©ColeGibsen,2015TousdroitsréservésPremièrepublicationparEntangledPublishing,LLC,2015Titreoriginal:LifeUnawarePourlaprésenteédition:©HugoetCompagnie,201538,rueLaCondamine75017Pariswww.hugoetcie.frOuvragedirigéparDorothyAubertISBN:9782755625295Dépôtlégal:octobre2015
Celivreestdédiéàtousceuxquiontétéharcelés,etàquil’onafaitsentirqu’ilsétaientmoinsformidablesquecequ’ilsnesontvraiment.Vousn’êtesjamaisseuls.
N’hésitezpasàappelerSOSAmitié.
PROLOGUE
–Regan?LedocteurLeehaussaunsourciletposalapointedesonstylosurlebloc-notes.Lepapiersemità
boire l’encre, formant une petite tache bleue qui s’élargissait peu à peu sur le fond jaune. C’étaitexactementcequejeressentaisenrevivantlesévénementsdestroisderniersmois: jerouvraisdescicatricesquisaignaientsurlapage.–Voulez-vousparlerd’autrechose?Jefis«non»delatête.Ungoûtamermeprit lagorge.Était-ceceluidelahonte?Jedéglutiset
humectaimeslèvressèches.J’étaisdéterminéeàtoutluiraconter.Lavéritédevaitsortir.–Jen’étaispasquelqu’undebien,lâchai-je.J’imaginequejelesavaisdéjààcemoment-là…Mais
jem’enfichais.LedocteurLeerestaimpassible.–Etmaintenant,vousvousenficheztoujours?demanda-t-il.Denouveau,jefis«non»latête.Latached’encres’élargissaittoujourssouslaplumedesonstylo.
Combien de pages devrait-il tourner avant d’en trouver une qui ne soit pasmarquée par l’encre ?Trois?Six?Lamoitiédubloc?Encoreunefois,lesdégâtsn’étaientvisiblesqu’ensurface.–Qu’est-cequiachangé?Jem’obligeaiàsoutenirsonregard.–Tout.Ilinscrivitquelquechosesursonbloc,maissonécritureétaitillisible.–Commentça?Jehaussailesépaules.–Avant,jepensaisquelaseulechosequicomptait,c’étaitd’êtrelameilleure.Jefaisaistoutpoury
arriver. Jemanipulais lesgens. Jenepensaispasquec’était graveparceque, techniquement, jenefaisaisdemalàpersonne.Jen’avaispasidée…Mavoixsebrisa.–Vousn’aviezpasidée…insistaledocteur.Jen’avaispasenviedeprononcerlesmotsàvoixhaute.Çarisquaitdelesrendreplusréels.–Jen’avaispasidéequeje…détruisaislesgens.Maisquandçam’estarrivé,venantdequelqu’un
quejepensaisaimer…Unsanglotm’interrompit.Jefermailesyeuxtrèsfortpourrefoulermeslarmes.–Jenepeuxpas,murmurai-je.C’étaitlavérité.Dans lenoirsousmespaupièrescloses, je levoyais– la façondont ilm’avait regardée,dont ils
m’avaienttousregardée–,etladouleurs’abattitsurmoiavecunetelleviolencequejecrusmourir.–Jene…peuxpas.–Cen’estpasgrave,Regan.
J’entendislebruitétoufféd’unbloc-notesqu’onfermesurunbureau.–Nouspouvonsarrêterlàpouraujourd’hui,ditledocteur.–Non!Chaque inspiration, chaque battement de mon cœur m’apportaient une nouvelle vague de
souffrance,maisilyavaituneseulechoseplusdouloureusequederacontercequej’avaisfait,c’étaitdeletaire.Lessecrets,c’étaiteuxquiavaienttoutdéclenché.Jerouvrislesyeux.–J’aibesoind’enparler.–Trèsbien,ditledocteurLeeenreprenantsonbloc.Commençonsparlecommencement.Quelle
estladernièrechosequivoussoitarrivéeavantquetouts’effondre?Un trop-plein d’émotions tiraillait mon cœur déjà bien mal en point. Les souvenirs refaisaient
surface,aussivivacesquelejouroùjelesavaisvécus.Lesrevivreallaitêtreuncalvaire,maiscelavalaittoujoursmieuxquedelaisserlablessures’infecterenmoi.Jemordillail’ongledemonpouceetm’efforçaideretrouverl’instantoùtoutavaitbasculé.–Toutacommencéparuntexto.
CHAPITREPREMIER
Troismoisplustôt…La sonnerie demon portablem’éveilla en sursaut. Affolée, j’essayai d’attraper l’appareil sur la
tabledechevetmaisfistombermonflacondepilules.–Regan!criamamèredanslecouloir.Savoixperçantemetransperçalecerveaucommeunepluied’éclatsdeverre.–Jet’attendsdanslacuisinedanscinqminutes!Ilyacertaineschosesdontilfautqu’onparle.Génial.Surmalistedechosesmarrantesàfaire,mefairesermonnerparmamèresetrouvaitjuste
endessousdemefairecreverl’œilavecunefourchette.J’abandonnail’idéedetrouveràtâtonsmontéléphoneoumonflacon–jenesavaisplusvraimentduquelj’avaisleplusbesoin–etfixaileplafondenclignantdesyeuxjusqu’àm’habitueràlapénombre.Àenjugerparmesréflexesdezombie,jen’avaispaseuplusdequatreheuresdesommeil.Pasbon.Jenepouvaispasmelaisseratteindreparmamère.Cejourétaittropimportantpournepasêtreautop.Mon portable sonna de nouveau, et je parvins enfin à l’attraper sur la table de nuit.Un SMS de
Payton,quihurlaitenmajuscules:OMGTUASVULESTATUTFB
DECHRISTYHOLDER???!!!
Christy était la capitaine de l’équipe de pom-pom girls du lycée, et vu le nombre de pointsd’exclamationàlafindumessagedePayton,jemedoutaisquesonstatutdevaitavoirunrapportaveclesessaisdelaveille–cesmêmesessaisquej’avaiscomplètementfoirésentombantsurlesfessespendantungrandporté.Àcesouvenir,jefusprised’unevaguedenausée.
Jem’efforçaidemeconcentrersurmontéléphoneenparcourantmonfild’actuFacebooketnemisquequelquessecondesàtrouverlestatutdeChristy:
Les essais étaient fabuleux, mais avec toutes les filles qui veulent entrer dans l’équipe cette année, il va y avoir deséliminations.Commentchoisir?
Jelaissaitombermonportablesurmesgenouxetmemisàrongernerveusementl’ongledemon
pouce.Christy allait-elleme disqualifier ?Bien sûr, j’avais raté le porté,mais elle avait une detteenversmoi:auprintempsdernier,jel’avaisfaitinviteràlasoiréedeJasonSpear.Ellemedevaitbienunserviceenretour,non?Ilfallaitabsolumentquej’entredansl’équipe.Sinon,mamèreallaitmetuer.Soudain, une vive douleur me détourna de mes pensées. Je sortis mon pouce de ma bouche et
contemplailesangquiperlaitlelongdemononglerongéjusqu’àlachair.Encoreunefois.Jeprisunmouchoirenpapierdanslaboîteposéesurlatabledenuitetl’enroulaiautourdemon
pouce.Simamèrevoyaitça,elleajouteraitlerongeaged’onglesàlalistedessujetsàabordertouslesmatins…Tantbienquemal,jem’extirpaidesouslescouverturesettraversaimachambre.Carotte,lelapin
enpeluchedemonenfance,m’observaitdepuissaplaced’honneursurl’étagèreau-dessusdubureau.Lesboutonsnoirsqui lui servaientd’yeux semblaientme regarder avec compassion, commepourdire:«Tutesouviens,quandtuétaisgosseetqu’onvivaitdansunemaisondeuxfoispluspetitequecelle-là?Lejardinnefaisaitmêmepaslatailledel’alléequ’onamaintenant,maisonyavécudesaventures incroyables.Et leplusbeau,c’étaitqueriendetoutçan’existait.Pasd’essaispourentrerchezlespom-pomgirls,pasdeconseildesélèveset,encoremieux,tamèrenefaisaitpasencoredepolitique.»C’étaitdansunevieantérieure,medis-jeenmedétournant.Àl’époque,toutétaitdifférent.J’étais
différente.Maismaintenant?Jen’avaispasdetempsàperdreavecdesregrets,dessouvenirsoudeslapinsenpeluche.Riennepouvaitchangerlefaitquej’avaisdix-septansetque,mêmesijedétestaisça,lespom-pomgirls,leconseildesélèvesetlapolitiquedemamèrefaisaientpartieintégrantedemonexistence.Ne pas entrer dans l’équipe n’était pas envisageable – dumoins, c’était l’avis demamère.Et je
n’avaispastravailléaussidurpourtoutperdreàcaused’unstupideportéfoirépendantdesessais.Jesaisismonportableposésurlacouette.Commetoutbonsportifvousledirait,pourgagner,une
équipeabesoind’uneexcellenteattaqueetd’unedéfensedepremierordre.Etgrâceauxleçonsdemapoliticiennedemère,jebrillaissurlesdeuxplans.Avanttout,limiterlesdégâts.JecliquaisurlestatutdeChristyetrédigeaiunrapidecommentaire:
Christy,tuesgénialecommecapitaine.Jesuissûrequequellequesoittadécision,ceseralabonne.Àlameilleureéquipedepom-pomgirlsquecetteécoleaitjamaiseue.AllezlesRoyals!
Luifairedelalècheenpublicétaitunbondébut,maisunautremessagepluspersonnelnepouvait
pas fairedemal.Unmois auparavant, le copaindeChristy l’avait trompéeavecune fillenomméeMia, qui avait eu le culot de se pointer aux essais avec un sac àmainGucci identique à celui queChristys’étaitoffertl’andernier.JetrouvaiChristydansmescontactsetluienvoyaiuntexto:
T’ycroisqueMiaaosésepointerauxessais?Enplus,jel’aivueavecunsacquiressemblaitétrangementàtonvieuxGucci.Lapauvrefilleenestàfouillerlespoubellespourrécupérerlesvieuxsacsetlescopainsqu’onabalancés.Franchement,laissonslesorduresauxordures.Tuesbienau-dessusdeça.
Christyrépondituneminuteplustard:AHOUAIS?Merci,mabelle.Jepeuxtoujourscomptersurtoipourmeredonnerlesourire
Jesavaisquec’étaitstupide,maismamèrem’avaitapprisànejamaissous-estimerlepouvoirdelaflatterie. Cependant, je connaissais aussi l’importance d’une bonne attaque. Je rouvris donc lemessagedePaytonetajoutaimonautreamieAmberàlaconversation.Marequêteétaitsimple:ILMEFAUTTOUTESLESSALOPERIESQUEVOUSPOURREZTROUVERSURCHRISTYHOLDER.
Peytonfutlapremièreàrépondre:T’esautop!
Uneminuteplustard,Amberm’envoya:
OMGRegan!Ilestpasunpeutôtpourpétertoncâble,sérieux?
Je levai les yeux au ciel et balançai mon portable sur le lit. J’aurais dû savoir qu’Amber necomprendraitpas.C’étaitlafillelapluspopulairedulycée,ellen’avaitaucuneffortàfaire.Elleétaitégalement co-capitaine de l’équipe. Si je trouvais moyen d’éliminer Christy, Amber deviendraitcapitaine.Etcommejefaisaispartiedesesmeilleuresamies,àcoupsûr,j’entreraisdansl’équipe.Cettepenséemedétenditunpeu.AvecPaytonenquêted’informationspourruinerlaréputationde
ChristyHolder, j’étais libredeprogrammermesheuresdebénévolat,d’élaborerunpland’attaquepourmacampagned’électionauconseildesélèves,decommencermesrévisionspourleSATet…–Regan!Ilestl’heure.Jetressaillis.Mamère.Merde.Jel’avaispresqueoubliée.Je me traînai jusqu’à mon placard et enfilai l’uniforme du lycée. L’école s’imaginait que nous
imposerdestenuesidentiquesallaitcréeruneespèced’égalitéauseindesélèves.Labonneblague!Celanefaisaitquenousobligeràtrouverdesmanièrespluscréativesderivaliser.C’étaitàquiauraitles plus belles chaussures de designer ou les bijoux les plus chers – un titre que j’étais sûre deremportergrâceaupendentifendiamantquepapam’avaitoffertpourmesseizeans.Jeposaimesdoigtssurlebijouafindem’assurerqu’ilsetrouvaitexactementàsaplace:aucreux
demoncou,làoùtoutlemondepouvaitbienlevoir.Puisjemebrossailescheveux,misunserre-têteetm’aspergeailecouetlespoignetsduparfum«Daisy»deMarcJacobs.J’eustoutjusteletempsdem’appliquerunpeudefonddeteintetdemascarapourtenterdedissimulerlescernesnoirssousmesyeuxavantquemamèrem’appelledenouveau.Toutmonlookétaitcalculépourmedonnerunairdejeunefilledouceetinnocente,letypemêmedelaparfaitelycéenneaméricaine.Jerefermaienhâtematrousseàmaquillageetmetournaiverslaporte.Jesavaisquejen’avaispas
intérêtàluilaisserletempsdem’appelerunequatrièmefois.Maisàpeinesortiedanslecouloir,jem’arrêtainet.Mescachets.Jemeruaidansmachambre,saisisleflaconsurmatabledechevetetleglissai dans mon sac à dos. En théorie, le règlement du lycée interdisait de transporter desmédicamentsdanssonsac.Je m’en fichais. Chaque fois que je demandais un cachet à l’infirmière du lycée, cette dernièreenvoyaitunmotàmesparents.Enrésultaituneattentionindésirabledemamère,quiprovoquaitchezmoiunregaind’anxiétéetdescrisesdepanique.Etc’étaitrepartipourlecerclevicieux.Personnenevoulaitdeça.Etpuis,quisait?Cettejournéeallaitpeut-êtremarquerlafindescrisesdepanique.Bien sûr. Quand les poules auront des dents. L’image d’une grosse volaille au sourire exagéré
m’arrachaunsourire,quimourutsurmeslèvresdèsquej’entraidanslacuisineetaperçusmamère,assise à table, quime foudroyait du regard.Elle portait unde ses nombreux tailleurs parfaitementajustéspourmettreenvaleursasilhouetteélancée.Sescheveuxétaientramassésenunchignonbasquiaccentuaitlestraitssévèresdesonvisage.–Regan,dit-elle froidementendésignantd’ungeste lachaisevideàsadroite.Parlonsunpeu, tu
veuxbien?–Oùestpapa?demandai-je,ignorantsaquestion.Monpère jouait toujours lesboucliers lorsdesassautsdemamère, et jen’avaispas lamoindre
enviedesubirçasanslui.Cematin-là,cependant,iln’étaitpasassisàsaplacehabituelleàcôtéd’elle.Jejetaiunregardfurtifdel’autrecôtédelapièce,maisiln’étaitpasnonplusàlacafetièreentraindeseresservirunetasse.Unéclaird’agacementtraversaleregarddemamère.
–Parti,répondit-elle.Ilavaitunrendez-vouspourunedévitalisationtrèstôtcematin.Iln’yaplusquetoietmoi.Sesmotsrésonnèrentdansmatêtecommeunemenace.Plusquetoietmoi.Jen’avaisaucuneidéedecequemamèreallaitdire,maisunechoseétaitsûre:d’unemanièreou
d’uneautre,jel’avaisdéçue.Unevagued’angoisses’abattitsurmoi.Jemecrispai.Jemesouvinsalorsdesinstructionsdemonmédecinetprisunegrandeinspiration,quejeretinsen
comptant jusqu’à dix avant d’expirer lentement. Peu à peu, les anneaux qui m’enserraient serelâchèrent.Mamanplissalesyeux.–Qu’est-cequetufais?Pourquoiturespirescommeça?Je ne pris même pas la peine de répondre. Elle savait exactement ce que je faisais. Elle
m’accompagnaittoujoursàmesrendez-vousetdiscutaitenchuchotantavecmonpsydèsquej’avaisquittélapièce.Biensûr,ellerefusaitdereconnaîtremesproblèmesdestress:c’était tellementplusfaciledesevoilerlafacequed’admettrequequelquechosenetournaitpasrondchezsafille…–Jevaismefaireunboldecéréales,déclarai-jeenfeignantlabonnehumeur.Aussitôt,mamèreattrapasonsacàmainetensortitunebarreprotéinéequ’elleposasurlatable.–Reganchérie,tudevraissurveillertonalimentation.Pourlesfillescommetoiquiontdescourbes,
lepasestvitefranchientre«flatteur»et«flasque».Je serrai les dents si fort que ma mâchoire me fit mal. J’étais toujours debout à l’entrée de la
cuisine,immobile.Ladernièrechosedontj’avaisenvie,c’étaitdem’asseoiràtableàcôtédecettefemme.J’avaisplusdechancesdem’ensortirenviesijemecouvraisdesangavantdeplongerdansunaquariumàrequins.–Uncafé,alors.Enmetournantverslacafetière,jem’efforçaidemesouvenirquemamèren’avaitpastoujoursété
aussicritique.Aprèstout,c’étaitellequim’avaitoffertCarotte.Jesavaisquel’arènepolitique–cettepeurconstantequevosennemisrepèrentunefaille–l’avaitchangée.Enfait,jesavaisexactementcequ’elleressentait,maisçanerendaitpaslasituationmoinsstressante.–J’aijetétoutlecafé,déclara-t-elle.Jeme figeai.Apparemment, elle n’avait pas conscience d’avoir jeté une grenade dégoupillée au
beaumilieudelacuisine.Uneragesubites’emparademoi,etjel’accueillisàbrasouverts.Endehorsdespilules,seulelacolèrerepoussaitefficacementmescrisesdepanique.–Pourquoituasfaitça?demandai-jed’untonsec.Ellesavaitquemoncafédumatinétaitvitalpourmoi.Sanscepetitcoupdefouet,j’allaispiquerdu
nezdèslepremiercours.Était-ceencoreunedesesépreuvestorduespourmerendreplusforte?Mamèrelaissaunbrefsilences’installer,puisrépliqua:–Lecafétachelesdents.Noussommesdansuneannéedecampagne,Regan.Ilyauradesspotsà
tourner,desinterviews…Notreapparencedoitêtreirréprochable.Jemeretournaipourlaregarderbienenface,brascroisés.–Tut’inquiètespourmesdents?Elleplissalesyeux.–Dois-jeterappelerqu’enpolitique,l’imageestprimordiale?Tuveuxquejeperdelesprochaines
élections?Surtout pas. En général, ma mère passait la moitié de la semaine à Washington, et les 1272
kilomètresquilaséparaientdenotremaisondansl’Illinoisétaientlaseulechosequim’empêchaitdedevenirfolle.Maisallez,quoi…Mesdents?Ellem’obligeaitdéjàrégulièrementàlesfaireblanchir,
doncjesavaisquecen’étaitpasleproblème.Etj’avaisbesoindecettecaféinepourresterautop…–Jesuisdésolée,rétorquai-je.Tuasparfaitementraison.L’économieestauplusmal,lesgensn’ont
pasde travail,certainsfinissentà larue,mais tout irabien tantque jen’auraipasde tachessur lesdents!L’espaced’uninstant,elleeutpresquel’airdésolée.–Tusaisbienqu’iln’yapasqueça…dit-elle.D’aprèstonmédecin,lacaféinen’estpasbonnepour
tes…tesnerfs.Je savais que je ne devais pas tirer sur la corde. Après tout, venant d’elle, c’était presque une
déclarationd’amour.Pourtant,jenepusm’empêcherd’ajouter:–Mesnerfs?Tuveuxparlerdemestroublesdel’anxiété?Aussitôt,ellelevalementonetmeréduisitausilenced’unseulregard.–Assieds-toi,Regan.Jem’avançaientraînantlespiedsetmelaissaitombersurlachaiseenfaced’elle.Elleglissavers
moilabarreprotéinée.Àcontrecœur,jedéchirail’emballage.Mmmm,songeai-je.Unboutdecartoncouvertdechocolat…JerêvaisdéjààlacannettedeCocaquej’allaisacheteraudistributeurdulycée.Je pris une bouchée, puismis une bonneminute à convaincrema gorge que j’avais de la vraie
nourrituredanslaboucheetqu’ilfallaitl’avaleraulieudelarecracher.Mamèrem’observauninstantavantdesecouerlatêted’unairréprobateur.–Jenecomprendspas,Regan.Tuesunesi joliefille.Pourquoinepasfaireplusd’efforts?Il te
suffiraitd’unpeudeblushetderougeàlèvrespournepasavoirl’airdetomberdulit…Jelafusillaiduregardetcontinuaiàmâchermonboutdecarton.J’avaisfaituneffort.–Peuimporte,reprit-elleavecungestevaguedelamain.Nousenreparleronsuneautrefois.Jedéglutisavecpeine.Jen’attendsqueça…–Lavéritableraisonpourlaquellejevoulaisteparler,poursuivit-elleenrajustantlepetitdrapeau
américain épinglé sur son revers, c’est qu’avec ta dernière année de lycée qui commence, nousdevons mettre en place un plan d’action. C’est ta dernière chance d’impressionner un conseild’admissionàl’université.Sanscompterquenoussommesenpériodeélectoraleetquelepublicserasensibleàtonsuccès.Àcesmots,jedusempêcherlabarreprotéinéedefaireuneréapparitioninopinée.J’avaisdéjàeu
assezdemalàl’avaler;jenevoulaismêmepasimaginercequeceseraitdelasentirremonter.Jedéglutisàplusieursreprisesavantderéussiràformuleruneréponse:–Enfait,j’aidéjàunpland’action.–Ah?fitmamèreenhaussantunsourcil.Jet’écoute.L’estradeestàtoi.J’avaishorreurqu’ellemeparlecommesijem’apprêtaisàproposeruntextedeloiàl’Assemblée
alorsquec’étaitdemaviequ’ils’agissait.Jeparvinstoutdemêmeànepasleverlesyeuxauciel.–Ehbien,j’aiéténominéepourmeprésenterauconseildesélèves,doncjevaisavoirmapropre
campagneàgérer.– Formidable, dit-elle avec un sourire. Il faut absolument que tu l’emportes. Avoir participé au
conseildesélèvesfaittoujoursunexcellenteffetsurunecandidatureuniversitaire.–Ok.Çaneserviraitàriendeluifaireremarquerquemonélectionnedépendaitpasdemoimaisduvote
desautresélèves…–Jesuisaussientraind’organisermesheuresdebénévolat,poursuivis-je.Jevaiscontinueràme
porter volontaire pourm’occuperdes chevaux à l’écurie, et je comptem’inscrire pour servir à lasoupepopulaireàl’église.Etpuisilyal’équipedepom-pomgirls…
J’espère.–Trèsbien.Elleselevaetpassalasangledesonsacsursonépaule.–J’aiunavionàprendre.J’appelleraitonpèrecesoirpourluidemanderdes’assurerqueturestes
bienfocaliséesurtesobjectifs.Jenevoudraispasquetouts’effondreenmonabsence…Etvoilà.Lamenaceperpétuelledemonéchecvenantruinertoussesprojetsd’avenir.Lacamisole
deforce invisibleétait siserréecontremescôtesque jepouvaisàpeinerespirer.Malgré tousmeseffortspourlacontenir,l’attaquedepaniquemenaçait.Mamère s’arrêta sur le pas de la porte, le temps d’une dernière recommandation. Je voyais ses
lèvresbouger,maislesbattementsdemoncœurquirésonnaientdansmatêtecouvraientlesondesavoix.Soitelleneremarquapasquejesuffoquais,soitellenevoulutpasleremarquer.Quoiqu’ilensoit,
ellemetournaledosets’enallasansattendreuneréponsedemapart.Dèsqu’ellefuthorsdevue,j’attrapaimonsacàdosetensortis lepetitflaconorange.Mesmainstremblaient tellementquelespilules s’entrechoquaient. Comme toujours. J’avais déjà tellement secoué le flacon que les paroisintérieuresétaientcouvertesd’unefinecouchedepoussière.Unepeurviscéralemeparalysait.Cellequisemanifestaittoujourspendantmescrisesdepanique:
lapeurdenepasm’ensortirvivante.Je savais que cette pensée était stupide.Monmédecin et mon psychiatrem’avaient expliqué une
bonne centaine de fois que personne ne mourait d’une crise de panique.Mais je n’arrivais pas àrespirer.On avait bien besoin d’oxygène pour vivre, non ?On avait aussi besoin que notre cœurn’explosepasdansnotrepoitrine?Maismalgrétout,jesurvivrais.D’unemanièreoud’uneautre.Commetoujours.
CHAPITRE2
Jemegaraisurmaplacedeparkingattitrée,sortisdemaFordEscapeblancheetclaquailaportière
derrièremoi.Mamantenaitabsolumentàcequel’onconduisedesvoituresaméricaines.–C’estmieuxpourl’opinionpublique,avait-ellerépliquéquandj’avaisréclaméunvéhiculeunpeu
plussexy.Soudain,monportablesonna.UnnouveaumessagedePayton.
J’aidesputainsd’infossurChristyHolder!Tuvaspaslecroire!
Parfait.Avecunpeudechance,jepourraism’enservircontreelle.AprèsleSMSquej’avaisenvoyéàChristycematin,pasmoyenqu’ellemesoupçonne.
Quoi?!
J’imaginaisPaytonpenchéesur sonportable, les lèvres torduesenun rictusdiabolique.Plusellemettraitdetempsàmerépondre,plusl’infoserait juteuse.PourPayton, ladélivrancedelarumeurétaitaussiimportantequelaréception.Silecommérageavaitétéuneformed’art,elleauraitétéunmaître.–Hé,Regan!Jemetournaiendirectiondelavoixquivenaitdem’interpeller.Unepetitebrune,probablementune
élèvedeseconde,mefaisaitsignequelquesvoituresplusloin.Jenelaconnaissaispas.Dumoins,jenemesouvenaispasd’elle.Jereposaimonportableetluirendistoutdemêmesonsigne.–Salut!Jenepouvaispasmepermettrede l’ignorer.Quelqu’und’importantauraitpumevoir la snober.
C’étaitcequemamèredisaitsanscesse:tudoistoujoursavoirtroiscoupsd’avance.Je sortismes lunettes de soleil demon sac àmainKateSpade et lesmis surmonnez.Les gens
croyaient que c’était pour le style, et ça me convenait très bien. Jamais je n’avouerais que je lesportaispourquepersonnenepuisselirelapeurdansmonregard.Çafaisaitàpeinecinqminutesquej’étaisarrivéeetjesentaisdéjàlesyeuxquimefixaient,braquéssurmoicommeautantdefusilsdesniper.Quandonestpopulaire,ilyatoujoursquelqu’unquiessaiedevousdescendrepourprendrevotre
place.Comme si j’allais me laisser faire… Avant même d’avoir passé la porte du lycée, j’avais déjà
ressortimonportableafind’assurermesarrières.D’abord,envoyerunmessagegroupéàlamoitiédesfillesdel’équipedepom-pomgirls:Tuasététopauxessaishier!Sérieux,àcôté,lesautresonttoutesfaitdelamerde.Jesuistrooooopjalouse!
Je n’aurais peut-être pas dû envoyer exactement le même message à chacune, mais je devaism’assurer unmaximumd’alliéesdans l’équipe aussi vite quepossible.Et puis, de toute façon, quiiraitremettreenquestionuncompliment?
Monportablesonnadenouveau.Payton.Désintox.LameilleureamiedelacousinedeChristym’aditquesesparentsl’ontenvoyéeenCaliforniecetété.Unmoisdans
unecliniquedeluxeàMalibupoursoignersestroublesdel’alimentation.Çaamissesparentssurlapaille.
Etmerde.Cen’étaitpaslegenrederagotqu’ilmefallait.Enlisant«désintox»,j’avaisespéréunedépendance secrète aux amphétamines, ou quelque chose dont j’aurais pume servir pour la fairechanterafind’assurermaplacedansl’équipe.Maislà,ils’agissaitd’unvraidésordrepsychologique.Tout comme les troubles de l’anxiété. C’était le genre de chose qui pouvait vraiment bousillerquelqu’un.Jusqu’oùétais-jevraimentprêteàallerpoursatisfairelesambitionsdemamère?Comme si je l’avais invoquée, la voix demamère semit à murmurer dansma tête : Tu crois
vraimentque jem’inquiètede l’étatmentaldemonadversairequandje le traînedans laboue?TucroisvraimentqueChristyseretiendraitsielleconnaissaittonsecret?Montéléphonesonnadenouveau:Alors,qu’est-cequetuvasfaire?Pensive, je tapotai l’arêtedemonportable. J’allaisà l’écoleavecChristydepuis lamaternelle,et
ellen’avait jamaisdituneseulechoseméchanteàmonsujet.Jenevoulaispasruinersaréputation.J’avaisseulementbesoinde…ladistraireunpeu.Maiscomment?Jenepouvaispasmecontenterderépandredes rumeurs sur sa curededésintox : tout lemonde allait se précipiter à ses côtés, et ceseraitàquila«soutiendrait»lemieux.Pasdutoutstratégique.Jevaistrouveruntruc.Ilfautseulementl’évincertemporairement.Justeletempsqu’Amberprenne
saplaceetmefasseentrerdansl’équipe.L’ennui,c’étaitquejenesavaisabsolumentpascommentm’yprendre.Jenesavaispasnonplussi
jevoulaisvraimentmeservircontreelled’unproblèmeaussigravequ’untroubledel’alimentation.Jesentaisquec’étaitmal.Entoutcas,tuferaisbiendetegrouiller.C’estdansdeuxjoursqu’elleconstituel’équipe.Je remis mon portable dans ma poche et poussai un soupir. Peut-être devrais-je laisser tomber.
Aprèstout,est-cequeçaseraitsigravesijen’entraispasdansl’équipe?Cen’étaitpascommesijevivaispourlespom-pomgirls.Envérité,jedétestaisrécitercesstupidesencouragements,et j’avais en horreur la façon dont les mecs soulevaient ma jupe en passant derrière moi. Si jen’entrais pas dans l’équipe, je pourrais plus souventm’occuper demon cheval et j’aurais plus detemps pour réviser. Çam’épargnerait ces nuits blanches de bachotage que je devaism’imposer àcausedemonemploidutempssurbooké.Non.Sijen’entraispasdansl’équipe,jeruinaismeschancesd’entrerdansunebonneuniversité.Et
si je n’entrais pas dans une bonne université, mes choix de carrière seraient limités. Et si je netrouvais pas de travail, je serais obligée de rester à la maison, avec ma mère, pour toujours. Etcommemamèreétaitunefigurepolitique,lemondeentierseraittémoindel’échecdemavie.Ungoûtamermebrûlaitlefonddelagorge.Jenepouvaispaséchouer,mêmesijen’aimaispas
foutrelebordeldanslaviedesgens.Pourtant,jelefaisaissisouventqu’onauraitpucroirequ’àunmomentdonné,jen’auraisplusfaitattention.Jefaisaiscommesijem’enfoutais.SiAmberétaitdansles parages, je faisaismême semblant d’aimer ça autant qu’elle.Mais, en réalité, ça n’était jamaisdevenuplusfacile.Avecletemps,jen’avaispasmoinsmalàl’estomacnilespaumesmoinsmoites.–Regan!m’appelaunefilleauxcheveuxblondsetcourts,assisesurlesmarchesdel’entrée.Je la reconnusaussitôt :elleavaitparticipéauxessais.Si je jouais finementmescartesetqu’elle
aussientraitdansl’équipe,elleyferaitunealliéedechoix.–Salut,répondis-jeavecunsourirejusqu’auxoreilles.J’aihâtequelesentraînementscommencent,
pastoi?
–Oui,çavaêtreuneannéed’enfer!s’écria-t-elleavantdereprendresaconversationaveclegarçonquil’accompagnait.Sa façon de dire « une année d’enfer »m’avait arrêtée net.Vu son enthousiasme, elle y croyait
vraiment.Jemedemandaicequeçafaisait.Quelgenred’existencevivait-ellepourmanifesterunteloptimismeavecautantdenaturel?Est-cequ’elleseréveillaittouslesmatins,presséed’affrontercequelavieluiréservait?Est-cequ’elleavaitparfoisenviedes’enfouirsouslescouverturesetdeneplusjamaisensortir,certainequecettejournéeseraitcelleoùtoutallaitpartirenvrille?Monsourirevacilla,mais jemehâtaide rectifierçaavantquequiconque le remarque.Poureux,
j’étaisReganFlay,pom-pomgirl,toujourspremièredelaclasseetfilledeladéputéeVictoriaFlay.J’aimaislepetitJésus,mafamilleetleschevaux–toujoursdanscetordre.Commeledisaitmamère,j’étaisl’exempleparfaitd’uneenfantélevéeavecdeslimitesfermesetdesainesvaleursaméricaines,etjedevaismeconduireentantquetelle.C’étaitexactementcequejem’efforçaisdefaire–sil’onexcluaitlestroublesdel’anxiété,laconsommationexcessivedepetitespilulesetunpeud’espionnagesocialpar-ci,par-là.Engros,si j’avaisétéélevéeavecde«sainesvaleursaméricaines»,çaexpliquaitàquelpoint le
paysétaitdanslamerde.Prêteàaffronterl’inévitablevaguedepanique,jeprisunegrandeinspiration,redressailesépaules
et poussai les portes en verre du lycée. Instantanément, plusieurs dizaines de paires d’yeux setournèrentversmoi.J’étaistenduecommeunarc,prêteàtournerlestalonspourpartirencourant,maisjemecontraignisàposertranquillementunpieddevantl’autre.Pourtant,plusj’avançaisdanslebâtiment,plusl’airsemblaitdevenirirrespirable.Plusieurs personnesm’appelèrent pourme saluer,maismes lunettes de soleilm’empêchaient de
distinguerlesvisagesaumilieudelamassedelycéensquiencombraientlescouloirs.Malgrécela,jen’osaispaslesenlever.Ellesformaientcommeunmurprotecteurentremoiet lesautres.Ducoup,pournepaspasserpourunepétasse,j’élargisencoreunpeuplusmonsourireetlevailamainpoursaluertoutlemonde.Pourêtrehonnête,jenesavaispasvraimentpourquoij’étaissipopulaire.Jen’étaispasdifférente
des autres, j’étais même sûrement bien pire que la plupart. Ça devait faire partie des nombreuxfardeaux que m’imposait la carrière de ma mère. Non seulement je devais constammentimpressionnerlesmédiasmaisjedevaisaussifairebonnefiguredevanttoutlelycée.Iln’yavaitpasunseulendroitaumondeoùj’avaisledroitd’êtresimplementdanslamoyenne.–Regan!criaPaytonentraversantungroupedegarçonsquiriaientenregardantquelquechosesur
leurportable.Dèsquej’aperçusmonamie,lepoidsquipesaitsurmesépauless’allégea.Cefutsifulgurantque
j’eneuspresquelevertige.Lesoulagementétaittelquejenepusm’empêcherdesourire–pourdevrai,cettefois.–Toietteslunettes!plaisanta-t-elleenlevantlesyeuxauciel.Arrêteunpeudefairetastar!–Quoi,j’ensuispasune?répliquai-je.Jerepoussaimeslunettessurleboutdemonnezenaffichantmameilleureexpressionsnobinarde.–Jepasseàlatélédepuistoujours,poursuivis-je.Tuespasséecombiendefoisàlatélé,Payton?J’enlevaimeslunettesetlesglissaidansmonsacàmain.Avecmonamieàmescôtés,jen’enavais
plusbesoin.Lesmursducouloir,quis’étaientrapprochéspresqueaupointdem’écraser,s’écartèrentsoudainetjepusenfinrespirer.–Ahoui…jamais.–Salegarce!s’esclaffa-t-elle.
Elle me prit par le bras, et nous nous frayâmes un chemin vers mon casier. Pendant que jecomposais la combinaison, Payton tira sur le bas de son gilet pour le rajuster sur ses hanches.Comme toujours, les plis de sa jupe étaient si parfaitement repassés qu’ils paraissaient presquetranchants.Sacravateétaitimpeccablementnouéeaucreuxdesoncou,mêmeavecsoncollier,etpasunemèchedesescheveuxblondsetraidesnes’échappaitdesaqueuedecheval.–Commet’étaispasàtoncasiertoutàl’heure,dit-elle,j’aicruquet’allaisêtreàlabourre.–J’aifailli.Mamèrevoulaitqu’onaitune«conversation».–Ahd’accord!fit-elled’unairhorrifié.Dequoiellevoulaitparler,cettefois-ci?–Oh,lestrucshabituels…–Argh,grimaçaPayton.Jesaisvraimentpascommenttufais…Jepensai auxpilules cachéesau fonddemonsacethaussai les épaules. Jem’emparaides livres
qu’ilmefallaitpourmonpremiercours,refermaimoncasieretpoussaiunsoupir.Paytonsepenchasurmoietpressasonfrontcontrelemien.–Tuvasvoir.Quandellesauraquetuesentréedansl’équipe,ellevabienêtreobligéedetelâcher
unpeu…Jenerépondispas.Jen’avaispasenvied’avoueràquelpointj’avaisloupélesessaisnideluidire
quemêmesi j’entraisdans l’équipe,mamère trouveraitaussitôtuneautre faiblessesur laquellesefocaliser.Jemecontentaidoncdesourireenhochantlatête.Apparemmentsatisfaite,monamiem’adressaungrandsourire.–Enparlantdel’équipe,tunevaspascroirelessaloperiesquej’aitrouvéessurChristy!Viens.Ellenemedonnapasl’occasiondeprotesteretm’attrapaparlebraspourm’entraîneràtraversla
foulede lycéensquiencombraient lecouloirenattendant la sonnerie.Laplupartdeceuxquenouscroisionsnousregardaientavecunsourireounousfaisaientunpetitsigne.Quelques-unss’écartèrentmêmedenotrecheminpournouslaisserpasser.C’étaitdumoinscequejepensaisjusqu’aumomentoùj’entraiencollisionavecuntorsemusclé.–Maisc’estlapetiteReganFlay…Jefisunpasenarrière,etmesexcusesmoururentsurmes lèvres.J’aurais reconnun’importeoù
cettevoixgraveetcondescendante.Le grand frère de Payton, l’air très concentré sur son téléphone. Ses yeux étaient de la même
couleurnoisettequeceuxdePayton,maisc’étaitlàques’arrêtaientlesressemblancesentrelefrèreetlasœur.Au collège, Nolan traînait toujours avec les mecs les plus populaires. Puis quelque chose avait
changé à son entrée au lycée, quand il avait commencé à sortir avec Jordan, la fille aux cheveuxvioletsduclubdethéâtre.Aprèsça,iln’avaitplustraînéqu’aveclesminablesduclubd’audiovisuelettous ceux qui se faisaient passer pour des artistes. C’était presque comme s’il avait choisivolontairementdedevenirun loser.Ce jour-là, lespansde sa chemise froisséedépassaientde sonpolo, et l’ourlet de son pantalon était tout déchiré et effiloché. Ses cheveux bruns en pétard, troplongs, frôlaient le col de sa chemise et retombaient sur son front. Dommage. Il aurait été supermignons’ilnesefoutaitpasdesonapparenceetsavaitlafermerdetempsentemps.Évidemment,jeneseraisjamaisalléeleluidireenface.Paytons’interposaentrenous.–Regardedevanttoiquandtumarches,abruti.–Quandjemarche?s’écria-t-ilenhaussantunsourcil,sanscesserdenousfilmer.Sijenem’abuse,
sœurette,c’estReganquim’estrentréededans.Ondiraitquevosboussolesdirectionnellessontaussiàcôtédelaplaquequevotremorale.
Jerajustaimonchemisierpourtenterdemedonnerunecontenance.–Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?– J’habite avec elle, répondit-il en désignant Payton du pouce, et je te connais presque depuis
toujours.Alors,lesairsinnocentsquevousprenez,toietmasœur,çanemarchepasavecmoi.Jevoulusréagir,maisillevalamainpourmefairetaire.– Attends. Ne réponds pas tout de suite, il faut que je trouve un meilleur angle. Je veux saisir
l’absencetotaled’âmedanstonregardquandtumeparles.Ilplaçasontéléphonepourquelalentillesetrouvebienfaceàmoi.Jemesentisrougirdecolère.–Pourquituteprends?bafouillai-je.Tut’imaginespeut-êtremeconnaître?–Dégage,fitPaytonenrepoussantsonfrèreassezfortpourlefairetituberenarrière.Personnene
veutapparaîtredanstesstupidesdocumentaires.Alors,arrêted’êtreuntrouduc,oujetejurequejevaistebalanceràmaman.Unsouriresuffisantauxlèvres,Nolanremitsonportabledanssapoche.–Oh,non!Pitié,neledispasàmaman!Quandest-cequetuvasarrêterdeteconduirecommeun
bébé?Ellecroisalesbras.–Quandtuarrêterasd’êtreungroscon.– J’arrêterai d’être un gros con quand vous arrêterez de manipuler les gens pour qu’ils vous
apprécient.Ilsetournaversmoiavecungrandsourire,commes’ilsavaitvraimentunechoseoudeuxàmon
sujet.Etc’étaitterrifiant.Jenesavaispasexactementcequ’ilsavait,nimêmes’ilsavaitvraimentquelquechose.Cequeje
savais, en revanche,c’étaitqu’ildevait la fermeravantque lesgensnousentendent. Jemesouvinsalorsd’unautreconseildemamère : sionvousacculedansuncoin,passezoutre lespluspetitesinsultesetfrappezdroitlàoùçafaitmal.Jem’efforçaidoncd’arborerunmasqued’indifférenceglaciale,levailementonetmelançai:–Jen’aipaspum’empêcherderemarquerquetonex–Jordan,c’estbiença?–achangédelycée.
Tudoisvraimentêtreungrostarésielleneveutmêmeplust’approcheràmoinsdetrentekilomètres.C’estpourçaquetuestoujourscélibataire?Monattaqueeut l’effetdésiré : lesouriredeNolandisparut.Jevoulusmeréjouirdemavictoire,
maisquelquechosedanssonregardm’arrêta.Cen’étaitpasdelacolère.C’était…deladéception?Delapeine?Quoiqu’ilensoit,jemerendiscomptequej’avaispeut-êtredépassélesbornes.PuisleriredePaytonmefitsortirdemaparalysie.–Bienjoué,Regan!dit-elleentirantsurlalanièredemonsacàmain.Viens,onsecasse.Pasenvie
d’êtrecontaminée.Ellem’entraînadans le couloir, et ce ne fut qu’aubout dequelquesmètres que je sentis enfin la
tension s’alléger dansma poitrine.Mais une fois arrivée au bout du couloir, alors que nous nousapprêtionsàtourneraucoin,quelquechosemepoussaàjeterunregardenarrière.Nolann’avaitpasbougédel’endroitoùnousnousétionspercutés.Lorsquenosyeuxsecroisèrent,
jeprisunerapideinspiration.L’intensitédesonregardmebrûlaitpresque.– Ignore-le, murmura Payton en me poussant à me retourner. C’est un gros con, mais il est
inoffensif.Jehochailatête,mêmesi«inoffensif»n’étaitpaslemotquej’auraischoisipourdécriresonfrère.
Devantunmec«inoffensif»,monsouffleneseseraitpasainsibloquéaufonddemagorge.Devant notre salle de classe, Payton et moi fûmes soudain brutalement séparées par notre amie
Amber,quiseplaçaentrenous.Commed’habitude,elleavaitroulél’élastiquedesajupeafindelaraccourcirdeplusieurs centimètrespar rapport à la longueurqu’imposait le règlement.Sacravatependaitenunnœudlâchesursonchemisier,auquelilmanquaitquelquesboutonstrèsbienplacés.–Jevousaicherchéespartout,mespoupoufs,ditAmberenfaisantlamoue.Ellerepoussapar-dessussonépauleseslongscheveuxnoirsetplissasesyeuxenamande.–Vousn’étiezpasentraindeparlerdemoi,j’espère?–Quoi?protestaPayton.Onneparleraitjamaisdetoidanstondos!Elles’esclaffa,maissonrireétaitunpeutropaigupoursemblernaturel.Intérieurement, je grimaçai. En vérité, Payton etmoi parlions tout le temps d’Amber. D’accord,
Amberétaitnotreamie,maiselleavaitlapersonnalitéd’unrhinocérosentraindecharger.Unseulmouvementdetravers,etellevouspulvérisait.SiPaytonetmoinepouvionspasnousdéfoulerentrenous,nousserionsdéjàdevenuesdingues–ou,dansmoncas,encoreplusdinguequejel’étaisdéjà.Touteslestrois,nousétionsamiesdepuislatroisième,depuislejouroùAmberavaitvouluvolerlecopaindeMacySimmonsetavait lancéunerumeurcommequoisamononucléoseétaitenfaituneMST.C’étaitcejour-làquejem’étaisrenducompteàquelpointAmberétaitdangereuse.Soisprochedetesamisetplusencoredetesennemis,disaittoujoursmaman.Êtrel’amied’Amber
me permettait de la surveiller et de m’assurer qu’elle neme poignarderait pas dans le dos. Je lasoupçonnaisd’êtremonamiepourlamêmeraison.Malgrétoutça,aveclesannées,unaccordtacites’étaitinstalléentrenous:jegardaissessecrets,etellegardaitlesmiens.–OùestJeremy?demandai-jeenunetentativepathétiquedechangerdesujet.Commelamoucheprisedanslatoiled’uneveuvenoire,
ilnesetrouvaitjamaisàmoinsd’unmètred’elle.Probablementparcequ’ilressentaitconstammentlebesoindeglissersesmainssousl’ourletdesajupe.Berk.–Dans lesdouches, réponditAmber enplissant lenez. Il avaitmuscucematin, avec l’équipede
lutte.Iltranspiraitdepartout,c’étaitdégueulasse.Ouais.Àmonavis,iln’avaitpasbesoindesuerpourêtredégueulasse.Maisça,jen’allaispaslelui
dire.Aussi discrètement que possible, je donnai un coup de coude à Payton pour qu’elle cesse degloussercommeuneidiote.–OubliezJeremy,ditAmberenposantlamainsursahanche.Alors,vousavezparlédemoidans
mondos?Jeme souvinsavoirvuunpsy,dansun talk-show,qui affirmaitque lesgens infidèlesétaient les
premiersàaccuserlesautresdelestromper.J’imaginaisquelamêmechosepouvaits’appliqueràlamédisance.–Personneneparlaitde toi,Amber, répondis-je.Mamèrem’aencore faitunde sesdiscoursde
«motivation»cematin,etj’étaisentrainderaconterçaàPayton.–Uh-huh,fit-elleavecunsouriremalicieux.Jevoismalcommenttuastrouvéletempsderaconter
quoiquecesoit,avectouscesSMSquetuenvoiesàtoutlemonde…Ellelevalamaindroitepourcomptersursesdoigts:– D’abord, le message pour cirer les pompes de Christy, puis le SMS commun à la moitié de
l’équipe…Aupassage,sympad’avoirditqu’onavaittoutesfaitdelamerde…Jefaillism’étoufferettentaideledissimulersousunéclatderire.–C’estpasdutoutcequej’aidit,protestai-je.
–Arrête, ricanaAmber.Ton numéro de la petite innocente, çamarche peut-être avec le reste dumondeaulycée,maispasavecmoi.Jesaisexactementcequetuasditdanstesmessages.Àcesmots,mesjambesmanquèrentdesedérobersousmoi.–Comment?balbutiai-je.Amberhaussalesépaules.–N’oubliepasquejesuisco-capitainedel’équipe,biatch.Lesfillesmeracontenttout.Jenesaispas
si je dois être vraiment impressionnéeoubienblesséedenepas avoir reçumonpetitmessagedeciragedepompes.Jesuisco-capitaine,aprèstout.T’enasrienàfoutredemagueule,ouquoi?–Quoi?fis-jeenreculantd’unpas.Non.Enfin,si.Jeveuxdire…Jenesavaispascommentréagir.Jenecomprenaisrienàcequisepassait.Moncœurbattaitcomme
unpoingcontremescôtes,etlesboutsdemesdoigtsmepicotaient.–Situvoyaistatronche!s’esclaffaalorsAmber.Tucommencesàflipperàmortlà,non?Jevoulusprotester,maismagorgeétaitsiserréequelesmotsnevoulurentpassortir.–Regarde-la,Pay!poursuivitAmberenmefaisantpivoterpourmemettrefaceàPayton.Elleest
graveentraindeflipper,non?Jemelibérai.–Arrête!Jenesuispasdutoutentraindeflipper.Ambercroisalesbrasavecunsouriresuffisant.–Çasevoit…Je serrai lesdoigts sur lesbretellesdemon sac àdospourqu’ellenevoiepas àquelpointmes
mainstremblaient.–Écoute,dis-jeenfin,jenesaispasquiaallumélamèchedetontamponcematin,maisilfautque
tutecalmes.Sonsourires’évanouitetsonregarddevintglacial.–Sinonquoi?TuenvoiesdesvilainsSMSàmonsujet?–Jeneferaisjamaisça.Noussommesamies.–Oui, bien sûr.C’est pour çaque je te faismarcherdepuis tout à l’heure, répliquaAmber, dont
l’expressionglacialelaissadenouveauplaceàunsourire.J’auraisbienvoululacroire,maisilyavaitentrenousunetensionquejenem’expliquaispas.Peut-êtrequejememontaislatête.Peut-êtrequejelisaisdanssonregarddeschosesquin’yétaient
pas.L’anxiétéavaittendanceàproduireceteffet:jedéformaislafaçondontlesgensmepercevaientetvoyaistoutennoir.Dumoins,c’étaitcequemonpsym’avaittoujoursdit.Amberm’attrapaparlebrasetm’entraînaverslaportedenotresalledecours.Paytonnoussuivit
enmâchouillantsalèvreinférieure.Elleavaitl’airaumoinsaussinerveusequemoi.–Net’inquiètepas,murmuraAmberàmonoreille.
Jenevaispasledireàtoutlemondepourtestextos.Jet’enaiseulementparléparcequejepensequetudevraisfaireattention.Jesuistonamie,jem’inquiètepourtoi.Elles’arrêtadevantlaporte,etjemetournaiverselle.–Pourquoijedevraisfaireattention?–Chérie,soupira-t-elleenmetapotantlebras.Ilnefautpasquelesgensdécouvrentquelapetite
missparfaiteestenfaitunegrossesalope.Tuaspenséàcequiarriveraitàtaréputation?Sansmelaisserletempsderépondre,elleattrapaPaytonparlepoignetetl’entraînadanslasallede
classeenmelaissantseuledanslecouloir.Tuaspenséàcequiarriverait?
CHAPITRE3
Lelendemainmatin,jerestaiplusieursminutesassisedansmavoituresurleparkingdulycée,les
doigtsserréssurmonmacchiatoaucaramel.Mamanavaitpeut-êtrebalancétoutcequicontenaitdelacaféine à lamaison,mais elle ne pouvait pasm’empêcher de faire un crochet auStarbucks sur lechemindu lycée.Biensûr, lacaféinenem’aidaitpasvraimentàendiguermesattaquesdepanique,maisj’étaisincapabledefonctionnersans.Surtoutaprèsunenuitpeupléedecauchemars.Vers trois heures du matin, j’avais décidé de ne pas m’attaquer à Christy. Je n’arrêtais pas de
repenseràcequejeressentiraissiquelqu’unentendaitparlerdemes«problèmesdestress»,commedisait ma mère. Si je révélais le secret de Christy, même si je ne parvenais qu’à lui attirer lacompassiondelamoitiédulycée,toutlemondeseraitaucourant.Jenepouvaispasluifaireça.Plusj’yréfléchissais,plusjemerésolvaisàtrouverunautremoyend’entrerdansl’équipe.Autour demoi, dans le parking, des élèves sortaient de leurs voitures pour pénétrer au compte-
gouttes dans la bâtisse.Certains se hâtaient vers l’entrée, le sourire aux lèvres, tandis qued’autrestraînaient les pieds, l’air de vouloir être ailleurs. N’importe où plutôt qu’ici. Mais ce que nousdésirionsn’avait aucune importance :nousétions tousobligésd’entrer, commedes insectesattirésparlalueurmortelled’uneflamme.–Aujourd’hui,toutvabiensepasser.Ceseraunebonnejournée,déclarai-jeàvoixhaute,comme
s’ilmesuffisaitdeprononcerlesmotspourlesfairedevenirréalité.Rapidement, je vérifiai monmaquillage dans le miroir du pare-soleil. Je m’étais couchée avant
minuit, mais je n’avais dormi que quatre heures au total. J’avais beau être exténuée, le sommeilperdait toujours face à l’angoisse quim’étreignait encore des heures après avoir posé la tête surl’oreiller.J’essuyaiunpâtédemascaraetobservaiun instantmesyeuxdans lemiroir.Mes irisbleu lagon
étaientunecopiecarbonedeceuxdemamère,etdanscemiroir troppetitpourrefléter lerestedemonvisage,c’étaitpresquecommesicettedernièresetrouvaitavecmoidanslavoiture,àmefixerd’unairaccusateur.Magorgeseserra.Jemehâtaiderabattrelepare-soleiletremismeslunettesnoires.Jen’avaispas
besoindemamèredansmatêteàcetinstant.Mon café à lamain, je sortis de la voiture et affichai surmon visage un grand sourire factice.
Chaque jour sans exception, rien qu’à la vue des doubles portes vitrées du lycée, ma pressionartérielleaugmentait.Etdèsl’instantoùj’entrais,jepressaisuninterrupteurinternepourmechangerenuneversiondemoi-mêmequin’existaitpasréellement.Souvent,j’avaiscefantasmelibérateuroù,ledernierjourdemonannéedeterminale,jeparcourais
lescouloirs,lesdeuxmajeurslevésbienhaut,encriant«Jevousemmerde,jesuisReganFlay».Bon,d’accord,jamaisjeneleréaliserais,c’étaitbienpourcelaquec’étaitunfantasme.Maisl’idée
mefaisaittoujourssourire.Je commençai à grimper les marches de béton du lycée. Comme toujours, les yeux de tous les
élèvesqui traînaientdevant lesportesse tournèrentversmoi.Leverderideau,Regan.Jem’assuraiquemon sourire n’avait pas vacillé et poursuivis vaillammentma progression. Jem’attendais auxhabituelles salutations, mais pour la première fois depuis le début de ma première année, je fusaccueillieparunsilence.Bizarre.Jem’arrêtai en haut desmarches et regardai aux alentours.Une élève de secondememontra du
doigtetéclataderireaveclafillequil’accompagnait.Unmecdeterminale,assiscontrelahampedudrapeau,eutunpetitsourirequiétaittoutsaufamical.Unesueurfroidemeparcourutl’échine.Monsouriresefigea.Quelquechosenetournaitpasrond.
J’étaishabituéeàcequetoutlemondemeregardedanslescouloirs,maiscettefoisc’étaitdifférent.Onauraitditquej’étaisledindond’unefarcequepersonnenevoulaitmeraconter.Jerestai là,clouéesurplace,moncaféserrécontremapoitrinecommesisafaiblechaleurallait
suffireàapaiserlesfrissonsquiparcouraientmoncorps.C’estquoicebordel?Lorsquejepassailesdoublesportes,touteslestêtessetournèrentversmoi.Desdoigtssepointèrent
etdesbouchesse tordirentendessouriresmoqueurs.Ungroupede fillessemitàchuchoterentreelles,cachéesderrièreleursmains.Ellesfaisaientminedevouloirresterdiscrètes,maisàd’autres…Murmurer derrière ses mains ne servait qu’à attirer l’attention sur le fait qu’onmurmurait. Ellesétaientparfaitementconscientesquejevoyaisqu’ellesparlaientdemoi,maisellesn’enavaientjusterienàfoutre.Jelesavaisparcequejelefaisaistoutletemps.Monsoufflesebloquadansmespoumons.Jeseraisbienrepartieencourantàmavoiture,maismes
jambesétaientcommeparalysées.Jenesavaispascequ’ilsepassait,maisjenepouvaispasyfairefacetouteseule.Desyeux,jeparcouruslehallàlarecherchedePayton,maisellen’étaitnullepart.La plupart des élèves passaient sans me prêter attention, mais un petit groupe commençait à se
rassemblernonloindemoi.Leursmurmuresétoufféssemêlaientenunsourdbourdonnement.Lesquelquesgorgéesdecaféquej’avaisbuesencheminsemirentàs’agiterdangereusementdansmonestomac.Jedevaisréagir.Jenepouvaispasresterdeboutdanslehalltoutelajournée.Etsurtout,jenepouvaispasmepermettredevomir ici,devant tout lemonde,avec tous leursportablesprêtsàmefilmeretàtoutbalancersurInternet.Jefisunpasenavant.Puisunautre.Etencoreunautre.
Je continuai jusqu’à ce que, parmiracle, je parvienne àmarcher presque normalement, comme sichaquepasnemedemandaitpasuneffortsurhumain.Lescouloirsétaientbondés,et tout lemondemeregardaitpasser.Jecommençaiàmedemanders’ilyavaiteuuneannonceauxinfosausujetdemamère.Oui.Çadevaitêtreça.Mamèretellementparfaiteavaitréussiàs’empêtrerdansuneaffairepasnette.Le petit groupe qui s’était rassemblé dans le hall se fraya un chemin derrière moi. Ils me
rattrapaient peu à peu jusqu’à me donner l’impression qu’ils allaient s’effondrer sur moi pourm’enterrervivante.Arrête tondélire,Regan!Jeprisunegrandeinspiration.Quelquesoit lescandalepolitiquedans
lequelmamèreavaittrempé,çafiniraitbienparsetasser.Unpeuplus loindans lecouloir, j’aperçusNolan, tellementgrandqu’il semblaitdépasser tout le
monded’unebonnetête.C’étaitbienladernièrepersonnedanstoutlelycéeversquij’auraisvoulumetournerpourtrouverunpeuderéconfort,maisilétait lachoselaplusprochedePaytonquejepouvais trouver à cet instant. Jeme surpris à dériver dans sa direction. Puis je repérai son foutuportablequ’iltenait,commetoujours,danssamainlevéepourfilmermaprogressiondanslecouloir.
Ohnon,pasça!Jen’avaispaslamoindreidéedecequisepassait,maisunechoseétaitsûre:jen’avaispasbesoinquequelqu’unfilmelemoindredemesgestespourlesrevoirlejourmêmeauxinfosdecinqheures. Instantanément, lacolèreprit ledessussurmapanique. Jem’avançaivers luid’unpasfurieuxjusqu’àmeretrouverbloquéederrièredeuxfillesquimetournaientledos,plantéesaumilieudupassage.Jepoussaiunsoupirexcédéetpivotaid’unquartdetourpourmeglisserentreelles.JeparvinsàpasseretatteignaisenfinNolanlorsquel’uned’elless’écriaderrièremoi:–Regardez,voilàlasalope.Sesmotsmefrappèrentcommeuncoupdepoingenpleinventre.Jem’arrêtainet.J’avaisdûmal
entendre.Personnenem’avaitjamaistraitéedesalope.Enfin,personneàpartAmber,etjamaisavecce tonméprisantquimedisaitclairement«vacrever, tugâchesmonoxygène».Jenecomprenaispas.J’avaispassémavieàfaireamieavecunmaximumdegens.Toutlemondem’adoraitouvoulaitêtremoi.Lentement,jemeretournai.ChristyetsameilleureamieSarahsetenaientlà,àmefusillerduregard
commesij’étaislatraînéedeservicequiavaitcouchéavecleursmecs.Malgrélapanique,jeparvinsàempêchermesmainsdetrembler.J’enposaiunesurmahanche,toutentenantmoncafédel’autre,etregardaiChristydroitdanslesyeux.Sonregardétaitglacial.J’avaispourtantétéadorableavecellehier.–Pardon?Ellelevalementonetécartalescheveuxquiluiretombaientsurlesyeux.–Tum’asbienentendue,salope.Autourdenous,j’entendisdeshoquetsdesurprise.Lafoulequinousentouraitsefitpluscompacte.
Lesgenssebousculaientpouravoirunemeilleurevue.L’électricitéquichargeait l’atmosphèremepicotaitlapeau.S’ilsvoulaientduspectacle,qu’ilsnecomptentpassurmoi!ReganFlayn’étaitpasunchiendecirquequ’onfaisaitparaderdansunearène.Cependant, jen’étaispasprêteà laisserChristys’ensortirsi facilement.Pour lemoment, j’allais
mecontenterdelaremettreàsaplaceverbalement,maisplustard,j’allaislafairepayerpourdebon.Tantpispourmarésolutiond’êtregentilleetdegardersonsecret.J’allais ladétruireenrépandantdesrumeurssursestroublesdel’alimentation.J’allaisraconterqu’elleavaitfailliruinersesparentseninsistantpourpasserl’étédansunecliniquedeluxeàMalibu.C’étaitencoreuneautreleçonquema mère m’avait enseignée : l’origine d’une rumeur était presque impossible à tracer. Et quandl’impunitéétaitassurée,ilétaittoutdesuitebeaucoupplusfaciled’arrangerlaréalitéàsasauce.Jem’efforçaidoncdeprendreunevoixcalmeetposéeetrépliquai:–Crois-moi,tun’aspasenviedet’embarquerlà-dedans.–Ahnon,tucrois?Elle fitunpasversmoiet,mêmesi j’essayaisdene rien laisserparaître,moncœurmeremonta
danslagorge.Àcettedistance,ellepouvaitmetoucher,etmêmemefrappersiellevoulait.Rienqu’àcette idée,ma bouche se dessécha d’un coup. Je jetai un coup d’œil en arrière, à la recherche dePaytonetAmber.Oùétaient-ellespassées?Jeparcouruslafouleduregard,maisnil’unenil’autren’étaitlà.Nolan,enrevanche,n’avaitpasbougé.Ilmefilmaittoujoursavecsonfoututéléphone,ungrandsourireauxlèvres.Aumoins,encasdeprocès,j’auraisdespreuves.–Tout lemonde a le droit de savoir qui tu esvraiment,ReganFlay, poursuivitChristy.Tupues
tellement l’hypocrisie que je n’arrive même pas à croire que je n’ai jamais rien vu. Au moins,maintenant,toutel’écoleestaucourant.Jemecreusailatêtepourcomprendrecequej’avaispudireàChristydetellementhypocrite.Elle
n’étaitpeut-êtrepaslemeilleurcapitainequel’équipeaitjamaiseu,maislecoupdusacàmainétaittotalementvrai.–Dequoituparles?Ellesepenchaversmoi,etjedusfaireappelàtoutesmesforcespournepasreculer.–Tuasfaitcroireàtoutel’écolequetuétaisMissparfaite.Maisenfait,tueslapiresortedegarce
quisoit–unesalegarcehypocrite.Amber. J’avais besoin d’Amber. Elle saurait exactement quoi répondre. Une fois encore, je
parcourus la foule des yeux. Mais dès l’instant où je quittai Christy du regard, elle frappa mongobeletdecafé,quim’échappadesmains.Iltombaparterreetlecouverclesedétacha.Jetitubaienarrière, sans réussiràéchapperauxéclaboussuresbrûlantesquivinrentmaculermeschaussuresetmescollants.Lafouleréagitparunmélangede«ooooh»etdehoquetsstupéfaits.Jevoulaisrépliquerparune
attaque,maisj’étaispétrifiée.J’étaisvaguementconscientedemabouchegrandeouverteetdel’airstupide que je devais avoir, mais malgré toutes les impulsions électriques qui parcouraient moncerveau,jen’arrivaisplusàsortirunseulmot.– Je retire ce que j’ai dit, reprit-elle. Il y a une pire garce que toi, et je crois que tu viens de la
rencontrer.Voyantquejenerépondaispas,ellesouritetconclut:–Lekarma.Unsourireméprisantauxlèvres,ellecommençaàs’éloigner,Sarahsursestalons.Plusieursfilles
quimedisaientbonjourd’habitudelevèrentlenezetlasuivirent.Lesautresélèvesrassemblésautourdenouss’écartèrentpourlalaisserpasser.Plusieursluitapèrentdanslamain.Àlasecondeoùelledisparut, lebourdonnementdesmurmuresexplosaautourdemoi,meremplissant la têtecommelebruitd’uneruche.Cen’étaitpaspossible.Jedevaisêtrecoincéedansuncauchemarnédemespropresangoisses.Je
serrailespoingsetenfonçaimesonglesdanslespaumesdemesmainsjusqu’àcequeladouleurmefassemonterleslarmesauxyeux.Non.Cen’étaitpasunrêve.Jedesserrailesmainsmais,mêmesiladouleurs’atténuaitpeuàpeu,çanechangearienauxbattementseffrénésdemoncœurniaunœudquimecomprimaitlapoitrine.Jecherchaiunebrèchedans la foule,ouaumoinsunequelconqueéchappatoire. Iln’yavait rien.
J’étais encerclée. Prise au piège. Je passaimes doigts dansmes cheveux.Que feraitmaman àmaplace?J’avaisdéjàvusesadversairess’acharnersurellelorsdedébatstélévisés,etpasunefoisellen’avaitperdusonflegme.Respireprofondément,Regan.Jerepoussaimesépaulesenarrièreetprisunegrandeinspiration.Aprèsquelquessecondes,jemesentis…toujoursaussipaniquée.Si maman avait été là, elle aurait probablement souri pour déstabiliser tout le monde. Elle leur
aurait fait croire qu’elle savait quelque chose qu’ils ignoraient – qu’en agissant ainsi, c’était eux-mêmes qu’ils tournaient en ridicule.Malheureusement pourmoi, j’étais loin d’avoir hérité de soninébranlableassurance.Laseulechosequej’avaisenviedefaire,c’étaitderentreràlamaisonetdem’enfouir sousmescouvertures jusqu’àmesdix-huit ans,quand jepourraisenfinquittercetenferpourdebon.Maisd’abord,jedevaiscomprendrecequis’étaitpassé.Magorgeseserra.J’avaislesoufflecourt.Jemerendiscomptequejenepouvaispasresterlàplus
longtemps,sansquoil’écoletoutentièreallaitmevoirsuffoqueravantdetomberraidemortedansuneflaquedemacchiato.Lesmots«respire,Regan,respire»tournaientenboucledansmatête,maisilsnevoulaientplus riendire. Jenepouvaispas respirer.Et soudain, l’attitudecalmeetdétachéeà
laquellej’essayaissidésespérémentdemeraccrocherm’échappa.Jefisvolte-faceetfusillaiduregardlapremièrefillequisetrouvafaceàmoi.–Bouge-toidelà!m’écriai-je.Je m’attendais presque à ce qu’elle s’avance pour me provoquer comme Christy, mais je m’en
foutais complètement.À cet instant, j’étais prête à risquer unebagarre rienquepour avoir unpeud’air.Àmagrandesurprise,ellerecula,ainsiqueplusieursfillesàcôtéd’elle.Unchemins’ouvritdansla
massedesspectateurs.Jel’empruntai.Aupassage,lesmots«garce»,«salope»etpireencoremepiquèrent auvisage. Jen’avais aucune idéedequi les avait prononcés, car le soufflememanquaittellementquemavisionétaitempliedepetitspointscolorés.Malgré tout, je restais résolue à nepas leurmontrer à quel point j’étais terrifiée. Jeme réfugiai
derrière une apparente indifférence, mais à chaque pas que je faisais au milieu de la foule, unenouvellefissureseformaitdansmonmasque.Les murmures continuaient à me traquer, même une fois que je fus enfin parvenue à sortir de
l’arènequis’étaitforméeautourdemoi.Legroupedespectateursm’emboîtalepasdanslecouloiretmesuivitdans lacour.Partoutoù j’allais,d’autresélèvesm’observaient,échangeaientdessourirescomplicesetriaientouvertementsurmonpassage.Lestachesdecafésurmesjambesétaientdevenuescollantesetmetiraientlapeau,maisjesavais
que je ne devais pas m’arrêter pour nettoyer. J’étais un plongeur blessé au milieu d’une mer derequins.Si j’arrêtaisdemedéplacer, ilsne feraientqu’unebouchéedemoi. Jenepourraispasmereposeravantd’avoirtrouvéPaytonetAmber.Ellesdevaientsavoircequisepassait,ellespourraientmedirecommentréagir.Maisoùétaient-ellespassées?Jesortismonportabledemapocheetenvoyaiuntextoàmesdeuxamies:
Vousêtesoù,lesfilles?
Quelqu’uncognadansmonépaule.Jeneprismêmepaslapeinedeleverlesyeuxpoursavoirsic’étaitvolontaireetcontinuaiàmarchersansdétacherleregarddemonécran,priantpourquemesamiesmerépondentauplusvite.Jenepouvaisplusresterseule.Lessecondessechangèrentenminutes,maismonportablerestaitmuet.Àcontrecœur,jeleremisenpocheetmedirigeaiversmoncasier.Àquelquesmètres,jem’arrêtai
net:destasdefeuillesdepapierétaientscotchéessurlaporte.Était-ceunelisted’injures?Jen’étaisdéfinitivementpasd’humeurpourdenouvellessurprises.Jeparcouruslecouloirdesyeuxpourvoirsiceuxquiavaientfaitçatraînaientdanslesparages,maisavectouscesregardsfixéssurmoi,c’étaitimpossibleàdire.Cequejeremarquai,enrevanche,c’étaitquemoncasiern’étaitpasleseulàêtreainsienvahi.Plusieursautresétaient recouvertsdesmêmespages.Etdans lecouloir toutautourdemoi,lesgensleslisaient.Lapetiteélèvede troisièmequioccupait lecasiervoisindumien leva lesyeuxetsursautaenme
voyantapprocher.Ellesehâtadeclaquerlaportedesoncasieretdétala,sonsacàdosencoreouvert,seslivresserrésentresesbras.Jusqu’àcejour,ellem’avaittoujourssourienmecroisant.Jefisglissermonsacàdosdemesépaulesetlelaissaitomberparterre.Ilfallaitquejemedépêche
de récupérer mes livres pour avoir le temps de passer aux toilettes avant le premier cours afind’enlever les taches de café qui maculaient mes collants. Même si à cet instant, je n’avais pas lamoindreenviedemerendreoùquecesoitsansmesamies.Oùétaient-ellespassées?Jenemesouvenaispasd’uneseulefoisdepuismonarrivéeaulycéeoù
j’avaiseuletempsd’atteindremoncasieravantquePaytonouAmbermerejoignepourbavarder.La
seuleexception,c’étaitquandellesétaientmalades.Maisquellesétaient leschancespourquetoutesdeuxsoienttombéesmaladeslemêmejour?Detoutmanière,lamaladien’étaitpasuneexcusevalablepournepasrépondreàmestextos.Ellesontintérêtàêtreentraindevomirleurstripes…J’arrachailespagescolléssurmoncasier,espérantqu’ilnes’agissequed’unavisannonçantune
fouilleanti-drogue.Jecommençais à chiffonner lespapiers sansmême les regarderquandunnomengras attiramonattention.Lemien.Unrubandepaniqueseserraentremescôtes.Prudemment,jelissailapageetlusletitre:
VOILÀCEQUEREGANFLAYPENSEDEVOUS
Endessouss’étalaientdescentainesdecapturesd’écrandemesmessagesprivésetSMS.Touslesprénomsavaientétéfloutés,sibienquej’étaislaseuleincriminée.Trèsvite,jelespassaienrevue:certains remontaient à plusieurs mois, jusqu’à l’échange que j’avais eu la veille avec Christy etl’équipedepom-pom-girls.Tout enhautde lapageétaient affichés les textosquePaytonetmoi avionséchangésau sujetde
Christy, avec mon projet de me servir de son séjour en clinique pour m’assurer une place dansl’équipe.Mesgenoux faillirentme lâcher. Jem’appuyai surmoncasieravantquemes jambes sedérobent
sousmoi.Pas étonnant que Christy soit aussi en pétard. Mes doigts se crispèrent, froissant les bords de lafeuille.J’avaisenviedeladéchireraveclesdents,lajeterparterreetpiétinerlesrestes.Maisc’étaitcommesilepapieravaitfusionnéavecmesmains.J’avaisbeaulevouloir,jenepouvaispaslelâcher.Jenepouvaismêmepasendétournerlesyeux.Laquasi-totalitédecequej’avaisditsurtoutlemondeétaitlà,depuislesaccusationsdetromperiesquin’avaientjamaiseulieujusqu’auxinjuresetauciragedepompes.Bien sûr, les réponses de mes amies étaient tout aussi vaches, mais comme leurs noms étaient
floutés,j’étaislaseuleàpouvoirenêtretenuepourresponsable.Mesmainstremblaientsiviolemmentquelesmotssemblaientsemélangersurlespages.Jeparvins
enfin à les lâcher et tentai de réfléchir à la situation. Comment était-ce arrivé ? Il s’agissait demessagesprivésentremoi,Payton,Amberetquelquesautrescopines.Avais-jeétépiratée?Ou,pireencore,lesmessagesavaient-ilsétédivulguésvolontairement?Etdanscecas,pourquoi?Ilyavaitaumoinsdeuxdouzainesdegensquejedénigraissurcespages–etmaintenant,toutel’écoleétaitaucourant.Qu’est-cequej’allaisbienpouvoirfaire?Entempsnormal,jemeseraiscontentéedetoutnierenbloc,maislehackeravaiteffectuédescapturesd’écran.Lapreuveétaitirréfutable.Jevoulusprendreunegrandeinspirationmaisneparvinsqu’àaspirerunpetitfiletd’air.Jejetaiun
regardfurtifalentour:aumoinsvingtpersonnesrôdaientautourdemoietmeregardaientpaniquer.Un groupe de fillesmunies d’étuis à instruments demusique passa devantmoi enme fusillant duregard.Unemembredel’équipedebase-ballmejetauneboulettedepapierquimefrappalapoitrine
avantderebondirparterre.Sesamiess’esclaffèrentbruyamment.J’auraisvoulu leurcrierdessus, leur faireundoigtd’honneur,quelquechose.Maismesmuscles
restaienttétanisés.Destachesnoiresobstruaientàprésentlapériphériedemonchampdevision.Jen’arrivaisplusà
faire entrer assez d’oxygène dans mes poumons compressés. Si je ne faisais rien, j’allais perdreconnaissance. Je devais prendre un cachet, et vite, mais je ne pouvais pas faire ça devant tout lemonde. Il n’y avait qu’un endroit où je pouvais aller. Jem’écartai demon casier,manquai perdrel’équilibreetmerattrapaiauderniermoment.À cet instant, la cloche sonna dans le haut-parleur avec un bruit de robot et les élèves qui
m’observaients’éloignèrentàcontrecœurversleurssallesdeclasserespectives.Ilsn’étaientpasprèsd’abandonnersifacilementleurnouvellepetitedistraction.Franchement,yavait-ilmeilleurspectaclequedevoirReganFlaytomberraidemorteaubeaumilieuducouloir?Jeserraimamainsurmapoitrineetglissaimesdoigtssousmonchemisier,commepourperforer
mesproprespoumonsetainsiforcerl’airàyentrer.Alors,entitubant,jemetraînaiversl’infirmerie.Le couloir tournait autour demoi, réduit à un tourbillon de teintes grises :murs gris, carrelage
gris,casiersgris.Etplusj’avançais,plustouts’assombrissait.J’avaisl’impressiondem’enfoncerdansuntombeauprêtàserefermersurmoiàchaqueinstant.–Qu’est-cequ’ellea?demandaunevoixderrièremoi.–Quelqu’unenaquelquechoseàfoutre?répliquauneautre.C’étaitlaquestionàunmillion.Jevaisprendre«QuienaquelquechoseàfoutredeReganFlay?»,
pourunmillion.Jediraisquelaréponseest«Personne».Jetrébuchaisdanslecouloir,abandonnéede tous. Amber et Payton n’avaient pas pris la peine de se montrer ni même de répondre à mesmessages.Venantd’Amber,çanem’étonnaitpas.MaisPayton…Mamameilleureamie.Dumoins,c’étaitcequej’avaiscru.Unefoisencore, jemedemandaicommentquelqu’unavaitpuavoiraccèsànosmessagesprivés.
L’unedenousavaitpeut-êtreparmégardequitté la salle informatiquesans sedéconnecter,mais jeconnaissaisbienAmberetPayton :noussavions toutes les troiscouvrirnosarrières.L’uned’ellesavait-elleoubliésontéléphonequelquepart?Ladeuxièmeclochesonnajusteaumomentoùj’atteignaisl’infirmerie.Lapoitrinesecouéed’une
respirationhachée,j’ouvrislaporte.MadameFullerposasonSudokuetmeregardaavecdesyeuxronds.–Qu’est-ceque…Elleseleva.Seslunettesglissèrentdesonnezetrestèrentsuspenduesàlachaîneautourdesoncou.–Pasdéjà,Regan?Lescoursn’ontmêmepascommencé.Lamaintoujoursglisséedansmonchemisier,jehaussailesépaulesd’unairdésespéré.–D’accord.Calmez-vous.Ellefitletourdesonbureauenboitillantjusqu’àmoi.Elleposaunbrassurmesépaulespourme
guider vers la table d’examen, une antiquité couleur vert dégueulis couverte de scotch. MadameFuller,quiétaitaumoinsaussivieillequelatable,remitalorsseslunettesetm’observaenplissantlesyeuxàtraverslesverresépais.–Asseyez-vous,ordonna-t-elle.La table émit un grincement de protestation lorsque je m’y laissai tomber. Des rides
désapprobatricescreusèrentlefrontdel’infirmière.
–Détendez-vous,Regan.Vousnerespirezpas.Je lui jetai un regardnoir. Jedétestaisquand lesgensmedisaientdemedétendre.Cen’était pas
commesijepouvaislecontrôler,commesijem’étaisréveilléecematin-làenmedisant:Hey,tusaiscequipourraitêtremarrant?Mourirparsuffocation.–Nebougezpas.Elletraversalapiècepours’arrêterdevantunpetitévieragrémentéd’unearmoireàpharmacieet
d’undistributeurdegelantibactérien.Elleouvritl’armoireetensortitunpetitsacenpapiermarron.–Tenez,dit-elleenrevenantversmoi.Voussavezcommentfaire.J’attrapai le sac avec peine, les mains tremblantes. Madame Fuller me prit par le coude pour
m’obligeràposerlesacsurmonvisage.–Oninspire,onexpire.Oninspire,onexpire.Leslèvresserrées,jeprisuneinspirationtremblante.
Lesachets’aplatitbruyamment.Lorsqu’iln’yeutplusd’airàinspirer,jesoufflaietlesacseregonfla.Jerépétaileprocessusencoreetencore,jusqu’àcequemapoitrinenemefasseplussouffriretquelapièceredeviennenetteautourdemoi.L’infirmièrem’observait,lamâchoireserrée,lesbrascroiséssursablouserose.–Çavaaller?Sûrementpas.Jehochaimalgrétoutlatête,parcequejenevoulaispasqu’elledemandeàmonpère
devenirmechercher.Cedernierappelleraitaussitôtmamère,quiprendrait lepremieravionpourrentrerdeWashingtonetviendraitm’enfoncerencoreunpeuplus.Le froncementde sourcil de l’infirmière s’accentua, commesi ellepouvait lire lemensonge sur
monvisage.– Très bien. Allongez-vous et concentrez-vous sur des images relaxantes pendant que je vais
chercherundevoscachets.D’accord?Sanscesserderespirerdanslesac,jehochailatête.
Lescraquementsdupapiercouvraientpresquelesbattementsdemoncœur.Elles’emparad’uncoussinquisemblaitremplidecartonetleglissasousmatête.–Tenezbon.Jereviens.À une vitesse surnaturelle pour une femme de plus de soixante-dix ans aux rotules fragiles, elle
pivotasursestalonsetdisparutdansleplacardoùelleconservaitlesmédicamentsdesélèves.Uneminuteplustard,ellerevintavecuncachetdansunemainetungobeletencartonremplid’eau
dansl’autre.Moncorpsmitunequinzainedeminutesàsedégonflersurlatablecommeunebaudruchecrevée.
Je fermai les yeux. On inspire, on expire. J’aurais voulu pouvoir chasser cette matinée de monexistenceaussi facilementque l’airdemespoumons.On inspire,onexpire.On inspire,onexpire.Plus je m’enfonçais dans le coussin dur, plus l’énergie fuyait mon corps. Peut-être était-ce lecontrecoupdemacrisedepaniqueoudemanuit blanche entrecoupéede cauchemars,mais jemesentais partir.On inspire, on expire. Je ne combattais pas le sommeil.En fait, je l’accueillais avecjoie. Je souhaitais seulement que quel que soit l’endroit où m’entraînait l’obscurité, personne nepourraitm’ytrouverpourmerameneràlaréalité.Malheureusement, je savais que je ne pourrais pas me cacher pour toujours. À peine cinq
centimètres de bois et un panneau de verre me séparaient du reste dumonde et de tous ceux quiattendaientmachute.Etj’allaisdevoirlesaffronter.
CHAPITRE4
–Regan,ilestl’heuredeseréveiller.Unemainseposasurmonépauleetmesecouadoucement.–Soitvousretournezenclasse,soitj’appellevotrepèrepourqu’ilviennevouschercher.–Non,murmurai-jeenfermantlesyeuxtrèsfort.Les deux propositions me révulsaient. Je voulais rester dans l’obscurité protectrice de mon
inconscient.Maisendépitdetousmeseffortspourmeraccrocherausommeil,lamaindeMadameFullersurmonépaulemeréveillaitpeuàpeu.Jeclignaidesyeuxjusqu’àcequel’affichedepréventioncontrelepapillomavirusaccrochéeenfacedemoiredeviennenettedansmonchampdevision.L’infirmièrepoussaunsoupir.–Jenepeuxpasgarderlesélèvesicitoutelajournée,dit-elleenmeprenantdoucementparlebras
pourmemettreenpositionassise.Sivousnevoulezpasallerenclasse,jevaisdevoirappelervotrepère.Est-ceque…–Non!J’écartaibrutalementlebras,commeréveilléeensursaut.Mescollantssentaientlemacchiatomais,
étrangement,c’étaitbienledernierdemessoucis.L’infirmièrefronçalessourcilsetfitunpasenarrière.–Jesuisdésolée,murmurai-jeavecunfaiblesourire.Monpèreestsûrementaubloc,etmamère
estàWashington.Onnevaquandmêmepaslesembêterpoursipeu?Ellebaissalementonpourmeregarderpar-dessusseslunettes.–Voussaveztoutdemêmequejedoisleurenvoyerunmailausujetdevotrevisite?Jehochailatêteetmeglissaiauborddelatable.–Jesais.Lemailallaitlesinquiéter,maissûrementpasautantqu’uncoupdefildel’écoleleurdemandantde
venirmechercherparcequej’avaiseuunegrossecrisedepanique.Uncoupcommeça,etjeseraiscondamnée à passer les trois prochains mois dans le cabinet du psy. Et je ne voulais même pasimaginerletondemamèrequandellemeferaitremarqueràquelpointj’étaispathétique.Jemelaissaiglisserausol.Aussitôt,l’infirmièreseprécipitaàmescôtésettenditlamainpourme
rattraperaucasoùjechuterais–unmouvementsacrémenttémérairesachantqu’ellepesaitenvironquarante-cinqkilosetquejeluiauraisprobablementbrisélahancheentroismorceauxsijeluiétaistombéedessus.Jetitubai,maisparvinsàgarderl’équilibre.–Doucement,medit-elle.C’estlapirecrisequevousayezeuedepuislongtemps.Sansblague.J’avaislatêterempliedecoton.Pasterriblequandonestcensésuivredescoursmais,
aumoins,jeseraisunpeumoinssensibleauxregardsdesautresélèves.–Tenez.
Ellemetenditunmorceaudepapier,quejerestaiàregarderd’unairidiotsansparveniràlirecequiétaitécritdessus.–C’estunbulletinderetard,expliqua-t-elle.Ladeuxièmeheuredecoursadéjàcommencé.Moncœurrataunbattement,maisgrâceaupouvoirengourdissantdumédicament, jeneressentis
qu’unpetitchatouillementdanslapoitrine.–J’aidormipendanttoutlepremiercours?Ellehochalatête.–J’auraisdûvousréveiller,maisvousaviezvraimentl’aird’enavoirbesoin.Ellerestasilencieuseunmomentpuisreprit:–C’est lapremière foisquevousavezbesoind’uncachet si tôtdans la journée,Regan.Quelque
chosenevapas?Vu la vitesse à laquelle les ragots circulaient au lycée, je ne doutais pas qu’une partie des
enseignants était déjà au courant de l’histoire. Peut-être même avaient-ils lu mes messages. MaiscommeMadameFullernequittaitpresquejamaissagrotte,j’étaisprêteàparierqu’ellenesavaitrien–encoreheureux,vuqu’elleavaitlesnumérosdemesdeuxparentsinscritssurunefichepunaiséeàsontableau.–J’aiuncontrôled’histoireaujourd’hui,mentis-je.C’estsûrementçaquim’aunpeustressée.Denouveau,ellefronçalessourcils.–Vousêtestoujourssuivieparunpsy?Jehochailatêteetbaissailesyeux.–Bien.N’oubliezpasdeluiparlerdecetincident.Jegardailesyeuxfixéssurmeschaussurespourmieuxdissimulermonirritation.Cen’étaitpasun
sujetquej’aimaisaborder.Apparemment satisfaite,Madame Fuller alla ouvrir la porte de l’infirmerie. À la simple vue du
couloir,magorgeseserra.Jenepouvaispasyretourneretlesaffronter.Nimaintenant ni jamais. Pendant une fractionde seconde, j’envisageai de demander à l’infirmièred’appelermonpèrepourquejepuisserentreràlamaison.Maisjesavaisqu’aufinal,çaneferaitquem’apporterencoreplusd’ennuis.MadameFullers’appuyacontrel’encadrementdelaporte,lefrontsoucieux.Jemedemandaisielle
pouvaitlirelapeursurmonvisage.Oupeut-êtrepossédait-elleunsixièmesensd’infirmière…– Vous savez, Regan, vous pouvez m’en parler s’il se passe quelque chose. J’ai été infirmière
pendantprèsdequaranteans,sansparlerdessixenfantsquej’aiélevés.Iln’yarienquevouspuissiezmedirequejen’aipasdéjàvuouentendu,conclut-elleavecunsourire.–Merci.Jetentaideluirendresonsourire,maislesmusclesdemonvisageétaientcommetétanisésetj’étais
àpeuprèssûrequemonexpressiontenaitplusdelagrimace.–Jem’ensouviendrai,ajoutai-je.Jefisunpasdanslecouloir,etellefermalaportederrièremoi.J’étaisseule.Les bras serrés surma poitrine, je pris en traînant les pieds le chemin dema salle de classe. Je
n’étaispaspressée.Si l’appeln’avaitpasété fait àchaquecours, j’auraisdéjàétéen routepour leparking.Le couloir, qui un peu plus tôtm’avait donné l’impression de vouloir se refermer surmoi,me
faisaitàprésentl’effetd’undécordefilmd’horreur:sombre,silencieuxetinterminable.Jem’approchai demon casier, qui était surmon chemin.Toutes les feuilles responsables dema
mortsocialeavaientdisparu.J’espéraisqu’ellesavaientétéarrachéesparlesélèvesetcachéesdansles casiers, surtout pas découvertes par un prof. Une convocation chez la proviseure était bien ladernièrechosequ’ilmefallaitencemoment.Ilyavaitunbonmillierd’élèvesinscritsàSainte-Mary,et je ne doutais pas que ceux qui n’avaient pas pu lire les conversations n’allaient pas tarder à enentendreparler.Çasignifiaitqu’unbonmillierd’élèvesmedétestaient.Enfin,unmilliermoinsmesdeuxmeilleuresamies.Maisaveclesheuresquipassaientetmontéléphonequirestaitsilencieux,jecommençaismêmeàdouterdeleurloyauté.JesortismonportableetécrivisunautremessageàPayton:
Hey,j’aivraimentbesoindeteparler.Fais-moisigne,OK?
Jecliquaisur«envoyer»etgardailesyeuxposéssurmontéléphone.Uneminutepassa.Puisuneautre.Toujoursrien.JemerassuraienmedisantquePaytonnerépondaitpasparcequ’elleétaitencoursetnevoulaitpass’attirerd’ennuis,maisjesavaispertinemmentquecegenredeconsidérationne nous avait jamais arrêtées. J’attendis encore uneminute, jusqu’à ce que ce soit clair qu’elle nevoulaitpasrépondre.Lagorgeserrée,jerangeaimontéléphone.Jenevoulaispaspleurer.Aulycée,verserdeslarmesrevenaitàversersonsang:touteblessure,sipetitefût-elle,étaitsignedefaiblesse.Etlelycéedétruisaitlesfaibles.Je devaisme reprendre et élaborer une stratégie.Rester sur la défensive n’était plus une option.
Non, il fallait que je réussisse à remettre peu à peu tout lemonde demon côté. Pour lemoment,pourtant, je savaisquec’était impossible. Il était trop tôt.Maisune foisque lesgensauraienteu letempsdesecalmer,jepourraiscommenceràmerefaireuneréputation.Biensûr,pourcela,j’allaisavoirbesoindemesamiesàmescôtés.Siseulementellesmerépondaient.Enallantversmoncasier,jeremarquaiquelquechosesurlaporte:unmotécritaumarqueurnoir.
Prisedenausée,jem’approchaienhâte.Plusj’approchais,plusjevoyaisnettementl’inscription.Ellemecriait,clairecommedel’eauderoche:«SALOPE».Malèvreinférieuresemitàtrembler.Jelamordis,refusantdeperdrelecontrôledemesémotions.
Jetentaid’essuyerlemotaveclapaumedelamain,maisleslettresnes’estompaientpas.Jefrottaiplusfort,jusqu’àcequemamainmebrûle.Leconnardquiavaitécritças’étaitservid’unmarqueurindélébile.Jecessaidefrotteretmelaissaitombercontrelecasier,lefrontcolléaumétalfrais.–Excusez-moi.Je sursautai et levai les yeux.Devantmoi se tenait un des gardiens de sécurité du lycée, quime
regardaitd’unairsuspicieux.–Toutvabien?Jehochailatête,tropchoquéepourrépondrepardesmots.Ilfronçalessourcils,clairementsceptique.–Pourquoin’êtes-vouspasenclasse?Jelevaimonbilletderetard.–Trèsbien,dit-il.Prenezvosaffairesetallezencours.Àcetinstant,sonregardseposaderrièremoi.Ilouvritdegrandsyeux,etjecomprisqu’ilavaitvu
legraffiti.Immédiatement,sonvisages’adoucit.–Jevaisappelerleconcierge.Çaseranettoyéd’icilafindelajournée.J’aurais dû lui dire que ce n’était pas la peine.Quemon casier serait de nouveau vandalisé à la
secondeoùilseraitnettoyé.Maisjemecontentaidemurmurerun«merci»àpeineaudibleetglissai
lebilletdanslapochedemonchemisier.Ilhochalatêteetsedétourna.Lorsqu’ileutdisparuaucoinducouloir,jemeretrouvaidenouveau
seule.J’ouvris mon casier et sortis les livres qu’il me fallait pour le deuxième cours. Le cachet que
m’avaitdonnél’infirmièreavaitpeut-êtreendiguémacrisedepanique,maisiln’avaitrienchangéàmon épuisement émotionnel. Jeme sentais engourdie, à l’intérieur comme à l’extérieur.Mais toutbienconsidéré,cen’étaitpasplusmal.Jeglissaimeslivresdansmonsacetlehissaisurmonépaule.Àlasecondeoùjefermailaportedu
casier,lemotinscritdel’autrecôtémebrûladenouveaularétine.Pourunefois,jeregrettaidenepasêtrecommemamère.Elleneseseraitpaslaisséatteindrepar
unechoseaussiinsignifiantequ’unsimplemotgribouilléaumarqueur.Enadmettantquequelqu’unosedégradersapropriété,ellelanceraitaussitôtuneenquêtepourquelecoupablesoitdémasqué,puislepoursuivraitenjusticepourdiffamation.Commesouvent,jemedemandaisijepouvaisvraimentêtrelaprogénitured’unepersonnequiétait
si clairement faite de pierre alors quemon ossature était aussi creuse que celle d’un oiseau.Maismalheureusementpourmoi,mêmeavecdesosd’oiseau,j’étaisincapabledem’envoler.Jeremontaimonsacàdosd’uncoupd’épauleetrepartisdanslecouloir.J’étaispresquearrivéeàla
portedemasalledecours, lamainlevéeverslapoignée,quandlepanneaud’affichagesurlemurattiramonattention.En dessous d’une affiche du Club des Nations unies et à côté d’une fiche d’inscription pour la
représentationdeGreasequel’écoledonnaitàl’automne,unefeuilleannonçaitlesrésultatsdesessaispourentrerdansl’équipedespom-pomgirls.Jeretinsmonsouffle.Fairepartiedel’équipeseraitlasolutionàtousmesproblèmes.Jeglissaimondoigtlelongdelapage,frissonnantd’appréhension.LenomdeChristyHolderétait
enhautdelaliste,accompagnédumotcapitaine.Puisvenaitlenomd’Amber,suivideco-capitaine.Endessoussetrouvaitlalistedetoutescellesquiavaientréussilesessais.Moncœurselogeaaufonddemagorgelorsquejepassaienrevuetouslesnomsjusqu’àarriverau
mien,oudumoinscequ’ilen restait.Monnométaitbarréà l’encrenoire,etunnouveauavaitétéinscritàsaplace:TaylorBradshaw.Mapoitrine se remplitdeglace. Je serrai lespaupières,puis les rouvris, espérantque les ratures
n’étaient qu’un jeu de lumière – que peut-être, si je clignais suffisamment des yeux, l’encredisparaîtrait.Mais ça n’arriva pas. Pasmême après avoir serrémes poings surmes yeux et frottéfurieusement.Mon nom avait été sur la liste. Christy m’avait choisie pour faire partie de l’équipe. Puis mes
messagesprivésavaientétéaffichéspartoutdanslescouloirs,etelleavaitchangéd’avis.Commentluienvouloir?Monestomacseretourna,etpourladeuxièmefoisdelajournée,jecrusquej’allaisvomir.Jefis
glissermonsacàdosdemonépauleetfouillaidanslapocheavantàlarecherchedemesantiacides.J’englissaideuxentremeslèvres,grimaçantaugoûtcrayeuxquim’emplitlabouche.Cequimefaisaitvraimentmal,c’étaitqu’Amber,quiétaitnonseulementco-capitainedel’équipe
maisaussimonamie,n’aitrienfaitpourl’empêcherdemeremplacerparTaylor–unefillequi,dèsqu’ellesautait,avaitl’airdefaireunecrised’épilepsieenpleinvol.–Alors,onalesboules?Jesursautai.Nolan.Ilsetenaitàl’autreboutducouloir,appuyécontreuncasier.Iltenaitsonportablelevéetme
regardait dans l’écran. Une bouffée de rage trouva son chemin à travers l’engourdissement quim’avait tantréconfortée.Depuiscombiendetempsmefilmait-il?Avantquejepuisseluiordonnerd’arrêter,ilglissasontéléphonedanssonsac.–Dequoi?demandai-je.Ilhaussalesépaules,s’écartadelarangéedecasiersetmarchaversmoi.Lorsqu’ils’arrêta,ilétait
siprochequejedusleverlatêtepourleregarder.Derrièrelamèchedecheveuxquiétaitretombéesur son visage, son regard noisette semblait étrangement triste. Je refusai de reculer, même si saproximitémerendaitnerveuse.Ilétaitparfaitementconscientdemonmalaise,sonsouriregoguenardenétaitlapreuve.Ilsepenchaversmoi.Sonvisagen’étaitplusqu’àquelquescentimètresdumien.Ilsentaitbon.Cette
penséem’irrita.Ilsentaitlesagrumesetlesaiguillesdepin.Uneodeurfraîche,pascommetouslesautres mecs du lycée avec leurs parfums trop forts. L’espace d’une seconde, je crus qu’il allaitm’embrasser. Je pris une vive inspiration. Son sourire s’élargit.Mais au lieu dem’embrasser, sabouchepassaàcôtédemeslèvresetsecollatoutcontremonoreille.–Bienvenuedel’autrecôtédumiroir,Flay.Tuvaspastenirunesemaine.Avantquejepuisserépliquer,ils’enallaàgrandesenjambées,melaissanttoutetremblantederrière
lui.Jevoulaisluicrierdessus,luidirequ’ilsetrompait,maisledoutequ’ilvenaitdesemerenmoime cloua les lèvres. Je ne savais même pas comment j’allais survivre à cette journée, alors unesemaineentière…
CHAPITRE5
Laclochesonna,annonçantlafindelatroisièmeheuredecours–littératurecontemporaine.Moncœurétaitcommesuspendudansmapoitrine,tenduaumilieud’unepoignéed’élastiques.En
classe,assiseprèsd’unefenêtre,aussiprochedelalibertéquepossible,je me sentais en sécurité. Malgré les murmures et les regards, personne ne pouvait m’insulter,m’acculerdansuncoinoucognerdansmonépauleenpassant.Danslecouloir,enrevanche,j’étaisvulnérable;jenageaisdansunemerdepiranhasquicherchaientàmedévorertoutentière.–MademoiselleFlay?JelevailesyeuxpourdécouvrirqueMadameLochte,maprofdelittérature,setenaitdevantmon
bureau,lesmainssurleshanches.–Oùétiez-vousaujourd’hui?Deux filles gloussèrent en sortant de la salle. Le seul autre élève encore présent étaitNolan, qui
rangeaitseslivresavecunelenteurdélibérée.Pourlapremièrefois,jeregrettaimadécisiond’avoirchoisiuncoursniveau terminale.Cen’étaitpas simalquandon secontentaitde s’ignorer,mais àprésent, ladernièrechosedont j’avaisenvie,c’étaitd’êtrecoincéeavec luidansunesalledecoursuneheureparjour.–MademoiselleFlay?répétaMadameLochte.Jemepassailalanguesurmeslèvres.–Euh…Jene comprenais pas vraiment sa question.Avait-elle découvertmonpetit séjour de la première
heureàl’infirmerie?Etsic’étaitlecas,qu’est-cequeçapouvaitbienluifaire?–J’étaisici.C’étaitlavérité.Ellefronçalessourcils,etjecompristoutdesuitequejen’allaispasm’ensortiràsiboncompte.–Vraiment?répliqua-t-elle.Parcequechaquefoisquej’airegardédansvotredirection,vousaviez
les yeux fixés sur vos chaussures. Et les chaussures n’enseignent pas la littérature contemporaine,Mademoiselle Flay.Moi, si. J’attends de vous que votre attention soit dirigée surmoi pendant cecours.Mesuis-jebienfaitcomprendre?–OuiMadame,répondis-jedemavoixlaplussincère.C’étaituneautrechosequej’avaisapprisedemamère: lapolitesseet lasincérité,mêmefeintes,
étaientlemoyenleplusefficacedesesortird’unesituationembarrassante.–Vraiment?fitNolan.Commenttuvasavoirletempsdeteconcentrersuruntrucaussiinsignifiant
qu’uncoursd’anglaisalorsquetuasdestasderéputationsàfoutreenl’air?Sansmelaisserletempsderépondre,MadameLochtetournaversluisonregarddevipère.–Monsieur Letner, dois-je conclure que vous n’avez nulle part où aller ? Dans ce cas, j’aurais
besoind’unpeud’aidepourréorganisermabibliothèque.Pourmonplusgrandplaisir,lesouriredeNolandisparut.
–Non.J’aiunendroitoùaller.–Alorsallez-y,répliqua-t-elle.Nolanlasaluad’unsignedetêteetsortitd’unpasnonchalant.Dèsqu’ileutdisparu,MadameLochtereportasonattentionsurmoi.Jefistoutmonpossiblepour
nepastressaillir.–Avez-vousbiencompriscequej’attendsdevous,MademoiselleFlay?–OuiMadame.–Bien,fit-elleavecunbrefhochementdetête.Vouspouvezdisposer.Elleretournaàsonbureauetsemitàtapersursonordinateurportable.Jemelevaietprismonsacàdos.Unepartiedemoiavaithâtedes’éloignerdeMadameLochte,
maisuneautreétaitterrifiéeàl’idéedecequim’attendaitdanslecouloir.Jemedirigeaiverslaporteentraînantdespieds,espérantquemalenteurmevailleàmoiaussiuneinvitationàréorganiserdesétagères,maiscefutenvain.Jeprisunegrandeinspiration,ouvrislaporteetsortis.Jen’eusqueletempsdefairecinqpasavantquequelqu’unmecognedansl’épaule.–Faitchier!Lapetitepartiedemoiquitenaitencoreauxapparencess’effondra.Jelaissaitombermonsacetfis
face, lespoings serrés. Jenem’étaisencore jamaisbattueet j’allaisprobablementmeprendreuneraclée,maisjesavaisquejenepouvaispascontinuercommeça.–Putain,regardeoùtu…Lesmotsmoururentdansmagorge.Paytonsetenaitdevantmoi,lesyeuxemplisd’unedouleurquejenecomprenaispas.–C’esttoi…–Quiveux-tuquecesoit?Peuàpeu,mesépaulessedétendirentetmesdoigtssedéplièrent.– Pourquoi tu n’as pas répondu à mes messages ? Tu es au courant de ce qui m’est arrivé
aujourd’hui?Elleserraleslèvres,lesyeuxbrillantsdelarmesquirefusaientdecouler.–Oui,jesais.Amberm’atoutraconté.Unesourdeterreurserépanditdansmonventre.–Qu’est-cequ’Ambert’araconté,exactement?Elleouvritlabouche,maisavantqu’ellepuisserépondre,Amberapparutàsescôtésetlapritparle
coude.–Euh…Désolée,Regan,maisonnepeutpasêtrevuesavectoi.Ontientànotreréputation.Jeclignaidesyeux,m’efforçantdecomprendrecequ’ellevenaitdedire.–Commentça?Lesélèvesralentissaientenpassant,lecoutendupourmieuxnousvoir.Ambersecoualatêted’unairfaussementcompatissant.–Tupeuxarrêterdejouerlesinnocentes,maintenant.J’airépétéàPaytontoutcequetum’asdit:
que tu la trouves chiante àmourir et que tu étais seulement amie avec elleparcequ’elle est douéepourtrouverdesragots.Jereculaicommesiellevenaitdemegifler.–Quoi?Maisc’estn’importequoi!–Jet’avaisditdefairegaffe,tutesouviens?poursuivitAmber.Jesavaisquetufiniraispartefaire
griller si tu continuais à chercher lamerde.Mais franchement, je ne pensais pas que tu tomberaisaussibas.Ducoup,nousaussiondoitpenserànous,tunecroispas?Onnepeutpassepermettrede
plongeravectoi.J’enrestaibouchebée.–Mais c’est autant votre faute que la mienne ! Vous ne pouvez pas m’abandonner comme ça !
protestai-je.Ellefitunegrimace.–Machérie,tudoisvoirçacommeuneformed’auto-préservation.Çanevapasdurer,c’estjustele
temps que ça se tasse.Même les animaux savent qu’il faut s’éloigner d’un des leurs quand il estblessé.–Maistuesunevraiesalope,enfait!lâchai-jesansréfléchir.Amberplissalesyeuxetserralamâchoire.–Commenttum’asappelée?Paytonselibéradubrasd’Amberetjetauncoupd’œilpaniquéàlafoulequiserassemblaitderrière
nous.–Lesfilles,fautvraimentqu’onfasseçaici?Maintenant?Sansattendrederéponse,elles’éloignalentementendirectiondescasiers.Amberl’ignora.–Ilfautmieuxêtreunesalopequ’unefaux-culetunetraîtresse.Aumoins,avecmoi,lesgenssavent
exactementcequ’ilsauront.JemetournaiversPayton.–Tunecroisquandmêmepasquej’aiditcestrucssurtoi?luidemandai-je.Tuesmameilleure
amie!–Ettucroisqu’ellevatecroire?répliquaAmber.
Tu passes ton temps à baver sur tout le monde. Pourquoi tu ne le ferais pas avec ta soi-disantmeilleureamie?Lacolèrebouillait dansmesveines.PourquoiAmber faisait-elle ça ?Pourquoim’abandonner et
mentiràPaytoneninventantdeschosesquejen’avaisjamaisdites?Etalors,jecompris.–C’esttoiquiasaffichétousmesmessages!Commentnel’avais-jepasvuevenir?Jem’étaisgourréesurtoutelaligne.Avait-ellefaitensorte
deserapprocherdePaytonpendanttoutcetemps?– Pourquoi tu l’écoutes ? demandai-je à Payton, ma colère soudain changée en une profonde
tristesse.Tusaisbiencommentelleest.Avantqu’ellepuisserépondre,lafoules’écartapourlaisserpasserNolan.Ils’avançaversnous,son
portableàlamain.UnefilleblondenomméeBlakesetenaitderrièrelui.–Qu’est-cequisepasseici?demanda-t-il.Unepetitebagarreentrecopines?–Nolan!s’écriaPaytond’untonmenaçant.Resteendehorsdeça!–Que je reste endehors ? fit-il en tournant la caméravers elle.Mais cequi sepasse ici se doit
d’êtrearchivé.Sinon,dansquelquesannées,tutedemanderascommentapusedésintégreruneamitiéde toute une vie. Il a vraiment dû se passer un truc terrible entre vous, parce que si unminusculeincidentsuffitàvousséparer,tuimaginescequeçaveutdiresurvotreamitié?–Nolan,répétaPayton,vat’acheterunevieetnetemêlepasdelamienne!Ill’ignoraettournal’objectifversAmberetmoi.Amberluifitundoigtd’honneur.Moi,demon
côté,jemefigeaicommeunlapinprissouslefeud’unchasseur.Enfin,Nolanabaissasonportableetdisparutdanslafoule,toujourssuividesacopineblonde.–Abruti,murmuraAmber.
Auboutdequelquessecondes,ellehaussalesépaules.–Viens,Pay.Ons’enva.Paytonfixaitlesol,sansciller.Parlapensée,jelasuppliaidesesouvenirqu’elleétaitmameilleure
amie.Jamaisjeneluiauraisfaitça.Jamais.–Allez,viens!CommePaytonrefusaitdebouger,Ambersoupirad’unairimpatientéavantdesedétournerpourse
frayerunpassagedanslafoule.Paytonserraitlepoingsurunplidesajupe.Ellejetaunregardversmoipuisdétournalesyeuxet
courutrattraperAmber,quiavaitdéjàparcourulamoitiéducouloir.Tuimaginescequeçaveutdiresurvotreamitié?LesmotsdeNolantournoyaientdansmonesprit
commedescharognardsau-dessusd’unecarcasse.Saufquelà,c’étaitmarelationavecmameilleureamiequiagonisait.Etsijen’avaisplusPayton,jen’avaispluspersonne.Leslarmesmemontèrentauxyeux.Jenepouvaispaspleurer.Pasdevanttoutlemonde.N’était-ce
paslarèglenuméroundemamère?Nejamaisexposersesfaiblesses.Jetentaidecontenirmeslarmes,maisilétaittroptard.Jenepusqueramasserenhâtemonsacà
dosetcourirauxtoiletteslesplusproches.Jepoussailaported’uncoupd’épauletoutenessuyantmesjouesaveclespaumesdemesmains.Un
sanglotmesecoualapoitrine.Jeplaquailamainsurmabouchepourl’étouffer.Je choisis la cabine la plus éloignée etm’y enfermai.Quelques secondes plus tard, j’entendis la
porteextérieures’ouvriretungroupedefillesentrerenriant.Jegrimpaisurlacuvette,priantpourqu’ellesn’essaientpasd’ouvrirlaporteverrouillée.–OhmonDieu,vousavezvusatronche?demandaunefille.Plusieursgloussementsluirépondirent.–Jecroisqu’elleseretenaitdepleurer,fituneautrevoix.–Bienfaitpourelle!–Carrément!–Jen’aimeraispasêtreàsaplace,admitlapremière.Savieestfoutue.Les autres fillesmurmurèrent un acquiescement. J’entendis de nouveau la porte s’ouvrir, et une
secondeplustard,leursvoixs’éloignèrentavantdedisparaîtrelorsquelebattantsereferma.Unefoiscertainequ’ellesétaientbienparties,jedescendisdelacuvetteetm’appuyaicontrelaporte
delacabine.Méritais-jecequim’arrivait?Peut-être.Maispourquoimaintenant?PourquoiAmber?Et pourquoiPayton la suivait-elle ?Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Je répétai lemot dansma têtejusqu’àcequ’ilnesoitplusqu’unramassisdelettresvidedesens.Enfin,jequittailacabinecouvertedegraffitisetmetraînaiversunlavabo.Jecontemplailafilleauxyeuxrougesetàlaminedéfaitequimeregardaitdanslemiroir.Sima
mère avait été là, ellem’aurait dit d’arrêter de perdremon temps àme lamenter surmon sort. Jedevrais élaborer un plan. Je devais trouver unmoyen de reconstruire la réputation qu’onm’avaitdétruite.Malheureusement,touslesplansquimevenaientàl’espritimpliquaientmesamies.Chosequejen’avaisplus.Jemecreusailatêtepourtrouverunautreplan,unquejepourraismettreenactiontouteseule.Mais
jeregardaimonrefletpendantplusieursminutesetriennemevintàl’esprit.Plusjerestaislà,plusjesentaislespossibilitésderécupérermavied’avants’échapperentremesdoigtscommedesgrainsdesable.Jenesavaispasquoifaire.
Alors,jefiscequejesavaisfairedemieux.Jeprisunnouveaucachet.Lorsquel’engourdissementfamiliersefutinstalléenmoi,jequittailestoilettesetm’aventuraidans
lecouloir.Commelapausedéjeunerétaitdéjàpresqueterminée,jemedirigeaiversmasalle.Personne ne s’assit à côté de moi. Personne ne me parla. La mise en quarantaine m’aurait
normalementfaitflipper,maisaprèslamatinéeinfernalequej’avaispassée,êtreignoréeétaitplutôtunsoulagement.Çavoulaitdirequ’ilsétaiententraindeselasser.Dumoins,jel’espérais.Àlafindeladernièreheuredecours, jefissemblantdenepasavoircompris lesdevoirsquele
profnousavaitdonnéspourpouvoirresterdanslasallevingtminutessupplémentairespendantqueMonsieurMahoneymeréexpliquaitlecours.Lorsqu’ileutterminé,jejetaiuncoupd’œilàl’horlogeet fus rassurée : le bâtiment et le parking seraient suffisamment vides pour me permettre dem’échapper.J’attrapai mes clés de voiture dans mon sac à main et me dirigeai vers la sortie. J’aurais dû
récupérermon livre d’histoire dansmon casier,mais j’allaism’en passer et prier pour réussir lecontrôle sans réviser. Je refusais de m’arrêter assez longtemps pour que quelqu’un me prenne àpartie.Etpuis,siquelqu’und’autreavaitdécidédedécorermoncasier,jenevoulaispaslesavoir.Lescouloirsétaientpresquevides,etmespasrésonnaientsurlelinotaché.Detempsentemps,un
élèvepassait,enroutepouruneactivitépériscolaire,maisparchance,personnenemeprêtaattention.J’arrivaiàlasortieetpoussaiunsoupirdesoulagementenfaisantunpasàl’extérieur,verslaliberté.N’étantpasdirectementassaillieparunefouleencolère,jemefiguraisquelepireétaitpassé.C’estalorsquej’aperçusmavoiture.J’étais garée derrière un gros camion, et seul mon pare-chocs était visible de loin. Mais en
dépassantlecamion,jem’arrêtainet.Monsacàdosglissademesépauleset tombaausolavecunbruitmat.Desbouteillesdesodavides,dessachetsdechipsetdesmorceauxdepapiergrasrecouvraient le
capotetletoit.Lesmotsmenteuse,traîtresseetfaux-culavaientétéinscritsplusd’unecentainedefoissurtouteslesvitres, en différentes teintes de rouge à lèvres. En m’approchant, je vis une grosse rayure –probablementfaiteavecuneclé–lelongdelaportièreduconducteur.Je me laissai tomber par terre à côté de mon sac. J’avais rendez-vous chez le psy dans vingt
minutes, et jene serais jamais à l’heure si jenepartaispas immédiatement.Mais comment faire ?J’allaisdevoirpasseraumoinsdixfoismavoitureaulavagepourmedébarrasserdetoutcerougeàlèvres.Jelesavais,carPayton,Amberetmoiavionsfaitlamêmechoseàunefillel’andernier,aprèsquecettedernièreavaitdraguélecopaindePayton.C’étaitl’idéed’Amber,biensûr.Nousnousétionscachéesdanssavoitureetavionséclatéderirechaquefoisque lafillepassaitsavoitureau lavageavantdefondreenlarmesenvoyantqueleslettresrosesetrougesétaientencorelà.Christyavaitpeut-êtreraison.Peut-êtrerécoltais-jeenfincequej’avaissemé.J’avaisjouéavecle
karma, et le jour des comptes était arrivé. Restait une question : après tout ce que j’avais fait,mériterais-jeunjourderetrouverlebonheur?Çaressemblaitàunequestionàposeràmonpsy,maisparleràquelqu’undecequim’arrivaitétait
ladernière chose dont j’avais envie.Les paroles n’étaient que des sons inutiles qui disparaissaientdanslevidesitôtaprèsavoirétéformulés.Contrairementauxtextes,quipouvaientêtrephotographiés,copiés,envoyésetsauvegardés.Jen’avaisaucunmoyendem’ensortir.
CHAPITRE6
Ilme fallut plus de cinquante dollars et une demi-heure de lavage pour venir à bout du rouge à
lèvres.Chaquefoisquejesortaisvérifier,jem’attendaisàvoirAmberetPaytonsemoquerdemoi,dissimuléesdanslavoitured’Amber.Christyseraitpeut-êtrelà,elleaussi.Aprèslelavage,jen’avaispaspurentrertoutdesuiteàlamaison:sipapaétaitrentréenavancedutravail,ilauraittoutdesuitecompris que j’avais séché mon rendez-vous chez le psy. Je ne voulais pas risquer qu’il appellemaman.Commemonchevalétaitbienmeilleurconseillerquemonpsy,jeprisladécisiondemerendreaux
écuries.Je défis la sangle et enlevai du dos deRookie le tapis de selle trempé de sueur.Rookie était un
ancien cheval de course de treize ans, que j’avais adopté quand il en avait sept. Après seulementquelquesannéesdedressage,ilétaitdevenuunincroyablechevald’obstacles.Ensemble,nousavionsgagné assez de rubans et de trophées pour occuper un mur entier. Tous les week-ends, noustravaillionstouslesdeuxdansunprogrammedethérapiepourenfantsendifficulté.Letravailbénévoleétaitenfait–quellesurprise–uneidéedemamère.Aprèstout,lamoindrede
mesactivitésnedevait-ellepas servir àaméliorermon imagedemarque?Pourune fois, jem’enfichais.Contrairementàd’autresdistractionscaptivantescommeconstruiredesmaisonsouramasserdesdéchetsdanslesparcsrégionauxsousunechaleurtorride,lathérapieparlechevalétaitunechosequimeplaisaitvraiment. Jeneme lassais jamaisdusentimentque j’éprouvaisenvoyantunenfantassissurledosdeRookieserrerlespoingsdanssacrinièrenoire,unimmensesourireauxlèvres,commesiriend’autren’existait.C’étaitcequirendaitleschevauxmagiques.Jem’appuyai contre la porte de la stalle pour rangerma selle sur le supportmural pendant que
Rookienichaitsonmuseauveloutédansmoncou.Ilremuadoucement,chatouillantlespetitscheveuxdemanuque.Jesouris,maismêmeseuleavecmoncheval,jesentaisquec’étaitforcé.Jemedemandaisij’allaisunjourretrouverunvéritablesourire.JemeretournaietappuyaimatêtecontrecelledeRookie,lefrontposésurl’étoileblancheentreses
deuxyeux.Jepassailesdoigtsdanssacrinièreemmêlée.Unpeuplustôt,nousavionspasséuneheureà galoper doucement dans la carrière. Rookie tirait parfois sur les rênes. Je sentais ses musclesfrustrésjouersousmoi,percevaissondésirdefranchirlabarrièreetdegaloperauloin.Avantcejour,jen’avaisjamaiscompriscetteimpulsion.J’avaistoujourspenséqu’onétaitplusen
sécuritédans la carrière, là où lesgenspouvaientnousvoir et nous aider en casdepépin.Mais àprésent,pourlapremièrefoisdemavie,jemedemandaicequeçaferaitd’ouvrirlabarrièreetdem’enfuiraveclui,aussiviteetaussiloinquepossible,sansjeterunregardenarrière.Montéléphonesonna,metirantdemarêverie.–Désolée,monbeau.Jereviens.Pleined’espoir,jepassaisouslachaîneaccrochéeentraversdelaportedelastalledeRookie.Peut-
être était-ce Payton quime rappelait enfin. Peut-être s’était-elle rendu compte à quel point il était
stupidedem’envouloirpourunechosequ’elle faisaitelle-mêmeconstamment.Peut-êtreavait-elledéjàtrouvéunmoyendenousvengerd’Amber.IgnorantlespetitshennissementscontrariésdeRookie,
jecourusàlatabledepique-niqueoùj’avaisposémonportableetmesclés.Jem’enemparaietluslenomaffichésurl’écran.Mesépauless’affaissèrent.Avecunsoupir,jerépondis.–Salut,papa.–Salut,chérie,dit-il.Jeviensderentrer.Laséancechezlepsyestpluslonguequed’habitude?–Non.Jememassailestempespourchasserlamigrainequicommençaitàs’installer.–Désoléedenepasavoirappeléplustôt.J’aieuenviedem’arrêterauxécuriesaprèsmonrendez-
vous.–Commentvamadeuxièmehypothèque?–Rookie?Commed’habitude…Ilestaffamé.Papaéclataderire,puissetut.Quelquessecondesplustard,ils’éclaircitlagorge.–Écoute,Regan,quandest-cequetucomptesrentrer?Jecroisqu’ilfautqu’oncause.Monestomacsenoua.–Ah,pourquoi?–L’infirmièredulycéem’aappeléautravail.Jefermailesyeuxetdéglutismalgrélaboulequej’avaisdanslagorge.Jenevoulaispasdecette
conversation. Pas maintenant. Je devais travailler à régler mes problèmes, pas en ajouter denouveaux.Etsipapas’enmêlait,ilimpliqueraitmaman,ettoutecettehistoireferaitbouledeneige.–C’estpasgrand-chose,papa.J’aiunpeupaniquéàcaused’uncontrôle.–Regan!J’entendaisl’inquiétudedanssavoix.–L’infirmièreaditquetufaisaisdel’hyperventilation.–C’étaituncontrôlevraimentimportant.Paparestasilencieux.Jelevoyaisassisàsonbureaudanssablousebleue,unpetitpliau-dessusdu
nez,commetoujoursquandilfronçaitlessourcils.Enfin,ilreprit:–Pourquoiest-cequej’ail’impressionqu’ilyaautrechose?–Iln’yarien.J’avaispeut-êtrerépliquéunpeuvite,carilneréponditpas.J’étaissûrequ’ilsavaitquejementais,
et comme je n’avais pas d’autre choix, je décidai deme servir d’une autre technique demaman :brouillerlespistesavecunedemi-vérité.–Bond’accord,ilyapeut-êtreautrechose.–Oui?–Paytonetmoi,ons’estunpeuengueulées.–Vraiment?L’inquiétudedanssavoixavaitlaissélaplaceàlasurprise.–Vousêtesamiesdepuistoujours.Qu’est-cequis’estpassé?Je n’allais sûrement pas lui expliquer que toutes les choses horribles que j’avais écrites s’étaient
retrouvéesaffichéesdanstoutel’école.Jemecreusailatêtepourtrouveruneexplicationplausible,etilmevintsoudainlasolutionparfaite.Unautretrucdemaman:déstabilisezvotreadversaireavecunsujetquilemetmalàl’aise.Etjesavaisexactementcommentmettrepapamalàl’aise.–Tuvois,ilyacegarçon…–Ungarçon?répétapapad’untonpaniqué.Depuisquandtufréquentesdesgarçons?Tunem’as
jamaisparléd’ungarçon.C’estqui?Jeconnaissesparents?Qu’est-ceque…–Ducalme,papa.Iln’yariendesérieux.C’estjustequejecroyaisqu’ilm’aimaitbien,etils’est
avéréquePaytonl’aimebienaussi.Alorsons’estunpeuénervéeset…–Tusaisquoi?mecoupa-t-il.C’estpeut-êtreunsujetdonttuferaismieuxdeparleràtamère.Dieumerci.Jepoussaiundiscretsoupirdesoulagement.–D’accord.Situpensesquec’estmieux…–Oui,jepense.Ettudevraispeut-êtremêmel’appelerdèscesoir,ajouta-t-ilaprèsunsilence.Àcettepensée,mabouchedevint toute sèche.Avecmaman,onnepouvaitpasparler.Toutesnos
«conversations»sedéroulaientdelamêmemanière:ellemefaisaitlaleçonetn’écoutaitpasunmotdecequej’avaisàdire.–Çapeutattendresonretour,dis-je.Jeneveuxpasl’embêterenpleinesession.Tusaisàquelpoint
çalastresse…–Tuessafille,répliqua-t-il.Tupassestoujoursenpremier.Heureusement,ilneputvoirlagrimacequejefisautéléphone.–Ouais,d’accord.Écoutepapa,jedoisbrosseretnourrirRookieavantdepartir.Est-cequ’onpeut
enreparlerplustard?Ilpoussaunsoupir.–Pascesoir,j’enaipeur.Jedoisrepartiraucabinet–unechirurgiedentaireurgente.Jeneserai
pasrentrépourledîner.Tutrouverasdesrestesàréchaufferdanslefrigo.–D’accord,dis-jeententanttantbienquemaldedissimulermadéception.J’étaissoulagéed’éviteruneconversationgênante,maisjen’avaispaslamoindreenviedepasserla
soiréeseuledansnotregrandemaisonvide.Normalement, les soirs où maman n’était pas là et où papa travaillait tard, j’invitais Payton et
Amberàvenirtraîneravecmoi.Apparemment,çan’arriveraitplusjamais.–Trèsbien,trésor.Essayejustedenepast’inquiéterpourlerestedelasoirée,OK?–OK.Jeluidisaurevoiretraccrochai.Jem’apprêtaisàglissermontéléphonedansmapochequandje
visquej’avaisreçuunmail:unenotificationFacebookquimeprévenaitquej’avaisététaguéesurunpost–celuid’Amber.Jemesentissombrerintérieurementetjemelaissaitombersurlebanc.Monpoucehésitauninstant
au-dessus du lien tandis que, de mon autre main, je triturais mon pendentif et le faisais glisserdoucementlelongdesachaîne.Quoiqu’Amberaitécritsurmoi,çanepouvaitpasêtrebon.Jemordaisma lèvre inférieure,monpied frappant le sol. Je savais que je ne devais pas cliquer,
qu’il valaitmieux ne pas savoir,mais je ne pouvais pas laisser passer ça. Je devais savoir ce quej’allaisdevoiraffronter.Jeretinsmonsouffleetcliquaisurlelien.L’applications’ouvritsurunefanpage–dumoins,jecrusquec’étaitçajusqu’àcequej’enaielule
titre:GROUPEDESOUTIENPOURLESVICTIMESDEREGANFLAY.L’imagedeprofilétaitmonvisage,maisquelqu’un l’avaitmodifié avec une de ces applications qui vous changeaient en zombie.Mes yeuxétaientenfoncésdanslesorbitesetmapeaupartaitenlambeaux;meslèvrescraqueléesdévoilaientdesdentspourries.Letexteendessousannonçait:CeciestunepagedesoutienpourquiconqueapuêtrevictimedeReganFlay.Racontezvotrehistoireetaidez-vousmutuellement.Jenesavaispasdepuiscombiendetempslapageexistait,maiselleavaitdéjàplusd’unecentainede
likes et aumoinsunedouzainede commentaires.Etmême si lapageprétendait êtreungroupede
soutien, vu la nature des commentaires, elle était tout sauf ça. Une fille avait posté que j’étaistellementmoche qu’elle avait besoin de soutien psychologique pour surmonter le traumatisme dedevoirmevoirpassertouslesjoursdanslescouloirs.SoncommentaireavaitétéliképarAmberettrenteautrespersonnes. Ilyenavaitd’autres,mais jenepus les lirecar les larmesbrouillaient lesmots.Jerefermail’application,fourraileportabledansmapocheetessuyaimesyeuxsurmamanche.Je
pensais être à l’abri aux écuries. J’avais cru quemes problèmes ne pourraient pasm’y retrouver.Apparemment,jem’étaistrompée.Jen’avaisnullepartoùmecacher.Unevagued’étourdissements’abattit surmoi,mais je la repoussai. Jen’allaispas faireunecrise
d’angoisseàcausedeça.Jelerefusais.Toutçaétaittellementhypocrite.C’étaitcommesilesgensquim’insultaientn’avaientjamaisrien
ditdeméchantsurpersonne.Ilsmepersécutaientparcequejem’étaisfaitprendre,voilàtout.C’étaitinjuste.Rookierenâcladanssastalle.Jemepenchaipar-dessuslachaîneettendislamainverslui.J’avais
désespérémentbesoind’unpeudecettemagiechevalinepourmeconsoler. Il regarda fixementmamain,maisnefranchitpasladistancequinousséparait.Génial.Monchevalaussiseretournaitcontremoi ? Peut-être sentait-il que je n’étais plus la petite fille qui grimpait sur son dos et tressait sacrinière pendant qu’ilmâchait des brins d’herbe. J’étais brisée et j’ignorais comment recoller lesmorceaux.Pourlapremièrefois,jenepensaispasqueRookieensoitcapable.Ilavaitdoncfinipararriver.Lejouroùlamagieavaitcessédefonctionner.–Toutvabien,luidis-je.Jeretiraimamainetm’enservispouressuyermesjouescouvertesdelarmes.–Jevaistecherchertesgranulés.Plus tard ce soir-là, après avoir pris une douche si chaude qu’elle avait laisséma peau rouge et
engourdie, jememis au lit et tirai les couvertures jusqu’àmonmenton. Jene savaispasvraimentpourquoi jeprenaiscettepeine.Jenevoulaispasdormir.Lesommeilamenait lematin,et lematinétaitunechosequejevoulaisnejamaisvoirvenir.Avant de me coucher, j’avais fait l’erreur de consulter Facebook une dernière fois. J’avais
découvert une nouvelle publication sur la page de Soutien pour les Victimes de Regan Flay. Lecommentairem’avaitfaitl’effetd’uneballedelamesderasoirquiavaittoutdéchiréetdéchiquetésursonpassageenrebondissantdansmapoitrine.
ReganFlaydevraitrendreserviceàtoutlemondeetsesuicider.Cen’étaitpastantlecommentairequimeblessaitmaislefaitqu’ilavaitdéjà76likes.Soixante-seize
personness’accordaientàdirequelemondeseraitunmeilleurendroitsijen’existaispas.Jejetaiuncoupd’œilauflacondepilulesposésurmatabledechevet.Ellesétaientlà.Toutcequej’avaisàfaire,c’étaittendrelamainpourquetoutlemondesoitcontent.
Sijedisparaissais,jenepourraisplusgâcherlaviedesgens.Sijemourais,jen’auraisplusàsubirleurhaine.Etçaseraitfacile.Tellementfacile.Uneboufféedepaniquemeparcourutcommeuncourantélectrique.Jem’emparaiduflaconet le
jetaiviolemmentàtraverslapièce.Biensûrqueceseraitfacile,maiscen’étaitpascequejevoulais.Lescachetsn’étaientqu’unmoyendeprendrelafuite.Etmoi,jevoulaistrouverunmoyendem’en
sortir.Fuirseraitcertesunesolutiondéfinitive,maism’ensortirimpliquaitaumoinsdespossibilités.Cesgensnepourraientpasmehaïrpourtoujours–etmêmesic’étaitlecas,ilnemerestaitqu’uneannéedelycée.Sijefaisaisprofilbas,leschosesnepourraientques’arranger,non?Jerepliaimesgenouxcontremapoitrineetlesserraientremesbras.Jen’avaispaslamoindreidée
decequipourraitunjourmerendreheureuse.Mamèrepensaitsûrementqu’elledétenaitlaréponse.Maissiellesetrompait?Etsitoutesleschosesqui,selonelle,merendraientheureuse–êtreadmisedansuneprestigieuseuniversité,épouserunbonparti,avoirunegrandecarrière–melaissaientaussicreuseetvidequejemesentaismaintenant?Lorsque j’étais petite, tout était tellement plus facile… Le bonheur, c’était sauter à la corde et
mangerdesbarbes àpapa.Mais àprésent, jeneme souvenaismêmepasde ladernière foisoù jem’étaisvraimentsentieheureuse.Àquelmomentavais-jeperducesentiment?Etpourquoiétait-cedevenusidifficiledeleretrouver?Pireencore,qu’allais-jedevenirsijeneleretrouvaisjamais?
CHAPITRE7
Lematinsuivant,assisedansmavoiture,jeregardaislesautresélèvesslalomerentrelesvéhicules
duparkingpourallerencours.Jeserraislevolantsifortquemesjointuresétaienttoutesblanches.Jen’avaismêmepasencoresortiunpieddemavoiture,etdéjàl’angoissemecomprimaitlapoitrine.Jevenaisdeprendremonsacàmain,à larecherchedemespilules,quandunpoingfrappaàma
portière.Jesursautaietlâchaimonsac.Del’autrecôtédelavitre,NolanLetnermesouriaitdesonairsuffisant.Commetoujours,ilpointaitsurmoisonportable.Merde.Justeaumomentoùjepensaisquemajournéenepouvaitpascommencerplusmal…Jeneprismêmepaslapeinededescendremavitre.
Jem’étaisrésolueàfaireprofilbas,etjenevoulaissurtoutpasencouragersonattention.J’attrapaidoncmontéléphoneetfissemblantdeliredesmessagesinexistants.–Tuferaisbiendetegrouiller.Tuvasêtreenretardencours.Jeserrailesdentssifortquemamâchoiremefitmal.–Vacreverenenfer,Nolan!–Oui,onestaulycée,donconn’enestpasloin,répliqua-t-il.Commejenebougeaispas,ilfrappadenouveauàlavitre.–Tuviensouquoi?Je tripotai les clés, toujours dans le contact. Ça serait si facile de démarrer et de m’enfuir.
Malheureusement, si je séchais les cours,mamère l’apprendrait. Et si elle pensait que j’avais desennuis susceptibles de donner aux électeurs unemauvaise image de la famille, elle resserrerait saprisesurlalaissequim’étouffaitdéjà.JefusillaiNolanduregard.Ilétaitvenudansl’uniquebutdem’embêter,maissij’attendaisqu’ilse
lasse,jeseraisenretard.J’étaispriseaupiègeetillesavait.–Jen’irainulleparttantquetun’auraspasbaissétontéléphone.Illefourradanssapocheetsourit.Abruti.Ensoupirant, je sortis lacléducontact, cequidéverrouillaautomatiquement lesportières.Avant
quejepuissel’enempêcher,Nolanattrapalapoignéeetm’ouvrit.–Aprèstoi.Jen’avaispaslamoindreenvied’allerquelquepartaveclui,maisjenepouvaispasmepermettre
desécherlelycée.Jen’avaispaslechoix.J’attrapaimonsacàdosetdescendisdevoiture.Dèsquejecommençaiàmarcherverslebâtiment,ilm’emboîtalepas.–Dégage,Nolan.–Pourquoi?Sijem’envais,jenepourraiplussavourerlachaleurdetalumineusepersonnalité.Et
tuveuxvraimentquejeparte?Avantd’entrerlà-dedans?Touteseule?Jegrimaçai.–Tut’imaginesquej’aibesoindetaprotection,ouquoi?Jepeuxmedéfendretouteseule.
Iléclataderire.–Ouais,biensûr!–Tuvascontinueràmesuivrepartoutpournepasperdreunemiettedemachute?C’estça, ton
plan?Ilhaussalesépaules.–Enpartie.Jecontinsungrognement.Ons’étaitjamaisbienentendus,maisj’auraisjamaiscruqu’ilpuisseêtre
aussisadique.Pasétonnantquesacopinel’aitlargué.–Vatefairefoutre!crachai-jeenenfonçantundoigtdanssapoitrine.Sansluilaisserletempsderépondre,jeremontail’alléeaupasdechargeetentraidanslelycée.Àpeinequelquesbattementsdecœurplustard,ilétaitrevenuàmahauteur.–C’estaussiparlàquejevais,tusais.Lescouloirsnet’appartiennentpas,Princesse.Oh,commej’auraisvoulupouvoirrassemblertoutelacolèreetlatristessedecesdernièresvingt-
quatreheurespourleslâchersurNolan…Maisavecmaréputationenruines,je n’avais vraiment pas besoin d’attirer encore plus l’attention. Pour lui échapper, je décidai dem’offrirunpetitdétouretpassailaportelaplusproche.Madame Weber, la secrétaire d’éducation, une femme d’une quarantaine d’années qui était une
grande supportrice de ma mère depuis le début de sa carrière, me sourit de derrière son bureausurélevé.–Regan.Sesdeuxdentsdedevantétaientmaculéesderougeàlèvres.–Quepuis-jefairepourvous,mapetite?Bonnequestion.–Euh…Audépart,toutcequej’avaisvoulu,c’étaitéchapperàNolan.Jen’avaispasréfléchiplusloin.Puis
uneidéemevint.Unconseiltoutdroittirédumanuelpolitiquedemamère:Quandonestfrappéparunscandale,lameilleuresolutionestdeseretirerdelascènepubliquejusqu’àcequelesespritsserefroidissent.–Jevoudraisretirermonnomdelalistepourlesélectionsauconseildesélèves.Jen’avaispasbesoinderappeleràl’écoleentièreàquelpointilsmedétestaientenaffichantmon
visagesouriantdans toute l’école. J’imaginaisdéjàcequiarriveraitauxaffiches :desmoustaches,descornesdediable,despénis…LesouriredeMadameWeberdisparut.–Vraiment?Vousenêtessûre?Maisvousavezlapolitiquedanslesang!Jeréprimaisuneenviedeleverlesyeuxauciel.J’étaishabituéeàcequelesgenss’attendentàme
voiragircommeuneversionminiaturedeladéputée.Aulieudemeprendrepourunindividuàpartentière,onauraitditqu’ilsmeconsidéraientcommeunclonefabriquédansunlabo.Etsiçan’avaitpasétéencontradictionaveclesidéesultraconservatricesdemamère,jel’auraissoupçonnéed’avoirenvisagécettesolution.Maisjen’étaispasmamère.Biensûr,elleallaitêtreenrogneendécouvrantquej’avaisabandonné
l’élection,maisunpoidss’étaitenvolédemesépaulesdèsl’instantoùj’avaisprononcélesmots.Mefaireoubliermesemblaitêtre lameilleurechoseà fairepour lemoment.Restercandidaten’auraitfait que m’exposer à davantage d’humiliation et de ridicule. Et puis, si je distribuais des badges«VotezpourRegan»danslescouloirs,lesautresélèvess’enserviraientprobablementpourmelesjeteràlafigure.
Jemepenchaiau-dessusdubureaudelasecrétaireetdéclaraisurletondelaconfidence:–Jenesaispassivousêtesaucourant,maisj’ai…subibeaucoupdestressdernièrement.Bien sûr, ma mère ne voulait pas que les gens sachent que sa fille souffrait d’un trouble de
l’anxiété : quelqu’un pourrait croire que quelque chose clochait dans la façon dont elle m’avaitélevée.Ellem’avaitdoncordonnédedireauxgensquejesouffraisdestress–uneréponsebienplusacceptableensociété.Aprèstout,denosjours,quin’étaitpasstressé?–Oh,machèrepetite!MadameWebersepenchaversmoipourmetapoter lamain.Sapeauavait laconsistanceducuir
froid.–C’estparfaitementcompréhensible.Avecvotremèrequiseprésenteauxréélections,biensûrque
vousêtesstressée!Bien sûr, je ne pouvais pas avoirmes propres problèmes.Mon stress était forcément en rapport
aveclacarrièredemamère.–Ouais,fis-jeenretirantmamain.Doncvouscomprenezpourquoijenepeuxpasmeprésenterau
conseildesélèves.J’aibesoindeme…recentrer.–Regan…Mêmes’iln’yavaitquenousdeuxdanslebureau,MadameWeberbaissalavoix:–Est-cequeçaaquelquechoseàvoiraveccegraffitisurvotrecasier?Jefisunpasenarrière,lesjouesenfeu.–Vousêtesaucourant?Ellem’adressaunregardcompatissant.–Biensûr.Maisnevousenfaitespas,laproviseurelesaitaussi.Ellevalanceruneenquêtepour
quelecoupablesoitdémasqué.Magorgeseserra.Etsi l’enquête lesmenaitauxpagesscotchéesauxcasiersavecmesmessages
privésettoutesleschoseshorriblesquej’avaisdites?–Uneenquêten’estpasvraimentnécessaire,protestai-je.Jesuissûrequej’aiétéfrappéeauhasard
etqueçanesereproduirapas.MadameWeberfronçalessourcils.– Ma chère petite, vous n’êtes pas sans savoir que nous avons une politique anti-harcèlement
extrêmementstrictedanscetteécole.Monestomacsesouleva,jecrusquej’allaisvomir.–Nousallonstrouvercettepersonne,poursuivit-elle.Etilouellevaavoirbeaucoupd’ennuis.Ne
vous en faites pas. Vous êtes une gentille fille, Regan. Je suis sûre que le coupable n’est qu’undémocratequinerêvequedesemerlapagaille.Ellegrimaça,commesilemotdémocrateluiavaitlaisséungoûtamersurlalangue.Biensûr.Parcequ’unefoisencore,toutcequiarrivaitdansmavieétaitforcémentliéàmamère.Je
m’écartaidubureauetrepartisverslaporte.–Vousvousoccuperezdemerayerdelaliste,MadameWeber?Ellepoussaunsoupirettapotasesonglesmanucuréssursonbureau.–J’espèrequevousreviendrezsurvotredécision.Maissic’estcequevousvoulezvraiment,jele
ferai.Jehochailatête.–Oui,c’estcequejeveux.Merci.Elleretroussaleslèvres,commesiellen’avaitpasfinid’argumenter,maisjesortisdesonbureau
sansluilaisserletempsd’ajouterquoiquecesoit.J’étaissipresséedem’éloignerquejepercutaide
pleinfouetlapersonnequisetenaitdevantlaporte.–Jesuisvraimentdésolée…Avantdepouvoirfinirdem’excuser,jelevailesyeuxpourdécouvrirNolanquimesouriait.–Ondiraitqueledestinnouspoussel’unversl’autre,déclara-t-il.–Sérieusement?répliquai-je,excédée,avantde lecontourner.Est-ceque tumesuispartout juste
pourmefairechier?–Pourquoi?rétorqua-t-ilavecunsouriresuffisant.Çamarche?Jeluifisundoigtd’honneur.Iléclataderire.–C’estcommeçaqu’ontraiteunami?Jem’arrêtainet.–Tun’espasmonami.–C’estvrai.Ilregardaauxalentours,puisajouta:–Maisjenevoispersonneàceposte.Onnepeutpasleurenvouloir.Tuesunevraiechieuse.Jepoussaiungrognementexaspéré.–Qu’est-cequetuveuxdemoi,sérieusement?Desexcuses?Sic’estcequ’ilfautquejefassepour
que tume foutes la paix, très bien ! Je suis désolée d’avoir étéméchante avec toimardi dernier,Nolan.Maintenant,tuveuxbiendégager,s’ilteplaît?–Cequejeveux?Toutetraced’humouravaitdisparudesonvisage.–Jenepourraijamaisretrouvercequejeveux.Jecroisaimesbrassurmapoitrine,commepourmeprotégerdesonregardglacial.–Çaveutdirequoi,aujuste?Lapremièresonnerieretentit.Aulieudemerépondre,Nolanremontasonsacàdossursonépaule.–Ilfautquej’ailleencours.Ilpassadevantmoietpartitdanslecouloir,melaissantseuleetébahie.Etmoiquitrouvaisquemesrèglesmedonnaientdessautesd’humeur…Jen’avaisjamaisvuça:un
meccapablederireetdesourire–mêmesic’étaitàmesdépens–etd’avoirl’airprêtàcommettreunmeurtrelaseconded’après.–Taré,murmurai-je.Cen’étaitpaspourrienquePayton,Amberetmoiavionsl’habitudedenousmoquerdelui.Cemec
étaitunputaindepsycho.Enallantencours,jenepusm’empêcherdemedemanderpourquoiluietsacopineavaientrompu.
Ils étaient faits l’un pour l’autre. Jordan était une fille dema classe. Ses cheveux étaient teints enviolet,ouenbleu,ouend’autrescouleursaberrantes.Elles’habillaitennoirtouslesjoursetportaitmême un voile noir à l’occasion des anniversaires de mort de musiciens comme Kurt Cobain,FreddieMercuryouJimiHendrix.Cen’étaitpas lapom-pom-girl typique,maiscelane l’avaitpasempêchée d’effectuer les essais pour entrer dans l’équipe l’an dernier. Elle n’avait pas effectué lamoitiédesachorégraphiequandAmberavaitéclatéderire.Saréactionm’avaitmisemalàl’aise,etplusencorequandj’avaisfaitsemblantderireavecelle.Jamaisellen’auraitpus’intégrerdansnotregroupe.Saufquemaintenant,iln’yavaitplusdegroupe.Regardequiestrejeté,maintenant.
Enseulementquelquesminutesaprèslapremièresonnerie,lescouloirss’étaientvidés.Ilnerestaitplus qu’une fille devant son casier.En approchant, je remarquai que cette fille qui se dépêchait derécupérerseslivresn’étaitpasn’importequi.C’étaitJulieSims.Cellequej’avaisaccuséed’êtretropgrossepourlamanœuvredeHeimlichdanslesmessagesprivésquiavaientétépostés.Moncœursemitàtambourinerdansmapoitrine.
Jemefigeai.Jenesavaispasquoifaire.Sansmeremarquer,Julies’occupaittoujoursdesesaffaires.Jepouvaisfacilementfairedemi-tour,maismasalledecoursn’étaitqu’àquelquesportesdelà.Sijeprenaisunautrechemin,j’allaisêtreenretard.Merde.Jen’avaispasbesoind’unenouvelleconfrontationpourlemoment,maisjenepouvaispas
mepermettred’êtreenretard.Sijemedépêchais,peut-êtrenemeremarquerait-ellepas.Jebaissailatêteetaccélérailepas.Jem’apprêtaisàladépasserquandl’undeslivresqu’ellefeuilletaitluiéchappaetqu’unefeuillepliéecouverted’énigmesgéométriquess’envola.Elleatterritàmespieds.Julieseretourna.Jem’arrêtainet,lesoufflecourt.Pendantuneseconde,Juliesemblanepasmeremarquer.Ellesepenchapourattraperlepapier.Mais
avantdeserelever,sonregardseposasurlehautdemeschaussures.Jelavisseraidir.Magorgeseserraetjedéglutisavecpeine.Jem’attendaisàcequ’ellesemetteàmecrierdessus,à
m’injurierouàclaquerlaportedesoncasieravantdes’enaller.Ellen’enfitrien.Ellesecontentademeregarderfixementdesesgrandsyeuxmarron,sansbouger.J’observaisonvisage,àlarecherchedelahainequej’étaissûred’ydéceler,maisuneautreémotionselisaitdanssonregard.Delapeur.Cetterévélationmefrappacommeuncoupdepoingdansleventre.Julien’allaitpasm’attaquer.Le
monstreici,c’étaitmoi.Julieavaitpeurdemoi.Elledéglutit.–Je…jesuisenretardencoursetjeneretrouvepasmesdevoirs.Je ne comprenais pas pourquoi elle me disait ça : c’était pas comme si elle me devait une
explication…–Tuasbesoind’aide?Dèsquecesmotseurentfranchimeslèvres, jefisunpasenarrière,surprise.C’était ladeuxième
foisenunquartd’heureque jedisaisquelquechosed’inattendu,et jenesavaispas tropquoi faireAprèstout,n’avais-jepasvoulum’éloignerd’elleaussivitequepossible?Juliemejetaunregardsceptique.–Pourquoituvoudraism’aider?Tumedétestes.Sesmotsmeprirentaudépourvu,etjesecouailatête.–Jenetedétestepas.Elleeutunpetitrireamer.–Arrête.J’ailucequetuasécritsurmoi.Jetripotailesbretellesdemonsacàdos.Sansdéconner,Regan,biensûrqu’ellel’alu!–Julie,je…Je ne savais pas comment finir ma phrase. Les mots restèrent comme suspendus entre nous.
Pourquoi avais-je écrit ces choses sur elle ? Je ne la détestais pas. Vraiment. En fait, je ne laconnaissais pas assez bien pour avoir une opinion à son sujet. Alors pourquoi avais-je fait ça ?ProbablementpourfairerireAmber.Lahontemebrûlaitcommedel’acide,etjebaissailesyeux.–Alorspourquoi?demanda-t-elle.Jelevailesyeuxetvissalèvreinférieuretrembler.–Qu’est-cequejet’aifait?insista-t-elle.Mabouche s’ouvrit, puis se referma.Lesmotsnevenaient pas.Aucunmotn’aurait pu expliquer
pourquoij’avaisditceschosesterribles.Ladeuxième cloche sonna.Ni elle nimoi ne bougeâmes.Le silence restait suspendu entre nous,
lourdetpoisseux.Lorsquejenepusensupporterdavantage,jesecouailatête.–Jen’aipasderaisonàtedonner.J’imaginequejesuisvraimentlapersonnehorriblequetoutle
mondedit,c’esttout.Pendant une seconde, elle sembla vouloir rétorquer quelque chose, puis elle secoua la tête et se
retournaverssoncasier.Elleseremitàfeuilleterseslivres.Ellen’avaitpasbesoindemedired’allermefairefoutre,j’avaistrèsbiensaisilemessage.Maisquelquechosememaintenaitclouéesurplace.Auboutd’uneseconde, Julie jetauncoupd’œilpar-dessussonépaule, les sourcils froncés, l’air
confus.–Tuveuxquelquechose?La gorge sèche, je dus avaler plusieurs fois ma salive avant de pouvoir répondre. En politique
commedanslavie,mamèrenes’excusaitjamaispourrien.Elledisaittoujoursques’excuservousrendaitresponsable,etqu’unpoliticienn’acceptaitjamaisd’êtretenuresponsabledequoiquecesoit.Toute ma vie, j’avais vécu selon ses règles. Après tout, c’était grâce à elles qu’elle était arrivéeexactementlàoùelleavaitvoulu.Jecommençaisàcomprendrequelàoùellevoulaitêtreetlàoùjevoulaisêtreétaientpeut-êtredeuxendroitsbiendistincts.– Julie, dis-je, même si tu neme crois pas, je veux que tu saches que je suis vraiment désolée
d’avoirditceschoses.Ellesétaientcruelles,etjenelespensaispas.Je…j’étaisjusteuneconnasse.Ellerestauninstantàmeregarderfixement,etjevisqu’elledoutaitdemasincérité.Maismoi,jene
doutaispas.J’avaispenséchaquemotquej’avaisprononcé,etpasseulementparcequ’Amberavaitaffiché mes messages et que j’avais été humiliée. J’étais sincèrement désolée de l’avoir blessée.J’étais désolée parce que je détestais la façon dont elle me regardait, les yeux emplis d’uneappréhensiondontj’étaislaseuleresponsable.Lessecondespassèrent,etJulienedisaittoujoursrien.Jen’étaispasstupide.Jesavaisquem’excusern’annuleraitpasleschosesquej’avaisditessurelle,
même si je n’avais jamais eu l’intention de les voir affichées aux yeux de tous. Je n’allaisprobablementjamaispouvoirmeracheterpourladouleurquej’avaiscausée.Pourtant,lesnœudsquiserraientmapoitrineserelâchèrentlégèrement.– Je ferais mieux d’y aller, dis-je en commençant à reculer. J’espère que tu vas retrouver tes
devoirs.–Ouais…Ellemeregardam’éloigner.Sonexpressionnerévélaitriendecequ’ellepouvaitpenserdemoi,de
mesexcuses,oudequoiquecesoit.Puiselleajouta:–Merci.Jehochailatête,puismedirigeaiversmasalledecours.C’estalorsquejelerepérai,deboutàcôté
descasiers,sonportableàlamain.Nosregardssecroisèrent,etilabaissalentementsontéléphone.Jemepréparaiàunnouveaucommentairesarcastique,maisaulieudeça,ildéclara:–Honnêtement,jenesavaispasquetuenavaisun,Flay.Jecroisailesbras.–Quej’avaisquoi?Il sourit largement avant de tourner au coin du couloir et de disparaître à ma vue. Sa réponse,
cependant,résonnalongtempsaprèssondépart:–Uncœur.
CHAPITRE8
Aprèsl’appel,jemeglissaidanslescouloirs,latêtebaissée,espérantnepasêtrereconnue.J’étaisà
mi-chemindemadeuxièmesalledecoursquandjerepérailecopaind’Amber,Jeremy,quis’avançaitdansmadirectionavecdeuxdesespotesducoursdelutte.Monestomacsenoua.J’accélérailepas.J’avais la ferme conviction que la cavité de son crâne, là où le cerveau aurait dû se trouver, étaitentièrementrempliedetestostérone.Iln’yavaitqu’unechosequ’ilaimaitdavantagequetabassersesadversairessurlering,c’étaitsebastonneraveclesautresélèvesdanslescouloirs.Jen’avaismêmepasfaitdeuxmètresquesamainserefermasurmonbras.–Hey,Rey!Jeremysepenchasurmoi.Ensentantsonsouffledansmoncou,jeparvinstoutjusteàréprimerun
haut-le-cœur. J’aurais dûme douter que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il vienne sefoutredemoi.Iladoraits’enprendreauxpersonneslesplusvulnérablesdel’école,etencemoment,j’étaisentêtedeliste.–Nemetouchepas!fis-jeenmelibérantd’uncoupd’épaule.Iléclataderireetlevalesmains.–Héoh!Pasbesoindefairelagueule,j’essayaisjusted’êtreamical.Ilparaîtquetun’aspastrop
d’amisencemoment…Sansprendrelapeinederépondre,j’accélérailepas.Ilfitdemême,calquantsonalluresurlamienne.– Je sais que tu nem’aimespas, dit-il.Que tu nem’as jamais apprécié.Mais ça, c’est seulement
parcequetunemeconnaispas.Ilpassaunbrasautourdemoncouetm’attiracontre lui.Sonparfumfortetépicémebrûlait les
narines.J’essayaidelerepousser,maisilresserrasaprise,mecoupantpresquelesouffle.–Donne-moiunechance. Jeparieque tu te rendrascompteque je suiscapabled’être trèsgentil.
Vraimenttrèsgentil.Sesamiss’esclaffèrentderrièrenous.De la bile me brûlait le fond de la gorge. Je me débattis pour me libérer, mais il me tenait
fermement.Jesavaisqu’iln’étaitpasassezstupidepourtenterquoiquecesoitaubahut,maismalgrétousmeseffortspourgardermoncalme,ilavaitréussiàmetapersurlesnerfs.–Lâche-moi,bordel!Ilgloussaetnebougeapas.Toutautourdenous,d’autresélèvesallaientencoursmaispersonnene
semblaitrienremarquer–oubienpersonnenes’ensouciait.Le Syndrome du Témoin. C’était un phénomène que j’avais étudié en cours de psychologie en
seconde.Enbref, il était rarequ’ungroupedepersonnesvienne en aide à quelqu’unqui avait desennuis,puisquechacunsupposaitqu’unautreallaitlefaire.C’étaitexactementcequiétaitentraindem’arriver.Jeremysepenchasurmoi,seslèvresàuncentimètredemonoreille.
–Allez,Rey!Etsionpassaitunpeudetempsensemble,touslesdeux?Situarrêtesdejouerlesgarces,jepariequ’onpourrabiens’amuser.Jeserraistantlesdentsqu’unesourdedouleurmetransperçalamâchoire.Jevoulaiscrier,maisje
nepouvaispasmepermettredeperdremoncalme:c’étaitexactementcequ’ilvoulait.–Lâche-moi.Maintenant,hurlai-je.J’étaissurlepointd’ajouterquepasserdutempsavecluiétaitladernièrechosedontj’avaisenvie,
maisunemainl’attrapasoudainparl’épauleetletiraenarrière.Brutalementlibérée,jetrébuchaietpercutaiplusieurspersonnesavantderetrouverl’équilibre.– Dites donc, c’est intime ici ! fit Nolan en passant devant moi, faisant face à Jeremy, les bras
croisés.Commentçasefaitquej’aipasétéinvité?Monesprit tourbillonnait. J’essayaisdecomprendrecequisepassait.Nolann’était toutdemême
pasentraind’essayerdem’aider?Jeremys’appuyacontreuncasierpournepastomberenarrière.Sesdeuxamisseprécipitèrenten
avant,maisillesarrêtad’unemaintendue.Lamâchoireserrée,ilfusillaNolanduregard.–Personnenet’ainvitéparcequetuestaré.Maintenant,dégageavantquejetepètelesdents.Nolansouriait,maissonexpressionn’avaitriend’amical.Ilfaisaitquelquescentimètresdeplusque
Jeremyetdutbaisserlatêtepourleregarderdanslesyeux.–Cen’estpastrèsgentil,surtoutaprèstonpetitdiscours…Jecroyaisquetuvoulaist’amuser?Ça
tombaitplutôtbien,parcequemoij’adorejouer,ajouta-t-ilenfaisantcraquersesphalanges.J’avais l’impression d’être dans un étrange cauchemar. Il devait y avoir une explication. Nolan
avait-iltoutorganisépourm’humilier?Maissic’étaitunecomédie,elleétaitsacrémentbienfaite.Laviolenceélectrisaitl’air,attirantdesélèvescurieux.LanuquedeJeremydevinttouterougeetsesnarinessegonflèrent.–Tuasvraimentenviedetebattre?ricana-t-il.J’aitoujourssuquetuétaisunputaindeloser,mais
jenesavaispasquetuétaissuicidaire.Etenplus,dequoitutemêles?C’estpascommesic’étaittacopine!Nolanplissalesyeux.Sonsouriredisparutdesonvisage.–Regant’aditdelalaissertranquilleettunel’aspasécoutée,répondit-ilsimplement.Je restai sous le choc. Ce n’était pas un coup monté. Nolan voulait vraiment m’aider… mais
pourquoi?Àprésentquej’étaislibéréedeJeremy,jevoulaisjustecourirmemettreensécuritédansma salle de cours, mais mes pieds refusaient de bouger. J’étais clouée sur place par un bizarresentimentdeloyautéenversNolan.Biensûr,c’étaitunabruti,maisunabrutiquim’avaitdéfendue.Jenepouvaispasl’abandonner.–Depuisquandt’esflic?demandaJeremy.Nolanseredressa,lesépaulesenarrière,lespoingsserrés.–Depuisquelesconnardsdanstongenrenecomprennentpaslemot«non».–«Non?»répétaJeremyavecunsouriregoguenard.Commentunetarlouzecommetoipourrait
savoircequeveutunemeuf?Regancherchaitqu’àm’allumer.Toutlemondesaitquec’estunepute.J’enrestaibouchebée.Jecomprenaispourquoitoutlemondemetraitaitdegarce,maisunepute?
Jen’étaismêmejamaissortieavecungarçon.LamâchoiredeNolansetendit.Lorsqu’ilparla,savoixétaitbasseetmenaçante.–Présente-luitesexcuses.Plusieursvoixexcitéess’élevèrentderrièremoi.Commejenecomprenaispascequ’ellesdisaient,
je me retournai et vis le gardien chargé de la sécurité du lycée se diriger vers nous. Mon cœurs’emballa. L’école avait une politique de tolérance zéro en ce qui concernait les bagarres. Je me
foutaisdecequiarrivaitàJeremy,maisjenepouvaispaslaisserNolansefairevirerpourm’avoirsecourue.Jemerapprochaidelui.–Tuveuxquejem’excuse?s’esclaffaJeremy.Vatefairefoutre!Etelleaussi!–Tuvasleregretter,ditNolanenprenantsonélanpourfrapper.Jemeruaienavant.–Non!Levigilesefrayaitunchemindanslafoule.JesautaipourattraperlebraslevédeNolan,maisce
dernier était plus fort que je le croyais. Au lieu de rabaisser son poing, je me retrouvai presquesuspendueenl’air,accrochéeàsonbiceps.Iltournalatête.Vul’expressiondesonvisage,ilétaitclairqu’ildoutaitdemasantémentale.Puisil
aperçutlegardienderrièrenousetabaissalentementsonbras,mereposantsurmespieds.Legardienfronçalessourcils,lamainagrippéeàsaceinture.–Qu’est-cequisepasseici?Lesélèvesquinousentouraients’éparpillèrent,commedescafardsquisedispersentsousunrayon
delumière.MêmelesdeuxamisdeJeremyl’abandonnèrentsansunregardenarrière.Jeremy ne sembla pas s’en rendre compte. Toute trace de colère disparut de son visage, qui
s’illuminad’unlargesourire.Apparemment,ilavaitl’habitude.–Commentça,qu’est-cequisepasse?fit-il.Ontraînetranquillement.Auxdernièresnouvelles,ce
n’estpasuncrime.–Ouais,biensûr.Legardienserraleslèvresetsetournaversmoi.–Regan,est-cequ’ilsepassequelquechosedontjedevraisêtreaucourant?Jeme recroquevillai.Bien sûr, il connaissaitmonprénom.Et comme jenevoulaispasm’attirer
d’ennuis,pasplusquejen’envoulaispourNolan,jesecouailatête.–Onétaitjuste…entraind’allerencours.LesouriredeJeremys’élargitencoreunpeuplus.–Excusez-moi, intervintNolan,mais ce n’est pas du tout ce qui se passait.Avant quevous nous
interrompiezsigrossièrement,jem’apprêtaisàbotterleculdecemec.Sérieusement,illeméritait.LesouriredeJeremys’évanouit.Legardiensoupiraettirasursaceinture.–Voustrouvezçadrôle?Onvavoiràquelpointlaproviseurevoustrouveraamusantquandvous
irezlavoirdanssonbureau.Nolaninclinalatête,commepourréfléchiràl’invitation.Maisavantqu’ilpuisseendireplus,jelui
donnaiuncoupdepieddansletibia.–Aïe!Ilsetournaversmoi.–Vousavezvuça?fit-ilaugardien.Jeviensd’êtreagressé.Sortezlalacrymo,menottez-la!Cette
filleestunemenace!Uneveinepalpitaitsurlatempedugardien.Jevoyaisqu’ilperdaitpatienceàvitessegrandV.–Jesuisvraimentdésolée,luidis-je.Cen’estqu’ungrosmalentendu.Onvatousallerencours,et
jevousprometsqu’iln’yauraplusdeproblèmes.AvantqueNolanpuisseajouterquelquechosedestupide,jel’attrapaiparlebrasetleserraiaussi
fortquepossible.–Bonneidée,répliqualegardienenplissantlesyeux.Maintenant,dégagezdemoncouloir.
Jeremybaissalatêteets’éloignaaupetittrotNolan ouvrit la bouche,mais je le tirai par le bras, ne lui laissant pas d’autre choix que deme
suivre.Jenerelâchaimaprisequelorsquenousfûmeshorsdeportée.–Bonsang,murmura-t-ilen frottantsonbrasendolori. Jesavaisque tuétaisméchante,maispas
quetuétaisaussiviolente.Tuasdéjàpenséàsuivredescoursdeyoga?Incroyable.Jemeplantaidevantluipourleregarderdanslesyeux.–Tutefousdemoi?Ettoi?Ont’adéjàditquetunesavaispaslafermer?Ilcroisalesbrasetsouritd’unairmoqueur.– C’est pas parce que je refuse d’être un lèche-bottes qu’il faut être aussiméchante. Après tout,
l’honnêtetéesttoujourslameilleuretactique.D’habitude,jefaisaistousleseffortsdumondepouréviterlesconfrontations,maisquelquechose
chezNolanmedonnaitenvied’enroulermesdoigtsautourdesoncouetdeserrertrèsfort.–T’esqu’unabruti.–Ohbien,onenestrevenuauxinsultes.Jecommençaisàm’inquiéter,j’avaisl’impressionqu’on
commençaitàbiens’entendre.–Commesiçapouvaitarriver!Jepivotaisurmestalonsetpoursuivismarouteversmasalledeclasse.Nolanmerattrapatrèsvite.–OhmonDieu,murmurai-je.Pourquoitunepeuxpast’empêcherdemesuivrepartout?Ilsecoualatête.–Jenetesuispas.Onacoursensemble.Jedoisallerparlà.Undébutdemigrainemevrillaitlesorbites.J’allaisencoreêtrebonnepourunnouveauvoyageà
l’infirmerie.Maisaumoins,cettefois,çaseraitseulementpourunIbuprofen.–Tunepeuxpasaumoinsmarcher,jenesaispas,là-bas?fis-jeendésignantd’ungestel’autrecôté
ducouloir.Ilhaussaunsourcil.–Pourquoi?Tuaspeurquetonnouveaustatutdepariaternissemonextraordinaireréputation?–Pastoi?Ilhaussalesépaules.–Jenem’inquiètepaspourcegenredechose.Contrairementàtoi.Jefislamoue.JenesavaispascommentPaytonavaitpuvivredanslamêmemaisonqueluipendant
toutescesannéessansl’assassinerdanssonsommeil.–Sérieux,Nolan,je…Ilm’interrompitd’ungrandsoupirmélodramatique.–Trèsbien.Situt’enfaispourça,jevaisclarifierleschosesdèsmaintenant.Ils’arrêtaetmitsesmainsenporte-voixau-dessusdesabouche.Unfrissondepaniquemeparcourut.Jenesavaispascequ’ilallaitfaire,maisçanesentaitpasbon.
Jebaissailatêteetaccélérailepas.Avantquejepuisseallerbienloin,Nolanfiladevantmoietmebloqualepassage.–Oyez,bonnesgens!Ceciestunmessaged’intérêtpublic!Jesuisseulementen traind’alleren
cours enmarchant à proximité de Regan Flay. Ça ne signifie pas que je suis de quelquemanièreassocié ou apparenté à elle. Notre proximité lors du changement de salle n’est qu’une purecoïncidence!Il rabaissa sesmains pourme regarder – comme tout lemonde dans le couloir. Lamoitié riait,
l’autremoitiélevaitlesyeuxaucieletlançaitàNolandesregardsagacés.Mesjouesétaientsibrûlantesquej’avaisl’impressionquemapeauallaitsemettreàfondre.
Nolansourit.–Satisfaite?Jelefusillaiduregard.–Tuesmalade?Situveuxmesatisfaire,fous-moilapaix.Jelecontournaietcouruspresquejusqu’àlasalledelittératurecontemporaine.J’entraientrombe,sousleregardsuspicieuxdeMadameLochte.Aussinonchalammentquepossible, je ralentis l’allureetm’assisaupremier rang,aussi loinque
possibledelaplacehabituelledeNolan.Lorsqu’ilentradans lasalle, jebaissai lesyeuxsurmonsacàdosetprismontempspoursortir
meslivresetlesempilerproprementsurmonbureau.–Pssst,murmuraunevoix.Ma gorge se serra. Jeme figeai. S’il vous plaît, monDieu, non. Lentement, je me tournai pour
découvrirNolanquimesouriait,assisàlatabled’àcôté.Ilmefitunsignedelamain.Jebaissai la têteetpassaimesdoigtsdansmescheveux,espérant soulager lapressionqui s’était
installéedansmoncrâne.Mêmesijecroyaisaukarma,avais-jecommisdesactesassezterriblespourmériterleharcèlementsansfindeNolan?–Pssst,fit-ilencoreplusfortcettefois.Lorsque le cours aurait commencé,Madame Lochte ne tolérerait plus lemoindre bavardage. Je
savaisqueNolansefichaitdes’attirerdesennuis,etj’étaisprêteàparierquesijeneluirépondaispasmaintenant,ilcontinueraitàm’appelerjusqu’àcequejecède.Jeretroussaileslèvresenunegrimacemenaçante.–Quoi?Ilposasonmentondanssonpoing.–Cen’estqu’uneintuition,maisj’ail’impressionquetunem’aimespas.Jemeretournaiversletableau,ouvrismoncahieretdécapuchonnaimonstylo.–MerciSherlock,murmurai-je.–Pourtant,jet’aiaidéetoutàl’heure…AvecJeremy.C’étaitdoncàçaqu’il jouait? IlpensaitavoirgagnéunpasseVIPpourmeharceler,simplement
parcequ’ilm’avaitaidéeàmedébarrasserdeJeremy?–Jenet’aijamaisdemandédem’aider.Jemedébrouillaistrèsbientouteseule.Ilricana.–Maisbiensûr…Jem’apprêtaisàrépliquer,maislaclochem’interrompit.MadameLochteselevadesonbureauet
se plaça devant la classe. Elle effleura le tableau tactile, et un livre d’images avec un chiot sur lacouvertureapparut.– Aujourd’hui, nous allons évoquer les livres d’images pour enfants et étudier leur structure
tripartite.Jemeréjouisensilence.Àprésent,Nolannepourraitplusm’ennuyersansattirerl’attentiondela
prof.Jemecalaiaufonddemachaiseet inscrivis livresd’images surmoncahier.MadameLochtecommença à lire le livre à voix haute. Elle avait lu deux pages quand unmorceau de papier pliéatterritsurmonbureau.Jetapotaimonstylosurmoncahieretpoussaiunprofondsoupir.J’avaisprismesdésirspourdes
réalités.–Psssst,murmuraNolan.Commeilneserendaitcomptederienetnecontrôlaitpaslevolumedesavoix,sonmurmureattira
l’attentiondelaprofquilevalesyeux,lessourcilsfroncés.Sonregardpassasurnoustous,etjenepusm’empêcherdemerecroquevillerquandiltombasurmoi.Ellemefitendurerplusieurssecondesdesonregardglacial,puisseretournaenfinpourreprendresalecture.Les rubans d’angoisse qui me comprimaient la poitrine se détendirent. Je jetai un coup d’œil à
Nolan,quimesouriaittoujours.IldésignalepapierposésurmonbureauetarticulasilencieusementlesmotsDéplie-le.Jesavaisqu’ilnelâcheraitpasl’affairesijerefusais,alorsjedépliaiprécautionneusementlepetit
triangle de papier et le lissai jusqu’à ce qu’il tienne à plat sur mon bureau. Écrite d’une écriturebrouillonne se trouvait la question :Est-ce que tu m’aimes bien ? En dessous, deux cases étaientdessinéesaveclesmotsouietnon.OhmonDieu,j’avaisaffaireàunélèvedematernelle!–Réponds,murmura-t-il.Mamâchoireétaitsiserréequemesdentsmefaisaientmal.Jeprismonstyloetcochainonavantde
luirendrelepapier.Nolanygriffonnaquelquechoseetmelerendit.Àboutdepatience,jebaissailesyeuxsurlepapier
pourytrouverunenouvellequestion:Pourquoi?CommeMadameLochtelisait toujours, jenotai :Iln’yapasassezdeplacesurcepapierpoury
fairelalistedetoutesmesraisons.Etjeposailepapiersursonbureau.Illelut,sourit,puisinscrivituneréponsequ’ilmetendit.Engrandeslettresgrassesétaientécritslesmots:Parlons-enaudéjeuner.Je failliséclaterde rire.Commesi j’allaispasser toute l’heuredemidià l’écouter semoquerde
moi et me faire des reproches. Et puis, si j’avais le moindre espoir de rebâtir ma popularité, ladernièrechosedontj’avaisbesoinétaitdelaruinerencoredavantageentraînantaveclemecleplusbizarredulycée.Jerépondisnon,fisunebouletteaveclepapieretlajetaisursonbureau.Ildéplialabouletteetregardafixementmaréponse.Unesecondeplustard,ilsetournaversmoi,
maisavantqu’ilpuissedirequelquechose,MadameLochtedemandasiquelqu’unpouvaitexpliciterlamétaphoreentrelamèreperduedupetitchiotetlasociétémoderne.Soulagée, jeme détendis et fis demonmieux pour être attentive au cours.Malheureusement, le
souvenirdubrasdeJeremyserréautourdemoncounecessaitdemehanter.Rienqu’àcettepensée,mon cœur s’emballait et les mots de Madame Lochte se mêlaient pour ne plus former qu’unbourdonnement incohérent. Amber avait-elle envoyé Jeremy ? Ou avait-il décidé de me harcelerparcequ’ilpensaitquepersonnenel’enempêcherait?Maisquelqu’unl’avaitarrêté.Lorsque la cloche sonna, je me levai et rassemblai en hâte mes affaires. Je préférais encore
affronter le couloir qu’être obligée de subir Nolan. Dès que j’eus refermé mon sac à dos,MadameLochteapparutdevantmonbureau.Ellehaussaunfinsourcilroux.–MademoiselleFlay?MonsieurLetner?Restezassis,s’ilvousplaît. Il fautquenousayonsune
discussion.Un lourd sacde sable s’abattit surmonestomac. Jeme laissai retomber surmachaise.C’était le
deuxièmejourdesuiteoùellemedemandaitderesteraprèslecours.Cen’étaitpasbon.Àcôté,Nolansouritethaussalesépaulesd’unairpeuenthousiaste.–Biensûr.C’esttoujoursunplaisirdepasserdutempsavecvous.MadameLochtecroisalesbras.
–Charmant,MonsieurLetner.Elleattenditquelesderniersélèvessoientsortis,puiss’assitsurleborddesonbureau.– Je n’ai pas pum’empêcher de remarquer à quel point vous aimiez écrire pendantmon cours,
déclara-t-elleenfin.Le poids qui lestait mon estomac s’alourdit à tel point que je crus passer à travers ma chaise.
Commentavait-ellepunousvoir?J’avaispourtantfaitattention.–Etpuisquevousaimeztantécrire,poursuivit-elle,j’aidécidédevousdonneràtouslesdeuxun
devoir supplémentaire.Vous allez travailler ensemble surun livred’imagespour lundi.Vous allezécrirel’histoire,MademoiselleFlay.EtcommeMonsieurLetneraimetellementl’art,ajouta-t-elleendésignantlespetitsdessinsgribouilléssursoncahier,ils’occuperadesillustrations.–Non!m’écriai-je.Machaisebasculasursesdeuxpiedsarrière,jeretrouvail’équilibredejustesse.–Vousnecomprenezpas!Jenepeuxpastravailleraveclui!Ilest…insupportable.–Oh ? fitMadameLochte en inclinant la tête. Pourtant vous sembliez bien vous entendre quand
vousvouspassiezdespetitsmotspendantmoncours.Elleselaissaglisserdesonbureauetnousmontralaporte.–Leprojetestàrendrepourlundi.Sivousnerendezrien,vousserezcollés.Vouspouvezdisposer.–Mais…commençai-je.–Vouspouvezdisposer,répétaMadameLochte.Ellefitletourdesonbureauets’assit,reportantsonattentionsursonordinateurportable.JejetaiunregardnoiràNolan,quisemblaitsurlepointd’éclaterderire.Lacolèrequimontaiten
moidepuislematinatteignaitdesproportionsépiques.–Tu…Ilyavaitenvironunmilliondenomsd’oiseauquej’avaisenviedeluidonner,maisavecMadame
Lochteassiseàquelquespasdenous,jenepusquerépéterunseulmot:–Tu…Ilcontinuaitàsourire.Jemevisl’attraperparlescheveuxetluicognerlatêtesursonbureau.Le
fantasmemesoulageaàpeine.–Onva être obligés de se voir ceweek-endpour travailler sur le livre, dit-il.Chez toi ou chez
moi?Jegrognaietsortisaupasdecharge.Jen’avaismêmepasbesoindemeretournerpour levoir :
j’entendais son foutu sourire dans sa voix. Ce serait unmiracle si nous parvenions à terminer ledevoir.Jerisquaisplutôtdelemassacreravantmêmequenousayonscommencé.
CHAPITRE9
–Regan!appelaunevoixgravederrièremoi.Non, non ! Pas moyen que j’accepte encore de me laisser martyriser par Nolan ! Et comme il
n’allaitpasmettrelongtempsàmerattraperavecseslonguesjambes,jefonçaiversleseulendroitoùilnemesuivraitpas.–Regan.Attends!J’étais hors d’haleine en arrivant devant les toilettes des filles. Ces mêmes toilettes qui nous
servaient de quartier général avec Payton et Amber quand nous voulions dire du mal de tout lemonde.Cesmêmestoilettesoùjem’étaiscachéelaveille.Commeellessetrouvaientdanslapartielaplus ancienne du bâtiment et avaient désespérément besoin d’une bonne rénovation, la plupart desfillespréféraientleséviter.Enpoussantlalourdeporte,jefussoulagéeden’ytrouverpersonne.Jem’approchailentementdeslavabosetposaimonsacsurlaporcelainecraquelée.J’allaisavoirbesoind’aidesijevoulaissurvivreàcettejournée.Jefouillaidansmonsac,àlarecherchedemonflacondepilules.–Ah,tueslà,fitunevoixquirésonnasurlesmurscarrelés.Jesursautaietretiraimamaindemonsac.Nolanentradanslestoilettesetlaissalaporteserefermerderrièrelui.Ilpassaunemaindansses
cheveuxetregardaostensiblementtoutautourdeluiavantdepousserunlongsifflement.– C’est vraiment…merdique. Pas du tout ce à quoi je m’attendais. Où sont les méridiennes en
velours?Etlemecensmokingquivousdonneuneserviettequandvousavezfinidevouslaverlesmains?Jem’appuyailedoscontrelelavabo.Iln’yavaitqu’unesortie,etNolanlabloquait.–Tunepeuxpasentrerici.Tuvastefairevirer.Illevalesmains.–Oh,non!Pitié,nemechassezpasd’unendroitquejedéteste!Ils’appuyacontrelelavabovoisindumienetcroisalesbras.IlfallaitbienêtreNolanpouravoir
l’airaussinonchalantdanslestoilettesdesfilles…–Jen’avaispaslechoix,ilfallaitquejeteparle.Ilfautqu’onprépareceprojet.–Tusais,cen’estpaspourrienquejet’évite.Onnepeutpasseblairer.Jepassailalanguesurmeslèvresetregardailaporte.Toutcequ’ilmefallait,c’étaitquequelqu’un
entreafindedistraireNolanassezlongtempspourmepermettredem’échapper.–Nepasseblairer,c’estunpeufort.Jepenseque«sedétester»estplusapproprié,non?Des voix dans le couloirm’empêchèrent de répondre. J’espérai queNolan se fasse griller,mais
lorsquelesvoixs’approchèrent,monexcitationlaissaplaceàlaterreur.Amber.Merde.Lapeurmenoual’estomac.Leseulmoyenpourmoidesurvivreàmachutedepopularité
était deme fairediscrète jusqu’à cequemon scandaledeviennede l’histoire ancienne, etme faire
surprendre dans les toilettes seule avec Nolan allait ruiner toutes mes chances de rester loin desprojecteurs.Etcommetoutefuiteétaitimpossible,nousdevionsnouscacher.–Viens!fis-jeenluiattrapantlebras.Ilouvritdegrandsyeux.–Qu’est-cequetu…–Chut!soufflai-je.Jel’entraînaidanslestoilettespourhandicapésetverrouillailaportederrièrenous.Il s’apprêtaàprotester,maisavantqu’ilpuissedirequelquechoseet trahirnotreprésence, jeme
jetaisurluietplaquaimamainsursabouchejusteaumomentoùlaportes’ouvraitengrinçant.Jelepoussaicontrelemurdufondetpriaiensilencepourquepersonneneregardesouslaporte.–Jen’arrivepasàcroirequ’elleaitessayédedraguertonmec!s’écriaunefille.Je me penchai pour regarder par l’ouverture de la cabine. Je voulais voir si Payton était avec
Amber.Non.Lafillequivenaitdeparlern’étaitautrequeTaylorBradshaw,lafillequiavaitprismaplacedansl’équipe.Apparemment,Ambers’étaitdégotéunenouvellegroupie.–ÇamontreseulementlegenredemeufqueReganestvraiment,répliquaAmber.Unesalepute.MamaintombadelabouchedeNolanetmapeurd’êtredécouvertes’estompa,laissantlaplaceàun
horriblesentimentdevide.–Ilparaîtqu’elles’estquasimentjetéesurJeremyjusteavantlatroisièmeheuredecours,déclara
Taylor.Ambers’esclaffa.–Pathétique,hein?Elleadûcroirequ’ellepourraitregagnersapopularitéousevengerdemoien
couchantaveclui.Commes’ilavaitenviedetoucheràsongrosculdepute!Monpoulsbattaitviolemmentsurmestempes.Commesi,demoncôté,j’avaisenvied’approcher
cetabruti!Apparemment,soitJeremyavaitracontéàAmberuneversion trèspersonnelledenotrerencontre,soitelleétaittropconnepourvoirlavéritéenfaceausujetdesonperversdecopain.LorsqueNolanm’attrapaparlebraspourmetirerenarrière,jemerendiscomptequej’avaistendu
lamainverslapoignéedelaportedelacabine.J’avaisenviedemedébattre,demerueràl’extérieuretdemejetersurAmber,mêmesijesavaisquec’étaitsynonymederenvoietquemamèrenemelepardonneraitjamais.Jem’enfoutais.Enfait,jetrouvaisçadeplusenplusdurdem’inquiéterdequoiquecesoit.J’entendislebruitd’untubederougeàlèvresqu’onouvre.–Elleadelachancequejenel’aiepascroiséeaujourd’hui,déclaraAmber.Jeluiauraisfoutula
racléedesavie.Àcesmots,unevaguedefrissonsm’assaillit.Ilsmontèrentenpuissancejusqu’àcequemesdents
se mettent à claquer. Génial. Ce n’était pas le moment de faire une crise de panique, mais je nepouvais rien faire pour l’empêcher. Nolan m’attrapa par les épaules et m’attira contre lui,m’enveloppantdesesbrasetdesachaleur.J’auraisdûreculer–sesbrasétaientledernierendroitoùj’auraisdûavoirenviedemetrouver–,maisjen’enavaispaslaforce.Etmêmesicettepenséemerévulsait,sontorseétaittièdeetsesbrasétaientforts.Jemesentaisensécuritépourlapremièrefoisdepuislongtemps.Taylorgloussa.–Jepaieraischerpourvoirça.–Oh,chérie,tun’auraispasàpayer.J’entendisleclicdutubederougequ’Amberrebouchait.– Je le ferai gratos. Et je parie que je ne seraimême pas suspendue.Vu comme toute l’école la
détesteencemoment,ilsferaientsûrementunefêteenmonhonneur.–Carrément!–Jevaistedireunechose,repritAmber.Lesbruitsdeleurspassedirigèrentverslaporte.–Sielleposeencoreneserait-cequ’unefoislesyeuxsurJeremy,jelesluiarrache!Laportedestoilettesgrinça,etlesbruitsdeleurspass’éloignèrentdanslecouloir.Malgréleurdépart,jerestaidanslesbrasdeNolan.J’avaisenviedelerepousser,deluicrierdeme
laisser tranquille,mais je savais que s’ilme lâchait, j’allaism’effondrer comme une loque sur lecarrelagecraquelé.Sesbrasétaientlaseulechosequimemaintenaitdebout.Mesjouesetmesyeuxmebrûlaient.Unseulclignementdepaupières,etj’allaisfondreenlarmes.
Unseulclignementdepaupières,etNolanauraittoutcequ’ilvoulait.IlauraitvuReganFlaysebrisersoussesyeux.Ilsauraitàquelpointj’étaisfaibleenréalité.Mesyeuxsetroublèrent.Jesavaisquejenepourraispasleslaisserouvertspourtoujours.Jecillai.Jedus invoquermesdernières forcespourm’arracher à sonétreinte. J’enfouismonvisagedans
mesmains etme blottis dans le coin le plus éloigné de lui. Je ne pouvais pas le laisserme voirm’effondrer.–Regan.Lafaçondontilavaitprononcémonnométaitdifférente.Plusdouce.Plushésitante.Jesecouailatête.–S’ilteplaît,va-t’en.Ilnebougeapas.Mevoirtomberenmorceauxdevaitêtretropirrésistible.Aprèstout,n’était-cepas
cequ’ilavaitvouludepuisledébut?Ilm’avaitditquejenetiendraispasunesemaine,etilavaiteuraison.Je refusais de le regarder. Il avait probablement sorti son putain de téléphone pour filmer ma
débâcle.–S’ilteplaît,Nolan.S’ilteplaît,va-t’en.Unsilences’installa,puisilrépondit:–Jenecroispasquetudoivesresterseule.Malgréleslarmesquicoulaientsurmesjoues,jem’esclaffai.–Vraiment?J’essuyaimesjouestrempéesdureversdelamainetmetournaiverslui.–Tuvasvraimentfairecommesituenavaisquelquechoseàfoutre?Sonvisageétaitplussérieuxquejamais.Pasmêmel’ombred’unsouriresurseslèvres.–C’estpasparcequ’onnes’entendpasquej’aienviedetevoirblessée.Jenesuispasunmonstre.Venantdumecquin’arrêtaitpasdemeharceler…–Peuimporte.Va-t’en,c’esttout.Ilnebougeapaspendantquelquessecondes,puishochalégèrementlatête.–Sic’estcequetuveux.–C’estcequejeveux.–OK.Ilouvritengrandlaportedelacabineetfitunpasàl’extérieur.Aussitôt,sesyeuxseposèrentsur
les miroirs et il pinça les lèvres. Il murmura quelque chose, mais ses mots ne furent qu’ungrognementindistinct.Curieuse de voir ce qui l’avaitmis soudainement en colère, je sortis la tête de la cabine. Sur le
miroirdumilieu,écritaveclerougeàlèvressignatured’Amber,s’étalaientlesmots:REGANFLAYESTUNESALEPUTE.Unpoidssuffocants’abattitsurmapoitrine.Reprendremonsoufflemecoûtamesdernièresforces,
etjem’effondraicontrelaportedelacabine.– Ça commence à devenir incontrôlable, marmonna-t-il en attrapant une serviette en papier du
distributeurautomatique.Ilessuyalesmotsinscritssurlemiroirjusqu’àcequ’ilneresteplusqu’unelonguetrainéerouge
vif.Lorsqu’ileutterminé,ilchiffonnalepapierdanssamainetmeregardalonguement,sapoitrinesesoulevaitaurythmedesarespirationsaccadée.LoindelachaleurdeNolan,lesfrissonsrevenaient.
Jeserraisdésespérémentlesbrascontremapoitrine,maisrienn’yfaisait:jenepouvaisleschasserseule.Jepréféraisnepaspenseràcequecelasignifiait.Nolanenlevasonblazeretleposasurmesépaules.Ilétaitchaudetavaitsonodeur,cemélangede
pin et d’agrumes que j’avais senti dans le couloir. La chaleur pénétramon corps et, peu à peu, jecessaidetrembler.Merde.Jenecomprenaispas.Nolannesecomportaitpasdutoutcommed’habitude.–Pourquoi?Ilfourrasesmainsdanssespoches.–Tuavaisl’aird’avoirfroid.Sansme laisser le tempsde répondre, ilme tourna ledoset s’enalla,me laissant seuledans les
toilettes,pelotonnéedanssachaleur.
CHAPITRE10
Cesoir-là,quandmamèreapparutdanslevestibuleàsonretourdeWashington,jedusmeretenirà
grand-peinedevomirsursesbagagesVuitton.Quandpapam’appelapourdîner,jecombattisl’enviedem’enfouirsousmescouvertures.Jesavais
quemecachern’allaitservirqu’à l’inquiéter,et ilétaitdéjàassezméfiantcommeça.Jemetraînaidoncaurez-de-chausséeetmelaissaitombersurmachaisedanslasalleàmanger.Mamère,déjàengrandeconversationavecpapaau sujetduprojetde loi sur la réformedes impôts, jeta àpeineunregarddansmadirection.Sonindifférenceauraitdûsoulagermonangoisse,maisjesavaisquecen’étaitqu’unequestionde
temps avant qu’elle tourne vers moi son regard en rayon laser. Je ne voulais pas parler de majournée, ni des pom-pom-girls, ni de rien qui lanceraitmaman dans une tirade surma tendance àruinermonaveniret,parassociation,lesien.–Regan,chérie,ditpapa.Tuasàpeinetouchéàtonassiette.Mamanmeregardad’unairapprobateur.–Peut-êtrequ’ellesurveillesonpoids,chéri.C’estbien,Regan.Avecl’électionquiarrive,ilyaura
encoreplusd’interviews,etlescamérasajoutentbiencinqkilos.Àcesmots,lefilbarbeléenrouléautourdemapoitrineseresserra.Jerepoussaimonassiette.–Jepeuxquitterlatable?–Jenetrouvepasquetuaiesbesoindeperdredupoids,déclarapapaenprenantsaserviettesurses
genouxpourlaposersurlatable.Enfait,jetetrouvemêmeunpeumaigre.Pourquoitunemangespas?Quelquechosenevapas?Sansmêmequittersonportabledesyeux,mamanagitalamaind’ungestedédaigneux,commesila
simpleidéequesafillepuisseavoirdesproblèmesétaitridicule.– C’est une sportive, Steven. Les sportifs ont besoin de surveiller leur alimentation. Au fait,
commentsepassentlesentraînements?medemanda-t-elleenposantsontéléphone.–Euh…Jemordisl’intérieurdemajoueetmeconcentraisurmonsouffle.Inspire, expire. Inspire, expire. Toute excuse que j’aurais pu inventer pour expliquer pourquoi je
n’étaispasdansl’équiperestacoincéeaufonddemagorge,bloquéeparunnœudquejenepouvaisdéfaire.Mamanplissalesyeuxetsepenchaversmoi.–Tuesbienentréedansl’équipe,Regan?–Euh…Ungrondementsourdrésonnaitdansmatête.Lesmursdelasalleàmangersemblaientvouloirse
refermersurmoi.L’airdanslapièceseraréfia,etlesbarbelésinvisibless’enfoncèrentencoreunpeuplusdansmapoitrine,m’empêchantderespirer.–Regan?
Papaselevasivitequesachaisereculad’unetrentainedecentimètres.Ilseruaàmescôtés.–Çava,moncœur?Tuasbesoindequelquechose?Ilattrapamamain.Elleétaitenfeu.Mamanpritletempsdepliersaservietteenuncarréparfaitetdelaposeraucentredesonassiette
avant de se lever. Elle quitta la pièce pour revenir quelques secondes plus tard avec un flacon depilules.Ellel’ouvritetposaunpetitcachetrosesurlatabledevantmoi.–Prendsça.J’attrapailapilule,maismesdoigtstremblaienttantqu’ellem’échappaetretombasurlatable.–Pourl’amourduciel,Regan!Mamans’emparadelapiluleetlareposadansmamain.–Reprends-toi.J’aimeraisbien,songeai-jeenposantlapilulesurmalangueavantdel’avaleràsec.Papasortitsonportabledesapoche.–J’appelleledocteur.–Non,fitmamanenluiarrachantletéléphonedesmains.Sionappelleensoirée,ilvainsisterpour
qu’onemmèneReganàl’hôpital.C’estvraimentcequetuveux,Steven?Tafilleenferméedanslemêmeservicequelesschizophrènesetleslégumesquipassentleurtempsàsebaverdessus?Etimaginecommelapressevas’endonneràcœurjoies’ilsl’apprennent.LaréputationdelapauvreReganseraitruinée.Je savais qu’elle s’inquiétait davantage pour sa propre réputation, mais pour une fois, j’étais
d’accordavecelle.–S’ilteplaît,n’appellepas,parvins-jeàarticulerentredeuxclaquementsdedents.Je serrai les doigts sur la nappe, espérant calmer les frissons quime traversaient. Ça allait déjà
assezmalcommeçaaulycée.J’imaginaisdéjàcequim’arriveraitsitoutlemondedécouvraitquejesouffraisdedépression.–C’estqu’unepetitecrisedepanique,ajoutai-je.Jetentaidehausserlesépaules,maislemouvementétaittropsaccadépoursemblernaturel.–Onappelleralemédecindemainetonprendrarendez-vous,repris-je.L’airsoucieuxdepapas’accentua.–C’estplusqu’unesimplecrisedepanique.–C’estàcausedespom-pom-girls,c’estça?demandamaman.Tun’espasentréedansl’équipe?Jenepouvaisplusnier.Jesecouailatête.Mamanpressasesdoigtssursestempesetfermalesyeux.–Cen’estrien,murmura-t-elle,mêmesijenesavaispastropsielles’adressaitàelle-mêmeouà
moi.Ilrestetoujoursl’électionauconseildulycée.Jebaissailesyeuxsurmonassietteetnepipaimot.– Regan Barbara Flay, repritmamère d’une voix basse etmenaçante. Dis-moi que tu concours
toujoursàl’élection.Commejenerépondaispas,ellem’attrapalementonetrelevamonvisageverslesien.–Tutedrogues,c’estça?Tutedrogues!Jefailliséclaterderire.Biensûrquejemedroguais.Ellevenaitjustedemedonnerunepilule.Papapritunegrandeinspiration.–Tunetedroguespas,n’est-cepas?Jetournailatêteverslui,autantquemelepermettaientlesdoigtsdemaman.Jen’étaispasdutout
surprisequ’ellem’accused’unechoseaussiridicule,maisjen’arrivaispasàcroirequepapapuisseavoirunesipiètreopiniondemoi.–Àpartlespilulescontrel’anxiété,non.Mamanmerelâcha.–Vraiment?Alorscommentexpliques-tutonattitude?Pourquoiruinertonavenirsicen’estpas
pourladrogue?Tuavaisdesprojets,Regan.–Ahoui?Jemelevai.Jetremblaistoujours,maisjenesavaispastropsic’étaitdûàlapaniqueouàlacolère.–Parcequejesuisàpeuprèssûrequetouscesfameuxprojetssontlestiens,rétorquai-je.Ellerecula,bouchebée.Ellerestafigéequelquessecondes,puisrefermalaboucheetseredressa.–Jevois.Elleseleva,attrapamonpèreparlepoignetetl’entraînaversl’escalier.Mesmusclesse tendirent.Pendant toutescesannées, jamaismamèren’avaitbattuenretraite lors
d’uneconfrontation.Alors,quoiqu’ellesoitentraindefaire,cen’étaitpasbon.Jelessuivisàl’étagepourdécouvrirquelaportedemachambreavaitétéouverteetlalumièreallumée.Je m’approchai lentement et jetai un coup d’œil dans la pièce. Mon souffle se bloqua dans ma
gorge.Papaavaitdéjàarrachélesdrapsdemonlitetétaitentraindesouleverlematelas.Mamère,quant à elle, était agenouillée devant les deux tiroirs vides dema commode.Les chaussettes et lessous-vêtementsqu’ilsavaientcontenusétaientéparpillésdanstoutemachambre.J’étais figéesurplace, incapablede faireautrechosequede regarder tandisqu’ilscontinuaientà
mettremachambreàsac.Mes livres furentarrachésdesétagèreset jetéspar terre, lescouverturespliéesetlespagesfroissées.Lecontenudematrousseàmaquillagefutrenversésurmacoiffeuse,etles tiroirsdemonbureauretournés.Papaallamême jusqu’àmontersurmachaisedebureaupourpasserlesdoigtssurlebordmonabat-jour.Je regardais en silence, avalant ma salive encore et encore, essayant de desserrer le nœud qui
bloquaitmagorge.MamèreattrapaCarottesursonétagèreet,aprèsunrapideexamen,lejetadansuncoin.Ilatterrit
surlatête,uneoreillerepliéesurl’œil.Levoirdanscetétatmetiradematorpeur.J’entraidanslapièceenprenantgardeànepasmarchersurmesaffaireséparpillées,prismapeluchedansmesbrasetleserraisurmapoitrine.Le souvenir de Nolan me serrant contre lui me fit frissonner. Soudain, il me manqua. Cette
révélation me secoua jusqu’au plus profond de moi. Je n’avais pas besoin de lui. Ce n’était paspossible.Saufque,aprèslafaçondontilm’avaitdéfendueetprotégée,peut-êtrequesi.–Etnefaispascettetête!ditmamanenreposantmaboîteàbijouxvidéedesoncontenuavantdese
relever.C’estpourtonbien.Pourteprotéger.JerepoussailesouvenirdeNolan.–Meprotégerdequoi?Ellemefusilladuregard.–Nefaispasl’idiote,Regan.Teprotégerdeladrogue.Oùest-elle?L’épuisements’abattitsurmoi.Lapilulecommençaitàfairesoneffet.Incapabledelecombattre,je
m’adossaiaumuretmelaissaiglisserausol.–Jevousl’aidit,jenemedroguepas.– Alors comment expliques-tu ton attitude ? Et ton manque d’ambition ? Je ne te laisserai pas
sabotertonavenirettoutcepourquoituastravaillésidur.Dèsdemainmatin,nousteferonsfaire
uneprisedesang,ajouta-t-elleenagitantl’indexsousmonnez.Jeserraiplusfortlelapinenpelucheethaussailesépaules.–Faiscequetuasàfaire.Ellerabaissalamain.Seslèvresétaientsiserréesqu’ellesavaientpresquedisparu.–Tuferaisbiendeprierpourqueletestsoitnégatif.Toutemacampagneestbaséesurlesvaleurs
familiales.Qu’est-cequelepublicpenseraitdemoisimaproprefilleétaitunejunky?Jenerépondispas.J’avaispeurdecequejerisquaisdedire.Biensûr,elleavaitréussiàretourner
lasituationpourenfairequelquechosequilaconcernait,elle.Biensûrquesi jemedroguais,elles’inquiéteraitpluspoursonimagepubliquequepourmasanté.Desmèches de cheveux s’échappaient de son chignon bien serré. Elle les repoussa du bout des
doigts.–Jenecomprendspas,Regan.Sicen’estpasladrogue,qu’est-cequisepasse?Commentpeux-tu
êtreaussiégoïste?Tunecomprendsdoncpasquetesactesaffectenttoutelafamille?Jenerépondispas.Nonpasparcequejenevoulaispas,maisparcequejen’avaispluslaforcede
mebattre.Ellesetournaverspapa.–Iln’estpeut-êtrepastroptard.Jepourraisappelerl’écoleetparleràl’entraîneusedespom-pom-
girls.Jepourraisluidirequetuaseuunemauvaisejournéeet…–Non!m’écriai-jeenrelevantlatête.Pas moyen quemamère force mon entrée dans l’équipe – surtout dans une équipe dirigée par
Amber.–Çanem’aideraitpas,ajoutai-je.–Etqu’est-cequivapouvoirt’aider,Regan?s’écriamamanenlevantlesbrasauciel.Parcequelà,
j’arriveàcourtd’idées.Dois-jeappeler leconseild’administrationdu lycée?Engageruncoach?Qu’est-cequ’ilfautquejefassepourteremettredansledroitchemin?Jemâchouillaimalèvreinférieure.Jen’avaispaslamoindreenviederetournerdansuneécolequi
nevoulaitpasdemoinidemebattrepourdeschosesquinem’intéressaientpas.–Etsituengageaisuntuteurpourmescolariseràlamaison?Ouest-cequejepourraisaumoins
changerdelycée?–Quoi?Papa,quiétaitentrainderemettremaliterieenplace,s’arrêtapourmedévisager.Maman,quantàelle,secontentadesecouerlatête.–Cen’estpasdrôle,Regan.–Jen’essaiepasd’êtredrôle.Jepensaisjuste…quej’auraispeut-êtrebesoind’unnouveaudépart.Mamanbaissalatêteetpinçal’arrêtedesonnez.– Regan, tu es en première. C’est l’année que les universités prennent en compte pour les
candidatures.Situquitteslelycéeencoursd’annéeparcequetunesupportespaslapression,ilsvontenconclureque tun’espaséquipéepour la fac.Oui,c’estdifficile.Personnen’aimecettepériode,maisonprendsursoietoncontinue.Etc’estexactementcequetuvasfaire.–C’estàcausedecettedisputeavecPayton?demandapapa.Parcequecegenredechoses’apaise
trèsvite,tusais.Ilsuffitd’unpeudetemps.Mamanouvritdegrandsyeux.–Toutça,c’estàcaused’unedisputeavecunedetesamies?Jepensaist’avoirapprisàêtreplus
fortequeça.Tunepeuxpaslaisserunepetiteprisedebecruinertavie!Uneprisedebec.Jememordislalanguepourm’empêcherderétorquerquelelycéeavaitchangé
depuisletempsoùelleyétait.Aulieudeça,jerépliquai:–Ilsefaittardetmachambreestenbordel.–Jevaist’aideràranger,proposapapa.–Paslapeine,répliquai-je.Jemerelevaienm’appuyantsuruncoindelatabledechevet.–Siçanevousembêtepas,jesuisépuisée.Jevaisrangerjustecequ’ilfautpourallermecoucher,
etjem’occuperaidurestedemain.Monpèrehésitauninstantavantdehocherlatête.–Trèsbien.Cequetun’auraspasfaitcesoir,jet’aideraiàlerangerdemain.– Je programme toujours la prise de sang pour demainmatin, déclaramaman en ramassant un
tiroir.Sijedécouvrequetum’asmenti,tuvasenprendrepourtongrade.Enattendant,nousallonsdevoirrévisertonpland’action,puisquetuasdéviédel’ancien.Tuaspeut-êtreenviedesabotertonavenir,maisjenetelaisseraipasfaire.Elle glissa le tiroir à sa place dansmon bureau et le ferma. Je priai en silence pour que ce soit
terminé,maiselletournasoudainlatêteetplissalesyeux.–Qu’est-cequec’estqueça?Sansme laisser le tempsde luidemanderdequoi elleparlait, elle s’emparadublazerdeNolan,
posésurledossierdemachaisedebureau.Aprèslescours,jen’étaispasrepasséeàmoncasieretj’avaiscourudroitauparkingafind’éviterlesmauvaisesrencontres.J’avaisprévudeluirendresavestelelendemain–unedécisionquejeregrettaisàprésent.JeposaiCarottesurl’étagèrederrièremoietfisdemonmieuxpourparaîtrenonchalantemalgré
moncœurquitambourinaitdansmapoitrine.–C’estunblazer,répondis-jeenhaussantlesépaules.Ellepoussaunsoupir.–Mercidel’information.Maistupourraispeut-êtrem’expliquercequ’ilfaitlà?Elleretournalevêtement,l’examinantsurtouslesangles.–Iln’estsûrementpasàtoi.–Non,fis-jeenattrapantlependentifattachéàmoncoupourlefaireglisserlelongdelachaîne.Un
autreélèvemel’aprêté.Je…j’avaisfroid.–Tuastapropreveste,rétorquamamand’unevoixbasse.–Jenel’avaispasavecmoi.Sesyeuxrevinrentàlaveste.–C’estleblazerd’ungarçon,dit-elleenlejetantsurlachaise.Quiestcegarçon?D’oùleconnais-
tu?Sortez-vousensemble?Pourquoinenousl’as-tupasprésenté?OhmonDieu, c’était exactementpour çaque jen’avaispasdepetit ami.Pournepas lui donner
encoreunautreaspectdemavieàcontrôler.–Maman,arrête,cen’estpasça!Jenesorsavecpersonne.Cen’estqu’uneveste.Jeramassaiuncoussinetlejetaisurmonlit.Ellemeregardad’unairsuspicieux.–Bien.Maisjetepréviens,iln’yaurapasdefillemèredanscettemaison.Lesmusclesdemapoitrineseserrèrent.–Onnepeutpastomberenceinteenenfilantuneveste,maman.– Je ne te parle pas de cette veste, répliqua-t-elle d’une voix aiguë qui tenait presque du
glapissement.Jeparledesexe–chosequetuneferaspastantquetuvissousmontoit.C’estclair?–Trèsbien,fis-jeenlevantlesyeuxauciel.Jevaisfairel’amouravecmavestedehors.
Elleémitunesortedegargouillisétouffé,puispointaundoigtsurlapoitrinedepapa.–Tuvois?Voilàpourquoijepensequ’ellesedrogue!Ellenenousauraitjamaisparlécommeça
avant!Dèsdemainmatin,j’appelleledocteur.Ilhochalatêtemaisneréponditpas.–Quantàtoi,reprit-elleentournantsondoigtversmoi,vatecoucher.Tuasintérêtàavoirchangé
d’attituded’icidemainmatin,sinon…Avantquejepuissedemander«sinonquoi?»,elleavaitpivotésursestalonsetétaitsortieaupas
decharge.Unsilences’étiraentrepapaetmoi.Auboutdequelquessecondes,ilpoussaunsoupiretlasuivit,
enfaisantattentionànepasmarchersurlesvêtementsetleslivresquijonchaientlesol.Ils’arrêtaàlaporteetmejetaunregardpar-dessussonépaule.–Ons’occuperadetoutcebordeldemain,déclara-t-il.Ilsortit,melaissantseuleàmedemanderàquelbordelilfaisaitallusion.Machambreoumavie?
Lesdeuxétaientdevraisdésastres.Dupied,jerepoussaiuntasdelivresettraversailapiècepourretrouverlavestedeNolan.Jelapris
surledossierdemachaiseetl’enfilai.Sachaleurs’étaitenvoléedepuislongtemps,maissonodeurétaittoujourslà.Jefermailesyeuxetinspiraiprofondément.Orangesetaiguillesdepin.Quiauraitcru que cette odeur me plairait tant ? Je pouvais presque sentir ses bras se refermer sur moi etm’attirercontrelui.Frissonnante,j’ouvrislesyeux.Bonsang,qu’est-cequinetournaitpasrondchezmoi?Jesecouai
latête,commepourmelibérerdecessouvenirs.J’avaisbesoind’unedistraction.ÀcausedeNolan, j’avaisce livrepourenfantsàécrire.Plus tôt j’enaurais terminé,plus tôt j’en
aurais fini avec lui–pourdebon,mepromis-je. Jeparcourusdesyeux le foutoirdemesaffairesjusqu’àtrouveruncalepinetunstylo,lesramassaietm’assisàmonbureau.Dèsquejem’assis,toutelaforceduXanaxs’abattitsurmoicommeunelourdecouverture.Lesommeilm’appelait,maisjenevoulaispasm’arrêterdansmonélan.Jedécapuchonnaimonstyloetouvrislecalepin.Ilmefallaitunpersonnageprincipal.Jeparcouruslapièceduregard,etmesyeuxseposèrentsur
Carotte.Jesouris.C’étaitfacile;maintenant,toutcequ’ilmefallait,c’étaitunproblèmequ’ildevraitrésoudre.Jetapotaimonstylosurmonmenton.Quelgenredeproblèmerencontraientlesenfantsdecinqans?Perdreunedent?Avoirpeurdunoir?Onécrivaittoutletempsdeslivressurcesthèmes,etilsmesemblaientsifutiles…Mes pensées revinrent à mes propres problèmes, aux murmures qui me suivaient partout, aux
insultes,auxgraffitissurmoncasier.Lesenfantsdequatreetcinqanssefaisaient-ilsharceler?Etsic’étaitlecas,commentétais-jecenséeimaginerunesolutionalorsquejen’enavaispastrouvépourmoi-même?Je m’appuyai sur le dossier de ma chaise et poussai un soupir. Toute la semaine avait été un
cauchemar,etavecAmbercontremoi,jedoutaisquelasituations’améliore.Laseulefoisoùjen’avaispascomplètementdétestémaviecesderniersjours,çaavaitétéquandjem’étaisexcuséeauprèsdeJulieSims.Bon,ellenem’avaitpastoutàfaitpardonné,maisprononcercesmotsavaitunpeudesserrélabandequimecomprimaitlapoitrine.Alors,justecommeça,unehistoirefitsonapparitiondansmatête.Sansavoirécritunseulmot,je
lavissedéroulerenentier.Ledébut,lemilieu,lafin.Toutétaitlà.Ilnerestaitplusqu’àlacouchersurlepapier.Unfrissond’excitationmeparcourutmalgrélatorpeurdumédicament.Jemepassailalanguesur
leslèvresetposailestylosurlepapier.Lesmotssemirentàcouler,presqueplusvitequejepouvaislesécrire.Deuxheuresplus tard, j’avais terminé.Je jetaimonstylosur lebureauetpassai lesdoigtssur le
titre:CarotteleLapins’excuseUnlivred’imagesdeReganFlayPourlapremièrefoisdepuisdesjours,jesouris.
CHAPITRE11
J’étais restée assise devant l’école pendant si longtemps quemon café avait refroidi. Lamatinée
était nuageuse, allongeant les ombres qui entouraient le lycée, le baignant d’obscurité. Plus quejamais,labâtissedebriquesmefaisaitl’effetd’uneprison.Jen’avaispassumerésoudreàquitterlasécuritédemavoiture.Combiendetempsétais-jerestée
assiseici?Quelquesminutes?Unedemi-heure?Letempssemblaitavancerdifféremment.Audébutdel’année,j’enmanquaistoutletemps.Àprésentquej’étaisseule,lesminutess’étiraientàl’infini.Plusquejamais, j’avaisbesoind’unplan.J’enavaismarrederesteràattendrequequelquechose
change.Jesavais,grâceàlapolitique,queletempsetlapatienceétaientlesseulesmanièresdegérerune mauvaise image. Ça et un bon responsable des relations publiques. Et puisque j’étais seule,j’allaisdevoirmoi-mêmecréermabonnecommunication.Maisparoùcommencer?Jereposaimonlatteetsongeaiaupetitgobeletenplastiquequel’infirmièrem’avaitdonnécematin
avantdem’indiqueruncabinetdetoiletteglacial.Mamann’avaitmêmepasprislapeinedes’excuserlorsqueletestavaitconfirméquej’avaisditlavérité.Ildevenaitbientropclairquequoiquejefasse,jeneseraisjamaisàlahauteurdesesattentes.UneToyotanoires’arrêtaàlaplacevideàcôtédemavoiture.CelledeNolan.MonpoulsaccéléralorsquePaytonouvritlaportièrecôtépassageretdescendit.Elles’arrêta,etses
yeuxseposèrentsurlatracedeclésurmavoiture.Lentement,ellecroisamonregard.Toujours blessée par la façon dont elle m’avait traitée, je voulus détourner les yeux, l’ignorer
commeellem’avaitignorée.Aulieudeça,j’ouvrismaportièreetsortisdansl’airfraisdecematind’automne.Onnepouvaitpassiaisémentoublieruneamitiédeprèsdedixans.–Salut,dis-je.Elleavaitdescernessouslesyeux,etsonuniformeétaitfroissé.Jen’arrivaispasàdéterminersi
j’étaiscontenteoucontrariéedevoirqu’elleaussisouffrait.–Salut.C’estnul,dit-elleendésignantd’unsignedetêtemaportièreéraflée.–Beaucoupdechosessontnullesencemoment,répliquai-je.Etmavoitureestbienladernièresur
laliste.Ellemordillasalèvreinférieure.–Çan’apasnonplusétéfacilepourmoi.Àcesmots,unevagued’irritationmesubmergea.Commentpouvait-elledireça?Sonnométait floutésur les textosalorsque lemienétaitaffiché
danstoutel’école.Toutlemondenesemoquaitpasd’elledanslescouloirs,etsesmeilleuresamiesnes’étaientpasretournéescontreelleenpublic.– Tu t’es vraiment foutue de moi, Pay. Avant tout ça, je croyais sincèrement que tu étais ma
meilleureamie.–Cen’estpasjuste,répliqua-t-elle.C’esttoiquiasditquejen’étaisbonnequ’àrépandredesragots.Jericanai.
–Situcroisça,peut-êtrequetonfrèreavaitraisonetquenousn’avonsjamaisétédevraiesamies.Nolanclaqualaportièrecôtéconducteuretnousobservadepuisl’autrecôtédelavoiture.Paytonnousregardaalternativement,unairperplexesurlevisage.–Vousvousêtesparlé?Jecroisailesbras.Pasquestionquejerépondeàcettequestion.–Alors, quoi ?C’estAmberque tuvas croire, et pas tameilleureamie que tu connais depuis le
primaire?Vachementlogique,Pay!Elleouvritlaboucheetlareferma,leslèvrestremblantes,commesielleétaitsurlepointdefondre
enlarmes.–Jure-le.Promets-moiquetun’asjamaisditça,bafouilla-t-elle.Ellelevalamaindroite,lepetitdoigttenducommenousfaisionsquandnousavionshuitans.–Sionétaitvraimentamies,dis-je,jenedevraispasavoirbesoindefaireça.–Jesuisdésolée,Regan.Moiaussi,jecroyaisqu’onétaitmeilleuresamies.Maisdesfois,mêmeles
meilleuresamiesontbesoindegaranties.D’aprèstalogique,êtreamiesvoudraitdirequejen’aipasle droit d’avoir des moments d’incertitude ? poursuivit-elle d’une voix qui grimpa d’une octave.J’imagineque jen’aipasnonplus ledroitdemesentirconfusenid’avoirdesdoutes?Parcequec’est bien connu, le lycée c’est tellement facile, c’est tout le temps parfaitement logique… Je suisdésolée,Regan,j’aimerdé…maistoiaussi.Je la dévisageai. Je ne l’avais jamais vue aussi remontée. Elle me regardait fixement, les yeux
grandsouverts.Quelquesmèchesdecheveuxs’étaientéchappéesdesonserre-tête.Peut-êtren’étais-jepaslaseuleàsouffrir,aprèstout.–Bonsang,Pay,vucommeça…J’enroulaimonpetitdoigtautourdusienettirai.–Tuesmameilleureamie.Jen’aijamaisditdemaldetoi.Jetelejure.Sesyeuxpassèrentdenosdoigtsjointsàmonvisage.Lorsqu’elleparla,savoixs’étaitradoucie.–Écoute,jereconnaisquej’aieutortdenepast’avoirécoutée,maisaprèsl’épisodedesmessages,
Ambern’arrêtaitpasdediretouscestrucssurtoi,etj’aijuste…paniqué.Jesuisdésolée.Après m’avoir serré le doigt plusieurs fois, elle laissa retomber mamain et recala ses mèches
éparsessoussonserre-tête.–Est-cequ’onpeutsereparler?ajouta-t-elleavecunsourirepleind’espoir.Mêmesilablessuredesatrahisonétaittoujoursvive,jedevaisadmettrequ’elleavaitraison.Nous
avions toutes deux commis des erreurs.Comment pouvais-jem’attendre à ce qu’elle pardonne lesmiennessijenepardonnaispaslessiennes?Jeluirendissonsourire.–Onpeut.Nolan fit le tourde savoiture et s’arrêtadevantnous. J’essayaid’ignorer àquelpoint sa simple
présenceallégeaitlapressionquipesaitsurmapoitrine.–Alors,onfaitquoimaintenant?demandaPayton.Pour…Elledésignalelycéed’ungestedumenton.–Franchement,jen’ensaisrien.Monseulplan,c’estdefaireprofilbasjusqu’àcequeçapasse.Unsilences’étiraentrenous.PuisNolanseraclalagorge.–Ilyaunechosequejenecomprendspas,déclara-t-il.Qu’est-cequeçapeut tefoutre, toutça?
Toutcequisepassedanscebâtiment,c’estdesconneries.Çan’auraaucuneimportancedansquelquesannées.Pourquoiperdreuneseulesecondede tavieà t’inquiéterdecequepensentcesgens?Desgensquetunereverrasplusjamaisaprèsavoireutondiplôme?
Paytonricana.Demoncôté,j’appréciaisque,pourunefois,ilessaied’arrangerleschoses.–Mais c’est importantmaintenant. Et en parlant de ça, ajoutai-je enme tournant vers Payton, tu
devraisyaller.Tunedevraispastemontreraulycéeavecmoi.Elleplissalesyeux.–Jepensais…–Çamefaitmaldel’admettre,maisAmberavaitraisonl’autrejour.Çanesertàriendet’entraîner
dansmachute,expliquai-jeavecunfaiblesourire.Çavabientôtsetasser,non?Ellefronçalessourcils.–Ouais,mais…–S’ilteplaît.Nolanlapoussadoucement.–Vas-y.Jevaisyalleravecelle.Elleleregarda,bouchebée,maisilsecontentadesourire.–Allez.Qu’est-cequ’ilsvontpouvoirmefaireàmoi?Paytonsemblaréfléchiruninstantàcequ’ilvenaitdedire,puissetournaversmoi:–Onseretrouveaprès,OK?Je hochai la tête, et une partie du poids qui pesait surmes épaules s’envola. Je savais que notre
amitiéétaittoujoursfragile,maiselleavaitlemérited’exister.PaytonsehâtaverslelycéeetNolanpritsaplace,appuyécontremavoiture.Jecognaimonépaulecontrelasienne.Ouplutôtcontresoncoude.Ilétaitbienplusgrandquedans
monsouvenir.–Tun’espasobligédefaireça,tusais.Ilmeregarda,sesyeuxnoisetteentièrementdépourvusdeleurironiehabituelle.–J’enaienvie.Commejenesavaispasquoirépondreàça,jenedisrien.Auboutd’unmoment,lesilencesefit
pesant entre nous.Lorsque je nepus le supporter davantage, j’ouvrismon sac à dos, en sortit sonblazeretleluitendis.–Merci.JevoulusajouterEtpasseulementpourlaveste,maisjen’étaispasencoreprêteàalleraussiloin.Sans un mot, il reprit le vêtement. Je regardai le tissu de sa chemise se tendre sur son torse
étonnamment musclé. Ce même torse contre lequel je m’étais blottie pas plus tard que la veille.Sérieusement.Depuisquandm’étais-jemiseàreluquerletorsedeNolanLetner?Biensûr,jem’étaisdéjàditqu’ilétaitmignon,maispasunefoisjen’avaisimaginé…Trèsvite,jerepoussaicettepensée.Ilenfila savesteet restaàcôtédemoi, sansme toucher, sansmeregarder.C’étaitexactementce
dontj’avaisbesoin.–Tuesprête?Jeregardaiuninstantlebâtimentsombreetlesélèvesquiyentraientaucompte-gouttes.–Pasvraiment,maisj’imaginequ’ilesttroptardpours’enfuiretsefaireengagerdansuncirque.–Ouais.Jecroisqu’ilspréfèrententraîner leurs trapézistesdès leurplus jeuneâge.Maiscen’est
peut-être pas trop tard si tu veux devenir femme à barbe. Je parie que je pourrais te trouver desstéroïdeset…Jenepusm’empêcherdesourire.–Nonmerci.Ilinclinalatête,l’airdenouveausérieux.–Quoi?demandai-je.
–Jecroisquec’estlapremièrefoisquejetevoissourirepourdevrai.Çatevabien,Flay.JemesentisrougiretdétournailesyeuxavantqueNolans’enaperçoive.J’étaisàpeuprèssûreque
c’étaittroptard,carilricana.–Onvaêtreenretard,dis-je.Jem’écartaidemavoitureetmedirigeaiversl’entréedulycée.Enuninstant,Nolanmerattrapa.
Pourdesraisonsquejepréféraisignorer,jemesentaismieuxaveclui.Quelquechoses’étaitpasséentrenous–nousnousétionsrenducomptequ’aprèstout,nousn’étionspeut-êtrepassidifférents.–J’aifinid’écrirelelivre,dis-jepourcomblerlesilence.–Cool.Àquelleheuretuveuxquejevienneceweek-end?Jem’arrêtai.–Quoi?Ildonnauncoupdepieddansuncaillou.Sonmalaiseétaitassez…mignon.–Tuesl’auteur,donctuvasdevoirmedonnerdesdirectionsartistiques,dit-ilengardantlesyeux
rivésausol.Etpuis,unalbummoyenfaitenvirontrente-deuxpages.Çafaitbeaucoupàdessiner.Jevaisavoirbesoind’aidepourcolorier.Commejenerépondaispas,ilmeregardaetfronçalessourcils.–Tut’attendaisàcequejefassetouttoutseul?–Non.Jesavaisquenousallionsdevoirtravaillerensemble–jen’avaisjustepasréfléchiàl’endroit.Ma
maison était un choix aussi logique que la sienne. Après tout, ma mère n’allait pas pouvoir seplaindrequej’inviteungarçonsinoustravaillionssurundevoircommun.Puis une nouvelle pensée me vint. Si Nolan venait à la maison, on irait probablement dans ma
chambre.L’idéed’êtreseuleavecluifitvacillerquelquechoseaufonddemoi.–Je…j’imaginequetupeuxvenir.Ilsourit.–Bien.Lorsqu’onarrivaàl’entréedulycée,plusieurspersonnessaluèrentNolan.Ilréponditd’unsignede
têteetsouritàtoutlemonde.C’étaitcommesiluietmoiavionséchangénosstatutssociaux.Oupeut-êtreétait-ceseulementquej’avaisétésisûrequ’ilétaituntaréasocialquejen’avaisjamaisremarquéqu’ilavaitdesamis.Entoutcas,encemoment,ilenavaitplusquemoi.–Nolan?fitBlakeens’extrayantd’ungroupepours’approcherdenous.Qu’est-cequetufais?Ilhaussaunsourcil.–Jevaisencours.Ellemeregarda,etsabouchesetorditdedégoût.
Lemouvementfitbrillerlepiercingqu’elleportaitàlalèvre.–Avecelle?Jetressaillis.Ledédaindanssavoixétaitceluiquelesprésentateursdesinfosréservaientauxtueurs
dechatons.Pourtant,pourautantquejesache,jeneluiavaisjamaisrienfait.Nolanouvritlaporte.–Situtedemandessij’entredanslelycéeaumomentprécisoùReganFlayyentreégalement,alors
oui.Elleouvritlabouchepourrépliquer,maisill’interrompit.–Jeteparleaprès,dit-ilenmepoussantàl’intérieur.J’espéraisquelepireétaitderrièrenous.J’avaistort.
–Regardezquivoilà!s’écriaunevoixperçante.Amber traversa la foule, avec dans son sillage une Taylor aux yeux écarquillés et aux cheveux
volantdanstouslessens.Jeremyetsesamislessuivaientdeprès.Desvaguesdenauséem’envahirent.J’espéraisaumoinsatteindreladeuxièmeheuredecoursavant
quequelqu’unessaiedes’enprendreàmoi.EsquiverBlaken’avaitpasététrèsdifficile,maisnousn’allionspaséchapperàAmbersifacilement.Nolanseplaçaàcôtédemoi,sesyeuxnoisettebrillaientpresqued’excitation.Ilrejetasesépaules
enarrièreetbombaletorse.Ilsemblaitavoirhâtequ’ilsepasse…quelquechose.Amberrepoussaseslongscheveuxnoirsderrièresonépauleetposaunemainsursahanche.–Commec’estmignon…Apparemment,lesrejetésattirentlesrejetés.Nolansourit.–Apparemment, c’est lamême chose pour les connards. Sauf que vous vous déplacez plutôt en
troupeau.Quelques témoins s’esclaffèrent.Amber les fusilladu regard. Jeremy fit unpas en avantpour se
placeràcôtéd’elle,lespoingsdéjàserrés.Jemetendis.SoitNolanneserendaitpascomptequ’ilavaitamorcéunebagarre,soitils’enfoutait.
Après tout le tempsque j’avais passé avec lui cesdeuxderniers jours, j’étais prête à parier sur ladeuxièmeoption.Amberfixasurmoisonregardfurieux.–Sérieusement,Regan?NolanLetner?Finalement,çanem’étonnepasplusqueçavuqu’aucun
mecnormalnevoudraitt’approcher.Jesaisquetut’esjetéesurJeremyhier.Tuespathétique.Àcesmots, cedernierme fitunclind’œil et jedusprendre surmoipournepas lui sauter à la
gorge.–Danssesrêves,répliquai-je.Nonseulementilestdégueulasse,maisc’estaussiunmenteur.–Pasaussidégueulassequetoi,répliqua-t-elle.C’esttoilasalepute.Ambertenditlamain.Derrièreelle,Taylorluipassaunebouteilledesoda.– Tu as fait croire à tout le monde que tu étais tellement innocente, reprit-elle. Mademoiselle
Parfaite.Maisc’estfini.Maintenant,tuvasêtreaussicradeàl’extérieurquetul’esàl’intérieur.Ellecommençaàsecouerlabouteilledesoda.Je savais exactement ce qu’elle comptait faire. L’an dernier, Amber avait arrosé une élève de
troisième qui l’avait bousculée pendant qu’elle se remettait du rouge à lèvres. Pendant une demi-seconde, j’envisageaide filer par laportedederrière,mais çan’aurait fait qu’empirer les choses.J’auraisétélafillequis’estenfuie.Jelevailementonetm’obligeaiàafficherunmasqueimpassible.Jenevoulaispasluidonnerlasatisfactiondevoirquej’avaispeur.Àcôtédemoi,aulieudesepréparercommejel’avaisfait,Nolanlevaundoigt.–Uneseconde.C’estexactementlegenredescènequ’ilmefautpourmondocumentaire…Ilsortitsonportabledesonsac,pressaquelquesboutons,puissemitenplace.–OK,vas-y,dit-ilenluifaisantsignedecontinuer.Essaiejustedenepaséclabousserlalentille.Amberhésita,leregardincertain.–Qu’est-cequetuattends?sifflaTaylor,quitrépignaitpresqued’impatience.– Je ne peux pas faire ça s’ilme filme ! Jeme ferais virer etmes parentsme tueraient, s’écria
AmberenfourrantlabouteilleentrelesmainsdeTaylor.Vas-y,toi.Taylorfitunpasenarrière.– Je… Je ne veux pasm’attirer d’ennuis. Je serais virée de l’équipe. C’est la première fois que
j’arriveàyrentrer.
C’étaitvrai.Tayloravaiteffectuélesessaisentroisièmeetenseconde,etelleavaitéchouéàchaquefois.Ayant assisté aux essais, je savais qu’elle était très bonne. Pour être honnête, je diraismêmequ’elleétaitmeilleurequemoi.Maiscommej’étaisl’amied’Amber,j’avaisbénéficiéd’untraitementdefaveurque,jem’enrendaiscompteàprésent,jeneméritaispas.Nolanclaquadesdoigts.–Peuimportequilefait,maisgrouillez-vousdevousdécider!ordonna-t-il.Laclochevasonner,je
n’aipasenvied’êtreenretard.TaylorsetournaversJeremy.–Toi,fais-le.Illevalesmainsetrecula.–C’estça,ouais…Jevaispasfairetonsaleboulot.Jesuisdéjàlimiteaveclecoachàcausedeces
deux-làetd’unmecdelasécuritéquinesaitpasfermersagrandegueule.Jeneveuxpasmefairevirerdel’équipedelutte.Pasundevousn’envautlapeine.Sesdeuxamiséclatèrentderireavantdeselancerdansunchœurde«Oooooh».Amber resta bouche bée. Elle ne dut pas trouver de réplique suffisamment cassante, car elle se
contentadelefoudroyerduregard.Ilhaussalesépaulesetrepartitdanslecouloir,suivideprèsparsesamis.–Quoi,tuveuxdirequepersonnenevanousarroser?soupiraNolan,sonportabletoujourslevé.
Merdealors!Çaauraitfaitunesuperscène.–Espècedeminable,ricanaAmber.Elles’emparadelabouteilleetlajetaparterre.Lebouchonsauta,etunefontainedeMountainDew
arrosaseschevillesetcellesdeTaylor.Amberpoussaunglapissementetrecula.Lorsquelabouteillefutvide,ellelevalatêteetmejetaun
regardnoir.–C’estpasterminé!Ellemefitundoigtd’honneuravantdetournerlestalonsetdepartiraupasdecharge.Taylorse
précipitaàsasuite.Nolanpointasontéléphonesurmoi.–ReganFlay,avez-vousuncommentairesurcequivientdesepasser?Jeclignaidesyeux,priseaudépourvu.–L’enseignementàdomicileestsous-estimé?proposai-je.Ils’esclaffaet,àmagrandesurprise,éteignitsontéléphoneetlerangeadanssonsac.–C’esttout?demandai-je.Pasdequestionsinquisitrices?Tuneveuxpasmevoirmalàl’aise?–Bof,fit-ilenhaussantlesépaules.Jenementaispasquandjedisaisquelascènedusodaauraitété
trèsbonnepourmondocumentaire.Nouspartîmesdanslecouloir,enfaisantbienattentionàéviterlarivièredesoda.–Etdequoiparletondocumentaire?–Oh, rien, répondit-il en tirant sur lesbretellesde son sacd’unairunpeugêné. J’ai envoyéun
dossieràl’universitédeFloride,maismonpremierchoixestDuke.Ilsontunsuperprogramme.Jedoisréaliserundocumentaire,çafaitpartiedelaprocédured’admission.Cette information me surprit. Pour un mec rejeté, toujours au fond de la classe, Nolan était
étonnammentambitieux.–Cen’estpas«rien».Dukeestunegrandeuniversité.Tudoisvraiment tefairearroserdesoda
pourêtreadmis?Iléclataderire.
–Non.Ilmefautjusteundocumentaireexceptionnel.–Etdequoiparleletien?–Honnêtement,pourlemoment,jen’ensaisrien.Blakem’aaidépouruntruc,maisçaa…foiré.
Ducoup,ilmefautunenouvelleidée,etvite.Je voulais lui demander ce qui avait foiré, mais un gars s’arrêta devant nous, nous bloquant le
passage.Ilavaitunelonguetignasserouxfoncéqu’ilécartadesonvisaged’unreversdelamain.–C’esttoiRegan?demanda-t-il.Sonvisagemesemblait familier. J’étaisàpeuprèssûred’avoirétéencoursdebioavec lui l’an
dernier.–Quilademande?répliquaNolan.Legarçonsoupira.–Écoute,ilyaunemeufquim’apayépourpasserunmotàRegan.Alorsc’esttoioupas?–Quit’adonnélemot?Ilhaussalesépaules.–Jen’aipasdemandésonnom.Tuleveuxoupas?Monestomacseserra.Lespetitsmotsanonymesn’étaientjamaisbons,maiscen’étaitpascommesi
un bout de papier pouvaitme blesser.Même si la personne qui l’avait écritme traitait de tous lesnoms,toutcequej’avaisàfaire,c’étaitlejeter.Jetendislamain.–Donne.Lemecmetenditunepagedecahierpliéeendeuxets’enalla.–Nelelispas.Laproximitéde lavoixdeNolanme fit sursauter. Je levai lesyeux. Il était penché surmoi, son
visageàquelquescentimètresdumien.Jevoulusprotester,maismalangueétaitenplombetlesmotsnevoulaientpassortir.–Jette-le,dit-il.Quoiqu’ildise,çavat’attirerdesennuis.Les coins du petit papierme rentraient dans la peau. Il avait sûrement raison.Avais-je vraiment
besoindelirequej’étaisunesalope?Jejetaiuncoupd’œilàlapoubelle.Toutcequej’avaisàfaire,c’étaitjeterlemot,etleveninqu’ilcontenaitseraitperduaveclui.Maisjen’arrivaispasàlelâcher.–Regan?Jeleregardai.–Ilfautquejelelise.Ilfronçalessourcils.–Pourquoi?Unautreconseildemamanmevintentête:Nejamaisêtreprisaudépourvu.– J’enaimarredemefaireprendreenembuscade.Hier,c’étaitdans les toilettes ;aujourd’hui,à
l’entréedulycéeavantlescours.Quoiquedisecemot,jeneveuxplusmefaireavoirparsurprise.Sonvisagesedurcitetilrecula.–Faiscommetulesens…Laclochesonna.Lentement,jedépliailepapieretluslemot,rédigéd’uneécritureinconnueettout
enboucles.SituveuxdessaloperiessurAmber,viensàl’ancienvestiairedesfillesaprèslescours.Cache-toi
danslacabinededouchelapluséloignéedelaporteetnefaispasdebruit.Je retournai le papier, à la recherche d’une signature, mais n’en trouvai aucune. Dénicher des
saloperiessurlesgens,c’étaitledomainedePayton,maiscen’étaitpassonécriture.Alorsquiavait
écritcemot?JetendislepapieràNolan.Lorsqu’ileutfinidelelire,ilmelerenditetsefrottalecou.–N’yvapas.J’aiunmauvaispressentiment.Je relus les mots. Trois ressortaient particulièrement : saloperies sur Amber. Avec Amber
déterminée à faire de ma vie un enfer, tout ce dont je pourrais me servir pour qu’elle me lâchevaudrait le coup. Je savais quemaman n’hésitait pas à faire tout ce qui était en son pouvoir pourdescendre un adversaire. D’un autre côté, la personne qui m’avait écrit avait choisi de resteranonyme,cequiétaitplusquelouche.–Tucroisquec’estunpiège?–Biensûr.Quelmeilleurmoyenpourtecoincerquedetefairevenirseuledanslevieuxvestiaire
des filles après les cours ? Soit Amber essaie de te piéger, soit tu vas être la vedette d’un filmd’horreur.Tun’aspastuéd’auto-stoppeursrécemment,j’espère?Jegrimaçai.–Soissérieux.Jesaisbienquec’estpeut-êtreunpiège,maissic’étaitpaslecas?Etsic’étaitma
seulechancepourqu’Ambermelâche?Amberetmamère.Pourlapremièrefoisdepuisquej’avaistrouvémesmessagesprivéscolléssur
lescasiers,unenouvelle idéeseprésentaitàmoi.Sicepetitmotdisaitvrai,peut-êtreaurais-jeuneautreoptionquedefaireprofilbas.Unelueurd’espoir–unsentimentdevenusiétrangerquejemereconnusàpeine–s’allumaenmoi.SijepouvaisretournertoutecettehistoirecontreAmber,j’allaispouvoirreprendretoutcequ’ellem’avaitvolé.–Çapourraitêtremaseulechancederetrouvermavied’avant.– Attends, fit-il en levant les mains, les yeux écarquillés. Tu veux retrouver cette blague qui te
servaitdevie?Ilpensaitquej’étaisuneblague?Lacolèresemitàbouillonnerdansmesveines,balayantcebref
momentd’excitation.Jefroissailemotentremesdoigts.–Jet’emmerde!–Vraiment?ricana-t-il.Çatemanque,d’êtreamieaveclafillequichercheàruinertavie?–C’estpascequeje…–EtdetraîneravecdesmecscommeJeremy?Ilhaussaitlavoix,s’attirantlesregardscurieuxdesélèvesquinousdépassaientpourallerencours.–Tuveuxremontersurtontrôneetrecommenceràécrirequetuestellementpluscoolquetoutle
monde?Tuasenvied’écraserencorequelquesvictimes?C’estça?Sesmotsmefrappèrentcommeuncoupdepoing.Pourautantquejesache,jen’avaisruinélavie
depersonne.Jereculaijusqu’àheurterlarangéedecasiersderrièremoi.Nolanmesuivit,refermantladistancequinousséparait.–J’aiunscooppourtoi,dit-il.Quetulevoiesounon,cetteReganétaituneimposture.Ellen’était
pasréelle.Oupeut-êtrequejemetrompe?Peut-êtrequetun’espaslafillequejecroyais.Lafilleintelligente, capable d’empathie, celle qui s’excuse quand elle se rend compte qu’elle a blessé desgens.Lacolèremontaitenmoi,crispantmesmuscles.Ilmeconnaissaitàpeine.Qu’est-cequiluidonnait
ledroitdeformerdesopinionssurlapersonnequej’étais?Qu’ilaillesefairefoutre,luiettouslesgensquivoulaientquejesoisquelquechosequejen’étaispas,puispétaientlesplombsquandilsserendaientcomptequejen’étaispasàlahauteurdeleursattentes!–N’essaiepasdefairecommesitumeconnaissais.Tunesaisriendemoi.–Tuasparfaitementraison.
Je le regardai s’éloigner, en me demandant ce qui avait bien pu se passer. Quelques joursauparavant, l’opinionqueNolanLetneravaitdemoiétait ledernierdemessoucis.Maisàprésent,chaquemotquisortaitdesabouchemecoupaitcommeunelamederasoiretchaquepasqu’ilfaisaitpours’éloignerdemoim’infligeaitunenouvelleblessurequimefaisaitsaignerdavantage.Ils’arrêtaaumilieuducouloir,lesépaulesvoûtées.Moncœurfitunbond.Peut-êtreavait-ildécidé
demedonnerunechancedem’expliquer?Maisilfouilladanssonsacpoursortircequiressemblaitàunepetitecaméra.Moncœurplongea
droitverslesol.J’étaiscertainequ’ilallaitlapointerversmoi.Aulieudeça,ilrevintversmoietmetenditl’appareil.–Prendsça.Je levai lentement la main pour m’emparer de l’objet, puis m’arrêtai net. Pour des raisons qui
m’échappaient,j’avaispeur.–Jenecomprendspas.–Prends-la,répéta-t-il.Ilmejetalacaméra,sibienquejen’euspasd’autrechoixquedel’attraperoudelalaissertomber
parterre.–J’aidéjàunecamérasurmontéléphone,protestai-je.–Ouais,bon,mêmesicelle-cicommenceàsefairevieille,sesqualitésvidéosontbienmeilleures
quecellesdetontéléphone.Elleaplusd’imagesparseconde,etdemeilleurescouleursensituationdefaibleéclairage.Çapourraitt’êtreutile.Commejenerépondaispas,ilsoupira.–Lamenacedelavidéot’aprotégéeunefois.Çateprotégerapeut-êtreencore.Sur cesmots, il s’en alla,me laissant perplexe. Tout ce que j’avais voulu, c’était qu’Amberme
lâche,maistoutcequej’avaisgagné,c’étaitqueNolanétaitencolèrecontremoi.Àprésent,seuleavecsacaméra, jenepusm’empêcherdemedemanderpourquoi,chaquefoisquej’essayaisd’arrangerleschoses,jen’arrivaisqu’àtoutgâcherencoredavantage.
CHAPITRE12
Pendantlecourssuivant,Nolanfitcommesijen’existaispas.Ilrepritmêmesaplacehabituelleau
fonddelasalle.Àlafinducours,ilétaitdéjàsortiavantmêmequej’aieterminéderamassermeslivres.Puisqu’ilrefusaitdemeparler,jesupposaiquenotreprojetdelivred’imagesétaitannuléet,àlapausedéjeuner,jeglissaiunecopiedemonhistoiredanssoncasierenespérantqu’ils’occupedesdessinstoutseul.Puisjepassaitoutel’heuredudéjeunerdanslacabinepourhandicapésdestoilettesdudeuxièmeétage.Personnenevintm’embêter,etjepusmangerenpaixmabarredecéréales.En dehors des confrontations avec Blake et Amber, je n’avais eu droit qu’à quelques petites
réflexionsenpassantdanslescouloirs.Ungroupedefillesdetroisièmeavaitmurmuréetgloussésurmonpassage,maisriend’assezviolentpourmedonnerenvied’avaleruncachet.C’étaitdéjàça.Pendantlerestedelajournée,jem’efforçaid’éradiquerdemonesprittoutepenséeserapportantà
Nolanetd’éviterdecroiserAmber,TayloretJeremydanslescouloirs.OùétaitpasséePayton?Jenel’avaispasvuedepuiscematin.Jemedemandaissielles’étaitdisputéeavecAmber.Pendant ladernièreheuredecours, jepassaimontempsàregarder l’horloge,prised’unmalaise
grandissant.J’essayaisdemeconcentrer,maisjefusincapabledeconjuguerunseuldesverbesquelaprofd’espagnolinscrivaitautableau.Jesavaisquejedevraisprendredesnotes,maisjeneparvenaisqu’àpenseraupetitmotanonymedissimuléaufonddemapoche.Quil’avaitécrit?Etpourquoicettepersonnevoudrait-ellem’aider,moi,lafillelaplusdétestéede
l’école?Etpourquoimedemanderdemecacher?Deplusenplus, jecommençaisàmerangeràl’avisdeNolan.C’étaitforcémentunpiège.Jenemerendiscomptequejetapotaismoncahieravecmonstyloàunrythmeeffrénéquelorsque
SeñoraBateyseretournapourmefusillerduregard.Jelaissaitombermonstyloetluiadressaiunfaiblesourired’excuse.Ellefronçalessourcilsavantdeseretournerversletableau.J’attrapaimonpendentifendiamantetlefiscoulissernerveusementlelongdesachaîne.S’ilyavait
ne serait-ce qu’une infime possibilité d’obtenir des infos sur Amber, je ne pouvais pas rater machance.Maisjen’allaispasnonplusêtreassezbêtepourtomberdansunpiège.Jedevaisseulementtrouverunmoyendemeprotéger–parchance,lacaméradeNolanétaitunbonpointdedépart.Siquelqu’uns’enprenaitàmoi,aumoins,j’auraisunepreuveàfournir.Laclochesonna.Jesautaidemachaisesivitequelespiedsenmétalcrissèrentsurlesol.Señora
Bateymejetaunregardnoir.Jel’ignoraietfourraimesaffairesdansmonsacavantdecourirverslaporte.Jeslalomaidanslafouledesélèvesquisedéversaitdanslescouloirsjusqu’auvestiairedesfilles.Si
jevoulaism’entirer,je devais arriver en premier. Je poussai les lourdes portes de bois et reculai presque de dégoûtlorsquel’odeurdemoisissureetdesueurmesubmergea.Toutcommelestoilettesoùj’avaispassél’heure du déjeuner, l’ancien vestiaire des filles se situait dans l’aile du bâtiment qui avait
désespérémentbesoind’êtrerénovée.Lescasiersàlapeintureécailléeétaientcouvertsderouille,etlesdouchesétaientpresqueentièrementbouchéesparlecalcairequis’yaccumulaitdepuisdesannées.Apparemment,laplaceétaitdéserte.Jefistoutdemêmeuntourrapidedelapièceéclairéeaunéon,
enprenantsoindejeteruncoupd’œilsouschaqueportedetoilettes.J’étaisseule.Unétrangecourantélectriquemechatouillaitlapeau.Onm’avaitindiquéd’attendredansunecabine
dedouche,maisjen’allaispasmecoincermoi-mêmedansl’unedecesimmondesstallesenbéton.Etpuis,s’ils’agissaitvraimentd’unpiège,jen’allaispasleslaissermetrouversiaisément.Jenepouvaispasnonplusresteràdécouvert.Çanemelaissaitqu’uneoption:jem’approchaidela
rangée de toilettes et poussai un soupir. Si je parvenais à trouver des infos compromettantes surAmber,j’espéraisqueletempsdetraînerdanslestoilettesetdecourirtêtebaisséedanslescouloirsentrelescoursseraitbientôtrévolu.Toutcequ’ilmefallait,c’étaitlabonne info.Sielleétaitassezaccablante,toutlemondeàl’écoleallaitm’oublierpourseretournercontreelle.Je choisis la cabine pour handicapés car c’était la plus éloignée de l’entrée du vestiaire, etm’y
enfermai.Lemoindrecentimètrecarrédelacabinerosesaumon(pourquoicettecouleuravait-elleunjour été populaire ?) était couvert degraffitis déclarant un amour éternel ou révélant qui était unegarce,unesalope,ouunegarcedoubléed’unesalope.Je suivis du bout des doigts lesmotsDELANEYHICKLERESTUNESALEPUTE. Les années,
sinon les décennies, avaient délavé les couleurs, mais comme un fantôme, la colère émanant dechaquelettrerefusaitdemourir.Tantdefois,j’avaisétéauxtoilettes,entouréedecesmotspleinsdehaine,etjen’yavaisjamaisprêtélamoindreattention.Maisàprésentquej’avaismonpropregraffiti,jenepusm’empêcherdemedemandersiDelaneyHicklers’étaitdéjàassisedanscettecabineetavaitlucesmots.Avait-elleressenticettebrûluredanssapoitrine,commemoi?Avait-ellepleuré,commemoi?Etàprésentqu’elleavaitquittécetendroitdepuisdesannées,yrepensait-elleencoreparfois?Le temps avait-il cicatrisé les plaies ? Nolan avait prétendu que rien de tout ça n’aurait plusd’importancedansquelquesannées.Peut-êtreavait-ilraison.Àcet instant, laporteduvestiaires’ouvritengrinçant.Jeplaquaimamainsurmabouche,car je
craignaisdelaisseréchapperunbruitquimetrahirait.Avecdesgesteslentsetmilleprécautions,jem’accroupisetsortisdemonsaclacaméradeNolan,puisouvrisl’écrandevisionnageetpressaileboutond’enregistrement.Sijedevaismefaireagresser,jevoulaisaumoinsdespreuvesenvidéo.Le pas étouffé de chaussures à semelles de caoutchouc s’approcha – définitivement pas le
claquementcaractéristiquedes talonshautsd’Amber. Je jetaiuncoupd’œilpar l’ouverturesous laporteetaperçusChristyHolderquis’avançaitaumilieudelapièce.Lacaméra tremblaitentremesmains.Christyétait ladernièrepersonneque jem’étaisattendueà
voir.SielleavaitdesinfossurAmber,pourquoimelesdonner?Àlafaçondontellenecessaitderajustersaqueuedechevaletsonuniforme, jecomprisqu’elle
étaitnerveuse.Lavoirstresséemedétendit.Lacaméraaupoing, je tendis lamainvers lapoignée.Àquoibonsecacher?Christyétait seule.Siellevoulaitparler, lemoinsque jepuisse faireétaitde l’écouter. Jecommençai à pousser le verrou rouillé quand j’entendis de nouveau le grincement de la porte duvestiaire,suividuclaquementdetalonsquirésonnaientsurleciment.Je retins un halètement et reculai. Mon cœur battait vitesse grand V. Attentive à ne pas faire le
moindrebruit,jemeretiraitoutaufonddelacabineetgrimpaisurlacuvette.Mêmesijenepouvaisplusvoircequisepassaitdehors,lacamérafilmaittoujours.–C’est quoi ce bordel,Christy ? demandaAmber, dont les pas se rapprochaient. J’ai appris par
d’autresquetuétaisrevenueaujourd’huiaulycée.Pourquoitunemel’aspasdit?Christylaissaéchapperunpetitrirenerveux.–Pourquoijeteparlerais?Onm’aditquec’étaittafautesionm’afaitrepartirendésintox.Jefronçailessourcils.Jenesavaispasqu’elleavaitétérenvoyéeendésintox.Maisunefoisencore,
j’avaisétéunpeuoccupéeparmespropresproblèmes.–C’estReganqui a fait ça, répliquaAmber.Elle flippait à l’idéedenepas entrer dans l’équipe,
alorselleaditàKileyPorterdedireauconseillerd’orientationqu’ellet’avaitentenduevomirdanslestoilettes.Denouveau,jedusplaquerunemainsurmabouchepourconteniruncri.Jen’avaisrienditàKiley
Porter.C’étaitl’unedesfilleslesplusgentillesquejeconnaissais,legenreàtoujoursvouloiraiderceuxquienavaientbesoin–cequienavaitfaitunecibleparfaitepourAmber.–Maisjet’avaisdéjàdonnélalistedesadmises!protestaChristy.Tuauraispusimplementluidire
qu’elleavaitréussi,aulieudelalaisserruinermavie!Pourquoitunel’aspasarrêtée?Pendantplusieurssecondes,Amberneditrien.Quandenfinellepritlaparole,savoixétaitbasse.
Ellesemblaitpresquedésolée.– Je ne l’ai pas arrêtée parce que je ne voulais pas d’elle dans l’équipe. J’avais peur qu’elle
commenceàcomprendre.Lacolèrequidéferladansmesveinesfaillitmefairetomberdemonperchoir.Masoi-disantamie
m’avaitvolontairementpiégée.–Tusais,poursuivitAmber.Ausujetdetoietmoi.–Tucroisqu’elleestaucourant?Ilyeutunsilence,puisChristyajouta:– Ilauraitsuffique tum’enparles, jene l’auraispasprisedans l’équipe.Tun’aspas idéeàquel
pointmesparentssontsurmondosmaintenant…Jenepeuxmêmepasallerpissersansquemamèreécouteàlaporte.Lestalonsd’Amberclaquaientsurlesol.Apparemment,ellefaisaitlescentpas.– Je ne pensais pas que tes parents te feraient retourner en désintox ! Je pensais juste que si on
mettaitunpeudedistanceentrenous,çainduiraitlesgensenerreur.Tuterendscomptedecequisepasseraitsiquelqu’undécouvraitlavérité?Onseraitvirées.Nosréputationsseraientfoutues.–Maréputationestdéjàfoutue.Amberricana.– Ta réputation est solide, grâce à moi. Tu te rends compte à quel point tu vas être populaire
maintenantquelesautressaventquetuesalléeendésintox?J’aifaitdetoiunestar!– C’est complètement con, Amber ! On ne devient pas populaire grâce à un trouble de
l’alimentation!–Jelesais.Tulesais.Maisbienvenuedansnotremondededingues.Aufait,commenttut’ensors?
ajouta-t-elleaprèsunsilence.–Tu le saurais si tu répondaisàmesappelset àmesmessages, répliquaChristy. Jevaisbien, je
crois.Chaquejourestuncombat,ettespetitescombinesm’ontpasvraimentaidée.–Jesuisdésolée,ditAmberd’untonsincèrequejeneluiconnaissaispas.–MaispasassezpourlarguerceconnarddeJeremy.Amberpoussaunsoupir.–Jeremy,c’estseulementpourlesapparences.Tusaisbienquej’enairienàfoutredelui.–Maisc’estpascequ’ilcroit,rétorquaChristy.Cequetoutlemondecroit.–Ons’encarre,decequetoutlemondecroit!Onn’aplusqu’unanàvivrecommeça!Après,on
seraàlafacetonpourrafairetoutcequ’onaenvie.Unan!Mes doigts serraient la caméra si fort quemes jointures en devinrent blanches.Oh mon Dieu !
AmberetChristy?Untrucentreelles?Elleavaitraison,sinotreécolecatholiquedécouvraitça,ellesseferaientvirer.Mais elle se trompait si elle pensait que j’étais au courant – enfin, jusqu’ici. Qui avait donc pum’envoyer ce mot ? Cette personne était au courant et voulait que je le sois également. Maispourquoi?Christyrestasilencieuseunlongmoment.–Écoute,ditAmber.Onnepeutpascourirlerisqued’êtresurprisesensemblecommeça–surtout
pasàl’école.Laprochainefoisquetuveuxmeparler,nem’envoiepasdemot.Appelle-moi,OK?–Maisjet’airienenvoyé!s’écriaChristy.C’esttoiquim’aslaisséunmotdansmoncasier.–Non,jen’airienlaissé,ditAmberenprenantunerapideinspiration.Merde.Jepariequec’était
Regan.Elleestvraimentaucourant.Merde.Merde.Merde.–Peut-êtrequ’ellenedirarien?Amberéclataderire.–Ouais,biensûr.Vucequis’estpassécesdeuxderniersjours,ellevamedétruireàlapremière
occasion.–Maispourquoitufaisça,Amber?Pourquoitut’enprendsauxgenscommeça?C’estpastoi.–Justement.Jen’aipasledroitd’êtrequijesuisvraiment.Malgrétoutcequ’elleavaitfait,jemesentismalpourelle.Jesavaisexactementcequeçafaisait,de
vivreuneviequinenouscorrespondaitpas.Commentleschosesseseraient-ellespasséesentrenoussinousavionsétéhonnêtesl’uneenversl’autre?Avectantdechosesencommun,nousaurionspudevenirdevraiesamies.–Écoute,ditAmber,ilfautquej’yaille.Jen’aipasbeaucoupdetempsavantquecettesangsuede
Taylormeretombedessus.Elleflippegravedèsquejem’éloigned’elleplusdedeuxminutes!Ilyeutunsilence,puiselleajouta:–Onestbien,touteslesdeux?–Ouais,répliquaplatementChristy.Onestbien.–Ok.Jet’appelleplustard.J’entendisdestalonsclaquerverslaporte.Letempsdequelquesbattementsdecœur,jerestaiimmobile.J’attendisencoreuneminute,tendant
l’oreille pour entendre le moindre son qui aurait indiqué que je n’étais pas seule. Les vestiairesrestèrentsilencieux.Satisfaite,jedescendisdestoilettes,éteignislacaméraetlaglissaidansmonsacà dos. Je n’arrivais toujours pas à croire que j’avais un véritable enregistrement qui pouvait fairevirerAmberdulycée.À cette pensée, mon cœur se mit à battre à coups redoublés. Je n’avais même plus besoin de
retournerlesautrescontreelle.Sijepouvaismedébarrasserdéfinitivementd’Amber,jepourraismeconcentrersurlareconstructiondemaréputation.Maisenysongeant,jesentismagorgesenouer.Honnêtement,ruinerlaviedequelqu’und’autreallait-ilrendrelamiennemeilleure?Jedéverrouillailaporte,songeuse…etm’arrêtainet.Jen’étaispasseule.Christyétaitassisesurunbancentredeuxrangéesdecasiers, latêteenfouieentresesmains.Elle
levalesyeuxquandlaportedestoilettescognacontrelemuretellesautasursespieds,l’airterrifiée.–Qu’est-cequetufaisici?Attends…Qu’est-cequetuasentendu?–Euh…
Jemecreusailatêtepourtrouveruneréponse–n’importelaquelle–maisjenetrouvairien.Christycouvritdenouveausonvisagedesesmains.–Merde…Jenesavaispasquoidire.Sansbruit, jemeglissaivers laporte.Monmouvementdutattirerson
attention,carellerelevabrutalementlatête.– S’il te plaît, Regan, fit-elle en joignant les mains devant elle. Je sais que j’ai dit des choses
horriblesl’autrematin,maistunedoisrienrépéteràpersonne.Jet’ensupplie.Onseferaitvirer.Ellenemelepardonneraitjamais.C’estpasmonproblème,voulutrépondrecetteanciennepartiedemoiquinepensaitqu’àelle.Mais
uneautrepartiepréférasetaireàlavuedeslarmesquimontaientauxyeuxdeChristy–deslarmesquime firent comprendre que ça ne serait pas seulement Amber que je détruirais si je postais lavidéo.Ceseraitsifaciledelaposterenligneetd’attendresimplementquelemonded’Ambertombeen
miettes. Je n’aurais même pas à me salir les mains. Je n’aurais rien à faire pour récupérer monanciennevie.Maisalorsquecespenséesmetraversaientl’esprit,lesmotsdeNolanrésonnèrentdansmatête:Quetulevoiesounon,cetteReganétaituneimposture.Ellen’étaitpasréelle.Mon estomac se serra. Je fermai les yeux. Nolan m’observait dans l’obscurité, un masque de
déceptionsurlevisage.Jeserraimesbrassurmonventre.Christyfitunpasenarrière.Peut-êtrepensait-ellequej’allaisluivomirdessus.–Euh…çava?fit-elle.Pas trop, non. Mais peut-être pourrais-je aller mieux si je parvenais à comprendre qui était la
véritablemoi.–Jenedirairien,déclarai-jeenfin.Christypritunegrandeinspiration.–Tuessérieuse?Apparemment, la vraie moi était prête à sacrifier son statut social pour l’opinion d’un garçon
qu’elledétestaitquelquesjoursauparavant,carjehochailatête.Jen’avaiscependantpastotalementperdul’esprit:–Mais j’ai une condition, ajoutai-je.Tudis àAmber que j’ai promis de garder votre secret tant
qu’elle et sa bande d’abrutisme foutent la paix. Ça veut dire plus de posts sur Facebook, plus demenacesdanslescouloirs.Enfait,jeneveuxmêmepasqu’ilsmeregardent.Dis-luibiença.Christysemorditlalèvre.–Ellevaêtretellementvénèrequandellevasavoirquetuesaucourant.Ellevadirequec’estma
faute.Jenesavaispasquoirépondreàça,alorsjeposaiunequestionquimetaraudaitdepuisquej’avais
comprisdequoiellesparlaient.–Pourquoituesavecelle?Sileschosestournentmalentrevous,ousiAmberpensequequelqu’un
risquedel’apprendre,ellevatedétruire.Elleadéjàprouvéqu’ellen’apasderemordsàteblesserpoursonproprecompte.–Ellenemeferaitjamaisvraimentdemal.Ellem’aime.L’incertitudedanssonregardracontaituneautrehistoire.Jesecouailatête.Jen’essayaispasd’être
cruelle,maisjedevaisdirelavéritémêmesiellenevoulaitpasl’entendre.–Ambern’aimequ’elle-même.Jem’attendaisàcequ’elleproteste.Aulieudeça,sesépauless’affaissèrentetsonmentonretomba
sursapoitrine.–Jecontinueàespérer…murmura-t-elle,défaite.Ellen’eutpasbesoindefinirsaphrasepourque jecomprenne.N’espérais-jepas lamêmechose
avecmamère?Êtreaiméepourquij’étais,etnonpaspourcequejeluiapportais?Sansréfléchir,jeposailamainsursonépaule.Elletressaillitmaisnebougeapas.–Jesuisdésoléed’avoirenvisagédeteblesser,Christy.J’imaginecequetudoisressentir,àcacher
quituesvraiment.Bienjoué,d’ailleurs.Jen’auraisjamaisdeviné.Ellesouritfaiblement.–Bref,conclus-je,çaneveutpasdirequetudoistecontenterdemoinsquecequetumérites.Ettu
méritesbienmieuxqu’Amber.Ellemeregardad’unairsceptique.–C’estparcequetun’espluspopulairemaintenant,c’estça?C’estpourçaquetuesgentilleavec
moi?Tuveuxrevenirdansl’équipe?–Non,répondis-jeenlaissanttombermamaindesonépaule.Jen’essaiemêmepasd’êtregentille.
J’essaieseulementd’être…Jem’interrompis,àlarecherchedesmotsappropriés.–J’essaieseulementd’êtrequijepensequejesuis–oudumoins,quijevoulaisêtreavantquetout
deviennesicompliqué.Tuvoiscequejeveuxdire?–Ouais,fit-elleavecunsouriretriste.Putaindelycéedemerde.Jeluirendissonsourire.–Putaindelycée,répétai-je.–Bon,j’imaginequ’ilfautqu’onyaille.–Parsdevant,luidis-je.Ilyaunedernièrechosequ’ilfautquejefasse.Ellemejetaunregardinterrogateur.–Ok,j’imaginequ’onseverraplustard.–Hé,Christy?Elles’arrêtadevantlaporte.–Oui?–Prends-lecommetuveux,maisj’avaisdéjàdécidédeneparleràpersonnedetadésintoxquand
mesmessagesontétépubliés.C’estpasmoiquienaiparléàKiley.Réfléchisàcequeçaimplique,d’accord?Ellefronçalessourcils,puishochalatête.J’attendisqu’elleeutquittélapièceavantdefouillerdans
mon sac à la recherche d’un crayon. Lorsque j’en eus trouvé un, je revins dans les toilettes pourhandicapésetgribouillailaphraseDelaneyHicklerestunesaleputejusqu’àcequ’ilneresteplusquedeslignesnoires.Lorsquej’eusterminé,j’inscrivisau-dessusuntoutnouveaumessage:ChristyHolderestunefilleformidable.C’étaitunepetiteligned’amouraumilieud’unmurdehaine.Unepetiteligneinsignifiante.Maisc’étaitundébut.Etc’étaittoutcequicomptait.
CHAPITRE13
Enfermantlesyeux,jeparvinspresqueàmeconvaincrequelesablemoelleuxdelacarrièreétait
unnuagesousmespieds–quelechevalquejemenaisencerclesétaitunPégasevenum’emporterversdesaventuresinédites.Commes’illisaitdansmespensées,Rookierenâcla.Jesourisetouvrislesyeux.Mavieétaitloin
d’êtreparfaite,maisilyavaitdesmomentsdontjen’avaispasbesoindem’échapper.Etcelui-cienfaisaitpartie.Je levai les yeux surTamara, la petite fille agrippée à la crinière deRookie. Ses boucles noires
s’étalaient sous son casque.Ses yeuxbrillaient d’excitation,mais elle serrait les lèvres tant elle seconcentrait. Je ne connaissais pas son histoire,mais je ne voulais pas savoir si elle souffrait d’unquelconquehandicapouvenaitd’unfoyerbrisé.Toutcequiimportaitlorsquej’offraismontempsetcelui de Rookie à ces enfants, c’était qu’ils avaient envie d’être là. Et je voyais à l’expression deTamaraqu’iln’yavaitaucunautreendroitoùelleauraitpréférésetrouver.Ons’approchaitd’unmorceaudetuyauenPVCcouchéparterre.–Deboutdanslesétriers!criai-je.Tamara obéit.Elle serra sesmains sur l’encolure deRookie et se leva sur sa selle tandis que je
faisaispasserlechevalpar-dessusletuyau.Bientôt,ellen’auraitplusbesoindemoiàl’autreboutdelalonge–elleferaitdepetitssautstouteseule.Jemedemandaisiellefermeraitlesyeuxetprétendraitêtreentraindevolercommejelefaisaisàsonâge.Cettepenséemesurprit.Jenemesouvenaispasdumomentoùj’avaisarrêtédelefaire.–Çat’arrived’imaginerquelechevalestunelicorneouadesailes?demandai-jeenmeretournant
pourcommencerunnouveautour.Tamaragrimaça.–Jenesuispasunbébé.Cestrucs,çan’existepas.Jepréfèreleschevauxnormaux.Ilssontréels.Rookiesoufflaparlesnaseauxcommepourmarquersonapprobation.Jenepusm’empêcherdesourire.–Tuasraison,dis-jeentirantdoucementsurlalongepourarrêterRookie.Bon,jecroisqu’onena
terminépouraujourd’hui,Tamara.–Oh,gémit-elle,sonpetitvisagetoutchiffonné.Maisonvientjustedecommencer!– Ilyauneheure,m’esclaffai-je.Tusaisquoi?Tuvasdescendre, jevais luienleversaselle,et
aprèstupourraslebrosserunpeu.D’accord?Sonvisages’éclaira.–D’accord!Je lui tendis lamain, et elle se laissa tomber dansmes bras. Je la déposai au sol. Soudain, elle
regardaderrièremoietdemanda:–C’estqui?–Quiça?
JemeretournaietaperçusNolan,deboutderrière labarrière.Lechocfutsiviolentque je faillistrébucher. Il portait un jean délavé, taille basse, et un vieux t-shirt gris quimoulait ses bras et sesépaules justeauxbonsendroits.Sescheveux, jamaisbienpeignés,semblaientencoreplussauvagesdanslabrisequilesagitaitàcetinstant.Soudain,j’eusl’étrangeimpulsiond’ypasserlesdoigts.Jemeraclailagorge,commepourlavermonespritdecettepenséedérangeante,etclignaidesyeux
pour m’assurer que je voyais clairement dans la poussière de la carrière. Il tenait une nouvellecaméra,plusgrandequecellequ’ilm’avaitprêtée.Quefaisait-ilici?Jecroyaisqu’ilnevoulaitplusmeparler.Lalongem’échappaettombaparterre.Aussitôt,Rookieplongeasonnezdanslesable,enquêtede
brinsdepaille.JeprisunebrossedansunseauposéàcôtédumuretlatendisàTamara.– Tu peux le brosser jusqu’à ce que ta maman arrive. Je te surveille. N’oublie pas de ne pas
t’approcherdesesjambesarrière.Pendanttoutescesannéesoùj’avaiseuRookie,iln’avaitpasuneseulefoisessayédemedonnerun
coupdepied,maisiln’étaitjamaistroptôtpourapprendreauxenfantsàfaireattention.–Pfff,fitTamaraenlevantlesyeuxaucielavantdes’emparerdelabrosse.–Jeseraijusteàcôtésituasbesoindemoi,dis-jeendésignantNolan.Ellem’ignoraetsemitàbrosserRookie.–Tuesungentilponey,roucoula-t-elle.Jem’essuyailesmainssurmonpantalonettraversailacarrière.Nolansuivitmaprogressionavec
sacaméra.Jeralentis,soudainconscientedelacrassedesécuriessousmesonglesetdemescheveuxtoutaplatisparleportdelabombe.–Qu’est-cequetufaislà?demandai-je.Ilgardalacamérapointéesurmoietsourit.–Jolipantalon.Jemesentisrougiretpassaitimidementlesmainssurletissumoulant.–Tuesvenupourparlerchiffon?–Non.Jevoulaissavoircequetufaisaisici.Jefronçaislessourcils.–C’estuneécurie.Etça,ajoutai-jeendésignantRookied’unsignedetête,c’estmoncheval.–C’estpascequejevoulaisdire.Qu’est-cequetufaisiciaujourd’hui?–Jesuisbénévolepourunprogrammedethérapieparl’équitation.Jevienstouslessamedis.Sacaméranebougeapas.–Pourquoi?Jepoussaiunsoupir.Apparemment, j’avaisdenouveauaffaireà l’ancienNolan insupportable.Je
jetaiuncoupd’œilàTamarapourvoircommentelles’ensortaitavecRookie.Ellegloussaitenluicaressantlenez.Jenepusm’empêcherdesourire.–Voilà pourquoi.Quand on a commencé le programme, elle était constamment en colère.Mais
Rookieluiafaitsonpetittourdemagiechevaline,etmaintenantellerit.Audébut,jen’auraisjamaiscruquejelaverraissourireunjour,etencoremoinsrire.Nolanbaissasacaméra.–Qu’est-cequiluiestarrivé?Jehaussailesépaules.
– Je sais pas, et je veux pas le savoir.Certains enfants de ce programmeont des histoires assezterriblespourvousempêcherdedormirlanuit.Ilrestasilencieuxunmoment,lamâchoiretendue.–Sérieux.–Ouais,répliquai-jeencontinuantd’observerTamaraetRookie.C’estpourçaqueceprogramme
estimportant.Uneautrepenséemetraversaalorsl’esprit.JemetournaiversNolan.–Aufait,commentt’assuquej’étaisici?Ilrangealacaméradanslabesacequ’ilportaitenbandoulière.–C’esttonpèrequimel’adit.Jesursautai.–Tuesalléchezmoi?–Ouais.Jecroyaisqu’onavaitprévudetravaillersurcelivred’images.Apparemment,tuasdécidé
demeposerunlapinpouralleraiderdesenfants.Tupeuxêtrevraimentchiantedesfois,ajouta-t-ilavecunclind’œil.–Jecroyaisquetunevoulaisplustravailleravecmoi.Ils’appuyaàlabarrièreetcroisalesbrassurlabarremétallique.L’amusementquittasesyeux.–Écoute,jesuisdésolée,j’aiétécon.Tuestrèsfrustrante,ReganFlay.J’arrivepasàtecerner.–Moi?m’esclaffai-jebrutalement.Ettoialors?Uncouptumeharcèles,uncouptu…Meprendsparlesépaulesetmeserrecontretoi.Magorgeseserra.Jerepoussaicesimagesauloin.–Tumeprêtestaveste,achevai-je.Sonregardsedurcit.–J’imaginequenitoinimoinesommescommel’autrelevoyait.Jem’humectai les lèvres, soudain incapabledeparler.Pasétonnant,vu l’intensitéavec laquelle il
meregardait.Sesdoigtsétaientposéssurlabarrière,longsetminces.Pendantunbrefinstant,jecruspresqueles
sentirsurmesbras.Jeprisuneviveinspirationetdétournailesyeux.–Commentças’estpasséaprèslescours?demanda-t-il.Danslesvestiaires?T’estoujoursenvie,
doncj’imaginequ’Ambernet’espastombéedessus?–Non.–Tuasobtenudesmunitionspourtonplandevengeance?Jecreusaiuntroudanslesableavecleboutdemabotte.–Ouietnon.Ilfronçalessourcils.–Commentça?J’arrêtaidecreuserethaussailesépaules.–Jel’aifilméeentraind’admettrequelquechose…Quelquechosequipourraitlafairerenvoyerdu
lycée.Ellenesaitpaspourlavidéo.Personnenesait,etpersonnenesauratantqu’ellearrêtedemeharceler.–Quoi?fitNolanens’écartantdelabarrière.TunevaspasmettreçasurYouTubeouuntrucdans
legenre?Jeshootaidansuntasdesable.–Sijepostelavidéo,quelqu’und’autreseratouché.–Tum’impressionnes,Flay!Unechaleurserépanditdansmonestomac,etjeprisbiensoindenepasquitterdesyeuxlespointes
demesbottes.–Bref.Est-cequ’onpeutneplusenparler?Etpuisc’estpascommesij’étaisunesainte.Jenevais
paseffacerlavidéoniriendestupidedanscegenre-là.Jelagardeaucasoù.J’allaisl’enregistrersurmon ordinateur hier soir, mais je n’ai pas le bon cable pour ça. Je me demandais si tu pourraisl’enregistreretm’envoyerunecopie?Maistudoismepromettredenelamontreràpersonne.Jesavaisquec’étaitunegrandedécisiondeconfieràNolanlavidéoquipourraitdétruirelesvies
d’AmberetdeChristy,maisjesavaisaussiqu’ilavaitétéhonnêteenversmoidepuisledébut.Mêmesij’avaisdumalàl’admettre,jeluifaisaisconfiance.Illevatroisdoigts.–Paroledescout.Puisilouvritlabarrièreafinqueplusrienn’existeentrenous.–Çaveutdirequetesgrandsprojetsdevengeanceetd’ascensionsocialesontavortés?Jenerépondispastoutdesuite,carjenesavaispascomment.C’étaitlelycée,aprèstout.Cen’était
qu’unequestiondetempsavantquequelqu’und’autrefassequelquechosed’aumoinsaussiterriblequemoi,etpendantquetoutel’écoleluitomberaitdessus,jepourraisdisparaître.Loindesfeuxdelapopularité,jeneseraisplusqu’unautrenomàmoitiéeffacédanslestoilettes.Oubliée.Maisétait-cevraiment ce que je voulais ? Qu’on se souvienne demoi comme la fille qui avait dit des choseshorriblessurtoutlemonde?Non.Àcetinstant,unevoixdefemmeappela:–Tamara?DerrièreNolan,lamèredeTamaras’approchaitdelabarrière.L’épuisements’affichaitencercles
noirssoussesyeux,etdestachesdeketchupetdemoutardeornaientletabliertoujoursnouéautourdesataille.–Allezviens,maintenant!poursuivit-elle.Jen’aiqu’uneheurepourt’emmenerchezGi-Giavant
derepartirbosser.–Ohnon!LabrosseéchappaàTamaraettombadanslesable.–MaisjeneveuxpasallerchezGi-Gi!Jem’ennuiechezelle!Ellen’amêmepaslatélé!Jeveux
restericiavecRookie,ajouta-t-elleenenroulantsesdoigtsdanslacrinièredemoncheval.–Tamara,s’ilteplaît!soupirasamère,lesépaulesvoûtées.Jen’aipasletempspourcesbêtises.
Disaurevoirauchevaletviens.Jedoistravailler.TamararestaagrippéeauxcrinsdeRookie,lesyeuxemplisdelarmes.–Maistudoistoujourstravailler!Mêmesinosviesétaientdifférentes,jesavaiscequec’étaitd’avoirunemèrequitravaillaittoutle
temps.Moncœursaignaitàlafoispourlafemmeetpourl’enfant,etjemecreusailacervellepourtrouverunesolution.–Tusaisquoi,Tamara?fis-jeenfin.Situparsavectamamantoutdesuite,jetedonneuncoursde
deuxheureslasemaineprochaine.Samèrem’adressaunregardreconnaissant.– Pourquoi tu ne peux pas me laisser monter encore une heure maintenant ? gémit Tamara, la
bouchetorduedechagrin.–Parcequetamamandoitallertravailler.–Tunepeuxpasavoirunautrecoursmaintenant,intervintNolan,parcequeReganm’apromisune
leçonàmoi.Ceseraitpasjustequetumeprennesmontempsdecheval.
–Attends,quoi?demandai-je.Tamaracroisalesbras.–Leprogrammeestpourlesenfants,rétorqua-t-elle.–Justement!Jesuisunsalegosse,répliqua-t-il.–Lesenfantsquiontdesproblèmes,ajouta-t-elle.–J’aidesproblèmes.–Commequoi?demanda-t-elleavecunegrimace.–Lesfillessonttrèsméchantesavecmoi.Tamarasourit.–Etelleestoù,tabombe?–Euh…Nolanparcourutl’écuriedesyeuxetdésignaunebomberosesuspendueaumur.–Là-bas!s’écria-t-il.Ilcourutchercherlecasqueetrevintenlefixantsursatête.–Jesuisprêt!Dequoij’ail’air?Tamaragloussa.–Eneffet,cegarçonavraimentdesproblèmes!s’esclaffaMadameWells.Jelaconnaissaisdepuisplusieursannées,etdepuistoutcetemps,jenel’avaisjamaisvuesourire.
Sansparlerderire.–Bon,onesttousd’accord:j’aiunlookd’enfer,ditNolan.Etaprès?TamaralâchalacrinièredeRookieetdésignalaselle.–Tudoismontersurlecheval.–Oui.Lecheval.Nolansefrottalesmainsetcommençaàs’avancerversRookie,labomberoserebondissantsurson
crâneàchaquepas.Jeplaquaimamainsurmabouchepourétoufferunéclatderire.–Tun’espasobligédefaireça,tusais,dis-je.Ils’arrêta.–C’estmonpremiercoursettuesdéjàprêteàmelaissertomber?Quelgenredeprofes-tu?Legenrequivamourirderiredanscinqsecondes,songeai-je.
Jeluifissignedecontinuer.–Tuasraison.Montesurlecheval,vas-y.Madame Wells, qui avait tellement hâte de partir quelques minutes auparavant, s’appuya sur la
barrière.–Cegarçonvafinirparseblesser.–Siseulement,répliquai-je.Elleritenréponse.–OK!s’écriaNolanens’agrippantàlasellependantqueRookiecontinuaitàinspecterlesolàla
recherchedequelquechoseàsemettresousladent.Etc’estparti…Ensetenantdetoutessesforcesàl’avantetàl’arrièredelaselle,ilsepropulsaverslehautmais
glissasurlecuiretatterritdanslesabledel’autrecôté.RookierelevalatêteetrenâclatandisqueTamara,MadameWellsetmoiéclationsderire.–Çaal’airbeaucoupplusfaciledanslesfilms,marmonnaNolanenserelevantavantd’épousseter
sonjean.Est-cequej’essaieencoreunefois?– Non, répondis-je lorsque je pus reprendremon souffle. Je crois que ça suffira pour la leçon
d’aujourd’hui.Ont’apprendraàmontersurlechevallaprochainefois.Àcesmots,Rookieplaquasesoreillesenarrièreetpartitvadrouillerdel’autrecôtédelacarrière,
traînantlalongederrièrelui.–Hé!s’écriaNolanenlemontrantdudoigt.Lechevals’enva!C’estmauvaissigne,non?–C’enestpasunbon,c’estcertain…Tamarasecoualatête.–Tuesvraiment,vraimenttrèsmauvais.MadameWellsgloussa.–Bonsang,çafaisaitdesannéesque jen’avaispasricommeça!Viens,Tamara.Jevaisêtreen
retard,maisçavalaitlecoup!Ellecroisamonregardetbaissalavoixpourajouter:–C’estunbon,celui-là.Iln’yenaplusbeaucoup,descommeça.Nel’oubliepas.Abasourdie,jerougisviolemment.Tamaras’arrêtajusteaprèsleportail.–Tuseraslàlasemaineprochaine?demanda-t-elleàNolan.–Jenesaispas,répondit-ilentournantversmoiunregardinterrogateur.Jefissemblantdenepasremarqueretdétournailesyeux.–J’espère,ditlapetitefille.–Moiaussi,répliqua-t-il.Souriante,Tamarapritlamaindesamère,etelless’enallèrentparlaportecoulissantedesécuries.DèsquejemeretrouvaiseuleavecNolan,moncœursemitàbattreàcoupsredoublés.Ilme rejoignit et s’arrêta si près demoi que je dus lever la tête très, très haut pour croiser son
regard.Ilportaittoujourssoncasque,etjedevaisbienadmettrequeleroseluiallaitbienauteint.Lacouleurrendaitsesyeuxnoisettepresquedorés.L’effetétaitétourdissant,etcenefutquequandilsemitàricanerquejemerendiscomptequejeleregardaisfixement.–Tuesridicule,dis-jepourreprendrecontenance.Ilm’adressaungrandsourireendéfaisantlasangledesabombe.–Ouais,bon…C’estpasmafaute,jesuispresqueprêtàtoutpourfairesourireunefille.Lorsqu’ileutenlevésabombe,ilsecouasescheveuxjusqu’àcequ’ilsretombentsursonvisageen
unemasseonduléequ’ildutrejeterenarrière.Ilme tendit le casque, et nos doigts se frôlèrent. Le contact provoqua surma peau une étincelle
électriquequimefitsursauter.SiNolans’enétaitrenducompte,ilnelemanifestapas.Ilsecontentadeserapprocher,etmoncœur
eutunsoubresaut.Malgrél’odeurdefoinetdepoussièrequiemplissaitl’air,sonparfumàl’orangeetauxaiguillesdepinm’enveloppait,tièdeetléger,emplissantmespoumonscommeunebaudruchejusqu’àcequejemesentesurlepointdedéfaillir.–Euh…Jem’humectaileslèvres,cherchantdésespérémentàcomblerl’espacequinousséparait,mêmesice
n’étaitquepardesmots.–Dequoionparlait?demandai-jeenfin.–Devengeance.–C’estça.Jeneveuxpasmevenger.Je tentai demeconcentrer sur lesballesde foin, sur lespigeonsperchésdans le chevronnage…
Tout sauf cesdeuxyeuxnoisettedans lesquels j’étais sur le point demenoyer.Et cen’étaient passeulementsesyeuxquimecaptivaient.Jenepouvaism’empêcherdesongeràlafaçondontils’était
ridiculisé pour aiderMadameWells et faire rire Tamara.MadameWells avait sans doute raison :Nolanfaisaitpeut-êtrepartiedesbons.–OK.Situneveuxpastevenger,qu’est-cequetuveux?–Aucuneidée,répondis-je.C’étaitlachoselaplusvraiequej’avaisjamaisprononcée.–Audépart,poursuivis-je,jecomptaisfaireprofilbasjusqu’àcequeçasetasse,maiscen’estpas
unesolution.J’aifaitdumalauxgens.Jenepeuxplusl’ignorer.Ilhochalatête,levisageimpénétrable.–Etqu’est-cequetuvasfaire?Jen’ensavaisrien.Niausujetdulycéenipoursauvermaréputation,etsûrementpasausujetdeces
sentiments bizarres que je ressentais pourNolan. J’essayais deme concentrer sur les éléments lesmoinsperturbantsdelasituation.Simamèreétaitàmaplace,elleauraitpostélavidéodesvestiairessanshésiter.Elleprétendaitdéfendrelesvaleursfamiliales,maisjel’avaisvuedétruiredesfamillespour arriver à ses fins. J’avais essayéde jouer selon ses règles,mais jenepouvaisplus être cettepersonne.Pourtant,jenesavaispasnonpluscommentêtrequelqu’und’autre.–Tunetrouvespasçatristequ’onnesesouviennedecertainespersonnesquegrâceauxgraffitisà
leursujetdanslestoilettes?demandai-je.Nolanhaussalessourcils.–Tuveuxtedébarrasserdesgraffitisdanslestoilettes?–Pasdesgraffitis.Del’héritagequ’ilsontlaissé.Ilsemblaitperplexe,maisjel’interrompisavantqu’ilpuissem’interroger:–Désolée,jedéviedusujet.Quandj’aurairemisRookiedanssonbox,onpourratravaillersurle
livre.–Non,onpeutoublierlelivre,répliquaNolan.Onpeuttravaillersurtanouvelleidée.Jegrimaçai.–C’estpasuneidée.Jepensaisàvoixhaute,c’esttout.Etpuisilfautqu’onterminecelivre.Ilest
pourlundi.Nolaneutunsouriremoqueur.–C’estpasparcequetum’aslaissétomberquejen’airienfait.–Dequoituparles?Ensilence,ilrepritsabesaceaccrochéeàunpoteauetensortitunepochetteenpapierkraftremplie
defeuilles.Ilmelatendit.–Jejouaisavecunnouveaulogicield’illustrationet…Essaiedenepasêtretropintimidéeparmon
génie.Je levai lesyeuxau ciel etmepréparai à répliquerparun commentairebien senti.Maisdèsque
j’eusouvertlapochette,touteinsultes’évanouitdemonesprit.–Nolan…ohmonDieu!Ilsouritetfourralesmainsdanslespochesarrièredesonjean.–Génial,non?J’éclataiderireenfeuilletantlesdessinstracésàl’ordinateur.Ilavaitcréélelapinleplusadorable
que j’avais jamais vu. Carotte était une petite boule toute ronde et toute poilue, avec de longuesoreillesetunpetitnezentriangle.J’avaisenviedel’arracherdelapagepourleserrercontremoi,commelevraiCarottequim’attendaitdansmachambre.–Ilestparfait!Lesmainstoujoursdanslespoches,ilhaussalesépaules.
–Laperfection,c’estmontruc.Ensouriant,jelevailesyeuxauciel.– Tu te la pètes un peu, non ? Mais je suis contente que t’aies pas attendu mon aide. J’aurais
sûrementtoutgâché.–J’endoute.Laseuleraisonpourlaquellejet’aipasattendue,c’estquej’étaispassûrquetuaies
enviedetravailleravecmoi.Pasaprèscequis’estpasséhier,entoutcas,ajouta-t-ilendétournantlesyeux.J’arrivaiàunepageoùCarotterendaitàunchiotauxyeuxemplisdelarmeslaballequ’illuiavait
prise.JepassailesdoigtssurlesmotsJesuisdésoléinscritsendessous.Surlapagesuivante,lechiotetlelapins’étreignaient.–Siseulementc’étaitsifacile,murmurai-je.–Pourquoiilfaudraitqueçasoitdifficile?Jesongeaià toutes leschoses terriblesque j’avaisditesdansmesmessagesetà lafaçondont les
gensm’avaientregardéeaprèsça.–C’estcommelegraffitidanslestoilettes.Jeluirendislaliassedepapieretpoursuivis:–Certainespersonnesnepeuventpasêtrepardonnées.Onnepeutpaseffacerlepassé.Ilrangealedossierdanssabesace.–Jecroisquetusous-estimeslesgens,Regan.Tufaissouventça.Jecroisailesbras.–Jene…–Tuseraissurprisedevoiràquelpointilspeuventtepardonnerfacilementsituessincère.C’est
importantpoureux.JulieSimsaététouchéequandtut’esexcuséeauprèsd’elledanslecouloir.Jel’ailusursonvisage.C’estçaquejenecomprendspascheztoi.Tuestrèsintelligente,maistun’aspasl’airdelecomprendre.Jefronçailessourcils.–Comprendrequoi?Ilsepenchasurmoijusqu’àcequesonvisagesoitsiprochedumienquejen’auraiseuqu’àme
hissersurlapointedespiedspourquenoslèvressetouchent.Monventreseserraàcettepensée,etpourtantjem’obligeaiànepasdétournerleregard.–Jecroisquetuasmisledoigtsuruntrucvraimenttopaveccetteidée,murmura-t-il.–J’aipaseud’idée,murmurai-jeenréponse.–Si,sourit-il.Etelleestgéniale.Maislaseulefaçondeconvaincrelesautres,c’estdeleurprouver
qu’ilspeuventavoirconfianceentoi.TuvasdevoirleurmontrerlavraieRegan,paslafillequetuprétendaisêtre.Jenecomprenaistoujourspasdequelleidéeilparlait.Maismalangueétaitsiengourdiequejene
pus formuler les questions que je voulais lui poser. Il était si proche que son souffle me faisaitfrissonner.–Tusaiscequetudoisfaire?Jefis«non»delatête.–Présentertesexcuses.Jeclignaidesyeux,perplexe.Jenecomprenaistoujourspas.–Auxgensdontj’aiparlédansmesmessages?–Non.Ilseredressa,etsoudainj’eusl’impressiondepouvoirdenouveaupenserclairement.
–Àtoutlemonde.Tusais,lesdégâtsquetuascausésneselimitentpasauxgensquetuasinsultésdanscesmessages.Lahontem’enflammalanuqueetlesjoues,etsepropageasurtoutmonvisagejusqu’auxoreilles.
Jejetaiuncoupd’œilderrièremoi,soi-disantpoursurveillerRookie,maisenvérité,jenepouvaisplusleregardersansressentirdansmesentraillesunpincementdeculpabilité.–Tuveuxdirequejedevraisallervoirtoutlemondedanslescouloirsdulycéeetleurdirequeje
suisdésolée?fis-jeavecunpetitricanement.Nonseulementc’estridiculemaisçameprendraituneéternité.–Oui,situt’yprendscommeça.Nolanressortitsacaméradesonsac.–Qu’est-cequetudisdeça?poursuivit-il.Jeleregardaid’unairsceptique.–Tufilmestesexcuses.Réfléchis-y.Ilallumalacaméra.Instinctivement,jefisunpasenarrière.–Situt’exposesvolontairement,ditNolanenbraquantlalentillesurmonvisage,situdéballestout,
personne– y compris Amber – ne pourra te faire de mal. Et puis tu auras la chance de faire une vraiedifférence.Passeulementpourtoi,maispourtoutlemonde.Jenecomprenaistoujourspas.Commentdesimplesmotspourraient-ilschangerquoiquecesoit?
Rienqu’àl’idéedememettreànudevantmescamarades,j’avaisenviedevomir.Maisàlaréflexion,n’était-cepasexactement legenredecommunicationpositivequ’ilmefallait?Etpuis, reconnaîtreseserreursets’excuserétaitunechosequemamèreneferaitjamais.Rienquepourça,j’avaisenvied’essayer.–Alorsquoi?fis-jeenmerapprochantdelacamérapourposerlamainsurl’objectif.Tuveuxque
je fasseçamaintenant?Auxécuries,couvertedepoussièreetdesueur?demandai-jeendésignantd’ungestemaqueue-de-chevalemmêléeetmesbottescouvertesdeboue.Nolanritetéteignitlacaméra.–Ons’enfoutdetonapparence,mêmesi,aupassage,jetetrouvesuperbecommeça.Unevaguedechaleurmesubmergea.Jetentaivainementdemerecoiffer.–Celadit,poursuivit-il,jepensequ’onpeutquandmêmemieuxmettreenscènelavidéo.Tupeux
venirchezmoicesoirversseptheures,situveux.J’auraitoutinstallédansmachambre,etonpourratoutdesuitesemettreautravail.–Cheztoi?Mavoixétaitmontéed’uneoctave.Cen’étaitpascommesijen’étaispasalléelà-basunmillionde
fois pour voir Payton,mais je n’étais jamais entrée dans la chambre deNolan. En fait, je n’étaismêmejamaisentréedanslachambred’ungarçon.Etsurtoutpastouteseule.–Bahoui,répondit-il.Àmoinsquetuaiesunécranvertcheztoi,biensûr…Jefis«non»delatête.Ilsourit.–Alorsçaserachezmoi.Septheures.Onsevoitlà-bas.Malgrélapaniquequim’envahissait,jeparvinsàcoasser:–D’accord.Septheures.Son sourire s’élargit. Il me fit un clin d’œil, puis ouvrit le portail pour quitter la carrière. En
traversantl’écurie,ils’arrêtaletempsdetapoterlenezd’unchevalcurieux.
Aprèssondépart,jemisquelquesminutespourretrouverl’usagedemesmembres.Qu’est-cequejevenaisd’accepter?–Regan!Mary,lapropriétaireducentre,s’approchaitenmenantunchevalparlesrênes.–Oui?soufflai-je.–Jepensaispartirenbalade.Tuveuxvenir?À peine quelques jours auparavant, jem’étais imaginé ouvrir les barrières, sauter sur le dos de
Rookieetpartirlàoùilvoudraitbienm’emporter.Maisàprésent,toutétaitdifférent.Nolanavaitunplan,etmêmesijenelecomprenaispas,jeluifaisaispleinementconfiance.–Merci,maisjecroisquej’enaifinipouraujourd’hui,répondis-je.Pourunefois,jesavaisexactementoùj’étaiscenséeêtre.
CHAPITRE14
LachambredeNolann’étaitpasdutoutceàquoijem’étaisattendue.Bon,jen’étaisencorejamais
entréedans lachambred’ungarçon,maiscellesque j’avaisvuesà la téléétaientenvahiesde lingesaleetdécoréesdepostersdefemmesàmoitiénues.S’il n’y avait pas eu le lit à deux places casé dans un coin, je n’aurais même pas deviné qu’il
s’agissait d’une chambre.Ungrandbureauoccupait toutunmur.Dessus,deuxécransd’ordinateuraffichaient divers clips vidéo et un troisième un logiciel d’édition. La caméra que Nolan avaitapportéeauxécuriesétaitfixéesuruntrépiedaumilieudelapièce,faceàundrapvertquipendaitduplafond.Unsimpletabouretavaitétéposédevant.J’hésitaisurlepasdelaporte.Jesavaisexactementpourquiétaitcetabouret.Jel’entendaispresque
murmurermonnom,memettreaudéfidem’ouvrir lapoitrinepourexposermoncœuraumondeentier.J’essuyaimespaumessoudainementensueursurmonjean.Soudain,jeregrettaiquePaytonnesoitpaslà.Lorsquesonpèreavaitouvertlaportepourmedirequ’elleétaitsortie,j’avaisétédéçue.Jenesavaistoujourspasexactementoùnousenétionstouteslesdeux.Çamecontrariait.–T’asl’airstressée.Je fis volte-face pour découvrir Nolan qui se tenait derrière moi sur le pas de la porte. Il me
bloquaitlasortie.Mêmes’ilnes’étaitpaschangédepuisquejel’avaisvuauxécuries,c’étaittoujoursbizarredelevoirporterautrechosequel’uniformedel’école.Sescheveuxétaientdifférents:aulieudependouillerlibrementsursonfront,ilsétaientbrossésavecsoinettirésderrièresesoreilles.Sijeneleconnaissaispasmieuxqueça,j’auraiscruqu’ilavaitessayédebiensecoifferpourmoi.J’avaisenviedelesébourifferavecmesdoigts,etcettepenséesuffitàmeserrerlesentrailles.–J’aichangéd’avis.Jepeuxpasfaireça.–Biensûrquesi.Ilm’attrapapar lesbraset serra.Comme toujours, soncontact apaisa lesvrillesd’anxiétéqui se
tordaientenmoi.–Jecroisentoi,ajouta-t-il.Ça en faisait aumoins un !Comme il bloquait la seule issue, je n’eus pas d’autre choix que de
reculerdanssachambre.Il ferma la porte et passa devantmoi pour rejoindre son ordinateur. Il se pencha sur le bureau,
s’emparadelasourisetouvritplusieursfenêtressurl’undesécrans.–Tuveuxboirequelquechose?demanda-t-ilsansleverlesyeux.–Nonmerci.Jedoutaisqu’unequelconqueboissonpuissedesserrerlenœuddeterreurquiseformaitdansmon
ventre.MêmeNolanenétaitincapable.Etcommej’avaisdéjàlanausée,jenevoulaispasrisquerdecontrariermonestomacencoreunpeuplus.Il continua à cliquer pour ouvrir et fermer des fenêtres. Comme il était occupé, je décidai
d’inspectersachambre.Sesmursétaientpeintsengrisargenté,etsonlitétaitcouvertd’unecouette
noireunie.Iln’yavaitpaslemoindreposterdesport,maisau-dessusdelatêtedelitsetrouvaientdesaffichesencadréesdedocumentairesdontjen’avaisjamaisentenduparler.Chacuneétaitdécoréedebandeauxannonçantdesvictoiresàl’unoul’autrefestivaldufilm.–Tuaimeslesdocumentaires,çasevoit,dis-jeenexaminantl’affiched’unfilmsurunhommequi
avaitvécupendantunanavecdeschevauxsauvages.Hormislesvidéosqu’onnousfaisaitvoiràl’école,jenemesouvenaispasd’avoirvisionnéunseul
documentaire.–Ouais,répondit-ilsanscesserdemanierlasouris.Tusavaisqu’àl’originedudocumentaire,on
appelaitçaenanglaisdes«lifecaughtunawares»?Desprisesdevieentouteinconscience?J’adorecette expression. Tellement que je voulais appeler mon propre documentaire La vie en touteinconscience.Rienn’estaussiprenantqu’unfilmbienréaliséetconvaincantsurlavie.Sipourmoilesdocussonttellementsupérieursauxfilms,c’estjustementparcequ’ilssontvrais.C’estçaquilesrendsigéniaux.Lesfilmsessaientdeserapprocherdelaréalité,ets’enapprochentparfoisdetrèsprès,maisonnepeutpasfabriquerduréel.Jen’yavaisjamaispensécommeça.Jeposaimonsacàdossursonlit,prenantgardeàconserver
une distance appréciable entre le tabouret etmoi.À l’idée dememettre à nu devant tout le lycée,l’angoissebourdonnaitdansmatêteavecl’intensitéd’unbocalremplidefrelonsfurieux.Ducalme,Regan, me dis-je.C’est le plan que tu cherchais. Celui qui va enfin réparer les dégâts que tu ascausés. Et franchement, ce n’est pas très différent des excuses publiques organisées pour descélébritésetdespoliticiensquiontdérapé.Si?Jedéglutisavecpeine.Jenedoutaispasduplan,nimêmedeNolan,maisàchaquesecondequiétait
passéedepuisqu’ilm’avaitquittéeauxécuries,j’avaisunpeuplusperdufoienmoi-même.Pourrais-je tenirassez longtempspour tourner lavidéo,ouallais-je repartir en laissantàNolan lachose laplusincriminantequisoit:moientraindepiqueruneviolentecrisedenerfsdevantlacaméra?Rienqu’àcettepensée,j’avaiseuenvied’uncachetplusdefoisquej’auraisvoulul’admettre.Maisendéfinitive,malgrémespeurs,jedevaislefaire.J’enavaisassezdefuirmesproblèmes–de
fuirmavie.Aprèstoutcetempspasséseuledansdestoilettescouvertesdegraffitis,jem’étaisrenducomptequecertainescicatricesnedisparaissaientpasavecletemps.Ilnes’agissaitplusdemecacherouderegagnermapopularité.Ils’agissaitderéparerlesdégâtsquej’avaiscausés.Mêmesijedevaisgarder lespoings serréspourm’empêcherd’atteindremespetitespilules, j’allais fairecettevidéo.Peut-êtreétait-celàquelavraiemoisecachaitdepuistoutcetemps:enfouieaufondd’unflacondeXanax.Nolanjetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.Ilmevitapprocheretsourit.Quelquechosesemitàvibrerenmoi,maisjefisdemonmieuxpourl’ignorer.–Commentsepassetondocumentaire?demandai-je.–Bof…Sonsouriredisparutetilseretournaverssesécrans.–J’aicruavoirunesuperidéepourundocumentairesurlaviedansunlycéeaméricain,mais…Ilhaussalesépaules.–Çan’apasmarché.–Pourquoi?Ilsepassalalanguesurleslèvres.–Parfois,leschosesdeviennenttropréelles.–C’estpourçaquetumefilmaisdanslescouloirs?– Ouais… J’essayais de capturer des plans bruts de la vie lycéenne, mais ça ne s’est pas passé
commeprévu,répondit-ilensefrottantlanuque.MonamieBlakem’aidait.Jenesaispassituesaucourant,maisellesefaitbeaucoupharceler.Jelesavais,etmêmedeprèspuisqu’Amberenétaitengrandepartieresponsable.Ellepassaitson
temps à embêter Blake et l’ex de Nolan, Jordan, en les traitant de gouines. Maintenant que jeconnaissais le secretd’Amber, je comprenaismieux : elle lesharcelaitpour tenterdebrouiller lespistes.–Bref,poursuivit-il.Blakeetmoiavonseul’idéeensemble.Lesujetdufilmétaitlapopularitéau
lycée. J’essayais de capturer les deux côtés de la hiérarchiemais, comme je te l’ai dit, ça n’a pasmarché.Jesuisbeaucoupplusexcitéparnotrenouveauprojet.–Notreprojet?–Ouais.Enfin,situesd’accordpourquejefilmeça.Çaferaitunsuperdocumentaire.Onpourrait
appeler çaProjet graffitis. Enfin, ça ou ce que tu veux. C’est pour ça qu’on fait ça, ajouta-t-il endésignantsonécran.–Maisjenevoistoujourspaslerapportentrelesgraffitisetmesexcuses.Ilsourit.–Tuverras.Tuvasadorer.Ilretournaàsonordinateuretouvritunautrelogicielaffichantdiversgraphiquesetcadrans.Trèsvite,mesyeuxdevinrentvitreuxetjedusdétournerleregard.C’estalorsquejeremarquailes
cadresphotoposésdechaquecôtédesécrans.Surl’und’eux,Nolansemblaitavoiràpeinetreizeans.Ses cheveux lui retombaient sur les oreilles. Il était grand et dégingandé, tout en angles et enarticulations. Il se tenait au milieu d’une rangée de garçons, et chacun avait le pied posé sur unskateboard.Suruneautrephoto,ilfaisaitàPaytonuneprisedecatch.Sonpoingétaitappuyécontrelefrontdelapetitefillevisiblementravie.–OùestPaytoncesoir?demandai-je.–Partiefairedushoppingavecmaman.Jecroisqu’ellesvontchoisirsarobepourlebal,répondit-
ilenlevantlesyeuxauciel.Commesiellen’avaitpasdéjàunplacardrempliderobes!Lebal.J’avaiscomplètementoubliéquec’étaitdansquelquessemainesàpeine.Commesij’avaisla
moindrechanced’yaller,àprésent.Jeposailesyeuxsurlederniercadre,unephotodeNolanetdesonex,Jordan.Ilsétaienthabilléstoutennoir,etsescheveuxàelleétaientcolorésenunejolieteintedebleu.Nolanentouraitsesépaulesdesesbrasetavaitleslèvrespresséessursajoue.Elleavaitlaboucheouverte,figéepourtoujoursdansunéclatderire.Jenemesouvenaispasd’uneseulefoisoùjel’avaisvuerire,oumêmesourire,aulycée.J’avais
toujourssupposéquec’étaitjusteuneémoquiiraitlatronche.Maismaintenantquej’avaismoi-mêmesouffertdesattaquesd’Amber,jelacomprenaisbeaucoupmieux.JerelevailatêteetvisNolanmeregarderd’undrôled’air.–Qu’est-cequis’estpasséentrevousdeux?demandai-jeendésignantJordan.Tuasl’airtellement
heureuxsurcettephoto.–C’estçaquiestmarrantaveclesphotos,répliqua-t-ilenposantlecadrefaceverslebassurson
bureau.Ellesnemontrentquecequisetrouveàlasurface.Jecomprenais.Chezmoi,lesmursétaientcouvertsdedizainesdephotosdemesparentsetdemoi,
souriants,commeuneparfaitepetitefamilleaméricaine.Maisdanslavraievie, jenemesouvenaismêmepasdeladernièrefoisoùnousnousétionssourisansqu’ilyaitunappareilphotobraquésurnous.Nolanreportasonattentionsursonordinateur.Ilavaitlamâchoireserrée,commes’ilseretenaitde
grincerdesdents.
–C’était ellequin’était pasheureuse, reprit-il. J’ai fait tout ceque jepouvaispour l’aider.Pourl’empêcherdetomberenmiettes.Maisj’auraisaussibienpuessayerdefaireentrertoutl’océandansunebouteille.Avantquejepuissedemandercequ’ilvoulaitdireparlà,ildésignal’écran.–Aveclefondvert,tupeuxchoisirparmiuntasdedécorsdifférents.Ilcliqua,marquantclairementsavolontédechangerdesujet.Uneséried’imagesapparutsurl’écrandumilieu.Lapremièreressemblaitàl’intérieurdubureau
demongrand-père:unegrandebibliothèqueenacajoupleinedelivresreliéscuirtrônaitàcôtéd’unecheminéeenbriquesrouges.Ladeuxièmeressemblaitàuncouloirdelycée:deuxrangéesdecasiersargentés étaient alignées de chaque côté d’un sol au carrelage brillant.Une troisièmemontrait lesgradinsd’unstadedefoot.–Jepencheraispourcelle-là,ditNolanendésignantlescasiers,maissituasautrechoseentête…–Uneguillotine,peut-être?Ouunpelotond’exécution?Parcequej’aicommel’impressiond’être
danslecouloirdelamort…Ilritetsecoualatête.–Onvapartirsurlescasiers…Il cliqua, et l’image s’afficha en plein écran. Il cliqua de nouveau, et le tabouret derrière moi
apparutdevantcommeparmiracle.–C’estgénial!m’écriai-je.–Lamagieducinéma.Ilmefitunclind’œiletquittasonfauteuildebureaupourrejoindrelacaméraposéesurletrépied.
Ilajustal’anglejusqu’àcequeletabouretsetrouvejusteentrelesdeuxrangéesdecasiers.Lorsqu’ileutterminé,iltapotalesiège.–Enscène!Monestomacsesouleva.Jememordislalèvreetcroisailesbras.Toutcomptefait,cen’étaitpeut-
êtrepasunebonneidée.Etsijenefaisaisquem’exposeràencoreplusd’humiliationetderidicule?LeregarddeNolans’adoucit.–Çavaaller,Flay?Jesaisquejet’aiunpeuprécipitéelà-dedans.T’espasobligéedelefairesit’as
pasenvie.Bien sûr que je le voulais,mais « vouloir » et « faire » étaient deux planètes différentes qui se
trouvaientdansdeuxsystèmessolairesdifférents,avecunabîmedevideentrelesdeux.Denouveau,je me mordis la lèvre. Qu’est-ce que papa disait toujours ? Un voyage de mille kilomètres doitcommencerparunsimplepas?J’étaisprêteàfairecepas.MêmesiAmbermelaissaittranquilleetquePaytonetmoinousréconciliions,mêmesitoutlelycéeoubliaitpeuàpeucequej’avaisfait,moi,jen’oublieraisjamais.Jedéglutisavecpeineetm’assis.–Jedoislefaire.Nolanpressauninterrupteuretsachambrefutplongéedanslenoir,endehorsdelafaiblelumière
desécransd’ordinateur.Dupied,ilallumaunblocprise.Aussitôt,jefuspresqueaveugléepardeuxpuissants projecteurs installés de chaque côté de la caméra. Je plissai les yeux pendant quelquessecondes,jusqu’àcequemavisionsoitdébarrasséedespetitspointslumineuxquil’avaientenvahie.–Désolé.Nolandescenditlesprojecteurspourqu’ilsnesoientplusbraquéssurmonvisage.–Tuespluspetitequemoi.Intimidée,jenesavaispasquoifairedemesmains.Jelesposaisurmesgenoux.–Tut’esfilmé?
Mêmesijenevoyaispassonvisagedanslenoir,jedistinguaislasilhouettesombredesoncorpsderrièrelacaméra.Ilhaussauneépauleetretournaàsesajustements.–Pourl’anciendocumentaire.Celuiquej’aiabandonné.–Parcequeçanemarchaitpas?–Exactement.Unefoisencore,jevoulusluidemanderpourquoiçan’avaitpasmarché,surtoutmaintenantqueje
savaisqu’ilyétaitquestiondepopularité,mais jen’eneuspas le temps. Ilpressaunboutonsur lacaméra,etunelumièrerougesemitàclignoterau-dessusdel’objectif.Jeprisunegrandeinspiration.Nolaneutunpetitrire.–Ducalme,Flay.Faiscommesilacaméran’étaitpaslà.Plusfacileàdirequ’àfaire.Lalumièrerougemefaisaitl’effetd’unlaserquimebrûlaitlapeau.Je
remuaisurmontabouret.–Qu’est-cequejefais,maintenant?Ilpritunautretabouretdansuncoinetseperchasurlebord,unpiedsurlerepose-pied,lesgenoux
écartés.–Faiscommesitumeparlaisàmoi.Çanem’aidaitpasvraiment,maisjen’allaispasluidireça.Uneénergienerveusemetraversaittout
lecorps.Jecachaimesmainsdansmesmanchesettordisletissuautour.–Jenesaispasparoùcommencer.Nolansepenchaenavantdevantleprojecteur,justeassezpourillumineruncôtédesonvisage.–Etsijeteposaisdesquestionsetquetuyrépondais?Tun’aurasqu’àrépéterlaquestiondansta
réponse,commeçajen’auraiplusqu’àmedébrouillerpourcouperaumontage.D’accord?Jehochailatête.Moncœurbattaitàtoutrompre.–D’accord.Ilplaquasesmainsl’unecontrel’autre.–Bon!Parle-moidujouroùtuesarrivéeaulycéepourtrouvertesmessagesprivéscolléssurles
casiers.Je ricanai, non pas parce que je trouvais le sujet amusant mais parce que si je ne riais pas, je
craignaisdefondreenlarmes–chosequejenevoulaisdéfinitivementpasfairedevantunecaméra.Magorgeseserra,et jeposaimachinalement lamainsurmaboîteàpilulesaufonddemapoche.J’aimais savoir qu’elles étaient là, même si je faisais tous les efforts du monde pour ne pas enprendre.Detoutefaçon,çarendraitsûrementlavidéodeNolanbienplusintéressantesi jetombaisraidemorte.L’idéemefitglousser.–Tuesnerveuse,ditNolan.–Çasevoittantqueça?Jetapotaidesdoigtssurlaboîte.Sij’avalaisuncachetmaintenant,jepourraispeut-êtrearrêterla
crisedepaniqueavantmêmequ’ellecommence.–Qu’est-cequ’ilyadanstapoche?demanda-t-il.Jemefigeai,lagorgeserrée.Uninstant,jepensaimentir.J’auraispuluidirequecen’étaitqu’un
tube de gloss. Quand j’avais répétémes excuses un peu plus tôt devant lemiroir, pas une fois jen’avais envisagédementionnermon troublede l’anxiétéoumespilules.Pourtant, jeme surpris àsortirlapetiteboîteargentéedemapocheetàl’ouvrirdevantlacaméra.–C’estmonXanax.Letremblementdemesmainsfaisaits’entrechoquerlespetitespilulesroses.
–Çam’aideàm’éloignerdubordquandjecommenceàtomber.–Commentça?Jerefermailaboîteavecunclaquementsecetlaremisdansmapoche.–Jesouffredetroublesdel’anxiété.Aprèsavoirpassécesdernièresannéesàdissimulermonsecretauprèsdetoutlemonde,ledévoiler
devant Nolan et sa caméra me donna l’impression de reprendre mon souffle que j’avais retenupendantune éternité. Jenem’étaispas renducompte àquelpoint ç’avait été épuisantdegarder çapourmoi.–Quandj’étaisentroisième,jesuisrestéedebouttrèstardunsoirpourréviser,etj’aicommencéà
avoir très mal dans la poitrine.Mes bras me picotaient et je n’arrivais plus à respirer. J’ai faillitomberdanslespommes.J’aicruquejefaisaisunecrisecardiaque,etmonpèrem’aemmenéeauxurgences.Enfait,c’étaitunecrisedepanique.Jeparlaisdeplusenplusvite.J’avaispeurdemedégonfleretderavalerlesmotsquimecoulaient
delabouche.À cet instant, je me foutais que Nolan pense que j’étais tarée si j’avais besoin de médocs pourfonctionnernormalement.Cequejefaisais–mepurgerdetouscessecretsetdetousmesregrets–mesemblaitêtrelabonnechoseàfaire.Detoutemavie,c’étaitlapremièrefoisquejeressentaisunetelleévidence.–Le lycéeétaitunpeuplusdurqueceàquoi jem’attendais.Tout lemondecroitquemavieest
parfaite.Cequ’ilsnesaventpas,c’estquejetiensàpeinelecoup.Enfaitnon,jenetienspaslecoup.Pasdutout.C’estça,leproblème.Etpuisilyamamère,quiestdéputée.J’essayaisdedistinguermeschaussuresdanslapénombrepournepasavoiràregarderlacaméra.–Elleaplanifiémavieentière,placéenmoidesattentesquejesuisincapabledesatisfaire.MêmesijenevoyaispasNolan,j’entendaissonsoufflerégulierdanslesilencequiavaitsuivimes
mots.Enfin,ildemanda:–Quelgenred’attentes?–Laperfection,soufflai-je.Unepetitevoixdansmatête,l’ancienneRegan,mehurlaitdelafermer,quej’enavaistropdit.Tu
montresdesfaiblesses,sifflait-elle.Peut-être.Maisjem’étaisdéjàtropouvertepourreculer,j’avaisdévoilétoutesmescicatrices.Etpuis,quidécidaitdelalimiteentreforceetvulnérabilité?Parcequ’àcet instant, je ne voyais pas la différence. J’étais venue ici ce soir pour m’excuser auprès desinnombrablespersonnesque j’avaisblessées,mais ilm’avait falluattendre jusqu’àcet instantpourmerendrecomptequelapersonneàquij’avaisfaitleplusdemal,c’étaitmoi-même.Jetripotaidenouveaulaboîtedepilulesethaussailesépaules.– Je devais être parfaite. Irréprochable. Tout le temps. Pas seulement à la maison, mais aussi à
l’école,àl’église…Mêmepourallerfairemescourses,parcequetoutlemondemeregardaittoutletemps.C’étaitcommesilemondeentierétaitlà,àattendrequejemeplante.Etj’airetenumonsoufflependantdesannées,parcequejesavaisquecen’étaitqu’unequestiondetempsavantquejedérapeetquetoutparteenvrille.Je fixais l’objectif de la caméra. L’obscurité semblait s’étendre comme une bouche noire qui
s’ouvrait pourm’engloutir tout entière. Je sentaismes forces s’épuiser. Jem’agrippai au siège demontabouret.J’essayaidem’yancreralorsquetoutcequejevoulais,c’étaitmelaissertomberparterre.Encoretrentesecondes,medis-je.Trentesecondes,ettupourrasprendreuncachet.Je n’allais pas mourir dans les trente prochaines secondes, même si le silence de la pièce me
donnaitlachairdepouleetquelesondelarespirationdeNolanmemettaitmalàl’aise.J’ouvrislaboucheetparlai,justepourremplirlevide.–Ilyadesjoursoùj’ail’impressionquelaseulechosequimemaintientenunseulmorceau,ce
sontcespilules.Jesecouailaboîteetritunpeu.–C’est tellementpathétique.Maisencorepluspathétique, ilya leschoseshorriblesquej’aidites
sur lesgens– leschoseshorriblesque j’ai faites.Jen’essaiepasdemetrouverdesexcuses,parcequ’iln’yenapas.Jevoulaisseulementdirequejesuisdésoléepourtout.Vraimenttout.Lelycéeestdéjàassezdursansqued’autresélèvesenrajoutent,etjesuisvraimentdésoléed’avoirétéunedecesautres.L’épuisements’abattaitsurmoi,etmesépauless’affaissaientsoussonpoids.J’ysuispresque.–Jenem’attendspasàcequ’onmepardonne.Jevoulaisjustequetoutlemondesache.Jeneveux
plusêtrelapersonnequej’aiété.Jeveuxêtremoi-même,mêmesijenesaispasencorevraimentquijesuis.Jevaisbienfinirpartrouver,conclus-jeenhaussantlesépaules.Jem’arrêtaietcherchaiduregardlasilhouettenoiredeNolanderrièrelacaméra.–Jenesaispasquoidiredeplus.Lalumièrerougedelacaméradisparut.Unesecondeplus tard, lesdeuxprojecteurss’éteignirent
également.Jemisquelquessecondesàm’habitueràlapénombre.Lorsquej’yparvins,Nolansetenaitdevantmoi.Jefaillistomberdemontabouret.–Putain!Ilnes’excusapasdem’avoireffrayée.Enfait,ilneditrien.Ilsecontentademeregarderd’unair
étrange.–Oh,non!J’aiétésinullequeça?demandai-jeenmeratatinantsurmonsiège.–Non.Avantquejepuissecomprendrecequisepassait,ilglissasesmainssurmesjoues.Lesboutsdeses
doigtspassèrentsurmesoreillesetseperdirentdansmescheveux.–J’avaispasidéequetusubissaistoutça.Jesuisunenfoiré.Jenecomprenaispasvraimentcequisepassait.J’étaisincapabledepenser,incapablederespirer.Ses yeux brillaient presque dans la faible lumière de ses écrans d’ordinateur.Unemèche rebelle
étaitretombéesursonfront,merappelantàquelpoint toutchezluiétaitsauvage.Ilétaitsiprèsdemoiquejesentaissonsoufflechatouillermeslèvres.Chaqueinspirationquejeprenaismedonnaitl’impressionde respirerunepartiede lui. Je fermai lesyeuxetmesentisdevenir toutemolle.Sonparfumenvahissaitmessens.–Regan,jen’aipaslamoindreidéedecequejedoisfairemaintenant.Savoixétaitplusbassequed’habitude,presquerauque.–Jesaisseulementcequej’aienviedefaire.Jenecomprenaispas.–Commentça?–Jevaist’embrasser.–Quoi?J’ouvrisdegrandsyeuxetfaillism’étouffer.Moncœursemblaitêtreremontédansmagorge.–Pourquoi?Jemeraidisàlasecondeoùlaquestionm’échappa.Demanderàunmecpourquoiilvoulaitvous
embrasser, ce n’était pas vraiment l’encourager dans cette voie. Et ce n’était pas comme si je ne
voulaispasqu’ilm’embrasse…Si?C’étaitévidentquej’avaisdéveloppédessentimentspourluicesderniersjours.Jenepouvaisignorerlafaçondontmoncœurs’étaitemballéquandilétaitarrivéauxécuriescematin,niladoucechaleurquienvahissaitmesveinesdèsqu’ils’approchaitdemoi,ni…–C’estdingue,hein?fitNolanenriantdoucement.Pourdesraisonsquejenecomprenaispas,sonrireétaittriste.–Jevaist’embrasserparcequetuesincroyable,tuesbelle,etparcequej’enaienvie.Ilsepenchaplusprèsdemoi,etj’eneustellementletournisquejeseraistombéedemonperchoir
sisesmainsn’avaientpasétélà.Ilétaitàmoinsdecinqcentimètresquandils’arrêtaetmeregarda,lespaupièreslourdes.–Est-cequetuasenviequejet’embrasse?Lachaleurde sesmainsmepénétrait lapeau.C’étaitNolan, lemecquim’avait insultéedans les
couloirspendantdesannées.Maisc’étaitaussilemecquim’avaitlaisséemeraccrocheràluidanslestoilettes aumomentoù je risquaisdem’effondrer.Lemecqui avait posé saveste surmesépaulesparcequejen’arrêtaispasdetrembler.Nolanqui,étrangement,étaitrestéavecmoialorsquetoutlemondemetournaitledos.Maisjen’avaisjamaisembrasséungarçon.Etsijem’yprenaismal?Etsiçachangeaitleschosesentrenous?–Regan?Safaçonessouffléedeprononcermonnommefitpresquesuffoquer.–Oui?–Encemoment,toutestcontrenous.Alorsest-cequ’onpourraitappuyersurpause?Oublierun
instanttouteslesconneriesdumondeextérieur?Arrêterderéfléchir?Sesdoigtss’emmêlèrentunpeuplusdansmescheveux.–Rienquepourcesoir,sionfaisaitcommesionn’avaitpasdepassé?Commesileseulmoment
quiaitexistéentrenousétaitcelui-ci?D’accord?Etmaintenant,donne-moilapremièreréponsequitevientàl’espritetj’enseraisatisfait.Est-cequetuasenviedem’embrasser?Unseulmotmevintàl’esprit–celuiquiétaitlàdepuisledébut.–Oui.
CHAPITRE15
CommetoutchezNolanétaitminceetmusclé, ladouceurdesabouchemepritaudépourvu.Ses
lèvreseffleurèrentdoucementlesmiennes,puisilm’embrassa.Aussitôt,j’eusl’impressionquenousétions deux pièces d’un puzzle qui s’imbriquaient parfaitement. Je me penchai sur lui, et il serapprocha. Nos jambes s’entremêlèrent. Sa bouche explorait lamienne,mordillant tendrementmalèvreinférieure.Ilenroulasesdoigtsdansmescheveuxetlestiradoucement.Jelâchaiunhalètement,etàlaseconde
oùj’ouvris les lèvres,Nolanm’embrassaplusprofondément.Unevaguetièdedecequinepouvaitêtrequedudésirs’abattitsurmoi.Uneétrangechaleurserépanditdanstoutmoncorps,mebrûlantlesboutsdesdoigtsetdesorteils.Jem’agrippaiauxépaulesdeNolanpouréviterdemerépandresurlesol.Ilm’embrassadeplusenplus langoureusement,deplusenpluspassionnément, jusqu’àceque je
vienneàsarencontrepourm’imprégneràmontourdesasaveur.Avecsesmainsdansmescheveuxetseslèvressurlesmiennes,lemondeextérieurs’éloignajusqu’àcequeplusrienn’existeàpartlui,moietnotrebaiser.Jeglissaiunemaindanssoncou,puislalaissaidescendresursontorseferme,justepourm’assurerquenousétionstoujoursdeuxpersonnesbiendistinctes.Parcequ’avecmesyeuxfermésetcefeuquibrûlaitdansmesveines,j’avaisl’impressionquenousnousétionsfondusl’unenl’autre.Il gémit sous la caresse et fit glisser sesmains surmes cuisses, jusqu’à l’ourlet dema jupe.Au
premiercontactpeaucontrepeau,lesdernièrestracesd’anxiétéquirestaientenmois’évaporèrent.Brusquement,jereculai.J’avaislesjouesenfeu,maisjenesavaispaspourquoi.Était-cel’effetdu
baiserdeNolan?Delapaniquequejeressentaisàl’idéequ’ilm’aitprisepourquelqu’und’autre?De la peur d’avoir fait quelque chose demal ?Unmélanged’émotions indistinctes semouvait enmoi.J’étaismuette,clouéeautabouret.Nolanpressasonfrontcontrelemien.–C’était…Waouh!Çava,toi?–Jecrois,parvins-jeàarticuler.Maisj’avaisdumalàrestercalmealorsqu’ilmetouchait.Qu’ilmedonnaitenviedel’embrasser
encore,malgrétoutesmeserreursetmapeurdemalfaire.Ilposalamainsurmajoueetfronçalessourcils.–Cettesemaineaétéunenferpourtoi,non?–Plutôt,oui,répondis-jeententantunsourire.Maisilyaeudesbonsmoments.–Ahoui?Ilsourit,etmonsoufflesebloquadansmagorge.J’étaissûrequ’ilallaitencorem’embrasser,et
toutmoncorpsenvibraitd’avance.Maisaussivitequ’ilétait apparu, sonsourire s’enalla. Il sepenchapourposer sa jouecontre la
mienne.Cesimplegeste,lacaressedesescheveuxetsapeaudouce,brisèrentquelquechoseaufond
demoi.Seslèvresétaientsiprochesdemonoreillequejelessentisfrôlermonlobequandilrepritlaparole:–J’aiétéhorribleavectoi,Regan.Leschosesquej’aifaites…–Çapeutpasêtrepirequecequejet’aifaitàtoi,l’interrompis-je.–J’enseraispassisûreàtaplace…soupira-t-il.–Jecroyaisqu’ondevaitoublierlepassécesoir.–Ouais,maisilyadeschosesqu’ilfautquetusaches.–Non.Jenevoulaispasfaireplanerd’autresvilainsmotsdansl’espacequinousséparait.Cetinstantétait
tropfragile,commedesfilsdesucresidélicatsquelemoindrefrôlementpouvaittoutgâcher.Etàlafaçondontilmeregardait–commes’ilpouvaitvoiràtraverstouslesfaux-semblantsettrouverenmoicellequicomptaitvraiment,cettepersonnevulnérablequej’avaissibiendissimuléependanttantdetemps–,jevoulaisfairedurercemomentaussilongtempsquepossible.–Jeneveuxriensavoir.Entoutcas,pascesoir.Il ouvrit la bouche,mais ce qu’il voulait dire resta coincé au fond de sa gorge.Après quelques
instants,ildéclaraenfin:–Resteavecmoi,Regan.S’ilteplaît.Ilsemblait…vulnérable.Effrayé,même.Toutlecontrairedecequejepensaisdelui.Maisc’était
exactementcequejeressentaismoi-mêmequandiln’étaitpaslà.Sansmêmemerendrecomptedecequejefaisais,jehochailatête.Sesdoigtsglissèrentsurmesbras,puissurmesmains.Puis,unàun,sesdoigtssedétachèrentdes
miensetils’éloignapourallers’asseoirauborddulit.L’idéed’êtreseulesurunlitavecungarçonavaitquelquechosededangereux.Pourtant,malgrémesjambesflageolantes,jeparvinsàmeleveretàtraverserlapiècepourm’arrêterdevantlui.Monpoulsbattaitplusfortàchaquepas,jusqu’àn’êtreplusqu’ungrondementassourdissantdansmatête. Il leva lesyeuxversmoietsourit,etcesourireétaitdifférentdetouslesautressouriresquej’avaisvussurseslèvresjusqu’àprésent.Commentavais-jepuignoreràquelpointilétaitbeau?L’idéequ’ungarçoncommeNolanpuisse
avoirunsouriresecretrienquepourmoimefitundrôled’effetdanslarégionducœur.Jetendislamain car, à cet instant, j’avais désespérément besoin de réduire la distance qui nous séparait. Ilm’attiraàcôtédeluisurlelitetplaçadescoussinscontrelatêtedelit.Puisilbalançasesjambessurlematelas,selaissaallerenarrièreetm’attiracontrelui,latêteposéeaucreuxdesoncou.J’avais l’impression deme noyer dans unemer deNolan : son odeur, sa peau, son cœur. Jeme
laissaiemporterparl’exaltationdelasituation,lecerveauparcourud’unétrangecourantélectrique.Jeposaimamainsursontorse,etilfrémit.–Tun’espascellequejecroyais,murmura-t-il.Uneboufféedeplaisirm’envahit,maiselledisparuttrèsvitequandilajouta,avecuneévidentenote
deregret:–Jet’aimevraimentbeaucoup.Jefronçailessourcils.–Jesuisdésoléequecesoitunproblèmepourtoi…Nolanmecaressalajoue.–Cen’estpascequejeveuxdire.C’estjusteque…Ilpoussaunsoupiretreprit:–Ilyadeschosesquetunesaispassurmoi…Deschosesquineteplairaientpas.Avant…Sa voixmourut dans sa gorge, mais je n’avais pas besoin qu’il poursuive pour savoir ce qu’il
voulait dire. Avant que mes messages soient affichés sur les casiers, avant qu’on nous demanded’écrireenéquipecelivrepourenfants,avantqu’ilmeprennedanssesbrasdanslestoilettes,nousavionstousdeuxpenséetditdeschosesterriblesl’unsurl’autre.–Nedisrien,dis-jeenentrelaçantnosdoigts.Jet’aidéjàditqu’onn’avaitpasbesoindeparlerde
çacesoir.Avant,toutétaitdifférent.–Jesais.Jesuisdésoléd’avoirremisçasurletapis.C’estjusteque…Ilsecoualatête,etlehautdesamâchoirefrôlalespetitscheveuxdusommetdematête.–J’aiétéstupide.–Onatouslesdeuxétéstupides.Ildéglutit.–Tunecomprendspas.Etsij’étaisarrivétroptard?AvecJordan,jesuisarrivétroptard.Jesuivisdudoigtlelogodélavédesont-shirt.–Jecroyaisqu’elleavaitdéménagé.Commentçapourraitêtretafaute?Il ne répondit pas tout de suite. Plus les secondes passaient, plus j’étais sûre qu’il n’allait pas
répondredutout.Puisilsoupira,etjesentissapoitrinesedégonflersousmatête.–Elleavraimentdéménagé,maisiln’yapasqueça.Jel’ailaisséetomber.Jen’étaispaslàquand
elle…Etmerde.Ilcalasatêtesurlatêtedelitetregardaleplafond.–Nolan…–Leschoseschangent,dit-il.Iln’yaaucunmoyendesavoircequel’avenirnousréserve.Jevaiste
direcequis’estpasséentreJordanetmoi.Jetelepromets.Maispourcesoir,est-cequ’onpeutfairecommesijen’avaisriendit?Jeveuxprofiterdecemomentaussilongtempsquepossible.Maprotestationmourutsurmalangue.Querépondreàça?–D’accord.Onn’enparlerapascesoir.Quelsquesoientsessecrets,ilsseraienttoujourslàdemain.Peuàpeu,soncorpssedétenditsousmoi.–Pascesoir,répéta-t-il.Ilsoulevaunemèchedemescheveuxetl’enroulaautourdesondoigt.Lalumièredelalunequise
répandaitpar la fenêtreprojetaitune faible lueur surnosdeuxcorps.L’atmosphèrede sa chambreétaitlourdeetsilencieuse,etc’étaitpresquecommesiNolanetmoiétionsseulsaumonde.Presque.Mais ses mots continuaient à tourner dans ma tête. Et si j’étais arrivé trop tard ? La question
repassaitenboucledansmonespritjusqu’àmedonnerlamigraine.Troptardpourquoi?
CHAPITRE16
Ledimanchearriva,puispassa, sansmêmeunSMSdeNolan.Çamecontrariait,mêmesi j’étais
furieuse deme laisser atteindre par si peu.Ce n’était pas comme si j’étais sa copine…On n’étaitmêmejamaissortisensemble.J’avaisjusteprésuméqueNolanétaitlegenredemecàrappelerunefillequiluiavaitrévélésesplussombressecretsavantdepasserplusieursheurescaléeaucreuxdesonbras–mêmeaprèsqu’ils’étaitendormi.Apparemment,jem’étaistrompée.Lepire,c’étaitquej’avaisaimé le regarderdormir.Observersapoitrinesesouleveret retomber
toutenécoutantlesbattementssourdsdesoncœurtoutcontremonoreille.Jesavaisàprésentquesescilstremblaientquandilrêvaitetqu’ilpinçaitlescoinsdeslèvresd’unairrenfrogné.Ilmurmurait,aussi.Desmotsfaiblesetinintelligibles.Unepartiedemoiavaiteuenviedeletaquineravecça,maisuneautrepartie,quiavaitprisledessus,avaiteuhontedeluiavoirvolédesmomentsquinem’étaientpasdestinés.Apparemment,j’avaisraison.Après m’être douchée pour m’assurer que je m’étais débarrassée de toute trace d’oranges et
d’aiguilles de pin, je vérifiai Facebook et fis défiler les statuts pour voir si personne n’avait rienpostésurmoidanslegroupe.Ilyavaitquelquesnouveaux«j’aime»(apparemment,jen’avaisplusvraiment besoin de me suicider à présent – comme c’était rafraîchissant), mais pas de nouveauxcommentaires. Les mises à jour de statuts étaient assez calmes également. Bien sûr, il y avait lesstatuts habituels au sujet des soirées et une poignée de selfies, etmême quelques posts de Taylorannonçantqu’elleetAmberallaientaulacavecJeremyetsespotes.Jelevailesyeuxaucielenvoyantunephotoquidonnaitl’impressionqu’AmberadoraittraîneravecTaylor.PauvreTaylor.Ellen’allaitpascomprendrequandAmberdécréteraitqu’elleenavaitmarred’elle.
Je likai les photos pour qu’Amber comprenne bien que je la surveillais. Pas demal à ça. Surtoutsachantqu’avantdepartirdechezNolan,j’avaislaissélapetitecamérasursonbureauavecunmotpourqu’ilm’envoielavidéo.Pour finir, j’allais voir le profil de Nolan. Il avait posté un nouveau lien vers un documentaire
traitantd’uneémeutedansunevilleduSud,quis’étaitproduiteavantnotrenaissance.C’étaittout.Jetapotaileborddemontéléphoneenmedemandantsijedevaislikersonpost.D’uncôté,j’aimaislefaitqu’ilpostedeschosessérieuses.D’unautrecôté,ilm’ignorait.Aprèscequis’étaitpassésamedi,aimersonpostseraitmesquin…Maisallez,quoi!Ilavaiteuletempsderegarderdesvidéosetdeposterdesliens,maispasdem’appeler?Jecliquaisur«j’aime».Lelundi,j’étaisdansleparkingdel’écoleentraindefermermaportièrequanduneombreseposa
surmonépaule.Jemefigeai,lepoucesurlachaînedemaclé.–Hé!ditNolan.Mesmuscles se contractèrent, et je dus m’efforcer de garder une attitude naturelle. La dernière
chosedontj’avaisenvie,c’étaitqueNolancomprenneàquelpointilm’avaitblessée.Jemeretournai
pourluifaireface,unefoisencoreheureusedeportermeslunettesnoires.Pasmoyenquejelelaissevoirladouleurdansmonregard.–Salut,fis-jed’unevoixneutre.–Alors…commença-t-ilensedandinantd’unairgêné.Jen’avaispasl’habitudedevoirNolanmalàl’aiseet,mêmesijedétestaisl’admettre,çalerendait
absolumentadorable.–Tu,euh…Tuespartiesansdireaurevoirl’autresoir.J’ouvrisdegrandsyeux.Jen’auraisjamaiscrul’avoirblesséenpartantcommejel’avaisfait.–J’aiuncouvre-feuàvingt-troisheures.Tut’étaisendormi,jenevoulaispasteréveiller.–Tuauraisdû,répliqua-t-il.Jet’auraisramenéecheztoi.Jehaussaiunsourcil.–J’étaisvenueenvoiture.–Etalors?rétorqua-t-ilencroisantlesbras.J’auraisputesuivrejusqu’àcheztoienvoiture,ouau
moinsteraccompagnerjusqu’àlatienne,jenesaispas…Maistuespartiecommeunevoleuse.Unairpeinépassadanssonregard,etilserralamâchoire.Aïe.Ladéceptiondanssavoixétaitpresquepirequedevoirvingtpagesdemesmessagesaffichées
danstouslescouloirs.–Mais…euh…Tuvoulaisvraimentmeraccompagnerchezmoi?Jemedétestaispourlanoted’espoirquejepercevaisdansmavoix.Ilsoupiraetmepritlesmains.–Écoute.Samedi,c’était…quelquechose.Jeneveuxpasqueçadeviennebizarreentrenousetje
n’aimepaslespetitsjeux,alorsjevaisjusteteledire.Jet’aimebien.Jemesentisrougir.–Moiaussi,jet’aimebien.Ilsourit.–Super.Nous restâmes là unmoment, sansmot dire. Nolanme tenait toujours lesmains. Je le regardai
entrelacer nos doigts et serrer ses paumes contre les miennes. Malgré ce que nous venionsd’admettre,unegênes’étaitinstalléeentrenous.Jenesavaispassic’étaitàcausedessecretsquejeluiavaisrévélés,àcausedeceuxqu’ilmecachaitencore,oubienàcausedufaitquenousnousétionssnobésmutuellementsansraisonapparente.Quellequesoitlaraison,çamefaisaitl’effetdequelquechosed’épaisetlourdcoincéentrenous.–C’estbizarre,non?demanda-t-il.Jem’esclaffai.–Ouais,unpeu.–Net’enfaispas,fit-ilenrelâchantmesmains,l’airsérieux.Jepeuxarrangerça.Jeluijetaiunregardsceptique.–Comment?–Onvajoueràunjeu,répondit-ilenm’entraînantversl’entréedulycée.Onvafairecommesion
vivaitdansunmondeoùonn’estpasobligésd’allerdansunétablissementremplideconnardsquinous jugent.Onvafairecommesionpouvait faire toutcequ’onvoulaitsansaucunerépercussionsociale,etchaquefoisqu’onyarrive,onmarqueunpoint.Çateva?Jelevailesyeuxverslui.–Euh…–Génial.Jesuiscontentquetusoisd’accord.Jecommence.
Ilpritunegrandeinspiration.–Encemoment,àcetteseconde,jeneveuxqu’unechose.Êtreavectoi.Il avait parlé si vite que j’avais à peine pu suivre ce qu’il venait de dire, sans parler de le
comprendre.–Êtreavecmoi?répétai-jebêtement.Nousgravîmeslesmarchesdulycée.–Jecomprendstaconfusion,répondit-il.Engros,voilàcequej’essayaisdedire:situvasquelque
part, j’aimeraisoccuper lemêmeespace,depréférenceàproximité.Enfin, tantqueça teva.Jemesuisditqu’onpouvaitcommencerparlescouloirsdulycéeetvoirpourlasuite.Jenepusm’empêcherdesourire.–Çamevatrèsbien.Maisjecroisquejevaisdevoirajouteruneclauserestrictive.–Oh?fit-ilhaussantunsourcil.Jem’arrêtaidevantlesportesvitrées.– J’aimerais poser une limite à la porte des toilettes.Occuper lamême cabine, tout ça…C’était
mignonlapremièrefois,maisjepensequ’onrisquedevites’enlasser.Iléclataderireetm’ouvritlaporteavantdemesuivreàl’intérieur.–C’estnoté:lestoilettessonthorslimites.Cettefois,AmberetTaylorn’étaientnullepart.Christyavaitdûremplirsapartducontrat,etj’étais
sûrequ’avoirlikélaphotod’AmbersurFacebookavaitrenforcélamenace.Nolanposasonbrassurmes épaules, et nous partîmes vers nos casiers. Le nœud quime serrait l’estomac commença à sedéfairepourlapremièrefoisdepuisdesjours.Peut-êtremêmedessemaines.–Alors,sioncomptelespoints,pourlemomenttuperdsunàzéro,déclaraNolan.Etçanevapas
tarderàempirer,parcequ’ilyauneautrechosedontj’aienvie…Nerveusement,jetiraisurlesbretellesdemonsacàdos.–Quoi?–Ça.Ilpivotapour seplacerdevantmoi, sibrutalementque je faillis trébucher.Etavantque jepuisse
comprendrecequisepassait,ses lèvresétaientposéessur lesmiennes.Douces, tièdes,et tellementplushésitantesquejel’auraisvoulu…J’étaisàpeineconscientedesexclamationsetdesgloussementsquirésonnaientdanslecouloir.On
avait vu des élèves s’embrasser au bahut desmillions de fois,mais je ne pouvais qu’imaginer legenredespectaclequejeleuroffraisavecNolan:l’artisteunpeutaréetlagarcemiseenquarantainequiseroulaientdespellesentrelelaboetlasalled’informatique.Mais,pourunefois,jemefoutaisdecequ’ilspouvaientpenser.PuisNolanrecula,rougissant.– Maintenant, on est à deux à zéro. Si tu veux te rattraper, tu dois faire quelque chose ici et
maintenant.Dansunpurabandon.–Quoi?grimaçai-je.Jet’airendutonbaiser.Çadoitaumoinscompterpourundemi-point!–Oui,maisc’étaitmonidée.Çaseraitdelatriche.–Delatriche,hein?Etsijelefaiscommeça?Jel’attrapaiparlesreversdesonblazeretl’entraînaidansunealcôveentredeuxrangéesdecasiers.
Àlasecondeoùjel’attiraicontremoi,meservantdesoncorpspourplaquerlemiencontrelemur,ilouvritdegrandsyeuxébahis.Alors,jel’embrassai.Pourdevrai.Ilgémitcontremabouche.
–Bordel,Regan.Qu’est-cequetuesentraindemefaire?Jesourisetmordillaisalèvreinférieure.–T’occupe.Maisnet’arrêtepas.Ilavalamonrireparunbaiserbrûlantquimecoupalesouffleetmemitlesjambesencoton.S’il
continuaitcommeça,j’allaisavoirbesoind’unXanaxpourmecalmerquandonenauraitterminé–etj’allaissûrementdevoirleprendreensalledecolle,carj’étaisàpeuprèscertainequel’endroitoùsetrouvaientsesmainsviolaitlerèglementdel’école.–Hé,Nolan!Jevoulaissavoirsituvoulaistravaillersur…C’estquoicebordel?Onseséparabrutalement.Blake, l’amiedeNolan,se tenaitàmoinsd’unmètredenous, lesyeux
écarquillés,bouchebée,l’airhorrifié.ElleavaitlesyeuxfixéssurNolan,commesijen’existaispas.–Pitié,dis-moiquej’hallucine!Ilsetournaverselleenprenantsoindemecoincerprudemmentderrièrelui.–Jesaiscequetupenses,dit-il.Maisilfautquejet’explique…–Bordeldemerde! jura-t-elleenpassantunemaindanssescourtesmèchesblondes.Tusaisqui
c’est?C’estl’uned’entreeux!Tusaiscequ’ilsontfaitàJordan.Tuastoutoubliéouquoi?Jemeglissaidevantlui,lesjambestoujoursflageolantes,etleregardaidanslesyeux.–«L’uned’entreeux?»Lesélèvesquipassaientralentissaient,attirésparleséclatsdevoixdeBlake.Etvoilà!Justequand
leschosescommençaientàsetasser,voilàquejedonnaisàtoutlemondeunenouvellearmepourmetirerdessus.Nolanposa unemaindansmondos.C’était unpetit geste,mais il suffit à apaiser l’angoisse qui
avaitcommencéàmonterdansmapoitrine.–Écoute,Blake,commença-t-il.Jet’aiditquetoutavaitchangé.Onenaparlé.C’estpourçaqu’on
adécidé…– Que tu as décidé, le coupa-t-elle brutalement. N’oublie pas ! Tu ne m’as pas une seule fois
demandémonavis!Putain,jen’arrivepasàcroirequetupuissestrahirJordancommeça!JesentisNolansecrisper.Lorsqu’ilparla,savoixétaitpresqueungrondement:–J’aifaittoutcequej’aipupourJordan.LeregarddeBlakesedurcit.–Apparemmentpasassez.–Tudevraisyaller,répliqua-t-ilenserrantdespoingstremblants.Avantquel’undenousdeuxdise
quelquechosequ’ilregretteraplustard.Jet’appelleraiquandonauraeuletempsdesecalmer.Blakeposasesmainssurseshanches.–C’estquoileproblème,Nolan?Lavéritéesttropmochepourtoi?Jepariequelamoitiédulycée
sait cequi s’est passé.Est-cequecelle-ci est au courant ?Putain, je ne saismêmeplus qui tu es !s’écria-t-elleavecunpetitrireméprisant.Surcesmots,sansluidonnerl’occasionderépliquer,elles’enalla.–Merde,marmonna-t-il.Lesmusclesdesesépaulessetendirent,etilsetournalentementversmoi.–Jesuisvraimentdésolé,maisjedoisparleràBlake.Onsevoitplustard?–Ouais,biensûr.Malgrétouteslesquestionsquej’avaisàluiposer,j’étaiscontentedepouvoirm’éloigner.Lahaine
que Blake ressentait pour moi, ainsi que la tension entre elle et Nolan, avaient tellement alourdil’atmosphèrequej’avaisdumalàrespirer.Ildéposaunrapidebaisersurmajoue,balançasonsacsursonépauleetplongeadanslafoulepour
rattraperBlake.Montéléphonesonna.UntextodePayton.
Onseretrouveàmoncasier?
Jeprisunelongueinspirationtremblante.Ç’avaitétébizarred’êtrechezellel’autresoiretdenepasluiparler.Lorsquej’étaissortieendoucedelachambredeNolan,jen’avaispaseuenviedebriserlejoyeuxbrouillarddans lequel je flottais,et jenem’étaispasarrêtéeàsachambre.Jenesavaispastropsielleauraitétéheureused’apprendrequej’étaissortieavecsonfrèreousielleauraitréveillétoutlequartierparseshurlements.Apparemment,jen’allaispastarderàêtrefixée.Paytonmerepéraàlasecondeoùjetournaiaucoinducouloir.Ellecourutversmoi,sescheveux
blondsattachésenunequeuedechevalquiflottaitcommeunrubanderrièreelle.Àenjugerparlegrandsourirequiéclairaitsonvisage,ellen’étaitpasencoreaucourantpourNolanetmoi.–Salut!fis-jeavecunsourireassortid’unpetitcoupd’épauleamical.Çafaisaitlongtemps.–Ouais,répondit-elleenmerendantmoncoupd’épaule.Alors,c’estquoileproblèmeavecBlake?Jepoussaiunprofondsoupir.–Tuastoutvu?–Ouais,répondit-elleensecouantlatêted’unairnavré.DetouslesamisdeNolan,c’estBlakeque
jedétesteleplus.Elleesttoujourstellement…aigrie.–C’estclair.Ondiraitqu’ellefaitunefixettesurJordan.Jesavaisquej’auraisdûattendrequ’ilm’enparlelui-même,maisjenepusm’enempêcher:–Tunesauraispascequis’estpasséentreNolanetsonex,desfois?–Pasvraiment,non.Ilatoujoursétébizarreausujetdeleurrupture.Genre,ilsefoutaitvraimenten
rognequand j’enparlais.Mais je saisqu’avantqu’ils se séparent, lesparentsde Jordansontvenusparleraveclesnôtres.Ilsm’ontviréedusalon,maisj’airéussiàentendrequeJordanétaitàl’hôpital.Elleestpeut-êtretombéemalade?Jememordislalèvre.–Cen’estpaslogique.Nolann’estpaslegenredemecàlarguerunemeufparcequ’elleestmalade.–Oh?fitPaytonenhaussantunsourcil.Etcommentçasefaitquetusachesquelgenredemecest
monfrère?–Euh…Jebaissailesyeuxpourmieuxcachermonaircoupablemais,àmagrandesurprise,Paytonéclata
derire.– Je déconne ! s’esclaffa-t-elle. Je sais déjà que tu sors avecmon taré de frangin ! Je trouve ça
dégueu,maisjem’enfous.Jelaregardaiavecdesyeuxronds.–C’estvrai?–Bah,ilaétéassezsupportablecesderniersjours,alorssic’estgrâceàtoi,jetesoutiensàfond!
Maisçaneveutpasdirequejenetrouvepasçaunpeucrado.Ilest…chelou,quandmême.Tuétaisd’accordavecmoilà-dessus.Jenerépondispas.J’étaisincapabledeluiexpliquercomment,nimêmequand,messentimentspour
lui avaient changé.Tout ce que je savais, c’était que quandmon univers s’était effondré sousmespieds,Nolann’avaitjamaisvacillé.–Bref,reprit-elle.Est-cequ’onpourraitneplusparlerdemonfrère?Beurk,quoi!Ungroupedefillesnousjetadesregardsdégoûtésenpassant.Enlessentantmesonderduregard,
jevoûtaimesépaulesparréflexe.Mesdoigtsmedémangeaientdel’envied’attrapermonflaconde
pilulesdansmonsac,maisjepensaiàNolanetmesouvinsquej’enavaisfiniaveccettehabitudedemecacherderrièremesmédicaments.Ilétaittempsd’êtrevraimentmoi-même.Cependant,jen’avaispasl’intentiond’entraînerPaytondansmonenfer.–Jesuiscontentequetusoislàpourmoi,Pay,maisjenesuispassûrequemeparlersoitunebonne
idée en ce moment… Tu sais ce que les gens pensent. Être vue avec moi ne va pas arranger taréputation…–Tu saisquoi ? Je les emmerde, répliqua-t-elle avecun sourireméprisant.La semainedernière,
quandAmberm’aditquetufaisaistafaux-culavecmoi,çaaétél’undespiresmomentsdemavie,etjesuisdésoléedel’avoircrue.Onaperduassezdetempsaveccesconneries.Çafaitpresquedixansqu’onpartagetout:lesvêtements,lemaquillageettousnossecrets.Onpeutaussipartagerça.Tuesmameilleureamie.Alorsoui,jesaisquetuasditdeschoseshorribles,maisjesaisaussiquecen’estpasvraimenttoi.Etpuistumemanques.Alorsj’emmerdetoutlemondeetcequ’ilspensent,conclut-elleenhaussantlesépaules.Moncœursegonflaàcesmots.–Jeneveuxpasquetufassestamartyrepourmoi,protestai-je.Onpourratraînerensemblequand
cettehistoireseseratassée.Ellemepritparlebras.–Tunetedébarrasseraspasdemoicommeça!Etpuis,d’aprèsmonfrère,çan’estpasprèsdese
tasser, justement. Il n’a pas arrêté de parler de cette vidéo que tu as tournée, et d’une espèce dedocumentairesurlesgraffitisquevousauriezmontétouslesdeux.–C’estvrai?Malgrémoi,ungrandsourireidiots’affichasurmonvisage.– Ouais, fit-elle en hochant la tête. Il m’a bien soûlée avec ça. Il paraît que ton projet va
«révolutionnerlelycée».–Est-cequ’ilt’aditcommentexactement?Parcequ’iln’arrêtepasdedirequec’estmonidée,mais
jen’aiaucuneidéedecequ’ilcomptefaire.Elles’esclaffa.–TypiquedeNolan.Non.Ilnem’apasdonnédedétails.Ous’ill’afait,jen’écoutaispasparceque
c’est…tuvois…Nolan.Nous tournâmes au coin du couloir, et c’est alors que je la vis. Amber. Elle se tenait à côté de
Jeremyetregardaitleplafondd’unairvidependantqueTaylorjacassaitdanssonoreille.–Merde,marmonnaPaytonenserrantsonbrassurlemien.Qu’est-cequ’onfait?Demi-tour?J’auraispréféré,maisjesavaisquejenepouvaispaspasserunautrejouràprendrelafuite.–Tupeuxsituveux,répondis-je,unebouledanslagorge.Jenet’envoudraispas.Maismoi,jedois
yaller.–D’accord.Alorsjeviensavectoi.Taylorfutlapremièreànousremarquer.Seslèvresseretroussèrentenunsouriremauvais,etelle
murmuraquelquechoseàAmber.Cettedernièretournabrusquementlatête,etsesyeuxsebloquèrentsur lesmiens. Normalement, à cet instant, un élastique invisible aurait dû se serrer autour demapoitrinepourmecouperlesouffle.Maispascejour-là.Jenesavaispastropsic’étaitlaprésencedePayton,lefaitquejeconnaissaisleplusnoirsecretd’Amberousimplementparcequejem’enfoutaisdecequelesgenspensaient,maisjem’arrêtaiàsahauteur.–Salut,Amber.Taylorenrestabouchebée.–Tut’imaginesvraimentquetupeuxluiparler?cracha-t-elle.
Amberlafoudroyaduregard.–Laferme,Taylor!Onyva,ajouta-t-elleenprenantlebrasdeJeremy.Sansluilaisserletempsderépondre,ellel’entraînadanslecouloir.Taylorseprécipitaàleursuite.–Ouah!s’exclamaPaytonenobservantleurretraite.C’estmoiouc’estvraimentbizarre?Passibizarrequeçasielleconnaissaitlesecretquejeluicachais.–Viens.J’entraînaiPaytonjusqu’àmoncasier.Jenepouvaism’empêcherderessentirunpetit tiraillement
de regret. J’auraisvraimentvouluparler àAmber.Luidireque je comprenais cequeça faisaitdefaire semblant d’être quelqu’un d’autre.Même si je ne pensais pas qu’ellem’aurait crue nimêmeécoutée.Jenesavaismêmepaspourquoic’étaitaussiimportantpourmoi.Aprèstout,elleétaitcellequiavaitvouluruinermavie.Ellenesavaitpasqu’enm’exposant,ellem’avaitenfaitlibérée.J’espéraisjustequ’unjour,ellearrêteraitdefairesemblantetvivraitsaviecommeellel’entendait.
Chaque fois que jem’obligeais à entrer dans lemoule quemamère avait créé pourmoi, j’avaisl’impressiondemebriserencoreunpeuplus.SiAmbers’obstinaitàjouerlacomédietoutesavie,les fragments de sa vraie personnalité finiraient par être trop petits, trop disséminés, pour êtrerassemblés. Je ne savais pas ce qui arrivait aux gens une fois qu’ils n’étaient plus réparables.J’espéraisseulementquejen’auraisjamaisàledécouvrir.
CHAPITRE17
J’entraidanslacafétéria.Monestomacseretournaitenvaguesnauséeusesquin’avaientrienàvoir
avecl’odeurdegrasetdefromagequiimprégnaitlapièce.JeprisPaytonparlebras.–Jenevaispasyarriver,gémis-je.–Çavaaller,dit-elle.Tiens-toidroite,gardelatêtehauteetfaiscommesituétaischeztoi.Jesecouailatête.Uneremontéeacidemebrûlalefonddelagorge.Lesvoixdeprèsdecinqcents
lycéensquiparlaientetriaientsemêlaientenunbourdonnementquirésonnaitdanstoutmoncorps.–Ilssonttellementnombreux…etilsmedétestenttous.J’étaistenduecommeunarc,prêteàprendrelafuite.–Ilsontpluspeurdetoiquetun’aspeurd’eux.Jegrimaçai.–Çanem’aidepasvraiment.–Quoi?J’étaiscenséet’aider?s’esclaffa-t-elle.Détends-toi,Regan.Tun’espastouteseule.Nolan
aditqu’ilallaitnousretrouverlàet…regarde.Elledésignaunetabledansuncoin,oùsonfrères’étaitlevéetnousfaisaitsigne.Elle m’entraîna à travers la cafétéria. Des tablées de filles baissèrent la tête pour échanger
fiévreusement des commentaires sur notre passage. Je fis demonmieux pour ignorer les regardshostiles et les murmures. Plusieurs fois, je sentis quelque chose me frapper le dos mais n’osaim’arrêterpoursavoirdequoiils’agissait.QuandonarrivaàlatabledeNolan,ilposaunbrassurmesépaulesenguised’embrassadeetpassa
lamaindansmondos,balayantlesje-ne-sais-quoiqu’onm’avaitlancés.–C’étaitquoi?demandai-je.–C’étaitquoiquoi?répliqua-t-ilenm’indiquantlachaiseàcôtédelui.Jem’assis,etPaytonseplaçaenfacedemoi.– Si un jour on m’avait dit que je serais à la même table que mon frère… soupira-t-elle
bruyamment.–Ehoui,Payton!rétorqua-t-il.Nosrêveslesplusfousdeviennentparfoisréalité.Ellegrognaetsortitdesonsacplusieursboîtesenplastique.Elleouvritlapremièreetensortitune
tranchedepomme.Nolanavaitplusieurspartsdepizzaempiléessursonplateau.Ilenroulauneentubeetenpritune
bouchée.–MonDieu,marmonnaPaytonenplissant lenez.Tuesvraiment ignoble.Tunepeuxmêmepas
mangerunefoutuepizzanormalement?Illaregardaenfronçantlessourcils,sanscesserdemâcher.Lorsqu’ileutavalé,ilsetournavers
moi.–Tunemevoispascommeunmecignoble,toi?–Jetetrouvemignon…maisjen’aijamaisditquetun’étaispasignoble,rétorquai-jeencognant
gentimentmonépaulecontrelasienne.Ilm’adressaunsourirequimefittressaillirdel’intérieur.–Jevaisjusteretenirquetumetrouvesmignon,dit-ilenpoussantsonplateauversmoi.Tuenveux
unbout?Jesecouailatête.–Jenepréfèrepas.Lestress…Paytonme jetaun regardnoir et poussaversmoiunepetiteboîtedehoumousenme tendantun
cracker.–Mange!–Oui,maman.Jeprissoncracker.Unepetitebouchéenepouvaitpasmefairedemal.Maisàpeineavais-jemordu
danslecrackertrempédanslehoumousqueBlakeapparutetposasonplateauàcôtédeNolan.–Ah,Blakeestlà!ditjoyeusementNolan.–Salut,marmonna-t-elle.Elles’assitetmefusilladuregardderrièreledosdeNolan.Aussitôt,lecrackerquej’étaisentrain
d’avalersemblasechangerenplomb.–Devinezquoi?souritNolan.J’aiparléàBlakedenotreprojet,etelletrouvequec’estuneidée
géniale.Blakelevalesyeuxaucieletreportasonattentionsursasalade.Ellepoignardasiviolemmentun
morceaudeconcombrequesafourchettetransperçalabarquetteenplastique.Paytonetmoiéchangeâmesdesregardsperplexes.–Enfinbref,ditNolan,dontlesourirecommençaitàvaciller.Unefoisquej’auraifinid’éditerla
vidéo, notre prochaine étape sera de trouver le meilleur moyen de la diffuser. Après ça, oncommenceralaphasedeuxdel’OpérationGraffiti.–Quiconsisteenquoi,aujuste?demandaPayton.Sonsourires’élargit.–Jeneveuxpasgâcherlasurprise.Toutcequejepeuxvousdire,c’estqueçavaêtretopissime.Ce
quim’amèneàmondernierordredujour,poursuivit-ilencroisantlesdoigtssurlatable.Regan,ilfautquejeparleàtamère.J’éclataiderire,certainequej’avaismalentendu.–Tudéconnes?–Jesuisplusquesérieux.J’aimeraisbeaucoupavoirl’appuid’unedéputéeavantdeparlerdenotre
projetàlaprincipale,répondit-ilavantd’arracherunenouvellebouchéeàsonrouleaudepizza.Jen’avaisdéjàplusfaim.Jereposaicequirestaitdemoncracker.–C’estunetrèsmauvaiseidée.Mamann’estpasvraimenttrèsdouéepoursoutenirlesgens.Nolanagitaunemaind’unairdédaigneux.–Quandjeluiauraiexpliquénotreprojet,jetegarantisqu’elleenseradingue.Paytonricana.–Oh,jesuissûrequelemot«dingue»seraprononcé.Jel’ignorai.– T’arrêtes pas de dire « notre projet », mais je ne vois pas trop en quoi il m’appartient aussi
puisquej’aipaslamoindreidéedecedontils’agit.–Tssss…C’étaittonidée,répliquaNolanenengloutissantunnouveaumorceaudepizza.J’ouvrislabouchepourprotester,maisquelqu’unmedonnauncoupdepiedsouslatable.Unevive
douleurexplosadansmontibia.JemejetaienarrièresurmachaiseetmetournaiversPayton.
–Aïe!Pourquoitu…Jemetusenlavoyantdésignerquelquechosederrièremonépaule.Seslèvresétaientserrées,etje
nelisaispluslemoindreamusementdanssonregard.M’attendantaupire,jemeretournailentement.Ambersetenaitderrièremoi,unebouteilled’eauàlamain.Lepeudehoumousquej’avaisavalése
retournadansmonestomac.Puis jeme rendiscomptequ’ellenem’avaitpasencorevue.Elleétaittropoccupéeàscannerlacafétéria,àlarecherchede…Jen’ensavaisrien.Peut-êtred’uneplaceoùs’asseoir, ou de gens à éviter. Elle mâchouillait nerveusement sa lèvre inférieure, et je ne pusm’empêcherd’avoirdelapeinepourelle.Jesavaisexactementcequeçafaisaitd’êtreseul.Avantquejepuissem’enempêcher,jel’appelai:–Hé,Amber!Tuveuxt’asseoiravecnous?Unnouveléclairdedouleurme transperça la jambe.Nolan,quantà lui,meregardacommesi je
venais d’annoncer que je faisais partie d’une espèce extraterrestre et que j’attendais un vaisseauspatialpourrentrersurmaplanètenatale.Blakeretroussaleslèvresd’unairdégoûtéetpoignardasasaladeavecuneférocitéredoublée.Jenepouvaispasleurreprocherdenepasvouloird’elleànotretable.Enfait,jenesavaismême
pascequim’avaitprisdeluidemander–aprèstout,c’étaitàcaused’ellequemavies’étaiteffondrée.Elletournalatêteversmoi.PuissonregardpassademoiàPayton.–Alorsvousêtesdemèche?C’estça?–Demèchedansquoi?demandaPayton.Amberouvritlabouche,puislarefermaetsecoualatête.–Voussavezquoi?Foutez-moilapaix.Touteslesdeux.Avant qu’on puisse répondre, elle partit en trombe à l’autre bout de la cafétéria. Le claquement
furieuxdesestalonsponctuaitchacundesespas.Paytonrepoussasaboîtedelamellesdepommesetsepenchaversmoi.–OK.Qu’est-cequisepasse?Jemefrottailajambe.–Jevaisavoirdeuxgrosbleustrèsmoches,voilàcequisepasse.– C’est pas ce que je veux dire, répliqua-t-elle en plissant les yeux. Tu sais aussi bien quemoi
qu’Amberne se refuse jamais unebagarre.En cemoment, tu es son ennemienuméroun et elle ajuste…prislafuite.T’asdesinfoscompromettantessurelle,ajouta-t-elleenpointantl’indexsurmonvisage.Çaexpliqueraittout.Jebaissailesyeux.Jen’avaispasenviedecacherunsecretàmameilleureamie,maiscen’étaitpas
seulementlesecretd’Amber.C’étaitaussiceluideChristy.Etj’avaispromisàChristydeneriendireàpersonnetantqu’Ambermefoutaitlapaix–etlanouvelleRegantenaitsespromesses.–OhmonDieu!J’avaisraison,tuasquelquechose!s’écriaPaytonentapantdesdeuxmainssurla
table,faisantcliqueterlescouvertssurleplateaudeBlake.Dis-moi.Dis-moimaintenant!–Bordel,Pay,calmos!fitNolanenposantsapartdepizzasursonplateau.Peut-êtrequeRegana
unebonneraisondeneriendire.–Abruti!s’exclamaPaytonenlevantlesyeuxauciel.AmberaquasimentdétruitlaviedeRegan.
Biensûrqu’ellevabalancer.Tuattendsjustelebonmoment,c’estça?medemanda-t-elle.BlakesepenchaderrièreledosdeNolanpourmeregarder,commesielleaussiétaitintéresséepar
maréponse.–Je…euh…J’avalaima salive. Je voulais tellement le lui dire.La veille,Nolanm’avait envoyé la vidéo que
j’avaisprisedanslestoilettes.Paytonseraitblesséesiellepensaitquejeluifaisaisdescachotteries.Jenevoulaispasavoirdesecretspourelle.Etpuis,çaseraittellementfaciledeluienvoyerlavidéo…Rienquequelquespetitesmanipulationssurmontéléphone.L’anciennemoil’auraitfaitsansseposerdequestions.Mais lanouvelle,oudumoinscelleque j’essayaisd’être,ne lepouvaitpas.Lavidéodétenaitdessecretsqu’ilnem’appartenaitpasdedévoiler.–Jesuisdésolée,Pay.Jenepeuxpas.Nolansourit,etBlakefronçalessourcils.–Quoi?s’écriaPaytonens’écartantdelatable,lesyeuxécarquillés.Tutefousdemagueule?Je
croyaisquetuétaismameilleureamie.–Jelesuis.Maisje…jeneveuxplusêtrecettepersonne.Lafillequigâchelaviedesgens.Etce
secretrisqueraitd’engâcherdeux.Tucomprendsça,non?–J’imagine,marmonna-t-elled’unairboudeur.C’estjustequejedétestenepassavoir.–Jesaispas,répliquai-jeenhaussantlesépaules.Parfois,jecroisquec’estpiredesavoir.–Seulementsionsouffreensilence,ajoutaBlake.Payton etmoi nous tournâmes vers elle. Je n’arrivais pas à croire qu’elle ait pu prononcer une
phrasequinesoitpasdestinéeàm’insulter.–Commentça?–J’aisoif,déclaraNolanenrepoussantsonplateau.Blake,tuveuxvenirprendreuneboissonavec
moi?Apparemment,Nolanétaitdemonavis.Peut-êtreétait-cepourcelaqu’ilvoulait l’éloigner, avant
qu’elleaitunechancedebalancerunevacherie.Aulieudepartir,elleagitalamaind’unairnonchalant.– Tout ce que je dis, c’est que quand on ne dit pas les choses, elles peuvent nous ronger de
l’intérieur–c’estpourçaquejesoutienstotalementl’idéedetavidéo.–Ahbon?demandai-jeenm’efforçantdenepaslaisserlasurprisepercerdansmavoix–Oh,oui.J’admetsquej’aitoujourscruquetuétaisunegarce.Nolantoussota,maisellel’ignoraetreprit:– Mais ça, c’était avant que Nolan me parle de ton projet. Je vous soutiendrai. En fait, je
réfléchissais àdesmoyensde ladiffuser.Bien sûr, il y a lesmédias lesplus évidents,YouTube etFacebook.Maistoutlemonden’apasdecompte,ettoutel’écolenepourraitpaslavoir.Etc’estbiencequetuveux,non?Mêmesil’idéequel’écoletoutentièremeregardeconfessermesfautesetparlerdemontroublede
l’anxiétémeretournaitl’estomac,jehochailatête.Cettevidéoétait,aprèstout,maseulevraiechancedelaisserlepasséderrièremoi.–D’accord,poursuivit-elle.Alorsj’aieuuneidée.Voussavezqu’entantquemembreduclubradio,
c’estmoiquifaislesannoncesmatinales?Paytonetmoisecouâmeslatête.Jen’avaisjamaisvraimentprêtéattentionauxannoncesmatinales.
Toutcequejesavais,c’étaitqu’ellesétaientenregistréesdanslasalleduclubradioetdiffuséestouslesmatinspendantl’appel–etqu’ellesétaientbarbantes.Commejenem’intéressaispasvraimentauxrésultatsdutournoidegolfouautresévénementssportifs,jemeservaisgénéralementdecemomentpourenvoyerdesSMSàPaytonetAmber.Blakepoussaunsoupir.– Peu importe. D’habitude,Monsieur Jensen assiste à l’enregistrement pour surveiller ce qu’on
raconte.Demain, il aun rendez-vouschez ledentisteetm’ademandéde le remplacer.Ducoup, jepourraifacilementpassertavidéoaprèslalecturedesannonces.Toutel’écolelaverra.
Toutel’école.Lesmotssemirentàbourdonnerdansmatêtecommeunessaimdeguêpesenfurie.–Jesaispas,fitNolanenserasseyant.Jen’aipasencoreéditélavidéo.Jenesaispassiellesera
prêteàtemps.–Jepourraist’aider,répliquaBlakeavecungrandsourire.Tusaisquejesuisdouéepourça.–C’estvrai,dit-ilentapotantundoigtsursonmenton.Regan,qu’est-cequet’enpenses?–Euh…Toutel’école.Lacafétériaautourdemoisebrouilla,et jedusclignerdesyeuxàplusieursreprisespouryvoir
clair.C’étaitbiencequejevoulais,non?Cracherlemorceaudevanttoutlemonde,toutreprendreàzéro,nepas resterdans lesmémoirescommecettehorrible fillemédisantequi répandaitdessalesrumeurs.Nolansepenchaversmoietmitseslèvresàlahauteurdemonoreille.–T’espasobligéedefaireça,murmura-t-il.Onpeuttoutoublier,situveux.Jepeuxsupprimerla
vidéo.Jelisaislasincéritédanssonregard.Jesavaisqu’illeferait.Maisdanscecas,rienn’allaitchanger.–Non.Jeveuxlefaire.Jedoislefaire.Blakesouritlargementetplantasafourchettedansunconcombre.–Tu as gagné. Je vais aiderNolan à éditer la vidéo après les cours.Notre seule occasion de la
diffuser,çaserademain.Ilvafalloirfairevite.Unéclaird’inquiétudepassadanslesyeuxdePayton.–Merde.Çafaitpasbeaucoupdetemps.Tuessûrequetuesd’accord,Regan?Non.Maisjesavaisaussiquec’étaitlegenredechosepourlaquellepersonnenepouvaitvraiment
sesentirprêt.–Jeneveuxplusfairesemblant.Ilesttempsquelesgensmevoienttellequejesuis.Mêmes’ilsne
veulentpasmepardonner,jedoisaumoinsessayerderéparerunpeudesdégâtsquej’aicausés.Etj’imaginequeleplustôtseralemieux.Blakelevasabouteilled’eau,commepourporteruntoast.–Leplustôtseralemieux,répéta-t-elle.
CHAPITRE18
Jefourraidansmabouchelederniermorceaudemontroisièmetacoaupouletetmâchaipendant
quemamannecessaitdeblablatersurlenouveauprojetderéformedesimpôts.Mesyeuxseperdirentdanslevague,etjemedemandais’ilétaitpossibledetomberdanslecomapourcaused’ennui–ouaumoinsdeperdreconnaissance.Lorsquelasonnettedelaported’entréeretentit,mamanfronçalessourcilsetreposasafourchette.–Tuattendaisquelqu’un,Steven?Papaposasaservietteetseleva.–Non.ÀmoinsquecesoitFrankquimerapportematondeuse,maisjecroyaisqu’ilallaitlagarder
toutelasemaine.Mamansemblaitinquiète.Entantquepersonnagepolitique,elleredoutaitlesvisiteurs-surprises.En
plusd’êtresurlalisterouge,nousavionsdûplusd’unefoisappelerlapolicepourchasserdesfousdenotreporche.Seulement,cettefois,j’avaisl’insoutenablesensationdesavoirexactementquiétaitlefouenquestion.Je repoussaima chaise si brutalement qu’elle crissa sur le parquet.Maman et papa se tournèrent
versmoi,l’airinquiet.–J’yvais!m’écriai-jeensautantsurmespieds.–Sûrementpas!répliquamaman.Onnesaitpasquic’est.Peut-êtreencoreunmalade.Situsavais…–Jevaisvoir,ditpapaenmefaisantsignedereculer.Mamanselevaetlesuivitdansl’entrée.Unnœudcoulantseresserrasurmapoitrine.Sic’étaitbien
Nolan, j’espérais que l’inquisition qu’il s’apprêtait à subir n’allait pas le faire fuir. Je voulaisrejoindremesparentsdansl’entréepourdireàNolandes’enfuir,maislapeurmeclouaitsurplace.Lesbruitsdepasdemesparentss’arrêtèrentdevantlaporte.–Quiest-ce?demandamamanàpapa.Elle avait parlé dans sa version personnelle du murmure, celle qui ressemblait plutôt à un fort
sifflementpuisquesavoixnepossédaitqu’unseulvolume:élevé.Auboutdequelquessecondes,paparépondit:–C’estPaytonet…est-cequec’estsonfrère?–Fais-les entrer,Steven, ditmamand’un ton à la fois soulagé et contrarié.Regan, tes amis sont
venustevoir.J’espéraisquec’étaitvrai.NolanetBlakedevaienttravailleràl’éditiondemavidéoaprèslelycée,
maisNolan avait aussi parlé d’une discussion avecmamère. Je n’arrivais pas à imaginer un seulscénariooùunetellediscussionpouvaitêtreunebonneidée.–J’arrive!Toutecrispéedeterreur,jelesrejoignisdansl’entrée.Lalourdeportedeboiss’ouvrit.
–Payton,ditpapaavecchaleur,c’estunplaisirdetevoir.Est-cequevoustravaillezsurunprojetpourlelycée?ajouta-t-ilavecunsignedetêteàl’intentiondeNolan.Paytonseglissaentremesparents,toutsourires.–Pascesoir,MonsieurFlay.Ellerebondissaitpresquesurlapointedespieds,toutexcitée.Nolanpassaleseuilpourrejoindresasœur.Ilportaittoujourssonuniformedulycéemais,pourla
premièrefois,sachemiseétaitrentréedanssonpantalon.Jemefichaisdesonapparence,maisàlafaçon dont ma mère regardait ses cheveux indisciplinés et ses baskets éraflées, je savais que lemoindreeffortnepouvaitquejouerensafaveur.Papa,heureusement,nefutpasaussigrossier.Sonregardétaitpluscurieuxquescrutateur.–VousêteslefrèredePayton,c’estbiencela?demanda-t-ilavantderéfléchirunmoment.Nolan?
hasarda-t-ilenfin.Cedernierhochalatête.–Oui,Monsieur.Papasourit,clairementsatisfaitdevoirenfinpayerseseffortspouraméliorersamémoiregrâceau
Sudoku.–Alors,qu’est-cequevousprépareztouslestrois?–Enfait,Monsieur,réponditNolan,j’espéraisprendrequelquesminutesdutempsdevotrefemme.
J’aiunprojetdontj’aimeraisdiscuteravecvous,ajouta-t-ilensetournantversmamère.Instantanément, le visage de maman se lissa en un masque indéchiffrable, celui qu’elle avait
perfectionné avec ses années dans la politique. Je connaissais cette expression.Elle n’avait aucuneidéedecequisepassait,etiln’yavaitrienqu’elledétestaitautantqu’êtrepriseaudépourvu.Papa,desoncôté,fitsigneàPaytonetNoland’entrerdanslamaison.–Absolument,fit-il.Par-dessussonépaule,ilmejetaunregardinterrogateur.Aussitôt,jebaissailesyeux.Jenevoulais
pasprendrepartaumassacre.Mon père nousmena au salon et indiqua àNolan et Payton le confortable canapé qui trônait au
milieudelapièce.Papapritplacesurlacauseuseàsadroite,etmamanseplaçaàcôtédelui.Je lessuivis jusqu’aupasdelaporte,mais jenepusmerésoudreàentrer.Moncœurbattaitàun
rythme endiablé. Mes cachets se trouvaient dans ma chambre, juste en haut de l’escalier. Je medemandaisijepourraisatteindreladernièremarchesanstomberdanslespommesoufaireunechutemortelle–encorequ’étantdonnélasituation,cen’étaitpeut-êtrepasunesimauvaisealternative.Nolan, comme s’il avait senti ma panique, m’adressa un sourire rassurant. Presque aussitôt, les
battementsdemoncœursecalmèrent.Maman,quinel’avaitpasquittédesyeuxdepuisqu’ilavaitpassélaported’entrée,inclinaalorsla
têtepourl’observerd’unairdefauconsuspicieux.Lescoinsdesabouchesecrispèrent,seulsignequesonmasqueimpénétrablevenaitdesefissurer.Paytonétouffaungloussement. Je lui jetaimon regard leplusmeurtriermaisneparvinsqu’à la
fairerireplusfort.Papa,leseulàêtreassis,regardamamanettapotalecoussinàcôtédelui.–Tuneveuxpast’asseoir,machérie?Ellecroisalesbrasetsecoualatête.–Jepréfèreresterdebout.Cecanapén’estpasbonpourmondos.Intérieurement,jelevailesyeuxauciel.Sondosallaittrèsbien.Cerefusdes’asseoirfaisaitpartie
de ses habituels jeux de pouvoir.Comme elle n’avait aucun contrôle sur la situation, elle allait se
servirde tous lesstratagèmesàsadispositionpour tenterdedominer laconversation.C’étaitpourcetteraisonqu’elleavaittoujoursunepetiteestradederrièresonpodiumdèsqu’elledevaitprononcerundiscours.Elletambourinadesdoigtssurledossierdelacauseuseetfitungesteendirectionducanapé.–Asseyez-vousdonc,qu’onpuissecommencer.Paytons’avançaverslecanapé,maisNolanl’attrapaparlebras.–Enfait,MadameFlay,j’espéraisvousenparlerenprivé.Ceprojet,mêmesic’estl’idéedevotre
fille,estunesortedesurprise.Paytonfitlamoue,etmamanhaussaunsourcil.–Trèsbien,fitpapaenselevant.Venez,lesfilles.Ilyaducheesecakeaufrigoavecnosnomsécrits
dessus.Aussitôt,levisageboudeurdePaytons’éclaira.–Miam!Ellebonditderrièrepapa,quivenaitdequitterlapièceendirectiondelacuisine.Puis,commejene
bougeaispas,elles’arrêtaàl’entréedelasalleàmangeretsetournaversmoi.–Tuviens?–Ouais.Jejetaiundernierregarddanslesalon,oùmamanetNolanm’observaientavecl’aird’attendre.–Ehbien,vas-y,Regan! fitmamanenmefaisantsignededéguerpir.Mais faisattentionavecce
cheesecake.C’estuneannéeélectorale,ettusaisquelacaméraajouteracinqkilosàtasilhouette.Jeluijetaiunregardnoiretcommençaiàm’enaller.–Uneminute!cria-t-elle.Jem’arrêtai.Mamandésignad’ungesteladoubleportevitrée.–Unpeud’intimité,s’ilteplaît.Avecunsoupir,jefermailaporte.Puisjemetournaiverslacuisine,maispasavantd’avoirentendu
lavoixétoufféedemamèredemanderdequoiils’agissait.Danslecouloir,Paytonmefitsignedemedépêcher.Ladernièrechosequej’entendisavantdela
suivredanslacuisinefutlaréponsedeNolan:–C’estausujetdel’ancienneécoleprimairedelatroisièmerue,cellequivaêtredémolie.Jeme
demandaissivouspouviezmedonnerl’accèsauxportesdestoilettesavantladémolition.Une heure plus tard, Payton etmoi étions assises au bar de la cuisine, à lécher nos assiettes de
cheesecaketandisquepapatentaitdenousconvaincrequel’accompagnementparfaitpourcedessertétaitunebouledecrèmeglacée.Paytongloussa.–Désolée,MonsieurFlay,maisjedoispouvoirentrerdansmonuniformedepom-pom-girl.–Regan?fitpapaenhaussantunsourcild’unairsuggestif.–Nonmerci,papa.Jen’avaispasd’uniformeàenfiler,maisaprèstroistacosetunepartdecheesecake,jen’avaisplus
deplacepouruneseulebouchéesupplémentaire.–Commevousvoudrez,dit papaenouvrant laportedu sous-sol, où le congélateurdétenait son
stockdecrèmesglacées.Jereviens.Lorsqu’il eut descendu l’escalier, je me tournai vers Payton pour lui poser la question qui me
trottaitdanslatêtedepuisuneheure:
–PourquoiNolanveutrécupéreruntasdevieillesportesdetoilettes?Paytoncessadeléchersafourchetteetplissalenez.–Beurk!C’estvraimentçaqu’ilveut?Jehaussailesépaules.–Jel’aientenduenparleràmamèreavantdepartir.–Beuh!Elleposasafourchettesursonassiettevideetlapoussaàl’autreboutdubar.–Ilestbizarre,cemec.Onnesaitpasvraimentcommentmarchesoncerveau.Nolanavaitétévraimentintéresséquandjeluiavaisparlédesgraffitisdanslestoilettes,etilavait
visiblement l’intention d’envoyer un message fort…mais comment et pourquoi ? Je mâchouillail’ongledemonpouceetjetaiuncoupd’œilàl’horloge.–Pourquoic’estaussilong?–Tuconnaistamère,réponditPaytonavecunsourireencoin.Ellel’aprobablementassassiné,etlà
elleestentraindenettoyerlascèneducrimepourfairecroireàunaccident.–C’estpasmarrant.Enpartieparcequej’auraispresquepuycroire.–Tucroisqu’ilfautquej’yaille?–Pourdevenirlavictimenumérodeux?Jenecroispas,non.Jetapotaidesdoigtssurlebarendébattantintérieurement.Maisavantdem’êtredécidée,j’entendis
laportevitrées’ouvriretleclaquementdesescarpinsdemamèrerésonnerdanslecouloir.Jemelevaid’unbond,touslesmusclesdemoncorpstendusàl’extrême,enlavoyantentrerdansla
cuisineencompagniedeNolan.Tousdeuxsouriaient.–Tuviens,Payton,ditNolanenluimontrantlaporte.Ilfautqu’onyaille.Ilesttard.–Attends!m’écriai-je.Vousavezparléuneéternité.Personnenevamedirecequisepasse?–Cequisepasse,déclaramamanenseglissantversmoi,c’estquetoietcejeunehommeavezeu
une idée formidableetque je seraiplusqu’heureusedevousaider.Leharcèlement scolaire estunsujetbrûlant,etjesuisbiensûrtoujoursprêteàsoutenirtouteactionvisantàendiguercephénomène.Ellemetapotal’épaule,cequimelaissabouchebée.
Je ne me souvenais même pas de la dernière fois qu’elle m’avait encouragée, et encore moinstouchée.– Je suis fière de toi, ajouta-t-elle avec un dernier tapotement avant de se tourner vers Nolan.
J’appelleraimonassistantedèsdemainpourluifaireréglerlesdétails.Biensûr,jeveuxquelapressesoitprévenue.–Çavadesoi,répliqua-t-ilavecungrandsourire.– Très bien, je vous recontacte. J’ai du pain sur la planche. Et vous aussi, ajouta-t-elle en lui
adressantunpetitsignedetête.–Onsereparlebientôt,répliqua-t-il.Mamansouritetquittalapièce.Jem’appuyai contre lebar, ébahie, essayantdecomprendrecequivenaitde sepasser.Seuleune
explicationmevintàl’esprit:–T’asdroguémamère.Nolanéclataderire.–Jeteprometsquenon.–Ellesouriait,ditPayton.Ellenesouritjamais.–C’estunepreuve,déclarai-je.
NolanfitunegrimaceavantdefairesigneàPaytond’avancerverslasortie.–Jem’enveuxd’interromprecetrèsimportantsommetdesreinesdumélodrame,maisj’ailaissé
Blake à lamaison faire tout le boulot toute seule. Elle va sûrement se demander où je suis passé.Quand je suis parti, ajouta-t-il àmon intention, la vidéo avait l’air vraimentbien.Elledevrait êtreprêted’icidemain.Ettoi,tul’es?–Je…euh…Dansmoinsdetreizeheures,jen’auraispluslemoindresecretpourpersonne.Cetteidéemenoua
lagorge.LaReganquej’étaisparvenuetantbienquemalàcacherauxyeuxdumondeallaitpourdebonserévéleraugrandjour.Tremblante,jeprisunegrandeinspiration.–Jesuisprête.Nolan m’entoura de ses bras et me serra fort contre lui. Son odeur de pin et d’agrumes
m’enveloppa,etsachaleursediffusaenmoi.Peuàpeu,magorgesedesserra.–Tuesgéniale,murmura-t-ilcontrelesommetdemoncrâne.Paytonémitunbruitétranglé.–Trouvez-vousunechambre,grogna-t-elle.Nolanmerelâcha,etjedusfaireappelàtoutesmesforcespournepaslereprendreaussitôtdans
mesbras.Ilsepenchapourappuyersonfrontcontrelemien.–Onsevoitdemainavantlescours,d’accord?–OK.Ilglissaunemainsurmanuque,etj’inclinailatêteenarrière.Lebaiserfutbref,grâceàPaytonqui
mimad’êtreentraindevomir,maiscefutassezpourmeréchauffer.NolanmerelâchaetsuivitPaytonjusqu’àlaportedelacuisine.Ilhésitasurlepasdelaporte,puis
pointal’indexversmoi.–Demain,dit-ilavecunclind’œil.Jem’obligeaiàsourire.–Demain,répétai-je.Lemotsemitàtourbillonnerdansmatête.Demain.
CHAPITRE19
Lematinsuivant,jemegaraisurleparkingdulycéequelquesminutesavantlasonnerie.L’angoisse
qui bourdonnait dans mon ventre comme un nid de frelons m’avait empêchée d’acheter montraditionnelcafédumatin.D’unemaintremblante,jesortislesclésducontactetjetaiuncoupd’œilàmonsac,oùj’avaisrangémescachets.Peut-êtrequesij’enprenaisjusteun…Non.Cejourétaittropimportantpoursecacherderrièreuncachet.Quelqu’unfrappaàmavitre,etjecriaidesurprise.JemeretournaietvisNolan,sacaméraouverte
etpointéeversmoi.–Commentvamastaraujourd’hui?–Jemesentiraisdéjàbienmieuxsituéteignaiscettecaméra…Ilsourit.–Impossible.Ceshootingestindispensablepourledocumentairequejeréalisesurnotreprojet.–LeProjetgraffitis.–Lui-même.–Celuisurlequeltuneveuxdonneraucundétail.Ilajustalalentille.–Pourgâcherlasurprise?Jamais.Maintenant,viensavecmoi.Onvadevoirsegrouillerpourêtre
àl’heure.Tuneveuxquandmêmepasraterlapremièrephasedenotreplan?–Enfait…Jefissemblantderemettrelesclésdanslecontact.–Trèsdrôle.Allez,viens.Jelevailesyeuxaucieletsortisdelavoiture.Ilreculapourfilmerlemoindredemesmouvements.–Commentçava?demanda-t-ilencore.Nerveuse?Excitée?Jeserrailesmainssurmonsacàdos.–Toutça.–Qu’est-cequetuespèresaccompliraveccettevidéo?Jeprisletempsderéfléchiràlaquestion.–Jevoudraisvraimentquelesgenscomprennentquej’aichangé.–Commentça?–Ehbien…Jem’humectaileslèvresetrepris:– Il y a ce jeu auquel il faut jouer si tuveuxêtrepopulaire.Le score est calculé enSMS, statuts
Facebook,graffitisdans les toiletteset larmes.Pluson infligededouleur,plusonavance.Le tout,c’est d’avoir toujours un coup d’avance sur les adversaires.Mais il y a une chose que je n’ai pascompriseavantqu’ilsoittroptard:onpeutjoueràcejeupendantdesmois,desannéesmême,etnejamaisgagner.Parcequetouslesjoueurssontautomatiquementperdants.Jeneveuxplusjouer.Etjesuisdésoléed’avoirentaméunepartie.
Nolanabaissasacaméra.–C’étaitparfait.Jeconfirmecequej’aidithier:tuesincroyable.Jemesentisrougir.– Avant que la couche de compliments devienne trop épaisse et que je ne puisse plus respirer,
répliquai-je,onvavoirsij’arriveàtenirdeboutjusqu’aulycée.Jemetournaiverslesportes,etmagorgeseserrarienqu’enpensantauxélèvesàl’intérieurquime
détestaienttoujours.Etquimedétesteraientpeut-êtreàjamais.– Bien sûr que tu vas y arriver, affirma-t-il en rangeant sa caméra dans son sac à dos avant de
s’accroupirdevantmoi.Jeseraitonchauffeur.–Sérieux?–Allez,enselle!Enriant,jesautaisursondosetm’accrochaiàsoncou.Ilaccrochamesjambesavecsesbras,se
levaetsedirigeaversl’entréedulycée.–Tuesfou!m’écriai-je.Il resta silencieux un moment. Lorsqu’il me répondit enfin, sa voix avait perdu toute trace
d’humour.–Foudetoi.Laclochesonna.Ilpoussalaporteetfitunpasàl’intérieur.Lesfrelonsdansmonestomacsechangèrentencolibrisquiprirentaussitôtleurenvol.Quiaurait
cruqu’enpleinmilieudupiremomentdemavie,quelquechosed’aussibonauraitpuseproduire?–Onvaoù?demanda-t-il.Aprèsluiavoirdonnélenumérodemasalledecours,
jeposailementonsursonépaulependantqu’ilmeportaitdanslescouloirsquasidéserts.Devantmasalle,ils’accroupitetjemelaissaiglisseràterre.–Tuvasêtreenretard,dis-je.Ilsepenchapourm’embrasser,unrapidecontactsurleslèvresquisuffitàmedonnerlachairde
poule.Puisilseredressaetsourit.–Çavalaitlecoup.Desmèchesrebellesretombaientsursonfront.Jelesrepoussaiderrièresonoreille.–C’estmarrant,non?J’auraisjamaiscruquetoietmoionallait…Je laissai les mots en suspens entre nous, parce que je ne savais pas vraiment ce qu’était notre
relation.Ilvalaitpeut-êtremieuxnepasycolleruneétiquette.Jehaussailesépaules.–Jecroisquecequej’essaiededire,c’estquejesuiscontentequ’Amberaitessayédefoutremavie
enl’air.Sansça,ilneseseraitjamaisrienpasséentrenous.Sonsouriredisparut.Ildéglutit.–Moiaussi,jesuiscontentdecequisepasseentrenous.Mais…Ladeuxièmeclochesonna.Iljuraentresesdentsetmepritlesdeuxmains.–Écoute,Regan,jet’aimevraimentbeaucoup,c’estpourçaque…Avantquejeteconnaisse…que
jeteconnaissevraiment…j’aifaituntrucvraimenttrèscon.Etjevoulaist’enparlerlesoiroùtuasfilmétesexcuses,maisj’aipaniquéparcequejemesuisditquetuallaismedétester.J’ai…–MademoiselleFlay.MadameMurphy,maprofesseureprincipale,venaitd’apparaîtresurlepasdelaporte.–Vousêtesenretard.Entrezetasseyez-vous.Vousparlerezavecvotrepetitamiplustard.Sesmotsfurentaccueillispardeséclatsderireàl’intérieurdelasalle.JerougisetlâchaidoucementlesmainsdeNolan.
–Jesuisdésolée,MadameMurphy.Onseparleplustard?ajoutai-jeàl’intentiondeNolan.Ilhochalatêteetpartitdansladirectionopposée.
Il s’arrêta une fois pour me regarder. Quelque chose passa dans son regard. De la peur ? Desremords?Cefuttellementfugacequejenepusl’identifier.Je voulus le rappeler,maisMadameMurphy posa unemain dansmondos etme poussa dans la
salle.En rejoignantmaplace, je songeaiàcequ’il avaitdit.J’ai faitun trucvraiment trèscon. Jeglissaimonsacentrelespiedsdemachaiseetm’assis.Qu’est-cequ’ilavaitbienpufaire?Biensûr,onavaittouslesdeuxditdeschosesaffreusesl’unsurl’autre…Maisilnepensaittoutdemêmepasquejeluienvoudraispourça?MadameMurphyfitl’appel,etjelevailamainquandelleappelamonnom.Lorsqu’elleeutterminé,
elleallumalatélévisionaccrochéeaumur.J’avaisétésioccupéeàpenseràNolanquej’avaiscomplètementoubliémaconfession,quiallait
êtrediffuséedansàpeinequelquesminutes.Jeserrai lesdoigtssur leborddematableetregardaiNathalieetDan,lesterminalesduclubdejournalisme,débiterdesrésultatssportifsassisderrièreunetabledejeucouvertedecartonpourluidonnerl’apparenced’unbureau.Sur l’horloge, le tic-tac de l’aiguille des secondes couvrit tous les autres bruits en dehors des
battementsdemoncœur.Encorequelquesminutes,ettoutauraitchangé.Nathaliepritquelquesfiches,qu’elleempiladevantelle.– Avec la blessure de Ian Riley, nous nous interrogeons sérieusement sur les chances de notre
équipedeluttedepasserlessélectionsnationalescetteannée.–Cen’estpasbon,confirmaDanenfronçantlessourcils.Ilpivotasursonsiège,etlacamérazoomasursonvisage.– C’est tout pour les annonces matinales, mais ne nous quittez pas. En lien avec la semaine de
préventioncontreleharcèlementscolaire,notreproductriceetprésidenteduclubmultimédia,BlakeMitchell,auneprésentationspécialeàvousfaire.Onyétait.Lapeurmecomprimaittantlespoumonsquechaqueinspirationétaitdouloureuse.Mais
entre les rubans de peur qui m’enserraient la poitrine se trouvait autre chose. Un léger malaises’insinuaitenmoi.Jenepouvaism’empêcherdem’interrogersurletimingdelasituation.Quellesétaient les chances pour que tout cela arrive juste avant la semaine de prévention contre leharcèlementscolaire?Lacamérarecula,etDanetNathalieselevèrentpoursortirduchamp.Unesecondeplustard,Blake
apparutà l’écranets’assit.Ellesepassa la languesur les lèvresets’agitaunpeudanssonfauteuilavantderegarderlacaméra.–Bonjour,dit-elled’unevoixunpeutremblante.Pourceuxd’entrevousquinemeconnaissentpas,
je m’appelle BlakeMitchell et je suis en terminale ici à Sainte-Mary.Mameilleure amie, JordanHarrison, aurait dû être ici avecmoi, à passer lameilleure année de sa vie.Mais elle n’est pas làaujourd’hui.Ellen’estpaslààcauseduharcèlementdontelleaétélavictimeici,danscelycée.Mon ventre se serra. Des vagues de nausée m’envahirent. Quelque chose ne tournait pas rond.
Pourquoiparlait-elledeJordanmaintenant,justeavantdediffusermavidéo?Blakeposalesmainssurlebureauetentrecroisalesdoigts.–Lavidéoque jem’apprête àvousmontrer est undocumentaireque j’ai filméencollaboration
avecmonamiNolanLetner.L’idéenousestvenueaprèsqueJordanafailliperdrelaviesuiteàceharcèlement.NousvoulionsmontrerauxtortionnairesdeJordancequeçafaitdepasserunejournéeàsaplace.NousavonsappeléleprojetLavieentouteinconscience.Quesepassait-il?Toutautourdemoi,lesautresélèvesarrêtèrentdegribouillersurleurscahierset
sepenchèrent enavant,visiblementcurieuxdevoir cequi allait sepasser.MêmeMadameMurphyavaitposésoniPadetfaitletourdesonbureaupourmieuxvoirl’écran.Celui-cidevintnoir,etunpianosemitàjouer.LesmotsLavieentouteinconscienceapparurentà
l’écran,commetapésauclavier,etdisparurentunelettreàlafois.Une maison de trois étages à la façade de briques apparut alors à l’écran. Elle ressemblait à
n’importequellemaisonden’importequelquartierdeclassemoyenne.Desbuissonsauxfleursrosesbordaientleporche,etl’herbedelapelouseavaitgrandbesoind’êtretondue.Uneboîteàlettresenmétalpeinteavecdesmotifsvacheétaitplantéedansuncoindelapelouse.–Moisdemai,l’andernier,fitlavoixdeNolan.Jesursautaisurmachaise.– Les choses étaient déjà difficiles avant, poursuivit-il,mais je n’ai jamais su à quel point elles
avaientempiréjusqu’àcejour.C’estunpeumafaute.J’étaissonpetitami,j’auraisdûm’enrendrecompte.J’auraisdûfairequelquechose.Jeretinsmonsouffle.Nolanavait-ilvouluquecettevidéosoitdiffusée?Unfrissondeterreurme
parcourutl’échine.Lascènepassaàuneporte fermée.Celuiqui tenait lacaméra–Nolan,probablement–essayade
tournerlapoignée,maisellenebougeapas.–Allez,Jordan!Nolann’étaitpluslavoixoff:ilfaisaitpartieintégrantedelascène.– Si on ne part pasmaintenant, on va perdre la réservation. Tu étais tellementmal ces derniers
jours, j’ai vraimentvoulu fairequelquechosede spécialpour tonanniversaire. Je suis en traindefilmer,donctun’aspaslechoix:tuesobligéedesortirensouriant.Ilyeutunsilence,suivid’uneréponseétouffée.–Jenesorspas.Dessanglotsponctuaientsesmots.–Jordan?appelaNoland’untoninquiet.Qu’est-cequit’arrive?Ilréessayad’ouvrir,secouantplusieursfoislapoignée.–Çava?Laisse-moientrer.–Va-t’en,gémit-elle.–Jen’irainullepart.–Jem’enfous,répliqua-t-elled’unevoixàpeineaudible.Jem’enfousdetout,maintenant.–Çaveutdirequoi,ça?Pasderéponse.–C’estquoiceb***el,Jordan?«Bordel»avaitétébipé,maisilenrestaitassezpourcomprendre.Lapeurétaitaudibledanslavoix
deNolan.–C’estpasmarrant!Jetejure,situn’ouvrespaslaporte,jeladéfonce.Pasderéponse.MadameMurphysepenchaenavantsursachaise.Elleattrapa la télécommande, lapointavers la
télévision,maisn’appuyapassurleboutonpourl’éteindre.Visiblement,elleétaittoutaussicaptivéequemoi.–M***de!s’écriaNolan.M***de,m***de,m***de.Lacamératressautaquandillaposa.Unesecondeplustard,Nolanapparutdevantlaporte.Ilavait
desmèchesbleues–sacouleurdel’andernier.Ilappuyasonépaulesurlaporte,commepourtestersasolidité.Sesyeuxétaientgrandsouverts,emplisdepanique.
–C’estladernièrefoisquejeteledemande,Jordan!Ouvreoujedéfoncelaporte!Unsilenceluirépondit.Ilmarmonnaquelquechoseentresesdents,s’écartadelaporteetlacognadesonépaule.Laporte
émitunhorriblecraquementetseplia,maisnes’ouvritpasentièrement.Lecadreàcôtédelapoignées’étaitcassé,sibienquelaportebâillaitdeplusieurscentimètresmaistenaittoujours.Nolanfrappaunesecondefoisetcassacomplètementl’encadrement.Laportes’ouvritengrandet
frappaunebottedel’autrecôtéavecunbruitmat.Lorsquelachaussurenebougeapas,jecomprisquequelqu’unlaportait.Nolancourutàl’intérieur,maisreculaaussitôt.–OhmonDieu,Jordan!Qu’est-cequet’asfait?Est-cequec’est…del’eaudeJavel?IltombaàgenouxàcôtédesjambesinertesdeJordan.Lerestedesoncorpsrestaitcachéderrièrela
porte.Nolanlapritdanssesbraspourlesecouer.Jevissesjambesremuermollement.–Tuasbuça,Jordan?Réponds-moi,bordel!Ellearticulaquelquechose,maistropbaspourquelacaméral’enregistre.Illarelâchaetsortitsonportabledesapochearrière.–J’appellelessecours!L’écransebrouillaetredevintnoir.Mespoumonsmebrûlaient.Jemerendiscomptequej’avaisoubliéderespirerdepuislemomentoù
Nolanavaitdéfoncélaporte.Jerelâchaibruyammentmonsouffle,etplusieurspersonnesautourdemoifirentdemême.Unesecondeplus tard,Nolanapparutà l’écran,assisdanssachambresur le tabouretque j’avais
occupéquelquesjoursauparavant.Ils’étaitservidufondvertpouravoirl’aird’êtreassisentredeuxvoiesferrées,aumilieud’unchamp.–Aprèsunlavaged’estomac,etmalgrédepetitsdégâtsintestinaux,Jordanasurvécuàsatentative
desuicide.Noussortionsensembledepuisplusd’unan,maisellea rompuavecmoiàsasortiedel’hôpital.Ellenem’ajamaispardonnédeluiavoirsauvélavie.Àcausedesadépression,sesparentsl’ontretiréedulycéepourqu’ellepuisseobtenirtoutel’aidedontelleabesoin.Nolandisparut,remplacéparuneimagedel’hôpitaldelaville.Lesvoiesferréesrevinrent,maiscettefoisc’étaitBlakequiétaitassisesurletabouret.– Jordan étaitmameilleure amie depuis l’écolematernelle. Jusqu’au lycée, c’était une personne
pétillante,empliedejoiedevivre.Ellen’auraitjamaisessayédemettrefinàsesjourssiellen’avaitpasététorturéeauquotidien.LesangmontaauxjouesdeBlake,etsesyeuxs’emplirentdelarmes.–Jenesavaispasàquelpointelleallaitmal,poursuivit-elled’unevoixbrisée.J’imaginequeçafait
demoiune trèsmauvaiseamie,parceque les chosesontvraimentdûêtre terriblespourellepourqu’ellepensequelaseulefaçondes’ensortirétaitdemourir.Deslarmessemirentàcoulersursesjoues,etellesehâtadelesessuyerd’unreversdelamain.
Elleregardaitau-delàdelacaméra.–J’aibesoind’unepause.Unefoisencore,l’écrans’obscurcit.Quelquessecondesplustard,Blakeréapparutàl’écran.Sonvisagen’étaitplusrouge,etleslarmes
avaientdisparu.–JordanHarrisonaessayédesetueràcauseduharcèlementqu’elleenduraitaulycée.Elleafailli
mourir et aurait pu conserver des séquelles physiques permanentes, sans parler des cicatricespsychologiquesquiluiresteronttoutesavie.Sesbourreaux,cependant,n’ontjamaisétépunispour
leursactes.Ilsontpoursuivileurviecommeilsl’onttoujoursfait,enblessantlesautres,enlesfaisantsouffrir,sanspenserauxconséquencesdeladouleurqu’ilsinfligent.Blakesecoualatête.–Jenepouvaispas laisser faireça. Jenepouvaispas laisserd’autrespersonnessouffriràcause
d’eux.Etya-t-ilmeilleurmoyendeleurfaireprendreconsciencedesconséquencesdeleursactesquedeleurfairesubirleharcèlementauquelilssoumettaientlesautres?C’estlàqu’estnéel’idéedeLavieentouteinconscience.Pourquel’expériencefonctionne,ilfallaitquelesbourreauxdeviennentlesvictimes. Nous savions que ça ne serait pas difficile. Après tout, nous sommes au lycée. Tout lemondeadessecrets.Jen’arrivaisplusàrespirer.J’avaisl’impressionquedesmainsinvisiblesmeserraientlagorgeet
m’étranglaient à petit feu. Je n’eus qu’un instant pourme demander ce queBlake avait voulu direavantquelascènechangedenouveaupourlaisserplaceàunechambrevertequejeneconnaissaisquetropbien–celledePayton.SaufquePaytonn’étaitpaslà.Nolanétaitassisàsonbureauetouvraitsonordinateurportable.–Tutesensmaldefaireça?demandaBlakederrièrelacaméra.Nolanhaussaunsourcil.– Jemesentiraismaldenepas le faire.Si ce documentaire sauvene serait-ce qu’unevie, ça en
vaudratotalementlapeine.Ilpassaquelquesminutesàtaperauclavieretàmanierlasouris,puisillevalepoingensignede
victoire.–Bingo,murmura-t-il.Ilcliquaencoreunefois,etl’imprimantesemitenmarche.Plusieurspagesensortirent.Nolanles
attrapaetsortitsesclésdevoituredesapoche.–Maintenant,onvadansuneboutiquedephotocopies.Ilvanousenfalloirdestas.–Desphotocopiesdequoi?Nolan montra les pages à la caméra. La vidéo avait été éditée pour que les noms imprimés
apparaissent brouillés, mais je pus en distinguer suffisamment pour savoir qu’il s’agissait d’uneimpressiond’écrandemessagespersonnels.Demesmessagespersonnels.
CHAPITRE20
OhmonDieu.OhmonDieu.OhmonDieu.Jemefrottailesyeux,espérantquemonespritmejouedestours.Maisnon.LespapiersqueNolan
tenaitàlamainétaientbienceuxquiavaientétécolléssurmoncasier.Pendanttoutcetemps,j’avaiscru qu’Amber avait été derrière tout ça, que j’avais fait quelque chose pour l’énerver et qu’ils’agissaitdesesreprésailles.Àprésent,jecomprenaisqu’iln’enétaitrien.C’étaitBlakeetNolanquiavaienttoutmanigancédepuisledébut.Nolan–quim’avaittenuedanssesbras,quim’avaitembrassée,quim’avait…mentipendanttoutce
temps.Le sol se déroba sousmoi. J’attrapai les deux côtés dema table, comme pourme raccrocher à
quelquechosedetangible.JepensaisêtreentraindecraquerpourNolan,maisenfaitj’étaisjusteentraindecraquer toutcourt. Ilm’avaitditqu’il tenaitàmoi, ilm’avaitserréedanssesbrasdans lestoilettesquandjenetenaisplusdebout,ilm’avaitembrassée…Toutcelaavaitdoncétéunrôlepourobtenirdesséquencespoursondocumentaire?Mon estomac se serra douloureusement.Mes jouesme brûlaient, et des larmesme piquaient les
yeux.Jelesrefoulaienhâte.L’écran devint noir, et des mots se mirent à défiler : Nous avons récupéré des messages
compromettantsécritsparl’undesagresseursetlesavonscolléssurtouslescasiersdel’école.Lesbourreauxsortiraient-ilsplusempathiquesdeleurchutesociale?Une fille apparut à l’écran. Son visage était flouté, mais à la seconde où je la vis, mon pouls
accéléra.Jemerendiscompteavechorreurquec’étaitmoi.C’étaitlavidéodemonarrivéelejouroùlesmessagesavaientétéaffichés.Unefilleauxcheveuxasymétriquesmebloquaalorsquej’essayaisdepasser.Notreconversation fut inaudibledans lebrouhahadesélèvesquipassaient.Unesecondeplustard,ellefittombermongobeletdecafé.Mêmemaintenant,assiseàmonbureau,jesuffoquaisd’humiliationcommejel’avaisfaitcematin-
là.Leshabituelsrubansd’angoisseseresserraientsurmonestomac.S’ilvousplaît,faitesquelavidéosoitbientôtterminée.Jejetaiuncoupd’œilàMadameMurphy,quiregardaitl’écranavecuneétrangeexpression de fascination et d’horreur mêlées – de toute évidence, elle n’avait pas l’intentiond’éteindreleposte.Les élèves autour de moi étaient tendus, les yeux grands ouverts, plus éveillés que je les avais
jamaisvusàhuitheuresdumatin.La scène changea de nouveau, et cette fois je me vis devant le casier de Julie Sims, qui me
dévisageait,sescahiersserréscontresapoitrine.–Mêmesi tunemecroispas, jeveuxque tu sachesque je suisvraimentdésoléed’avoirdit ces
choses,m’entendis-jedéclarer.Ellesétaientcruelles,etjenelespensaispas.Jedisparusdel’écran,etuneautrefilleapparut.Mêmesisonvisageétaitfloutécommelemien,je
n’avaisaucundoutesur l’identitédecette filleà la jupe raccourcieetaux talonshauts.Amber. Des
motsdéfilèrentenhautdel’écran:Allaient-ilsdevenirlesvictimesdecesmêmesmaltraitancesqu’ilsinfligeaientauxautres?Amberarrachalespagesd’uncasieret,aprèslesavoirlues,lesdéchiraenpetitsmorceauxetlesbalançadanslecouloir.Ellelongeaunerangéedecasiersetarrachalespagesavantdelesfourrerdansunepoubelle.Allaient-ils se tourner les uns contre les autres ? demandaient lesmots qui défilaient. Cette fois,
Amber,Paytonetmoiapparûmesàl’écran.Amberavaitlesépaulestenduesetlespoingsserrés.–Tupeuxarrêterdejouerlesinnocentes,maintenant!cracha-t-elle.J’airépétéàPaytontoutceque
tum’asdit:quetulatrouveschianteàmouriretquetuétaisseulementamieavecelleparcequ’elleestdouéepourtrouverdesragots.Àl’écran,jefisunpasenarrière.–Quoi?Maiscen’estpasvrai!Unnouvelécrannoirs’affichaalors,aveclesmots:L’expérienceallait-ellelesforceràchanger?
Allaient-ellesdevoiraffronterleurspropresdémons?Puisjeréapparus,levisagetoujoursflouté.Cettefois,j’étaisassisesurletabouretdeNolan,devant
lefondvertchangéenrangéedecasiers.– Je devais être parfaite. Irréprochable. Tout le temps. Pas seulement à la maison, mais aussi à
l’école,àl’église…Mêmepourallerfairemescourses,parcequetoutlemondemeregardaittoutletemps.C’étaitcommesilemondeentierétaitlà,àattendrequejemeplante.Etj’airetenumonsoufflependantdesannées,parcequejesavaisquecen’étaitqu’unequestiondetempsavantquejedérapeetquetoutparteenvrille.L’angledelacaméras’élargit,mefaisantparaîtresipetite,sifragile,aumilieudecetterangéede
casiersapparemmentsansfin.–C’est tellementpathétique.Maisencorepluspathétique, ilya leschoseshorriblesquej’aidites
sur lesgens– leschoseshorriblesque j’ai faites.Jen’essaiepasdemetrouverdesexcuses,parcequ’iln’yenapas.Jevoulaisseulementdirequejesuisdésoléepourtout.Vraimenttout.Lelycéeestdéjàassezdursansqued’autresélèvesenrajoutent,etjesuisvraimentdésoléed’avoirétéunedecesautres.Jedisparus, remplacéepar lesmots :Allaient-ilsapprendre?Ouallaient-ilsavoir tellementpeur
d’affronterlavéritésureux-mêmesqu’ilsallaientcontinueràblessertoutlemondeautourd’eux?Cesmotsfurentremplacéspard’autres–flous,noirsetécritsàlamain.Peuàpeu,lacamérafitsa
miseaupointjusqu’àcequelesmotsdeviennentlisibles:DelaneyHicklerestunesalepute.Jemisunmomentàcomprendreoùj’avaisdéjàvucettephrase.Danslestoilettespourhandicapés
duvestiairedesfilles.Cestoilettesoùj’avaisfilmé…OhmonDieu.–Non!Je me levai, mais personne ne sembla me remarquer. Tous les yeux restèrent fixés sur l’écran.
Nolanavait récupéré la séquenceque j’avaisbêtement laissée sur sa caméra et s’apprêtait à ruinerdeuxviesavec.Jemelevaiettentaidem’adresseràlaclasse:–S’ilvousplaît,arrêtez!JemetournaiversMadameMurphy:–Coupezça!Vite!Elle fronça les sourcils et jeta un bref regard à la télécommande qu’elle tenait à la main, l’air
perplexe.–MademoiselleFlay,qu’est-cequivous…?MêmesiAmbern’apparaissaitpasàl’écran,savoixétaitreconnaissableentremille.–Jesuisdésolée,dit-elle.
Moncœurentamaunplongeonverslesol,etjecomprisqu’ilétaittroptard.Mêmesijeparvenaisàempêcher lavidéodepasserdansmasalle, jenepouvaispasempêcher toutes lesautresclassesdulycéedelaregarder.–MaispasassezpourlarguercetabrutideJer***,répliqualavoixdeChristy.LenomdeJeremyavaitétébipé,commelesjuronsetlesgrosmots.Amberpoussaunsoupir.–Jer***,c’estseulementpourlesapparences.Tusaisquejen’enairienàfoutredelui.–Maisc’estpascequ’ilcroit.Cequetoutlemondecroit.–Ons’encarre,decequetoutlemondecroit!Onn’aplusqu’unanàvivrecommeça!Après,on
seraàlafacetonpourrafairetoutcequ’onaenvie.Unan!Écoute.Onnepeutpascourirlerisqued’êtresurprisesensemblecommeça–surtoutpasàl’école.Laprochainefoisquetuveuxmeparler,nem’envoiepasdemot.Appelle-moi,OK?L’écrandevintnoiretj’attendislasuite,lesoufflecourt.Commeellen’arrivaitpas,jemeretournai
pourvoirMadameMurphy, la télécommandeà lamain, lepoucepressé sur leboutonon/off.Elleavaitpâliaffreusement.–Jenesuispassûrequecettevidéosoitconvenableàregarder,dit-elledoucement.Jenesavaispassiellenousparlaitànousouàelle-même.Lehaut-parleurémitun«bip»,nousfaisanttoussursauter.– Je voudrais Blake Mitchell et Nolan Letner dans mon bureau immédiatement, annonça la
principaleMcDill.Mêmedanslemicro,sacolèreétaitpalpable.–Jevoudraiségalementprésenterpersonnellementmesexcusesàtoutlemondepourlavidéoqui
vient de vous être présentée.Elle n’a été en aucun cas autorisée parmoi ni par aucunmembre ducorps enseignant. Les responsables seront sanctionnés. En attendant, reprenez les cours commed’habitude.MadameMurphyreposalatélécommandesursonbureau.–Bon!J’imaginequevousdevriezsortirvoslivres.Personnenebougea.Ellesetournaversmoi.–MademoiselleFlay,vouspouvezvousrasseoir.Mon cœur tambourinait contre mes côtes. Jamais, de toute ma vie, je n’avais désobéi à un
professeur.Maismes jambes étaient comme rivées au sol. Cette vidéo n’avait pas été une attaquecontremoi, mais contreAmber. Impossible qu’elle ne l’ait pas vue. Et je savais ce que ça faisaitd’avoirsessecretsexposésdevanttoutel’école.– Mademoiselle Flay. Qu’est-ce que vous croyez faire, au juste ? demanda Madame Murphy.
Retournezimmédiatementvousasseoir.Confuse,jeclignaidesyeux.J’étaisarrivéedevantlaportedelasallesansmêmemerendrecompte
que j’avaisbougé.Apparemment,moncorps savait déjà inconsciemment ceque jedevais faire. Jejetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetvistoutelaclassequimeregardaitavecdesyeuxronds.–Jesuisdésolée,MadameMurphy.Jedoisyaller.Jesavaisquejem’exposaisàdessanctions,maisjedevaistrouverAmber.Mêmesielleavaitjoué
un rôle important dans la tentative de Nolan pour ruinermon existence, je devais la trouver. Luiexpliquerqu’ellen’étaitpasseule.Aprèstout,commentpouvais-jem’attendreàcequetoutlelycéemepardonnemesfautessijen’étaispasprêteàfairedemême?J’ouvris laporte, ignorantMadameMurphy, et partis en trombedans le couloir désert.Si j’étais
Amber,oùirais-je?Jenepouvaispasimaginerqu’elleseraitrestéedanssasalledeclasse,pasalors
quesonplusgrandsecretavaitétérévéléaugrandjour.Jecouraisdans lescouloirs,sansvraimentsavoiroù j’allais.Toutceque jesavais,c’étaitque je
devaistrouverAmber.–Regan!LavoixdeNolaneut surmoncorps l’effetd’unecordedemarionnettiste. Jem’arrêtainet,mais
refusaidemeretourner.Jenesupporteraispasderegarderenfacelapersonnequim’avaitmentietmanipulée.–Regan,s’ilteplaît.Ilyavaitunenotededésespoirdanssavoix.Lesbruitsdesespasserapprochèrent,puiss’arrêtèrent
justederrièremoi.– Je ne savais pas que Blake allait intervertir les vidéos. Elle était seulement censée diffuser ta
séquence.Cellequ’onatournéetouslesdeux.Unemainseposasurmonépaule.–Blakem’amenti.Elles’estserviedemoi.–Toutcommetoi,tut’esservidemoi?Jemelibéraid’unmouvementbrusque.Mesmainstremblaientderage.Moncerveaun’arrivaitpas
àdécidersijedevaiscommencerparcrierouparpleurer.–Comme tu t’es servidemoipendant toutce temps?Tum’aspiégéepour le jourde lagrande
révélation?–Non!Ilouvritdegrandsyeuxetfitunpasenarrière.–C’estpasça.Jeveuxdire…Oui,çaapeut-êtrecommencécommeça.Aprèscequiestarrivéà
Jordan,j’étaistellementdégoûté…Jevoulaislavenger.Maisça,c’étaitavantquejecomprennequecequejefaisaisavecBlake,c’étaitexactementpareilquecequevousaviezfaitàJordan.Jeluiaiditquejevoulaisabandonnerleprojet.Jecroyaisqu’elleétaitd’accord.ElleadûrécupérerlaséquenceavecAmber le soir où je suis venu chez toi et où elle est restée éditer la vidéo.Bon sang, je suistellementstupide!ajouta-t-ilensefrottantlevisageàdeuxmains.Ça,aumoins,c’étaitvrai.Maispourlereste,commentsavoir?Cen’étaitpascommesijepouvais
croireunseulmotquisortaitdesabouche.–Jem’enfous,Nolan.Jen’aipasdetempsàperdreavectesconneriespourlemoment,OK?Ilparutblesséetreculaencored’unpas,commesijel’avaisfrappéauvisage.–Jetedislavérité.Blakem’amenti.Onn’ajamaisconvenudediffuserlavidéooriginale.Jeserrailespoingsetsecouailatête.–Tucomprendspas?Jemefousqu’ellet’aitmenti.Tum’asmentiàmoi!Pendanttoutcetemps,tu
n’aspasditunmotalorsquej’accusaisAmberd’avoiraffichélesmessages.Jemefousquetuaieschangéd’avissurtonstupidedocumentaire!Cequejeretiens,c’estquetuasdélibérémententreprisderuinermonexistence!Ilpassasesdoigtsdanssescheveux.–Jesais.Regan,jesuisdésolé.Quandonacommencéàfilmer,j’étaisencolèreetblessé…Jeme
rendscomptemaintenantquecen’estpasuneexcuse.Jen’aijamaisvouluqueçaailleaussiloin.J’aiarrêtéleprojetquandj’aicomprisàquelpointtoutétaitentraindedéraper.Ilfautquetumecroies.Audébut, jepensaissincèrementaider lesgens.Jepensaismêmet’aider, toi.J’ai jamaisvouluquetoutçaarrive.Jetejure.Tuesladernièrepersonnequej’auraisenviedeblesser.–Ouais,tuesunvraipetitsaint.–D’accord, je lemérite.Tuesencolère, tuenas toutà fait ledroit.Onvivaitquelquechosede
vraimentformidabletouslesdeux,etjenemelepardonneraijamaissij’aitoutgâché.S’ilteplaît,Regan,est-cequ’onpeutenparler?Est-cequetupeuxmedonnerunedeuxièmechance?–Jen’aipasletempsdeparler,répliquai-jeenpassantdevantlui.JedoistrouverAmber.–Jevaist’aider,déclara-t-ilenm’emboîtantlepas.Sansleregarder,jesecouailatête.–Tunedoispasallerchezlaproviseure?–Ilyabeaucoupdechosesquejedoisfaire.Pourlemoment,mapriorité,c’esttoi.Jelevailesyeuxaucieletpoursuivismaroute.Ilpouvaitdiretoutcequ’ilvoulait,çan’allaitpas
changerlefaitquejeconnaissaisàprésentlevraiNolan.Quelquesoitlerôlequ’iljouait,jenemelaisseraisplusavoir.Je tournaiaucoinducouloiret faillis renverserChristy.Ses jouesétaient rougesetcouvertesde
larmes.Ellenousregardaalternativement,Nolanetmoi,etpointasurnousundoigttremblant.–Vous.Vousavezfaitçaensemble!–Non.Tutetrompes,protestaNolan.Toutestmafaute.Regann’arienàvoiravecça.Christy attrapa le devant de son t-shirt et, pendant quelques longues secondes, j’eus la terrible
certitudequ’elleallaitlefrapper.–Est-cequetuaslamoindreidéedecequetuasfait?cracha-t-elleentresesdents.Ellelerepoussaenrelâchantsont-shirt.–Écoute,Christy,s’ilteplaît.Jen’airienvouludetoutça…–Jevousemmerde,toiettesintentions!IlfautquejetrouveAmber!Ellepassaàcôtédeluienluicognantl’épaule.–Tusaisoùelleestpartie?criai-jederrièreelle.Christys’arrêtaetsecoualatête.Denouvelleslarmesserépandirentsursesjoues.–Non.Onétaitdanslamêmesalle,etaprèslavidéo…Elledéglutitavecpeine.–Amberapétélesplombs.Je…jenel’avaisjamaisvuecommeça.J’aipeur.–OK…Jemordillaimalèvreinférieure,mecreusantlacervellepourtrouverdesendroitsoùAmberaurait
pusetrouver.–Etsi tuallaisvoirauparking,sisavoitureestencorelà?Siellen’yestpas,c’estqu’elleadû
rentrerchezelle.Demoncôté,jevaiscontinueràchercherparici.–D’accord,opinaChristyavantdepartirencourant.SiAmbern’étaitpassortiedulycée,elleétaitalléedansunendroitoùellepourraitêtreseule,où
personneneviendrait l’embêter.Un endroit comme… les toilettes dudeuxième étage. Je tournai àdroite et montai l’escalier, Nolan sur mes talons. Je priais pour ne pas la trouver. Je priais pourqu’ellesoitauStarbucks,occupéeànoyersonchagrindansunlatte,ouchezMacy,entraind’oubliersesproblèmesens’offrantunnouveaurougeàlèvres.Lehaut-parleursemitàcrachouillerlorsquej’arrivaiaudeuxièmeétage.«NolanLetneretReganFlay,vousêtespriésdevousprésenteràmonbureau immédiatement»,
ordonnalaprincipaleMcDill.Apparemment,MadameMurphy l’avaitprévenuedemonévasion.Exactementcequ’ilme fallait,
encoreplusdeproblèmes.Monsoufflesebloquadansmagorge,etjetendislamainversmonflaconde pilules caché dans mon sac à main avant de me rendre compte que j’avais oublié toutes mesaffairesdansmasalledecours.–Merde,murmurai-je.
–Quoi?demandaNolan.–J’aioubliémescachetsdansmasalle.Ilfronçalessourcils.–Tuveuxquej’ailleleschercher?–Maisbiensûr…Jesuissûrequesitudéboulesdansmasalledecours,çavavachementbiense
passer!–Jem’enfous.J’yvais.–Non.Jeneveuxplusquetufassesrienpourmoi.Jamais.Tuenasfaitassez.Sansluilaisserletempsderépondre,jemeretournaietpartisencourantverslestoilettesdesfilles.
Devantlaporte,j’hésitai.Moncœurétaitcommeremontédansmagorge,m’empêchantderespirer.S’ilteplaît,Amber.Nesoispaslà.J’ouvrislaporteengrandetentrai.Avantquelaportesereferme,Nolanseglissaderrièremoi.Les toilettes étaient silencieuses, hormis le goutte-à-goutte régulier d’un robinet rouillé. Amber
n’étaitpaslà.Soulagée,jemedétendis.–Ellen’estpaslà,murmurai-je.–Alorsqu’est-cequ’onfaitmaintenant?Brutalement,jemetournaiverslui.–Tunecomprendsrienouquoi?Onnefaitrien.Tupeuxallertefairefoutre.Unpetitrireretentitderrièrelaporteferméed’unedescabines.–Ouais,fitlavoixd’Amber,quirésonnaitcontrelemurcarrelé.Ilyavaitquelquechosed’inhabitueldanssavoix,maisjenepusmettreledoigtdessus.–Allezvousfairefoutre.Touslesdeux.Surcesmots,elleéclataderire.Jemefigeai.Lapeurmesaisitdesesdoigtsglacés.Quelquechosen’allaitpas.Lentement, jeme
tournaiverslesportesdescabines.–Amber?Pasderéponse.Jemepenchaipourregardersouslesportes.Leslonguesjambesd’Amberétaient
étenduesparterre,danslestoilettespourhandicapés.–Amber,jesaisquetueslà.Tuneveuxpassortir,qu’ondiscute?–Pourquoijevoudraisfaireça?Toiettonmec,vousnem’avezpasencoreassezfilméepourme
détruirecomplètement?Nolanmecontournapours’approcherdelacabineferméeetposaunemainsurlaportepourvoir
sielleétaitverrouillée.Ellenebougeapas.–Regann’a rienàvoir aveccettevidéo.Si tuveux t’enprendreàquelqu’un,prends-t’enàmoi,
maisaumoinssorspourqu’onpuisseparler.–Jet’em-emmerde,bafouilla-t-elle.Onn’arienàsedire.Detoutefaçon,vousaurezbientôtceque
vousvouliez.Unfrissonmeparcourutl’échine.–S’ilteplaît,Amber.Sors.Tumefaisflipper.Unchocsourdmerépondit.Unesecondeplustard,
lapoignéeenmétaldelaportesemitàcliqueter.Nolanfitunbondenarrière,ettoutelaportesemitàtrembler.–Qu’est-cequi…Jem’avançai,etNolans’accroupitpourregarderàl’intérieur.–Merde.Pasencore!
Ilseredressaetmeregarda,lesyeuxgrandsouverts.–Elleadesconvulsions.–Ellequoi?Je ne comprenais pas. La porte continuait de trembler.Ma première pensée fut qu’il y avait un
tremblementdeterre–maisçan’avaitaucunsens,puisqueriend’autrenebougeait.Nolanmefitsignedereculer.–Bouge!Jetrébuchaienarrière.Ilpassalesbrasdanslacabineetattrapaleschevillesd’Amber.Illafitglissersouslaporte,faisant
remonter sa jupe autourde sa taille, exposant sa culotte endentelle noire.Elle ne semblapas s’enrendre compte. Ses yeux étaient fermés, ses lèvres retroussées. Tout son corps était rigide ettremblant,commeunecordedeguitare.Nolanlâchasesjambesetseglissaàcôtédesatête.Illagifladoucement.–Amber?Tum’entends?Tuasavaléquelquechose?Ilfautquejesachecequetuaspris.OhmonDieu.OhmonDieu.OhmonDieu.Lesmotstournaientenboucledansmatête.Jevoulais
allerverselle,maislapeurmeclouaitsurplace.Jeparvenaispresqueàmeconvaincrequetantjenelatouchaispas,toutcelan’arrivaitpasvraimentetn’étaitqu’uncauchemar.Nolansetournaversmoi.–Elleneréagitpas.Appellelessecours!Ilauraitaussibienpuparlerlatin.Lorsquelesfragmentsdesaphrasesemirentenfinenplacedans
matête,jefouillaimespochesavantdemesouvenirquej’avaislaissémonportabledansmonsac.–J’aipasmontéléphone!Il fourra ses mains dans ses poches et en sortit son iPhone. Il composa le numéro, les mains
légèrementtremblantes,etlevaletéléphoneàsonoreille.–JesuisdanslestoilettesdudeuxièmeétagedulycéeSainte-Mary.Jesuisavecuneélèvequiadû
faireuneoverdosedequelquechose.Elleadesconvulsions.Ils’interrompitpourécouterlaréponse.–Aucuneidée.Regan,vavoirsitupeuxtrouverunflacondepilules,qu’onpuissesavoircequ’elle
apris.Jehochaimollementlatêteetm’approchaiducorpstremblantd’Amber.–Non,ellen’apaschangédecouleur,fitNolanautéléphone.Ellerespireencore,maisseslèvres
sontunpeubleues.Iltouchalecoud’Amberetfronçalessourcils.–Soncœurbatvraimenttrèsvite.Vousferiezbiendevousdépêcher.Je remis en place la jupe d’Amber et glissai les doigts dans ses poches. Elles étaient vides. Son
corpssetordaitsousmesmains.Jereculai.Elleémitunbruitétouffé,etjefermailesyeux.Mêmesij’allaisdansunlycéecatholiqueetquej’avaisunemèreultra-conservatrice,jen’avaisjamaisététrèsbranchéereligion.Pourtant,jeprisletempsdemurmurerunerapideprièrepourAmber.Pourqu’elles’ensorte.–Tuastrouvéquelquechose?demandaNolan.J’ouvrislesyeuxetsecouailatête.Ilsoupira.–Rien,répéta-t-ilautéléphone.Trèsbien.Dites-leurdemonteraudeuxièmeétage.Danslestoilettes
desfilles.Lescheveuxtrempésdesueurd’Amberluicollaientaufront.Nolanlesrepoussaenarrière.
–Continueàchercher,medit-il.Jehochailatêteetmemisàgenouxpourregardersouslaportedestoilettes.Àpartlamoisissure
noirequitachaitlejointàlabasedestoilettes,jenevoyaisrien.– Elle n’a peut-être rien pris, dis-je avec espoir. Elle est peut-être épileptique ou quelque chose
commeça?– Je ne crois pas. Amber ? appela-t-il en se penchant sur elle. Tu m’entends ? On a appelé les
secours. Tu vas t’en sortir, mais on a vraiment besoin de savoir ce que tu as avalé, et en quellequantité.Elleémitunpetitgargouillis étrangléetposa sonbras tremblant sur sapoitrine, lamain sous le
menton.C’estalorsquejelevis.Lebouchonblancd’unflacondepilules,quidépassaitdesonpoingfermé.Jerampaiàcôtéd’elleetattrapaisamain,maisellerestaferméesoussonmenton.Aveclesspasmes
quilasecouaienttoujours,j’étaisincapabledefairebougersonbras.Unàun,jedétachaisesdoigtsdupetitflaconjusqu’àpouvoirleluiarracher.Ilétaitvide.J’espérais
seulementqu’iln’étaitpaspleinàlabase.Jelusl’étiquette.–Bupropion,dis-jeàNolan.C’estcequ’elleapris.Ilrépétal’informationautéléphone.Unfrissonmeparcourut.Jem’appuyaicontrelaportedestoilettes,vidéedetouteénergie.–Pourquoi,Amber?murmurai-jeenfermantmonpoingsurleflacon.Unsouvenirrefitsurface,commepourm’apporteruneréponse:jemerevis,dansmonlit,unpeu
plusd’unesemaineauparavant,entrainderegardermonpropreflacondepilulesetdepenseràquelpointceseraitfaciled’arrêterladouleur.Detoutarrêter.J’attrapailamaind’Amberetlaserrai.Unsanglotmeremontadanslagorge.–S’ilteplaît,Amber,nemeurspas.S’ilteplaît.Situt’ensors,toutseradifférent.Tuverras.Tout
vas’arranger.Lorsqueje levai lesyeux,deshommesenuniformebleunousentouraient.Ilsm’arrachèrentmon
ancienne amie et la déposèrent surune civière.Dès l’instant où elle fut évacuée, le temps semit àavancer à de drôles d’intervalles, comme si quelqu’un n’arrêtait pas de jouer avec les boutons«play»et«accéléré»delatélécommandedemavie.Laprincipaleapparutdevantmoi.Elleparlait,maisjenecomprenaispasunmotdecequ’elledisait.
Jefermailesyeux,etquandjelesrouvris,mamèreétaitlà,elleaussienpleinediscussion.Toutlemondeparlait:Nolan,unpolicier,plusieursprofesseurset,plustard,unmédecin,mêmesijenemesouvenaispasd’êtrealléeàl’hôpital.De temps en temps, j’entendais quelquesmots aumilieu desmurmures quim’entouraient.Choc.
Traumatisme.Repos.Cesmots furentprononcésàplusieurs reprises, jusqu’àflotterdansma têteetm’emporterdansunemerd’inconscience.Dansmesrêves,jevisuncorpsdéposésurunecivière.Unemainpendaitsurlecôté,etunflaconde
pilules glissa des doigts pour rebondir au sol. Des douzaines de cachets roses et ovales serépandirent. Le bruit qu’ils firent en frappant le carrelage résonna comme autant de coups detonnerre.–C’estterminé,ditquelqu’un.Undrapblancfutposésursoncorps.Avantquesonvisagesoitrecouvert,jemevisapprocherla
civièrepourlavoirunedernièrefois.Mêmesisesyeuxétaientprivésdevie,jevoyaisbienqu’ilnes’agissaitpasdesirismarronfoncéd’Amber.Ceux-làétaientbleupâle,commelesmiens.Unhurlementsebloquadansmagorge.
Çaauraitpuêtremoi.
CHAPITRE21
Jemeredressaidansunsursaut,etmonrêvepartitenlambeaux.Jemefrottailesyeuxjusqu’àêtre
certainequej’étaisbienréveilléeetquejen’allaispassuccomberàunautrecauchemar.Lorsqu’enfinj’ouvrislesyeux,jemeretrouvaidansunlitd’hôpital,avecunecouverturerigideposéesurmoi.Jel’arrachaipourdécouvrirquejeportaistoujoursmonuniformedulycée.Lalumièredusoleilfiltraitàtraverslesstorespoussiéreuxd’unefenêtreàmadroite,projetantdeslignessurlesolcommedesbarreauxdeprison.–Toutvabien,machérie,ditpapa.Jeme retournai. Il était assis surunechaiseà côtédemon lit. Il portait sablousedechirurgien-
dentisteettenaitunetassedecaféenéquilibresursesgenoux.Illaposasurlatabledechevetetseleva.–Resteassise.Tuétaisenétatdechoc,etlemédecint’adonnéquelquechosepourtedétendre.Tu
dorsdepuisplusieursheures.Choc.Hôpital.Moncœursemitàbattrelachamade.Allaient-ilsm’interner?M’obligeràporterunpeignoiretme
bouclerdansunserviceoùonconfisquaitleslacetsdeschaussuresetlesstylos?–Je…jeneveuxpasrester.Jeveuxrentreràlamaison.Papalevalesmainsensigned’apaisement.–Tun’aspasàresterici.Onvaterameneràlamaisondèsqueledocteurauravuquetuesréveillée
etnousauradonnésonfeuvert.Jehochailatêteetpassaimesdoigtsdansmescheveuxemmêlés,m’efforçantdecomprendrecequi
s’étaitpassé.Ilyavaiteuunevidéo…j’étaispartiechercherAmber…Nolanm’avaitsuivieet…ohmonDieu!Jerelevailatête.–Amber!Papahochalatête.–Pourlemoment,toutvabien.Ilesttroptôtpourdiresiellesouffrededommagesinternes,mais
elleestenvie.Etceneseraitpaslecassitunel’avaispastrouvée,machérie.Tul’assauvée.Jen’enétaispassisûre.Aurait-ellepriscespilulessijen’avaispasenregistrésaconversationavec
Christy?Et Jordan ?Aurait-elle avalé l’eau de Javel si j’avais empêchéAmber de semoquer d’elle ?Deslarmesmemontèrent aux yeux. J’avais voulu changer,mais tout ce que j’avais réussi à faire étaitencorepire.–Ehbienalors?fitpapaentirantdesmouchoirsenpapierpourmeslesdonner.Toutvas’arranger.
Tuvasvoir.
Jegrimaçai,puismetapotailesyeuxaveclemouchoir.–Tunecomprendspas.Riennevas’arranger.Avantquejepuissepoursuivre,mamèreentraentrombedanslachambre.Sontailleurétaitfroissé,
etplusieursmèchesdecheveuxs’échappaientdesonchignon.–Oh,Regan!Jemeraidisetenfouismatêtedansl’oreiller.Connaissantmamère,elleavaitprobablementdéjà
entendutoutel’histoire.Depuismesmessagesprivéscolléssurlescasiersjusqu’àlavidéodiffuséeàl’école.Jeretinsmonsouffleetmepréparaiàdesremontrances–àcequ’ellemediseàquelpointelleétaitdéçue,etquecetteaffaireallait ruiner toutesseschancesd’être réélue lorsque lesmédiasl’apprendraient.Mamanlaissatombersonsacàmainparterre.Elles’approchademoi,leslèvresexsanguesàforce
d’êtreserrées.Ellemepritparlesépaules.Jedéglutisavecpeine.Onyétait.–Regan,je…Ellerefermalabouche,commesiellevenaitdechangerd’avis,etmeserracontreelle.Laviolencedesonembrassadem’effrayait.J’essayaidemedégager,maisellenefitquemeserrer
davantage.–Monbébé,murmura-t-ellecontrelesommetdemoncrânetoutenmecaressantlescheveux.Sachaleurm’enveloppait,toutcommel’odeurdesonChanelN°5–leparfumqu’elleportaitdepuis
quej’étaispetite.Jenemesouvenaismêmepasdeladernièrefoisqu’ellem’avaittenuecommeça.Ses bras serrés tout contre moi m’emplissaient de souvenirs de ma vie d’avant. Avant que toutdeviennesicompliqué.Les larmesque j’avaisessayésidésespérémentderetenirse libérèrentenfinet roulèrentsurmes
joues.–Maman,balbutiai-je,unebouledanslagorge.Jesuisdésolée.–Shhhh,murmura-t-elle contremoi.C’estmoi qui suis désolée,Regan.Le lycéem’amontré la
vidéo.Jen’avaispasidéedecequetuvivais.Jemetsbeaucouptropdepressionsurtesépaules.J’aidû faire tant d’efforts pour en arriver où j’en suis aujourd’hui… J’ai seulement pensé que si turéussissaismaintenant, la vie serait beaucoup plus facile pour toi qu’elle l’a été pourmoi. Jemetrompais.Ellepritunelongueinspirationtremblanteetconclut:–Pourras-tuunjourmepardonner?Luipardonner?Lesmédicamentsdevaientmefairehalluciner!–Maisc’estmoiquiaitoutgâché!protestai-je.Etàcausedeça,toutlemondeaulycéemedéteste.
EtAmber…Jeravalaiunsanglot.–Shhh,répéta-t-elle.Onnevapass’enfairepourtoutçamaintenant.Prenonsleschosesaujourle
jour.L’important,c’estqu’Ambersoitenvieetquetuaillesbien.Maisjen’allaispasbien.Enquelquessemaines,mavieentières’étaitdérobéesousmespieds,etje
portaislesmarquesdemachute.Leschosesquej’avaisfaitesetleschosesquej’avaisvuesallaientmehanterpourtoujours.Jelesavais,parcequechaquefoisquejefermaislesyeux,jerevoyaislespiedssansviedeJordandansl’écrandetélévision,etlecorpsd’Ambersecouédeconvulsionssurlesoldestoilettes.Jesavaisquemamanvoulaitseulementmeremonterlemoral–m’offrirunelueurd’espoirlàoùil
n’yenavait aucune.Ellen’aurait pasdû sedonner cettepeine.Àdix-sept ans, j’étais assezgrande
pourvoirlavéritéenface.Certaineschosesn’allaientjamaiss’arranger.Quelqu’unfrappaàlaportedemachambre.Jerefermaimonlivre.–Regan?Mamanentrebâillalaporteetsourit.–Commentçava?demanda-t-elle.Elle avait l’air bizarre, en jean et sweatHarvard.Ses tennis, qu’elle possédait depuis des années,
étaientd’uneblancheurimmaculée.Ellen’avaitpasdûlesportersouvent.Ellen’avaitpasprisunseuljourdevacancesdepuisqu’elleavaitremportésapremièreélection,unedizained’annéesauparavant.Lorsqu’ellem’avaitdit à l’hôpitalqu’elleavaitprisdeuxsemainesdecongépourpasserdu tempsavecmoi, j’avaiscruqu’elleétaitdevenuefolle.Maisétrangement,ellesemblaitplusdétenduequejamais.Jeposaimonlivreetmeredressaicontremesoreillers.–Çava.Çan’apaschangédepuisladernièrefoisquetuesvenuevoir,ilyaunedemi-heure.Celadit,ses
visitesnemedérangeaientpas.Ellesmedistrayaient des sombres souvenirsqui fondaient surmoilorsqueleslivres,Internetetlatélévisionnesuffisaientpasàlesteniréloignés.Ellesourit,decegrandsourirehyper-enthousiastequ’elleréservaitd’ordinaireauxcollecteursde
fondsdesescampagnesélectorales.–Super.Alorstuesd’humeuràrecevoirdelavisite?Jemeredressaid’unbond.–C’estpas…–Non.Jeme détendis.Cette semaine,Nolan était venu deux fois à lamaison.À chaque fois, jem’étais
cachéedansmachambreetavaissuppliémesparentsdelechasser.Ladeuxièmefois,Nolanavaitattenduplusd’uneheureavantdefinirparabandonneretrentrerchezlui.Jelesavais,parcequej’avaispassémontempsàregarderparlafenêtrepourvoirsisavoitureétait toujoursgaréedans l’allée. Jen’avaisaucune idéedecequ’il avaitpu raconteràmesparentspendant tout ce temps,mais jem’en fichais.Aprèsqu’ilm’avaitmenti comme il l’avait fait, aprèsqu’ils’étaitservidemoi,jenevoulaisplusjamaislerevoir.–C’estqui?demandai-je.–C’estmoi,réponditPaytonenouvrantlaporteengrand.Elleportaitunsacàdospleinàcraquer,qu’ellelaissatomberparterreavecungrandbruitsourd.–Etj’aiapportétoustesdevoirsdelasemaine.Génial,non?fit-elleavecungrandsourire.Mamanattrapalesacàdospourlehissersurmonbureau.–Merci,Payton.Regannepeutpassepermettredevoirchutersesnotes…Elles’interrompitetravalalafindesaphraseensecouantlatête.–Voussavezquoi?reprit-elle.Etsionattendaitdemainpours’occuperdesdevoirs?Onpourrait
allervoirunfilmcesoir.Et…peut-êtrequePaytonaenviedesejoindreànous?Onpourraitsefaireunesoiréeentrefilles.Qu’est-cequetuendis,Payton?–Euh…hésita-t-elleenmejetantunregardencoulisse.Oui?–Excellent,ditmamanenallantverslaporte.Jevaisvoircequ’ilyaàl’affiche.Jereviens.Dèsqu’elleeutquittélapièce,Paytonsetournaversmoi.–C’étaitqui,celle-là?Etqu’est-cequ’elleafaitdetamère?
Jehaussailesépaules.–Cherchepas.Extraterrestres,possessiondémoniaque,peuimporte.C’estunesacréeamélioration.–J’imagine,fitPaytonensautantsurmonlit.Alors,quandest-cequeturetournesaulycée?Jesuis
obligéedemangeravecmonfrèrelemidi,tuimagines?Jesuisdégoûtée…ÀlamentiondeNolan,magorgeseserra.Jesecouailatête.–Tuaseudesnouvellesd’Amber?Paytonsoupira.–Elleestenvie,c’esttoutcequejesais.J’aiessayédeluirendrevisiteàl’hôpital,maiselleaété
transféréedans le servicepsychiatriquedès que son état s’est stabilisé. Je suis allée la voir là-bas,maisellerefusetouteslesvisitesàpartcellesdesafamille.Ducoup,commejet’aidit,aulycée,jesuistouteseule.Tumemanquesvraiment.Jemelaissairetombersurmonoreiller.–Tuesbienlaseuleàquijemanque.–C’estpasvrai.Elleroulasurleventreetm’adressaunregardlourddesens.Jelafusillaiduregard.– Jen’aipas enviedeparlerde lui.Et puis jene suispasvraiment sûredevouloir retourner au
lycée…Rienqu’àl’idéederevoirtoutlemonde…Jefrissonnai.–Jesaispasquandjeseraiprête.Jesaismêmepassijeleseraiunjour.–Alorstuvasarrêterl’école?–Pas vraiment.Avecmaman, on a parlé d’embaucher un enseignant à domicile pour le reste de
l’année.–Çaseraitvraimentdommage,déclaraPaytonenarrachantunepeluchedemacouverture.–Pourquoi?Ellelevalesyeuxversmoi.–Leschosesontchangé.Depuistoutel’histoireavecAmberetlavidéo.Onaeuuneréunionavec
desintervenantsquiontparlédetoléranceettoutça.Cettepartie-làétaitnaze,ajouta-t-elleenlevantlesyeuxauciel.Ilsavaientaumoinsquaranteans.Qu’est-cequ’ilssaventdecommentçasepasseaulycéedenosjours?Enfinbref,quandilsontterminé,Nolans’estlevépourparlerdevotreprojet.Iladit que la vidéo de toi était censée être la première phase, et quemaintenant il voudrait que toutel’écoleparticipeà laphasedeux.Jenesaispascequis’estpassé,c’étaitcommes’ilétaitconnectéavectoutelasalle.Toutlemondeétaitsuperexcité.Jemeredressaidansmonlit.–MaispourquoiilslaissentNolanfaireçaaprèslecoupdelavidéo?–Écoute,jecherchepasàledéfendre,etjeluienveuxtoujoursd’êtreentrédansmachambrepour
piquer nosmessages surmon ordi,maisBlake a avoué à la principale queNolan a abandonné leprojetaumomentoùtuascommencéàtefaireemmerder.ÇaaénervéBlake,alorselleacontinuéleprojetdanssondos.Elleestmêmeallée jusqu’àvoler lavidéoque tuas filméeavec lacaméradeNolan.Lapartie surBlakeneme surprenait pas.Pasbesoind’êtreEinsteinpour comprendrequ’elle ne
pouvaitpasmesaquer.Etmaintenantquejesavaispourquoi,jepouvaisdifficilementluienvouloir.Moiaussi,j’avaissouventmentiettrahipourobtenircequejevoulais.CequimeblessaitleplusavecNolan,c’étaitqu’àcausedesesmensonges,jenesavaispluss’ils’intéressaitvraimentàmoi.Peut-êtrequetoutçan’avaitétéqu’unecomédievisantàobtenir les informationsqu’ilvoulait.Jerepris
monlivreetfissemblantdelirelerésuméàl’arrière.–Est-cequ’onpeutparlerd’autrechose?–Lebal,c’estdemain.Jen’aipasdemecpourm’accompagner,alorssitoinonplus,jemedisais
qu’onpourraityallerensemble,dit-elled’unairemplid’espoir.Jereposaimonlivreetgrimaçai.–Tutefousdemagueule?–Allez…çaseramarrant.Onvasefairebelles,danseravecdesbeauxgosses…S’ilteplaît,Regan.–Jesuisdésolée.Jerepliaimesjambescontremapoitrineetlesentouraidemesbras.–Jenesuispasvraimentd’humeuràfairelafêteencemoment,ajoutai-je.Etdetoutefaçon,jene
vaispasavoirledroitdevenirpuisquejenevaisplusaulycée.–C’estpasvrai,répliquaPaytonensedécalantversmoi.J’aidemandéàlaprincipale,etelleadit
qu’elleseraitraviequetuviennes.Situveux,onn’auraqu’àresterletempsd’uneoudeuxchansons,etsit’espasbien,onpartira.Promis.–Non.JepensaiàAmber,quipasseraitlasoiréedubalenferméedansunservicepsychiatrique.–Jenecroisvraimentpasquecesoitunebonneidée.Elleselaissatombersurlematelas.–Tupeuxpaspasserlerestedetavieplanquéedanstachambre!–Jesuispasplanquée.–Ahnon?rétorqua-t-elleenhaussantunsourcil.Alorsprouve-le.Viensaubalavecmoi.–Pourquoijeferaisça?Toutlemondemedéteste.–C’estpasvrai, répéta-t-elleen rampantàcôtédemoi. Jecroisquepasmaldegens te trouvent
même carrément géniale.Après tout, y’en a pas beaucoup qui auraient eu la force de filmer leursexcusespourlesmontreràtoutlelycée.Pourça,ilfautvraimentdescouilles.–Euh,attends.Commenttusaispourmavidéo?Ellen’apasétédiffuséeenentier!–Euh…C’estpastoutàfaitvrai.–Quoi?Ellesetorditlesmains.– Je t’ai parlé de la réunion ? Eh bien, Nolan a passé votre vidéo – celle que vous avez faite
ensemble–avantdeparlerdevotreprojet.–C’estpasnotreprojet !m’écriai-jeen levant lesbrasen l’air.Jen’aipas lamoindre idéedece
dontils’agit!Etquiluiadonnél’autorisationdemontrercettevidéoàtoutlelycée?Paytonhaussalesépaules.–Jepensaisquetuauraisétéd’accord.Jeserrailesdoigtssurleborddemacouverture.–Non,jesuisabsolumentpasd’accord!Aprèsledésastredel’autrevidéo,j’enaimarred’essayer
detoutarranger.Chaquefoisquelesprojecteurssetournentversmoi,ilsepassequelquechosedecatastrophique.Jeveuxjustequ’onmelaissedisparaîtretranquille.MamèreentradanslapièceavantquePaytonpuisseprotester.ElleavaitlesyeuxrivéssursoniPad.–Ilyacettenouvellecomédieromantiquequipasseàdix-neufheures.Ouunfilmd’actionavec
BruceWillisàdix-neufheurestrente.Ettusaisl’effetquemefaitBruce,ajouta-t-elleavecunsourirecomplice.Commejenerépondaispas,elleabaissal’iPadpourmeregarder.–OK,qu’est-cequisepasse?
Paytoncroisalesbras.–J’essayaisdepersuaderRegand’alleraubalavecmoidemain.–Çam’al’aird’uneexcellenteidée,fitmaman.Tunesorsjamaisdelamaisonàpartpouraller…Elle s’interrompit,mais je n’avais pas besoin qu’elle termine sa phrase.La seule fois où j’avais
quittélamaisondepuisquej’avaisatterriàl’hôpital,c’étaitpourallervoirmonpsy.–Alorsoùestleproblème?reprit-elle.–Leproblème,c’estquej’aipasenvied’yaller.Jesuispasencoreprêteàrevoirlesgensdulycée.MamanetPaytonéchangèrentdesregardsdéfaits.–Trèsbien,machérie,ditmaman.Personnenevateforceràfairequoiquecesoit.Maisavantde
refuserdéfinitivement,tudevraispeut-êtreprendrelanuitpouryréfléchir.Onpourraitallert’acheterunerobedemainmatin,etfaireunemanucure.Ceseraitsympa,non?Jedevaisbienl’admettre,çaavaitl’airsympa.Laseulefoisoùj’avaispasséunmomententrefilles
avec ma mère dans l’année, c’était quand on était allées aux portes ouvertes de l’université deColumbia.Maisjen’iraispasaubal.–Non.Ellesoupira.–Essaied’yréfléchir.Enattendant,jevaisréserverlesbillets.Payton,situappelaistamèrepour
t’assurerquec’estbonpourcesoir?–Biensûr.J’ailaissémonportabledansmavoiture.
Jepeuxmeservirdevotretéléphone?–C’estparici,réponditmamanenluimontrantlechemin.Une fois seule, je poussai un long soupir.Même simaman et Payton pensaient qu’une nouvelle
humiliation publique serait une idée sympa, pas question que j’aille à ce bal ! Et puis, avec lamontagnededevoirsquej’avaisaccumulésenmonabsence,jen’allaisavoirletempsderienfairesijevoulaisrattrapermonretard.Jedescendisdulitettraversailapiècepourfouillermonsacàdos.Çanemeferaitpasdemalde
passer en revue la pile de devoirs pour me faire une meilleure idée de la somme de travail quim’attendait. J’ouvrismon sac et vidai son contenu sur le bureau.Cinq livres de cours et plusieursfeuillesdepapierentombèrent.J’étaisentraindetrierleslivresetlesfeuillesdecoursparmatièrelorsque je remarquai le coin d’une enveloppe violette qui dépassait de mon livre de littératurecontemporaine.Desdoigts invisiblesme serrèrent le cœur. Je savais sansmême la regarderque la lettre étaitde
Nolan.Je la tiraid’entre lespages.LemotRegan était inscritdessusd’uneécriturebrouillonne. Jegardailesyeuxfixéssurl’enveloppependantplusd’uneminute,enessayantdepenseràtoutcequeNolanauraitpuécrirepourmedonnerenviedelerevoir.Rien.Je jetai l’enveloppe fermée dans la corbeille à papier sousmon bureau.À quoi bon la lire ?La
lettre,toutcommelebaldulycée,n’étaitqu’uneautreoccasiondem’infligerdesdouleursinutiles,etj’avaisdéjàassezsouffertpourtouteunevie.
CHAPITRE22
À travers toute la ville, des filles étaient en train de s’appliquer une dernière couche de rouge à
lèvres,desetortillerpourentrerdansdesrobesàpaillettesetdechausserleursescarpins.Maispasmoi. J’avais enfilé un fuseau, un t-shirt extra-doux, et j’étais dans la cuisine en train de passer lesélastiquesdemes jambièressous les talonsdemesbottines. J’avais rencardavecunbeaugossedeconfessionéquine.Mamanapparutsurlepasdelaporte.Elleplissalesyeux.–Pourquoitueshabilléecommeça?–Parcequeçafaitplusd’unesemainequejen’aipasvuRookie.Etqu’aprèstoutcepop-cornetces
bonbonsqu’ons’estenfilésaucinéhiersoir,jemesuisditqu’unpeudesportn’allaitpasmefairedemal.Mamanhochalatête.–C’estvraiqu’onaengloutinotrerationdel’annéeenglucides.Maisonatoujourslargementle
tempsd’alleràlagymavantlesélectionsdenovembre.Jegrimaçai.J’appréciaisleseffortsqu’ellefaisaitavecmoi,maisilétaitétrangementrassurantde
savoirquemonanciennemèren’avaitpascomplètementdisparu.Papaentradanslacuisine,encostume.–Voilàlesdeuxplusbellesfemmesdumonde,dit-ilentendantàmamèreunecravateensoiebleue.
Meferas-tul’honneur…?Je regardai ses doigts agiles plier et replier la bande de soie en un impeccable nœud. Je
m’émerveillais toujours de la voir réussir à chaque fois du premier coup, sans même avoir àdesserrer le nœud pour rajuster la longueur. Lorsqu’elle eut terminé, il l’embrassa sur la joue etglissalacravatesoussaveste.Je n’avais jamais noué de cravate pour personne, et je me demandai si je pourrais refaire de
mémoirelesmouvementsdemaman.Enrouler.Tourner.Tirer.Maisdansma tête, lorsque je reculaipouradmirermontravail,cefutpourvoirlevisagedeNolanquimesouriait.Beurk.J’ouvrislesyeuxetsecouailatête,espérantchassercetteimage.–Vousallezoù?demandai-je.–Encoreundecesdînerspolitiquesmortels,soupiramonpère.Mamanluienvoyauncoupdecoudedanslescôtes.–Excuse-moi, fitpapaensefrottant lescôtes.Jevoulaisdire,encoreundecescharmantsdîners
politiquesbourrésderebondissements.–C’estmieux,ditmamanenjetantuncoupd’œilàl’horlogedumicro-ondes.Etonferaitbiend’y
aller si on ne veut pas être en retard. Tu sais, Regan, ajouta-t-elle, tu as toujours le temps de tepréparerpourlebalsijamaistuchangesd’avis.Jecombattisl’enviedeleverlesyeuxauciel.Mamanavaitfaitdetelseffortspouraméliorernotre
relationcettedernièresemaine,jenevoulaispasretomberdansdemauvaiseshabitudes.– Je ne vais pas changer d’avis. J’ai appelé Payton cematin et je lui ai dit exactement lamême
chose,déclarai-jeenm’emparantdemabombe.Iln’yaqu’unmecavecquijevaisdansercesoir,etilpèsecinqcentskilos.–Çac’estmafille!fitpapaavecunclind’œil.Situcontinuesàprivilégierleschevauxauxgarçons
jusqu’à,disons,testrente-cinqans,jeseraiunhommecomblé.–Papa,souris-jeenlevantlesyeuxauciel.Mamanlefrappaavecsonsacàmain.–Viens,Steven.Onvaêtreenretard.Avantdepartir,ilmeserracontrelui.Sonparfummetitillalesnarines–unesenteurtièdeetépicée.–Jesuisvraimentfierdetoi.Il me relâcha et prit maman par la main. Ensemble, ils quittèrent la cuisine et partirent vers le
garage.Jerestaiquelquesinstantsdevantlaportefermée,àmedemandercequ’ilavaitvouludire.Fierde
moi?Pourquoi?Cesdernièressemaines–etmêmecesdernièresannées–jen’avaisfaitquemerder.Jecalaimoncasquesousmonbrasetprismesclés.Peut-êtreavait-ilseulementfaitsonpapa–il
avaitditceque,selonlui,j’avaisbesoind’entendre.Malheureusement,çan’avaitpasmarché.Riennesemblaitmarcher.C’étaitexactementpourçaquej’avaisbesoind’uneséancedethérapieéquestre.Jepartisverslaportedugarage,maislasonnettedel’entréeretentit.–Sérieux…murmurai-je.Jereposaimabombeetmesclésetallaiàlaported’entrée.–Payton,criai-je,j’espèrequecen’estpastoiquiviensessayerdemeconvaincred’alleraubal.Je
t’aidéjàditquejenevoulaispas.Jem’arrêtaidevantlaporte.Uneombresedéplaçadel’autrecôtédupanneaudeverredépoli.–Ettuasintérêtànepasêtreunpsychopathe,ajoutai-je.MesparentssontRépublicains.Onades
armes.Destas!J’entrebâillailaporte.Derrière,Nolanlevalamainpourmesaluer.Ilportaitunjeanetunevestede
costumeavecunechemisenoire.Sescheveuxétaientpeignésenarrièreetdisciplinésavecunenoixdegel.Iltenaitàlamainunepetiteboîte.–Non.Je voulus lui claquer la porte au nez. Apparemment, j’avais raison pour le psychopathe.
Malheureusement,Nolaneutletempsdecoincersonpieddansl’encadrement.Ilgrimaçalorsquelaporterebonditviolemmentsursonpiedpours’ouvrirengrand.–Tuviensaubalhabilléecommeça?demanda-t-il.J’aimebien.Çaalemérited’êtreoriginal.Ildevaitvraimentêtredingues’ils’étaitpointéenpensantquej’allaisdanseraveclui.Jecroisailes
bras.–Non.Jesaispascequetuesvenufaireici,maisc’estnon.Ilinclinalatête.–Tusaistrèsbiencequejesuisvenufaireici.C’estlesoirdubal,ettuasacceptéd’yalleravec
moi.–Danstesrêves,crachai-je.–Euh,si.Tuasaccepté.Tiens,c’estpourtoi,ajouta-t-ilenmetendantlaboîte.Jelarepoussai.–Jeveuxpasdetoncadeau.Etj’aijamaisrienaccepté.–Biensûrquesi,répliqua-t-ilavecungrandsourire.C’étaitdanslalettrequejet’aienvoyéehier
soir–cellequetun’aspasmanquédelire,biensûr.Dedans,j’aiclairementécritquesitunevoulaispas aller au bal avec moi, tu pouvais soit m’appeler, soit m’envoyer un SMS pour me prévenir.Commetunem’aspascontacté,j’aisuquetuavaisacceptémoninvitation.Lacolèrebouillaitdansmesveines.Jemeretenaisdemecognerlatêtecontrelaporte.J’auraisdû
medouterqueNolanchercheraitàmepiéger.Latromperiefaisaitpartiedesesstratagèmesfavoris.Siseulementj’avaislulecontenudecettefoutueenveloppeviolette…–C’estpas…– Je suppose que tu es prête à partir,me coupa-t-il. Tu es très belle.On y va ? ajouta-t-il en se
dirigeantverslaporte.Àmagrandecontrariété,jemesentisrougir.Remets-toi,Regan.Qu’est-cequetut’enfousdeceque
penseNolanLetner?–Jevaisseulementteledireunefoisdeplusparcequ’apparemment,tuesàmoitiébouché:jevais
nullepartavectoi.Findel’histoire.–Etsijetedisaisquej’ailouéunelimousine?Jeregardaiderrière luiet,eneffet,une limousinenoirenousattendaitdans l’allée.Jehaussai les
épaules.–Jeterépondraisquetuvasavoirbeaucoupdeplacepourt’étalertoutseulàl’arrière.–Jenesuispastoutseul.Paytonestavecmoi.Commesi elle l’avait entendu,Paytonémergeadu toit ouvrant, vêtued’une robe-bustierviolette.
Sescheveuxétaientremontéssurlesommetdesoncrâneenunemassedebouclettesetdebarrettesenstrass.Ellemefitsigne.–Tuesprête?Lesangbattaitdansmes tempes.Nolanétaitarrivédepuisàpeinecinqminutes,et j’avaisdéjà la
migraine.Jemeretournaiversluietpoussaiunbruyantsoupir.–IlpourraityavoirlesfrèresHemsworthdanscettebagnole,jenevoudraistoujourspasyentrer.
Jenevienspas.Maintenant,j’aimeraisquetupartes.Ilm’attrapalamainavantquejepuissearriveràlaporte.Jereculai,commes’ilm’avaitbrûlé.Ses
épaulessevoûtèrentetsonsouriredisparut.–Regan,je…Ils’interrompit,avalasasaliveetreprit:–Non.Ilnes’agitpasdemoi.Laisse-moiréessayer.Jecroisailesbrasetattendis.–Tuesunefilleformidable,déclara-t-il.Cequejet’aifaitestimpardonnable.–Eneffet,dis-jeenessayantderefermerlaporte.Adios.Ilarrêtalaportedelamain.–S’ilteplaît.Laisse-moiterminer.Jesoupiraietmepinçail’arêtedunez.–J’aicommencéàtournerLavieentouteinconscienceavecBlakeparcequejevoulaisfairejustice
pourJordan.Mais,jenesaispascomment,lajustices’estchangéeenvengeance.Quandjem’ensuisrenducompteetquej’aidécidéd’annulertoutleprojet,lesdégâtsétaientfaits.Sij’avaispu,j’auraiseffacétoutelapeinequejet’aicausée,mêmesiçaavaitvouludirequ’ilneseseraitjamaisrienpasséentrenous.Illevalamaincommepourtouchermonvisage,maissesdoigtsrestèrentsuspendussiprèsdema
jouequejesentislachaleurquiirradiaitdesapeau.
Unebouleseformadansmagorge.J’avaisenviederefermerladistancequinousséparait,etjemedétestaispourça.Jedétestaiscettefaiblessequi,malgrésatrahison,faisaitquej’avaistoujoursbesoinqu’ilmetouche.Parchance,Nolanrabaissalamain.Aussitôt,mesmusclescrispéssedétendirent.–Etcen’estpasrien,poursuivit-ilenserrantlespoings.AprèsJordan…tusais…j’aicruneplus
jamaisêtreheureux.Etpuistuesarrivée.Jesaisquej’auraisdûtoutt’avouerdepuisledébutmais,Regan, j’avais une trouille bleue de te perdre. Et maintenant que je t’ai perdue, c’est exactementl’enferquej’avaiscruqueceserait.Mapoitrineseserra.J’avaisdumalàrespirer.J’avaisenviedelecroire,detomberdanssesbras
commelejouroùAmberavaitditdumaldemoidanslestoilettes.Seulement,maintenant,c’étaitluiquim’avaitblesséeetjen’avaisnullepartoùm’enfuir.–Nolan,s’il teplaît,va-t’en,dis-jeàvoixbassepournepassangloter.Etemportetesmensonges
avectoi.Ilhochalatête,commes’ils’étaitattenduàcegenrederéplique.–D’accord.Maisjevoudraisquandmêmequetusachesquenotreprojetvaêtreinaugurécesoirau
bal.–Tonprojet,rétorquai-je.–C’étaittonidée.Jen’aifaitquelamettreenpratique.Jelevailesyeuxauciel.–Ons’enfout.–Non, on s’en fout pas, répliqua-t-il vivement.Ce projet est génial. Il a changé tout le lycée.Et
quand les autres écoles en entendront parler, ça pourrait aussi les faire évoluer. Ta mère s’estarrangéepourquelesjournalistessoientlàcesoirpourl’inauguration.Jemesuisditquetudevraisvenirpourrecevoirleshonneursquetumérites.J’ouvrislabouchepourprotester,maisilmecoupanet:–Mêmesiçaveutdirequejen’yseraipas.–Quoi?demandai-jeenledévisageantd’unairébahi.–Elleestpourtoi,déclara-t-ilendésignantlalimousine.Enfin,toietPayton.Lechauffeuradéjàété
payé.Jepeuxrentreràpied,etjeteprometsquejeneviendraipasaubal.Jeveuxquetuysois.Pourvoirleschosesincroyablesquetuascréées.Restes-ycinqminutesoubienlanuitentière,c’esttoiquivois.Mais vas-y, et vois ceque tu as initié.Tune seras pasdéçue, conclut-il avecunpetit souriretriste.–Vousvenez?criaPaytondepuislalimousine.Jememordillailalèvreinférieure.Jen’avaisvraimentpasenvied’alleraubal,maisjenepouvais
nierquelacuriositégrandissaitenmoiausujetduprojetsecretdeNolan–surtoutquec’étaitcenséêtremonidée.EtsiNolann’yallaitpas,jen’enavaisqueplusenviedem’yrendre.–Jepourraivraimentpartirquandjevoudrai?–Oui.–Doncengros,jepourraientreretressortiraussitôt?Ilhaussalesépaules.–C’esttalimousine.Tufaiscequetuveux.Jecroisailesbras.–Jenevaispasmettrederobe.–Çamevatrèsbien.Tuessexy,quoiquetuportes.Jelefusillaiduregard,etillevalesmainsensigned’apaisement.
–Jenetementiraiplusjamais.Jejetaiuncoupd’œilàPayton,quimefaisaitsigne.–Dépêche-toi!cria-t-elle.Onvaêtreenretard.Jerepoussaimesépaulesenarrièreetreprismonsouffle.–Trèsbien.Jevaisyaller.Maisjusteletempsdevoircequec’estqueceprojetsecret,etaprèsje
mecasse.–Alorstuvasavoirbesoindeça,dit-ilenmetendantlaboîte.–Jet’aiditquejen’allaispasmettrederobe.Jeneveuxpasd’unbouquet.–Tuvasenavoirbesoin.Prends-le,insista-t-ilenmefourrantlaboîteentrelesmains.Maintenant,
tuferaisbiendedécoller.Tunevoudraispasraterledébut.Priantpournepasêtreentraindecommettreuneimmenseerreur,jeverrouillailaported’entréeen
tapantlecodedanslapoignée.Lorsquej’approchaidelalimousine,lechauffeurétaitdéjàsortipourm’ouvrirlaportière.Paytonpoussaunglapissementdejoielorsquej’entraidanslevéhicule.–Jesuistropcontentequetuviennes!Tunevaspasleregretter!Lechauffeurclaqualaportière,etsonsourirevacilla.Elleregardaparlavitre.–Attends.EtNolan?Jesuivissonregard.Nolan,deboutsousleporche,nousfaisaitunsignedelamain.–Iladitqu’ilallaitresteràlamaisonpourquejepuissealleraubal.–Oh!fitPaytonenserasseyantcontreledossierdecuirnoir.C’estgentil.Je me retins de lui faire remarquer qu’il pourrait bien faire un million de gestes gentils, ça
n’annuleraitjamaissesmensongesnilesravagesqu’ilavaitcausés.Aulieudeça,jeluimontrailaboîteencartonetdéclarai:–Ilm’adonnéça.Ellehaussaunsourcil.–C’estdesfleurs?Faisvoir.–D’accord.Maisjenevaispasleporter.Je glissai un doigt sous le couvercle et l’ouvris. Jem’attendais aux traditionnelles roses rouges,
maislaboîtenecontenaitqu’unmarqueurnoirposésurunlitdepapierdesoie.–C’estquoicetruc?m’écriai-jeenprenantlemarqueurdanslaboîtepourlemontreràPayton.Sonregards’éclaira.Elleeutunsouriremystérieux,puisseplaqualamainsurlabouche.–Jecomprendspas,dis-jeenreposantlemarqueurdanssaboîte.Lalimousinevenaitdesortirdel’alléepours’engagerdanslarue.Jerésistaiàl’enviederegarder
parlavitrearrièrepourvoirNolanunedernièrefois.–C’estcensévouloirdirequelquechose?–Tuvascomprendre,réponditPayton,quicachaittoujourssongrandsourirederrièresamain.
CHAPITRE23
Lalimousines’arrêtadevantlelycée.Uninstantplustard,lechauffeurouvritnotreportièreetnous
tenditlamain.Endescendantduvéhicule,jeleprévins:–Restezdanslecoin.Jerevienstrèsvite.Je n’avais pas l’intention de traîner dans un gymnase rempli de ballons de baudruche, de papier
créponetde tenuesde soiréealorsque jeportais toujoursmesbottinesd’équitation.Cependant, lacuriosité commençait à s’infuser dans mon esprit comme un thé particulièrement puissant, et jen’allaispasrepartirtantquejen’auraispaslesréponsesquej’étaisvenuechercher.Lechauffeurhochalatête.–Bien,Madame.Jerestegarédevant.Paytonsortitdevoitureaprèsmoietmepritparlebras.–Prête?Suis-jeprête?Desrubansd’angoisseseglissaientdéjàentremescôtes.Qu’est-cequim’attendaità
l’intérieur?Payton sortit de son sac un petit carton. Demon côté, je retinsmon souffle en comprenant que
j’avaisfaittoutçapourrien.–Jenepeuxpasentrer!m’écriai-je.Jen’aipasachetédeticket.Paytonéclataderire.–Crois-moi,personnenevat’empêcherderentrerpourça.–Commentça?–Onestenretard,éluda-t-elleenm’entraînantparlebras.Viens.Unecamionnetted’unechaînedetéléétaitgaréedevantlegymnase,sonantennedéployée.Plusieurs
fillesbrushinguées,vêtuesderobesàpaillettes,étaientrassembléesdevantlaporte.Unevaguedenauséemesecoual’estomac.Jemelibéraidel’étreintedePaytonetpriaipournepas
vomirsurletrottoir.Elles’arrêta,leslèvresserrées.–Çava?Jeserrailesbrassurmonventredouloureux.–C’estpeut-êtrepasunesibonneidée,aprèstout,murmurai-je.Danslebâtimentdevantmoisetrouvaientdescentainesd’élèves,desélèvesquiavaientvulavidéo,
quisavaientcequej’avaisfait.Uneremontéedebilemebrûlalagorge.–Jepeuxpas…Jepeuxpas.–Regan,fitPaytonenmetendantlamain.Jeseraiavectoi.Toutvabiensepasser.Tuvasvoir.–Jesuisdésolée,Pay.Jesecouailatêteetfisplusieurspasenarrière.–Jepeuxpas,répétai-je.–Hé,Regan!appelaunedesfilles.
Jemefigeai.Jenepouvaisplusm’enfuir.Jemetendisetmepréparaiàencaisserleursinsultes.Sara,unepetitebrunedesecondeenrobedesatinbleu,courutversmoi.–OhmonDieu, je suis tellement contenteque tu sois là !Tout lemonde s’est tellement inquiété
pourtoi!Deux autres filles de son groupe coururent vers nous pendant qu’une troisième, qui n’avait
visiblementpasautantl’habitudedeporterdestalons,titubaitprudemment.Enarrivantàmahauteur,ellebasculasurlecôtéetserattrapaaubrasdesavoisine.–Ouais, ditMindy, une élève de première que j’avais vue dans l’équipe de pom-pomgirls.Ton
projet,c’estdelabombe!Jeveuxdire,jesaisbienqueçavapasdurerpourtoujours,maisc’estjustegénialdevoirtoutlemondecommeça!J’aimêmehâted’alleraulycée,maintenant.Lesautresfillesexprimèrentleuraccordàl’unisson.Je ne comprenais rien. J’étudiai l’expression de Payton, pour voir s’il s’agissait d’une sorte de
blague.Ellesecontentadesourireethaussalesépaules.– J’adore ta tenue, ajouta la fille qui ne savait pas marcher avec des talons. Elle est tellement
unique…Tellementtoi.Lestroisfilleshochèrentlatête.Ellesmefaisaientpenseràunerangéedejouetsquibalançaientla
têtesurlaplagearrièred’unevoiture.–Jesais!s’écriaMindyentapantdanssesmains.Jevaisl’écrire!–Ooh,superidée!ditSarah.Avantquejepuisse leurdemanderdequoiellesparlaient,ellespartirentaupasdecoursevers le
gymnase.JemetournaiversPayton.–Qu’est-cequisepasse?Jem’étaisattendueàdesregardsnoirsetàdesinjures,pasà…ça.Elleéclataderireetmefitsigned’approcher.–Viens.Avecréticencejelasuivisetpassailadoubleportepourentrerdanslegrandespaceouvertdevant
legymnase.Lecomitéd’organisationavaitinstalléunetableàcôtéd’undistributeurdesodas.Deuxélèvesdetroisièmeàl’airblaséétaientassisderrière,vêtusdechemisesetdecravatesmalnouées.Ilsvérifiaientlesticketsd’unecourtefiledecouplesquiattendaientpourentrer.–J’aipasdeticket,rappelai-jeàPaytonalorsquelafileavançait.Elleagita lamaind’unairnonchalant.Lecoupledevantnoustenditses tickets,etnousarrivâmes
devantlatable.–Voilàmonticket,ditPayton.Etça,c’estReganFlay.Biensûr,ellen’apasbesoind’unticket.Lesdeuxgarçonsseredressèrentbrutalement.–Biensûr!s’écriaceluidegauche.Entrez.Toutlemondel’attend.Jefronçailessourcils.–Pourquoitoutlemondem’attend?Paytonmepritparlebrasetm’entraînaunpeuplusloinavantqu’ilspuissentmerépondre.–Tonfeutreestprêt?Jerefermailesdoigtssurlemarqueurquej’avaisaccrochéaucoldemont-shirt.–Pourquoi?Qu’est-cequisepasse?Uncouplequisepartageaitunsodaprèsdelaportemesourit.–C’estcooldetevoir,Regan,fitlegarçonenlevantlacanettepourmesaluer.JemerapprochaidePayton.Toutecettegentillesseaprèsdessemainesdeharcèlementcommençait
vraimentàmefilerlesjetons.Toutel’écoleavait-elleétéenlevéepardesextraterrestres?Oupeut-êtrequetoutçan’étaitqu’unpiègepourmefairemontersurscèneetmeverserunseaudesangsurlatête,commedansCarrie.Jefrissonnai.–Tuvasarrêterdeflippercommeça?murmuraPaytonàmonoreille.Toutvabiensepasser.Jete
promets.Elle s’arrêta devant les portes ouvertes du gymnase. Sous les lumières tamisées, une masse
indistincte d’élèves couverts de paillettes se bousculaient au milieu du terrain de basket en setrémoussantsurunDJsetparticulièremententraînant.–Prête?J’avaisl’impressionquemesveinesétaientrempliesdeglacepilée.–Non.–Ehbienc’estcon,parcequetuvasquandmêmeyaller,répliqua-t-elleenmepoussantenavant.Jeplissailesyeuxpourtenterdem’habitueràlalumièredisco,quiprojetaitsurlesolunarc-en-
cieldelumièrescoloréesetdelasers.–VoilàRegan,ditunevoixderrièremoi.–Elleestlà,fituneautre.–Arrêtezlamusique.Plusieursautresvoixrépétèrentlamêmechoseet,uneminuteplustard,lamusiquefutcoupéeetle
gymnases’illumina.Lesdanseurss’immobilisèrentetseregardèrent lesuns lesautresdans laplusgrande confusion. Puis, peu à peu, tous les regards se tournèrent vers moi. Un sourd murmuretraversalafoule.Merde.Moncœurbattaitcommeunfou.Unfiletdesueurmecoulaitlelongdel’échine.Dansquoi
étais-jetombée?Jereculaid’unpas,maisentraiencollisionavecPayton.–Regan!Chérie!Parici.Jetournailatêteendirectiondelavoixfamilière.MonpèresetenaitàcôtédeMadameLochteetde
laprincipaleMcDill.Tousmesourirentavecchaleuretlevèrentleurverredepunch.–Bonretour!ditlaprincipale.Noussommestoustrèsfiersdevous.J’agitainerveusementlesdoigts,parcourued’unfrisson.Unmilliondequestionsm’envahissaient
l’esprit.Dequoiétait-elleaussi fière?Pourquoi tout lemondemeregardait?Etsurtout,qu’est-cequepapafoutaitlà?Je commençai àm’avancer vers lui pour lui poser la question,mais je remarquai soudain qu’il
n’étaitpastoutseul.Àquelquespasdelà,unjournalistetendaitunmicroàmamère.Jem’approchaiencoreunpeuplus.
Sij’arrivaisàécoutersoninterview,peut-êtrepourrais-jeenfincomprendrecequisepassait?Maisavant que je puisse la rejoindre, quelqu’un s’arrêta devant moi. Les cheveux de Christy étaientattachéssur lecôté,etelleportaitunelongueroberougebordeaux.Contrairementà tout lemondeautourdemoi,ellenesouriaitpas.Prudemment,jefisunpasenarrière.Detouslesgensquimedétestaient,c’étaitChristyquienavait
leplusledroit.Aprèstout,sanslavidéoquej’avaisfaitedanslesvestiaires,sacopinen’auraitpeut-êtrepastentédesesuicider.Jememordislalèvreetattendisl’attaque–cen’étaitpascommesijenel’avaispasmérité.Payton se plaça à côté demoi etm’adressa un sourire rassurant.Une agréable tiédeurm’emplit
aussitôtlapoitrine,etjeluirendissonsourire.Aumoins,jen’auraispasàaffronterChristyseule.–Jesaisquetun’espasresponsabledeladiffusiondelavidéo,ditChristy.
Jeclignaidesyeux,incrédule.Cen’étaitpaslaréactionquej’avaisattendue.–Jesaisaussiquec’estBlakequinousaenvoyédespetitsmotspourqu’onseretrouvetoutesdans
lesvestiairesenmêmetemps,poursuivitChristy.ElleallaitaumêmegroupedesoutienLGBTquemoi.J’imaginequ’elleacomprisquijevoyaisetadécidédeseservirdetoipourexposerAmber.Àcenom,magorgeseserra.–CommentvaAmber?Christymesouritfaiblement.–Beaucoupmieux.Mêmesipersonnen’aimeêtreobligédefairesoncoming-out,jecroisqu’elle
estsoulagéequelesgenssoientaucourant.Sesparentsontmêmeétéplutôtcoolavecça.Ellesemorditlalèvre,puisajouta:–Jesaisquec’estcompliquéentrevousdeuxetqu’Amberpourraitnejamaisvousremercier,toiet
Nolan,deluiavoirsauvélavie.Maismoi,jeteremercie,conclut-elleenmeserrantlamain.Jevoulusrépondre,maislesmotss’étranglèrentdansmagorge.Christymelâchalamain.– Jem’attendais à un rejetmassif quand les gens ont appris pourmoi,mais tout lemondem’a
soutenue!Jesaisquec’estengrandepartiegrâceàtonprojet.Ilaeuunimmenseimpactsurtoutlelycée,toutlemondeestd’accordlà-dessus.Je jetai un coup d’œil derrière mon épaule pour voir que les danseurs immobiles me fixaient
toujours.Ilsattendaientquelquechose,maisjenesavaispasquoi.–Euh…J’auraisbienvoulum’attribuerleméritepourtoutça,mais…Christyouvritdegrandsyeux.–OhmonDieu,c’estvrai!Tul’aspasencorevu!Viens.Elles’avançaendirectiondelafoulededanseursetmefitsignedelasuivre.–Vas-y,insistaPaytonenmepoussantdoucementenavant.–Euh,d’accord.Jem’obligeaiàyallerdoucement,unpasaprèsl’autre.Lorsquej’atteignis l’oréedelafoule, les
danseurs s’écartèrent pour me laisser passer. Je déglutis et frottai mes mains moites sur monpantalon. Une fois que j’aurais fait un pas en avant, je serais encerclée. Jamais ils n’auraient unemeilleureoccasionpourmelancerdelapâtéepourchien,dusangdecochonoupireencore.Maisjen’allaispasfuir.S’ilsvoulaientsevengerdeladouleurquej’avaiscausée,jeleslaisseraisfaire.Jefermailesyeuxetfisunpasenavant.Ilesttempsd’affrontertonkarma,Regan.Aprèsquelquespas,voyantqueriennevenaitmefrapper,j’ouvrislesyeux.Unefilleàcôtédemoi
semitàapplaudir.Lemecàcôtéd’ellepoussauneacclamation.Ilfutsuiviparplusieursautrescrisetsifflementsjusqu’àcequetoutlegymnases’emplissed’untonnerred’applaudissements.Monsoufflesebloquadansmagorge.Quesepassait-il?Lesbattementsdemoncœuraccélérèrent
pourprendre le rythmedes applaudissementsdeplus enplus assourdissantsqui résonnaient sur leplafondetfaisaientvibrerlesgradinspousséscontrelemur.Jecontinuaiàmarcherjusqu’àémergerdelafouleàl’autreboutdugymnase,oùs’étendaitsurtoutelalongueurunmurrappelantlescabinesdetoilettesdesvestiaires.Jem’arrêtainet.–Qu’est-ceque…Unemainseposasurmonépaule.–Choisis-enune,criaPaytond’unevoixàpeineaudibledansletumulteambiant.—Tuveuxquej’ailleauxtoilettes?
Elleéclataderire.–C’estpascequetucrois.Vas-y.Jechoisislacabinejustedevantmoietpoussailaporte:ellen’étaitpasfermée.–N’oubliepastoncrayon!criaPayton.Sansmeretourner, je levai lemarqueuretentraidanslacabine.Aussitôt, lesapplaudissementsse
turentetlamusiquereprit.Je pris un moment pour observer. Au premier regard, c’était une cabine normale. Ok. Et
maintenant? Tout comme dans les toilettes des vestiaires, l’intérieur de la cabine était couvert degraffitis. Je posai les yeux sur le marqueur que j’avais toujours à la main. Étais-je censée enrajouter?Jem’approchaidumurpourlirelesinscriptions.JasmineWalkeraunjolisourire.PeterDoyleestpremierenchimieetildonnedescoursparticuliersgratuits.Cemecestgénial!OliviaStoutestunesuperjoueusedevolley.Jesuissûrqu’ellevaobtenirunebourse.Jeposaiunemaintremblantesurmaboucheencontinuantmalecture.Biensûr,ilyavaittoujoursle
traditionnelJ’aimeuntel,maiscontrairementàlaplupartdesmurs,iln’yavaitaucungraffititraitantlesgensdesalopes,degarcesoudeputes.Chaquecommentaireavaitétépensépourencourager,etnonpourdescendre.Encoreplusincroyable,ilyavaitaumoinsunmillierdegraffitisrienquedanscettecabine.Jenepouvaisimaginercombienilyenavaitautotalsurlesmursdesautresstalles.LesouvenirdujouroùNolanétaitvenumevoirauxécuriess’imposasoudainàmonesprit.Nous
étionssiprès l’unde l’autre,moi toutepoussiéreuse, luiavecsabomberose.Tune trouvespasçatriste qu’on ne se souvienne de certaines personnes que grâce aux graffitis à leur sujet dans lestoilettes?avais-jedemandé.Maisça…Çan’avaitriendetriste.C’étaitainsiquelesgensméritaientderesterdanslesmémoires,
pourlebonetpaspourlemauvais.Contrairementauxtoilettesduvieuxbâtiment,cescabinesavaientunpotentielincroyable.Celuidechangerlafaçondontnousnoustraitionslesunslesautres,etpeut-êtremêmecelledontlesfuturesclassessecomporteraient.Cestoilettesétaientunepromessefaiteà tous les élèves du lycée qu’après notre diplôme, l’espoir que nous avions laissé derrière noussurpasseraitdeloinlahaine.Jeposaiunemainsurmabouchepourétouffer le sanglotétoufféquimontaitdansmagorge.Si
j’avaissuqu’endécidantdechanger,j’auraisengendréuneffetpapillonquiauraitmétamorphosétoutlelycée…Etjenel’avaispasfaittouteseule.Nolanavaitréussiàsaisirdansmonespritl’instantoùj’avais rayéDelaneyHinkler est une salepute et inscritChristyHolder est une fille formidable, etl’avaitchangéença.Malgrétousmeseffortspourlescontenir,deslarmesserépandirentsurmesjoues.Nolanavaittout
fait:ils’étaitarrangépourobtenirlespermissionsnécessaires,pourrécupéreretmettreenplacelescabines,etpourobtenirlesoutienetlaparticipationdetoutlelycée.Biensûr,ilm’avaitblessée.Ilm’avaitmenti.Maisilavaitaussiorganisétoutça.Çadevaitcompter.
Lesdoigts tremblants, jedécapuchonnaimonmarqueuret l’approchaid’unpetitespacevidesur lemur.NolanLetnerestJem’arrêtai,incapabledetrouverlemotjustealorsquemoncœurportaittoujourslesmarquesde
satrahison.Denouveau,jelevaimonfeutre.NolanLetnerest…
Unconnard.Ungénie.Sournois.Attentionné.Je laissai retomber le feutreet le rebouchai.Peut-êtren’étais-jepasprêteà terminercettephrase.
Nolanétaitbeaucoupdechoses,troppourlerésumerenunmot.Maisdeuxenparticuliermevinrentàl’esprit.NolanLetnerest…Paslà.Etilauraitdûl’être.Malgrémessentimentscontradictoiresàsonsujet,c’étaitautantsonprojetque
lemien.Etilrataittoutparcequ’ilvoulaitquejesoisheureuse.Cen’étaitpasjuste.Jedécidaidefairedemi-tour.Paytonsouritenmevoyant.–Qu’est-cequetuenpenses?–J’enpensequeNolann’estpaslà.Ellefronçalessourcils,interloquée.–Quoi?Jeluitendismonmarqueuretpassaiàcôtéd’ellesansm’arrêter.Jepouvaisbienmettredecôtémes
sentiments,letempsdepasserunesoiréedansungymnaseenlaprésencedeNolan.Etmêmesijemerendaiscomptequemetrouverdanslemêmebâtimentqueluiétaittropduràsupporter,jepouvaistoujoursrentreràlamaison.J’avaisvucequej’avaisbesoindevoir.C’étaitsontour.Jemefrayaiunchemindanslafouledesdanseurs.Certainssourirentetmecrièrentdeschosessur
monpassage.Jeleurrendisleurssouriresetaccélérai.–Regan!m’appelamamanlorsquej’arrivaiàlaporte.Lejournalistetecherche.Ellefronçalenezenmevoyantpousserlaporte.–Qu’est-cequetufais?–Cequej’aiàfaire,répliquai-jeenlaissantlaporteserefermerderrièremoi.Le chauffeur avait tenu parole, la limousine était garée devant. Le soulagement m’enveloppa
commeunecouverturetiède.Jecourusverslevéhicule,maism’arrêtainetenl’apercevant.Lui.Ilneportaitplussavestedecostumeetilavaitenlevésacravate.Ilsautaduhayondesavoitureet
s’avançaversmoi.Plusilapprochait,plusmoncœursemblaitremonterdansmagorge.Jecrusquej’allaisétouffer.–Qu’est-cequetufouslà?demandai-je.Tum’aspromisquetuneviendraispas.Ilsourit,etsonsouriremeserraleventre.–Non. J’ai promis que je n’allais pas entrer. Je n’ai pas dit que je ne pouvais pas rester sur le
parking.Jenepusm’empêcherdesourire.DuNolantypique.Ildésignalalimousine.–Tuparsdéjà?–Enfait…répondis-je,malàl’aise,jem’apprêtaisàallertechercher.–Oh?fit-ilenhaussantunsourcil.–Ouais.J’aijuste…Jetrouvaisquec’étaitpasjustequetunesoispaslàpourvoirça.C’esttoiqui
astoutorganisé.Etc’esttellement…génial.Il fit un nouveau pas vers moi, et je me retrouvai enveloppée par son odeur.Mon cœur à tout
rompre.–C’étaittonidée,merappela-t-il.J’humectaimeslèvressoudaintoutessèches.–Maisc’esttoiquiasfaittoutletravail!C’estpasjustequejesoisàl’intérieuràm’attribuertoutle
mérite.–Lemérite?fit-ilavecunpetitrireméprisant.Jem’enfous.Toutcequicomptepourmoi,c’esttoi.Àcesmots,jeduscombattrel’envieimpérieusedemeblottircontrelui.Aulieudeça,jefisunpas
enarrière.–J’aitellementenviedetecroire.Maistum’asfaitdumal,Nolan.J’aimeraisavoiruninterrupteur
pourcouperladouleur,maiscen’estpaspossible,répliquai-jeavantdedétournerlesyeux.–Jesais.Ilposaundoigtsousmonmentonetlevamonvisageverslesien.– Je ne m’attends pas à ça de ta part. Mais ça ne veut pas dire que je vais arrêter d’essayer
d’arrangerleschosesentrenous.Jenementaispasquandj’aiditquej’avaisdessentimentspourtoi,ReganFlay,etjesuisprêtàfairetoutcequ’ilfaudrapourterécupérer.Siseulementjepouvaisoublierlepasséetlecroire.Envérité,jesouffraisdenepouvoirleprendre
dans mes bras et enfouir ma tête contre son épaule comme ce soir-là dans sa chambre, quand ilm’avaitdemandédefairecommesinousétionsseulsaumonde.Àcetinstant,nousétionsseulsaumonde.Maisàprésent,unemontagnededouleuretdemensonges
s’étaitélevéeentrenous,dontjen’étaismêmepassûredepouvoirunjourmesurerlahauteur.–Jenepeuxpas tepromettreque teseffortsvontpayer,dis-jeenfin. Jenepeuxpas tepromettre
qu’ilyauraunjourunnous.Mêmesij’enavaisterriblementenvie.Lessourcilsfroncés,ilrabaissasamain.–Maisqu’est-cequetupeuxmepromettre?demanda-t-il.Jenesavaispasvraimentsij’avaisuneréponseàluidonner.Maisavantdepouvoirleluidire,je
fusinterrompueparunefemmequicriaitmonnom.JemeretournaipourvoirunejeuneBlackvêtued’un tailleur-pantalon rose courir versmoi en talons hauts, unmicro à lamain.Derrière elle, unhommemaigrevêtud’unsweatextra-large tenaitenéquilibreune lourdecamérasursonépauleetpeinaitàlarattraper.–ReganFlay?répétalafemmeenhaussantunsourcilparfaitementdessiné.Lecameramandirigeal’objectifversmonvisage,etjem’efforçaidenepastressaillir.–Euh,oui?Lafemmelevasonmicroversmeslèvres.–Pourriez-vousnousparlerdevotreprojet?Avecunemèredans lapolitique, jen’étaispasétrangèreauxcaméras,maisenavoirunedirigée
uniquementsurmoiétaitunetoutenouvelleexpérience–uneexpériencetrèsagréable.–Enfait,ceprojetétaitnotreidéeàtouslesdeux,répondis-jeenjetantàNolanunregardsuppliant.Avecunpetitsourireencoin,illevalesdeuxmainsetreculaavantquelajournalisteaiteuletemps
detournersonmicroverslui.–C’estfaux,dit-il.L’idéeétaitcelledeReganàcentpourcent.Jel’aiseulementaidéeàlaréaliser.Jevouluslefusillerduregard,maislajournalisteseglissaentrenous,mebloquantlavue.–Etqu’est-cequivousa inspirée?demanda-t-elleen levantencoreunpeu lemicro, sibienque
seulsquelquescentimètresséparaientmeslèvresdelacouchedemousse.Lecameramans’approcha.Magorgeseserra,etjemetrouvaiincapablededétournerleregardde
la lentille.C’étaitcommesi l’œilnoiret fixed’un terriblemonstreattendaitque jemeplantepourcapturermonhumiliationetlapartageraveclemondeentier.Je fermai lesyeuxet tentaid’imaginerque lapersonnederrière lacaméraétaitNolan, legarçon
dontj’étaistombéeamoureuselesoiroùnousavionsconvenudenepasavoirdepassé.Legarçon
quim’avaitembrasséejusqu’àmedonnerletournis,etquim’avaitlaisséungoûtdesucrefondusurlalangue.Cemêmegarçonquim’avaitdétruiteenuninstant,mebrisantlecœurendesmorceauxsipetits,sidéchiquetés,qu’ilsnepourraientjamaisseremettrecomplètementenplace.Lajournalistepoussaunsoupirimpatient.–Qu’espériez-vouschanger?demanda-t-elle.–Tout,murmurai-jeenouvrantlesyeux.Jevoulaistoutchanger.–Commequoi?Jedéglutisavantderépondre.–Cesmurs,cesontnoscœurs.Dèsquequelqu’unfaituncommentaire,celui-cis’inscritennousde
manière permanente. Les mots gentils, les mots méchants, tout est là, poursuivis-je en posant lapaumedemamain surmapoitrine.Bien sûr, onpeut rayer lesmotsou essayerde repeindrepar-dessus,maissouslescouchesd’encreetdepeinture,ilssonttoujourslà,gravésauplusprofonddenous,commedes initialesgravéesdans le troncd’unarbre.Alorsonsebaladeaveccescicatrices,maispersonnenelesvoitetpersonnenesaitàquelpointellesfontmal.Etpendantcetemps,lesgenscontinuentàdireetàécriredenouvelleschoses,jusqu’àcequelemoindrecentimètrecarrédenoscœurssoitcouvertd’unveninsinoirquemêmenous-mêmesnesommespluscapablesdevoirlebonennous.Alors,nouscommençonsàajouternospropresmots,et ils sontplus sombresque tout lereste,etlescicatricess’inscriventplusprofondémentencorequelesautres.Lajournalisteavaitlesyeuxgrandsouverts.Lemicrotremblaitdoucementdanssamain.–Etvotreprojet?demanda-t-elled’unevoixquin’étaitplusqu’unmurmure.–J’ai faitmapartdemédisance. Jemesuis renducompte trop tardde tous lesdégâtsqu’avaient
causés les mots que j’avais écrits et prononcés. Tout comme ces graffitis sur les murs, ces motsseront inscritspour toujoursdans lecœurdecertainespersonnes.Ellesvivront le restede leurvieavec des cicatrices que je leur ai infligées. Non seulement je voulais présenter mes excuses auxpersonnesquej’aiblesséesmaisjevoulaisaussiempêcherlesautresd’infligerlesmêmespeines.Lesmursnesontqu’unsymbole,maisj’ail’espoirqueremplacerlesmotsempoisonnésdansnoscœurspardespreuvesd’amourpourrapeut-êtreeffacercertainesdenoscicatrices.Dumoins,conclus-jeenhaussantlesépaules,c’estundébut.Lajournalistemeregardafixementpendantquelquessecondesavantderabaissersonmicro.–Merci,Regan.C’esttoutcequ’ilnousfallait.Ellefitunsignedetêteaucameraman,quiabaissalacaméra.Elletournalestalonsmais,avantde
partir,mejetaundernierregardetajouta:– Je vous trouve formidable, déclara-t-elle.Qui sait combien de vies vous allez changer ?Quoi
qu’ilensoit,vousavezdequoiêtrefière.Elle m’adressa un clin d’œil avant de repartir vers la camionnette de la télé, garée au bord du
trottoir.Jenepouvaism’empêcherdesourireenlesregardantdémarrer.Jevoyaisdéjàmescartesdevisite:
ReganFlay,changeusedevies.Nolantouchamonbras,metirantdemespensées.–Sijenepensaispasdéjàquetuétaisunefillegéniale,ouah!cetteinterviewm’auraitrassuréàce
sujet.Toujourssouriante,jelevailesyeuxauciel.–Çasuffitaveclescompliments.Jesaistrèsbiencequetuessaiesdefaire.–Etçamarche?Jerisdoucement.
–Jevais tedire :avantque la journalistenous interrompe, tum’asdemandéceque jepouvais tepromettre.Jecroisquej’aiuneréponse.–Ahoui?–Unedanse.Jepeuxtepromettreunedanse.Ungrandsourireauxlèvres,ilmepritparlamainpourmeramenerverslegymnase.–Pourl’instant,jem’encontenterai,déclara-t-il.