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1 « C’EST UNE LIGNEE QUE LES HARQUEBUSES ONT ENFANTEE » 1 Les batailles de Crécy et de Castillon restent dans la mémoire collective les premières lors desquelles l’artillerie aurait été décisive 2 . Et pourtant la poudre, arrivée de Chine par le biais de la civilisation musulmane, a déjà une histoire en 1450. Au cours du XIV e siècle, les pouvoirs centraux, locaux, et certaines communautés s’équipent et usent de l’artillerie dans les sièges, puis en rase campagne 3 . Ce n’est pourtant qu’au XV e siècle que les armes à feu commencent à s’imposer grâce à quelques évolutions majeures : amélioration de la stabilité de la poudre ; réduction des coûts de production permettant une diffusion plus large ; réduction du poids augmentant la mobilité de l’artillerie portative. Au tournant du XV e et du XVI e siècle, l’arquebuse, progressivement intégrée dans les armées royales et princières, bouleverse profondément l’art de la guerre. Dans ce sens, les guerres d’Italie apparaissent comme un temps d’expérimentation et de détermination. L’arme à feu y trouve sa place au sein des systèmes militaires qui composent avec les avancées techniques et la tactique traditionnelle. Les réflexions aboutissent à la mise en place de systèmes mixtes combinant infanterie, cavalerie, et artillerie fixant les usages de la guerre pour deux siècles 4 . L’historiographie e envisagé l’arme à feu portative suivant trois axes principaux. Sa diffusion est présentée comme un élément fondamental de la « Révolution militaire ». Elle participe au développement des infanteries, aux réflexions sur l’idéal chevaleresque de la guerre et à l’évolution de la charge de cavalerie 5 . Sa généralisation apparaît aussi comme un facteur du développement de l’État moderne : croissance de l’administration, apparition de l’impôt permanent, concentration des pouvoirs. Depuis une dizaine d’années, un autre domaine de recherche s’intéresse à l’impact de cette introduction sur les différentes composantes de la société, et leurs représentations 6 . Il est admis, désormais, que pour comprendre les réflexions et les comportements des acteurs de la guerre, il est nécessaire de s’interroger sur les gestes et les objets qu’ils ont eux-mêmes manipulés. Il s’agit de percevoir la société militaire au travers de sa « culture matérielle ». La demi-journée du 3 février 2006 a l’intérêt d’avoir réuni historiens, conservateurs, et praticiens autour de l’arme à feu individuelle et ses mécanismes technologiques. Parce que « saisir l’évolution des arquebuses, des mousquets puis des fusils, c’est mesurer l’imperfection de ces armes dont le surgissement sur les champs de bataille ne fut jamais une révolution » 7 . Ces 1 LA NOUE, François de, Discours politiques et militaires, F.E. Suttcliffe (éd.), Paris, Droz, 1967, p. 356. 2 Bataille de Crécy, 26 août 1346, serait la première dans laquelle l’artillerie fait son apparition en campagne. Celle de Castillon, 17 juillet 1453, demeure le symbole de la reconquête du Roussillon sur les Anglais. 3 KEEN, Maurice (éd.), Medieval Warfare. A History, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 274. CONTAMINE, Philippe, La guerre au Moyen Age, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 (1 re éd. 1978), p. 58 et ss. 4 HALL, Bert S., Weapons and Warfare in Renaissance Europe, Technologie, and Tatics, Baltimore & London, Johns Hopkins University Press, 1997. 300 p. 5 LOVE, Ronald S., « All the King’s Horsemen » : The Equestrian Army of Henry IV, 1585-1598, Sixteenth Century Journal, XXII, n° 3, 1991, pp. 509-533. 6 DREVILLON, Hervé, « ‘Á bien faire, bien dire’, le bon usage du discours guerrier selon Brantôme », dans Cahiers Brantôme, Centre d’études et de recherches sur Montaigne et son temps (éd.), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2004, pp. 65-75. ANGLO, Sydney (éd.), Chivalry in the Renaissance, Woodbridge, Boydell Press, 1990, 262 p. 7 DREVILLON, Hervé, Batailles. Scène de guerre de la table ronde aux tranchées, Paris, Seuil, 2007, p. 16.
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« ‘‘C’est une lignée que les arquebuses ont enfantée’’ », Dans Armes et cultures de guerre en Europe centrale (XVe siècle - XIXe siècle), Cahiers d'études et de recherches

May 12, 2023

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« C’EST UNE LIGNEE QUE LES HARQUEBUSES ONTENFANTEE »1

Les batailles de Crécy et de Castillon restent dans la mémoire collective les premières lorsdesquelles l’artillerie aurait été décisive2. Et pourtant la poudre, arrivée de Chine par le biais de lacivilisation musulmane, a déjà une histoire en 1450. Au cours du XIVe siècle, les pouvoirscentraux, locaux, et certaines communautés s’équipent et usent de l’artillerie dans les sièges, puisen rase campagne3. Ce n’est pourtant qu’au XVe siècle que les armes à feu commencent às’imposer grâce à quelques évolutions majeures : amélioration de la stabilité de la poudre ;réduction des coûts de production permettant une diffusion plus large ; réduction du poidsaugmentant la mobilité de l’artillerie portative. Au tournant du XVe et du XVIe siècle,l’arquebuse, progressivement intégrée dans les armées royales et princières, bouleverseprofondément l’art de la guerre. Dans ce sens, les guerres d’Italie apparaissent comme un tempsd’expérimentation et de détermination. L’arme à feu y trouve sa place au sein des systèmesmilitaires qui composent avec les avancées techniques et la tactique traditionnelle. Les réflexionsaboutissent à la mise en place de systèmes mixtes combinant infanterie, cavalerie, et artilleriefixant les usages de la guerre pour deux siècles4.

L’historiographie e envisagé l’arme à feu portative suivant trois axes principaux. Sadiffusion est présentée comme un élément fondamental de la « Révolution militaire ». Elleparticipe au développement des infanteries, aux réflexions sur l’idéal chevaleresque de la guerreet à l’évolution de la charge de cavalerie5. Sa généralisation apparaît aussi comme un facteur dudéveloppement de l’État moderne : croissance de l’administration, apparition de l’impôtpermanent, concentration des pouvoirs. Depuis une dizaine d’années, un autre domaine derecherche s’intéresse à l’impact de cette introduction sur les différentes composantes de lasociété, et leurs représentations6. Il est admis, désormais, que pour comprendre les réflexions etles comportements des acteurs de la guerre, il est nécessaire de s’interroger sur les gestes et lesobjets qu’ils ont eux-mêmes manipulés. Il s’agit de percevoir la société militaire au travers de sa« culture matérielle ».

La demi-journée du 3 février 2006 a l’intérêt d’avoir réuni historiens, conservateurs, etpraticiens autour de l’arme à feu individuelle et ses mécanismes technologiques. Parce que« saisir l’évolution des arquebuses, des mousquets puis des fusils, c’est mesurer l’imperfection deces armes dont le surgissement sur les champs de bataille ne fut jamais une révolution »7. Ces

1 LA NOUE, François de, Discours politiques et militaires, F.E. Suttcliffe (éd.), Paris, Droz, 1967, p. 356.2 Bataille de Crécy, 26 août 1346, serait la première dans laquelle l’artillerie fait son apparition en campagne. Cellede Castillon, 17 juillet 1453, demeure le symbole de la reconquête du Roussillon sur les Anglais.3 KEEN, Maurice (éd.), Medieval Warfare. A History, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 274. CONTAMINE,Philippe, La guerre au Moyen Age, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 (1re éd. 1978), p. 58 et ss.4 HALL, Bert S., Weapons and Warfare in Renaissance Europe, Technologie, and Tatics, Baltimore & London, JohnsHopkins University Press, 1997. 300 p.5 LOVE, Ronald S., « All the King’s Horsemen » : The Equestrian Army of Henry IV, 1585-1598, Sixteenth CenturyJournal, XXII, n° 3, 1991, pp. 509-533.6 DREVILLON, Hervé, « ‘Á bien faire, bien dire’, le bon usage du discours guerrier selon Brantôme », dans CahiersBrantôme, Centre d’études et de recherches sur Montaigne et son temps (éd.), Pessac, Presses universitaires deBordeaux, 2004, pp. 65-75. ANGLO, Sydney (éd.), Chivalry in the Renaissance, Woodbridge, Boydell Press, 1990,262 p.7 DREVILLON, Hervé, Batailles. Scène de guerre de la table ronde aux tranchées, Paris, Seuil, 2007, p. 16.

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évolutions sont autant de réponses apportées aux limites rencontrées à l’usage et ouvrent sur denouvelles pratiques de la guerre. Tester les armes permet d’appréhender les usages et d’expliquer,dans une certaine mesure, les phénomènes tus par les sources écrites. Cette journée doit,néanmoins, être considérée pour ce qu’elle est : une séance de tir d’initiation8.

A. LES SYSTEMES DE MISE A FEU

Figure 1 : Platines à mèche, à rouet, et à silex, extrait de DOLINEK, Vladimir,DURDIK, Jan, Encyclopédie des armes, Paris, Gründ, 1993, 350 p.

1. LA MECHELa mèche s’impose et survit comme système d’allumage dominant en occident du XVe au

XVIIe siècle. Les premières couleuvrines à main font leur apparition dans les années 1420. JanŽižka, chef hussite, met au point dans sa lutte contre les armées de l’Empire la tactique duWagenburg. Il utilise des chariots lourdement protégés abritant une vingtaine d’hommes armésd’arcs et de couleuvrine à main. Cette méthode lui permet de résister, de 1419 à 1436, aux arméesenvoyées d’Allemagne9. Malgré l’efficacité avec laquelle il utilise l’arme à feu portative, sa taille

8 Les tirs ont été réalisés avec des reproductions d’un mousquet de 1640 muni d’une platine à mèche, un fusil anglaismodèle 1762, un fusil réglementaire de 1777 « Charleville », et un fusil modèle 1776 modifié an IX, ainsi que deplusieurs pistolets de guerre dont le réglementaire an IX.9 BODINIER, G., « Arme à feu portative », dans Dictionnaire d’art et d’histoire militaire, André Corvisier (dir.),Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 49. BLACK, Jeremy, European Warfare, 1494-1660, London andNew York, Routledge, 2002, p. 70.

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et son poids demeurent des limites importantes à sa diffusion10. De plus, la technique de mise àfeu calquée sur l’artillerie lourde reste rudimentaire. Elle nécessite d’écraser manuellement lamèche incandescente sur la lumière, imposant de conserver une main libre pour l’allumage, etinterdisant de viser.

Comprenant le potentiel de l’arme à feu, les armuriers italiens et allemands travaillent à laréduction de sa taille et de son poids. L’arquebuse, tube de métal monté sur un manche de bois,naît dans la seconde moitié du XVe siècle. La mobilité est accrue par la division par deux dupoids, mais la principale innovation se situe dans le domaine de la mise à feu11. La mèche n’estplus tenue à la main, mais placée entre les mâchoires du serpentin. Cette pièce de métal en formede « S » est fixée à l’arme par un pivot central, actionnée par pression sur son extrémitéinférieure. Le serpentin permet de libérer la main droite de l’arquebusier, d’épauler l’arme deviser. Il semble que ce soit ces dernières qu’adoptent, alors, les armées bourguignonnes etespagnoles. Charles le Téméraire organisent en 1468 et 1473 ses compagnies d’ordonnances.Chaque homme d’armes est soutenu par trois fantassins : un archer, un piquier et un arquebusier.L’ordonnance de Valladolid de 1496 met en place douze compagnies de fantassins de cinq centshommes, dont dix sont composés de cent arquebusiers. En France, l’ordonnance de juillet 1534,concernant les sept légions provinciales, organise la levée de 42 000 hommes dont près d’un tiers(12 000 hommes) sont équipés d’arquebuses12.

Vers 1500, apparaît la platine à mèche. Le principe d’allumage reste identique tout endevenant mécanique. La mèche plonge dans le bassinet sous l’impulsion de la détente. Elleéquipe progressivement les arquebuses et est intégrée rapidement au mousquet qui naît pendantles premières guerres d’Italie dans les armées espagnoles. Les différences avec l’arquebuse sontd’abord d’ordre morphologique. Sa taille s’allonge de 30 à 40 cm accroissant par la même laprécision et la puissance sans être beaucoup plus lourd. Il est employé par les armées de CharlesQuint dès 1521.

La question de l’imposition des armes à feu sur les armes de trait traditionnelles poseencore de nombreux problèmes tant sur ses raisons que sur ses modalités. Les difficultés àrépondre à ces questions sont dues à notre incapacité à faire la balance entre les avantages et lesinconvénients de l’utilisation de l’arme à feu individuelle. La puissance, le temps de chargementmoins long que pour l’arbalète, et la durée de formation réduite par rapport à l’arc ontcertainement été déterminants dans le choix de l’arme à feu individuelle. Le mouvementd’accroissement des effectifs, et l’essor nouveau des infanteries aurait été décisif. À l’inverse,l’arc reste plus performant en termes de cadence de tir. Les réglages incessants imposés par laconsommation de la mèche ralentissent considérablement le rechargement. L’arquebuse et lemousquet restent également des armes très peu fiables en ce qui concerne l’allumage. Le tauxd’humidité dans l’air joue à la fois sur la mèche et sur les propriétés explosives de la poudre. Partemps pluvieux, l’humidité peut directement affecter la qualité de la poudre13. D’autre part,l’ouverture du bassinet est manuelle ; il devait arriver que dans la précipitation certains soldatsoublient de l’ouvrir. De même, ceux qui l’ouvrent trop tôt courent le risque de voir leur poudred’amorce emportée par le vent ou renversée par un geste brusque. Enfin, l’incandescence, elle- 10 Voir le tableau de description à la fin de la première partie.11 BODINIER, G. art. cit., p. 49. Philippe Contamine dans op. cit.12 Voir « Ordonnance de Monseigneur le Duc de Bourgongne, sur le fait […] des douze cent cinquante hommesd’armes […] », dans Mémoires pour servir l’histoire de France et de Bourgogne, Paris, 1729, pp. 286-293. EtOrdonnance militaire touchant l’infanterie Françoise, Lyon, s.n, 1536, 26 p.13 La séance de tir s’est déroulée entre 15h00 et 17h30, les observations météorologiques de Météo France font étatd’un temps très nuageux, d’une température sous abri de –3°C, et d’un taux d’humidité de 85%.

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même, pose le problème de la discrétion des opérations nocturnes. Pourtant, ces inconvénients nesemblent avoir eu qu’une incidence limitée sur l’usage de l’arme à feu individuelle.

2. LE ROUETLa platine à rouet, apparue dans le premier quart du XVIe siècle, probablement en

Allemagne, limite le problème de l’humidité. Le mécanisme est cependant plus complexe et pluscoûteux. Après avoir rempli le bassinet de poudre, le chien est placé manuellement sur le haut dubassinet fermé. Lorsque la gâchette est actionnée, un ressort libère une roue d’acier, placée dansle bassinet, tout en ouvrant le couvre bassinet. La roue vient frotter contre le chien qui tient entreses dents une pyrite de fer. Ce choc produit une étincelle qui met le feu à la poudre14. L’avantagemajeur tient au fait que l’ensemble du système est clos. La poudre reste toujours à l’abri dans lapoire, puis dans le bassinet, qui n’a plus besoin d’être ouvert avant de faire feu.

Ce système est particulièrement apprécié pour la chasse et est à l’origine de l’invention dupistolet. Il s’impose dans la cavalerie pour des raisons pragmatiques. La recharge n’est nullementmodifiée, mais les réglages avant chaque décharge disparaissent. Le système ne nécessite qu’untour de clef pour remonter le ressort. Mais surtout la décharge peut être obtenue d’une seulemain, ce qui permet au cavalier de conserver les rênes de sa monture dans l’autre. Il semble quedes cavaliers aient été équipés très tôt d’arme à feu dans les armées françaises. Pourtant levéritable essor de ce type de cavalerie n’a lieu que dans la seconde moitié du XVIe siècle avec leperfectionnement du rouet. Le pistolet est imposé aux archers des compagnies d’ordonnances en1549, mais ce sont les reîtres et la caracole qui cristallisent son usage15.

Cependant, la mèche est conservée pendant tout le XVIe siècle. Elle demeure le principalsystème de mise à feu jusqu’à la guerre de Trente ans16. Outre son coût de production etd’entretien, le rouet est un système extrêmement fragile. Sa fiabilité n’est que peu améliorée parrapport à la mèche. Après deux ou trois tirs, le rouet commence à se dérégler et son réajustementprend de longues minutes. Cela ne peut être réalisé sur le champ de bataille sans se mettre horsdes rangs, à l’abri des combats, ce que seuls les cavaliers peuvent faire. D’ailleurs, deuxrèglements hollandais, de 1599 et de 1639, en interdisent l’usage aux mousquetaires. Mais pourles cavaliers l’arme à feu reste une arme secondaire. Ils l’utilisent souvent comme des armesblanches à très courte distance pour en compenser l’imprécision chronique. De même, la rechargenécessite d’assurer les rênes de manière à disposer de ses deux mains, ce qui en situation decombat demeure extrêmement complexe. Le rouet ne fut pas adopté de façon générale. Seulel’invention de la platine à silex détrôna la mèche.

3. LE SILEXUne partie des problèmes soulevés par les platines à mèche et à rouet trouve leur solution

dans l’invention du système à silex. Son apparition semble se faire parallèlement en Hollande eten Espagne vers 1550. Sur ce type de platine, le chien portant le silex doit être ramené versl’arrière avant la mise à feu. En actionnant la détente, le chien est libéré. Il se rabat dans saposition originelle en frappant la batterie, qui est solidaire du couvre bassinet. Le choc avec la

14 JACKSON, Herbert, J., European Hand Firearms of the Sixteenth, Seventeenth & Eighteenth Centuries, ChiswickPress, (1re éd. 1923), 197 p.15 LOVE, Ronald S., art. cit. Ainsi que Ordonnance nouvelle, faicte par le Roy sur la creu des gaiges & souldes, tantdes gendarmes des ordonnances que autres gens de guerre […], Paris, Jean André, 1549, 16 ff. n.p.16 Le siège de La Rochelle (1627-1628) serait la dernière occurrence de l’utilisation de la platine à mèche dans lesarmées françaises, dans BODINIER, G., art. cit. p. 50.

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surface rugueuse de la batterie provoque, au même instant, de fortes étincelles et l’ouverture dubassinet. La poudre d’amorce reçoit l’étincelle et prend feu. Ce système, qui s’impose pendant laguerre de Trente ans, conserve la poudre au sec et garantit la discrétion nocturne. Sa diffusion estle produit de l’allègement du mousquet dans les armées de Gustave Adolphe, et des améliorationstechniques apportées à la platine par l’armurier français Martin le Bourgeoys, en 1614. Maissurtout le système à silex permet d’accroître considérablement la cadence du tir en facilitant lesmanipulations liées au réglage de la mèche. Un silex peut être utilisé une trentaine voire unequarantaine de fois avant de devoir être remplacé.

La généralisation du silex en Europe connaît des rythmes bien différents. L’Espagne et lesPays-Bas sont des précurseurs dans ce domaine. Mais le fusil ne supplante le mousquet qu’en1699 en France. Il n’en demeure pas moins des problèmes d’utilisation. Il faut attendre les années1700, pour qu’une méthode véritablement fonctionnelle de confection des silex soit mise enœuvre. Avant les soldats sont bien souvent dans l’obligation de tailler eux-mêmes leur pierre. LeXVIIIe siècle est aussi celui de la standardisation. En 1717, la France adopte son premier fusilréglementaire. Ce n’est pourtant qu’en 1777 que Gribeauval impose des caractéristiques et desnormes de production rigoureusement définies17. Cela permet une production normalisée desarmes ainsi que des pièces détachées pour les réparations. Ce fusil, dont nous avons pu tester uneréplique, mesure 1,52 m de long pour un poids de 4,6 kg. Cette arme a été déclinée en différentsmodèles infanterie, dragon, marine, artillerie, tout comme l’avait été l’artillerie. Elle fut l’armedes guerres de la Révolution et de l’Empire qui se contenta de quelques modifications en l’an IX.

L’histoire et l’évolution de l’arme à feu individuelle est faite de tâtonnements quipermettent de comprendre les limites des systèmes de mise à feu et d’aborder sous un nouvelangle la question des pratiques individuelles et collectives de l’arme à feu à la guerre.

Longueur en m Poids en kg Calibre en mm AllumageCouleuvrine à main 1,5 15 MècheArquebuse 1,2 7 15 MècheMousquet 1,6 7 17 MècheFusil 1,52 modèle 1777 4,75 17,5 SilexTableau 1 : Récapitulatif des principales caractéristiques des armes à feu modernes. Les données sont des approximations dans la mesure

où les productions ne sont pas standardisées sauf pour le fusil 1777.

B. DE L’USAGE DES ARMES A FEU DU XVIe A LA FIN DU XVIIe SIECLELes théoriciens militaires du XVIe au XVIIe siècle sont bien conscients des atouts et des

inconvénients de l’usage de ce type d’armes. Dans des armées de plus en plus nombreuses, à larecherche d’une cohésion de plus en plus forte, les limites de l’armement sont un élémentstructurant de l’organisation tactique.

1. L’USAGE MIXTE DU XVIe SIECLEL’ensemble des théoriciens militaires du XVIe siècle et des vingt premières années du

XVIIe siècle s’interroge sur le rapport de force entre infanterie et cavalerie. Ils s’attachent àdévelopper des méthodes permettant de le faire basculer définitivement du côté des fantassins. Àla fin du XVe siècle, quelques grands capitaines, notamment espagnols comme Gonzalves deCordoue, le marquis de Pescara ou encore Charles de Lannoy, développent, dans les guerres de la

17 Ibidem. Voir aussi CHAGNIOT, Jean, Guerre et société, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 297 et ss.

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Reconquista et d’Italie, des systèmes d’opération combinant les armes d’hast et à feu. Il s’agitd’associer piquiers et arquebusiers dans d’immenses carrés afin d’opposer un mur infranchissableà la cavalerie lourde. Ces méthodes, calquées sur celles des Suisses et des Allemands,commencent à être théorisées. Machiavel affirme que la supériorité de l’infanterie ne peut êtreatteinte que par syncrétisme entre armement ancien – épées et boucliers – et moderne – piques etarquebuses18. Guillaume du Bellay, proche de François Ier, et Johan Jacobi Wallhausenpréconisent d’utiliser les piques pour briser la charge et maintenir la cavalerie à distance, pendantque les arquebusiers agenouillés devant les premières lignes ouvrent le feu19. Se met en place unordre de sauvegarde mutuelle dans lequel abrités sous les piques, les arquebusiers interdisent auxcavaliers de stationner devant le mur de piques et d’user de leurs pistolets.

Cette organisation ne pouvait être mise en place de façon simple compte tenu desdifficultés qui résident dans le chargement de l’arquebuse ou du mousquet à mèche. La dispersiondes éléments de rechargement – poudre, balle, bourre – la nécessité de tasser le mélange au fondde l’âme, et de régler le serpentin, impose des temps de chargement longs. Les arquebusiers nepeuvent raisonnablement pas recharger leur arme à découvert. Deux systèmes sont doncdéveloppés pour apporter des solutions.

Le premier consiste en la mise en place de carrés de piquiers creux organisant en leurcentre une place de retranchement. Les lignes du carré étaient suffisamment serrées pour ne passe laisser pénétrer par la charge de cavalerie, mais suffisamment poreuses pour que lesarquebusiers se faufilent pour aller recharger à l’abri. Le va et vient permanent, entre le cœur etles flancs du carré des différentes unités d’arquebusiers, devait théoriquement assurer un feuroulant. La cavalerie se heurte alors à une véritable forêt de piques dont la lisière voit se presserdes hordes d’arquebusiers inatteignables. Les exemples d’utilisation de ses méthodes sontnombreux en bataille. La bataille de Marciano en 1554 est une des bataille fondatrice de l’imaged’invincibilité des Tercios. En 1620, se sont encore ces forêts de piquiers qui se lancent à l’assautdu versant de la Montagne Blanche 20. Ce système est aussi adapté à des opérations de moindreenvergure. Guillaume du Bellay, quelques décennies avant Wallhausen, propose d’utiliser lamixité dans les petites unités mobiles d’enfants perdus. Celles-ci seraient capables de se faufilerentre les rangs de la cavalerie ennemie pour décharger à « brûle pourpoint », puis de se figer pourrecharger à l’abri des piques21. Un groupe de peinture, conservé à Santa Maria della Vittoria àRome, représente la bataille de la Montagne Blanche. La représentation de ces deux méthodestémoigne de la diffusion et de la persistance de ces pratiques de l’arme à feu22.

Le second système, qui se développe en lien avec le rouet, est celui de la caracole. Elle sepratique de face et de profil. De face, il s’agit de charger pistolet à la main sur une quinzaine delignes et une trentaine de rangs. Les cavaliers déchargent leurs armes à proximité des rangsennemis, avant de rompre l’ordre par les côtés et de se replacer derrière l’escadron en

18 MACHIAVEL, Nicolas, L'art de la guerre, Paris, Flammarion, 1991, p. 101.19 DU BELLAY, Guillaume, Instructions sur le fait de la guerre, Paris, M. Vascosan, 1548, ff. 19. WALLHAUSEN,Johann Jacobi von, Art de chevalerie, Francfort, P. Jacques, 1616, pp. 92-95, et pp. 108-109.20 CHALINE, Olivier, La bataille de la Montagne Blanche, Paris, Noesis, 2000, p. 140.21 DU BELLAY, Guillaume, op. cit., ff. 19. Wallhausen ne présente rien de différent lorsqu’il flanque ses carrés d’ailesmobiles d’arquebusiers. WALLHAUSEN, Johan Jacobi von, L'art militaire pour l'infanterie, Franeker, U. Balck, 1615,p. 96 et ss.22 L’arrivée des armées catholiques, et La déroute de l’armée des États Peintures présentées par Olivier Chaline dansop. cit. Les détails de la seconde peinture présentent un carré de piquiers dont les deux ou trois premières lignes depiques sont abaissées maintenant à distance les cavaliers et abritant les arquebusiers, ainsi qu’un petit escadron mixteorganisant sa résistance sous le feu de la cavalerie légère.

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rechargeant. De profil, ce sont les lignes qui défilent. Le feu roulant doit ouvrir des brèches, dansles rangs ennemis, exploitables par l’infanterie et la cavalerie lourde.

Figure 2 : WALLHAUSEN, Johann Jacobi von, Art de chevalerie, Francfort, P.Jacques, 1616, planche n° 23.

La caracole a fait l’objet, dès la seconde moitié du XVIe siècle, d’un engouement et d’uneréflexion importante. Pourtant son efficacité est encore douteuse. Pour John Lynn, il s’agit d’uneméthode hasardeuse pour les cavaliers, les canons courts des pistolets ne pouvant pasconcurrencer la longueur de ceux des mousquets utilisés dans l’infanterie23. Lynn souligned’ailleurs qu’à la sortie des guerres de Religion, Henri IV et Gustave Adolphe ont renoué avec lacharge à l’arme blanche. Pourtant, les reîtres allemands ont été décisifs à de nombreuses reprisesdans les guerres de Religion. En 1569, lors de la bataille de Jarnac, ils offrent la victoire au jeuneduc d’Anjou sur les troupes de Condé et Coligny. La publicité dont elle a été l’objet pourraitprovenir de la géométrisation que permet cette méthode contrairement à la charge traditionnellequi ne correspond à aucun modèle mathématique24. Cela permet, dans le contexte de modélisationet de rationalisation de la guerre, de penser la guerre comme un phénomène ordonné25.

2. DE L’ORDRE PROFOND A L’ORDRE MINCELes armes à feu ont pris au XVIe siècle une importance nouvelle dans l’art de la guerre.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles s’imposent comme des armes individuelles pratiquées engroupe sur le champ de bataille. En 1594, Maurice de Nassau théorise la contremarche qui seraitapparue simultanément en France et dans les Provinces-Unies à la fin du XVIe siècle26. Cettedernière est le fruit de sa formation – auprès de Juste Lipse qui avait fait paraître son de Militia,

23 LYNN, John A., “Tactical Evolution in the French Army, 1560-1660”, dans French Historical Studies, 1985, XIV-2, pp 181-184.24 DREVILLON, Hervé, « Existe-t-il un art équestre de la guerre à l’époque de Pluvinel ? », à paraître.25 LA NOUE, François de, op. cit., pp. 355-363.26 John Lynn, op. cit. Selon Geoffrey Parker, la contremarche apparaît aussi au Japon en 1575. Á la bataille deNagashino. Oda Nobunaga aurait résolu le problème de la cadence de tir en alignant 3000 hommes tirant par salves.« Inventing Volley Fire », dans Military History Quaterly, vol. 18, n°1.

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éloge d’une infanterie de petites unités – et de ses lectures – notamment d’Aelien qui préconisaiten son temps un tir roulant de javelots et de lances27.

Le principe de la contremarche est assez simple. L’infanterie équipée massivementd’arme à feu individuelle est organisée en ligne tirant à l’unisson chacune à son tour. Une fois ladécharge effectuée, la première ligne passe à l’arrière du bataillon et recharge en attendant que nerevienne son tour de tirer. Cela nécessite une modification de l’ordre de bataille. Abandonnantl’ordre profond, Maurice de Nassau met en place des unités d’infanterie réduites dont lapuissance de feu est augmentée. Chaque troupe se compose de 125 hommes (30 mousquetaires,44 arquebusiers, 40 piquiers, et un capitaine) organisés sur 12 lignes et 10 rangs28. Cettetransformation nécessite un haut niveau de formation des fantassins. La famille d’Orange faitassembler ses troupes trois ou quatre fois par semaine pour leur apprendre les pas et à garder lesrangs. Cela participe également à la professionnalisation et à la systématisation des gestes. Carc’est, en effet, sur la coordination collective des mouvements que repose la mise en œuvre du feuroulant. La cohésion et la rigueur permettent d’atteindre une cadence de tir en dessous de laquelleune telle méthode serait inefficace. Théoriquement en considérant un temps de rechargement del’ordre de deux minutes, une salve peut être tirée toutes les 12 secondes.

Gustave Adolphe perfectionne la méthode hollandaise à laquelle il avait été familiarisépar les enseignements de Jacques de La Gardie qui avait servi sous Maurice de Nassau. Ilordonne un système combinant feu de salve, et charge d’infanterie et de cavalerie. Leperfectionnement de la platine à silex lui permet de réduire le nombre de rangs à huit tout enétirant les lignes. Sans réduire la cadence de tir, il accroît la pression du feu qui favorise le choc àl’arme blanche29. Désormais, il faut une minute tout au plus pour recharger. La victoire deBreitenfeld en 1631 manifesta la supériorité militaire de l’« ordre mince ». Son modèle se diffusedans toutes les armées d’Europe. Rocroi en 1643, et le « nouvel ordre militaire » de Cromwell en1644, manifestent cette diffusion. Le mouvement de réduction des rangs est poussé à l’extrêmeavec les ordonnances de Louis XIV de 1693 et 1701 qui fixent leur nombre à cinq puis quatre.Les fronts s’étalent sur de longue distance et les armées se figent30.

3. RATIONNALISATION DE L’USAGE DE L’ARME A FEULa recherche de la cohésion et de l’effet de masse implique une formalisation des savoirs

et une formation accrue des officiers. La famille de Nassau fait, ici encore figure de précurseur.Elle ouvre la première Académie militaire en 1606 à Sedan, et en 1607, Jean de Nassau publie sesExercices d’armes pour arquebuses, mousquets et piques31. L’usage du mousquet y était diviséen 42 gestes successifs. En 1615, Johan Jacobi Wallhausen, alors commandant du Dantzig, publiel’Art militaire pour l’infanterie et consacre trois chapitres à la description précise de ces étapes.Cette théorisation normalise l’usage de l’arme à feu, et fournit aux soldats un réservoir de gestesdont ils peuvent user rapidement sur le champ de bataille32. La diffusion européenne de son traitéconfirme l’intérêt pour la standardisation des usages de la guerre de ce début de XVIIe siècle.Cette vision est encore celle de Henry Hexham en 1642. 27 PARKER, Geoffrey, « Inventing Volley Fire », dans op. cit.28 BOIS, Jean-Pierre, Les guerres en Europe 1494-1792, Pairs, Belin, 2003, p. 236.29 CORNETTE, Joël, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du grand siècle, Paris, Payot, 2000 (1re

éd. 1993), p. 49.30 Jean-Pierre Bois, op. cit., p. 239.31 CORNETTE, Joël, op. cit., p. 48 et ss. Et PARKER, Geoffrey, « Inventing volley fire », dans op. cit., pp. 60-63.32 WALLHAUSEN, Johan Jacobi von, L'art militaire pour l'infanterie, op. cit, p. 37, 39 et 42.

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Figure 3 : Décomposition en 48 mouvements des gestes réglementaires pour ledéchargement et le rechargement du mousquet à mèche, illustrations extraites deHEXHAM, Henry, The Principles of the Art militaire, La Haye, Aert Meurs, 1642.

Aucun de ces mouvements ne concerne l’entretien de l’arme. Cette préoccupation estabsente des sources tant iconographiques que textuelles. Pourtant, le bon fonctionnement del’arme et la sécurité du tireur en dépendent. Chaque tir dépose des résidus de poudre et de bourresur les parois du canon. Il devient de plus en plus difficile de faire pénétrer la balle dans le fondde l’âme. Le temps de rechargement s’accroît, mais surtout, les risques augmentent : explosion ducanon ; déclenchement inopiné du coup en raison des résidus de poudre incandescente. Cephénomène est d’ailleurs à l’origine des premiers canons rayés. Les rainures étaient pratiquéesdans l’espoir que les résidus se déposeraient dans les sillons. Le constat des performances, entermes de puissance et de précision, des armes dont le canon avait été rayé entraîna lagénéralisation des rayures au XIXe siècle.La journée du 3 février a été également instructive quant à la simplicité de l’arme à feu. Lesquarante-deux étapes de rechargement apparaissent réductibles à six phases :

- 1. introduire la poudre de propulsion33 ;- 2. enfoncer la bourre dans le canon ;- 3. placer la balle dans le canon ;- 4. pousser le tout au fond de l’âme à l’aide de la baguette ;- 5. remplir le bassinet et la lumière de pulvérin ;

33 La dose traditionnelle de poudre est estimée à 10 g, lors de cette journée, la charge a été ramenée à 5 g. comptetenu des propriétés supérieures de la poudre actuelle cette réduction permet de se rapprocher des conditionsd’utilisation des XVIe-XVIIIe siècles.

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- 6. la dernière manipulation dépend du système de mise à feu : la platine à mèche nécessitel’ajustement de cette dernière, et l’ouverture du bassinet ; la plainte à silex impose derelever le chien et de fermer le bassinet.

L’évolution technique de l’arme à feu a conditionné ses usages sur les champs de bataille. Laplatine à mèche est liée aux carrés et à l’ordre profond du XVIe siècle, alors que le silex enaugmentant les cadences de tirs permet l’avènement de l’ordre mince. Cependant, si unmouvement général peut être dessiné, de nombreux problèmes restent encore en suspend.

C. DU BRUIT DE LA FUMEE ET DES FLAMMESMalgré, le caractère décisif de l’arme à feu dans certaines batailles – Ravenne (1512), et à

Pavie (1525) notamment – elle met près de 250 ans à s’imposer sur les armes de traits. Avant laguerre de Trente ans, elle est essentiellement présentée comme une source de bruit, de fumée etde flammes.

1. OBSERVATIONS TECHNIQUES : CADENCE, PORTEE, PRECISIONL’image traditionnelle de l’arme à feu portative est celle d’une arme encore peu efficace

au XVIe, voire au XVIIe siècle. Mais, l’étude des performances techniques des armes à feumodernes souffre du manque de données concernant leur fonctionnement et de l’existence de« mythes technologiques »34. La cadence de tir est une question fondamentale pour lacompréhension des usages collectifs et individuels de l’arme à feu. Il est reconnu qu’elle n’acessé d’augmenter avec le temps. Elle serait d’« un coup toutes les dix minutes au début duXVIe siècle, d’un coup par minute vers 1700, et de deux à trois coups au milieu duXVIIIe siècle »35. Le chiffre de deux minutes est accepté de manière traditionnelle pour le XVIe

siècle. Les démonstrations auxquelles nous avons pu assister semblent confirmer cespropositions. Serge Lahouder a chargé son arme en 2 minutes et 24 secondes, réglé sa mèche en10 secondes avant de tirer, en expliquant ses manipulations36. Cela laisse supposer qu’aprèsquelques semaines d’entraînement, les hommes devaient être capables de recharger leur arme enmoins de deux minutes. Philippe Contamine affirme même qu’une arquebuse pouvait tirer 300coups par jour, soit un coup toutes les minutes trente six secondes37. Des temps sensiblementmoindres semblent difficiles à atteindre sans l’utilisation d’une platine à silex. Yves Kopp achargé et tiré avec un fusil modèle 1777 en 54 secondes. Mais l’évolution majeure en ce domaineest l’apparition de la cartouche38. Son usage, qui apparaît dans les armées de Gustave Adolphe,permet de passer au-dessus du seuil des deux coups à la minute. Elle n’est, toutefois, adoptée enFrance qu’à partir de 1702, et il faut attendre 1738 pour qu’elle devienne réglementaire39.

Si la cadence s’accroît tout au long du XVIe siècle, les performances de l’arme à feu restetoujours bien en deçà de celle de l’arc. Un archer peut décocher 10 à 15 flèches par minute, et

34 HALL, Bert S., op. cit., p. 139.35 G. BODINIER, op. cit., pp. 47-56.36 Les données relevées ne sont pas à proprement parler scientifiques : les armes sont des reproductions, les chargessont moitié moindres que celles de l’époque moderne et les mélanges différents, enfin elles sont manipulées suivantdes méthodes du XXIe siècle. Pourtant, leur confrontation avec les sources textuelles permettent quelquesobservations qui ne semblent pas dénuées de sens.37 CONTAMINE, Philippe, op. cit., p. 271.38 Sachet en papier transportant la poudre, la balle, et dont l’enveloppe sert de bourre39 CHAGNIOT, Jean, op. cit., p. 297.

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garder une précision importante encore à 200 m. Mais, il s’agit d’un exercice très physique. Latension de la corde nécessite une force de 60 à 80 kg. Après une quinzaine de tirs, les hommesdevaient être épuisés40. De même, la formation des archers demandait un investissementconsidérable. La maîtrise du long bow nécessitait cinq années d’entraînement quotidien à desenfants débutant leur formation dès six ou sept ans41. À l’inverse, un homme en bonne santé peutêtre formé à l’usage de l’arme à feu en quelques semaines. Le plus difficile, d’ailleurs, n’est pasl’usage, mais la pratique collective. Cela permet de disposer d’un nombre important d’hommesformés à moindre coût, et expliquerait, en partie, le succès de l’arme à feu sur les armes de trait.

La diffusion des armes à feu individuelles est aussi souvent expliquée par leur puissance.La vitesse des projectiles n’ayant pas été relevée le 3 février, il est nécessaire de recourir à desexpériences antérieures42. Le tableau ci-dessous reprend les résultats d’une expérience menée àl’arsenal de Graz en 1988, avec 13 mousquets et pistolets du XVIe au XVIIIe siècle.

Moyenne Maximum MinimumVitesse à la sortie du canon 454 m/s 533 m/s 385 m/sÉnergie cinétique à la sortie du canon 3091,74 joules 4261,33 joules 2223,37 joulesÉnergie cinétique à 100 m 1545,87 joules 2130,66 joules 1111,68 joules

Le premier constat concerne la vitesse moyenne des balles supérieure à la vitesse du son(330 m/s). Cette vitesse est d’autant plus surprenante qu’elle surpasse celle de certaines armes àfeu contemporaines. Pour donner quelques points de repère aux lecteurs, il suffit de souligner quele 357 Magnum développe des vitesses de l’ordre de 400 m/s. Le fusil d’assaut M16 atteint quantà lui des vitesses de 835 à 990 m/s43. Pourtant, l’énergie des projectiles diminue rapidement. Lesballes ont, en effet, une morphologie très peu aérodynamique et connaissent une décélérationmoyenne de 2,5 m/s par mètre parcouru dans les vingt-quatre premiers mètres, et perdent lamoitié de leur énergie cinétique dans les cent premiers mètres. Selon Bert Hall, la portée efficacedans de telles conditions serait de 100 à 120 m. Cependant le port d’une armure peut modifierconsidérablement la létalité. Une expérience de tir au pistolet de guerre réalisée sur une armuremanufacturée à Augsbourg en 1570 l’atteste. L’armure d’acier utilisée, d’une épaisseur de 2,8 à3 mm, avait été montée sur un sac de sable doublé de deux couches de lin reproduisant lesconditions vestimentaires de l’époque44. Le tir à une distance de 24 m touche sa cible à la vitessede 436 m/s, soit une puissance de 907 joules. La balle pénètre l’armure, mais a dépensé en cefaisant toute son énergie cinétique ne produisant que des dommages superficiels au sac de sable.Cette expérience laisse supposer que les armures, même si leur qualité est diverse, pouvaientoffrir une protection efficace contre les armes à feu à une distance de 25 à 30 m.

40 BRIOIST, Pascal, « L’épée de guerre à la Renaissance », Conférence tenue au Centre d’Etude d’Histoire de laDéfense le 04-11-2004, à paraître dans Les Cahiers du CEHD.41 PARKER, Geoffrey, La Révolution militaire : la guerre et l'essor de l'occident 1500-1800, Paris, Gallimard, 1993,p. 43.42 Voir dans HALL, Bert S., op. cit., pp. 134-151. Le tableau récapitule les vitesses moyennes, maximum et minimum,constatées sur une série de 325 tirs à charge régulière. La masse des balles de plomb utilisées lors de cette expérienceest identique à celle des balles modernes, soit 30 g pour les mousquets. L’équation utilisée pour calculer l’énergiecinétique est la suivante : E=1/2mv2. Les vitesses ne sont pas suffisamment importantes pour que le facteur deconcentration, c’est à dire la déformation de l’objet en mouvement, soit pris en compte. Voir également,RICHARDSON, Thom, « Ballistic Testing of Historical Weapon », dans Royal Armouries Yearbook, 3, 1998, pp. 50-52.43 HALL, Bert S., op. cit., pp. 134-151.44 Ibib., p. 145 et ss.

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Enfin, l’imprécision est aussi souvent portée au discrédit de l’arme à feu. Encore faut-ilpouvoir différencier imprécision des armes et manque d’agilité des tireurs. Nombreux sont ceuxqui tranchent la question en écrivant que les arquebusiers et les mousquetaires ne visaient pas.Cela aurait été, de toute façon, inutile compte tenu de l’imprécision chronique de ces armes. Laforme de la balle joue ici encore un rôle déterminant : la faible longueur des canons et leurcaractère lisse ne permettant pas d’en contrôler la rotation et l’angle de sortie. À Graz, des tirs ontété réalisés à partir d’armes maintenues par des étaux et allumées électroniquement afin d’excluretoute intervention humaine et d’estimer objectivement les capacités de l’objet. À 75 m, 60% destirs atteignirent leur cible. La surface de dispersion des balles sur la cible était de 50 cm dehauteur et de largeur, soit 0,25 m2. La précision des armes semble également être en corrélationavec la qualité de leur fabrication. Ainsi pour Bert Hall, les armes manufacturées du XVIe siècleétaient bien plus précises que les armes réglementaires et standardisées au XVIIIe siècle45. Viserne semble pas dépourvu de sens. D’ailleurs, les arquebuses du XVIe siècle étaient équipées ded’organes de visée, et le mousquet pouvait être utilisé avec une fourquine pour ajuster le tir. Bienque ces systèmes disparaissent avec l’ordre mince et le feu roulant créant de véritables « murs defeu », Wallhausen propose une méthode de visée au jugé :

« Notés ceste instruction en cest endroit, quand vous sees devant vostre ennemi enescarmouche contre l’infanterie, tenés bas vostre mousquet en l’enjouänt, comme si vous levoulies atteindre en la jambe, & contre la cavallerie droit vers la poitrine du cheval entre lesjambes : & ce pour raison, qu’un mousquet, en le deschargeant, s’esleve tousjours enrepoussant quand la pouldre prend feu »46

Nous savons par ailleurs que les arquebusiers se réunissaient au sein de confréries quiorganisaient des concours de tirs. La compagnie des arquebusiers de Saint Georges apparue auXVe siècle à Pignerol organisait tous les ans une compétition dont le vainqueur était exemptéd’impôt pour l’année. En outre, les récits de batailles, notamment les sièges, regorgent decapitaines tombés sous le feu de francs tireurs. En ce sens l’arme à feu véhicule également denouvelles formes de violences.

2. DE NOUVELLES FORMES DE VIOLENCEL’équipement, la formation et la pratique du combat connaissent des évolutions majeures

durant ses deux siècles. Mais au-delà, l’arquebuse et le mousquet introduisent sur le champ debataille de nouvelles formes de violence physique et symbolique. La dimension auditive est à cetitre très particulière. L’onde sonore pénètre l’individu pour se manifester. Le claquement destympans est ressenti au plus profond de l’être à chaque décharge. D’ailleurs, le décibel mesure lapression acoustique. Les armes d’épaules, que nous avons pu essayer, atteignent des intensitéssonores de l’ordre de cent décibels. Bien que les charges utilisées étaient inférieures à celles de lapériode moderne, il est possible de se représenter le choc symbolique produit par cette intensité47.

45 Ibid., p. 144.46 WALLHAUSEN, Johan Jacobi, Art militaire pour l’infanterie…, op. cit., p. 41. Et BODINIER, G, art. cit., p. 50.47 En considérant que les détonations ont toutes un niveau sonore équivalent et tournant autour de 100 dB, ce quicorrespond aux données relevées ce jour-là. Ces dernières ont toutes été effectuées à une distance d’environ 1,50 men face du tireur. Les données du tableau qui en résulte sont donc une approximation, qui permet néanmoins de sefaire une idée des phénomènes sonores. Les calculs effectués pour la mise en place du tableau sont établis suivant la

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Nombre de détonations 1 10 100 1000Intensité en dB 100 110 120 130Sensation 1 x2 x4 x8Correspondance Marteau-piqueur Concert de rock Turbo réacteur Seuil d’audition et

de douleur

La sensation d’intensité sonore double tout les 10 décibels. Le tir de 10 arquebusiers est ressenticomme étant deux fois plus fort qu’un tir unique. La sensation est multipliée par quatre lorsquecent arquebusiers tirent ensemble, et par huit pour mille tireurs. Cela ne suffit pourtant pas pourapprécier ce qu’ont pu ressentir les contemporains de la période moderne. Les correspondancesdonnées dans le tableau permettent de mieux cerner la terreur décrite dans les sources, même s’ilne faut pas négliger les phénomènes d’accoutumance et d’expérience qui aguerrissent les soldats.Dans une société qui ne connaît que très peu la mécanisation, ces niveaux sonores sont décritscomme étant au-delà de l’humain.

La violence physique transparaît aussi des nouvelles façons de donner et de recevoir lamort. Les blessures sont elles aussi inédites. Les chairs déchirées, les os fracassés offrent unspectacle d’horreur que les descriptions d’Ambroise Paré laissent percevoir48. Les dommages ontété simulés à Graz par des tirs dans des blocs de gélatine ou de savon. Ces deniers conservent lestraces des pressions et tensions provoquées par le passage de la balle49. Les projectiles rondscréent une cavité conique dont la partie large se situe au niveau des tissus inférieurs. Cettedernière est bien supérieure en termes de volume à celles engendrées par les armes à feucontemporaines. Pourtant les dommages sont moins mortels dans la mesure où les organesprofonds sont moins touchés.

3. LES « ARTIFICES DU DIABLE »Nous avons vu que des observations techniques pouvaient expliquer la lenteur de la

diffusion de l’arme à feu portative. D’autres limites ont un caractère symbolique. Les Suissesl’adoptent tardivement en raison de la force emblématique de la pique50. De même, l’Angleterreconserve ses compagnies d’archers jusqu’en 1596 quand intervient l’ordre de changer les arcspour les mousquets.

Apparaît également, une forme sociale de résistance. De nombreux auteurs ont souligné lacharge symbolique de l’arme à feu51. John Mirfield et Francesco di Giorgio en font aux XIVe etXVe siècles une invention diabolique. Cette dénonciation est reprise par l’ensemble des militairesqui ont pris la plume pour raconter leur expérience. Ils présentent l’arquebuse comme un facteurd’abolition de la valeur militaire, nivelant le mérite et détruisant l’ordre social.

« Que plust à Dieu que ce mal-heureux instrument n’eust jamais esté inventé ! Je n’enporterais les marques, lesquelles encores aujourd’huy me rendent languissant, et tant de

méthode préconisée par le ministère de la santé. Il est néanmoins nécessaire de rappeler que les armes étaient endemi charge.48 PARE, Ambroise, La Méthode de traicter les playes faictes par hacquebutes et aultres bastons à feu […], Paris,Vivant Gaulterot, 1545, 66 ff.49 HALL, Bert S., op. cit., p. 145 et ss.50 HALE, John H., War and Society in Renaissance Europe 1450-1620, Baltimore, John Hopkins University Press,1998 (1re éd. 1985), pp. 47-53.51 CONTAMINE, Philippe, op. cit., p. 58. DREVILLON, Hervé, « ‘A bien faire, bien dire’… », art. cit., pp. 65-75.

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braves et vaillans hommes ne fussent morts de la main, le plus souvent, des plus poltrons etplust lasches, qui n’oseroient regarder au visage celuy que de loing ils renversent, de leursmal-heureuses balles, par terre : mais ce sont des artifices du diable pour nous faireentretuer »52.

Déjà avant lui, Symphorien Champier avait pleuré la mort de son maître d’une arquebusade dansle dos au passage de la Sesia le 30 avril 152453. Et à la fin du siècle, François de La Nouesouligne l’indignité de l’usage de l’arme à feu, tout en le justifiant par la nécessité.

« il faut leur (les reîtres) donner l’honneur d’avoir mis les premiers en usage les pistolles, queje pense estre tres dangereuses quand on s’en sait bien aider. C’est une lignee que lesharquebuses ont enfantee, & (pour en dire ce qui en est) tous ces instruments là sontdiaboliques, inventez en quelque meschante boutique pour dépeupler les royaumes &republiques de vivans, & remplir les sepulchres de morts. Neantmoins la malice humaine lesa rendus si necessaires, qu’on ne s’en sçauroit passer »54.

La mort reçue par l’arme à feu est une mort inévitable, soudaine et anonyme. La balle estpropulsée à des vitesses bien supérieures aux capacités perceptives de l’homme. Rien ne peutprémunir le combattant des effets de l’arme à feu, ni l’équipement, ni l’expérience, ni la vertu.

Pourtant, Montluc multiplie les récits d’escarmouches et d’affrontements où il fait usaged’armes à feu. Il est à la tête de 800 arquebusiers à Cérisoles en 1544. Brantôme loue lesméthodes du marquis de Pescara, vainqueur de Pavie, combinant armes blanches et armes à feu etnécessitant pragmatisme et discipline55. Cet écart entre la réalité et les récits montre que lesproblématiques autour de l’arme à feu ne peuvent se résumer à des questions techniques outactiques. L’arquebuse apparaît au XVIe siècle comme le symbole des changements que sescontemporains pensent vivre. Or très peu d’études se sont attachées à ce phénomène jusqu’àprésent.

52 MONTLUC, Blaise de, Commentaires de Blaise de Montluc, PETITOT, Michel (éd.), Paris, Foucault, Collectioncomplète des mémoires relatifs à l’histoire de France 1822, t. XX, p. 342-343.53 CHAMPIER, Symphorien, Les gestes ensemble la vie du preulx chevalier Bayard, Denis CROUZET (éd.), Paris,imprimerie nationale, 1992, p. 291.54 LA NOUE, François de, op. cit., p. 356.55 BOURDEILLE, Pierre de dit Brantôme, Œuvres complètes, Ludovic Lalanne (éd), t. 1 : Grands CapitainesEstrangers, Paris, Jules Renouard, 1854, pp. 180-200. Voir aussi sur ce sujet DREVILLON, Hervé, Batailles, op. cit.,pp. 88 et ss.