Priscilia Mourlevat - Montrouge · Goutte après goutte Priscilia Mourlevat 2eme prix du concours 2017/2018 d’écriture de la nouvelle policière (14/17 ans) 1 Goutte après goutte
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Goutte après gouttePriscilia Mourlevat
2eme prix du concours 2017/2018d’écriture de la nouvelle policière (14/17 ans)
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Goutte après goutte
Une goutte vient s’écraser contre le carreau. Elle ruissèle, parcourt toute la largeur de
la fenêtre et vient se loger dans son cadre. Quelques secondes plus tard, elle est suivie par une
deuxième goutte qui emprunte le même chemin que la première. Elle est rapidement escortée
par une troisième goutte, puis une quatrième, puis une cinquième, qui viennent toutes se
superposer aux précédentes en suivant le même trajet. Maintenant il pleut à verse et le bruit de
la pluie battante contre ma vitre me réveille en sursaut. Je relève la tête. Les membres
endoloris, les yeux picotant et le cerveau embrumé par un rêve dont je n’ai déjà plus aucun
souvenir, je me redresse sur ma chaise, à moitié endormie. Sur le bureau, devant moi, l’écran
de mon ordinateur s’est mis en veille et des piles de dossiers cartonnés sont entassés çà et là.
Un des dossiers est ouvert, laissant apercevoir des photos, des relevés bancaires, des rapports
de police et des empreintes éparpillées un peu partout. Cela fait deux semaines que j’essaye
de résoudre cette enquête avec mon équipe mais toujours aucun résultat. Demain, si cette
affaire n’est pas résolue, elle sera classée sans suite et un meurtrier ne sera pas condamné pour
son crime ; justice ne sera pas rendue et rien que d’y penser, ça me donne mal au cœur. Je me
frotte les yeux du bout des doigts pour me réveiller entièrement et me dit que j’ai dû oublier
quelque chose, un indice qui me permettrait de trouver la clé de cette énigme. Je me décide
ainsi à me repasser la tournure des évènements dans ma tête afin d’être sûre de n’avoir laissé
échapper aucun détail.
Le jeudi 15 mars aux alentours de huit heures, je me rendais en région parisienne, suite
à un coup de fil reçu un peu plus tôt dans la matinée. Dans une rue bordée d’habitations, la
devanture d’un bar faisait face au numéro 7. C’était une petite maison de brique rouge,
entourée d’un jardin verdoyant. La porte située à gauche de l’entrée s’ouvrait sur un salon
moderne tout droit sorti d’une publicité d’un de ces magasins d’ameublement. Les rideaux
étaient entrouverts et laissaient filtrer quelques rayons de soleil qui venaient éclairer la pièce.
Au milieu de ce décor immaculé, d’une chaleur étouffante, gisait à mes pieds le corps d’une
femme. Elle était jeune et d’une beauté saisissante si on eut oublié le couteau planté au beau
milieu de sa poitrine. Elle était allongée de tout son long sur le carrelage froid et gris d’une
propreté impeccable, les yeux ouverts, fixant le plafond, une multitude de bleus lui recouvrant
le corps par endroits. C’était un éboueur qui l’avait retrouvée morte le matin même et qui
s’était empressé de téléphoner à la police. Comme tous les jeudis, il était venu avec son
collègue vider les poubelles vertes présentes sur le trottoir. Alors qu’il remettait celle du
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numéro 7 là où il l’avait trouvée, il avait vu la porte d’entrée entrebâillée et s’en était
approché. Il avait sonné mais aucune réponse ne lui était parvenue. Il avait appelé "Ohé, y’a
quelqu’un ?" mais toujours ce silence pesant. Il avait donc poussé doucement la porte, fait
quelques pas et s’était arrêté sur le seuil du salon. Pendant un court instant il était resté pétrifié
à la vue du corps inanimé étendu sur le sol, puis il avait couru dans la rue rejoindre son
collègue qui l’attendait au volant du camion benne, tout en composant fébrilement le numéro
d’urgence de la police sur son téléphone. Suite à sa déposition, le seul indice que nous avions
pu nous procurer avait été un test de grossesse positif retrouvé dans la poubelle de la salle de
bain, à côté de la douche. Aucune empreinte sur le couteau à part celle de la victime, aucune
caméra de vidéosurveillance, aucune trace de chaussure, rien qui aurait pu nous mettre sur la
piste d’un éventuel coupable. Nous avions tout d’abord suspecté le mari de la victime qui était
arrivé en titubant une heure plus tard. Il avait les clefs de la maison, il était affectivement lié à
cette femme et ne voulait pas coopérer. Cependant, après vérification de son alibi, nous
dûment revenir à l’évidence : ce n’était pas lui qui avait tué son épouse. Il avait passé toute la
soirée dans le bar de l’autre côté de la rue et avait terminé lamentablement sa nuit sur le
canapé d’un de ses amis.
Cela fait donc désormais deux semaines que l’enquête stagne et que rien ne vient
m’éclairer dans mes recherches. Je n’arrive plus à réfléchir correctement, il faut que je me
détende un bon moment. Je vais prendre une douche. Une fois enveloppé d’un manteau d’eau
tiède, je laisse les gouttes ruisseler sur mon corps tout en laissant échapper mes idées. Pendant
vingt minutes je reste ainsi, à contempler le plafond et puis me rappelle qu’il ne faut pas que
je m’éternise, qu’une enquête est à résoudre tout de même ! Je prends ma serviette, la noue
autour de ma taille et sort de la douche tout en jetant un regard vers ma poubelle où il y a un
magazine dont la couverture présente la nouvelle collection de vêtements pour bébés de je ne
sais qu’elle marque. Je me sèche, m’habille et me rends dans la cuisine afin de contenter mon
estomac qui gargouille. J’allume la radio, sort une pomme du frigo et croque dedans à pleines
dents tout en constatant que derrière les carreaux les gros nuages gris ont laissé place à un
radieux soleil. Alors qu’à la radio les présentateurs énumèrent les résultats des jeux
paralympiques de Pyeongchang, à la fenêtre, les gouttes amassées sur la vitre après l’épisode
pluvieux disparaissent les unes après les autres sous l’action bénéfique du soleil. Mon
attention se reporte sur le transistor où une chanson de Bigflo et Oli "Dommage" est diffusée.
Ma fille me bassine avec cette ritournelle depuis qu’elle l’a entendue passer à la télé aux
victoires de la musique. Je me dis que ce serait bien de m’intéresser à ce qu’elle écoute alors
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je fais attention aux paroles. C’est alors que le dernier couplet me livre ce que je cherchais
depuis deux semaines… un indice me permettant de débloquer mon affaire !
« Pauline elle est discrète, elle oublie qu'elle est belle Elle a sur tout le corps des tâches de la couleur du ciel Son mari rentre bientôt, elle veut même pas y penser
Quand il lui prend le bras, c'est pas pour la faire danser Elle repense à la mairie, cette décision qu’elle a prise
A cet après-midi où elle avait fait sa valise Elle avait un avenir, un fils à élever
Après la dernière danse, elle s'est pas relevée »
Ce fut comme une révélation : un décodage de cette brume de mots et j’avais trouvé la
clef de l’énigme ! Tout était clair dans ma tête, le déroulement des faits était évident et tout
était explicable ! Tout d’abord, la victime était la cible de violences physiques,
psychologiques et sexuelles quotidiennes de la part de son conjoint. Lors de l’un de ces
rapports non consentis, elle était tombée enceinte. La veille de sa mort, de nouvelles violences
avaient eu lieu, causant les multiples contusions que nous avions pu constater. Son mari
l’avait sauvagement frappée puis, par ce temps glacial, s’en était aller boire un coup dans le
bar d’en face afin de se réchauffer, en la laissant dans un piteux état. Quinze minutes environ
après que son tortionnaire fut parti, elle se glissa sous la douche et y resta un long moment en
vidant toutes les larmes de son corps. C’est aussi en sortant de la douche que, comme moi tout
à l’heure qui avais vu le magazine pour bébés, elle avait aperçu le test de grossesse au fond de
sa poubelle. A partir de ce moment, elle n’avait plus qu’un objectif : sauver l’avenir de son
enfant à tous prix ! Elle s’était ressaisie, s’était habillée et s’était retrouvée dans la cuisine,
debout devant le présentoir à couteaux, regardant d’un œil morne par la fenêtre, le bar qui
faisait front à leur maison. Ce n’était plus possible, elle ne pouvait plus continuer ainsi… à
survivre dans la peur. Elle aurait continué à subir si elle avait été toute seule… mais
maintenant c’était différent, ils seraient deux, elle ne pouvait infliger un tel supplice à son
enfant. Elle avait alors pris un couteau, étant déterminée à s’occuper de son bourreau de mari
quand il reviendrait. Alors qu’elle élaborait la meilleure stratégie possible, ses cheveux qui
n’étaient pas bien essorés, gouttaient sur le sol. Avec la température négative de l’extérieur,
les gouttes qui s’écrasaient contre le carrelage formaient de vastes plaques verglacées. En
attendant le retour de son conjoint, elle avait nettoyé le salon de fond en comble. Elle en avait
également profité pour sortir à l’extérieur le collecteur de verres débordant de bouteilles de
bière vides. De retour dans la maison, elle avait allumé le chauffage et s’était dirigée vers le
canapé. C’est alors qu’elle avait glissé la tête la première sur le carrelage froid et humide et le
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couteau, toujours dans sa main, était venu se loger dans son cœur. Ce que ne dit pas l’histoire,
c’est qu’avant de s’éteindre, elle avait juste trouvé la force de se retourner sur le dos, de poser
sa main sur son ventre et de murmurer sur une note de désespoir : "Pardon mon amour".
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