Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire
pour se convertir et se sauver
ROSE BLANCHE
1. Ministres du Très-Haut, prédicateurs de la vérité, trompettes de
l'Evangile, permettez-moi de vous présenter la rose blanche de ce
petit livre pour mettre en votre coeur et en votre bouche les
vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse. En votre
coeur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire
et en goûter les fruits. En votre bouche, pour prêcher aux autres
l'excellence de cette pratique et les convertir par ce moyen.
Prenez bien garde, s'il vous plaît, de regarder comme le vulgaire,
et même comme plusieurs savants orgueilleux, cette pratique comme
petite et de peu de conséquence; elle est vraiment grande, sublime
et divine. C'est le ciel qui nous l'a donnée, et l'a donnée pour
convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus
obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire
dans l'autre. Les saints l'ont pratiquée et les souverains Pontifes
l'ont autorisée. Oh! qu'un prêtre et un directeur des âmes est
heureux, à qui le Saint-Esprit a révélé ce secret inconnu de la
plus grande partie des hommes ou qui ne le connaissent que
superficiellement! S'il en reçoit la connaissance pratique, il le
récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa
sainte Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un
instrument de sa gloire; et il fera plus de fruit par sa parole,
quoique simple, en un mois, que les autres prédicateurs en
plusieurs années.
2. Ne nous contentons donc pas, mes chers confrères, de le
conseiller aux autres; il faut que nous le pratiquions nous- mêmes.
Nous pourrons être convaincus dans l'esprit de l'excellence du
saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se
mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne
ne donne ce qu'il n'a pas:
"Coepit Jesus facere et docere". Imitons Jésus-Christ, qui a
commencé par faire ce qu'il a enseigné. Imitons l'Apôtre, qui ne
connaissait et ne prêchait que Jésus-Christ crucifié. C'est ce que
nous ferons en prêchant le saint Rosaire qui, comme vous verrez
ci-après, n'est pas seulement une composition de Pater et d'Ave,
mais un divin abrégé de la vie, de la passion, de la mort et la
gloire de Jésus et Marie. Si je croyais que l'expérience que Dieu
m'a donnée de l'efficace de la prédication du saint Rosaire pour
convertir les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire
malgré la mode contraire des prédicateurs, je vous dirais les
conversions merveilleuses que j'ai vues arriver en prêchant le
saint Rosaire; mais je me contente de vous rapporter en cet abrégé
quelques histoires anciennes et bien approuvées. J'ai seulement, en
votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons
auteurs qui prouvent ce que j'explique au peuple en français.
ROSE ROUGE
3. C'est à vous, pauvres pécheurs et pécheresses, qu'un plus grand
pécheur que vous offre cette rose rougie du sang de Jésus-Christ
pour vous fleurir et vous sauver. Les impies et pécheurs
impénitents crient tous les jours: "Coronemus nos rosis":
couronnons-nous de roses. Chantons aussi: Couronnons- nous des
roses du saint Rosaire. Ah! que leurs roses sont bien différentes
des nôtres; leurs roses sont leurs plaisirs charnels, leurs vains
honneurs et leurs richesses périssables, qui seront bientôt
flétries et pourries; mais les nôtres, qui sont nos Pater et nos
Ave bien dits, joints avec nos bonnes oeuvres de pénitence, ne se
flétriront, ni ne passeront jamais et leur éclat sera aussi
brillant en cent mille ans d'ici qu'à présent. Leurs roses
prétendues n'ont que l'apparence de roses, elles ne sont, dans le
fond, que des épines piquantes pendant la vie par les remords de la
concience, perçantes à la mort par le repentir et brûlantes à toute
éternité par la rage et le desespoir. Si nos roses ont des épines,
ce sont des épines de Jésus- Christ qui convertit nos épines en
roses. Si nos roses piquent, elles ne piquent que pour un temps,
elle ne piquent que pour nous guérir du péché et nous sauver.
4. Couronnons-nous à l'envi de telles roses du paradis, récitant
tous les jours un Rosaire, c'est-à-dire trois chapelets de cinq
dizaines chacun ou trois petits chapeaux de fleurs ou couronnes: 1
pour honorer les trois couronnes de Jésus et de Marie, la couronne
de grâce de Jésus dans son incarnation, sa couronne d'épines dans
sa passion et sa couronne de gloire dans le ciel, et la triple
couronne que Marie a reçue dans le ciel de la très sainte Trinité;
2 pour recevoir de Jésus et de Marie trois couronnes, la première
de mérite pendant la vie, la seconde de paix à la mort et la
troisième de gloire dans le paradis. Si vous êtes fidèles à le
dire, malgré la grandeur de vos péchés, dévotement jusqu'à la mort,
croyez-moi: "Percipietis coronam immarcescibilem", vous recevrez
une couronne de gloire qui ne se flétrira jamais. Quand vous seriez
sur le bord de l'abîme, quand vous auriez déjà un pied dans
l'enfer, quand vous auriez vendu votre âme au diable comme un
magicien, quand vous seriez un hérétique endurci et obstiné comme
un démon, vous vous convertirez tôt ou tard et vous sauverez,
pourvu que, je le répète et remarquez les paroles et les termes de
mon conseil, vous disiez tous les jours le saint Rosaire dévotement
jusqu'à la mort pour connaître la vérité et obtenir la contrition
et le pardon de vos péchés. Vous verrez en cet ouvrage plusieurs
histoires de grands pécheurs convertis par la vertu du saint
Rosaire. Lisez-les pour les méditer. Dieu seul.
ROSIER MYSTIQUE
5. Vous ne trouverez pas mauvais, âmes dévotes et éclairées par le
Saint-Esprit, que je vous donne un petit rosier venu du ciel pour
planter dans le jardin de votre âme; il n'endommagera pas les
fleurs odoriférantes de vos contemplations. Il est très odoriférant
et tout divin, il ne gâtera rien dans l'ordre de votre parterre; il
est très pur et bien ordonné, il porte tout à l'ordre et à la
pureté: il croît d'une hauteur si prodigieuse et devient d'une si
grande étendue, si on l'arrose et si on le cultive comme il faut
tous les jours, que non seulement il n'empêche pas, mais même
conserve et perfectionne toutes les autres dévotions. Vous qui êtes
spirituelles, vous m'entendez bien! Ce rosier est Jésus et Marie
dans la vie, la mort et dans l'éternité.
6. Les feuilles vertes de ce rosier mystique expriment les mystères
joyeux de Jésus et de Marie; les épines, les douloureux; et les
fleurs, les glorieux. Les roses en boutons sont l'enfance de Jésus
et de Marie; les roses ouvertes représentent Jésus et Marie dans
les souffrances, et les roses épanouies montrent Jésus et Marie
dans leur gloire et leur triomphe. La rose réjouit par sa beauté:
voilà Jésus et Marie dans les mystères joyeux; elle pique par ses
épines: les voilà dans les mystères douloureux; et elle réjouit par
la suavité de son odeur: les voilà enfin dans les mystères
glorieux. Ne méprisez donc pas ma plante heureuse et divine,
plantez-la vous-mêmes en votre âme en prenant la résolution de
réciter votre Rosaire; cultivez-la et arrosez-la en le récitant
fidèlement tous les jours et en faisant de bonnes oeuvres, et vous
verrez que ce grain qui paraît présentement si petit deviendra avec
le temps un grand arbre où les oiseaux du ciel, c'est-à-dire les
âmes prédestinées et élevées en contemplation, feront leur nid et
leur demeure pour être, sous l'ombre de ses feuilles, garanties des
ardeurs du soleil, pour être préservées par sa hauteur des bêtes
féroces de la terre, et enfin pour être délicatement nourries par
son fruit qui n'est autre que l'adorable Jésus, auquel soit honneur
et gloire dans les siècles des siècles. Amen. Ainsi soit-il. Dieu
seul.
BOUTON DE ROSE
7. Je vous offre, mes petits enfants, un beau bouton de rose; c'est
un des petits grains de votre chapelet qui vous paraît si peu de
chose! Que ce grain est précieux! Oh! que ce bouton de rose est
admirable, oh! qu'il s'épanouira large si vous dites dévotement
vote Ave Maria! Ce serait trop vous demander que de vous conseiller
un Rosaire tous les jours. Dites au moins votre chapelet tous les
jours bien dévotement, qui est un petit chapeau de roses que vous
mettrez sur la tête de Jésus et de Marie. Croyez-moi, écoutez la
belle histoire et la retenez bien.
8. Deux petites filles, toutes deux soeurs, étant à la porte de
leur logis à dire le chapelet dévotement, une belle dame s'apparut
à elles, approche de la plus jeune qui n'avait que six à sept anas,
la prit par la main et l'emmène. Sa soeur aînée, toute étonnée, la
cherche et ne l'ayant pu trouver s'en vint toute éplorée à la
maison et dit qu'on avait emporté sa
soeur. Le père et la mère cherchèrent inutilement pendant trois
jours. Au bout du troisième jour, ils la trouvèrent à la porte avec
un visage gai et joyeux; ils lui demandèrent d'où elle venait; elle
dit que la dame à laquelle elle disait son chapelet l'avait emmenée
dans un beau lieu et lui avait donné à manger de bonnes choses et
lui avait mis entre les bras un joli petit enfant qu'elle avait
tant baisé. Le père et la mère, qui étaient nouvellement convertis
à la foi, firent venir le révérend père jésuite qui les avait
instruits dans la foi et la dévotion du Rosaire, ils lui
racontèrent ce qui s'était passé. C'est de lui que nous l'avons su.
Ceci est arrivé dans le Paraguay. Imitez, mes petits enfants, ces
petites filles, et dites comme elle tous les jours votre chapelet,
et vous mériterez par là d'aller en paradis et de voir Jésus et
Marie, sinon pendant la vie, du moins après la mort pendant
l'éternité. Ainsi soit-il. Que les savants donc et les ignorants,
que les justes et les pécheurs, que les grands et les petits louent
et saluent jour et nuit par le saint Rosaire Jésus et Marie.
"Salutate Mariam, quae multum laboravit in vobis" (Rm 16,6)
PREMIERE DIZAINE L'excellence du saint Rosaire dans son origine et
son nom.
1ère Rose 9. Le Rosaire renferme deux choses, savoir: l'oraison
mentale et l'oraison vocale. L'oraison mentale du saint Rosaire
n'est autre que la méditation des principaux mystères de la vie, de
la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère.
L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave
Maria précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on
contemple les quinze vertus principales que Jésus et Marie ont
pratiquées dans les quinze mystères du saint Rosaire. Dans le
premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore et on
considère les cinq mystères joyeux; au second les cinq mystères
douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le
saint Rosaire est un sacré composé de l'oraison vocale et mentale
pour honorer et imiter les mystères et les vertus de la vie, de la
mort et de la passion et de la gloire de Jésus-Christ et de
Marie.
2 Rose 10. Le saint Rosaire dans son fond et dans sa substance
étant composé de la prière de Jésus-Christ et de la Salutation
angélique, savoir le Pater et l'Ave, et de la méditation des
mystères de Jésus et de Marie, c'est sans doute la première prière
et la première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les
disciples a été en usage de siècle en siècle jusqu'à nous.
11. Cependant le saint Rosaire, dans sa forme et la méthode dont on
le récite à présent, n'a été inspiré à son Eglise, donné de la très
sainte Vierge à saint Dominique pour convertir les hérétiques
albigeois et les pécheurs, qu'en l'an 1214, de la manière que je
vais dire, comme le rapporte le bienheureux Alain de la Roche dans
son fameux livre intitulé: "De Dignitate psalterii". Saint
Dominique, voyant que les crimes des hommes mettaient obstacle à la
conversion des Albigeois, entra dans une forêt proche de Toulouse
et y passa trois jours et trois nuits dans une continuelle oraison
et pénitence; il ne cessait de gémir, de pleurer et de se macérer
le corps à coups de discipline, afin d'apaiser la colère de Dieu,
de sorte qu'il tomba à demi mort. La Sainte Vierge lui apparut,
accompagnée de trois princesses du ciel et lui dit: "Sais-tu, mon
cher Dominique, de quelle arme la Sainte-Trinité s'est servie pour
réformer le monde? - O Madame, répondit-il, vous le savez mieux que
moi, car après votre Fils Jésus-Christ vous avez été le principal
instrument de notre salut." Elle ajouta: "Sache que la principale
pièce de batterie a été le psautier angélique, qui est le fondement
du Nouveau Testament; c'est pourquoi, si tu veux gagner à Dieu ces
coeurs endurcis, prêche mon psautier." Le saint se leva tout
consolé et, brûlant du zèle du salut de ces peuples, il entra dans
l'église cathédrale; incontinent les cloches sonnèrent par
l'entremise des anges pour assembler les habitants, et au
commencement de la prédication un orage effroyable s'éleva; la
terre trembla, le soleil s'obscurcit, les tonnerres et les éclairs
redoublés firent pâlir et trembler tous les auditeurs; et leur
terreur augmenta quand ils virent une image de la Sainte Vierge
exposée sur un lieu éminent, lever les bras par trois fois vers le
ciel pour demander vengeance à Dieu contre eux, s'ils ne se
convertissaient et ne recouraient à la protection de la sacrée Mère
de Dieu. Le ciel voulait par ces prodiges augmenter la
nouvelle
dévotion du saint Rosaire et la rendre plus fameuse. L'orage cessa
enfin par les prières de saint Dominique. Il poursuivit son
discours et expliqua avec tant de ferveur et de force l'excellence
du saint Rosaire, que les Toulousains l'embrassèrent presque tous
et renoncèrent presque tous à leurs erreurs, et l'on vit, en peu de
temps, un grand changement de moeurs et de vie dans la ville.
3 Rose 12. Cet établissement miraculeux du saint Rosaire, qui a
quelque rapport avec la manière dont Dieu donna sa loi au monde sur
la montagne de Sinaï, montre évidemment l'excellence de cette
divine pratique; aussi saint Dominique, inspiré du Saint-Esprit,
instruit par la Sainte Vierge et par sa propre expérience, prêcha
tout le reste de sa vie le saint Rosaire par exemple et de vive
voix dans les villes et les campagnes, devant les grands et les
petits, devant les savants et les ignorants, devants les
catholiques et les hérétiques. Le saint Rosaire, qu'il récitait
tous les jours, était sa préparation devant la prédication et son
rendez-vous après la prédication.
13. Lorsque le saint était, un jour de Saint-Jean l'Evangéliste, à
Notre-Dame de Paris, derrière le grand autel, dans une chapelle,
pour se préparer à prêcher, en récitant le saint Rosaire, la Sainte
Vierge lui apparut et lui dit: "Dominique, quoique ce que tu as
préparé pour prêcher soit bon, voici pourtant un sermon bien
meilleur que je t'apporte." Saint Dominique reçoit de ses mains le
livre où était ce sermon, le lit, le goûte et le comprend, en rend
grâce à la Sainte Vierge. L'heure du sermon arrivé, il monte en
chaire et, après n'avoir dit à la louange de saint Jean
l'Evangéliste autre chose sinon qu'il avait mérité d'être le
gardien de la Reine du ciel, il dit à toute l'assemblée des grands
et des docteurs qui étaient venus l'entendre, qui étaient
accoutumés à n'entendre que des discours curieux et polis, mais
que, pour lui, il ne parlerait point dans les paroles savantes de
la sagesse humaine, mais dans la simplicité et la force du Saint-
Esprit. Alors saint Dominique leur prêcha le saint Rosaire et leur
expliqua mot à mot, comme à des enfants, la Salutation angélique,
en se servant des comparaisons fort simples qu'il avait lues dans
le papier que lui avait donné la Sainte Vierge.
14. Voici les propres paroles du savant Cartagène qu'il a tirées en
partie du livre du bienheureux Alain de la Roche intitulé "De
Dignitate psalterii": B. Alanus Patrem sanctum Dominicum sibi haec
in revelatione dixisse testatur: "Tu praedicas, fili, sed uti
caveas ne potius laudem humanam quaerans quam animarum fructum,
audi quid mihi Parisiis contigit. Debebam in majori ecclesia beatae
Mariae praedicare, et volebam curiose non jactantiae causa, sed
propter astantium facultatem et dignitatem. Cum igitur more meo per
horam fere ante sermonem in psalterio meo (Rosarium intelligit)
quadam capilla post altare majus orarem, subito factus in raptum,
cernebam amicam meam Dei Genitricem afferentem mihi libellum et
dicentem: "Dominice, et si bonum est quod praedicare disposuisti
sermonem, tamen longe meliorem attuli." Laetus librum capio, lego
constanter, ut dixit, reperio, gratias ago, adest hora sermonis,
adest parisiensis Universitas tota, dominorumque numerus magnus.
Audiebant quippe et videbant signa magna quae per me Dominus
operabatur; itaque ambonem ascendo. Festum est sancti Joannis
Evangelistae. De eo aliud non dico nisi quod custos singularis esse
meruit Reginae coeli. Deinde auditores sic alloquor: Domini et
Magistri praestantissimi, aures reverentiae vestrae solitae sunt
curiosos audire sermones et auscultare. At nunc ego non in doctis
humanae sapientiae verbis, sed in ostentione spiritus et virtutis
loquar." Tunc, ait Carthagena post beatum Alanum, stans Dominicus
eis explicavit Salutationem angelicam comparationibus et
similitudinibus familiaribus hoc modo.
15. Et le bienheureux Alain de la Roche, comme dit le même
Cartagène, rapporte plusieurs autres apparitions de Notre- Seigneur
et de la Sainte Vierge à saint Dominique pour le preser et l'animer
de plus en plus à prêcher le saint Rosaire, afin de détruire le
péché et de convertir les pécheurs et les hérétiques: il dit en un
endroit: "Beatus Alanus dicit sibi a beata Virgine revelatum fuisse
Christum Filium suum apparuisse post se sancto Dominico et ipsi
dixesse: "Dominice, gaudeo quod non confidas in tua sapientia, sed
cum humilitate potius affectas salvare animas quam vanis hominibus
placere. Sed multi praedicatores statim volunt contra gravissima
peccata instare, ignorantes quod ante gravem medicinam debet fieri
praeparatio, ne medicina sit inanis et vacua: quapropter prius
homines debent induci ad orationis devotionem et signanter ad
psalterium meum angelicum; quoniam, si omnes coeperint hoc
orare, non dubium est quin perseverantibus aderit pietas divinae
clementiae. Praedica ergo psalterium meum".
16. Il dit dans un autre endroit: "Omnes sermocinantes et
praedicantes christicolis exordium pro gratia impetranda a
Salutatione angelica faciunt. Hujus rei ratio sumpta est ex
revelatione facta beato Dominico cui beata Virgo dixit: "Dominice,
fili, nil mireris quod concionando minime proficias. Enimvero aras
solum a pluvia non irrigatum. Scitoque, cum Deus renovare decrevit
mundum Salutationis angelicae pluviam praemisit; sicque ipse in
melius est reformatus. - Hortare igitur homines in concionibus ad
Rosarii mei recitationen, et magnos animarum fructus colliges."
Quod sanctus Dominicus strenue executus uberes ex suis concionibus
animarum fructus retulit."
17. J'ai pris plaisir à rapporter mot à mot ces passages latins de
ces bons auteurs en faveur des prédicateurs et personnes savantes
qui pourraient révoquer en doute la merveilleuse vertu du saint
Rosaire. Pendant qu'à l'exemple de saint Dominique les prédicateurs
prêchaient la dévotion du saint Rosaire, la piété et la ferveur
florissaient dans les ordres religieux qui pratiquaient cette
dévotion, et dans le monde chrétien; mais depuis qu'on eut négligé
ce présent venu du ciel, on ne vit que péchés et que désordres
partout.
4 Rose 18. Comme toutes choses, même les plus saintes, quand
particulièrement elles dépendent de la volonté des hommes, sont
sujettes aux changements, il ne faut pas s'étonner si la confrérie
du saint Rosaire n'a subsisté en sa première ferveur qu'environ
cent ans, après son institution; ainsi, elle a été presque
ensevelie dans l'oubli. Outre que la malice et l'envie du démon a
sans doute beaucoup contribué à faire négliger le saint Rosaire
pour arrêter le cours des grâces de Dieu que cette dévotion
attirait au monde. En effet, la justice divine affligea tous les
royaumes de l'Europe l'an 1349 de la plus terrible peste que l'on
ait jamais vue, laquelle, du levant, se répandit dans l'Italie,
l'Allemagne, la France, la Pologne, la Hongrie, et de là presque
toutes ces terres furent dévastées, car de cent hommes à peine en
restait-il un en vie; les villes, les bourgs, les villages et les
monastères furent entièrement désertés pendant trois ans que dura
cette
contagion. Et ce fléau de Dieu fut suivi de deux autres: de
l'hérésie des Flagellants et d'un malheureux schisme en 1376.
19. Après que, par la miséricorde de Dieu, ces misères eurent
cessé, la sainte Vierge ordonna au bienheureux Alain de la Roche,
célèbre docteur et fameux prédicateur de l'ordre de Saint-Dominique
du couvent de Dinan en Bretagne, de renouveler l'ancienne confrérie
du saint Rosaire, afin que, comme cette célèbre confrérie avait
pris naissance en cette province, un religieux de la même province
eût l'honneur de la rétablir. Ce bienheureux Père commença à
travailler à ce grand ouvrage l'an 1460, après particulièrement que
Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il rapporte de lui-même, lui
ayant dit un jour dans la sainte Hostie, lorsqu'il célébrait la
sainte Messe afin de le déterminer à prêcher le saint Rosaire:
"Quoi donc, lui dit Jésus-Christ, tu me crucifie encore derechef! -
Comment, Seigneur? répondit le bienheureux Alain tout épouvanté.-
Ce sont les péchés qui me crucifient, lui répondit Jésus-Christ, et
j'aimerais mieux être crucifié encore une fois que de voir mon Père
offensé par les péchés que tu as autrefois commis. Et tu me
crucifies encore à présent, parce que tu as la science et ce qui
est nécessaire pour prêcher le Rosaire de ma Mère et par ce moyen
instruire et retirer plusieurs âmes du péché; et tu les sauverais
et tu empêcherais de grands maux; et ne le faisant pas, tu es
coupable des péchés qu'ils commettenmt." Ces terribles reproches
firent résoudre le bienheureux Alain de prêcher incessamment le
Rosaire.
20. La Sainte Vierge lui dit aussi un jour, pour l'animer de plus
en plus à prêcher le saint Rosaire: "Tu as été un grand pécheur en
ta jeunesse, mais j'ai obtenu de mon fils ta conversion, j'ai prié
pour toi et j'ai désiré, s'il eût été possible, toutes sortes de
peines pour te sauver parce que les pécheurs convertis sont ma
gloire, et pour te rendre digne de prêcher partout mon Rosaire."
Saint Dominique, lui découvrant les grands fruits qu'il avait faits
parmi les peuples par cette belle dévotion qu'il leur prêchait
continuellement, lui disait: "Vides quomodo profecerim in sermone
isto; id etiam facies et tu, et omnes Mariae amatores, ut sic
trahatis omnes populos ad omnem scientiam virtutum." "Voyez le
fruit que j'ai fait par la prédication du saint Rosaire; faites-en
de même, vous et tous les autres qui aimez la sainte Vierge, afin
que vous attiriez, par ce saint exercice du Rosaire, tous les
peuples à la véritable science des vertus."
Voilà en abrégé ce que l'histoire nous apprend de l'établissement
du saint Rosaire par saint Dominique et de sa rénovation par le
bienheureux Alain de la Roche.
5 Rose 21. Il n'y a à proprement parler qu'une sorte de confrérie
du Rosaire composé de 150 Ave Maria; mais par rapport à la ferveur
des différentes personnes qui le pratiquent, il y en a de trois
sortes, savoir: le Rosaire commun ou ordinaire, le Rosaire
perpétuel et le Rosaire quotidien. La confrérie du Rosaire
ordinaire n'exige qu'on le récite qu'une fois par semaine. Celle du
Rosaire perpétuel qu'une fois par an, mais celle du Rosaire
quotidien demande qu'on le dise tous les jours tout entier,
c'est-à-dire 150 Ave Maria. Aucun de ces Rosaires n'engage à péché,
pas même véniel, si on vient à y manquer, parce que cet engagement
est volontaire et de surérogation; mais il ne faut pas s'enrôler
dans la confrérie si on n'a pas la volonté déterminée à le réciter
selon que la confrérie le demande autant qu'on le pourra sans
manquer aux obligations de l'état. Ainsi lorsque la récitation du
saint Rosaire se trouve en concurrence avec une action à laquelle
l'état engage, on doit préférer cette action au Rosaire, quelque
saint qu'il soit. Lorsque dans la maladie on ne peut le dire ni
tout entier ni en partie, sans augmenter son mal, on n'y est pas
obligé. Lorsque par une obéissance légitime, ou par un oubli
involontaire, ou par une nécessité pressante, on n'a pas pu le dire
il n'y a aucun péché, même véniel; on ne laisse pas de participer
aux grâces et aux mérites des autres frères et soeurs du saint
Rosaire qui le disent dans le monde. Chrétien, si vous manquez même
de le dire par pure négligence, sans aucun mépris formel, vous ne
péchez pas aussi, absolument parlant, mais vous perdez la
participation des prières et des bonnes oeuvres et mérites de la
confrérie, et par votre infidélité en choses petites et de
surérogation, vous tomberez insensiblement dans l'infidélité aux
choses grandes et d'obligation essentielle; car: "Qui spernit
modica paulatim decidet".
6 Rose 22. Depuis le temps que saint Dominique a établi cette
dévotion jusqu'à l'an 1460, que le bienheureux Alain de la Roche,
par l'ordre du ciel, l'a renouvelée, on l'appelle le psautier de
Jésus et de la sainte Vierge, parce qu'elle contient autant de
Salutations angéliques que le psautier de
David contient de psaumes, et que, les simples et les ignorants ne
pouvant pas réciter le psautier de David, on trouve dans la
récitation du saint Rosaire un fruit égal à celui qu'on tire de la
récitation des psaumes de David et même encore un plus abondant: 1
Parce que le psautier angélique a un fruit plus noble, savoir: le
Verbe incarné, au lieu que le psautier de David ne fait que le
prédire; 2 Comme la vérité surpasse la figure et le corps l'ombre,
de même le psautier de la sainte Vierge surpasse le psautier de
David qui n'en a été que l'ombre et la figure; 3 Parce que la
Sainte-Trinité a immédiatement fait le psautier de la sainte Vierge
ou le Rosaire composé du Pater et de l'Ave. Voici ce que le savant
Cartagène rapporte sur ce sujet: "Sapientissimus Aquensis, libro
ejus de Rosacea Corona ad Imperatorun Maximilianum conscripto,
dicit: "Salutandae Mariae ritus novitiis inventis haud quaquam
adscribitur. Si quidem cum ipsa pene ecclesia pullulavit; nam cum
inter ipsa nascentis ecclesiae primordia, perfectiores quoque
fideles tribus illis Davidicorum psalmorum quinquagenis, divinas
laudes assidue celebrarent, ad rudiores quoque qui modo arctius
divinis vacabant piis moris aemulatio est derivata... rati id quod
erat, cuncta illorum sacramenta psalmorum in coelesti hoc elogio
delitescere, si quidem eum quem psalmi venturum concinunt, hunc jam
adesse, haec formula nuntiavit; sicque trinas salutationum
quinquagenas "Mariae Psalterium" appellare coeperunt, oratione
utique dominica in singulas decades ubique preposita prout a
psalmidicis observari ante adverterunt."
23. Le psautier ou le Rosaire de la sainte Vierge est divisé en
trois chapelets de cinq dizaines chacun: 1 pour honorer les trois
personnes de la Sainte-Trinité; 2 pour honorer la vie, la mort et
la gloire de Jésus-Christ; 3 pour imiter l'Eglise triomphante, pour
aider la militante et soulager la souffrante; 4 pour imiter les
trois parties des psaumes dont la première est pour la voie
purgative, la seconde pour la vie illuminative et la troisième pour
la vie unitive; 5 pour nous remplir de grâces pendant la vie, de
paix à la mort et de gloire dans l'éternité.
7 Rose 24. Depuis que le bienheureu Alain de la Roche a renouvelé
cette dévotion, la voix publique, qui est la voix de Dieu, lui a
donné le nom de Rosaire qui signifie couronne de roses;
c'est-à-dire que toutes les fois que l'on dit comme il faut son
Rosaire, on met sur la tête de Jésus et de Marie une couronne
composée de cent-cinquante-trois roses blanches et de 16 roses
rouges du paradis, lesquelles ne perdront jamais ni leur beauté ni
leur éclat. La Sainte Vierge a approuvé et condfirmé ce nom de
rosaire, révélant à plusieurs qu'ils lui présentaient autant
d'agréables roses qu'ils réciteront d'Ave Maria en son honneur et
autant de couronnes de roses qu'ils diront de Rosaires.
25. Le frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, récitait
son Rosaire avec tant d'ardeur qu'il voyait souvent, à chaque
Pater, sortir de sa bouche une rose vermeille, et à chaque Ave
Marie une blanche égale en beauté et en bonne odeur et seulement
différente de couleur. Les chroniques de saint François racontent
qu'un jeune religieux avait cette louable coutume de dire tous les
jours avant son repas la couronne de la sainte Vierge. Un jour, par
je ne sais quel accident, il y manqua; le dîner étant sonné, il
pria le supérieur de lui permettre de la réciter avant que d'aller
à table. Avec cette permission, il se retira dans sa chambre; mais
comme il tardait trop, le supérieur envoya un religieux pour
l'appeler. Ce religieux le trouva dans sa chambre, tout éclatant
d'une céleste lumière, et la sainte Vierge avec deux anges auprès
de lui; à mesure qu'il disait un Ave Maria, une belle rose sortait
de sa bouche, les anges prenaient les roses l'une après l'autre et
les mettaient sur la tête de la sainte Vierge qui en témoignait de
l'agrément. Deux autres religieux envoyés pour voir la cause du
retardement des autres virent tout ce mystère, et la sainte Vierge
ne disparut point que la couronne ne fût récitée. Le Rosaire est
donc une grande couronne et le chapelet un petit chapeau de fleurs
ou petite couronne de roses célestes qu'on met sur la tête de Jésus
et de Marie. La rose est la reine des fleurs, de même le Rosaire
est la rose et la première des dévotions.
8 Rose 26. Il n'est pas possible d'exprimer combien la sainte
Vierge estime le Rosaire sur toutes les dévotions et combien elle
est magnifique à récompenser ceux qui travaillent à le prêcher,
l'établir et le cultiver; et au contraire combien elle est terrible
contre ceux qui veulent s'y opposer.
Saint Dominique n'a eu rien tant à coeur pendant sa vie que de
louer la sainte Vierge, de prêcher ses grandeurs et d'animer tout
le monde à l'honorer par son Rosaire. Cette puissante Reine du ciel
n'a cessé aussi de répandre sur ce saint des bénédictions à pleines
mains; et elle a couronné ses travaux de mille prodiges et
miracles, il n'a jamais rien demandé à Dieu qu'il ne l'ait obtenu
par l'intercession de la sainte Vierge; et, pour comble de faveur,
elle l'a rendu victorieux de l'hérésie del Albigeois et fait père
et patriarche d'un grand ordre.
27. Que dirai-je du bienheureux Alain de la Roche, réparateur de
cette dévotion? La sainte Vierge l'a honoré plusieurs fois de sa
visite pour l'instruire des moyens de faire son salut, de se rendre
bon prêtre, parfait religieux et imitateur de Jésus-Christ. Pendant
les tentations et les persécutions horribles des démons qui le
réduisaient à une extrême tristesse et presque au désespoir, elle
le consolait et dissipait par sa douce présence tous ces nuages et
ces ténèbres. Elle lui a enseigné la méthode de dire le Rosaire,
ses excellences et ses fruits; elle l'a favorisé de la glorieuse
qualité de son nouvel époux, et pour gage de ses chastes
affections, elle lui a mis une bague au doigt, un collier fait de
ses cheveux au col, et lui a donné un Rosaire. L'abbé Tritème, le
docte Cartagène, le savant Martin Navarre et les autres en parlent
avec éloges. Après avoir attiré à la confrérie du Rosaire plus de
cent mille âmes, il mourut à Zwolle, en Flandre, le 8 septembre
1475.
28. Le démon, jaloux des grands fruits que le bienheureux Thomas de
Saint-Jean, célèbre prédicateur du saint Rosaire, faisait par cette
pratique, le réduisait, par ses mauvais traitements, à une longue
et fâcheuse maladie dans laquelle il fut désespéré des médecins.
Une nuit qu'il croyait infailiblement mourir, le démon lui apparut
sous une figure épouvantable; mais élevant directement les yeux et
le coeur vers une image de la sainte Vierge qui était près de son
lit, il cria de toutes ses forces: "Aidez-moi, secourez-moi, ô ma
très douce Mère!". A peine eut-il achevé ces paroles, que la sainte
Vierge lui tendit la main de la sainte image, lui serra le bras en
lui disant: "Ne crains point, mon fils Thomas, me voici à ton
secours; lève-toi et continue de prêcher la dévotion de mon Rosaire
comme tu as commencé. Je te défendrai
contre tous tes ennemis." A ces paroles de la sainte Vierge, le
démon prit la fuite. Le malade se leva en parfaite santé, et il
rendit grâces à sa bonne Mère avec un torrent de larmes, et
continua de prêcher le Rosaire avec un succès merveilleux.
29. La sainte Vierge ne favorise pas seulement les prédicateurs du
Rosaire, elle récompense aussi glorieusement ceux qui, par leur
exemple, attirent les autres à cette dévotion. Alphonse, roi de
Léon et de Galice, désirant que tous ses domestiques honorassent la
sainte Vierge par le Rosaire, s'avisa, pour les y animer par son
exemple, de porter un gros Rosaire à son côté, mais sans le réciter
pourtant: ce qui obligea tous les gens de sa cour à le dire
dévotement. Le roi tomba malade à l'extrémité et lorsqu'on le
croyait mort, il fut ravi en esprit au tribunal de Jésus-Christ. Il
vit les diables qui l'accusaient de tous les crimes qu'il avait
commis et le juge étant sur le point de le condamner aux peines
éternelles, la sainte Vierge se présenta en sa faveur devant son
Fils; on apporta une balance, on mit tous les péchés du roi dedans
un bassin, et la sainte Vierge mit le gros Rosaire qu'il avait
porté en son honneur et avec ceux qu'il avait fait dire par son
exemple, qui pesa plus que tous ses péchés, et puis, le regardant
d'un oeil favorable, elle lui dit: "J'ai obtenu de mon Fils, pour
récompense du petit service que tu m'as rendu en portant le
Rosaire, le prolongement de ta vie pour quelques années.
Emploie-les bien, et fais pénitence." Le roi, revenu de ce
ravissement, s'écria: "O bienheureux Rosaire de la sainte Vierge,
par lequel j'ai été délivré de la damnation éternelle." Après qu'il
eut recouvré la santé, il passa le reste de sa vie dans la dévotion
du saint Rosaire et le récitait tous les jours. Que les dévots de
la sainte Vierge tâchent de gagner le plus qu'ils pourront de
fidèles à la confrérie du saint Rosaire, à l'exemple de ces saints
et de ce roi; ils auront ici-bas ses bonnes grâces et la vie
éternelle. Qui elucidant me vitam aeternam habebunt.
9 Rose 30. Mais, voyons maintenant quelle injustice c'est
d'empêcher le progrès de la confrérie du saint Rosaire et quels
sont les châtiments dont Dieu a puni plusieurs malheureux qui ont
méprisé et voulu détruire la confrérie du saint Rosaire. Quoique la
dévotion du saint Rosaire ait été autorisée du
ciel par plusieurs prodiges et qu'elle soit approuvée de l'Eglise
par plusieurs bulles des papes, il ne se trouve que trop de
libertins, d'impies et d'esprits forts du temps, qui tâchent ou de
décrier la confrérie du saint Rosaire, ou d'en éloigner du moins
les fidèles. Il est aisé de connaître que leurs langues sont
infectées du venin de l'enfer et qu'ils sont poussés par l'esprit
malin; car nul ne peut désapprouver la dévotion du saint Rosaire,
qu'il ne condamne ce qu'il y a de plus pieux dans la religion
chrétienne, savoir: l'Oraison dominicale, la Salutation angélique,
les mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ
et de sa sainte Mère. Ces esprits forts, qui ne peuvent souffrir
qu'on dise le Rosaire, souvent tombent, sans y penser, dans le sens
réprouvé des hérétiques qui ont en horreur le chapelet et le
Rosaire. C'est s'éloigner de Dieu et de la vraie piété que
d'abhorrer les confréries, puisque Jésus-Christ nous assure qu'il
se trouve au milieu de ceux qui sont assemblés en son nom. Ce n'est
pas être bon catholique que de négliger tant et de si grandes
indulgences que l'Eglise accorde aux confréries. Enfin c'est être
ennemi du salut des âmes, de dissuader les fidèles d'être du saint
Rosaire, puisque, par ce moyen, ils quittent le parti du péché pour
embrasser la piété. Si saint Bonaventure a eu raison de dire que
celui-là mourra en son péché et sera damné qui aura négligé la
sainte Vierge: "Qui negligerit illam morietur in peccatis suis" (in
psalterio suo), quels châtiments doivent attendre ceux qui
détournent les autres de sa dévotion!...
10 Rose 31. Lorsque saint Dominique prêchait cette dévotion dans
Carcassone, un hérétique tournait en ridicule ses miracles et les
15 mystères du saint Rosaire, ce qui empêchait la conversion des
hérétiques. Dieu, pour punir cet impie, permit à quinze mille
démons d'entrer en son corps; ses parents l'amenèrent au
bienheureux Père pour le délivrer de ces malins esprits. Il se mit
en oraison et exhorta toute la compagnie de réciter avec lui le
Rosaire tout haut, et voilà qu'à chaque Ave Maria, la sainte Vierge
faisait sortir cent démons du corps de cet hérétique en forme de
charbons ardents. Après qu'il fut délivré, il abjura ses erreurs,
se convertit et se fit enrôler en la confrérie du Rosaire avec
plusieurs de son
parti qui furent touchés de ce châtiment et de la vertu du
Rosaire.
32. Le docte Cartagène, de l'ordre de Saint-François, avec
plusieurs auteurs, rapporte que l'an 1482, lorsque le vénérable
Père Jacques Sprenger et ses religieux travaillaient avec grand
zèle à rétablir la dévotion et la confrérie du saint Rosaire dans
la ville de Cologne, deux fameux prédicateurs, jaloux des grands
fruits qu'ils faisaient par cette pratique, tâchaient de la décrier
par leurs sermons, et comme ils avaient du talent, et un grand
crédit, ils dissuadaient beaucoup de personnes de s'y enrôler; l'un
de ces prédicateurs, pour mieux venir à bout de son pernicieux
dessein, prépara un sermon exprès et l'assigna à un jour de
dimanche. L'heure du sermon étant venue le prédicateur ne
paraissait point; on l'attendit, on le chercha, et enfin on le
trouva mort sans avoir été secouru de personne. L'autre
prédicateur, se persuadant que cet accident était naturel, résolut
de suppléer à son défaut pour abolir la confrérie du Rosaire. Le
jour et l'heure du sermon étant arrivés, Dieu châtia ce prédicateur
d'une paralysie qui lui ôta le mouvement et la parole. Il reconnut
sa faute et celle de son compagnon, il eut recours à la sainte
Vierge dans son coeur, lui promettant de prêcher partout le Rosaire
avec autant de force qu'il l'avait combattu. Il la pria de lui
rendre pour cela la santé et la parole, ce que la sainte Vierge lui
accorda, et se trouvant subitement guéri il se leva comme un autre
Saul, de persécuteur devenu défenseur du saint Rosaire. Il fit
réparation publique de sa faute, et prêcha avec beaucoup de zèle et
d'éloquence l'excellence du saint Rosaire.
33. Je ne doute point que les esprits forts et critiques de ce
temps, qui liront les histoires de ce petit traité, ne les
révoqueront en doute, comme ils ont toujours fait, quoique je n'aie
fait autre chose que les transcrire de très bons auteurs
contemporains et en partie dans un livre nouvellement composé par
le Révérend Père Antonin Thomas, de l'ordre des frères prêcheurs,
intitulé: "Le Rosier mystique". Tout le monde sait qu'il y a trois
sorte de foi aux histoires différentes. Nous devons aux histoires
de l'Ecriture sainte une foi divinie; aux histoires profanes qui ne
répugnent point à la raison et écrites par de bons auteurs, une foi
humaine; et aux histoires pieuses rapportées par de bons auteurs et
nullement contraires à la raison, à la foi ni
aux bonnes moeurs, quoiqu'elles soient quelquefois extraordinaires,
une foi pieuse; j'avoue qu'il ne faut être ni trop crédule ni trop
critique, et qu'il faut tenir le milieu en tout pour trouver le
point de la vérité et de la vertu; mais aussi je sais que, comme la
charité croit facilement tout ce qui n'est point contraire à la foi
ni aux bonnes moeurs: Charitas omnia credit, de même l'orgueil
porte à nier presque toutes les histoires bien avérées, sous
prétexte qu'elles ne sont point dans l'Ecriture sainte. C'est le
piège de Satan, où les hérétiques qui nient la tradition sont
tombés, et où les critiques du temps tombent insensiblement, ne
croyant pas ce qu'ils ne comprennent pas, ou ce qui ne leur revient
pas, sans aucune autre raison que l'orgueil et la suffisance de
leur propre esprit.
DEUXIEME DIZAINE L'excellence du saint Rosaire dans les prières
dont il est composé.
11 Rose 34. Le Credo ou le Symbole des Apôtres qu'on récite sur la
croix du Rosarie ou du chapelet, étant un sacré raccourci et abrégé
des vérités chrétiennes, est une prière d'un grand mérite, parce
que la foi est la base, le fondement et le commencement de toutes
les vertus chrétiennes, de toutes les vertus éternelles et de
toutes les prières que Dieu a pour agréables. "Accedentem ad Deum
credere oportet". Il faut que celui qui s'approche de Dieu par la
prière commence par croire, et plus il aura de foi, et plus sa
prière aura de force et de mérite en elle-même et rendra de gloire
à Dieu. Je ne m'arrêterai pas à expliquer les paroles du Symbole
des Apôtres; mais je ne puis m'empêcher de déclarer que ces trois
premières paroles: "Credo in Deum: Je crois en Dieu", renfermant
les actes des trois vertus théologales: la foi, l'espérance et la
charité, ont une efficace merveilleuse pour sanctifier l'âme et
terrasser le démon. C'est avec ces paroles que plusieurs saints ont
vaincu les tentations, particulièrement celles qui sont contre la
foi, l'espérance ou la charité, soit pendant la vie, soit à l'heure
de la mort. Ce furent les dernières paroles que saint Pierre le
martyr écrivit le mieux qu'il put avec le doigt sur le sable,
lorsque ayant la tête fendue en deux par un coup de sabre qu'un
hérétique lui donna, il était près d'expirer.
35. Comme la foi est la seule clef qui nous fait entrer dans tous
les mystères de Jésus et de Marie renfermés au saint Rosaire, il
faut le commencer en récitant le Credo avec une grande attention et
dévotion, et plus notre foi sera vive et forte, et plus le Rosaire
sera méritoire. Il faut que cette foi soit vive et animée par la
charité, c'est-à-dire que pour bien réciter le saint Rosaire, il
faut être en grâce de Dieu ou dans la recherche de cette grâce; il
faut que la foi soit forte et constante, c'est-à-dire qu'il ne faut
pas chercher dans la pratique du saint Rosaire seulement son goût
sensible et sa consolation spirituelle, c'est-à-dire qu'il ne faut
pas l'abandonner parce qu'on a une foule de distractions
involontaires dans l'esprit, un dégoût étrange dans l'âme, un ennui
accablant et un assoupissement presque continuel dans le corps; il
n'est pas besoin de goût ni de consolation, ni de soupirs, ni
d'élans, ni de larmes, ni d'application continuelle de
l'imagination, pour bien réciter son Rosaire. La foi pure et la
bonne intention suffisent. "Sola fides sufficit".
12 Rose 36. Le Pater, ou l'Oraison dominicale, tire sa première
excellence de son auteur, qui n'est pas un homme ou un ange, mais
le Roi des anges et des hommes, Jésus-Christ. "Il était nécessaire,
dit saint Cyprien, que Celui qui venait nous donner la vie de la
grâce comme Sauveur, nous enseignât la manière de prier comme
Maître céleste". La sagesse de ce divin Maître paraît bien dans
l'ordre, la douceur, la force et la clarté de cette divine prière;
elle est courte, mais elle est riche en instruction, intelligible
pour les simples et remplie de mystères pour les savants. Le Pater
renferme tous les devoirs que nous devons rendre à Dieu, les actes
de toutes les vertus et les demandes de tous nos besoins spirituels
et corporels. Elle contient, dit Tertullien, l'abrégé de
l'Evangile. Elle surpasse, dit Thomas à Kempis, tous les désirs des
saints, elle contient en abrégé toutes les douces sentences des
psaumes et des cantiques; elle demande tout ce qui nous est
nécessaire; elle loue Dieu d'une excellente manière; elle élève
l'âme de la terre au ciel et l'unit étroitement avec Dieu.
37. Saint Chrysostome dit que celui qui ne prie pas comme le divin
Maître a prié et enseigné à prier, n'est pas son disciple, et Dieu
le Père n'écoute pas agréablement les
prières que l'esprit humain a formées, mais bien celles de son
Fils, qu'il nous a enseignées. Nous devons réciter l'Oraison
dominicale avec certitude que le Père éternel l'exaucera,
puisqu'elle est la prière de son Fils, qu'il exauce toujours, et
que nous sommes ses membres; car que peut refuser un si bon Père à
une requête si bien conçue et appuyée sur les mérites et la
recommandation d'un si digne Fils? Saint Augustin assure que le
Pater bien récité efface les péchés véniels. Le juste tombe sept
fois. L'Oraison dominicale contient sept demandes par lesquelles il
peut remédier à ses chutes et se fortifier contre ses ennemis. Elle
est courte et facile, afin que, comme nous sommes fragiles et
sujets à plusieurs misères, nous recevions un plus prompt secours
en la récitant plus souvent et plus dévotement.
38. Désabusez-vous donc, âmes dévotes qui négligez l'Oraison que le
propre Fils de Dieu a composée et qu'il a ordonné à tous les
fidèles; vous qui n'avez d'estime que pour les prières que les
hommes ont composées, comme si l'homme, même le plus éclairé,
savait mieux que Jésus-Christ comment nous devons prier. Vous
cherchez dans les livres des hommes la façon de louer et de prier
Dieu, comme si vous aviez honte de vous servir de celle que son
Fils nous a prescrite. Vous vous persuadez que les oraisons qui
sont dans les livres sont pour les savants et pour les riches, et
que le Rosaire n'est que pour les femmes, pour les enfants et pour
le peuple, comme si les louanges et les prières que vous lisez
étaient plus belles et plus agréables à Dieu que celles qui sont
contenues dans l'oraison dominicale. C'est une dangeureuse
tentation que de se dégoûter de l'Oraison que Jésus-Christ nous a
recommandée pour prendre les oraisons que les hommes ont composées.
Ce n'est pas que nous désapprouvions celles que les saints ont
composées pour exciter les fidèles à louer Dieu, mais nous ne
pouvons souffrir qu'ils les préfèrent à l'Oraison qui est sortie de
la bouche de la Sagesse incarnée, et qu'ils laissent la source pour
courir après les ruisseaux, et qu'ils dédaignent l'eau claire pour
boire l'eau trouble. Car enfin le Rosaire, composé de l'Oraison
dominicale et de la Salutation angélique, est cette eau claire et
perpétuelle qui coule de la source de la grâce, tandis que les
autres oraisons qu'ils cherchent dans les livres ne sont que de
bien petits ruisseaux qui en dérivent.
39. Nous pouvons appeler heureux celui qui, en récitant l'Oraison
du Seigneur, en pèse attentivement chaque parole; là il trouve tout
ce dont il a besoin, tout ce qu'il peut désirer. Quand nous
récitons cette admirable prière, tout d'abord nous captivons le
coeur de Dieu en l'invoquant par le doux nom de Père. "Notre Père",
le plus tendre de tous les pères, tout- puissant dans la création,
tout admirable dans sa conservation, tout aimable dans sa
Providence, tout bon et infiniment bon dans la Rédemption. Dieu est
notre Père, nous sommes tous frères, le ciel est notre patrie et
notre héritage. N'y a-t-il pas là de quoi nous inspirer à la fois
l'amour de Dieu, l'amour du prochain et le détachement de toutes
les choses de la terre? Aimons donc un tel Père et disons-lui mille
et mille fois: "Notre Père qui êtes aux cieux". Vous qui remplissez
le ciel et la terre par l'immensité de votre essence, qui êtes
présent partout; vous qui êtes dans les saints par votre gloire,
dans les damnés par votre justice, dans les justes par votre grâce,
dans les pécheurs par votre patience qui les souffre, faites que
nous nous souvenions toujours de notre céleste origine, que nous
vivions comme vos véritables enfants; que nous tendions toujours
vers vous seul par toute l'ardeur de nos désirs. "Que votre nom
soit sanctifié". Le nom du Seigneur est saint et redoutable, dit le
prophète-roi, et le ciel, suivant Isaïe, retentit des louanges que
les séraphins ne cessent de donner à la sainteté du Seigneur, Dieu
des armées. Nous demandons ici que toute la terre connaisse et
adore les attributs de ce Dieu si grand et si saint; qu'il soit
connu, aimé et adoré des païens, des Turcs, des Juifs, des Barbares
et de tous les infidèles; que tous les hommes le servent et le
glorifient par une foi vive, une espérance ferme, par une charité
ardente, et par le renoncement à toutes les erreurs: en un mot, que
tous les hommes soient saints parce qu'il est saint lui-même. "Que
votre règne arrive". C'est-à-dire que vous régniez dans nos âmes
par votre grâce, durant la vie, afin que nous méritions, après
notre mort, de régner avec vous dans votre royaume, qui est la
souveraine et éternelle félicité, que nous croyons, que nous
espérons et que nous attendons, cette félicité qui nous est promise
par la bonté du Père, qui nous
est acquise par les mérites du Fils et qui nous est révélée par les
lumières du Saint-Esprit. "Que votre volonté soit faite sur la
terre comme au ciel". Sans doute, rien ne peut se dérober aux
dispositions de la Providence divine qui a tout prévu, tout arrangé
avant l'évènement; nul obstacle ne l'écarte de la fin qu'elle s'est
proposée, et quand nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite,
ce n'est pas que nous craignions, dit Tertullien, que quelqu'un
s'oppose efficacement à l'exécution de ses desseins, mais que nous
acquiescions humblement à tout ce qu'il lui a plû d'ordonner à
notre égard; que nous accomplissions toujours et en toutes choses
sa très sainte volonté, qui nous est connue par ses commandements,
avec autant de promptitude, d'amour et de constance, que les anges
et les bienheureux lui obéissent dans le ciel.
40. "Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour".
Jésus-Christ nous enseigne à demander à Dieu tout ce qui est
nécessaire à la vie du corps et à la vie de l'âme. Par ces paroles
de l'Oraison dominicale, nous faisons l'humble aveu de notre misère
et nous rendons hommage à la Providence, en déclarant que nous
croyons, que nous voulons tenir de sa bonté tous les biens
temporels. Sous le nom de pain nous demandons ce qui est simplement
nécessaire à la vie, le superflu n'est point compris. Ce pain nous
le demandons aujourd'hui, c'est-à- dire que nous bornons au jour
présent toutes nos sollicitudes, nous reposant sur la Providence
pour le lendemain. Nous demandons le pain de chaque jour, avouant
ainsi nos besoins toujours renaissants et montrant la continuelle
dépendance où nous sommes de la protection et du secours de Dieu.
"Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous
ont offensés". Nos péchés, disent saint Augustin et Tertullien,
sont autant de dettes que nous contractons envers Dieu, et sa
justice en exige le paiement jusqu'à la dernière obole. Or nous
avons tous ces tristes dettes. Malgré le nombre de nos iniquités,
approchons-nous donc de lui avec confiance et disons-lui avec un
vrai repentir: Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez-nous les
péchés de notre coeur et de notre bouche, les péchés d'action et
d'omission qui nous rendent infiniment coupables aux yeux de votre
justice, parce qu'en qualité d'enfants d'un père si clément et
miséricordieux, nous pardonnons par obéissance et par charité à
ceux qui nous ont offensés.
Et "ne permettez pas" à cause de notre infidélité à vos grâces,
"que nous succombions aux tentations" du monde, du démon et de la
chair. Mais "délivrez-nous du mal", qui est le péché, du mal de la
peine temporelle et de la peine éternelle, que nous avons méritées.
"Ainsi soit-il". Parole d'une grande consolation, qui est, dit
saint Jérôme, comme le sceau que Dieu met à la fin de nos requêtes
pour nous assurer qu'il nous a exaucés, comme si lui-même nous
répondait: Amen!!! Qu'il soit fait comme vous le demandez, vous
l'avez obtenu en vérité, car c'est ce que signifie ce mot:
Amen.
13 Rose 41. Nous honorons les perfections de Dieu en récitant
chaque parole de l'Oraison dominicale. Nous honorons sa fécondité
par le nom de Père, qui engendre de toute éternité un Fils qui est
Dieu comme vous, éternel, consubstantiel, qui est une même essence,
une même puissance, une même bonté, une même sagesse avec vous,
Père et Fils, qui, vous aimant, produisez le Saint- Esprit, qui est
Dieu comme vous, trois personnes adorables, qui êtes un seul Dieu.
Notre Père! C'est-à-dire, Père des hommes par la création, par la
conservation et par la rédemption, Père miséricordieux des
pécheurs, Père ami des justes, Père magnifique des bienheureux. Qui
êtes. Par ces paroles nous admirons l'infinité, la grandeur et la
plénitude de l'essence de Dieu, qui s'appelle véritablement Celui
qui est, c'est-à-dire, qui existe essentiellement, nécessairement
et éternellement, qui est l'Etre des êtres, la cause de tous les
êtres; qui renferme éminemment en lui-même les perfections de tous
les êtres; qui est dans tous par son essence, par sa présence et
par sa puissance, sans y être renfermé. Nous honorons sa sublimité,
sa gloire et sa majesté par ces mots: Qui êtes aux cieux,
c'est-à-dire assis comme dans votre trône, exerçant votre justice
sur tous les hommes. Nous adorons sa sainteté en désirant que son
nom soit sanctifié. Nous reconnaissons sa souveraineté et la
justice de ses lois, en souhaitant que son règne arrive, et que les
hommes lui obéissent sur la terre comme les anges lui obéissent
dans le ciel. Nous croyons à sa Providence, en le priant de nous
donner notre pain de chaque jour. Nous
invoquons sa clémence, en lui demandant la rémission de nos péchés.
Nous recourons à sa puissance, en le priant de ne pas nous laisser
succomber à la tentation. Nous nous confions à sa bonté, en
espérant qu'il nous délivrera du mal. Le Fils de Dieu a toujours
glorifié son Père par ses oeuvres; il est venu au monde pour le
faire glorifier des hommes; il leur a enseigné la manière de
l'honorer, par cette oraison qu'il a daigné nous dicter lui-même.
Nous devons donc la réciter souvent avec attention et dans le même
esprit qu'il l'a composée.
14 Rose 42. Lorsque nous récitons attentivement cette divine
Oraison, nous faisons autant d'actes des plus nobles vertus
chrétiennes que nous prononçons de paroles. En disant: Notre Père
qui êtes aux cieux, nous formons des actes de foi, d'adoration et
d'humilité. En désirant que son nom soit sanctifié et glorifié,
nous faisons paraître un zèle ardent pour sa gloire. En lui
demandant la possession de son royaume, nous faisons un acte
d'espérance. En souhaitant que sa volonté soit accomplie sur la
terre comme dans le ciel, nous montrons un esprit de parfaite
obéissance. En lui demandant notre pain de chaque jour, nous
pratiquons la pauvreté d'esprit et le détachement des biens de la
terre. En le priant de nous remettre nos péchés, nous faisons un
acte de repentir. Et en pardonnant à ceux qui nous ont offensés,
nous exerçons la miséricorde dans la plus haute perfection. En lui
demandant son secours dans les tentations, nous faisons des actes
d'humilité, de prudence et de force. En attendant qu'il nous
délivre du mal, nous pratiquons la patience. Enfin, en demandant
toutes ces choses, non seulement pour nous, mais encore pour notre
prochain et pour tous les membres de l'Eglise, nous faisons le
devoir des vrais enfants de Dieu, nous l'imitons dans sa charité
qui embrasse tous les hommes et nous accomplissons le commandement
de l'amour du prochain.
Nous détestons tous les péchés et nous observons tous les
commandements de Dieu, lorsqu'en recitant cette Oraison notre coeur
s'accorde avec notre langue, et que nous n'avons point d'intentions
contraires au sens de ces divines paroles. Car lorsque nous faisons
réflexion que Dieu est au ciel, c'est-à- dire infiniment élevé
au-dessus de nous par la grandeur de sa majesté, nous entrons dans
les sentiments du plus profond
respect en sa présence; tout saisis de crainte, nous fuyons
l'orgueil et nous nous abaissons jusqu'au néant. Lorsqu'en
pronoçant le nom du Père, nous nous souvenons que nous tenons notre
existence de Dieu, par le moyen de nos parents, et notre
instruction même par le moyen de nos maîtres, qui nous tiennent ici
la place de Dieu, dont ils sont les images vivantes, nous nous
sentons obligés de les honorer ou, pour mieux dire, d'honorer Dieu
en leurs personnes, et nous nous gardons bien de les mépriser et de
les affliger. Lorsque nous désirons que le saint Nom de Dieu soit
glorifié, nous sommes bien éloignés de le profaner. Lorsque nous
regardons le royaume de Dieu comme notre héritage, nous renonçons à
toute attache aux biens de ce monde; lorsque nous demandons
sincèrement pour notre prochain les mêmes biens que nous désirons
pour nous-mêmes, nous renonçons à la haine, à la dissension et à
l'envie. En demandant à Dieu notre pain de chaque jour, nous
détestons la gourmandise et la volupté qui se nourrissent de
l'abondance. En priant Dieu véritablement de nous pardonner, comme
nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous réprimons notre
colère et notre vengeance, nous rendons le bien pour le mal et nous
aimons nos ennemis. En demandant à Dieu de ne pas nous laisser
tomber dan le péché au moment de la tentation, nous montrons que
nous fuyons la paresse, que nous cherchons les moyens de combattre
les vices et de faire notre salut. En priant Dieu de nous délivrer
du mal, nous craignons sa justice, et nous sommes heureux, car la
crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, c'est par la
crainte de Dieu que tout homme évite le péché.
15 Rose 44. La Salutation angélique est si sublime, si relevée, que
le bienheureux Alain de la Roche a cru qu'aucune créature ne peut
la comprendre et qu'il n'y a que Jésus-Christ, né de la Vierge
Marie, qui puisse l'expliquer. Elle tire principalement son
excellence de la très sainte Vierge à qui elle fut adressée, de la
fin de l'Incarnation du Verbe pour laquelle elle fut apportée du
ciel, et de l'archange Gabriel qui la prononça le premier. La
Salutation angélique résume dans l'abrégé le plus concis toute la
théologie chrétienne sur la sainte Vierge. On y trouve une louange
et une invocation. La louange renferme tout ce qui fait la
véritable grandeur de Marie; l'invocation renferme tout ce que nous
devons lui demander, et ce que nous
pouvons attendre de sa bonté pour nous. La très sainte Trinité en a
révélé la première partie; sainte Elisabeth, éclairée du
Saint-Esprit, y a ajouté la seconde; et l'Eglise, dans le premier
concile d'Ephèse, tenu l'an 430, y a mis la conclusion, après avoir
condamné l'erreur de Nestorius et défini que la sainte Vierge est
véritablement Mère de Dieu. Le concile ordonna qu'on invoquerait la
sainte Vierge sous cette glorieuse qualité par ces paroles: Sainte
Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant
et à l'heure de notre mort.
45. La sainte Vierge Marie a été celle à qui cette divine
Salutation a été présentée pour terminer l'affaire la plus grande
et la plus importante du monde, l'Incarnation du Verbe éternel, la
paix entre Dieu et les hommes et la rédemption du genre humain.
L'ambassadeur de cette heureuse nouvelle fut l'archange Gabriel, un
des premiers princes de la cour céleste. La Salutation angélique
contient la foi et l'espérance des patriarches, des prophètes et
des apôtres. Elle est la constance et la force des martyrs, la
science des docteurs, la persévérance des confesseurs et la vie des
religieux. (Bienheureux Alain). Elle est le cantique nouveau de la
loi de grâce, la joie des anges et des hommes, la terreur et la
confusion des démons. Par la Salutation angélique, Dieu s'est fait
homme, une Vierge est devenue Mère de Dieu, les âmes des justes ont
été délivrées des limbes, les ruines du ciel ont été réparées et
les trônes vides ont été remplis, le péché a été pardonné, la grâce
nous a été donnée, les malades ont été guéris, les morts
ressuscités, les exilés rappelés, la trés sainte Trinité a été
apaisée, et les hommes ont obtenu la vie éternelle. Enfin, la
Salutation angélique est l'arc-en-ciel, le signe de la clémence et
de la grâce que Dieu a faites au monde (Bienheureux Alain).
16 Rose 46. Quoiqu'il n'y ait rien d'aussi grand que la majesté
divine ni rien d'aussi abject que l'homme considéré comme pécheur,
cette suprême Majesté ne dédaigne pas néanmoins nos hommages, elle
est honorée quand nous chantons ses louanges. Et le salut de l'ange
est un des plus beaux cantiques que nous puissions adresser à la
gloire du Très-Haut. "Canticum novum cantabo tibi: Je vous
chanterai un cantique nouveau". Ce cantique nouveau que David a
prédit qu'on chanterait à la
venue du Messie, c'est la Salutation de l'archange. Il y a un
cantique ancien et un cantique nouveau. L'ancien est celui que les
Israélites ont chanté en reconnaissance de la création, de la
conservation, de la délivrance de leur captivité, du passage de la
mer Rouge, de la manne et de toutes les autres faveurs du ciel. Le
cantique nouveau est celui que les chrétiens chantent en actions de
grâces de l'Incarnation et de la Rédemption. Comme ces prodiges ont
été accomplis par le salut angélique, nous répétons ce même salut
pour remercier la très sainte Trinité de ses bienfaits
inestimables. Nous louons Dieu le Père de ce qu'il a tant aimé le
monde, qu'il lui a donné son Fils unique pour sauveur. Nous
bénissons le Fils de ce qu'il est descendu du ciel sur la terre, de
ce qu'il s'est fait homme et de ce qu'il nous a rachetés. Nous
glorifions le Saint-Esprit de ce qu'il a formé dans le sein de la
sainte Vierge ce corps très pur qui a été la victime de nos péchés.
C'est dans cet esprit de reconnaissance que nous devons réciter le
salut angélique, produisant des actes de foi, d'espérance, d'amour
et d'actions de grâces pour ce bienfait de notre salut.
47. Quoique ce cantique nouveau s'adresse directement à la Mère de
Dieu et qu'il contienne ses éloges, il est néanmoins très glorieux
à la Sainte-Trinité, parce que tout l'honneur que nous rendons à la
sainte Vierge retourne à Dieu comme à la cause de toutes ses
perfections et de tous ses vertus. Dieu le Père est glorifié de ce
que nous honorons la plus parfaite de ses créatures. Le Fils est
glorifié de ce que nous louons sa très pure Mère. Le Saint-Esprit
est glorifié de ce que nous admirons les grâces dont il a rempli
son épouse. De même que la sainte Vierge, par son beau cantique
Magnificat, renvoya à Dieu les louanges et les bénédictions que lui
donna sainte Elisabeth sur son éminente dignité de Mère du
Seigneur, de même elle renvoie promptement à Dieu les éloges et les
bénédictions que nous lui donnons par le salut angélique.
48. Si la Salutation angélique rend gloire à la Sainte- Trinité,
elle est aussi la louange la plus parfaite que nous puissions
adresser à Marie. Sainte Melchtilde, désirant savoir par quel moyen
elle pourrait mieux témoigner la tendresse de sa dévotion à la Mère
de Dieu, fut ravie en esprit; et sur cette pensée, la sainte Vierge
lui apparut portant sur son sein la Salutation
angélique écrite en lettres d'or et lui dit: "Sachez, ma fille, que
personne ne peut m'honorer par un salut plus agréable que celui que
m'a fait présenter la très adorable Trinité et par lequel elle m'a
élevée à la dignité de Mère de Dieu. Par le mot "Ave", qui est le
nom d'Eve, Eva, j'appris que Dieu, par sa toute-puissance, m'avait
préservée de tout péché et des misères auxquelles la première femme
fut sujette. Le nom de "Marie", qui signifie dame de lumières,
marque que Dieu m'a remplie de sagesse et de lumière, comme un
astre brillant, pour éclairer le ciel et la terre. Ces mots:
"pleine de grâces", me représentent que le Saint-Esprit m'a comblée
de tant de grâces que je puis en faire part abondamment à ceux qui
en demandent par ma médiation. En disant: "Le Seigneur est avec
vous", on me renouvelle la joie ineffable que je ressentis lorsque
le Verbe éternel s'incarna dans mon sein. Quand on me dit: "vous
êtes bénie entre toutes les femmes", je loue la divine miséricorde
qui m'a élevée à ce haut degré de bonheur. A ces paroles: "Jésus,
le fruit de vos entrailles, est béni", tout le ciel se réjouit avec
moi de voir Jésus mon Fils adoré et glorifié pour avoir sauvé les
hommes".
17 Rose 49. Entre les choses admirables que la sainte Vierge a
révélées au bienheureux Alain de la Roche (et nous savons que ce
grand dévot à Marie a confirmé par serment ses révélations), il y
en a trois des plus remarquables: la première, que c'est un signe
probable et prochain de réprobation éternelle, que d'avoir de la
négligence, de la tiédeur et de l'aversion pour la Salutation
angélique qui a réparé le monde - la seconde, que ceux qui ont de
la dévotion pour cette admirable salutation portent un très grand
signe de prédestination - la troisième, que ceux qui ont reçu du
ciel la faveur d'aimer la sainte Vierge et de la servir par
affection, doivent être extrêmement soigneux de continuer à l'aimer
et à la servir jusqu'à ce qu'elle les ait fait placer dans le ciel
par son Fils au degré de gloire convenable à leurs mérites
(Alanus).
50. Tous les hérétiques, qui sont tous des enfants du diable et qui
portent les marques évidentes de la réprobation, ont horreur de
l'Ave Maria; ils apprennent encore le Pater, mais
non pas l'Ave Maria; ils aimeraient mieux porter sur eux un serpent
qu'un chapelet ou un rosaire. Entre les catholiques, ceux qui
portent la marque de réprobation ne se soucient guère du chapelet
ni du Rosaire, négligent de le dire ou ne le disent qu'avec tiédeur
et à la hâte. Quand je n'ajouterais aucune foi pieuse à ce qui a
été révélé au bienheureux Alain de la Roche, mon expérience me
suffit pour être persuadé de cette terrible et douce vérité. Je ne
sais pas, et je ne vois pas même évidemment comment il se peut
faire qu'une dévotion si petite en apparence soit la marque
infaillible du salut éternel, et son défaut la marque de la
réprobation. Cependant, rien n'est si véritable. Nous voyons même
que les gens de nouvelles doctrines de nos jours condamnées par
l'Eglise, avec toute leur piété apparente, négligent beaucoup la
dévotion au chapelet et au Rosaire et souvent l'ôtent de l'esprit
et du coeur de ceux ou celles qui les approchent, sous les plus
beaux prétextes du monde; ils se gardent de condamner ouvertement,
comme font les calvinistes, le chapelet, Rosaire, scapulaire; mais
la manière dont ils s'y prennent est d'autant plus pernicieuse
qu'elle est plus fine. Nous en parlerons dans la suite.
51. Mon Ave Marie, mon Rosaire ou mon chapelet, est ma prière, et
ma très sûre pierre de touche, pour distinguer ceux qui sont
conduits par l'Esprit de Dieu d'avec ceux qui sont dans l'illusion
du malin esprit. J'ai connu des âmes qui volaient, ce semble, comme
des aigles, jusqu'aux nues par leur sublime contemplation, et qui
cependant étaient malheureusement trompées par le démon, et je n'ai
découvert leurs illusions que par l'Ave Maria et le chapelet,
qu'elles rejetaient comme au-dessous d'elles. L'Ave Maria est une
rosée céleste et divine qui, tombant dans l'âme d'un prédestiné,
lui communique une fécondité admirable pour produire toutes sortes
de vertus, et plus l'âme est arrosée par cette prière, plus elle
devient éclairée dans l'esprit, embrasée dans le coeur et fortifiée
contre tous ses ennemis. L'Ave Maria est un trait perçant et
enflammé qui, étant uni par un prédicateur à la parole de Dieu
qu'il annonce, lui donne la force de percer, de toucher et de
convertir les coeurs les plus endurcis, quoique d'ailleurs il n'ait
pas beaucoup de talent naturel pour la prédication. Ce fut ce trait
secret que la sainte Vierge, comme j'ai
déjà dit, enseigna à saint Dominique et au bienheureux Alain, pour
convertir les hérétiques et les pécheurs. C'est de là qu'est venue
la pratique des prédicateurs de dire un Ave Maria en commençant
leur prédication, comme assure saint Antonin.
18 Rose 52. Cette divine Salutation attire sur nous la bénédiction
de Jésus et de Marie, car c'est un principe infaillible que Jésus
et Marie récompensent magnifiquement ceux qui les glorifient: ils
rendent au centuple les bénédictions qu'on leur donne. Ego
diligentes me diligo, Pr 8,17, ut ditem diligentes me et thesauros
eorum repleam. C'est ce que Jésus et Marie criaient hautement:
"Nous aimons ceux qui nous aiement, nous les enrichissons et nous
remplissons leurs trésors". - Qui seminat in benedictionibus, de
benedictionibus et metet: Ceux qui sèment des bénédictions
recueilleront des bénédictions" (2 Cor 9,6). Or n'est-ce pas aimer,
bénir et glorifier Jésus et Marie que de réciter comme il faut la
Salutation angélique? En chaque Ave Maria, on donnera deux
bénédictions à Jésus et à Marie. Vous êtes bénie entre toutes les
femmes et béni le fruit de votre ventre, Jésus. Par chaque Ave
Maria, vous rendez à Marie le même honneur que Dieu lui rendit en
la saluant avec l'archange Gabriel. Qui pourrait croire que Jésus
et Marie, qui font du bien souvent à ceux qui les maudissent,
donnassent leurs malédictions à ceux et celles qui les bénissent et
les honorent par l'Ave Maria? La Reine des cieux, disent saint
Bernard et saint Bonaventure, n'est pas moins reconnaissante et
honnête que les personnes de qualité bien élevées en ce monde: elle
les surpasse même en cette vertu comme en toutes les autres
perfections; elle ne souffrira donc jamais que nous l'honorions
avec respect, qu'elle ne nous le rende au centuple. Marie, dit
saint Bonaventure, nous salue avec la grâce, si nous la saluons
avec l'Ave Marie: "Ipsa salutabit nos cum gratia si salutaverim eam
cum Ave Maria". Qui pourrait comprendre les grâces et les
bénédictions qu'opèrent en nous le salut et les regards bénins de
la sainte Vierge? Dans le moment que sainte Elisabeth entendit le
salut que lui donna la Mère de Dieu, elle fut remplie du
Saint-Esprit, et l'enfant qu'elle portait dans son sein tressaillit
de joie. Si nous nous rendons dignes du salut et de la
bénédiction
réciproques de la sainte Vierge, sans doute nous serons remplis de
la grâce et un torrent de consolations spirituelles découlera dans
nos âmes.
19 Rose 53. Il est écrit: "Donnez et on vous donnera". Prenons la
comparaison du bienheureux Alain: "Si je vous donnais chaque jour
cent cinquante diamants, quand vous seriez mon ennemi, ne me
pardonneriez-vous pas? Ne me feriez-vous pas comme un ami, toutes
les grâces que vous pourriez? Voulez-vous vous enrichir des biens
de la grâce et de la gloire? Saluez la très sainte Vierge, honorez
votre bonne Mère". "Sicut qui thesaurizat, ita et qui honorificat
matrem. Celui qui honore sa Mère, la sainte Vierge, est semblable à
un homme qui amasse des trésors" (Si 3,5). Présentez-lui chaque
jour au moins cinquante Ave Maria dont chacun contient quinze
pierres précieuses, qui lui sont plus agréables que toutes les
richesses de la terre. Que ne devez-vous pas attendre de sa
libéralité? Elles est notre Mère et notre amie. Elle est
l'impératrice de l'univers qui nous aime plus que toutes les mères
et les reines ensemble n'ont aimé un homme mortel, car, dit saint
Augustin, la charité de la Vierge Marie excède tout l'amour naturel
de tous les hommes et de tous les anges.
54. Un jour, Notre-Seigneur apparut à sainte Gertrude comptant des
pièces d'or; elle eut la hardiesse de lui demander ce qu'il
comptait. "Je compte, lui répondit Jésus- Christ, tes Ave Marie,
c'est la monnaie dont on achète mon paradis". Le dévot et le docte
Suarez, de la Compagnie de Jésus, estimait tant le mérite de la
Salutation angélique, qu'il disait qu'il aurait volontiers donné
toute sa science pour le prix d'un Ave Maria bien dit.
55. "Que celui qui vous aime, ô divine Marie, lui dit le
bienheureux Alain de la Roche, écoute et goûte: Le ciel est dans la
joie, la terre est dans l'admiration, toutes les fois que je dis:
Ave Maria; j'ai le monde en horreur, j'ai l'amour de Dieu dans mon
coeur, lorsque je dis :Ave Maria; mes craintes s'évanouissent, mes
passions se mortifient, quand je dis: Ave Maria; je crois dans la
dévotion, je trouve la componction, quand je dis: Ave Maria; mon
espérance s'affermit, ma consolation s'augmente, lorsque je dis:
Ave
Maria; mon esprit se réjouit, mon chagrin se dissipe, quand je dis:
Ave Maria; car la douceur de cette bénigne salutation est si grande
qu'on n'a point de terme pour l'expliquer comme il faut, et après
qu'on en aura dit des merveilles, elle demeure encore si cachée et
si profonde qu'on ne la peut découvrir. Elle est courte en paroles,
mais grande en mystères; elles est plus douce que le miel et plus
précieuse que l'or; il faut très fréquemment l'avoir dans le coeur
pour la méditer, et dans la bouche pour la lire et la répéter
dévotement". "Auscultet tui nominis, o Maria, coelum gaudet, omnis
terra stupet cum dico Ave Maria; Satan fugit, infernus
contremiscit, cum dico Ave Maria; mundus vilescit, cor in amore
liquescit, cum dico Ave Maria; terror evanescit, caro marcescit,
cum dico Ave Maria; crescit devotio, oritur compuctio, cum dico Ave
Maria; spes proficit, augetur consolatio, cum dico Ave Maria;
recreatur animus, et in bono confortatur aeger afectus, cum dico
Ave Maria. Siquidem tanta suavitas hujus benignae salutationes, ut
humanis non possit explicare verbis, sed semper manet altior et
profundior quam omnis creatura indagare sufficiat. Haec oratio
parva est verbis, alta mysteriis, brevis sermone, alta virtute,
super mel dulcis, super aurum pretiosa; ore cordis est jugiter
ruminanda labiisque puris frequentissime legenda ac devote
repetenda". Le même bienheureux Alain rapporte, au chapitre 69 de
son psautier, qu'une religieuse très dévote au Rosaire apparaut
après sa mort à une de ses soeurs et lui dit