Ne pas reproduire 1 XÉNOPHON ET LA SOCIÉTÉ CIVIQUE ATHÉNIENNE Par Marie Lemonnier - Université de Sherbrooke À l’époque antique, le bassin égéen, fragmenté par sa multitude de systèmes politiques indépendants (les cités-États) est un terrain propice aux affrontements. Avec les guerres médiques, Athènes remporte une série d’importantes victoires et accroît considérablement sa renommée 1 . La démesure d’Athènes qui s’en suit, son expansionnisme et son impérialisme trouvent un grand ennemi en la cité de Sparte qui, à son tour, forme la ligue du Péloponnèse pour contrecarrer Athènes 2 . La guerre du Péloponnèse qui se déclenche vers -461 entre les deux blocs d’alliance se présente comme une lutte entre deux factions idéologiques. Cette lutte oppose en effet les cités qui se basent sur un modèle démocratique, dont Athènes fait parti et les cités qui optent pour un modèle oligarchique, à l’image de Sparte. Dans le contexte de cette guerre et d’une grande effervescence intellectuelle dans le monde grec, on peut aisément concevoir que plusieurs auteurs anciens aient tenté de comprendre et d’expliquer les caractéristiques qui opposent les différentes factions idéologiques et sociopolitiques 3 . Au sein même de la cité d’Athènes, les partisans de la démocratie et de l’oligarchie s’affrontent, ce qui engendre de brèves, mais marquantes tentatives des oligarques de monopoliser le pouvoir 4 . Ainsi, dans le contexte de la fin de la guerre du Péloponnèse, dans un extrait d’un pamphlet intitulé La République des Athéniens, Xénophon analyse le fonctionnement du système politique et de la société athénienne tout en montrant sa ferme opposition à cette façon de gérer une cité. D’abord, nous nous efforcerons de replacer cette source primaire dans son contexte historique. En deuxième lieu, il convient 1 Edmond Lévy, La Grèce du V e siècle, de Clisthène à Socrate, Paris, Seuil, 1995, p.32-35 2 Philippe Valode, La Grèce classique au V e avant J.-C. ou L'apprentissage de la démocratie, Paris, Vecchi, p.70. 3 Anne Querel, Athènes : la cité archaïque et classique : du VIII e siècle à la fin du V e siècle, Paris, Picard, 2003, p.145. 4 Alain Fouchard, Aristocratie et démocratie : idéologies et sociétés en Grèce ancienne, Besançon, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 1997, p.472.
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reproduire pas - lemm3401.files.wordpress.com · Ne pas reproduire 2 d’analyser les principaux thèmes du discours de Xénophon en les confrontant aux connaissances historiques
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XÉNOPHON ET LA SOCIÉTÉ CIVIQUE ATHÉNIENNE
Par Marie Lemonnier - Université de Sherbrooke
À l’époque antique, le bassin égéen, fragmenté par sa multitude de systèmes politiques
indépendants (les cités-États) est un terrain propice aux affrontements. Avec les guerres
médiques, Athènes remporte une série d’importantes victoires et accroît
considérablement sa renommée1. La démesure d’Athènes qui s’en suit, son
expansionnisme et son impérialisme trouvent un grand ennemi en la cité de Sparte qui, à
son tour, forme la ligue du Péloponnèse pour contrecarrer Athènes2. La guerre du
Péloponnèse qui se déclenche vers -461 entre les deux blocs d’alliance se présente
comme une lutte entre deux factions idéologiques. Cette lutte oppose en effet les cités qui
se basent sur un modèle démocratique, dont Athènes fait parti et les cités qui optent pour
un modèle oligarchique, à l’image de Sparte. Dans le contexte de cette guerre et d’une
grande effervescence intellectuelle dans le monde grec, on peut aisément concevoir que
plusieurs auteurs anciens aient tenté de comprendre et d’expliquer les caractéristiques qui
opposent les différentes factions idéologiques et sociopolitiques3. Au sein même de la
cité d’Athènes, les partisans de la démocratie et de l’oligarchie s’affrontent, ce qui
engendre de brèves, mais marquantes tentatives des oligarques de monopoliser le
pouvoir4. Ainsi, dans le contexte de la fin de la guerre du Péloponnèse, dans un extrait
d’un pamphlet intitulé La République des Athéniens, Xénophon analyse le
fonctionnement du système politique et de la société athénienne tout en montrant sa
ferme opposition à cette façon de gérer une cité. D’abord, nous nous efforcerons de
replacer cette source primaire dans son contexte historique. En deuxième lieu, il convient
1 Edmond Lévy, La Grèce du V
e siècle, de Clisthène à Socrate, Paris, Seuil, 1995, p.32-35
2 Philippe Valode, La Grèce classique au V
e avant J.-C. ou L'apprentissage de la démocratie, Paris,
Vecchi, p.70.
3 Anne Querel, Athènes : la cité archaïque et classique : du VIII
e siècle à la fin du V
e siècle, Paris, Picard,
2003, p.145.
4 Alain Fouchard, Aristocratie et démocratie : idéologies et sociétés en Grèce ancienne, Besançon, Annales
littéraires de l’Université de Franche-Comté, 1997, p.472.
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d’analyser les principaux thèmes du discours de Xénophon en les confrontant aux
connaissances historiques actuelles sur la société athénienne. En dernier lieu, un bilan de
l’utilité de ce document s’impose pour l’avancement des recherches sur l’histoire antique
grecque.
XÉNOPHON ET LA RÉPUBLIQUE DES ATHÉNIENS
D’abord, il faut souligner qu’une controverse existe quant à l’identité de l’auteur du texte
intitulé La République des Athéniens. La plupart des historiens considèrent Xénophon
comme son auteur, mais certains autres spécialistes l’attribuent plutôt à un auteur
anonyme qu’ils nomment Pseudo-Xénophon. Dans certaines études, on désigne
également l’auteur sous le nom de Vieil Oligarque ou d’oligarque anonyme, étant donné
ses opinions politiques favorables au modèle oligarchique5. Cependant, pour le bien de
notre analyse, et puisque le débat n’est pas encore clos et que sa paternité n’est pas
encore sérieusement remise en question, nous attribuerons la rédaction de cet ouvrage à
Xénophon. On connaît surtout ce philosophe et historien par une biographie de Diogène
Laërce écrite après la mort de Xénophon. On sait que l’auteur nait vers 426 avant Jésus-
Christ et meurt vers 354. Il grandit à Athènes dans une famille aristocratique aisée de la
classe des chevaliers : les hippies. La République des Athéniens a d’abord été rédigée en
grec ancien et traduite en anglais pour la première fois par James Morris en 17946.
Xénophon évolue dans le riche contexte culturel de l’époque classique. Il est influencé
par l’historien Thucydide, qui rompt avec la tradition historique grecque et opte pour une
méthode historique plus rigoureuse, qui s’intéresse aux causes des évènements et aux
stratégies militaires plutôt qu’à la mythologie7. Xénophon tente d’ailleurs de faire de son
5Moses I. Finley, Économie et société en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1984, p.96.
6 Philippe Remacle, et al. L’Antiquité grecque et latine [En ligne].s.l., 2003, http://remacle.org/, consulté le
25 novembre 2009.
7 Pierre-Emmanuel Dauzat, et al., Guide de poche des auteurs grecs et latins, Paris, Belles lettres, 1999,
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ouvrage L’Héllénique, la suite de l’œuvre de Thucydide sur la guerre du Péloponnèse8.
Xénophon subit également l’influence de la philosophie de Socrate, dont il a été l’élève.
Il écrit plusieurs œuvres inspirées du socratisme dont les Mémorables, l’Apologie et le
Banquet9. Il ne partage cependant pas avec Socrate son amour pour la démocratie, bien au
contraire, Xénophon a plutôt tendance à la critiquer. À la lecture de la République des
Athéniens on constate que le souci de Xénophon est de montrer que malgré le fait que les
Athéniens ont adopté un système que les autres Grecs et lui-même considèrent comme
une aberration, ils arrivent à maintenir leur système politique fonctionnel. Malgré son
antipathie pour la démocratie, opinion qu’il soutient jusqu’au bout, Xénophon tente par
ce texte d’expliquer la logique derrière le système que les Athéniens ont adopté.
Le document analysé est un extrait du premier chapitre de la République des Athéniens. Il
est difficile de dater cet ouvrage et les historiens ne s’entendent pas non plus sur le
moment de sa rédaction, mais on peut sans doute situer sa rédaction entre 411 avant J.-C.
et 354 avant J.-C., soit approximativement la période où Xénophon a écrit l’essentiel de
ses œuvres, si on choisit de lui attribuer la paternité de ce texte10
. Il est également ardu de
savoir où le document a pu être rédigé et on ne possède aucune source pour le confirmer.
Vu les propos que l’auteur tient et le détachement dont il fait preuve, par exemple
lorsqu’il affirme : « quant au gouvernement des Athéniens, je ne les loue pas d’avoir
choisi ce système politique », on peut sans mal supposer qu’il l’a écrit en dehors de la
cité-État d’Athènes. Il a également pu être rédigé à Sparte puisque c’est là qu’il a écrit la
majorité de ses ouvrages11
et que le texte soutient la même idéologie oligarchique qui
prévaut alors à Sparte. Quant à savoir pour qui ce pamphlet a été rédigé, les sources sont
également muettes. Le texte laisse à penser que le public cible est d’abord non athénien,