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CHAPITRE 1 QUEST-CE QUE LCONOMIE POLITIQUE ? 3
1Quest-ce que
lconomie politique ?
Dans la plupart des ouvrages dconomie politique, des
considrations diverses et souvent fort longues prcdent
lintroduction dune dfinition mrementpese et considre comme
incontestable par son auteur. Nous prfrons ladmarche inverse :
donner demble la dfinition gnralement accepte delconomie politique,
et montrer ensuite quen dpit de sa rigueur, elle laissesubsister
bien des incertitudes.
La section 1.1 dveloppe le contenu de cet nonc, dun point de vue
qui prsentelconomie comme une science portant sur une forme
particulire du comportementhumain : celle qui rsulte du phnomne de
la raret. Nous lappelons la conception formelle de lconomie qui
savre peut-tre excessivement large.
La section 1.2 commente la dfinition dun autre point de vue,
celui de lobjetmatriel et concret de lconomie : production,
distribution, consommation des bienset services. Une conception
relle de lconomie est ainsi prsente dont leslimites sont pourtant
floues.
Enfin la section 1.3 avertit ds labord de la diffrence profonde
qui caractrisedeux mthodologies courantes en conomie : lapproche
positive et lapprochenormative.
Dfinition de lconomie politique
Les auteurs contemporains dfinissent lconomie politique comme
tant
la science sociale qui tudie les comportements humains devant
des moyens raressollicits par des fins multiples.
Les rflexions que suggre cet nonc se groupent autour de deux
thmescomplmentaires : le comportement conomique, comme forme gnrale
de touteactivit humaine, et le domaine conomique, comme champ
particulier dactivit.
1.1
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4 INTRODUCTION
Section 1.1La conception formelle
1 Besoins et moyens
Le fondement de tout raisonnement conomique se trouve dans une
simpleconstatation : alors que la limitation caractrise la
disponibilit des moyens, lesbesoins humains sont au contraire
multiples et illimits. Sans doute, laccession des niveaux
successifs de richesse permet-elle de combler certains dentre
eux,mais lexprience quotidienne apprend que cette satisfaction mme
saccompagnede lapparition de nouveaux besoins, parfois mme plus
difficiles encore assouvir.Face la limitation des moyens,
linsatiabilit des besoins semble la rgle.
De la confrontation entre ces deux faits surgit le problme de
leur compatibilit :si les besoins prouvs par les hommes dpassent ce
que les moyens disponiblesleur permettent dobtenir, il est
impossible de les satisfaire tous compltement : ilfaut choisir.
Pour chaque homme, des choix individuels (conscients ou non)doivent
rpondre la question : quels besoins consacrer mes ressources
limites,et dans quelle mesure ? Au plan de la socit, ce sont des
choix collectifs semblables(formellement exprims ou spontanment
effectus) qui dterminent qui lesbiens disponibles sont attribus. De
cette ncessit d conomiser les moyensdcoule lexistence dune science,
qui puisse dire comment raliser la meilleurecombinaison des
ressources limites pour raliser les objectifs dsirs.
2 La raret
Si les moyens ntaient pas limits, ou si les besoins ntaient pas
nombreux ouinsatiables, il ny aurait donc pas de problme conomique.
Ceci restreint, en fait,le domaine des moyens qui relvent de
lconomie politique : un objet sansutilit pour lhomme ( dont
personne na besoin ) ne donne lieu aucune dci-sion humaine et ne
saurait intervenir dans un problme de choix ; de mme, unobjet en
abondance telle que tous les besoins humains correspondants sont
comblsjusqu la satit, nest pas limit par rapport ses besoins ; ds
lors, la questionde son affectation tel ou tel usage ne se pose
pas. Pour ce type de biens, appelsbiens libres, le calcul conomique
et donc lconomiste sont inutiles.
En revanche, et loppos,
les biens conomiques sont les biens qui sont limits par rapport
aux besoins.Ces biens sont appels biens rares .
Au fait matriel de la limitation des moyens est maintenant
ajoute lidede raret. Celle-ci est prise cependant dans un sens bien
prcis, propre notrediscipline : en conomie, en effet, la raret dun
bien ne dsigne pas un faibledegr dabondance physique dans la
nature, mais plutt la relation entre le degr
1.2
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CHAPITRE 1 QUEST-CE QUE LCONOMIE POLITIQUE ? 5
dabondance et lintensit des besoins prouvs par les hommes lgard
du bien.Lair que nous respirons sur terre est, par exemple, un bien
libre ; mais dans unecabine spatiale ou sur une station lunaire,
lair est un bien conomique car il y araret des quantits doxygne qui
peuvent y tre emportes, par rapport auxbesoins des
astronautes1.
La notion conomique de raret reflte ainsi, dans le vocabulaire
relatif auxbiens, la tension entre besoins et moyens mentionne au
paragraphe prcdent.
Section 1.2La conception relle
1 Production, distribution, consommation
Il peut paratre satisfaisant de dfinir lconomie politique comme
la science quipermet de dterminer la meilleure combinaison de
moyens rares pour atteindreun objectif. Pourtant, une telle
dfinition risque de dissoudre cette discipline dansune thorie
gnrale de laction finalise o rien ne distingue lactivit conomiquede
lactivit oriente vers la recherche du pouvoir, du salut ou du
plaisir. Si toutcomportement impliquant une allocation de moyens
est conomique, alors larelation dune mre son bb est galement une
relation conomique, ou plutta un aspect conomique, tout autant que
la relation dun employeur avec sonouvrier salari 2. Dautres
exemples pourraient tre donns : le cas dune partiedchecs, de la
stratgie militaire3, dune lection prsidentielle ou du salut de
sonme
Cest pourquoi certains auteurs ne se contentent pas de dfinir
lconomiecomme une forme de comportement o le politique, le
religieux, le militaire seconfondent avec lconomique. Ils insistent
sur lobjet rel de la science cono-mique. Celle-ci sintresse dune
part aux oprations essentielles que sont laproduction, la
distribution et la consommation des biens, dautre part aux
institu-tions et aux activits ayant pour objet de faciliter ces
oprations 4.
1 Sur terre, pourtant, lair non pollu est-il encore un bien
libre ? Lvolution contemporaine tend rendrerares des biens qui
jadis taient libres.
2 Selon les termes de GODELIER, M., Rationalit et irrationalit
en conomie, Paris, Maspero, 1966, p. 19.3 Une conception conomique
de la grenade est prsente dans le texte suivant qui se passe de
commen-
taire. Des tudes de recherche oprationnelle ont montr quil tait
plus rentable de mettre hors de combat lesfantassins ennemis plutt
que de les tuer sur place. Un homme mort ne constitue aucun poids
pour ladversairemais, par contre, un homme grivement bless impose
lennemi une charge daide mdicale, de brancardiers,dvacuation vers
larrire, immobilisant du personnel et des vhicules, perturbant
ainsi le trafic sur les voiesdaccs ses terrains de combat. De plus,
il a t dmontr quun homme grivement bless sur le terrain aumilieu de
ses camarades, a un effet psychologique important sur le moral des
soldats. Ceci explique qu la notiondclats mortels a t substitue la
notion dclats efficaces Poudreries Runies de Belgique s.a., Grenade
main et fusil PRB103, 1969, pp. 3 et 4.
4 Termes utiliss par MALINVAUD, E., dans ses Leons de thorie
microconomique, Paris, Dunod, 1969, p. 1.
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6 INTRODUCTION
En dautres termes, si tous les actes humains, quils soient
individuels ou collectifs,constituent lobjet de lensemble des
sciences sociales, le domaine propre lconomie politique se rduit
aux actions qui impliquent la mise en uvre debiens matriels dans
une organisation donne.
2 Mais aussi les services, la cit Et jusquo ?
Pourtant, il est de plus en plus vident que si lconomie
politique daujourdhuise proccupe de la production, de la
distribution et de la consommation des biens,elle tudie tout autant
celles des services. Ainsi le musicien, lavocat, le prtre,
lepoliticien qui reoivent leur rmunration pour un concert, une
plaidoirie, unemesse ou une activit parlementaire font aujourdhui
lobjet de bien des analysesconomiques.
Mais alors, la prise en considration de ces services omniprsents
risque dedboucher sur toute lactivit sociale : elle fait pntrer
lconomie dans le domainedu politique, du religieux, du
psychologique Lobjet de lconomie politique seconfond finalement
avec celui de toute la science sociale, et porte sur lensembledu
comportement de lhomme vivant en collectivits organises5.
Une telle perspective a lavantage de mettre en lumire
linterdpendance entreles disciplines sociales et limpossibilit dune
dcoupe systmatique des domainesrespectifs. Lorsquelle sinterroge
sur son objet, toute science dbouche sur lesdisciplines qui lui
sont voisines. Cette ncessaire ouverture tait dj souligne parJ.S.
Mill lorsquil crivait : il y a peu de chance dtre un bon conomiste
si onnest rien dautre. tant en perptuelle interaction, les phnomnes
sociaux neseront pas rellement compris isolment . Mais linconvnient
dune telle appro-che est, nouveau, labsence dun critre permettant
de dlimiter nettement ledomaine de lconomie politique.
Ainsi, quel que soit le point de vue adopt point de vue formel,
selon lequeltoute activit qui combine des moyens rares pour
atteindre au mieux un objectifest conomique, ou point de vue rel,
qui voit lactivit conomique comme portantsur la production, la
distribution et la consommation de biens et de services ,
ladfinition de lconomie politique ne permet pas de circonscrire
avec prcisionson domaine.
Au mieux, disons que lobjet de lconomie politique est la fois un
champdactivits particulires (production, distribution,
consommation), et un aspectparticulier de lensemble des activits
humaines.
5 Cest pourquoi nous utilisons le terme d conomie politique de
prfrence celui d conomie ou de science conomique . Cette
expression, qui fut employe pour la premire fois en franais par
Antoine deMontchrtien (1615), insiste sur lide dune gestion de la
cit, dune organisation de la socit.
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CHAPITRE 1 QUEST-CE QUE LCONOMIE POLITIQUE ? 7
La dfinition nonce au dbut de ce chapitre est aujourdhui
classique, et cestpourquoi il est de bon sens de ladopter dans un
manuel dinitiation. Il importecependant de rester conscient de ce
que les rponses quelle apporte saccompa-gnent dindterminations
quelle narrive pas lever.
Section 1.3Les approches positive et normative
Avant de se lancer dans les premiers rudiments du raisonnement
conomique,deux perspectives alternatives, mais nanmoins
complmentaires, sont distinguer.
En tant que science positive, cest partir dune description
dtaille de la ralitque lconomie tudie le comportement humain devant
les moyens rares ; dansune seconde tape, elle passe lanalyse, qui
consiste laborer une explicationlogique des faits, en dfinissant
des relations entre eux. Lensemble des propositionsqui expriment
ces relations constitue une thorie . Enfin, dans une troisimetape,
faits observs et thorie peuvent tre utiliss conjointement pour
formulerdes prvisions. Le succs ou linsuccs de celles-ci dterminera
en partie la valeurde la thorie qui les fonde.
En rsum,
lapproche positive vise essentiellement lexplication logique du
mode effectifde rsolution des problmes conomiques ; elle sert de
base aux prvisionsconomiques.
Notons de suite les difficults que rencontre cette conomie
positive. Son objettant les faits humains, individuels ou
collectifs, lexprimentation y est malaise.Il est presque impossible
disoler certains lments pour procder des observa-tions rptes, en
milieu inchang. Lhypothse usuelle selon laquelle, dans ltudedes
relations entre deux ou plusieurs variables, toutes les autres
choses restentgales (ceteris paribus) est ici particulirement
dangereuse6. En ralit, le fait socialest en perptuel devenir et ne
se rpte jamais dans des conditions identiques.Davantage que dans
les sciences de la nature, il est donc hasardeux de prvoirou de
prdire. Sans doute, les tentatives ne manquent-elles pas, mais les
insuccsconstats jusqu prsent laissent penser que les progrs
accomplir restentconsidrables.
En tant que science normative, lconomie part au contraire de la
thorie : tenantpour donne lexplication des relations entre les
faits, elle cherche en dduire
6 Notons les espoirs ns du recours aux techniques de simulation
qui permettent de reproduire en chambre certaines situations
conomiques relles et, grce notamment lemploi des ordinateurs,
danalyser leffet desvariations dans les conditions environnantes
(le fameux jeu du Monopoly en est un exemple simplifi).
Jamaiscependant on ne pourra simuler les comportements de socits
entires dans toutes leurs composantes.
1.3
-
8 INTRODUCTION
quels comportements les hommes doivent adopter dans les faits
sils dsirent raliserau mieux un objectif donn. Elle propose donc la
meilleure manire dorganiser laproduction, la distribution, la
consommation, et fournit les moyens de juger lesavantages
respectifs des divers types dorganisation dans ces domaines. Son
discoursest ici prescriptif ; il est la base de toutes les
propositions de politique conomique.
En rsum,
lapproche normative vise essentiellement lvaluation, par rapport
ses objectifs,de la manire dont la Socit rsout ses problmes
conomiques ; elle sert de baseaux recommandations de politique
conomique.
ce niveau galement, le caractre complexe du fait social rend
dlicate ladtermination de la meilleure solution. Une solution
purement conomique risque de prsenter un caractre dangereusement
partiel et de ngliger des donnesou des effets indirects pourtant
fondamentaux du point de vue du bien-tre gnralde lindividu ou de la
socit.
La mthode de cet ouvrage se situe mi-chemin entre les deux ples
qui viennentdtre dcrits, dans la mesure o ils supposent tous deux
le recours lanalyseconomique. Cest sur ce terrain commun que nous
voulons nous placer. Notreobjectif premier est de prsenter, dans
leur tat actuel, les propositions principalesde lanalyse conomique.
Selon les ncessits pdagogiques, tantt nous les indui-rons de
lobservation, tantt nous en dduirons des prescriptions daction,
tanttencore nous chercherons seulement les illustrer. Mais
toujours, nous nous efforce-rons daider le lecteur ne pas confondre
les divers plans possibles du raisonnement,car cest de telles
confusions que naissent le plus facilement les erreurs
conomiques,cest--dire les gaspillages.
1.4
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 9
2Lallocation des ressources
On vient de voir que le problme conomique nat de la
confrontation desbesoins humains, multiples et quasi insatiables,
la limitation et donc la raretdes ressources disponibles. Dans ce
chapitre, le problme est soumis un examenplus dtaill, au moyen
dinstruments qui permettent de comprendre ensuitequelles solutions
ont tent de lui apporter nos Socits.
La section 2.1 prcise le problme, en dcrivant ses composantes
principales : lesactes conomiques, les agents, et les biens.
La section 2.2 propose ensuite une triple mthode numrique,
graphique etmathmatique pour soutenir les raisonnements devant
permettre de saisir leproblme dans toutes ses dimensions.
La section 2.3 prsente enfin les solutions apportes au problme,
telles que lessocits les ont conues et mises en uvre dans le cadre
de systmes conomiques .Ceux-ci sont soit dcentraliss les conomies
de march, soit centraliss lesconomies de commandement.
Cette leon danatomie sera notre premier pas dans lanalyse
conomique.
-
10 INTRODUCTION
Section 2.1Lanatomie de lconomie
Considr dans sa gnralit, le problme delaffectation des
ressources dune socit enfonction de ses besoins parat immense :
com-ment en traiter de manire raliste sans seperdre dans lnumration
des divers biens,de tous les besoins imaginables, et de tous
lesactes qui peuvent tre accomplis pour lessatisfaire ? Procdons
par simplification. Lafigure 2.1 donne une reprsentation
schma-tique du problme : ressources limites dunct, besoins illimits
satisfaire de lautre.Comment la relation stablit-elle entre cesdeux
ples ?
Essentiellement par deux catgories dactions humaines : la
consommation et laproduction, qui sont, en raison de ce rle, les
actes conomiques principaux.
1 Les actes conomiques :consommation et production
En partant du ple des besoins, dfinissons dabord la consommation
commetant
tout acte par lequel des biens sont utiliss pour satisfaire
directement des besoinshumains spcifiques.
Parmi les ressources quoffre la nature, il en est un certain
nombre qui sontconsommes telles quelles : leau qui nous dsaltre,
les vgtaux dont nous nousnourrissons, le sol que nous occupons.
Mais il y a quantit dautres biens que nous consommons, et qui ne
sont pasdirectement fournis par la nature sous une forme adquate :
dans nos pays, latemprature du climat ne suffisant pas nous
maintenir en vie, il faut produire de la chaleur, grce au bois, au
charbon ou au fuel-oil ; la force motrice humaineou animale ne
suffit pas non plus nos besoins : il faut en produire au moyende
ressources trouves ailleurs ; nos gots alimentaires ne sont pas
davantage satis-faits par les seuls produits de la nature.
Ainsi apparat la production, dfinie comme tant
tout acte par lequel des biens sont utiliss pour tre transforms
en produits ,cest--dire en dautres biens.
Le produit pain , par exemple, est le rsultat dune activit de
transformation
Figure 2.1 Le problme conomique
2.1
2.2
RESSOURCES
BESOINS
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CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 11
quun producteur (le boulanger) a fait subir un ensemble dautres
biens : la farine,le beurre et le travail du boulanger.
Cependant, tout produit nest pas ncessairement consommable au
sens dfinici-dessus : un rail de chemin de fer, une brique ou une
machine crire sont desproduits au mme titre que le pain. Mais dans
leur cas, lactivit de productionsexplique, non par la consommation,
mais par le fait que le produit est son tourutilis dans la
production dun autre produit, ventuellement susceptible dtreconsomm
: le rail, conjointement la locomotive, lnergie et aux wagons,
fournit(ou produit) le transport consomm par les voyageurs ; la
brique, jointe auciment, au bton, aux pieux et autres matriaux de
construction, servira produire une habitation dont les services
sont leur tour consomms par unmnage. Le plus souvent, les
transformations successives dun mme bien sontdailleurs multiples :
il suffit de penser au bl qui devient farine, celle-ci tant
trans-forme en pte, pour qu son tour la pte devienne du pain, seul
de ces produits tre consomm.
La figure 2.2 illustre ce raisonnement. Elle montre comment
sintercalent, entreles deux ples du problme conomique, les deux
catgories dactes fondamenta-lement diffrents qui viennent dtre
dfinis : la production et la consommation.
2 Les agents conomiques
Au dpart de cette premire typologie du comportement humain face
auxressources matrielles, deux types dagents conomiques sont
traditionnellementdistingus : les mnages et les entreprises.
Les mnages, regroupant les individus en cellules familiales, ont
pour premirefonction la consommation. Ils sefforcent dobtenir les
quantits de biens et deservices ncessaires pour la satisfaction de
leurs besoins.
Figure 2.2 Les actes conomiques
BESOINS
RESSOURCES
CONSOMMATION
PRODUITSou
OUTPUTS
FACTEURSou
INPUTSPRODUCTION
-
12 INTRODUCTION
Les entreprises sont les agents dont la fonction est la
production de biens et deservices. Elles rassemblent les moyens
ncessaires cette production : elles enga-gent des travailleurs, se
procurent des matires premires et des quipements et,sil y a lieu,
des capitaux financiers.
Selon une stricte dfinition des agents par leurs fonctions
spcifiques (la con-sommation pour les mnages, la production pour
les entreprises), une troisimefonction distincte des deux premires
doit tre reconnue : celle de la dtention desressources. Elle est
essentiellement passive par rapport aux deux autres, mais
posenanmoins des problmes caractristiques : ceux du prt, de la mise
en location,de la proprit, de la vente de ces ressources. Les
dtenteurs de ressources serontdonc considrs dans la suite comme des
agents distincts.
Il va de soi que cette distinction fonctionnelle entre agents ne
se confond pasavec un classement des individus : une mme personne,
physique ou morale, peutparfaitement tre la fois consommateur,
producteur et dtenteur de ressources,ou ne remplir quune ou deux de
ces fonctions.
Ltat doit-il tre ajout cette liste des agents conomiques ? Son
rle majeurdans nos conomies modernes suggre que oui, du moins
premire vue. Mais,ayant dfini jusquici les agents conomiques par
leurs actes, nous devrions aupralable dcrire les actes conomiques
de ltat. Lextrme varit et la complexitde ceux-ci, dans le cadre de
nos conomies de marchs, nous amnent postposercette tche au chapitre
14, lorsque nous disposerons dun cadre appropri.
3 Les biens conomiques
a Biens de consommation et biens de production
La distinction entre actes conomiques de consommation et de
production suggredes classifications correspondantes des biens,
selon leur position dans le processusdallocation des ressources aux
besoins.
Les biens de consommation sont ceux qui font lobjet des dcisions
desconsommateurs. On distingue les biens de consommation durables ,
dont luti-lisation schelonne dans le temps (habitation, voiture,
appareil mnager), desbiens de consommation non durables , qui sont
dtruits par lusage quon enfait (aliments, combustibles).
Les biens de production, par contre, sont utiliss par les
producteurs, et demanire durable ou non : cest le cas des machines,
de loutillage, des matirespremires, de lnergie, et du travail. Ils
sont finalement destins accrotre lesquantits de biens de
consommation disponibles.
Remarquons que cette distinction entre biens de consommation et
biens deproduction ne tient pas la nature mme des biens, mais la
nature de lagent quiles utilise. Ainsi, un mme bien physique peut
tre qualifi, selon le cas, de bien deconsommation et de bien de
production. La pomme que je cueille dans mon vergerest un bien de
consommation si je la mange directement ; elle devient un bien
deproduction si je lutilise pour fabriquer du cidre. Ce double
caractre se retrouvedans la majorit des biens conomiques.
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 13
b Outputs et inputs
Si lon considre plutt les biens du seul point de vue de la
production, la classifi-cation fondamentale parce que la plus utile
pour lanalyse est celle qui dis-tingue entre ce qui est produit et
ce qui sert produire . Cest ce quexprimentparfaitement les termes
anglo-saxons doutput et dinput :
un bien est un output sil est le rsultat dune production, quels
que soient son tat(fini, semi-fini, brut labor) et sa destination
(consommation ou production) ;
un bien est un input sil est utilis pour en fabriquer dautres,
quels que soient sontat et son origine.
Il nexiste pas de termes franais exactement quivalents1.
c Biens et services
Les outputs doivent tre conus au sens le plus large, et englober
non seulement lesbiens matriels mais aussi le rsultat dactivits
plus immatrielles telles que lamdecine, lenseignement, les
beaux-arts, ou le tourisme, car celles-ci requirentlemploi de
ressources rares. Cest l tout le domaine des services , qui jouent
unrle de plus en plus important dans notre socit industrielle.
Une telle extension sapplique galement aux inputs : lacquisition
dun brevetou dune licence de fabrication, les apports dun
laboratoire de recherches sont desservices souvent indispensables
la ralisation de certaines productions.
d Produits et facteurs de production
La distinction output-input est certes utile, mais il en est une
autre, plus classique,qui prsente galement un certain intrt : cest
celle entre produits et facteursde production . Ici encore, le
point de vue de la production sert de critre.
Le terme de produit est synonyme de celui doutput encore que lon
se limiteparfois aux produits dits finals , cest--dire ceux qui
sont effectivementconsomms (le pain), par opposition aux produits
intermdiaires , qui sontrutiliss comme inputs dans dautres
productions (la farine).
Lexpression facteurs de production dsigne lensemble des divers
biens etservices qui permettent la production. Elle pourrait tre
identifie au terme inputs,mais elle est plutt employe en faisant
rfrence une classification des facteursen trois catgories typiques
: les ressources naturelles, le travail et le capital.
Les ressources naturelles comprennent la terre et tous les
minraux quelle con-tient ltat brut, tandis que le travail dsigne
toute activit productive humaine.On appelle souvent facteurs
primaires ces deux catgories dinputs, car ils ne sontle fruit
daucune activit conomique antrieure : ils ne sont en rien des
outputs.
Le terme capital, par contre, recouvre un ensemble composite de
biens et deservices (le capital physique ), dune part, et de sommes
financires (le capital
1 G. FAIN, traducteur du clbre manuel amricain crit par Paul
SAMUELSON, Economics : An IntroductoryAnalysis, New York,
McGraw-Hill (1e dition : 1948 ; 16e dition, co-signe avec William
NORDHAUS : 1998), apropos extrants et intrants , mais la littrature
conomique franaise na pas vraiment adopt ces termes.
2.3
2.4
-
14 INTRODUCTION
financier ), dautre part. Sous laspect physique, il sagit des
quipements, desmachines, de loutillage et des stocks existant un
moment donn et qui accroissentlefficacit du travail humain dans son
rle productif 2 ; sous laspect financier, lecapital est constitu
par les sommes montaires utilises par les entreprises pouracqurir
leur capital physique. Ces deux aspects sont intimement
complmentaires,et le terme capital, en tant que facteur de
production, les recouvre tous les deux.Nanmoins, chaque fois que ce
sera ncessaire, lexpos prcisera sil sagit de capitalphysique ou de
capital financier.
Enfin, depuis longtemps, la question se pose de savoir sil ny a
pas un quatrime type de facteurde production, qui serait li la
notion dorganisation. Il est en effet vident que la productiondune
entreprise nest pas seulement dpendante des trois types de facteurs
dj identifis, maisaussi de facteurs qualitatifs, tels un degr de
coopration ou dinformation, une capacit dap-prentissage,
dorganisation ou de progrs technique. Des recherches rcentes se
proccupentparticulirement de cette question.
Section 2.2Le problme de lallocation desressources et les
possibilits deproduction
a Les possibilits de production dune conomie
Nous disposons maintenant dun schma du problme conomique, et des
dfini-tions de ses principales composantes. Il manque encore un
lment essentiel, quiest le processus de choix sur lequel laccent a
t mis au chapitre prcdent. Pourlintroduire, nous raisonnerons sur
un exemple simple, qui sera gnralis par lasuite.
Supposons le cas extrme dune conomie dans laquelle deux biens
seulementseraient consomms : de la nourriture et de la boisson ;
lconomie seraitdote en outre dun ensemble de ressources fixes en
quantits et en qualit : disons200 000 travailleurs de mme
qualification ; enfin elle disposerait de techniques deproduction
bien dfinies permettant de transformer ces ressources en nourriture
ou en boisson .
2 Lexemple classique est celui du paysan dont la maison est
loigne dune source. Deux comportements sontpossibles : ou bien le
paysan dsireux de boire va jusqu la source et puise leau la main,
ou bien il consacre uncertain temps creuser des arbres et
construire une canalisation qui amne leau de la source sa maison.
Cettemthode indirecte qui recourt au capital (la canalisation) se
rvle la longue plus efficace pour la satisfaction dubesoin. Un tel
exemple fait comprendre dune part que le capital nat du travail
humain, et dautre part que laplupart des produits qui composent le
capital physique sont des produits intermdiaires, au sens
voquci-dessus.
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 15
Supposons ensuite que lensemble des ressources, cest--dire tous
sestravailleurs, et toutes ses techniques de production soient
consacrs la nourriture.En raison de la limitation du nombre et de
la qualit des ressources et techniquesdisponibles, la quantit de
nourriture qui pourra tre produite en un temps donnsera elle aussi
limite : soit, dans notre exemple, un maximum de 100 millions dekg
par an. Si, au contraire, toutes les ressources taient alloues la
production deboisson, la mme limitation initiale entranerait aussi
un maximum possible deboisson, soit 50 millions de litres par an.
Voil dj deux choix possibles (maismutuellement exclusifs) pour la
socit en question.
Avant daller plus loin, consignons au tableau 2.3 les
alternatives qui viennentdtre dcrites : la premire (A) implique
labsence totale de boisson, puisque toutesles ressources passent en
nourriture ; la deuxime (F, au bas du tableau) renverseles
positions respectives des deux biens. La figure 2.3A permet de
visualiser lesdeux cas : en mesurant le long des axes les quantits
produites des deux biensconsidrs, les coordonnes des points A et F
du diagramme correspondent auxchiffres de production du tableau
2.3.
Entre ces choix extrmes, il en est videmment dautres, galement
possibles, etsans doute plus ralistes : vraisemblablement la
communaut voudra-t-elle disposer la fois dune certaine quantit de
boisson et dune certaine quantit de nourriture.Imaginons donc que
la socit, aprs avoir choisi lalternative A, se ravise et
dcidequelle devrait galement disposer de 10 millions de litres de
boisson :ncessairement, la quantit de nourriture qui pourra tre
obtenue sera infrieure 100, car la production de la boisson exigera
des ressources3 qui ne seront trouvesque parmi celles antrieurement
consacres la nourriture. Pour illustrer num-riquement, nous dirons
que si la socit veut 10 millions de litres de boisson paran, les
ressources qui lui resteront ne lui permettront de produire, au
maximum,que 96 millions de kg de nourriture, par exemple, au cours
de cette anne. Cestlalternative B du tableau 2.3, ou encore le
point B de la figure 2.3A : on y voit bienque lobtention de boisson
en ce point implique moins de nourriture quen A.
Ce nest l cependant quun choix intermdiaire parmi dautres ; mais
dcrireceux-ci devient maintenant trs simple : il suffit de rpter le
raisonnement pourdautres grandeurs. Ainsi, lexigence de 20 millions
de litres de boisson diminue-rait encore le montant des ressources
restant disponibles pour la nourriture, etramnerait la production
de celle-ci 84 millions de kg par exemple (alternativeC) ; les
alternatives D et E, ainsi que leur reprsentation graphique par les
pointscorrespondants sobtiennent de faon similaire.
La multiplication de ces choix possibles, et donc des
combinaisons des deuxbiens, conduit une srie de points de plus en
plus rapprochs les uns des autres,qui finissent par se confondre en
une ligne continue joignant A F en passant parB, C, D et E (figure
2.3B). Cette courbe porte le nom de courbe des possibilits
deproduction. Linfinit de points dont elle est constitue (de A F)
reprsente eneffet une srie de choix possibles dans une telle
conomie, choix contenus danscertaines limites en raison de la raret
des ressources et de ltat donn de la tech-nique qui les met en
uvre. Cette courbe sera dans la suite un prcieux instrumentde
raisonnement, car sa construction fait appel aux lments essentiels
du problmeconomique fondamental : la raret des ressources et le
choix entre alternatives.
3 Sans quoi la boisson ne serait pas un bien conomique !
-
16 INTRODUCTION
b Remarque mthodologique
Jusquici, les alternatives du problme conomique ont t exprimes
en troismanires : lune est la forme verbale ; la seconde consiste
donner sous formenumrique une liste exemplative des solutions
possibles (tableau 2.3) ; la troisimea fourni, sous forme
graphique, une description de toutes les solutions possibles(figure
2.3B).
Le trac dune courbe dans un diagramme cartsien tel que celui de
cette figurevoque videmment lide dune relation fonctionnelle entre
les grandeursmesures le long des axes ; par ailleurs, notre
raisonnement a prcisment consisten une recherche des relations qui
pourraient tre dfinies entre trois grandeurs :une quantit fixe de
ressources (R = 200 000 travailleurs) et des quantits variablesQb
et Qn des deux types de produits, sachant quelle est la cause de
ces relations. Ilest ds lors naturel dadjoindre aux illustrations
de notre problme celles que per-met le langage mathmatique.
Lexpression analytique 2.3A fournit, sous formefonctionnelle, une
description de la courbe trace la figure 2.3B, ou encore,
uneexpression synthtique des relations qui existent entre les
valeurs numriques dutableau 2.3. Il sagit l dune fonction
particulire, du deuxime degr, tout commelexemple numrique tait lui
aussi particulier4. Lexpression 2.3B au contraire estgnrale, en ce
sens quelle ne spcifie pas la forme des relations entre les
troisgrandeurs (ressources, boisson et nourriture). Mais, sachant
quelle peut prendredes valeurs numriques bien dtermines, et quelle
peut tre reprsente gom-triquement, elle suffit illustrer lide de la
limite des possibilits de production.
Quatre formes possibles de prsentation du raisonnement conomique
sontainsi juxtaposes : la forme verbale du texte, la forme numrique
du tableau, laforme graphique de la figure, et la forme analytique
des quations. Les dbatsentre conomistes sur les mrites respectifs
des unes et des autres sont incessants et agaants. Pour notre part,
nous souhaitons beaucoup quaprs ltude de cetouvrage, le lecteur
attentif soit affranchi des prjugs et des mythes qui accompa-gnent
lune ou lautre mthode. Nous sommes persuads de leur
complmentaritfoncire, et cest pourquoi nous les prsenterons
ensemble chaque fois que lexposle permettra.
c Les tats de lconomie
La courbe des possibilits de production (ou la fonction quelle
reprsente) cons-titue un premier outil danalyse conomique. En
effet, elle permet (1) de distinguerdeux types d tats de lconomie,
et (2) de caractriser, selon ces tats, lesconditions dans
lesquelles peut soprer un changement dans les choix de la
socit.
1 Supposons que les choix des agents conomiques aient t tels que
lconomieproduise les quantits de boisson et de nourriture
correspondant au point B. Dansces circonstances, les ressources
sont compltement utilises. Mais il en va de mmepour tout autre
point appartenant la courbe AF. Ds lors, les diffrents choix queces
points reprsentent ont une caractristique commune : celle dassurer
un tatde plein emploi des ressources de lconomie5.
4 Dun point de vue strictement numrique, le lecteur pourra
vrifier que la relation 2.3A est bien lquation dela courbe AF, et
quelle est vrifie par les valeurs donnes au tableau 2.3.
5 Dans un autre langage, toutes les valeurs de Qb et de Qn qui
satisfont exactement la relation 2.3A ou plusgnralement, 2.3B pour
R donn reprsentent des productions de plein emploi.
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 17
Un point tel que G au contraire, qui nappartient pas la courbe
AF et quicorrespond une production annuelle de 20 millions de
litres de boisson et de40 millions de kilos de nourriture, implique
par construction que toutes les res-sources ne sont pas employes ;
il suffit en effet de comparer G avec lalternative Cau tableau 2.3.
Un tel point reprsente donc un tat de sous-emploi des ressources.Il
en va de mme de tous les autres points situs gauche (ou en de) de
la courbedes possibilits de production6.
Enfin, un point tel que H, comme tout autre point situ droite
(ou au-del) dela courbe des possibilits de production, reprsente un
choix irralisable : ceci, parconstruction mme de la courbe.
La courbe des possibilits de production apparat donc la fois
comme unefrontire entre le possible et limpossible, et comme une
description de tous leschoix qui impliquent un tat de plein emploi
des ressources.
6 Analytiquement, on peut dire que toutes les valeurs de Qb et
Qn qui ne satisfont pas les relations 2.3, mais quivrifieraient une
ingalit de la forme f (Qb,
Qn, R)
-
18 INTRODUCTION
2 Selon ltat de lconomie, un changement dans les choix de la
socitsoprera dans des conditions diffrentes.
Dans une conomie en sous-emploi, il est en principe possible
daugmentertoutes les productions simultanment (passage de G en D
par exemple). La raisonen est videmment que les ressources non
utilises en G sont mises en uvre pouratteindre D.
Dans une conomie de plein emploi au contraire, laugmentation
simultane detoutes les productions est impossible, et tout
changement dans les choix de lasocit se caractrise par des
substitutions. Pour passer de B en C, il faut renoncer de la
nourriture pour obtenir de la boisson ; celle-ci ne peut tre
obtenue quaumoyen dune rallocation des ressources du secteur de la
nourriture celui de laboisson. Cette rallocation revient en somme
transformer de la nourriture enboisson.
Remarquons que lorsque la socit passe de A en B, puis de B en C,
de C en D, etc., la transfor-mation de la nourriture en boisson ne
se ralise pas dans des conditions identiques. Dans lepremier cas,
on renonce 4 millions de kilos de nourriture pour obtenir 10
millions de litres deboisson, soit donc 0,4 kg par litre ; mais
dans le deuxime, il faut abandonner 12 millions de kgpour que
lconomie puisse produire les 10 millions de litres supplmentaires,
soit 1,2 kg parlitre. En dautres termes, la transformation ne se
fait pas toujours au mme taux. On dfinit letaux de transformation
de la nourriture en boisson comme tant :
le rapport de la quantit de nourriture laquelle il est renonc
(elle figure au numrateur) laquantit de boisson qui est obtenue
(elle figure au dnominateur).
Entre A et B, ce taux est de 4/10 = 0,4 ; entre B et C, il est
de 12/10 = 1,2 ; entre C et D, le taux estde 20/10 = 2 ; etc. Il
apparat donc que dans une conomie de plein emploi, le taux de
transfor-mation dun produit en un autre, travers une rallocation
des ressources, est croissant, au furet mesure que lconomie possde
de moins en moins du bien auquel elle renonce. Les raisonsprofondes
de ce phnomne apparatront dans ltude dtaille de la production.
Section 2.3Les rponsesdes systmes conomiques
Les tats de sous-emploi, comme ceux de plein emploi, ne sont pas
uniques. Sichacun deux constitue une solution possible au problme
conomique fonda-mental, ni leur description, ni leur reprsentation
graphique ou analytique ne disentcomment la socit en arrive telle
ou telle solution dtermine, cest--direcomment elle choisit un tat
particulier. Le choix A serait sans doute lexpressiondun vote
lunanimit dans une socit de boulimiques, tandis que F serait
pluttcelui dune socit divrognes. Mais quid alors des tats
intermdiaires (y compris
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 19
les tats ventuels de sous-emploi, tels que G) ? Si la socit
comporte et desboulimiques et des ivrognes, comment va-t-elle
dterminer les quantits respectivesde boisson et de nourriture
quelle va produire, cest--dire le point choisir sur sacourbe des
possibilits de production ? En dautres termes, quelle est la
procdurede dcision par laquelle une socit rsout le problme de
lallocation de sesressources ?
Une telle procdure de dcision caractrise ce quon appelle un
systmeconomique , cest--dire un type dorganisation de la socit
tabli en vue dersoudre le problme. Il en existe en fait plusieurs,
mais on les groupe tradition-nellement en deux grandes catgories :
les conomies de march et les conomiesde commandement.
1 Les conomies de march
a Principe
Le systme des conomies de march repose essentiellement sur
linitiative indivi-duelle. Chaque agent conomique (consommateur,
producteur, dtenteur deressources) est cens dcider souverainement
ce quil va consommer, produire ouutiliser et comment, o et quand il
le fera :
les consommateurs acquirent les biens et services quils dsirent,
selon leursprfrences subjectives, et dans la limite des moyens dont
ils disposent ;
les producteurs fournissent les biens et services quils jugent
souhaitable deproduire, et le font en utilisant les facteurs de
production quils jugent les plusappropris, compte tenu des ncessits
techniques ;
enfin, les dtenteurs de ressources dcident librement de les
consacrer auxemplois quils jugent les meilleurs leur point de
vue.
Donc, personne nimpose rien personne.
b Fonctionnement
Une question se pose manifestement : comment les dsirs des uns
et des autres,fonds sur des critres purement subjectifs, sont-ils
rendus compatibles ? Par exem-ple, que se passe-t-il si les
consommateurs veulent beaucoup de nourriture et peude boisson,
alors que les producteurs auraient jug souhaitable et dcid
deproduire plus de celle-ci que de celle-l ? La rponse est donne
par le march, etplus prcisment par le mcanisme de lchange.
Un march est essentiellement une rencontre entre deux ou
plusieurs agentsconomiques, leur permettant de confronter leurs
intentions ; les uns cherchent acqurir certains biens ou services :
ce sont les acheteurs ou demandeurs ; pourles autres, il sagit de
fournir ce dont ils disposent ou ce quils ont produit : ce sontles
vendeurs ou offreurs . La rgle du jeu des rencontres entre
demandeurs etoffreurs sur les marchs est alors celle de lchange :
chaque agent nobtient cequil achte que moyennant une contrepartie
accepte par celui qui le fournit ; et
-
20 INTRODUCTION
tout vendeur obtient, pour ce quil apporte, ce que veulent bien
lui payer lesacheteurs. La contrepartie est gnralement exprime en
monnaie, et le rapportentre la somme de monnaie paye et la quantit
du bien ou service fournie letaux de lchange est appel prix.
Les dcisions des consommateurs, des producteurs et des dtenteurs
de ressour-ces sont donc rendues compatibles grce au prix de chaque
bien, sur le march quile concerne ; si vendeurs et acheteurs se
mettent daccord sur un prix, leurs inten-tions deviennent
compatibles ; aussi longtemps quils ne parviennent pas un
telaccord, lchange na pas lieu. Ltude de lconomie de march revient
examiner quelles conditions les changes sont possibles entre les
agents conomiquesindividuels, dans quelle mesure ils satisfont par
ce moyen leurs dsirs de consom-mation et leurs objectifs de
production, et quel est finalement ltat de lconomiequi rsulte de
lensemble de ces dcisions.
En principe, il existe un march distinct pour chaque bien ou
service, que celui-ci soit input ou output, produit ou facteur.
Mais lanalyse les groupe en deux types
principaux : les marchs des produits, et lesmarchs des facteurs
de production. Lesmarchs des produits sont les rencontres entreles
demandes de biens et services manant desconsommateurs (ou mnages),
et les offresfaites par les producteurs (ou entreprises). Lesmarchs
des facteurs sont les rencontres en-tre les demandes de facteurs de
production(ressources naturelles et terre, travail, capital),ces
demandes manant des entreprises, et lesoffres de ces facteurs,
celles-ci tant faites parles mnages qui les dtiennent.
Ainsi, chaque agent conomique est la foisdemandeur et offreur
sur lun ou lautre typede march, selon quil est consommateur
ouproducteur.
Lensemble du systme apparat schmati-quement la figure 2.4. Les
lments de ladescription qui vient dtre prsente sy trou-vent disposs
sous la forme dun vaste circuitconomique , les biens et services
circulantdans un sens (produits dans le haut du circuit,facteurs
dans le bas), la monnaie dans lautre.
c Cadre institutionnel
Lexistence et le fonctionnement dun tel systme de marchs ne sont
possiblesque dans le cadre dinstitutions qui permettent que
sexercent :
le droit la proprit individuelle, qui permet une dtention et un
contrleexclusifs des biens ou services que lon dsire consommer ou
changer ;
Figure 2.4 Schma dune conomie de marchs
MARCHSDES
PRODUITS
MARCHSDES
FACTEURS
MNAGES
Dtenteurs desressources
Consommateurs
ENTREPRISES
Inputs
Outputs
Monnaie
Monnaie Monnaie
Monnaie
Demandes Offres
Offres Demandes
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 21
la libert de contracter et dchanger, cest--dire dacheter ou de
vendre, deprter ou demprunter, de louer, dembaucher ;
la libert du travail qui confre chaque individu le droit de
choisir son activitou den changer ;
la libert dentreprendre, cest--dire de sengager ses risques et
prils, dansune activit productive quelconque.
Si lensemble de ces droits et liberts sont reconnus chacun des
agents cono-miques, et si ceux-ci poursuivent effectivement leurs
objectifs individuels, le sys-tme se caractrise alors par la
concurrence : les besoins de chacun tant multipleset insatiables,
les biens et les ressources aptes les satisfaire ne pouvant tre
acquisque par des changes librement accepts, chacun nobtiendra ce
quil dsire queny mettant le prix , cest--dire en offrant en
contrepartie de chaque bien, aumoins autant que ceux qui
recherchent le mme bien, et mme plus si les quantitsdisponibles ne
sont pas suffisantes pour satisfaire tout le monde.
La concurrence est donc une consquence des principes
dindividualisme et delibert sur lesquels le systme est fond. Mais
sa ralisation effective nen est pasassure pour autant, et les
formes quelle peut prendre sont extrmement varies.Elle constitue un
des objets essentiels de ltude des conomies de march.
2 Les conomies de commandement
a Principe
loppos des conomies de march, le systme des conomies de
commandementrepose sur lautorit. Chaque agent conomique
(consommateur, producteur,dtenteur de ressources) se voit dicter
par une autorit coordinatrice quelles serontla forme et lampleur de
sa participation lactivit conomique :
les consommateurs acquirent les biens et services quon leur
permetdacqurir ;
les producteurs fournissent les biens et services quon leur
enjoint de produire,au moyen des facteurs qui leur sont dsigns
;
les ressources appartiennent lautorit, qui dcide des emplois
auxquels ellesseront consacres.
Ici, le principe est donc le commandement.
b Fonctionnement
nouveau, la question de la compatibilit des dcisions se pose :
comment lauto-rit sassure-t-elle que ses dcisions en matire de
consommation et de productionne soient pas contradictoires ? La
rponse se trouve ici dans le plan, et dans lemcanisme
rglementaire.
Un plan est essentiellement un calcul comptable, faisant dune
part le bilan desressources disponibles, et fournissant dautre part
la liste des objectifs recherchs.
-
22 INTRODUCTION
Le bilan des ressources porte sur lensembledes facteurs de
production disponibles unmoment donn ; la liste des objectifs
sexprimesous la forme des quantits globales deproduits et services
qui sont censs venir existence dans un temps donn, au moyen
desressources inventories ; elle inclut galementquelle sera la
rpartition des divers biens entreles agents conomiques. Une fois le
planarrt, son excution est le critre premier detoute action
conomique, et cette fin, lauto-rit est investie par des lois et
rglementsappropris du droit de dterminer ce qui estattribu chacun
(consommateur ou produc-teur) et ce qui est attendu de chacun
(produc-teur ou travailleur).
Faisant pendant la figure 2.4, la figure 2.5propose le schma de
la circulation des biens,de la position des agents conomiques, et
descentres de dcision dans le cas dune conomiede commandement.
c Cadre institutionnel
Dans ce systme, les caractristiques institutionnelles sont les
suivantes :
lorganisation de la production est essentiellement aux mains des
fonction-naires de ltat, et non dentrepreneurs individuels ;
les conventions entre individus sont remplaces par les procdures
adminis-tratives qui assurent lexcution du plan de ltat ;
enfin, ltat est le seul propritaire des ressources et facteurs
de production.Donner aux individus un droit exclusif sur les biens
conomiques na plus designification, puisque ceux-ci doivent pouvoir
tre mobiliss dans le sens prvupar lautorit planificatrice.
Si linstitution du plan rsout logiquement le problme de la
compatibilit desdcisions, elle en soulve un autre : celui de
ladquation des objectifs du plan auxdsirs des individus qui
composent la socit. Cest l le point fondamental surlequel sopposent
les deux types de systmes dcrits ici. Alors que le principe
delconomie de march est la confiance totale dans les dcisions
libres des agentsindividuels et dans laptitude de la concurrence
rendre celles-ci compatibles, lesystme des conomies de commandement
sen rfre aux sources politiques dupouvoir de lautorit
planificatrice pour lgitimer les choix quelle fait. Sans
doute,cette autorit peut-elle chercher connatre les besoins et
dsirs de ses administrspar voie denqutes, de votes, de rfrendums,
etc. Mais la majeure partie desdcisions et des arbitrages
invitables ne peuvent se prter de telles consultationsdirectes.
Aussi la validit des choix du plan ne trouve-t-elle gure doccasion
desexprimer que dans le consensus par lequel les planificateurs
sont dsigns leurfonction.
Figure 2.5 Schma dune conomiede commandement
MNAGES
Travail
Consommateurs
ENTREPRISES
Inputs
Outputs
Dtenteur desressources
PLAN(tat)
Monnaie
Monnaie
Produits
Facteurs
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 23
3 Les conomies mixtes
Les deux systmes conomiques qui viennent dtre prsents comme des
rponsestypes au problme de lallocation des ressources, lont t de
manire trs schma-tique. Le but tait moins de prsenter la ralit de
telles ou telles conomies, que demettre en lumire les lignes
dominantes de deux principes alternatifs dorganisationconomique,
sans sattarder pour linstant ni aux exceptions ni aux cas
despce.
La comparaison que lon peut faire sur cette base permet de
comprendre djune diffrence essentielle : en conomie de march, cest
lensemble des prfren-ces individuelles qui, travers le mcanisme des
changes sur les marchs, dter-mine la combinaison des biens
finalement retenue, alors quen conomie decommandement, cest le
pouvoir central qui effectue un tel choix. De manireplus lapidaire
: les conomies de march sont dmocratiques, tandis que lesconomies
de commandement sont dictatoriales.
Auquel de ces deux types appartiennent les conomies relles ? Si
certains paysdonnent, ou ont donn dans le pass, une image qui se
rapproche plus ou moinsde lun ou de lautre type le monde dit
capitaliste dEurope occidentale,dAmrique du Nord et du Japon tant
organis selon le systme des marchs,alors que le monde communiste de
lEurope de lEst et de la Chine connaissaitdes conomies de
commandement, on peut dire que depuis la chute du mur deBerlin en
1989 (point de repre de leffondrement du systme communiste),
laplupart des pays du monde vivent actuellement sous des systmes
dans lesquelsdominent les aspects de march.
Ltat joue cependant partout un rle conomique, et celui-ci est
souvent trsimportant. Cest pourquoi tous les systmes conomiques
actuels peuvent trelgitimement appels systmes dconomie mixte, dans
lesquels la libert des choixindividuels est reconnue comme le
moteur principal de lactivit, tout en tantlimite par les exigences
de lautorit publique.
Schmatiquement, on peut imaginer une superposition des figures
2.4 et 2.5,laissant chaque systme particulier le soin de prciser
quels sont les domainesrespectifs de lintervention autoritaire
publique et de linitiative individuelle.
4 Modle rhnan vs Modle anglo-saxon
Si les conomies de commandement sont largement rejetes depuis la
chute dumur de Berlin (1989), le modle du march a pris depuis lors
des formes et desdegrs diffrents.
Ainsi, les tats-Unis privilgient la dynamique du march, tandis
que la plupartdes pays europens ont mis en uvre des politiques
sociales. Cette conomiesociale de march repose sur la solidarit.
Lenjeu est de prvenir lexclusion dutissu social, maintenir la
main-duvre dans le march du travail, soutenir larequalification
hors et lintrieur de lentreprise.
Ceci amne sinterroger sur la nature du capitalisme
daujourdhui.Dans son ouvrage Capitalisme contre capitalisme 7,
Michel ALBERT contraste,
dune part, un modle rhnan couvrant lAllemagne, la France, le
Benelux et les
7 d. du Seuil, Paris, 1991.
-
24 INTRODUCTION
pays scandinaves et, dautre part, le modle anglo-saxon. Le
premier donneraitla priorit au succs collectif, au consensus et aux
perspectives de long terme.Le second serait bas sur la russite
individuelle, lesprit dinitiative et la libreconcurrence.
Mais les limites de chacun de ces modles ont galement t mises en
lumire :cot excessif de ltat-Providence dans le modle rhnan, socit
duale et exclusionsociale dans le modle anglo-saxon.
Notre culture et notre histoire nous donnent quelques raisons de
prfrer lemodle rhnan, mais il faut raliser que lavenir de cette
forme de capitalisme nestpas assur. Plusieurs menaces se dessinent
en effet : pourrons-nous prserver notrespcificit dans un monde
globalis qui semble tendre vers lhomognit ?Pourrons-nous faire face
nos contraintes budgtaires sans dmanteler notresystme social ?
Pourrons-nous promouvoir nos valeurs mises en cause par latentation
de lindividualisme et du repli sur soi ?
Si notre futur est ainsi charg dincertitudes, il lest aussi
despoirs. Surtout, ilsera porteur de ce que nous aurons choisi
aujourdhui comme systme conomique. cet gard, concilier qualit de la
vie et prosprit est un des traits les plus typiquesdu modle de
dveloppement europen. Cest aussi une volont, comme enatteste
Jacques DELORS qui, lpoque o il tait Prsident de la
CommissionEuropenne, appelait son rve une Europe faisant fructifier
son immense patri-moine culturel, et une Europe imprimant la marque
de la solidarit un mondepar trop dur et par trop oublieux de ceux
quil exclut .
De la description des systmes conomiques, nous passons ainsi,
insensible-ment, aux choix de socit. Ceux-ci font en effet partie
intgrante de la discipline laquelle nous voulons initier le
lecteur. Mais pour les discuter en connaissance decause, et ainsi
mieux fonder nos options, le passage par les analyses qui vont
suivreest incontournable.
Section 2.4Objet et plan de louvrage
Lobjet de cet ouvrage est dtudier les principaux aspects du
fonctionnement duneconomie mixte.
Dans une premire partie, intitule Analyse microconomique, nous
commen-cerons par ltude des comportements des agents conomiques
individuels. AuTitre I, consommateurs, producteurs, dtenteurs des
ressources naturelles,travailleurs, et finalement pargnants feront
successivement lobjet dun examenspcifique. Ensuite, ce seront les
relations stablissant entre ces agents qui retien-dront notre
attention : au Titre II, celles des multiples mcanismes des marchs,
etau Titre III celles des mcanismes politiques au sein de ltat.
Dans une deuxime partie, consacre lAnalyse montaire, le rle
particulierde la monnaie fera lobjet dune tude systmatique.
-
CHAPITRE 2 LALLOCATION DES RESSOURCES 25
La troisime partie sera consacre lAnalyse macroconomique :
celle-ci portesur les grandeurs conomiques globales, cest--dire
constitues par lagrgationde celles qui caractrisent les
comportements individuels. On y identifiera dabordquelles relations
tendent stablir spontanment entre ces grandeurs (Titre I) ;
etensuite quelles sont les modalits de laction publique ce niveau,
cest--dire lapolitique conomique (Titre II).
Enfin dans une quatrime partie, intitule Analyse conomique
internationale,on dveloppera ltude des relations entre plusieurs
conomies nationales.
-
26 INTRODUCTION
-
PREMIRE PARTIE
Analyse microconomique
La microconomie est ltude de lconomie dans chacune de
sescomposantes, prises isolment dans un premier temps
(consom-mateurs, producteurs, travailleurs, pargnants,
investisseurs, marchsde produits, marchs de facteurs), et considres
ensuite simultanmentdans une vaste synthse appele quilibre gnral
des marchs. Commeil sagit dune conomie mixte, la microconomie porte
aussi sur lerle de ltat et de ses diverses composantes.
Le fil conducteur de lanalyse est donn par les mots
comportementet quilibre . Chaque composante du systme fait lobjet
dunedmarche qui au dpart dhypothses sur les motivations des
agentsconomiques considrs, caractrise les actions qui en
dcoulentlogiquement : ce sont les quilibres microconomiques.
TITRE ILes comportements individuels prix donns
TITRE IILes marchs et la formation des prix
TITRE IIILe rle de ltat dans lallocation des ressources
-
TITRE I
Les comportements individuels prix donns
3 Les choix du consommateur et la demande des biens
4 Les choix du producteur (I) : production, cots et recettes
5 Les choix du producteur (II) :quilibre, offre du produit et
demande des facteurs
6 Les choix des dtenteurs de facteurset loffre des ressources
naturelles
7 Les choix du travailleur et loffre de travail
8 Les choix intertemporels :loffre dpargne et la demande de
capital
Dans les conomies de marchs, les comportements conomiques
portent sur deuxgrandes catgories dobjets : les quantits des divers
biens, services, et facteurs qui sontconsomms, produits, ou
utiliss, et les prix auxquels ils sont achets et vendus sur
lesdivers marchs. Lanalyse microconomique ambitionne dexpliquer les
premires toutautant que les seconds. Dans ce titre I, nous nous
consacrerons uniquement auxquantits. Ceci ne veut pas dire que nous
ignorerons les prix ; ce serait irraliste, car ilsjouent un rle
majeur dans les comportements expliquer. En fait, nous
considreronsque les quantits sont les seules dcisions prendre par
les divers agents, ceux-ci prenantles prix tels quils sont, et nous
ne nous proccuperons pas de la question de savoirpourquoi ces
derniers se situent tel ou tel niveau. Cest l ce que nous appelons
analyserles comportements prix donns . Ltude du choix des prix par
les agents cono-miques fera, quant elle, lobjet du titre II. Les
comportements que nous voulons analysersont les actes de
consommation, de production, et de fourniture de ressources, dfinis
auchapitre 2. Comme chaque catgorie de ces actions il correspond
une catgorie dagents,cest en examinant ces derniers, tour tour, et
selon le plan suivant, que nous tenteronsde cerner ce que sont les
principales dcisions individuelles dans les conomies de marchs.
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
31
3Les choix du consommateur
et la demande des biens
Lobjet de ce chapitre est le comportement dun consommateur
typique enconomie de marchs. Lexplication qui en est donne consiste
dire, en rsum,que ce quil achte est ce quil prfre, dans les limites
de ses moyens. Cetteargumentation trs simple, et trs ancienne en
science conomique, a reu au fildes annes une formulation
scientifiquement rigoureuse, que nous rsumonscomme suit.
La section 3.1 propose tout dabord un instrument de description
des prfrencesindividuelles, appel prordre de prfrence , et reprsent
graphiquement par lacarte dindiffrence.
La section 3.2 spcifie ensuite, et reprsente par la contrainte
du budget, leslimites dans lesquelles tout consommateur doit
restreindre ses choix, dans uneconomie de marchs.
La section 3.3 dtermine alors le choix rationnel appel quilibre
duconsommateur comme celui qui, dans les limites du budget, est
prfr tousles autres. Pour chacun des biens considrs la quantit
ainsi choisie constitue lademande de ce bien par le
consommateur.
La section 3.4 examine enfin comment, lorsque les prix et/ou le
revenu changent,le choix du consommateur sadapte en consquence, et
donc son quilibre se dplace.Cest ce quexpriment et rsument la
courbe de demande de chaque bien, ainsi queles dplacements le long
de la courbe et les dplacements de celle-ci.
Lannexe ce chapitre introduit le concept dlasticit, et son
application lacourbe de demande.
-
32 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
Section 3.1Les prfrences
Pour donner un contenu lide de base de ce chapitre, selon
laquelle le consom-mateur achte ce quil prfre 1, nous prsentons
dans cette premire section loutilde raisonnement mis au point par
la science conomique contemporaine pourdcrire ce que sont des
jugements de prfrence individuels portant sur des biensconomiques.
Au dpart de simples axiomes que les prfrences sont censesrespecter
(1), celles-ci peuvent tre illustres sous une forme graphique
trscommode (2), facile interprter conomiquement (3).
Notons bien quil ne sagit dans cette section-ci que de dcrire
les prfrences, etnon pas encore les comportements dachat eux-mmes.
Ces derniers, tels quilsdcoulent de ces prfrences, feront lobjet
des sections suivantes.
1 Axiomes sur les prfrences
La description des prfrences dun individu quelconque savre
possible, tout enprservant sa subjectivit, si lon admet quelles ont
une certaine structure. Le mini-mum dont nous aurons besoin dans
cet ouvrage, est prcis dans les axiomes suivants.
Soit un consommateur qui considre divers paniers contenant deux
biens de la bire (b) et du vin (v) paniers diffrant les uns des
autres uniquement parles quantits qb et qv de ces deux biens quils
contiennent. Le tableau 3.1 en donnecinq exemples : les paniers
dsigns par les lettres X, Y, Z, Y et Y*, dont le contenuest
constitu par les coordonnes des points correspondants sur la figure
3.1. Onpourrait imaginer dautres paniers, qui seraient reprsents
par dautres points du
1 Et pour pouvoir nous en servir par la suite, car la mme ide
consistant expliquer les comportements parles prfrences sera
utilise au chapitre 7 pour traiter de loffre de travail dun
individu et au chapitre 8 pour sonoffre dpargne. Cette varit
daspects du comportement humain que lapproche par les prfrences
permetdaborder montre bien son caractre fondamental et
unificateur.
Panier Composition du panierde biens Quantit de bire Quantit de
vin
(litre/unit de temps) (litre/unit de temps)qb qv
X 30 40Y 20 30Z 20 20Y 30 20Y* 25 25
Tableau et figure 3.1
vq0 10 20 30 40
10
20
30
Y
bq
X
Z
Y
Y
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
33
diagramme. En fait, chacun des points du quadrant positif de la
figure 3.1 (ceuxqui sont reprsents et tous les autres) dsigne par
ses coordonnes un panier debiens diffrent.
Axiome de comparaison En prsence de deux paniers quelconques
appelons-les A et B comprenant chacun diverses quantits des deux
biens b et v, le consommateurpeut toujours exprimer lun des trois
jugements alternatifs suivants : ou bien il prfrele panier A au
panier B ; ou bien il prfre le panier B au panier A ; ou encore il
estindiffrent entre les paniers A et B, c.--d. quil les considre
comme quivalents.
Cet axiome postule que le consommateur est capable de comparer
entre eux les divers paniers debiens, et dnoncer leur propos un
jugement de prfrence ou dindiffrence. Laxiome postuleaussi que le
consommateur peut ainsi classer tous les paniers imaginables.
Axiome de transitivit Soient trois paniers quelconques A, B et C
; si le panier Aest prfr ou indiffrent au panier B, et le panier B
est prfr ou indiffrent au panierC, alors le panier A est prfr ou
indiffrent au panier C.
Cet axiome revient postuler que les jugements de prfrence du
consommateur ne sont pasincohrents (ils le seraient si le
consommateur affirmait que C est prfr A).
Axiome de dominance (ou de non saturation) Soient deux paniers A
et B, necontenant que des biens b et v ; si le panier A contient
plus de v que le panier B, etcontient autant ou plus de b, alors le
panier A est prfr au panier B.
En termes simples, plus est prfr moins , toutes autres choses
restant gales.
Axiome de substituabilit Soient deux paniers de biens B et C ne
contenant quedes biens b et v, le panier C contenant autant de b
que le panier B, mais un peu moinsde v ; B est prfr C (par
dominance), mais il existe une certaine quantit, si
petitesoit-elle, de b telle quen lajoutant au panier C, le nouveau
panier obtenu, B soitindiffrent B pour le consommateur.
Ceci revient dire que lorsquun panier est jug prfrable un autre,
il y a moyen decompenser : le consommateur admet quil est toujours
possible de rendre le second panierindiffrent au premier en
compensant linsuffisance dun bien par un surplus dun autre
bien.
Axiome de convexit stricte Soient deux paniers de biens A et B
contenant desquantits diffrentes des biens b et v, mais entre
lesquels le consommateur est indiff-rent. Le panier C, compos dune
moyenne arithmtique des quantits de b et de vcontenues dans A et
dans B, est toujours prfr ces deux derniers.
Laxiome revient supposer que, en cas dindiffrence entre paniers
diffrents par leur composition,le consommateur prfre toujours un
compromis sous la forme dune moyenne des deux.
Nous allons montrer ci-dessous que si un individu respecte ces
axiomes dans sesjugements, alors il est possible de classer, selon
ses prfrences et en tenant comptedes cas dindiffrence, tous les
paniers de biens quon pourrait lui prsenter. Un telclassement
logique est appel prordre 2 ; puisquil est fond sur des jugementsde
prfrence, on dit prordre de prfrence .
2 Et non ordre , car on ne pourrait ordonner les paniers
indiffrents. Nous empruntons ici un vocabulairepropre aux
mathmatiques.
-
34 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
2 La carte dindiffrence
Mais le prordre de prfrence est un concept abstrait, peu facile
manier. Heureu-sement, il se prte une reprsentation graphique
suggestive : la carte dindiff-rence . Celle-ci reprsente lensemble
des paniers prfrs et ceux qui sontindiffrents au moyen dune famille
de courbes, appeles courbes dindiffrence .
Relations 3.1
Figure 3.1
Panier Composition du panierde biens Quantit de bire Quantit de
vin
(litre/unit de temps) (litre/unit de temps)qb qv
X 30 40Y 20 30Z 20 20Y 30 20Y* 25 25
Tableau 3.1
Les jugements de prfrence dun consommateur face divers paniers
de biens
Expression formelle des axiomes sur les prfrences dun
consommateurquant aux paniers de biens reprsents la figure 3.1.
Pour toute paire de paniers de biens, par exemple X et Y,il
existe une relation f
entre ces deux paniers*, qui spcifie que, pour ce
consommateur,ou bien X est prfr Y ( X Yf ), ou bien Y est prfr X (Y
Xf )ou encore X est indiffrent Y ( X Y~ ).
Pour tout triplet de paniers, par exemple X, Y et Z,si pour ce
consommateur X f
Y et Y f
Z ,alors pour lui aussi X f
Z.
Pour toute paire de paniers Y q q= ( )b v, et Z q q= ( )b v, qui
sont tels queou bien q q q qb b v v et = > , ou bien q q q qb b
v v et > = , ou encore q q q qb b v v et > > ,on a chaque
fois Y Zf .
Pour toute paire de paniers Y q q= ( )b v, et Z q q= ( )b v, ,
qui sont tels que Y Zf ,il existe une quantit dqb (ou dqv) qui,
ajoute Z,permet de constituer un nouveau panier = + Y q q q( d )b b
v,qui est tel que Y Y~ .
Pour toute paire de paniers indiffrents, Y Y~ par exemple,le
panier moyen Y Y Y = + a ( a)1 , o 0 1< a < ,est toujours tel
que Y Y Y f ~ .
* ne pas confondre avec la relation plus souvent utilise, et qui
spcifie est suprieur ou gal .
Axiomede comparaison
Axiomede transitivit
Axiomede dominance
Axiomede substituabilit
Axiomede convexit stricte
vq0 10 20 30 40
10
20
30
Y
bq
X
Z
Y
Y
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
35
laide des axiomes que nous avons poss,nous allons construire
dabord une de cescourbes, et ensuite lensemble de celles-ci,
cest--dire la carte dindiffrence. Nousobtiendrons ainsi ce que nous
avons annonc :un outil de reprsentation des prfrences.
a Constructiondune courbe dindiffrence
Partons du panier de biens Y, qui contient20 litres de bire et
30 litres de vin (tableau etfigure 3.2). Supposons alors quune
certainequantit dun des biens, dix litres de vin,par exemple, soit
enleve ce panier : lacombinaison de biens Z est obtenue ; selon
lepremier axiome (comparaison), le consom-mateur est capable de
choisir entre Y et Z ;selon le troisime axiome (dominance),
ilchoisira Y, car plus est prfr moins ;selon le quatrime axiome
(substituabilit), ilexiste cependant une certaine quantit delautre
bien (la bire) qui, ajoute au panier Z,donnera naissance un nouvel
assortiment,quivalent Y aux yeux du consommateur ;soit dans
lexemple, une quantit de dix litresde bire : en lajoutant au panier
Z, nousobtenons le nouveau panier Y qui est indiffrent Y.
Rptons ce type dexprience, mais ennenlevant cette fois Y quune
plus petitequantit de vin : cinq litres par exemple. Nousobtenons
un nouveau panier Y, indiffrent Y, grce une petite adjonction de
bire ; lepoint reprsentant ce panier se situe ncessai-rement droite
et en dessous du panier Y .Lexprience peut encore tre rpte pour
unprlvement de vin suprieur 10 litres : elleaboutit alors la
dtermination dun autrepanier, lui aussi indiffrent Y, tel que
Y.
En faisant varier davantage les quantitsde bire et de vin que
contient le panier Y, eten veillant obtenir toujours des paniers
indif-frents Y, nous obtenons encore dautrespoints : la limite,
lensemble de ces pointsforme la courbe continue I2, qui passe par
Y.Cest la courbe dindiffrence.
Relations 3.2
Tableau 3.2
(A) Cas de la figure 3.2
quation de la fonction de satisfaction reprsente autableau et la
figure 3.2 :
S q q= b v
(B) Cas gnral
Forme gnrale de la fonction de satisfaction :
S f q q= C b v( ),
Figure 3.2
La carte dindiffrence dun consommateur
Panier Composition Courbe dindiffrencede biens du panier
laquelle appartient
le panierqb qv
X 30 40X 40 30 I4M M M
Y* 25 25I3
M M M
Y 20 30Y 30 20
I2Y 22,5 25M M M
Z 20 20I1
M M M
vq0 10 20 30 40
10
20
30
bq
40
50
Y
Y
YZ Y
Y*
X
X
I1
I2
I3
I4
50
-
36 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
Une courbe dindiffrence, associe un panier donn, est une courbe
dont chacundes points reprsente un panier de biens jug par le
consommateur indiffrent ce panier.
Notons immdiatement trois proprits de cette courbe :
(a) Elle descend de gauche droite. En effet, si elle tait
montante de gauche droite, sespoints successifs au fur et mesure
que lon scarte de lorigine seraient prfrs les uns auxautres, en
vertu de laxiome de dominance : ce ne serait donc plus une courbe
dindiffrence.
(b) La courbe peut parfaitement rencontrer les axes (lordonne
aussi bien que labscisse).Cest mme l le cas gnral.
(c) En vertu du cinquime axiome, une courbe dindiffrence est
convexe par rapport lorigine des axes. En effet, si nous considrons
deux paniers indiffrents : Y et Y, le panier Y*compos de la moyenne
arithmtique du contenu des deux premiers (et prfr ceux-ci
parhypothse) se situe le long de la corde qui joint les points Y et
Y ; ds lors, des paniers interm-diaires et indiffrents Y et Y, tel
par exemple Y, doivent se situer en dessous et gauche de
cettecorde. La courbe dindiffrence est donc convexe entre Y et Y,
tout comme entre toute autrepaire de ses points.
b Construction de la carte dindiffrence
Dans la figure 3.2, lopration de substitution de quantits de
bire des quan-tits de vin peut tre mene partir du panier X, plutt
qu partir du panier Y :
Figure 3.2on construit alors une nouvelle courbedindiffrence,
passant cette fois par le pointX, qui reprsente lensemble des
paniersindiffrents X et indiffrents entre eux.
Soit le panier X, considr comme indif-frent X. Sachant que X est
prfr Y, X estdonc prfr Y (axiome de transitivit).Dune manire
gnrale, tous des paniers ap-partenant la mme courbe dindiffrence
queX sont prfrs tous des paniers appartenant la mme courbe
dindiffrence que Y.
Rptons plusieurs fois lopration d-crite en (a), partir de divers
autres points dudiagramme tels que Y*, ou Z par exemple,cest--dire
au dpart de divers autres paniersde biens. On obtient une famille
de courbes embotes les unes dans les autres. Cest lacarte
dindiffrence.
La carte dindiffrence dun consommateur est la famille de
courbesdindiffrence dcrivant ses prfrences lgard de tous les
paniers de biensconcevables.
3.1
3.2
vq0 10 20 30 40
10
20
30
bq
40
50
Y
Y
YZ Y
Y*
X
X
I1
I2
I3
I4
50
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
37
3 Interprtation
a Carte dindiffrence et niveaux de satisfaction
En vertu des axiomes de dominance et de transitivit, le principe
suivant sapplique la carte dindiffrence : plus le consommateur se
situe sur une courbe dindif-frence leve, plus son niveau de
satisfaction est lev. En effet, chaque courbereprsente un ensemble
de combinaisons de biens quivalentes entre elles, maisprfres
lensemble des combinaisons reprsentes par les courbes
dindiffrenceinfrieures. Les courbes dindiffrence peuvent donc tre
vues comme des courbesde niveau de satisfaction ; ce niveau crot au
fur et mesure que lon sloigne delorigine des axes3.
Ds lors, tout dplacement du consommateur dune courbe
dindiffrence uneautre signifie pour lui un changement dans son degr
de bien-tre, cest--diredans la satisfaction des besoins quil
prouve.
Plus gnralement, ceci revient dire que la satisfaction du
consommateur apparat comme unefonction (au sens mathmatique du
terme) des quantits consommes. Cette fonction, dontlexpression
gnrale est donne par la relation 3.2B et un exemple particulier par
la relation3.2A, est dailleurs appele fonction de satisfaction 4.
Dans le cas de lexemple numrique dutableau et de la figure 3.2, o
il est postul que la fonction de satisfaction est de la forme nonce
la relation 3.2 A, on peut dduire que le panier Y fournit une
satisfaction gale 20 30 = 600,de mme que les paniers Y et Y (qui
sont dailleurs indiffrents Y), tandis que le panier Xfournit une
satisfaction de 30 40 = 1 200, tout comme le panier X .
Est-il raliste de quantifier ainsi numriquement les
satisfactions? Bien des auteurs sy refusent,notamment parce que lon
ne voit pas trs bien dans quelles units mesurer les utilits.
Heureu-sement pour la suite de notre propos, ce nest pas ncessaire
: on peut en effet se borner classerles niveaux dindiffrence, comme
nous lavons fait, sans pour autant devoir les chiffrer au moyende
la fonction particulire de la relation 3.2A. Dailleurs dautres
fonctions auraient pu servirpour reprsenter la carte dindiffrence
de la figure 3.2. Et nous ne nous servirons dans la suiteque du
classement que reprsente la carte dindiffrence, sans nous aventurer
dans une mesurenumrique des satisfactions.
b Courbes dindiffrence et substitution entre les biens
Tout dplacement le long dune courbe dindiffrence sinterprte
comme un passage dunassortiment de biens un autre, passage qui est
caractris par deux traits essentiels : la substitutionentre les
biens, et le maintien un niveau inchang de la satisfaction du
consommateur.
La substitution entre les biens le long dune courbe dindiffrence
se mesure par le taux desubstitution dun bien un autre, qui se
dfinit comme tant
le rapport entre quantits de biens cdes (numrateur) et quantits
obtenues (dnominateur),qui laissent le consommateur en tat
dindiffrence, cest--dire un niveau constant desatisfaction.
Au lieu de considrer une substitution dune ampleur quelconque,
on effectue habituellementla mesure en ne considrant quune unit au
dnominateur. On parle alors de taux marginal desubstitution. Ainsi
par exemple au point Y1 de la figure 3.3, ce taux est de 5,45 pour
1, au point Y3
3 Remarquons quil est logiquement impossible que deux courbes
dindiffrence se croisent.4 On dit parfois aussi fonction dutilit ,
le mot utilit tant entendu dans le mme sens que satisfaction.
3.3
-
38 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
il est de 1,4 pour 1, au point Y9 il est de 0,16 pour 1, etc. Il
sagit toujours dun rapport entrequantit cde et quantit obtenue,
mais cette dernire tant unitaire, le rapport est alors gal la
valeur du seul numrateur5.
En calculant le taux marginal de substitution du consommateur en
chacun des points dunecourbe dindiffrence, on constate que ce taux
est dcroissant6 lorsquon se dplace de gauche droite. Cette
caractristique est commune toutes les courbes dindiffrence. Une
interprtationintuitive de ce phnomne peut tre facilement donne :
plus on dispose dun bien, plus grandeest la quantit de celui-ci que
lon est prt sacrifier pour une quantit donne dun autre bien ;ou
inversement, moins on a dun bien, moins on est prt en abandonner
pour une unit dunautre bien.
c Gnralit de la reprsentation des prfrences
Comme lnonc des jugements de prfrence peut varier dun individu
lautre,le prordre est essentiellement subjectif, et propre chaque
consommateur. Lescartes dindiffrence individuelles qui en rsultent
varient donc dune personne lautre.Dailleurs, comme la description
de ces jugements nest pas fonde sur les mobilesqui y ont conduit,
elle nexclut aucune thique individuelle7.
Figure 3.3
Panier Composition Taux marginalde des paniers de
substitution
biens (en litres) (approch)
qb qv
qq
qbv
v o = 1
Y1 60 105,45
Y2 54,55 11Y3 30 20
1,40Y4 28,6 21Y5 20 30
0,65Y6 19,35 31Y7 15 40Y8 12 50Y9 10 60
0,16Y10 9,84 61
Tableau 3.3
La courbe dindiffrence et le taux marginal de substitution
5 On peut formuler aussi le taux marginal de substitution en
termes de la drive de pb par rapport pv enchaque point de la courbe
dindiffrence. Mais nous naurons pas besoin de lutiliser sous cette
forme.
6 Logiquement, elle rsulte de la forme strictement convexe de la
courbe dindiffrence, due elle-mme lundes axiomes qui ont servi la
construire.
7 Beaucoup dauteurs invoquent la notion dutilit des biens plutt
que celle de prfrence entre paniersalternatifs pour expliquer les
choix de consommation. Cette ide, convaincante premire vue (lutilit
du painou des chaussures est assez vidente) conduit vite des
difficults logiques (que signifie lutilit des cigarettes ?)
etpratiques : comment mesurer les utilits pour pouvoir dire si un
bien est plus utile quun autre ? cet gard, lanotion de prfrence est
plus neutre et respecte davantage la subjectivit de lagent
conomique.
bq
10
0 20 30 40 50 60 vq
20
30
40
50
60
10
Y1Y2
Y3Y4
Y5 Y6Y7
Y8 Y9 Y10
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
39
De plus, les prfrences dun individu ne sont pas supposes
immuables dansle temps : elles peuvent parfaitement se modifier,
ainsi que la carte dindiffrencequi les illustre. Nous supposons
seulement qu chaque moment du tempselles conservent leur cohrence
logique, cest--dire quelles respectent lesaxiomes.
Par ailleurs, nous avons raisonn sur deux biens seulement ; il
ny a cependantaucune difficult de principe appliquer les mmes
arguments des paniers detrois biens, de cent biens, ou de n biens.
Pour la commodit de lexpos, nousnaborderons cependant pas cette
gnralisation.
Enfin, et comme nous lavons dj mentionn, le concept de carte
dindiff-rence, ainsi que le prordre que celle-ci reprsente,
postulent seulement que leconsommateur soit capable de comparer
entre eux et de classer les paniers debiens. Il nest pas suppos
prciser lintensit de sa prfrence, ni mesurer la quantitde
satisfaction ou d utilit quil retire de ces paniers. Seul compte,
pour lesbesoins de cet ouvrage, le classement de ceux-ci.
Section 3.2La contrainte du budget
Dans la section prcdente, on a ignor la question de savoir
comment le consom-mateur se procurerait les paniers de biens
envisags et, en particulier, sil pourraitse les payer. Cest ce qui
sera examin ici.
Par la nature mme du problme conomique, le consommateur na que
desmoyens limits pour satisfaire ses besoins. Le moyen limit est,
dans ce cas, lebudget dont il dispose. Tous les paniers de biens
que dcrivent les courbes dindif-frence ne lui sont donc pas
galement accessibles : son budget lempche dedpasser un certain
seuil, quil faut maintenant dfinir et reprsenter.
Ces limites sont essentiellement dtermines par le montant de son
revenu, ainsique par les prix des biens considrs.
1 Choix accessibles et choix inaccessibles
Soit un revenu R = 600S et deux biens, la bire et le vin, le
prix de la bire tantpb = 10S le litre et celui du vin pv = 15S le
litre. Si tout le revenu est consacr labire, la quantit maximum
quil est possible dacheter est de 60 litres ; sil lest auvin, cette
quantit est de 40 litres. Ces deux choix alternatifs apparaissent
dans letableau et sur la figure 3.4 comme les paniers A et B.
Partant alors du cas A, supposons que le consommateur se ravise
et dcidedacheter tout de mme un litre de vin. Son revenu tant fix
600S, il ne pourrale faire quen achetant moins de bire. Aux prix
auxquels se vendent les deux biens,
-
40 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
il lui faudra renoncer un litre et demi de bire pour librer une
somme suffisante(soit 1,5 10S = 15S) lachat dun litre de vin. Il se
retrouvera donc au point C,qui correspond lachat dun panier
comportant 58,5 litres de bire et 1 litre de vin.
En rptant cet argument pour une plus grande quantit de vin, soit
cette foisqv = 2 litres, on constate que les limites du mme budget
ne permettent plus dache-ter que 57 litres de bire, ce qui
correspond au panier D dans le tableau et sur lafigure. En
poursuivant de la mme manire, on peut construire dautres paniersque
permet dacheter un revenu de 600S, aux prix en vigueur : ainsi par
exempleles paniers E, F, et G, et mme B. Remarquons quils sont tous
situs sur une mmedroite, celle qui joint les points A et B.
Mais en fait, tous les paniers contenant des quantits qb et qv
que permet 600Sdoivent satisfaire lgalit
10 15 600q qb v+ =
Cette expression est appele contrainte de budget du consommateur
et ladroite AB qui la reprsente gomtriquement est sa droite de
budget . En termesgnraux :
La droite de budget du consommateur est une droite dont chacun
des pointsreprsente un panier qui occasionne une mme dpense totale,
dpense qui estgale son revenu.
Les points situs en de de la droite de budget (M et N par
exemple) reprsen-tent des paniers pour lesquels la dpense est
infrieure au montant du revenudisponible, comme le montrent
dailleurs les lignes M et N de la dernire colonnedu tableau 3.4. Il
y a pargne dans ces cas (cf. le chapitre 8).
En revanche, un point tel que P, situ au-del de cette droite,
reprsente unpanier pour lequel la dpense est suprieure au revenu.
Alors que tous les pointsprcdents taient accessibles au
consommateur, ce dernier ne lest pas.
Ainsi, la droite de budget apparat comme une frontire entre
choix accessibles etinaccessibles au consommateur, tant donn son
revenu et les prix des deux biens.Par analogie avec ce qui a t dit
au chapitre 2, on pourrait lappeler droite despossibilits de
consommation ; cest pourquoi le revenu est considr par la
thoriemicroconomique comme une contrainte qui limite les choix du
consommateur.
2 Pente de la droite de budget et prix des biens
La droite de budget est incline de gauche droite, pour la raison
vidente que le long de celle-ci, lacquisition de chaque nouveau
litre de vin requiert labandon dune quantit de bire de 1,5litre. En
dautres termes, lorsque le revenu est totalement dpens, le
remplacement dun bienpar lautre se fait dans le rapport 1,5/+1,
cest--dire de 1,5 unit de bire pour +1 unit de vin.Convenons de
reprsenter par dqb/dqv le rapport de ces deux quantits (o dqb est
la quantitngative de bire et dqv la quantit positive de vin), et
observons sur la figure 3.4 que gomtri-quement, ce rapport
sinterprte comme la pente ngative de la droite de budget.
Par ailleurs les prix des deux biens sont respectivement de pb =
10S le litre pour la bire et depv = 15S pour le vin, et sont donc
dans le rapport pb/pv = 10/15, soit +1/+1,5.
3.4
-
CHAPITRE 3 LES CHOIX DU CONSOMMATEUR ET LA DEMANDE DES BIENS
41
On peut ds lors noncer la proprit suivante :
La pente de la droite de budget est ngative et gale, au signe
prs, linverse du rapport des prix des biens figurant en ordonne et
en abscisse.
Dans les notations que nous venons dadopter, dqb/dqv =
pb/pv.
Avant de terminer cette section, notons encore que le revenu
dont il est questionici sentend comme relatif une certaine priode
de temps : par exemple un mois,ou mme une anne entire. La longueur
de la priode retenue importe peu, maisil est essentiel de raliser
que lanalyse est ncessairement insre dans le temps,celui-ci tant
implicitement dcoup en priodes dgale longueur.
Relations 3.4
Figure 3.4Tableau 3.4
La contrainte de budget dun consommateur
(A) Cas de la figure 3.4
quation de la droite de budget de la figure 3.4 : 15 10 600q qv
b+ = ou q qb v= 60010
1510
Pente de la droite : dd
b
v
qq
=
1510
(B) Cas gnral
Forme gnrale de la contrainte de budget : p q p q Rv v b b+
=
Pente de la droite de budget : dd
b
v
v
b
qq
pp
=
Paniers Composition des paniers(a) Montant(a)
alternatifs (en litres) de la dpenseqb qv
A 60 0 600C 58,5 1 600D 57 2 600E 55,5 3 600F 54 4 600
G 30 20 600M 20 20 500N 20 10 350P 20 30 650B 0 40 600
(a) Le revenu du concommateur est R = 6003. Le prix de la bire
estpb = 103 le litre. Le prix du vin est pv = 15 3 le litre.
3.1
vq0 10 20 30 40 50
10
20
30
N M
G
bq
40
50
60
P
A
B
F
0
FE
DC
A
1 2 3 4 5
54
57
60Pente :1,5
1
-
42 PARTIE I ANALYSE MICROCONOMIQUE
Section 3.3Lquilibre du consommateuret la demande des biens
ce stade, nous avons notre disposition un ensemble dlments qui
intervien-nent de manire importante dans la dtermination des
comportements possiblesdu consommateur : dune part ses prfrences,
qui permettent de classer ses choixventuels ; dautre part son
budget et les prix, dans les limites desquels ses choixsont
restreints.
En posant maintenant lhypothse dun comportement rationnel, ces
lmentsvont apparatre comme suffisants pour identifier et justifier
un comportementdachat bien prcis, appel quilibre du consommateur
.
1 Dtermination de lquilibre
Si lon admet que le consommateur se comporte conformment aux
axiomes eten particulier ceux de dominance et de transitivit il est
logique den dduireque celui-ci choisit le panier de biens quil
prfre. De manire un peu plus image,cela revient dire que tout
consommateur dsire se situer sur la courbe la plusleve de sa carte
dindiffrence, ou encore quil sefforce datteindre un niveaumaximum
de satisfaction8.
Dautre part, la raret des ressources, que traduit au niveau du
consommateur lacontrainte de son budget, loblige se limiter aux
choix qui lui sont accessibles.
Ces deux exigences ne sont que partiellement contradictoires,
comme le montrela figure 3.5. Une carte dindiffrence et une droite
de budget y ont t traces dansle mme diagramme. Il apparat
immdiatement que la contrainte budgtaire rendinaccessible la
combinaison de biens correspondant au point H et la
courbedindiffrence I3. Par contre, la combinaison F, situe sur la
courbe dindiffrenceI1, est sa porte, de mme que la combinaison G
qui lui cote dailleurs moinscher pour le mme niveau de satisfaction
; mais la courbe I1 nest pas la plus levepossible : en passant
lassortiment E, le consommateur accrot sa satisfaction(courbe I2),
tout en restant dans les limites de son budget ; il choisira donc
certai-nement E plutt que F ou G. Pourrait-il encore amliorer sa
situation ? La rponseest ngative : par rapport E, aucun autre point
accessible (cest--dire situ surou en de de la droite de budget)
natteint une courbe dindiffrence aussi leveque I2, et aucun des
points prfrs ceux de la courbe I2 (courbes suprieures)nest
accessible avec le budget disponible.
8 Toutes ces express