doit arriver

148 Certains manuscrits ont צדקה au pluriel dans le v. 16.149 La lecture de ce texte est incertaine. Il n’est pas clair si le mot צדק se rapporte à la manière dont YHWHrépond à son peuple (de manière juste) ou s’il décrit ses prodiges (de redoutables actes de délivrance). De plus,certaines versions anciennes dont la Septante rattachent les mots (נוראות בצדק) au verset précédent pour dire queYHWH est redoutable dans sa justice. 2 S 7.23 emploie aussi le participe (נוראות) dans le sens de prodiges, cequi confirme le fait que le texte hébreu peut être lu et accepté tel qu’il est. Il demeure tout de même difficiled’affirmer hors de tout doute que צדק se rapporte aux actes de délivrance.

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65

et exécute toute sa volonté (v. 5-11). Son plan va s’accomplir, lui qui est tout à fait en mesure

de le mener à bien. Il s’agit d’une exhortation à ceux qui doutent encore de sa capacité de

sauver et qui sont ennemis de la droiture (ici .(צדקה YHWH interviendra, et sa צדקה sera le

salut de Sion. Il fait approcher sa ,צדקה ce qui sera salut et gloire pour Israël (v.12-13) :

ונתתי בציון תשועה לישראל תפארתי

Je mettrai le salut en Sion, Et ma gloire sur Israël.

La délivrance est donc réalisée par le jugement de l’oppresseur, qui est Babylone. Elle

est une conséquence de la fidélité divine aux promesses antérieures et restaure un état de

fait juste et paisible. Il est donc question de l’oppresseur et de l’opprimé, du libérateur, de ses

promesses, son jugement et la délivrance qui en résulte. Est parfois aussi mentionné l’état de

gloire ou de paix qui en résulte. Ces éléments sont ordonnés comme suit :

Tableau 3.4. Cadre contextuel pour l’usage « Délivrance de l’opprimé »

Cadre

Éléments du cadreJuge/Libérateur (YHWH), Promesses, Jugement, Délivrance, Opprimé,

Oppresseur, État de justice rétabli

Élément focalisé La délivrance de l’opprimé

Scène Un libérateur intervient pour délivrer l’opprimé

Bien que certains des textes étudiés dans cette section sont plus explicites quant à la

nature du référent (les actes salvifiques), d’autres, particulièrement dans les Psaumes

peuvent faire référence soit à ces actes de délivrance, soit à la justice du Dieu qui délivre.

Bien que ces deux usages existent, il devient parfois difficile de les découper. De plus, les

actes de délivrance sont aussi étroitement liés à l’administration équitable du droit, mais

Page 76: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

66

davantage dans la perspective de son exécution concrète et des résultats qui en découlent.

De toute évidence, la manifestation de la צדקה/צדק du juge divin, au-travers l’exercice du

droit, résulte en la délivrance de l’opprimé. Ce sont plusieurs aspects d’une même réalité qui

sont mis en évidence dans divers contextes. L’usage suivant traitera plus spécifiquement des

effets de la délivrance.

3.5. UN ÉTAT DE FAIT DÉCOULANT DE L’OBÉISSANCE OU RÉTABLI PAR LA

DÉLIVRANCE OU LE JUGEMENT

Un petit groupe de textes emploient צדקה/צדק pour décrire l’état de fait qui est rétabli

par la délivrance ou le jugement, ou encore qui découle d’une conduite droite. En Es 48.18,

la justice est décrite comme un bienfait de l’obéissance aux commandements de YHWH, si

seulement son peuple était disposé à obéir. צדקה est placé en lignes parallèles avec shalom

(שלום) pour décrire cet état de fait. L’obéissance aurait aussi comme résultat une postérité

nombreuse comme le sable de la mer .(ויהי כחול זרעך) Dans le contexte plus large, il est

question du jugement des Chaldéens et un appel à Israël pour qu’il se tourne vers son Dieu,

qui délivre et conduit (v. 14-17). Es 60.17 emploie un vocabulaire semblable pour décrire la

délivrance apportée par YHWH. Israël sera dans l’abondance, comblé de richesses. Le שלום

sera son administrateur et צדקה son gouverneur. Le tyran qui le tenait sous le joug de

l’esclavage sera renversé en faveur du שלום et de la .צדקה Le v. 18 élabore sur cet état de

fait pour dire qu’il n’y aura plus de violence ,(חמס) ni de destruction (שד) ni de ruine (שבר)

dans le pays, mais plutôt salut (ישועה) et gloire .(תהלה) YHWH sera sa lumière (v. 19-20) et

le peuple ne sera composé que de justes qui prospèrent à la gloire de leur Dieu (v. 21-22).

צדקה fait donc référence au résultat de la délivrance qui restaure l’équité.

Page 77: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

67

Encore une fois, nous voyons que cet usage est étroitement lié à l’administration du

droit, tâche à laquelle Israël a failli, mais que YHWH a pris en charge. Cependant, le texte ne

semble pas décrire ici l’exercice du droit ou les actes de délivrance, mais plutôt l’état de fait

ordonné et prospère qui est possible lorsque la צדקה/צדק règne. Il pourrait s’agir d’un

procédé poétique pour décrire l’ordre moral rétabli.

Parfois la justice est rétablie par le jugement d’Israël. Par exemple, seul un reste est

rescapé en Ma 3.20 (4.2 dans certaines traductions). Cet état de fait peut être assuré par

l’obéissance du peuple (Pr 8.18, 21.21b, Jb 8.6) ou rétabli par la délivrance de YHWH (Es

61.3, Jl 2.23, Ps 118.19, Da 9.24) ou une combinaison des deux (Os 10.12b, Ps 85.11, 12,

14).

De plus, lorsque nous considérons les éléments qui font partie du cadre cognitif, ceux-

ci sont identiques à l’usage précédent, à la différence que l’acte de délivrance (et de

jugement) vise souvent Israël lui-même. L’élément focalisé n’est cependant pas l’acte de

délivrance mais l’état de justice rétabli. La situation est comparable à l’usage français de

justice lorsqu’il est question de 1) Exercer la justice et le droit, 2) Rendre justice et 3) Que la

justice règne. Les trois usages sont très proches mais focalisent chacun sur un aspect

différent de la situation. Le premier usage focalise sur le juge/libérateur, le deuxième sur les

actes de délivrance, et le troisième sur le résultat. Nous discuterons plus en détail de la

relation entre ces usages au chapitre qui suit.

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Tableau 3.5. Cadre contextuel pour l’usage « État de justice rétabli »

Cadre

Éléments du cadreJuge/Libérateur, Promesses, Normes de comportement, Jugement,

Délivrance, Opprimé, Oppresseur, État de justice rétabli

Élément focalisé État de justice rétabli

Scène Un état prospère et équitable est assuré par la délivrance et l’obéissance

3.6. QUALITÉ DE CELUI QUI AGIT DE MANIÈRE DROITE ET INTÈGRE

Cet usage très courant renvoie à une qualité d’intégrité et de droiture chez une

personne. De fait, on observe fréquemment l’emploi du pronom possessif pour accompagner

.צדקה/צדק Cette combinaison est parfois précédée de la préposition ב dans son sens

causatif150. Ainsi, nous retrouvons cette construction à trois reprises en Dt 9.4-6 alors que

Moïse explique pourquoi Israël hérite du pays promis. Le contraste est fait dans ce texte

entre justice ,(צדקה) culpabilité (רשעה) et cou raide .(קשה ערף) De même, nous observons

un parallèle entre justice (צדקה) et droiture de cœur (ישר לבבך) :

הזאתארץאת ה רשתל יהוהניהביא בצדקתי [...]ךלבב ב תאמראלNe dis pas en ton coeur: C’est à cause de ma justice que l’Éternel me fait entrer en possession de ce

pays. (Dt 9.4a)

מפניךמורישםיהוהאלהה הגויםוברשעתCar c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel les chasse devant toi. (Dt 9.4b)

150 Voir Bruce WALTKE et Michael P. O’CONNOR, An Introduction to Biblical Hebrew Syntax, Winona Lake,Eisenbrauns, 1990, p. 198. Waltke et O’Connor notent toutefois que cet usage est difficile à distinguer d'un usagecirconstanciel.

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את ארצםרשתל באאתהובישר לבבךךבצדקת לאNon, ce n’est point à cause de ta justice et de la droiture de ton coeur que tu entres en possession de

leur pays (Dt 9.5a)

מפניךיך מורישםאלה יהוההאלההגויםברשעתMais c’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel, ton Dieu, les chasse devant toi (Dt

9.5b)

לרשתהזאתה הטובהארץאת ה לךנתןאלהיךיהוהךבצדקת לאכיידעתו Sache donc que ce n’est point à cause de ta justice que l’Éternel, ton Dieu, te donne ce bon pays pour

que tu le possèdes (Dt 9.6a)

אתהקשה ערףעםכיCar tu es un peuple au cou roide. (Dt 9.6b)

La triple répétition renforce l’idée que ce n’est pas à cause de la צדקה du peuple que

celui-ci hérite du pays. Les relations sémantiques (synonymie, antonymie) que צדקה tisse

dans ce texte avec culpabilité, droiture et disposition rebelle suggèrent que צדקה ne fait pas

référence à des actes ou à une conduite, mais plutôt à une attitude ou une qualité

intérieure151. Le contexte suggère que le peuple d’Israël serait tenté de se sentir supérieur

aux peuples qu’il doit conquérir, puisqu’il aura la victoire sur eux. Il pourrait penser qu’il est

plus vertueux que les Cananéens et que c’est ce qui explique sa victoire. En réalité, bien que

les Cananéens soient coupables, Israël n’entre pas dans le pays parce qu’il possède une

qualité quelconque ou à cause de sa présumée innocence, mais plutôt à cause de l’alliance

de YHWH avec ses ancêtres. Les v. 7-29 rappellent d’ailleurs en détail tous les actes

151 Nous pouvons affirmer ceci parce que généralement des antonymes partagent des traits sémantiques communssauf un, celui de leur pôle sur l’axe sémantique. L’un est le contraire de l’autre sur un point précis. Voir M.

Lynne MURPHY, op. cit., p. 118‑119.

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coupables du peuple rebelle envers YHWH, actes qui confirment leurs dispositions rebelles

et coupables (v. 27)152.

La même construction se retrouve dans Ez 14.14 et 20 où il est fait mention de Noé,

Daniel et Job qui seraient les seuls à échapper au jugement à venir grâce à leur droiture

.(בצדקתם ינצלו נפשם) De même en Ps 17.5, le psalmiste pourra voir Dieu à cause de son

intégrité .(אני בצדק אחזה פניך) En Ps 31.2, 71.2, 143.1, 11, le psalmiste demande à YHWH

de le secourir non pas à cause de ses propres qualités mais à cause de la justice divine153 :

ואל־תבוא במשפט את־עבדך כי לא־יצדק לפניך כל־חי ענני בצדקתךRépond-moi selon ta justice. N’entres pas en jugement avec ton serviteur car aucun vivant

n’est juste devant toi. (Ps 143.1b-2)154

Nous retrouvons aussi une construction semblable employant la préposition כ lorsqu’il

est question d’être traité selon sa propre ou celle d’un autre en 2 S 22.21, 25 ≈ Ps צדקה/צדק

18.21, 25. 1 S 26.23 n’emploie pas cette préposition mais une autre qui est sémantiquement

équivalente alors que YHWH rendra (שוב) à chacun selon sa .צדקה

Finalement, צדק et צדקה apparaissent seuls en dénotant toujours la qualité d’intégrité

et de droiture d’une personne. Ainsi, la צדקה de Jacob répondra pour lui contre Laban en Gn

30.33. Le peuple endurci de cœur est ennemi de la צדקה en Es 46.12. Sa צדקה (ou plutôt

l’absence de droiture) sera publiée (נגד) en Es 57.12. YHWH s’appuie sur sa צדקה et se

152 Nous suivons ici la même trajectoire argumentative que Moshe Weinfeld dans son commentaire sur ce texteen Moshe WEINFELD, Deuteronomy 1–11: A New Translation with Introduction and Commentary, New Haven,Yale University Press, coll. « Anchor Yale Bible Commentaries », n° 5, (1974), 2008, p. 406.153 À noter que Ec 7.15 emploie la même construction mais dans un sens différent alors qu’il est question du justequi périt dans sa justice : .יש צדיק אבד בצדקו De même, Jb 27.6 décrit Job qui s’attache à sa justice/intégrité :.בצדקתי החזקתי154 Notre traduction.

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revêt (לבש) d’elle comme une cuirasse en Es 59.16-17. Quand il ramènera son peuple, il

sera leur Dieu avec vérité et צדקה en Za 8.8. La צדקה de Dieu atteint les nuées en Ps 71.19

et dure (עמד) à jamais en Ps 111.3, 112.3 et 9155. Son peuple la publiera en Ps 22.32, 71.24.

L’usage de צדק est comparable alors que les cieux publierons (נגד) la צדק de YHWH en Ps

97.6, ses sacrificateurs s’en revêtiront (לבש) en Ps 132.9. Nous retrouvons d’autres emplois

semblables en Dt 16.20, Es 11.5, 41.10, 45.13, 51.7, 58.8, Jr 31.23, Ez 3.20, 18.20, Ps

22.32, 50.6, 52.5, 103.17, 119.142, 145.7, Jb 35.8, 36.3, Pr 1.3, 2.9, 11.4-6, 18-19, 12.17,

13.6 et Da 9.18156.

Dans ce contexte, nous retrouvons צדק et צדקה en opposition avec la culpabilité

(רשעה) Dt 9.4, Jb 35.8, Pr 11.5, 18, 13.6 et un cou raide ( ערף קשה ) en Dt 9.6, les mauvais

désirs (הוה) en Pr 11.6, le mal (רעה) en Pr 18.19 et Ec 7.15 ainsi que le mensonge (שקר) en

Ps 52.5.

En considérant ces textes, nous constatons que nous sommes donc en présence de

plusieurs éléments peuplant le cadre contextuel : L’individu ou le peuple, sa qualité

d’intégrité, son comportement, la loi divine, le bien, la bénédiction qui accompagne la

droiture, le jugement et la délivrance de l’oppression. Contrairement à la pratique de la justice

(section 2 de ce chapitre) les antonymes que nous retrouvons ici visent des qualités ou

attitudes plus abstraites (méchanceté, mal, mauvais désirs, cou raide) alors que la pratique

concrétise ceux-ci, comme nous l’avons vu, en actions droites ou péché et transgression.

L’élément qui est désigné par le mot צדקה/צדק est ce qui caractérise une personne, sa

qualité d’intégrité. Il n’est pas toujours clair dans certains textes si le mot désigne une action

ou une qualité chez une personne. En réalité, ces deux choses sont étroitement liées puisque

155 Cette colocation précise est aussi observée pour décrire des actes de délivrance (section 4) donc c’est lecontexte qui nous incite à catégoriser ces instances précises comme qualité plutôt qu’actes.156 Quelques textes sont plus difficiles à catégoriser : Es 45.8, Jr 21.23, 50.7, Os 2.21.

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le juste pratique la justice et le méchant la méchanceté. Est-ce la qualité qui se manifeste en

actions concrètes ou les actions qui viennent à caractériser une personne ? Les deux sont

indissociables mais il appert que l’on doive tout même distinguer ces deux usages puisque

certains textes désignent clairement l’un ou l’autre. Nous pouvons donc classifier ces

éléments comme suit :

Tableau 3.6. Cadre contextuel pour l’usage « Qualité d’intégrité d’une personne »

Cadre

Éléments du cadreIndividu, Comportement, Prescriptions divines, Le prochain, Jugement,

Qualité personnelle

Élément focalisé Qualité d’intégrité d’une personne

Scène Un individu se comporte de manière intègre envers Dieu et son prochain

3.7. UN STATUT OU MÉRITE ACCORDÉ DEVANT YHWH

Cet emploi est unique au mot צדקה et se retrouve dans quatre textes seulement. La

nuance vient du fait qu’il est dit que la צדקה est attribuée à quelqu’un soit suite à

l’obéissance aux commandements divins ou bien suite à un acte marquant. Nous trouvons

cet emploi dans Dt 24.13 et il importe de considérer le contexte plus large alors que l’auteur

nous présente deux scénarios :

24.12-13 24.14-15

Si cet homme est pauvre, tu ne te

coucheras point, en retenant son

gage ;

Tu n’opprimeras point le mercenaire,

pauvre et indigent, qu’il soit l’un de tes

frères, ou l’un des étrangers demeurant

dans ton pays, dans tes portes.

Tu le lui rendras au coucher du soleil Tu lui donneras le salaire de sa journée

Page 83: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

73

avant le coucher du soleil

Afin qu’il couche dans son vêtement Car il est pauvre, et il lui tarde de le

recevoir.

Et qu’il te bénisse Sans cela, il crierait à l’Éternel contre

toi

et cela te sera imputé à justice devant

l’Éternel, ton Dieu

et tu te chargerais d’un péché.

ולך תהיה צדקה לפני יהוה אלהיך והיה בך חטא

Dans les deux cas, l’employeur ou le prêteur est exhorté à traiter le pauvre avec

considération. Concrètement, il ne doit pas retenir jusqu’au lendemain le gage ou le salaire,

tous deux indispensables au pauvre, mais doit le remettre promptement. C’est à ce point que

les deux instructions bifurquent : L’une enchaîne avec la conséquence positive de la

conformité à la loi tandis que l’autre emploie le stratagème inverse en décrivant les

conséquences négatives qui résulteront lorsque le commandement sera ignoré. Le pauvre

bénira ou criera à YHWH contre cette personne.

Ce qui rend cet exemple particulièrement intéressant est l’opposition que nous

retrouvons ensuite entre « péché » et « justice » ( חטא et צדקה ). Grammaticalement, les

deux constructions concluant chaque cas sont très semblables. Ainsi, l’expression והיה בך

חטא est aussi employée en Dt 15.9 pour décrire la conséquence de celui qui a un cœur

méchant et calculateur pour ne pas venir en aide à son frère pauvre. Ce dernier crierait alors

à YHWH et ce serait ainsi un péché. Plus précisément, il serait chargé de culpabilité157. Le

concept qui est sous-jacent à ces deux textes est que YHWH est le défenseur du pauvre et

157 Il en va de même et Dt 23.21-22 pour la personne qui fait un vœu et qui ne l’accomplit pas. Elle sera coupable,tandis que celui qui n’a pas fait de vœux n’a pas brisé d’engagement donc n’est pas coupable.

Page 84: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

74

qu’il punit ceux qui abusent de lui. Le pauvre peut toujours avoir recours à YHWH qui agira

en sa faveur158.

Grâce à cette relation d’opposition, on peut présumer que צדקה en Dt 24.13 se situe

au pôle opposé et signifie l’absence de culpabilité, c’est-à-dire un état innocent et juste

résultant de l’obéissance en conformité aux instructions divines. L’idée de récompense ou de

mérite n’est pas incompatible avec ce sens mais il est difficile de savoir sur la base de ces

deux textes si cette notion est aussi présente. Tout dépend si l’opposition que nous

considérons forme un contraste entre un solde « négatif » et « positif » de mérite ou bien

entre une présence et absence de culpabilité (ou la conformité ou non à la loi). Dans ce

dernier cas, צדקה dénoterait un état qui n’est pas pour autant méritoire mais plutôt l’absence

de culpabilité.

Nous retrouvons une même construction en Dt 6.25 alors que le peuple est exhorté à

obéir aux commandements divins :

וצדקה תהיה־לנו כי־נשמר לעשות את־כל־המצוה הזאת לפני יהוה אלהינו כאשר צונו

Nous aurons la justice en partage, si nous mettons soigneusement en pratique tous ces

commandements devant l’Éternel, notre Dieu, comme il nous l’a ordonné.

Il s’agit des deux seuls endroits dans la Bible hébraïque où l’on retrouve le verbe היה

combiné avec le mot צדקה de cette manière, c'est-à-dire צדקה agissant comme sujet et

étant suivi de la préposition .ל Il semble que צדקה ne fasse pas référence à la conduite ou à

l’obéissance (le comportement), mais plutôt à son résultat chez la personne ou le peuple qui

obéit. Deutéronome affirme à plusieurs reprises qu’obéir équivaut à faire ce qui est droit et

bon aux yeux de YHWH (Dt 6.18, 12.28, 13.19, 16.20). Il s’agit donc de se conformer à la

norme divine. Mais l’usage de צדקה en 6.25 et 24.13 va plus loin : Cette obéissance a pour

158 Jeffrey TIGAY, Deuteronomy : The Traditional Hebrew Text with the New JPS Translation, Philadelphia,Jewish Publication Society, 1996, p. 226.

Page 85: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

75

résultat chez celui qui obéit d’un statut (absence de péché/culpabilité) qui reflète sa conduite.

צדקה ne dénote donc pas l’acte de justice en contraste avec la pratique du péché, ni la

qualité d’intégrité en opposition à la méchanceté, mais plutôt le statut de justice qui est à

l’opposé de la culpabilité.

Nous retrouvons un usage semblable en Gn 15.16 alors que suite à la confiance

d’Abraham, צדקה lui est imputée .159(חשב) La même combinaison grammaticale se retrouve

en Ps 106.31 alors qu’il est question de צדקה qui est imputée (חשב) à Phinées et sa

postérité à cause de son intervention pour contrer l’idolâtrie dans les plaines de Moab. Il est

aussi probable que le mot קהצד en Ps 24.5 fasse aussi référence au statut légal et moral de

celui qui agit de manière intègre. Cette צדקה lui sera accordée par le Dieu de son salut. Il

s’agit donc d’un statut légal (judiciaire) et/ou moral (aux yeux de YHWH) d’une personne qui

est considérée innocente et droite soit de par sa conduite intègre, soit parce que Dieu la voit

comme tel. Nous retrouvons donc les éléments suivants peuplant ce cadre contextuel :

L’individu, son comportement, les obligations d’alliance (ou prescriptions divines), son statut

légal/moral, la bénédiction et YHWH :

Tableau 3.7. Cadre contextuel pour l’usage « Statut moral/légal »

Cadre

Éléments du cadreIndividu/Peuple, Comportement, Obéissance/Foi, Prescriptions divines,

Statut légal/moral, YHWH, Bénédiction

Élément focalisé Statut légal/moral de celui qui obéit

Scène Une personne est déclarée juste suite à son obéissance ou sa confiance

159 Les nombreux pronoms de ce verset et du verset précédent rendent l’identité de celui qui est visé difficile àdéterminer. Toutefois, pour les fins de notre étude nous adoptons la lecture traditionnelle quoi que cela n’ait pasun impact important sur le contenu sémantique du mot צדקה ici.

Page 86: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

76

3.8. CONFORMITÉ DES SACRIFICES AUX ATTENTES OU INSTRUCTIONS

Trois textes emploient צדק à l’état construit pour qualifier le mot זבח (sacrifice). Il s’agit

d’un usage adjectival décrivant le type de sacrifice offert ou requis. La nuance précise est

difficile à cerner puisque que le contexte donne peu d’indications. De ces trois textes, Ps

51.21 est celui dont le contexte est le plus propice à déceler des éléments qui pourraient

nous être utiles. Il y est question de sacrifices agréés par YHWH, qui lui seront offerts lorsque

que Jérusalem sera rebâtie. S’ensuit des sacrifices justes ,(זבחי־צדק) des holocaustes

(עולה) et des victimes toutes entières .(כליל) Alors ,(אז) les taureaux seront offerts sur son

autel. Dans le contexte plus large (v.18-19), il n’est pas seulement question de sacrifices

cultuels, mais aussi des sacrifices qui sont agréables à Dieu plus que tout autres : Un esprit

brisé, un cœur brisé et contrit. Il est donc fort possible que les זבחי־צדק ne réfèrent pas

simplement à ce qui est conforme aux règles cultuelles mais plus globalement aux attentes

de YHWH, c’est-à-dire des sacrifices qui soient aussi accompagnés d’une bonne disposition

de coeur. Voilà les sacrifices qui sont agréés, qui sont .צדק

Le mot צדק n’apporte pas à lui seul cette information, mais le contexte plus large nous

permet de supposer que l’usage du mot signifie ici conformité ou intégrité par rapport à une

norme ou attente qui a été exprimée160. Le contexte de l’occurrence précisera quelles sont

ces normes ou attentes selon le cas.

Ps 4.6 exhorte de même à offrir des sacrifices conformes (זבחי־צדק) et de se confier

en YHWH. Dt 33.19 décrit les tribus de Zabulon et d’Issacar invitant les peuples sur la

160 En cela nous suivons Marvin Tate dans son commentaire sur les Psaumes. Celui-ci décrit les diverses optionsprésentées par les commentateurs, de « sacrifices selon les prescriptions rituelles » (Dahood, Thomas), à« sacrifices offert dans une disposition d’esprit appropriée » (Kraus), ou encore de « sacrifices qui sontlégitimement dus étant une réponse appropriée à ce que Dieu va faire » (Levine). Dans tous les cas, la notion de

rectitude est présente et seulement la norme ou le contexte varie. Voir Marvin E TATE, op. cit., p. 29‑30.

Page 87: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

77

montagne pour offrir des sacrifices conformes ,(זבחי־צדק) puisqu’ils jouissent de

l’abondance du commerce maritime. Il pourrait ici s’agir de sacrifices de reconnaissance,

c’est-à-dire la réponse appropriée à la générosité de la divinité à leur endroit.

Le peu qu’il soit possible de glaner du cadre contextuel nous amène à postuler la

présence d’un individu/peuple, son sacrifice/offrande, YHWH et la norme qui détermine si le

sacrifice est conforme ou non. Dans le contexte de Ps 51.21, ceci consiste en une disposition

d’esprit appropriée (un cœur contrit et brisé) et des sacrifices rencontrant les règles

cultuelles. Nous retrouvons donc :

Tableau 3.8. Cadre contextuel pour l’usage « Conformité d’un sacrifice »

Cadre

Éléments du cadreIndividu/Peuple, Sacrifice, Prescriptions divines (normes concernant les

sacrifices), YHWH

Élément focalisé Conformité du sacrifice

Scène Un sacrifice est offert à YHWH

3.9. EXACTITUDE D’UNE MESURE

Un dernier usage noté est en lien avec les poids et mesures. Lv 19.35-36 met le peuple

en garde contre l’iniquité (עול) dans les poids et mesures. Celui-ci aura des balances justes

,(מאזני צדק) des poids justes ,(אבני־צדק) des épha justes (איפת צדק) et des hin justes הין )

.(צדק Nous retrouvons צדק à l’état construit dans une fonction adjectivale pour les différents

poids et mesures qui sont énumérés dans ce verset.

Page 88: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

78

Dt 25.15 reprend quelques-uns de ces termes, un poid (אבן) et épha (איפת) juste, mais

en ajoutant aussi l’adjectif שלמה (complet). Le contexte explique qu’il est interdit d’avoir en

sa possession deux poids et deux mesures, ce qui servirait à toutes sortes de pratiques

malhonnêtes. On peut donc présumer que שלמה fait référence ici à un poids qui est

« plein », c’est-à-dire exact.

Ez 45.10 abonde dans le même sens. Un avertissement est adressé aux princes pour

qu’ils cessent la violence et la rapine, mais pratiquent plutôt la justice et le droit. Ceux-ci

doivent délivrer le peuple de leurs exactions en ayant des balances (מאזני צדק) et bath

(בת־צדק) justes. La conformité de ces objets sera évaluée d’après les autres mesures

énumérées au verset suivant, ce qui démontre qu’il y a un standard qui détermine la

conformité d’un poids ou d’une mesure. Finalement, Jb 31.6 semble employer צדק dans le

même sens alors que Job invite Dieu à mesurer son intégrité (תמה) sur des balances justes

,(מאזני צדק) lui qui connait toutes ses paroles et actions.

Le contexte renvoie à l’image d’une transaction commerciale. Notre cadre contextuel

sera donc composé d’individus qui sont acheteurs ou vendeurs, les poids et mesures

employés, les standards d’exactitudes de ces derniers et éventuellement l’objet qui est

acheté ou vendu :

Tableau 3.9. Cadre contextuel pour l’usage « Conformité des poids et mesures »

Cadre

Éléments du cadre Standards d’exactitude, Poids et mesures, Acheteur, Vendeur, Marchandise

Élément focalisé Conformité des poids et mesures

Scène Une personne achète d’une autre

Page 89: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

79

3.10. CONCLUSION

Que les usages précis soient difficiles à cerner n’est pas étonnant. Les frontières

sémantiques d’un mot sont souvent imprécises et sujettes au contexte161. Voilà pourquoi

nous avons placé une emphase particulière sur le cadre contextuel et la fonction des mots

צדק et צדקה dans l’étude du cadre. La catégorisation de chaque texte ne fera pas

l’unanimité, mais nous espérons au moins avoir démontré l’étendu du potentiel sémantique

de ces mots et leurs différents types d’usages. Au final, nous remarquons qu’avec l’exception

des trois derniers usages répertoriés, et qui comptent pour moins de 7% au total, nous

retrouvons une présence importante de צדק et צדקה dans chaque catégorie d’usage :

Figure 3.1. Répartition des usages de צדק et צדקה

161 M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 51‑52. Celle-ci ajoute : « When something is at the edge of a category, thenother issues like function […] and context […], may play a bigger role in determining whether it belongs to acategory or not. »

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צדקה) 157(

צדק) 119(

Page 90: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

80

Notons au passage qu’il devient difficile de postuler une différence significative entre

ces deux mots. Par ailleurs, ils semblent être employés de manière interchangeable dans

certains textes (Voir Ps 40.10-11, 119.142, Ez 3.20). Un facteur pouvant expliquer la

distinction parfois faite est que צדק est plus fréquemment employé comme adjectif ou

adverbe, ce qui contribue à l’impression de lui donner une connotation plus abstraite. צדק est

aussi le seul à être employé pour décrire la qualité d’objets tels que les poids et mesures. À

l’opposé, צדקה dans sa forme plurielle dénote spécifiquement des actes, ce qui lui donne

une connotation concrète. Pourtant, lorsqu’on analyse l’ensemble des textes, les deux mots

sont employés pour focaliser sur une action ou caractéristique d’un individu selon le cas.

Cette distinction pourrait s’avérer être une tendance bien que nous observons que les usages

des deux mots se chevauchent considérablement.

Page 91: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

81

CHAPITRE 4

Synthèse

L’analyse que nous venons de compléter démontre que les mots צדק et צדקה peuvent

désigner un type d’action, une caractéristique d’une personne ou d’une chose et parfois un

état de fait. Ces différentes réalités se retrouvent souvent dans un même cadre contextuel

alors que le mot צדק ou צדקה focalise sur un élément différent de ce cadre162. C’est ainsi

que dans le contexte de la gouvernance, nous retrouvons les mêmes éléments (juge,

opprimé, acte de délivrance) malgré le fait que צדק ou צדקה focalise sur un aspect

particulier, soit l’acte, la revendication, ou l’état de fait qui résulte de l’exercice du droit. Dans

certains cas (Ésaïe 56.1 par exemple), le mot est employé à plus d’une reprise dans un

même texte tout en focalisant sur deux aspects différents, soit la pratique du droit et la

délivrance qui viendra. Un tel éventail de sens est la conséquence de la nature polysémique

de ces mots. Nous avons tenté de schématiser les neuf usages répertoriés sous forme de

réseau sémantique en les regroupant selon leur cadre contextuel. Il s’agit d’illustrer en quoi

consiste le potentiel sémantique de צדק et צדקה ainsi que la manière dont leurs différents

usages peuvent être liés. Il est possible que, comme pour la plupart des mots, le potentiel

sémantique de צדקה/צדק ait évolué avec le temps pour venir à désigner différents aspects

d’une même situation. Il est toutefois assez difficile de se prononcer à ce point sur la nature

et l’étendue de ce développement163.

162 En termes cognitifs, il s’agit d’une question de perspective. Voir John R. TAYLOR, Linguistic Categorization,Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 93.163 Par exemple, l’application de צדק aux sacrifices et poids et mesures pourrait être une extension métaphoriquedu sens premier qui est une caractéristique humaine et morale. Il est difficile de postuler ce genre d’évolutionavec certitude, et même d’avancer quel sens est original et lequel est dérivé.

Page 92: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

82

Comme nous l’avons vu, certaines de ces réalités sont étroitement liées et peuvent

facilement être groupées ensemble. Dans la figure qui suit, les cases plus foncées

représentent les usages les plus fréquents164 et mieux attestés. Certains usages sont

fréquents et typiques, tels וצדקהמשפט (l’exercice du droit, une conduite droite), d’autres

moins fréquents mais solidement attestés tels les צדקות (actes de justice/délivrance) ou

צדקה comme revendication. Finalement, les rectangles pointillés identifient les usages qui

sont moins attestés, c'est-à-dire qu’ils sont moins fréquents et plus difficiles à cerner. Nous

les avons plutôt regroupés selon leur cadre contextuel :

Figure 4.1. Réseau sémantique de צדק et צדקה

Comme la plupart des usages sont liés entre eux, nous allons premièrement nous

pencher sur les facteurs contribuant à l’unicité des usages de ,צדקה/צדק à savoir s’il est

possible de les regrouper sous une définition ou notion commune. Cet exercice sera

164 Nous nous appuyons ici sur la figure 3.10 à la section précédente. Bien sûr, la fréquence ne peut qu’être lerésultat de la nature du corpus et non une indication de la place centrale de l’usage dans le réseau sémantique dela langue hébraïque.

Cadre contextuel moral

Cadre commercial

Cadre contextuel de gouvernance

Exercice dudroit

Délivrance del’opprimé

Conduite droite

Revendicationlégitime

État de justicerétabli

Statut légal/morald’une personne

Intégrité d’unepersonne

Conformité despoids etmesures

Conformité dessacrifices

Page 93: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

83

déterminant pour pouvoir ensuite évaluer la nature des distinctions entre les usages et les

oppositions qui s’érigent entre eux, c’est-à-dire la question de la polysémie.

4.1. UNE ABSTRACTION DE צדק ET צדקה

Notre analyse s’est attardée à identifier plusieurs éléments faisant partie des cadres

contextuels où sont employés les mots ,צדקה/צדק et ainsi identifier les notions qui sont liées

à leur emploi. Puisque le mot se retrouve dans plusieurs contextes, il est normal que les

éléments varient selon le cadre contextuel. La question est maintenant de savoir s’il existe un

schéma commun165, c’est-à-dire un cadre צדקה/צדק qui soit évoqué par tous les usages de

.צדקה/צדק Cette question peut sembler contradictoire puisque nous avons déclaré en entrée

de jeu que les biblistes font souvent l’erreur de lire dans un usage précis une définition

commune du mot. En réalité, nous n’avons pas le choix d’aborder cette question dans une

étude lexicale puisque la réponse dictera la manière dont nous traiterons les usages distincts

qui ont été répertoriés166. Conséquemment, nous devons établir s’il y a suffisamment de

similarité entre ces différents usages pour renvoyer à un cadre commun de .צדקה/צדק Cette

définition sera plus brève que celle des divers usages, puisqu’elle se situe à un niveau

165 Schéma et prototype sont deux termes employés par les linguistes cognitifs pour décrire ce phénomène decatégorisation. Il s’agit bien entendu d’un niveau d’analyse plus abstrait. Pour reprendre la definition deLangacker, « A schema […] is an abstract characterization that is fully compatible with all members of thecategory it defines (so membership is not a matter of degree); it is an integrated structure that embodiescommonalities of its members, which are conceptions of greater specificity and detail that elaborate the schemain contrasting ways. » Ronald W. LANGACKER, Foundations of Cognitive Grammar: Theoretical Prerequisites.Volume 1, Stanford, Stanford University Press, 1987, p. 371.166 Une autre raison d’aborder cette question est que la linguistique cognitive ne manque pas de critiquer le faitque trop souvent l’analyse polysémique des mots est exagérée : « To commit the polysemy fallacy is toexaggerate the number of distinct senses associated with a particular form vis-a-vis the mental representation of anative speaker. That is, it constitutes fallacious reasoning in assuming that because a highly granular account maybe plausible such an account is warranted […] One reason why the number of distinct senses has beenexaggerated is that too much importance has been ascribed to the lexical representation, and not enough to thecontext in which specific interpretations arise » Voir Andrea TYLER et Vyvyan EVANS, The Semantics of EnglishPrepositions: Spatial Scenes, Embodied Meaning, and Cognition, Cambridge, Cambridge University Press, 2003,

p. 39‑40.

Page 94: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

84

d’abstraction plus élevé. Nous croyons que les divers usages peuvent être regroupés sous

un même schéma pour les raisons suivantes :

1) Une analyse attentive des éléments peuplant le cadre contextuel de chaque

catégorie d’usage révèle que plusieurs de ces éléments sont communs à tous les

usages. Certains éléments s’ajoutent selon le contexte, d’autres s’effacent en

arrière-plan, mais le scénario demeure assez semblable comme le tableau suivant

le démontre :

Tableau 4.1. Éléments des divers cadres contextuels

Éléments Cadre de

conduite morale

Cadre de

gouvernance

Cadre

commercial

Personne(s) Individu/Peuple Roi/Juge Vendeur

ActionConduite (paroles,sacrifice, actions)

Exercice du droitTransactioncommerciale

NormesPrescriptions divinesou de sagesse

Normes d’équitéStandard des poidset mesures

ProchainProchain (selon lecontexte)

Sujets/plaignant Acheteur

État résultant (positifsi conforme, négatifsinon)

Statut légal/morald’innocence ou depéché

Délivrance etJugement/Oppression

Équité/Fraude

Les éléments167 de la colonne de gauche semblent se retrouver dans tous les

cadres contextuels que nous avons répertoriés. Lorsqu’un cadre particulier est

évoqué par ,צדקה/צדק les rôles sont remplis par des entités différentes selon que

le cadre contextuel est plus général (Conduite morale) ou plus spécifique tel la

167 La littérature sur le sujet les nomme parfois « participants ».

Page 95: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

85

gouvernance ou le commerce. Ces entités sont les éléments de connaissance

encyclopédique essentiels qui sont nécessaires à la juste compréhension des mots

צדקה/צדק dans les divers contextes où on les retrouve168. Le fait que la plupart des

usages font référence à un cadre prototypique comportant les mêmes éléments

essentiels est une forte indication que les divers usages du mot peuvent être

regroupés et compris sous un schéma commun, c’est-à-dire qu’il existe

probablement un niveau d’abstraction plus élevé, donc une définition plus générale

de .צדקה/צדק

2) Un autre facteur qui nous permet de postuler la présence d’un schéma commun est

le fait que les mots צדקה/צדק semblent faire référence à un trait similaire

indépendamment du cadre contextuel ou l’usage. Ainsi, lorsqu’il est question d’une

action, il ne s’agit pas de n’importe quelle action, mais d’un acte ou d’un

comportement intègre, c’est-à-dire qui rencontre des normes de droit, d’équité et de

justice. De même, lorsqu’il est question d’une caractéristique chez une personne,

צדקה/צדק dénote une qualité éthique et morale, une droiture de caractère ou

d’attitude qui encore une fois est définie par rapport à des normes ou critères qui

servent à mesurer une telle chose. Il en va ainsi des usages qui dénotent un état de

fait ou une situation : Il s’agit d’un état de fait où règne l’équité. Parfois une

personne dispose d’une revendication parce que sa situation est injuste. Elle n’est

pas traitée selon les normes de droit et d’équité donc dispose d’une revendication

168 Bien sûr, cette liste d’éléments n’est pas exhaustive. Nous n’avons fait qu’énumérer ceux qui semblentessentiels et qui se retrouvent dans tous les usages, soit explicitement, soit en arrière-plan. Par exemple l’emploide balances צדק implique une transaction, ce qui implique un acheteur et un vendeur. On peut aussi se demanderצדק par rapport à quoi ? Ez 45 est plus explicite en ce sens en décrivant les autres unités de mesures servant àdéfinir en quoi consiste une mesure tel l’épha qui soit .צדק D’autres contextes mentionnent les promesses,l’oppresseur, la faveur de la divinité. Ceux-ci viennent compléter le tableau mais ne sont pas communs à tous lesusages.

Page 96: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

86

légitime en conformité à des normes de droit qui devraient normalement être

reconnues par d’autres. Un acte de délivrance restaure alors cet équilibre et

ramène la situation en conformité avec les normes d’équité. Il s’agit d’un acte, d’une

intervention juste. Bref, il n’est pas très difficile de relier tous ces usages autour

d’une définition commune, ce qui nous amène encore une fois à postuler la

présence d’un schéma unificateur, d’une forme de cadre prototype de .169צדקה/צדק

Conséquemment, puisque les mots ,צדקה/צדק peu importe leur usage, font

principalement référence à l’idée d’une conformité à une norme de droit, d’équité, ou de

rectitude, il serait tout à fait approprié de définir ce schéma comme celui de : « Conformité à

une norme ». Ainsi, chaque fois que le mot est rencontré, il évoque ce schéma qui sera

peuplé des éléments que nous venons de décrire. Selon le contexte, l’identité des

participants changera, et d’autres éléments pourront venir préciser certaines informations (la

nature de la norme par exemple). Dans le cas de poids et mesures, nous avons l’acheteur, le

vendeur, la transaction, l’unité de mesure qui dicte la valeur de l’échange, la marchandise

transigée qui variera selon le contexte. Le mot צדק vise alors particulièrement la qualité de

cette unité de mesure, à savoir sa conformité aux normes établies qui garantissent l’équité

dans les transactions commerciales.

D’autres définitions ont été proposées : « loyauté à la communauté », « ordre moral ».

On pourrait se demander laquelle de ces trois est la meilleure description du schéma170. Les

usages que nous avons rencontrés sont presque toujours dans le contexte d’une relation.

169 Cette constatation a aussi une incidence sur la discussion au sujet de la polysémie qui suivra dans la sectionsuivante.170 L’arrière-plan et les préférences dogmatiques de chacun influeront sur le résultat. Il en résulte d’une sorted’argument circulaire, probablement inévitable, mais on peut tout de même en réduire les effets néfastes enraffinant progressivement notre approche grâce à l’analyse des données. Si nous laissons celles-ci modifier notrecadre, nous avancerons tout doucement vers une analyse plus juste et moins influencée par nos présupposés.

Page 97: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

87

D’un côté, ceci confirme la nature relationnelle et sociale des divers usages que nous avons

identifiés. Mais cette constatation ne semble pas favoriser l’une ou l’autre des options qui

comportent toutes un élément relationnel. La définition de « conformité à une norme » nous

semble plus appropriée pour les raisons suivantes :

- Certains textes sont clairs au sujet de la norme qui dicte en quoi consiste le

comportement acceptable ou non (Es 33.15, Ez 33.15 par exemple). Cette norme

peut être la loi de Dieu, des obligations d’alliance, des conventions sociales, ou des

principes de sagesse, mais il s’agit bien de normes extérieures régissant la relation

entre deux ou plusieurs partis et la situation dans laquelle ils se trouvent. L’origine

de ces normes sera déterminée selon le cadre contextuel et le contexte d’un usage

particulier.

- De même, l’obéissance et la droiture sont spécifiquement soulignées à plusieurs

reprises, ce qui n’exclut pas l’idée de loyauté ou de fidélité, mais revoie

premièrement à la question de la norme qui est obéie et le standard de droiture.

Aussi, les antonymes tels que culpabilité, mal, mensonge et injustice semblent

s’aligner plus directement avec une définition de nature normative que des

concepts tel loyauté, fidélité, salut ou encore ordre moral.

- La définition de fidélité à l’alliance s’explique plus difficilement dans certains

contextes où une alliance n’est pas en vue (en Gn 30.33 par exemple) ou vis-à-vis

certains usages s’appliquant à des objets matériels tels les poids et mesures. Une

description normative du cadre s’applique plus facilement à de tels usages, ou

encore celui d’une revendication légale. Il nous semble plus difficile d’imaginer

comment une mesure peut être fidèle à l’alliance sinon de dire qu’elle est fidèle à

Page 98: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

88

des standards ou normes qui sont prescrits par une alliance. Nous sommes alors

de retour à la définition « conformité à une norme ».

Cela n’élimine pas pour autant le fait qu’en étant conforme aux normes de droiture et

d’équité, l’individu démontre sa loyauté envers Dieu et sa communauté171. De même, la

fidélité à l’alliance implique l’obéissance aux prescriptions divines et la pratique de la

,צדקה/צדק pourtant il s’agit de deux manières distinctes de décrire un comportement ou une

qualité. D’un point de vue linguistique, ce serait commettre l’erreur de transfert d’identité

illégitime (l’erreur coréférentielle) que de dire que la pratique de la צדקה/צדק se définit

comme fidélité à l’alliance ou loyauté à la communauté. Les mots loyauté, fidélité et

צדקה/צדק soulignent des aspects différents d’un même acte172, mais comme nous l’avons

précédemment mentionné, leur cooccurrence ne signifie pas qu’ils sont synonymes l’un de

l’autre. Chacun décrit un aspect d’une même situation, divers éléments qui font partie du

cadre contextuel où l’on retrouve le mot .צדקה/צדק De même, ce comportement peut être

considéré comme le respect de l’ordre moral établi, mais צדקה/צדק désigne plus

précisément la conformité à celui-ci.

171 Romerowski avance que la définition de דקהצ comme loyauté envers la communauté provient de la tendancedans les études bibliques du dernier siècle de différencier la mentalité grecque et hébraïque, ces derniers pensanttoujours de manière plus concrète. La justice n’est plus alors une question de normes abstraites mais plutôt deloyauté dans les relations. Mais encore ici, il faut faire attention de bien distinguer le sens du mot ducomportement qui s’accorde avec la réalité désignée par ce mot. Ainsi, une personne juste est loyale à lacommunauté, mais on parle tout de même de deux choses différentes. Voir Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p.359‑364.172

Il en est de même pour צדק et .ישע D’ailleurs, le vocabulaire hébreu a déjà deux mots qui servent à décrirela fidélité dans divers contextes, soit אמת et .חסד On peut avancer, comme le fait Don Garlington (parmid’autres) que la fidélité à l’alliance consiste à agir de manière juste. Dans ce cas, nous ne sommes plus dans laconfusion sémantique mais dans la définition du cadre de l’alliance et des notions qui s’y rapportent, ce quidépasse le cadre de cette étude. Voir Don GARLINGTON, Studies in the New Perspective on Paul: Essays andReviews, Eugene, Wipf & Stock, 2008, p. 240‑273. Il nous semble tout de même que l’alliance n’est pas toujoursen vue dans les usages que nous avons répertoriés, bien que certains comme Garlington font de l’alliance lecontexte qui englobe tout le contenu biblique. Voir aussi l’analyse de Blocher en Henri BLOCHER, « Justificationof the Ungodly (Sola Fide): Theological Reflections », in Justification and Variegated Nomism: The Paradoxesof Paul, Grand Rapids, Baker, coll. « Justification and Variegated Nomism », n° 2, 2004, p. 473‑481.

Page 99: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

89

Il est primordial de mentionner ici que la présence d’un schéma commun ne justifie pas

l’emploi de cette définition générale dans les instances précises où nous retrouvons ces mots

employés. Celui-ci ne fait qu’expliquer la relation entre les divers usages contextuels. Il est

possible que l’auteur du texte biblique ait une définition abstraite de צדקה/צדק à l’esprit

autant que les définitions plus précises, mais lorsqu’il emploie le mot ,צדקה/צדק celui-ci le

fait dans un contexte particulier et avec un sens précis173. Rappelons que le sens d’un mot

est établi alors que son potentiel sémantique est placé dans un cadre contextuel. Il s’ensuit

une sorte de restriction du potentiel sémantique pour isoler un sens précis, celui qui est voulu

par l’auteur dans ce contexte. À l’inverse, lorsque le mot est rencontré dans un texte, il

évoque ce schéma qui est ensuite peuplé par les éléments du cadre contextuel.

Le schéma unificateur étant identifié, nous sommes maintenant en mesure de

présenter une définition des mots ,צדקה/צדק dont les divers sens sont regroupés sous une

même définition. Nous postulons donc la présence de trois sens lexicaux distincts qui sont

organisés selon la réalité (le type ontologique) désignée par .צדקה/צדק Sous chacun de ces

sens se trouve un usage contextuel plus spécialisé qui est du même type ontologique, mais

qui prend une forme différente selon le cadre contextuel où on le retrouve :

צדקה/צדק (conformité à une norme)

- Sens lexical 1 : Actions conformes aux normes établies

173« According to the [network] model, the established senses of a word constitute the nodes of a possibly

complex, extended network. The senses are linked, horizontally by relations of similarity, and vertically by therelation of a schema and its instantiations […] we can imagine that the lowest nodes of a network might comprisespecific collocations (and their conventionalised meanings) of a lexical item, which may be accessed aspreformed chunks; but the possibility of more abstract representations, perhaps even of a ‘superschema’, which covers the full range of particular uses of an item, is not denied. What the network model does deny is that themost abstract representation is always and necessarily invoked in the understanding of contextual variants. »John R. TAYLOR, op. cit., p. 164. (Italiques nôtre)

Page 100: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

90

o Usage contextuel 1.1 : Jugements conformes au droit et l’équité

Sous-usage contextuel 1.1.1 : Délivrance de l’opprimé en conformité

au droit.

o Usage contextuel 1.2 : Conduite conforme au droit vis-à-vis de YHWH et de

ses pairs

o Usage contextuel 1.3 : Présentation d’un sacrifice conforme aux normes

צדק) seulement)

- Sens lexical 2 : Caractéristique d’une personne ou d’une chose en conformité aux

normes

o Usage contextuel 2.1 : Qualité de celui dont la conduite est conforme aux

prescriptions divines ou de sagesse

o Usage contextuel 2.2 : Poids et mesures conformes aux normes

standardisées צדק) seulement)

- Sens lexical 3 : État de fait conforme aux normes

o Usage contextuel 3.1 : Situation sociale conforme aux normes d’équité

o Usage contextuel 3.2 : Statut légal/moral d’une personne devant YHWH

o Usage contextuel 3.3 : Revendication légitime selon les normes de droit

4.2. POLYSÉMIE OU NON

Il convient maintenant de définir plus précisément la nature de ces différents usages et

la manière qu’ils sont activés. Rappelons d’abord que la polysémie est un terme qui décrit le

phénomène où un mot dispose de plus d’un sens généralement reconnu. Plus

spécifiquement en ce qui nous concerne, il s’agit d’isoler les différentes parties du potentiel

Page 101: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

91

sémantique d’un mot selon les circonstances où il se retrouve174. Typiquement, la polysémie

est identifiée en tentant d’établir si les divers sens lexicaux d’un mot peuvent être envisagés

comme étant dérivés l’un de l’autre. À la section précédente, nous avons effectué ce genre

d’exercice alors qu’il était question de la possibilité ou non d’un schéma commun, ce qui

contribuerait à l’idée que les divers usages sont reliés entre eux pour former un réseau

polysémique. Croft et Cruse proposent deux autres facteurs qui contribuent à déterminer si

un mot possède plus d’un sens distinct : 1) Les différents usages du mot auront des relations

paradigmatiques distinctes (antonymes, synonymes) et 2) ils auront aussi des relations

syntagmatiques distinctes (cooccurrences)175.

Nous avons vu que les divers usages de צדקה/צדק présentent des particularités au

niveau de leurs relations paradigmatiques et syntagmatiques. Ainsi, l’usage décrivant une

conduite est en relation avec les mots ,ישע משפט ou מישרים selon le cadre contextuel,

tandis que l’usage décrivant un état de fait l’est avec .שלום De même, lorsqu’il est question

d’une caractéristique ou d’un statut moral/légal, le mot est opposé à culpabilité, tandis que

dans l’exercice du droit, il est plutôt question d’oppression. Par contre, ce critère ne saurait

être absolu puisque nous avons à plusieurs reprises noté combien il est difficile de distinguer

certains usages à cause d’un contexte qui se prêtre à de multiples interprétations et du fait

que différents usages sont parfois faits avec des synonymes ou antonymes semblables. De

plus, pour cinq des neuf catégories d’usages répertoriées, les mots ne sont simplement pas

174 Ces parties autonomes sont délimitées par des frontières sémantiques et sont typiquement le résultat d’unprocessus d’extension du sens par le moyen de la métaphore ou de la métonymie :« Polysemy […] will betreated here as a matter of isolating different parts of the total meaning potential of a word in differentcircumstances. The process of isolating a portion of meaning potential will be viewed as the creation of a sensboundary delimiting an autonomous unit of sense. » William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 109. Et plusloin […] polysemic units are derived from the same lexical source, being the result of processes of extension suchas metaphor and metonymy. » Ibid., p. 111.175 William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 113‑114.

Page 102: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

92

suffisamment attestés pour que nous puissions déterminer les relations paradigmatiques qui

leur sont typiques. Nous n’avons pu que noter certaines relations syntagmatiques qui

semblaient révélatrices. Il devient donc impossible d’appliquer ces deux critères avec rigueur

étant donné les données à notre disposition et l’absence de locuteurs de cette langue

ancienne.

Toutefois, la polysémie est un type d’ambiguïté qui est difficile à définir avec précision.

Il s’agit d’un phénomène qui s’explique mieux par une échelle de gradation, la ligne de

démarcation entre monosémie et polysémie étant assez difficile à situer176. À une extrémité

de cette échelle, nous avons des mots qui disposent de sens lexicaux tellement rapprochés

qu’ils peuvent facilement être regroupés sous une notion commune. À l’opposé, nous avons

des mots dont les sens lexicaux sont suffisamment distincts qu’il est difficile de les lier entre

eux. Nous pouvons extrapoler sur la manière dont ces sens se sont développés mais ils

dénotent maintenant deux réalités totalement distinctes et indépendantes. Le schéma suivant

montre sur la ligne du bas un mot (en italique) disposant de deux sens distincts. Ceux-ci,

peuvent parfois être regroupés sous une définition (schéma) commune (boîte au haut du

losange)177. Les boîtes en caractère gras identifient l’élément le plus ancré dans notre usage,

celui qui est le plus couramment activé dans notre esprit lorsque le mot est rencontré :

176 « Polysemes are supposed to have related senses, but different people have different views of what is relatedand how related two senses have to be in order to be ‘related enough’ for polysemy. » M. Lynne MURPHY,op. cit., p. 91. Christopher Aaron Kyle ajoute : « The primary and present difficulty is aptly posed by Taylor(2003: 147): "Where, and on what grounds, do we draw the line between polysemy and contextual modulation?"More and more Cognitive semanticists are becoming aware of such a difficulty. The fact that in Taylor's (ibid.)third edition of Linguistic Categorization he included an entire new chapter (Ch. 8) titled "Polysemy, or: Howmany meanings does a word really have?" exhibits the recent and growing awareness of such a dilemma. Alongwith Taylor, other linguists – with a Cognitive slant and not – testify to the predicament of knowing how todetermine when a particular meaning may be considered a distinct sense or is just another instance of "contextualcolouring" » Kristopher Aaron LYLE, A Cognitive Semantic Assessment of עם and את’s Semantic Potential,mémoire de maîtrise, Stellenbosch University, Stellenbosch, 2012, p. 11.177 Murphy nomme se niveau d’abstraction « Common conceptual information ». La figure 4.2 est inspirée de M.Lynne MURPHY, op. cit., p. 93.

Page 103: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

93

Figure 4.2. Les différents degrés de polysémie

Ainsi, le mot livre peut être employé pour décrire le volume, c’est-à-dire l’aspect

physique de la publication (un livre rouge) ou bien le contenu de celui-ci, c'est-à-dire le texte

(un livre important). Toutefois, la notion globale et abstraite de livre demeure généralement la

plus ancrée dans notre esprit. À l’opposé, le mot café peut dénoter un breuvage ou un

établissement (et plusieurs autres choses), deux sens distants l’un de l’autre qui ne sont

reliés que par le fait que l’établissement sert habituellement le breuvage en question178. Les

sens distincts sont ici les plus ancrés dans la langue alors qu’il est difficile d’imaginer une

définition reliant les deux réalités désignées par le mot. Ainsi, la phrase « un beau livre »

n’est pas aussi ambigüe qu’ « un beau café » où le lecteur n’a aucune idée de quelle sorte de

café il est question179. Le cas de bouchon est entre les deux puisqu’il désigne deux réalités

178 Nous avons ici un bel exemple d’extension du sens par métonymie.179 Ceci peut être confirmé en construisant un zeugme, un exercice où l’on emploie le même mot deux fois dansun même contexte pour tenter de mettre en évidence ses différents sens. Ainsi, la phrase « Paul va au café et leboit » démontre clairement que les deux sens de café ne peuvent être assimilés dans la plupart des contextes. Àl’opposé, la phrase « Alain écrit un livre et le publie » ne pose pas de problème. « Où est le café ? » est ambigutandis que « Où est le livre » ne l’est pas. Bien sûr, le contexte viendra préciser un sens ou un autre, mais cetexercice a pour but démontrer que sans contexte, les mots ont des degrés divers d’ambiguïté.

LIVRE

Volume Texte

Livre

Obstruction d’unconduit

D’une bouteille De circulation

Bouchon

???

Breuvage Établissement

Café

Sens lexical distinct moins ancré

Similarité conceptuelle

Sens lexical distinct plus ancré

Distance conceptuelle

Page 104: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

94

distinctes. Il est toutefois plus difficile de déterminer quel niveau est plus ancré dans l’usage,

les sens distincts ou la définition commune.

La question est donc de savoir où se trouve צדקה/צדק sur cette gradation. Nous avons

décrit précédemment les trois sens lexicaux que nous pouvons illustrer de cette manière :

Figure 4.3. Facettes de צדקה/צדק

Nous croyons pouvoir assez facilement regrouper les divers usages de צדקה/צדק

sous un même schéma. Par contre, les constructions syntactiques des divers usages que

nous avons observés nous obligent à postuler la présence de différents types ontologiques :

Posséder צדקה/צדק (Dt 6.25) n’est pas la même chose que de pratiquer la צדקה/צדק (1 R

10.9). Et quoi dire des usages adjectivaux souvent employés pour décrire les sacrifices (Ps

4.6) et les balances (Lv 19.36) et l’attitude ou disposition d’une personne (Ps 143.1) ? Nous

avons donc bel et bien des usages distincts qui résistent à une unification.

Ce phénomène s’explique par la présence de facettes, un terme servant à décrire les

usages qui ne sont pas totalement distincts et autonomes mais davantage qu’une simple

variation contextuelle d’un mot vague. Selon Croft et Cruse, les facettes sont des usages

distincts, particulièrement parce qu’elles représentent souvent des types ontologiques

CONFORMITÉ À UNE NORME

Qualité État de fait

צדקה/צדק

Action

Page 105: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

95

différents180, Typiquement, ce serait une troisième indication que nous sommes en présence

de polysémie. Mais ces usages peuvent toutefois être rassemblés sous une même notion

englobante, c’est-à-dire un schéma צדקה/צדק commun181. Selon ce que nous avons avancé

précédemment, ce schéma commun est celui de la conformité à une norme. Voilà ce qui

explique à la fois l’ambigüité de certaines phrases et le fait que le mot peut être employé plus

d’une fois dans un même contexte sans soulever de problème de compréhension182. C’est le

cas de Es 56.1 qui emploie le même mot deux fois dans la même phrase, mais dans un sens

différent. La lecture ne s’en trouve pas affectée puisque le lecteur devine qu’il s’agisse de

deux facettes distinctes.

Les facettes peuvent donc être utiles pour décrire des mots dont les divers usages sont

polysémiques, non au sens strict d’usages distincts ancrés dans la langue (tel café) où il y a

peu d’intégration entre les divers sens, mais dans un sens plus large où nous retrouvons tout

de même des usages distincts qui s’intègrent entre eux sous l’effet d’un schéma commun183.

Nous proposons donc que les mots צדק et צדקה se situent à gauche de l’échelle de

180 Des objets ou réalités différentes au plan de l’expérience. « Clearly, a difference of basic ontological type, forinstance, ‘concrete’ vs ‘abstract’, represents a substantial semantic distance, and will be expected to constitute aconstraint opposing unification […] the problem with facets is rather one of explaining why they are so easilyunified, given their conceptual distinctness […] In Langackerian terms, we can say that they are jointly profiledagainst a single domain matrix. This acts as a strong constraint favoring unity. » En d’autres mots, les diversesfacettes sont employées ensemble dans un même cadre contextuel (« single domain matrix »), ce que nous avonsobservé dans plusieurs des cadres contextuels étudiés. Voir William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 122.181 À l’opposé de sens distincts qui résistent à toute forme d’unification et qui ne peuvent être rassemblés sousune notion commune. Par exemple, « rouge » pour désigner un vin et « rouge » pour désigner un parti politique.

Voir Ibid., p. 115‑116. Murphy abonde dans le même sens alors qu’elle décrit la gradation entre similarité et

distinction conceptuelle. Elle parle d’information conceptuelle commune. M. Lynne MURPHY, op. cit., p. 92‑93.182 Autrement dit, l’exercice du zeugme (voir note 178) ne révèle pas d’incompatibilité. « More striking is theambiguity of a phrase with no ambiguous words and no syntactic ambiguity. Any predicate that can apply toeither facet separately gives rise to an ambiguity not attributable either to lexis or syntax. » Puis « However, inthe vast majority of contexts, simultaneous activation of distinct facets does not lead to zeugma. » WilliamCROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 118, 120.183 « Facets can be viewed as occupying a relatively restricted position in a theoretical space constituted by twodimensions : integration and ontological distinctness, both characterized by variation in degree. With reducedintegration, facets are simply polysemic senses related by metonymy; with increased integration, facets lose theirindependence. A reduction of ontological distinctness also leads to a loss of autonomy, giving rise to normalsister parts of complex objects or events. » Ibid., p. 126.

Page 106: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

96

gradation polysémique, c’est-à-dire qu’ils comportent des facettes distinctes mais dont le

sens général reste toutefois bien ancré dans la langue. Bien sûr, nous ne sommes pas en

mesure de prouver cette thèse étant donné le fait qu’il s’agit d’une langue morte, mais ceci

s’accorde assez bien avec l’éventail d’usages observés. Il ne faut toutefois pas s’étonner que

le statut polysémique d’un mot soit difficile à établir, même dans notre propre langue. Le

linguiste John Taylor conclut avec cette observation très pertinente concernant l’apport de la

linguistique cognitive et de ses réseaux sémantiques à l’analyse de la polysémie :

One consequence of adopting the network model is that the question of whether aword is polysemous or not turns out to be incapable of receiving a definiteanswer. The answer will depend on the level of abstraction at which the word’smeaning is accessed. As the focus descends to more specific senses, the wordwill be increasingly polysemous; with focus on the more schematic senses, the word is much less polysemous, even monosemous. Yet neither of theseperspectives can be regarded as inherently more correct than the other. Toconsider only the particular to the neglect of the schematic – and vice versaimpoverishes our understanding of word meaning184.

4.3. CONCLUSION

Selon la linguistique cognitive, le mot évoque un réseau sémantique où les divers sens

lexicaux du mot sont reliés entre eux, composant différentes facettes distinctes. Dans un

contexte précis, une facette individuelle est focalisée parmi tout le potentiel sémantique du

mot. La linguistique cognitive nous permet donc de traiter des mots comme צדקה/צדק qui

possèdent plusieurs sens étroitement liés mais toutefois distincts. Nous pouvons reconnaître

simultanément qu’ils se regroupent sous une notion צדקה/צדק unique tout en reconnaissant

leur indépendance. Ceci permet d’expliquer d’une certaine manière pourquoi les biblistes ont

longtemps considéré les mots issus de la racine צדק comme faisant référence à une même

184 John R. TAYLOR, op. cit., p. 167.

Page 107: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

97

notion, tout en affirmant que ce fait ne justifie pas l’emploi d’une notion צדקה/צדק pour

expliquer les usages spécifiques des mots .צדקה/צדק Il est possible qu’un auteur d’un texte

biblique emploie le sens plus vague de צדק ou צדקה mais encore une fois, cette observation

n’est valide que pour un texte précis et non pour l’ensemble des occurrences de צדק et

.צדקה

Nous avons tenté au chapitre 3 de décrire chaque usage de צדק et צדקה à l’aide de

synonymes pour ne pas en arriver immédiatement au mot « justice » qu’il faut aussi définir.

Mais lorsqu’on consulte un dictionnaire français, on s’aperçoit que les usages du mot français

s’accordent avec plusieurs usages des mots hébreux. Par exemple185 :

- Nous parlons de « faire régner la justice » pour désigner un principe moral qui est

mis en action et qui introduit un état de fait juste.

- « Quelqu’un agit avec justice » décrit la qualité morale d’une personne qui respecte

les droits d’autrui.

- « Exercer la justice » revient à dicter ce qui est légalement juste ou injuste,

condamnable ou non, de définir le droit.

- « Demander justice » est l’acte de revendication devant un pouvoir judiciaire ou une

autorité de reconnaître le droit d’une personne.

- « La justice » est aussi employée de manière métonymique pour décrire l’institution

chargée d’exercer le pouvoir judiciaire, ce que nous ne retrouvons pas dans l’usage

de צדק et .צדקה

185 Ces exemples sont tirés du dictionnaire de français Larousse, sous la rubrique « justice ».

Page 108: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

98

Le traducteur n’a donc pas à chercher très loin dans plusieurs cas pour traduire les

usages que nous avons décrits, le mot « justice » étant approprié pour plusieurs de ceux-ci.

Nous avons déjà discuté du fait que la forme plurielle se traduira plus facilement par « actes

de justice ». La traduction « actes de délivrance » décrit aussi la même réalité mais ne

communique pas la nuance judiciaire de l’acte. Bien entendu, l’usage adjectival se traduira

par une forme équivalente.

Néanmoins, le mot « justice » ne sera pas approprié dans certaines situations puisque

צדק ou צדקה font référence à une réalité que nous ne nommons pas de cette manière en

français. On pense ici en particulier à la revendication (Ne 2.20 par exemple) et l’acte de

délivrance où une action est clairement en vue. On peut alors y aller de « revendication » ou

« délivrance » selon le cas et selon la philosophie de traduction adoptée. Une étude des

cadres contextuels des usages permet tout de même au traducteur de disposer

d’informations de nature encyclopédique et d’ainsi être mieux informé lorsqu’il doit faire un

choix de ce genre.

Page 109: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

99

CONCLUSION

À quelques reprises dans ce travail, nous avons posé la question à savoir quelle est la

contribution de la linguistique cognitive pour l’étude de mots comme צדק et צדקה ? Suite à

notre étude, il semble approprié d’avancer les constats suivants. Premièrement, nous

pouvons affirmer de manière plus générale que :

1) La sémantique lexicale cognitive est utile lorsqu’il est question de déterminer le

sens approprié pour un usage précis, puisqu’elle nous pousse à analyser le cadre

contextuel, ses éléments et participants ainsi que la réalité désignée par le mot. La

définition qu’elle permet d’identifier doit souvent aller au-delà du strict sens lexical

puisqu’elle cherche à inclure les éléments d’information encyclopédiques qui sont

reliés à la compréhension de ce mot dans un cadre contextuel précis186

. Cette

approche a pour avantage de clarifier le sens de ces mots dans des contextes plus

difficiles où plusieurs définitions différentes ont été proposées, par exemple en Dt

6.25 où diverses traductions et commentateurs proposent de comprendre צדקה

comme une conduite, un mérite, ou plus vaguement la justice. Comme nous l’avons

démontré, une telle démarche n’élimine pas pour autant l’analyse syntagmatique et

paradigmatique des mots en question, mais place une plus grande emphase sur le

cotexte et le contexte plus général de l’énoncé187

.

186 Croft et Cruse résument en disant : « Another way of saying this […] is that we have to call on ourencyclopedic knowledge in order to properly understand a concept. Some semanticists have argued that only asmall subset of our knowledge of a concept needs to be represented as the linguistic meaning of a word; this isknown as the dictionary view of linguistic meaning. But the frame semantic model of linguistic meaninghighlights the failings of the dictionary view. » William CROFT et D. A CRUSE, op. cit., p. 30.187 À la défense de la linguistique structurelle, celle-ci n’ignorait pas le contexte. D’ailleurs, le linguiste JohnLyons écrivait : « Any meaningful linguistic unit, up to and including the complete utterance, has a meaning incontext. The context of the utterance is the situation in which it occurs […] The concept of ‘situation’ isfundamental for semantic statement […] Situation must be given equal weight with linguistic form in semantic

Page 110: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

100

2) La sémantique lexicale cognitive permet aussi d’aborder la question de la polysémie

d’un autre angle, en analysant les similitudes et différences entre éléments (les

participants) des divers cadres contextuels où le mot se retrouve. Il devient alors

plus facile d’analyser les relations entre les différents usages et d’assoir sur une

base plus solide la tâche de déterminer l’existence d’une définition commune, c’est-

à-dire un sens du mot qui se veut une abstraction d’usages plus spécifiques. Il est

alors possible d’évaluer à quel point les divers sens polysémiques sont distants les

uns des autres. Bien qu’il y ait certaines similitudes entre le sens plus abstrait et le

« sens premier » souvent recherché par les biblistes, il s’agit de deux choses

distinctes. Les facettes dont nous avons parlé ne sont que le reflet de l’usage de la

langue, où nous retrouvons dans un mot deux niveaux sémantiques. Certains

usages peuvent se rapporter au sens commun plus abstrait (et plus vague) tandis

que d’autres plus spécifiques focalisent sur une facette en particulier. D’une

certaine manière, les facettes sont liées au sens abstrait, mais elles sont tout de

même indépendantes. Cela explique pourquoi certains usages sont plus difficiles à

catégoriser alors qu’il est difficile voir impossible de déterminer s’il s’agit d’une

référence à des actes, caractéristiques, ou état de fait (difficile de savoir quelle

facette). En réalité, il s’agit potentiellement d’un usage tout simplement vague du

sens commun.

3) Cette approche nous permet de tenir compte autrement de mots qui se retrouvent

souvent dans le contexte de צדק et צדקה sans être strictement synonymes de

ceux-ci. Nous pouvons ainsi éviter la confusion qui s’installe lorsque le mot étudié

theory. » Voir John LYONS, Structural Semantics: An Analysis of Part of the Vocabulary of Plato, Oxford, Basil

Blackwell, 1963, p. 23‑24. Cette citation provient de Anthony THISELTON, op. cit., p. 75.

Page 111: צדק et צדקה : Une analyse lexicale et sémantique

101

placé en équivalence avec des notions périphériques ,ישע) ,חסד ,שלום .(אמת

Celles-ci peuvent être placées dans le cadre contextuel de l’usage en question

comme décrivant un autre aspect du cadre accompagnant צדק ou צדקה et non

amalgamées dans le sens même des mots צדק et צדקה comme c’est souvent le

cas. Ces cooccurrences sont utiles dans plusieurs cas pour savoir s’il s’agit d’une

action, d’une qualité ou d’un état de fait, mais il serait dommage de succomber à

leur influence au point de comprendre צדק et צדקה comme « fidélité », « salut » ou

« bien-être ». Comme nous l’avons noté, plusieurs des définitions avancées au

cours du dernier siècle sont tombées dans ce travers et cette pratique est encore

malheureusement assez courante.

4) De plus, nous avons encore ici un rappel concernant la place d’une étude de mot

dans la théologie biblique. Bien que l’étude des mots צדק et צדקה soit utile pour

une étude de la justice dans le corpus biblique (ou certaines sections plus précises),

celle-ci ne permet pas de donner un survol suffisant de la notion de justice. On doit

premièrement tenir compte des divers usages du mot qui ne désignent pas tous la

même chose188. Bref, une différence importante demeure tout de même entre une

notion ,צדקה/צדק c’est-à-dire les éléments encyclopédiques et contextuels

contribuant au sens de ce mot dans l’Israël ancien et la notion de justice au sens

large qui dépasse la contribution d’un seul mot et qui s’intéressera aussi de manière

plus détaillée à des concepts comme l’oppression, le droit, les structures judiciaires,

la loi, le rôle des rois et prophètes et ainsi de suite189. Une étude prudente de la

188 « Les auteurs d’articles d’ouvrages du genre du dictionnaire ou vocabulaire de théologie biblique manifestentassez fréquemment ne pas savoir ce qu’ils sont censés accomplir. La polysémie constitue un facteurparticulièrement embarrassant pour ce genre d’exercice. » Voir Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 345.189 Cela permet aussi d’éviter les définitions théologiques qui ne sont pas ancrées dans le texte comme parexemple celle de Peter Craigie dans son commentaire sur Deutéronome 6.25 : « Righteousness in this context

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notion de justice s’intéressera aux textes bibliques qui décrivent celle-ci

indépendamment de la présence des mots צדק ou .צדקה

Plus spécifiquement, nous pouvons aussi noter les constatations suivantes en lien avec

les mots étudiés :

1) Pour la majorité des usages, il n’y a pas de raison de différencier les usages divins

et humains. Dans un même cadre contextuel, on réfère à la צדקה/צדק de l’homme

et de Dieu de la même manière, lorsqu’il est question d’un individu bien sûr. Notons

que l’usage employant צדקה/צדק pour dénoter les actes de délivrance ne

s’applique qu’à YHWH, mais cela pourrait être une fonction du corpus limité. De

même, l’usage de צדקה/צדק comme revendication ne s’applique qu’à l’homme,

mais nous ne sommes en présence que d’une douzaine instances. Bref, même si

un usage s’appliquait clairement uniquement à YHWH, il serait discutable de

découper ceux-ci selon qu’ils s’appliquent à l’homme ou à la divinité, comme si le

sens du mot change selon qu’il est associé à un humain ou à la divinité190. Une

distinction du genre est plutôt artificielle, du moins en ce qui concerne les mots qui

nous occupent191.

2) Nous avons aussi noté la relation d’interdépendance entre revendication, exercice

du droit, acte de délivrance et jugement. Ces usages sont reliés entre eux, faisait

describes a true and personal relationship with the covenant God (see also Gen. 15:6), which not only would be aspiritual reality, but would be seen in the lives of the people of God. » Voir Peter CRAIGIE, The Book ofDeuteronomy, Grand Rapids, Eerdmans, 1976, p. 175.190 On pourrait avancer que dans plusieurs textes, la צדקה/צדק de YHWH est plus grande que celle del’humanité. Sa צדקה/צדק n’est donc pas différente au niveau de l’ontologie (la chose dont on parle) mais plutôtau niveau quantitatif. Autrement dit, on parle de la méme réalité, mais à un degré différent.191 Par exemple, dans l’article (excellent par ailleurs) de J. J. Scullion, les usages de צדקה/צדק sont découpésselon un sens judiciaire (comportement ordonné) ou salutif selon qu’il soit question de Dieu ou du peuple.Pourtant, comme nous l’avons vu, ces usages font souvent partie d’un même cadre contextuel et avec les mêmesparticipants. De plus, le juste apporte lui aussi la délivrance tandis que YHWH est le pouvoir judiciaire ultime.Voir J. J. SCULLION, op. cit., p. 735‑736.

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103

référence à diverses facettes dans un même cadre contextuel. Dans un cas, la

perspective est sur l’action restaurant le droit, dans l’autre sur l’opprimé et sa cause

et dans d’autres sur la personne exerçant le droit. Dans certains textes, il est

question de l’oppresseur et du jugement qui l’attend tandis que dans d’autres, de

l’opprimé et de sa délivrance. Le fait que nous retrouvons les deux situations

(délivrance et jugement) dans le même cadre contextuel nous indique qu’il est futile

d’opposer justice salutive et justice rétributrice. Dans plusieurs cas, ces deux

éléments sont combinés. Ils sont l’envers de la même médaille. Selon qu’on est

oppresseur ou opprimé, l’exercice de צדקה/צדק ne sera pas perçu de la même

manière192.

3) Il est important de reconnaître les limites d’une étude comme la nôtre. Par exemple,

une étude de mot comme celle-ci ne permet pas de définir clairement le type de

norme impliquée. Chaque contexte doit être étudié pour lui-même. De plus, une

étude portant sur autant d’usages se doit, par la force des choses, de généraliser.

Le fait que nous avons identifié ces usages distincts ne signifie pas pour autant

qu’un auteur particulier ne peut apporter de nuances précises. Encore une fois, le

contexte nous indiquera ces nuances et la manière dont l’auteur emploie le mot

pour communiquer son message. Nous ne nous sommes pas attardés à l’évolution

diachronique du potentiel sémantique de צדק et ,צדקה une étude intéressante

certes, mais qui dépasse les limites de ce travail.

Plusieurs des principes linguistiques qui ont été énoncés ne sont pas nouveaux pour

nombre de biblistes. La définition que nous proposons n’a elle non plus rien de

192 Voir aussi les commentaires de Romerowski à cet égard en Sylvain ROMEROWSKI, op. cit., p. 364‑365.

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révolutionnaire. Les lexiques et dictionnaires bibliques ont une place importante dans l’étude

de la Bible et par conséquent la vie de l’église. Conséquemment, ils doivent être

constamment évalués, en particulier lorsque nous avons de plus en plus d’outils linguistiques

à notre disposition. Comme une paire de lunettes permet de voir les choses d’une autre

manière (plus clairement, on le souhaite !), nous espérons que la linguistique cognitive

permettra d’aborder les études lexicales d’un nouvel angle, de manière complémentaire avec

les travaux de ceux qui nous ont précédé. C’est grâce à la contribution d’une pluralité

d’approches que nous pourrons confirmer ou infirmer diverses théories, ce qui ne pourra que

solidifier notre étude du texte biblique.

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