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Apr 21, 2020

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isbn 978-2-02-129362-3

© Éditions du Seuil, mai 2010, pour les textes d’Élisabeth Roudinesco et la composition du volume.

Les textes du chapitre iv sont la propriété de leurs auteurs respectifs.

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Présentation

L’histoire de la haine de Freud est aussi ancienne que celle de la psychanalyse. On ne touche pas impunément au sexe, au secret de l’intimité, aux affaires de famille, à la pulsion de mort et à la barbarie des régimes qui asser-vissent les femmes, les homosexuels, les marginaux, les anormaux, sans avoir à en payer le prix.

Et c’est bien pourquoi le succès remporté par la psy-chanalyse dans le monde s’est traduit par des attaques incessantes : « science juive » pour les nazis, « science bourgeoise » pour les staliniens, « science satanique » pour les mouvements religieux radicaux, « science dégé-nérée » pour l’extrême droite française, « fausse science » pour les scientistes, « science fasciste » inventée par un Viennois cupide et pervers pour les tenants de l’école dite « révisionniste » américaine : ces injures n’ont rien à voir avec la nécessaire critique du dogmatisme des pra-ticiens de l’inconscient et de leurs chapelles, voire de la théorie freudienne elle-même que l’on ne doit en aucun cas regarder comme un corpus sacré.

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Mais la haine à l’état pur et sans aucun autre fon-dement que le déni de la réalité, c’est bien autre chose. Faut-il combattre ? Faut-il se taire ? La question divise la communauté savante, qui se laisse trop souvent séduire par la détestation qu’elle suscite chez ses détracteurs. Sans doute parce que ses représentants, immergés dans leurs travaux, leurs colloques et les échanges entre spécialistes, sont devenus, à tort, indifférents à ce qu’ils regardent avec dédain comme une littérature de caniveau.

Pour ma part, j’ai toujours considéré que l’on ne devait jamais garder le silence dès lors que l’excès de passion et son cortège de nuisances menaçaient de mettre à mal les conditions du véritable débat critique. Or, c’est le cas depuis une vingtaine d’années avec cette succession de brûlots étranges, écrits par des auteurs dont les textes vengeurs ne relèvent pas de la tradition académique et sont encensés par des médias toujours plus soumis à la pression du marché.

Un brûlot insensé, celui de Michel Onfray, vient une nouvelle fois de porter à son incandescence, non seulement la détestation de Freud, traité d’affabu-lateur et d’idole à abattre, mais celle de tous les savoirs constitués.

Face à cette dérive que la puissance des réseaux d’inter-nautes m’a permis de combattre, et à laquelle, dans leur ensemble, les médias les plus sérieux n’ont pas souscrit, j’ai tenu à joindre à ma propre analyse des contributions émanant de ceux-là mêmes qui se sentent mis en cause,

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Présentation

depuis des années, par celui qui se présente comme le détenteur des savoirs refoulés ou occultés par la Répu-blique. Ils proviennent de divers horizons, et il sera bien difficile de voir en eux des représentants du monde « ger-manopratin », un mot bien détestable qui sert de support à toutes les formes de dépréciation de la pensée. Tous sont enseignants – à l’Université ou en classes prépara-toires –, et quatre d’entre eux exercent leur métier hors de Paris : Caen, Lille, Marseille, Clermont-Ferrand. Je les remercie de m’avoir confié leurs contributions.

Pour ma part, et compte tenu de l’importance qu’a prise en France la rumeur d’un Freud incestueux, admi-rateur de Hitler et de Mussolini, j’ai tenu à insister sur la genèse de cette étrange affaire : comment a été inventée la légende d’un Freud violentant sa belle-sœur pour favoriser ensuite la persécution de son propre peuple au moment même où ses livres étaient brûlés par les nazis ?

Ce dossier fait suite, en quelque sorte, à celui que j’avais publié en 2005 sous le titre Pourquoi tant de haine ? Anatomie du « Livre noir de la psychanalyse » (Navarin) avec Pierre Delion, Roland Gori, Jack Ralite, Jean-Pierre Sueur. Il vise fondamentalement à approfondir la compréhension des raisons pour lesquelles l’œuvre freu-dienne continue à susciter de telles passions.

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Chapitre I

Mais pourquoi tant de haine ?

Dans un brûlot truffé d’erreurs et traversé de rumeurs 1, Michel Onfray, qui ignore tout des travaux produits depuis quarante ans par les historiens de Freud et de la psychanalyse, se présente comme un psychobiographe de Freud, seul capable de décrypter certaines légendes dorées pourtant invalidées depuis des décennies. S’atta-chant à percer de prétendues vérités qui auraient été dis-simulées par la société occidentale – elle-même dominée par la dictature freudienne et par ses « milices » –, il regarde les Juifs, inventeurs d’un monothéisme mor-tifère, comme les précurseurs des régimes totalitaires, peint Freud en tyran domestique soumettant toutes les femmes de sa maisonnée à ses caprices et en abuseur sexuel de sa belle-sœur : homophobe, phallocrate, faus-saire, avide d’argent, n’hésitant pas à faire payer une séance d’analyse l’équivalent de 450 euros. Chiffre sans

1. Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Paris, Grasset, 2010.

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fondement sérieux avancé lors d’une émission de télé-vision et repris par de nombreux médias 2.

Il décrit le savant viennois comme un admirateur de Mussolini, complice du régime hitlérien (par sa théori-sation de la pulsion de mort), et fait de la psychanalyse une science fondée sur l’équivalence du bourreau et de la victime. Tout en se déclarant freudo-marxiste – alors qu’il se veut antifreudien et adepte de Proudhon, et donc ni marxiste ni freudien –, il réhabilite le discours de l’extrême droite française avec lequel (sans le savoir) il entretient une certaine communauté de pensée. De telles positions ne relèvent plus du nécessaire débat intellectuel sur la question de Freud et du statut de la psychanalyse. Car à force d’inventer des faits qui n’existent pas et de fabriquer des révélations qui n’en sont pas, l’auteur de cette charge favorise la prolifération des rumeurs les plus extravagantes : c’est ainsi que des médias ont annoncé, avant même la parution de l’ouvrage, que Freud avait séjourné à Berlin durant l’entre-deux-guerres, qu’il avait été le médecin de Hitler et de Göring, l’ami personnel de Mussolini et un formidable abuseur de femmes. La

2. S’agissant des psychiatres américains et européens qui venaient à Vienne après 1920 pour une analyse didactique, Freud se faisait parfois payer en monnaie étrangère. Par la suite, il a abandonné les monnaies étrangères et fixé des honoraires à 100 shillings autrichiens. (Source : Hilda Doolittle, Pour l’amour de Freud, Paris, Éditions des Femmes / Antoinette Fouque, 2010, p. 258, préface d’Élisabeth Roudinesco.) Avant la Première Guerre mondiale ses honoraires se montaient à 40 couronnes.

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rumeur aidant, on apprendra bientôt qu’il battait sa gouvernante, sodomisait ses animaux domestiques ou faisait rôtir les petits enfants 3.

Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traités par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse, on voit bien qu’une telle démarche s’apparente à une volonté de nuire. Elle ne pourra, à terme, que soulever l’indignation de tous ceux qui – psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychothé-rapeutes – apportent une aide indispensable à ceux qui sont autant frappés par la misère économique – les enfants en détresse, les fous, les immigrés, les pauvres – que par cette souffrance psychique que mettent au jour tous les collectifs de spécialistes.

1. Description de l’ouvrage

Le livre de Michel Onfray, composé de cinq parties, est dénué de sources et de notes bibliographiques. La note bibliographique finale ne renvoie à aucun chapitre du livre et l’index est inutilisable : pas de noms, pas de

3. Cf. à ce sujet le commentaire de Philippe Grauer sur le site du Centre interdisciplinaire de formation à la psychothérapie rela-tionnelle (CIFP). Je saisis l’occasion pour remercier Gilles Olivier Silvagni et Anthony Ballenato, qui ont effectué des recherches pour moi. Ainsi que Henri Roudier, Jacques Martin Berne et Christiane Menasseyre.

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concepts, mais des rubriques qui permettent de dis-tinguer les « bons » des « mauvais » auteurs d’après les titres de leurs ouvrages ; les dates de publication sont souvent fantaisistes quand elles ne font pas tout sim-plement défaut.

Quant à l’auteur, il projette sur l’objet haï ses propres obsessions – les Juifs, le sexe pervers, les complots – au point de faire de Freud un double inversé de lui-même, et de la psychanalyse l’expression d’une autobiographie de son fondateur transformé en affabulateur. Face à cet alter ego rejeté en enfer, l’auteur se regarde lui-même comme un libérateur venu délivrer le peuple français de sa croyance en une idole dont il annonce le cré-puscule. Il laisse croire que ne sont aujourd’hui dispo-nibles que les biographies d’Ernest Jones et de Peter Gay, parues, la première entre 1953 et 1957, et la deuxième en 1988. Il ne cite ni les travaux des historiens de Vienne (Carl Schorske, William Johnston, Jacques Le Rider, etc.), ni ceux qui sont consacrés à la question de la judéité de Freud (Yosef Yerushalmi, Yirmiyahu Yovel, Jacques Derrida, Peter Gay, etc.), ni aucun des essais traitant les différents aspects de la vie de Freud : on est pourtant parfaitement informé aujourd’hui, au jour le jour, de chaque événement de sa vie quotidienne et fort bien aussi de celle de ses compagnons, disciples et dissidents. Onfray ne connaît rien non plus à la vie de Josef Breuer, de Wilhelm Fliess, de Sándor Ferenczi, d’Otto Rank, d’Ernest Jones, d’Alfred Adler, de Carl

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Gustav Jung, de Melanie Klein, de Marie Bonaparte, de Lou Andreas-Salomé, d’Anna Freud (à propos de laquelle il cite une biographie erronée que plus per-sonne ne lit). Pas un mot sur la question tant discutée de la sexualité féminine (d’Helene Deutsch à Karen Horney en passant par Simone de Beauvoir, Juliet Mit-chell, Judith Butler), ni sur l’histoire de la fondation de l’International Psychoanalytical Association (IPA), ni sur la révision des grands cas (à propos desquels il commet des bévues). N’affirme-t-il pas que Freud aurait inventé dix-huit cas ? On se demande lesquels…

Quant à l’œuvre de Freud, traduite en soixante langues, Onfray dit l’avoir intensivement fréquentée durant cinq mois – entre juin et décembre 2009 – dans la traduction des PUF, celle qui est aujourd’hui la plus critiquée par l’ensemble des spécialistes. Il ne fait aucune référence au grand débat sur les traductions et n’a consulté aucune archive : ni à la Library of Congress de Washington, ni au Freud Museum de Londres. Il ignore le monde anglophone, germanophone et latino-américain, et ne connaît guère l’histoire de la psychanalyse en France.

Certes, Onfray cite l’ouvrage de Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, paru en 1970 (en anglais), traduit pour la première fois en français en 1974 puis réédité en 1994 par mes soins 4. Il souligne

4. Henri F. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994. Préface d’Élisabeth Roudinesco. Onfray ne cite pas ma

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qu’il s’agit là de la première grande révision de l’histoire officielle de Freud, ce qui est inexact puisque l’œuvre d’Ola Andersson est antérieure à celle d’Ellenberger 5. En outre, comme il date la parution du livre d’Ellen-berger de 1991, il fait donc débuter l’historiographie savante avec vingt ans de retard, tout en soulignant qu’elle serait encore occultée aujourd’hui, alors même qu’elle est en pleine expansion et que les archives de la Library of Congress, après les grandes batailles des années 1990, sont en cours de déclassification selon les règles en vigueur : beaucoup trop lentement, bien entendu. Onfray se trompe également sur la date de parution du livre de Frank J. Sulloway, Freud biologiste de l’esprit, publié en anglais en 1978 et deux fois édité en français (1981 et 1998) 6. En tout état de cause, il apparaît convaincu qu’aucun travail non hagiographique n’existe à ce jour sur Freud, ce qui lui permet de se présenter comme le premier auteur à redresser les légendes dorées pourtant invalidées depuis trente ans par les historiens. Il ne fait d’ailleurs aucune différence entre histoire pieuse, histoire

préface, et pour cause, puisqu’il me traite d’hagiographe. Comment pour-rais-je l’être tout en étant responsable des archives d’Ellenberger, déposées à la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP), dont je suis la présidente ?

5. Ola Andersson, Freud avant Freud, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1997. Préface d’Élisabeth Roudinesco et de Per Magnus Johansson.

6. Frank J. Sulloway, Freud, biologiste de l’esprit, Paris, Fayard, 1998. Préface de Michel Plon.

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officielle, pensée irrationnelle, historiographie fondée sur des légendes noires et des rumeurs (courant dit « révi-sionniste » ou, en anglais, « destructeur de Freud ») et histoire savante. Sa méthode relève d’un manichéisme radical : d’un côté les « bons » (antifreudiens), de l’autre les « mauvais » (adeptes d’une affabulation).

Ignorant les travaux américains et ne connaissant Freud que par ce qu’il en a lu en français, Onfray se trompe éga-lement sur la date de parution de la correspondance non expurgée de Freud avec le médecin berlinois Wilhelm Fliess, pourtant essentielle pour décrypter les moda-lités de l’invention de la psychanalyse et les hésitations et errances du premier Freud. Celle-ci était disponible en anglais, allemand, portugais, espagnol depuis 1986. Elle a été traduite pour la première fois en français en 2006, soit vingt ans plus tard, ce qui autorise Onfray à affirmer qu’elle a été occultée jusqu’à nos jours 7.

N’étant formé à aucune tradition de recherche his-torique, n’ayant aucune idée de ce qu’est l’internatio-nalisation de la recherche en histoire, Onfray néglige la réalité du travail historiographique qui se fait dans ce domaine depuis des décennies, et il s’appuie sur ce qu’il considère comme le nec plus ultra de la recherche sur ces questions : Le Livre noir de la psychanalyse, qui réunit

7. Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, PUF, 2006.

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une quarantaine de contributions 8. Si Freud y est traité d’escroc et de menteur, avide d’argent et incestueux, par les tenants du courant historiographique révisionniste américain, les psychanalystes – français notamment – y sont accusés de complots et de contaminations diverses, les uns parce qu’ils auraient été défavorables à la vente de seringues aux malades du sida (rumeur inventée de toutes pièces), et les autres parce que, adeptes de Fran-çoise Dolto, décédée en 1988, ils auraient favorisé après 2000 l’abaissement de l’autorité à l’école en idéalisant l’« enfant roi ». Quant à Jacques Lacan, il est comparé, dans ce livre, à un gourou de secte, tandis que l’ensemble des associations psychanalytiques sont brocardées pour avoir été à l’origine d’un véritable goulag freudien : au moins dix mille morts en France. Aucune source, bien sûr, ne vient étayer cette affirmation insensée.

Contrairement à ses nouveaux amis, qui sont parvenus, de son aveu même (Le Crépuscule, p. 585), à le convertir à la vérité vraie – celle de la conspiration des freudiens contre la société occidentale –, Onfray ne s’attaque qu’à Freud, laissant entendre que plus tard, dans un autre volume, il s’occupera des freudo-marxistes, comme si personne avant lui ne s’était intéressé à eux. Et du coup, il a annoncé, lors d’une émission diffusée sur France

8. Publié sous la direction de Catherine Meyer, avec la collaboration de Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cottraux, Didier Pleux et Jacques Van Rillaer, Paris, Les Arènes, 2005. Sous-titre : « Vivre, penser et aller mieux sans Freud ».

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Culture (22 avril 2010) qu’il allait créer une école de psychothérapie freudo-marxiste destinée à soigner gra-tuitement les pauvres 9. En sera-t-il le maître et le prin-cipal thérapeute ? En vertu de quelle formation ?

2. Portrait de l’auteur par lui-même en dieu solaire hédoniste

Avant d’analyser le contenu du brûlot, il convient de donner quelques indications permettant de comprendre comment Onfray en est arrivé à se « convertir » à l’anti-freudisme le plus radical.

Fondateur d’une université populaire à Caen, titulaire d’un doctorat de troisième cycle (ancien régime) 10, il est connu pour avoir rassemblé autour de lui un vaste public qui adhère à ses propos comme à une entreprise de rénovation du discours philosophique.

Convaincu que l’Université française et l’École répu-blicaine sont autant de lieux de perdition dans lesquels des professeurs assènent à des enfants soumis des vérités officielles, Onfray a entrepris une révision de l’histoire des savoirs dits « officiels ». Il se veut libertaire, d’extrême

9. Cf. Philippe Grauer, site du CIFP.10. « Les implications éthiques et politiques des pensées négatives de

Schopenhauer à Spengler. Mémoire » (texte imprimé). Sous la direction de Simone Goyard, Caen, 1986.

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gauche, adepte de Proudhon contre Marx, antifreudien, antimarxiste (et non pas freudo-marxiste) et se proclame le défenseur du peuple exploité par le capitalisme. Aussi a-t-il été pendant un temps proche du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), avant d’appeler à voter pour le Front de gauche aux dernières élections régionales.

Depuis plusieurs années, il a entrepris de populariser une « contre-histoire de la philosophie », qui prétend lever les refoulements sur des savoirs qui auraient été censurés par les professeurs, par le pape, par les prêtres. Aussi a-t-il mis au point une méthodologie qui s’appuie sur le principe de la préfiguration : tout est déjà dans tout avant même la survenue d’un événement.

En vertu de cette méthodologie, qui rencontre un vrai succès populaire auprès d’un public fasciné par ce qu’il perçoit comme un appel à une insurrection des consciences, Onfray a pu affirmer qu’Emmanuel Kant, philosophe allemand des Lumières, n’était qu’un précurseur d’Adolf Eichmann – l’organisateur de la « Solution finale », qui se voulait kantien –, que les trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) sont en eux-mêmes des entreprises meurtrières, que l’évangéliste Jean est l’ancêtre de Hitler, que Jésus pré-figure Hiroshima, et qu’enfin le monde musulman est fasciste 11.

11. Michel Onfray, Traité d’athéologie, Paris, Grasset, 2005, p. 256 ; Le Songe d’Eichmann, Paris, Galilée, 2008.

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À l’origine de cette sombre affaire, les Juifs, fondateurs du premier monothéisme – c’est-à-dire d’une religion sanguinaire axée sur la pulsion de mort –, seraient donc, selon Onfray, les responsables de tous les malheurs de l’Occident, les véritables « inventeurs de la guerre sainte » : « Car le monothéisme tient pour la pulsion de mort, il chérit la mort, il jouit de la mort, il est fasciné par la mort, il est fasciné par elle […]. De l’épée sanguinaire des Juifs exterminant les Cananéens à l’usage d’avions de ligne comme de bombes volantes à New York, en passant par le largage de charges atomiques à Hiroshima et Nagasaki, tout se fait au nom de Dieu, béni par lui mais surtout béni par ceux qui s’en réclament » (Traité d’athéologie, p. 201, 212, 228, etc.).

À cette humanité monothéiste (juive, chrétienne, musulmane) vouée à la haine et à la destruction, Onfray oppose une humanité athéologique, soucieuse de l’avè-nement d’un monde hygiéniste, paradisiaque, hédoniste : celle qui serait orchestrée par un dieu solaire et païen, entiè-rement investi par la pulsion de vie et dont lui, Onfray, serait le représentant avec pour mission d’inculquer à ses disciples la meilleure manière de jouir de leur corps et du corps de leurs voisins : par la masturbation. Bien qu’il semble ignorer les travaux de référence sur la question, et en particulier le livre de Thomas Laqueur 12, Onfray

12. Thomas Laqueur, Le Sexe solitaire. Contribution à l’histoire cultu-relle de la sexualité, Paris, Gallimard, 2005.

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se montre bien décidé à faire du pénis l’objet d’un culte phallique et volcanique hérité des anciens dieux de la Grèce, lesquels, en tant que présocratiques, seraient les précurseurs de Nietzsche. Que Nietzsche ait effectué un grand retour aux présocratiques ne fait pourtant pas de ceux-ci un précurseur de celui-là.

Au fil d’un enseignement fortement médiatisé, Onfray a réussi à convaincre un large public que les représen-tants de ce dieu païen, célébrant les vertus de la foudre, des comètes et des orages, n’ont jamais fait la guerre à quiconque et sont des pacifistes admirables. Dans cette Grèce vertueuse du bocage de Basse-Normandie, inventée par Onfray, Homère n’existe pas, ni la guerre de Troie, ni Ulysse, ni Achille, ni Zeus, ni Ouranos, ni les Titans, ni la tragédie…

Onfray raconte qu’il a été, dans son enfance, la victime de méchants prêtres « salésiens », dont certains étaient pédophiles (Le Crépuscule, p. 15) et qui ont fait de lui ce qu’il est devenu. Rebelle en émoi, hanté par le complot œdipien qui se serait abattu sur lui, il affirme que son père, « malheureux employé de laiterie », aurait été une victime permanente tout au long d’un drame ayant pour toile de fond le « marché de la sous-préfecture d’Argentan » (p. 15). Sa mère avait été elle-même aban-donnée dans un cageot à sa naissance et elle en avait conçu une détestation de son propre fils, explique-t-il, au point de le frapper et de lui prédire qu’il finirait sa vie sous l’échafaud : « Sans jamais avoir tué père (et surtout)

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RÉALISATION : PAO ÉDITIONS DU SEUIL IMPRESSION : CORLET IMPRIMEUR S.A. 14110 CONDÉ-SUR-NOIREAU

DÉPÔT LÉGAL : MAI 2010. N° 103450 ( )Imprimé en France

Le Seuil s’engagepour la protection de l’environnement

Ce livre a été imprimé chez un imprimeur labellisé Imprim’Vert, marque créée en partenariat avec l’Agence de l’Eau, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) et l’UNIC (Union Nationale de l’Imprimerie et de la Communication).La marque Imprim’Vert apporte trois garanties essentielles :