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RÉCITS ENFANTINS EN SITUATION DE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES Fabienne LECONTE Université d'Orléans et ESA 6065 Dyalang Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬ gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctions divergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬ tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narratives causées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles divers se les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leurs narrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬ tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬ matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsque les récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite le rappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première. Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sans revêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisir d'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contes distille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfants de migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬ férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tient une large place dans le développement des capacités langagières des enfants. Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une place centrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaire et développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬ rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬ lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier le discours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifique de l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent une forme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dès lors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier la lecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans ce cadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬ mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinés aux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Le livre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoire fait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissage du français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins 79 RÉCITS ENFANTINS EN SITUATION DE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES Fabienne LECONTE Université d'Orléans et ESA 6065 Dyalang Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬ gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctions divergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬ tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narratives causées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles divers se les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leurs narrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬ tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬ matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsque les récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite le rappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première. Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sans revêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisir d'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contes distille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfants de migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬ férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tient une large place dans le développement des capacités langagières des enfants. Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une place centrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaire et développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬ rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬ lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier le discours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifique de l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent une forme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dès lors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier la lecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans ce cadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬ mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinés aux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Le livre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoire fait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissage du français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins 79
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LANGUES CONTACTS CULTURES ENFANTINS RÉCITS …

Jun 23, 2022

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RÉCITS ENFANTINS EN SITUATIONDE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES

Fabienne LECONTEUniversité d'Orléans et ESA 6065 Dyalang

Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des

cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctionsdivergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬

tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narrativescausées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles diversse les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leursnarrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬

matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsqueles récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite lerappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première.

Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sansrevêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisird'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contesdistille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfantsde migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tientune large place dans le développement des capacités langagières des enfants.

Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une placecentrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaireet développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier lediscours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifiquede l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent uneforme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dèslors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier lalecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans cecadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinésaux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Lelivre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoirefait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissagedu français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins

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RÉCITS ENFANTINS EN SITUATIONDE CONTACTS DE LANGUES ET DE CULTURES

Fabienne LECONTEUniversité d'Orléans et ESA 6065 Dyalang

Résumé : Les enfants de migrants scolarisés en France sont socialisés dans des

cultures différentes. Toutefois la culture scolaire française et les cultures d'ori¬gine font une large place au récit, bien que sous des formes et avec des fonctionsdivergentes. A partir de l'exemple des familles africaines en France, on présen¬

tera les pratiques langagières familiales et les évolutions des pratiques narrativescausées par la migration. En outre, les enfants confrontés à des modèles diversse les approprient pour développer leur propre compétence de narrateurs. Leursnarrations portent alors la trace de ces différents modèles linguistiques, interac¬tionnels et culturels. Leurs choix s'orientent vers des contes dont le contenu thé¬

matique est à rapprocher de ceux circulant dans leur culture d'origine. Lorsqueles récits ont une structure formelle caractéristique de l'oralité celle-ci facilite lerappel pour des enfants dont le français n'est pas la langue première.

Le récit oral occupe une place importante dans toutes les cultures sansrevêtir ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions selon les sociétés. Le plaisird'écouter et de raconter est commun à tous, l'imaginaire véhiculé par les contesdistille sa part de merveilleux quelles que soient les latitudes. Mais les enfantsde migrants scolarisés en France sont confrontés à des cultures du récit très dif¬férentes : culture léguée par la famille et culture scolaire française laquelle tientune large place dans le développement des capacités langagières des enfants.

Ainsi, l'école - et singulièrement l'école maternelle - accorde une placecentrale aux contes et récits non seulement parce qu'ils nourrissent l'imaginaireet développent la faculté de représentation mais aussi parce que la pratique nar¬rative favorise la structuration temporelle, l'emploi de l'anaphore et, plus globa¬lement, l'usage décontextualisé du langage. Le conte permet de manier lediscours rapporté et le discours indirect, premiers pas vers la syntaxe spécifiquede l'écrit. Les contes et histoires comportent, en milieu scolaire, souvent uneforme écrite à laquelle on peut se référer et qui modèle la langue utilisée. Dèslors la pratique du récit en classe, qui consiste encore souvent à privilégier lalecture d'albums, propose avant tout des modèles de langue écrite. Dans cecadre, le livre a une fonction d'étayage importante pour les enfants qui com¬mencent à raconter en français car l'ordre des illustrations des albums destinésaux plus jeunes découpe souvent le récit en séquences selon l'ordre du récit. Lelivre est alors une aide précieuse lorsque les mots manquent ou que la mémoirefait défaut. Les plus jeunes enfants et ceux qui sont en cours d'apprentissagedu français commentent d'abord les images avant de rappeler plus ou moins

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

fidèlement le texte avec lequel ils auront été familiarisés. Cette fonction de lanarration comme aide à l'apprentissage de la lecture et à la conduite autonomede récits est reconnue par les familles appartenant aux classes sociales culturel¬lement les plus proches de l'école qui racontent une histoire à leur(s) jeune(s)enfantfs), le plus souvent à l'aide d'albums, avant de s'endormir. La valorisationet le développement de cette pratique est relativement récente à l'échelle histo¬rique et loin de concerner toutes les couches sociales.

La pratique du récit destinée d'abord aux enfants et ayant un lien intrin¬sèque avec le livre peut être opposée à la pratique narrative traditionnelle enAfrique noire, qui s'adresse à toute la population en ce qu'elle est l'expressiondes désirs et pulsions subjectives refoulés par l'ordre culturel (la place desjeunes et des femmes par exemple). La littérature orale est, selon la définition deJ. Derive [1975] : « Le secteur de la parole qui est consigné dans un patrimoinesous forme de trames mnémoniques et de modèles canoniques et qui se produiten énoncés institutionnels et reconnus ». On distingue alors la « paroleancienne » - celle qui est inscrite dans une tradition - de la « parole claire » ouquotidienne. Cette opposition entre claire et ancienne montre que le sens pro¬fond des textes de littérature orale est accessible uniquement aux personnes ini¬

tiées à un certain nombre de codes culturels. Les contes instruisent sur ce qu'ilne faut pas faire dans un ordre culturel avant tout rural dont la pérennité resteune valeur centrale. Les enfants sont auditeurs de ces contes, qui ne leur sontpas spécifiquement destinés, dans des veillées qui réunissent toutes les généra¬tions et ne sont pas censés accéder à leur symbolisme profond, lequel ne peutêtre compréhensible que par les personnes ayant le plus d'expérience et deconnaissances, à savoir les plus âgés. Le conte a toujours une double significa¬tion apparente et réelle, la signification réelle n'étant accessible qu'au cours del'existence. Le « vrai » sens ne se donne pas à voir d'emblée. Néanmoins, lescontes qui comportent des récits d'initiation font plutôt partie du patrimoineenfantin. Le voyage symbolise l'initiation en ce qu'il est passage d'un monde à

l'autre.

II va sans dire que, s'agissant de cultures de l'oralité, la forme écrite estrarissime et fréquemment imprimée en France ou dans d'autres métropoleseuropéennes à destination d'un public très minoritaire de lettrés oud'Européens. La fixation devant se passer à la fois d'image et d'écriture estassurée par une formalisation particulière qui concerne à la fois l'organisationtextuelle - par des répétitions, parallélismes ou chiasmes divers - et sonore pardes assonances, marques rythmiques et prosodiques.

J'ai insisté sur la profonde altérité des fonctions sociales et partant des cir¬constances de renonciation des contes traditionnels (ou non) dans chacune descultures car la similarité de leur structure ou la récurrence de certains person¬nages du nord au sud de la Méditerranée et du Sahara a été maintes fois souli¬gnée (D. Paulme 1976, N. Decourt et M. Raynaud 1999). Mais un conte ne selimite pas à sa structure textuelle analysable par des linguistes ou des sémioti-ciens : il reste vivant lorsqu'il est raconté devant un public dans des circons¬tances qui sont toujours singulières. La similarité structurelle est fréquemmentutilisée dans des classes pluriculturelles en ZEP, que ce soit pour mener un tra-

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fidèlement le texte avec lequel ils auront été familiarisés. Cette fonction de lanarration comme aide à l'apprentissage de la lecture et à la conduite autonomede récits est reconnue par les familles appartenant aux classes sociales culturel¬lement les plus proches de l'école qui racontent une histoire à leur(s) jeune(s)enfantfs), le plus souvent à l'aide d'albums, avant de s'endormir. La valorisationet le développement de cette pratique est relativement récente à l'échelle histo¬rique et loin de concerner toutes les couches sociales.

La pratique du récit destinée d'abord aux enfants et ayant un lien intrin¬sèque avec le livre peut être opposée à la pratique narrative traditionnelle enAfrique noire, qui s'adresse à toute la population en ce qu'elle est l'expressiondes désirs et pulsions subjectives refoulés par l'ordre culturel (la place desjeunes et des femmes par exemple). La littérature orale est, selon la définition deJ. Derive [1975] : « Le secteur de la parole qui est consigné dans un patrimoinesous forme de trames mnémoniques et de modèles canoniques et qui se produiten énoncés institutionnels et reconnus ». On distingue alors la « paroleancienne » - celle qui est inscrite dans une tradition - de la « parole claire » ouquotidienne. Cette opposition entre claire et ancienne montre que le sens pro¬fond des textes de littérature orale est accessible uniquement aux personnes ini¬

tiées à un certain nombre de codes culturels. Les contes instruisent sur ce qu'ilne faut pas faire dans un ordre culturel avant tout rural dont la pérennité resteune valeur centrale. Les enfants sont auditeurs de ces contes, qui ne leur sontpas spécifiquement destinés, dans des veillées qui réunissent toutes les généra¬tions et ne sont pas censés accéder à leur symbolisme profond, lequel ne peutêtre compréhensible que par les personnes ayant le plus d'expérience et deconnaissances, à savoir les plus âgés. Le conte a toujours une double significa¬tion apparente et réelle, la signification réelle n'étant accessible qu'au cours del'existence. Le « vrai » sens ne se donne pas à voir d'emblée. Néanmoins, lescontes qui comportent des récits d'initiation font plutôt partie du patrimoineenfantin. Le voyage symbolise l'initiation en ce qu'il est passage d'un monde à

l'autre.

II va sans dire que, s'agissant de cultures de l'oralité, la forme écrite estrarissime et fréquemment imprimée en France ou dans d'autres métropoleseuropéennes à destination d'un public très minoritaire de lettrés oud'Européens. La fixation devant se passer à la fois d'image et d'écriture estassurée par une formalisation particulière qui concerne à la fois l'organisationtextuelle - par des répétitions, parallélismes ou chiasmes divers - et sonore pardes assonances, marques rythmiques et prosodiques.

J'ai insisté sur la profonde altérité des fonctions sociales et partant des cir¬constances de renonciation des contes traditionnels (ou non) dans chacune descultures car la similarité de leur structure ou la récurrence de certains person¬nages du nord au sud de la Méditerranée et du Sahara a été maintes fois souli¬gnée (D. Paulme 1976, N. Decourt et M. Raynaud 1999). Mais un conte ne selimite pas à sa structure textuelle analysable par des linguistes ou des sémioti-ciens : il reste vivant lorsqu'il est raconté devant un public dans des circons¬tances qui sont toujours singulières. La similarité structurelle est fréquemmentutilisée dans des classes pluriculturelles en ZEP, que ce soit pour mener un tra-

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

vail comparatif ou/et créer une culture commune en valorisant celle de chacun.Dès lors, le conte africain utilisé dans une classe française perd en même tempsque son lien avec l'environnement immédiat et la culture qui l'a fait naitre unepartie de ses fonctions et de sa signification pour en accueillir de nouvelles : lelien avec les familles, la reconnaissance de l'Autre.

Cependant, les termes d'histoires, de récit ou de narration sont fortementpolysémiques en français. « Raconter une histoire » ce peut être relater un évé¬nement particulier qui s'est déroulé dans la journée, un rêve, l'histoire de safamille ou une histoire inventée et créée par soi seul. Ce peut être aussi lire unconte - ici la référence à la forme écrite est centrale - mais aussi dire un conteou conter. L'activité de narration est diverse et polymorphe dans toutes les cul¬tures et concerne aussi bien la « parole claire » que la « parole ancienne ». Làencore, selon son groupe social d'origine, selon la langue ou la variété utilisée,on choisira ce qui mérite d'être relaté, quel aspect de l'événement doit être misen valeur, les circonstances dans lesquelles il convient de le faire.

Une didactique soucieuse de la prise en compte de l'hétérogénéité linguis¬tique et culturelle des élèves a tout intérêt à connaître les pratiques du récit dansles familles afin de pouvoir s'appuyer sur les acquisitions langagières de la mai¬son, y compris dans d'autres langues que le français. Un enfant, même lorsqu'ilest scolarisé en France dès l'âge de deux ou trois ans, est déjà enculturé dansune culture première qui peut être fort différente de celle de l'école. Desrecherches récentes (1) ont montré que l'enfant est d'autant plus à même debénéficier des avantages d'un bilinguisme précoce que les différentes langueset cultures dans lesquelles il est socialisé sont valorisées dans son entourageimmédiat, famille, école, réseaux sociaux. II peut aisément réinvestir les acquisi¬tions et apprentissages effectués dans « l'autre » instance de socialisationlorsque la famille d'un côté, l'école de l'autre, valorisent ce qui a été appris dansl'autre univers.

Les réflexions qui suivent sont issues d'une recherche sur l'activité narra¬tive orale de l'enfant (2) menée par l'ESA CNRS 6065. Le cadre de ce travail estconstitué par la notion de « socialisation langagière » qui est opératoire pourexpliquer comment l'enfant s'approprie les modèles langagiers de son environ¬nement immédiat et comment il les modifie. Pour mener à bien cette recherche,notre équipe a recueilli des récits auprès d'une population d'enfants diversifiéetant socialement que par le type de récits recueillis et les circonstances durecueil. Pour ma part, je me limiterai, dans le cadre de cet article, à la situationparticulière des enfants d'origine africaine ou maghrébine en France et aux pra¬tiques narratives dans les familles en m'appuyant sur une enquête menée dansune école maternelle de la région rouennaise comportant une majorité d'enfantsd'origine étrangère, sur des recherches antérieures menées auprès des famillesafricaines en France et sur une expérience passée d'enseignante de maternelleayant travaillé une quinzaine d'années en ZEP. Dans le cadre de notre étude, j'aiinterrogé une trentaine d'enfants sur les pratiques narratives dans leurs familleset leur ai demandé de me raconter l'histoire de leur choix. En premier lieu, jeprésenterai les pratiques narratives dans les familles africaines, d'une part parceque ce sont celles que je connais le mieux pour avoir étudié les pratiques et les

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

vail comparatif ou/et créer une culture commune en valorisant celle de chacun.Dès lors, le conte africain utilisé dans une classe française perd en même tempsque son lien avec l'environnement immédiat et la culture qui l'a fait naitre unepartie de ses fonctions et de sa signification pour en accueillir de nouvelles : lelien avec les familles, la reconnaissance de l'Autre.

Cependant, les termes d'histoires, de récit ou de narration sont fortementpolysémiques en français. « Raconter une histoire » ce peut être relater un évé¬nement particulier qui s'est déroulé dans la journée, un rêve, l'histoire de safamille ou une histoire inventée et créée par soi seul. Ce peut être aussi lire unconte - ici la référence à la forme écrite est centrale - mais aussi dire un conteou conter. L'activité de narration est diverse et polymorphe dans toutes les cul¬tures et concerne aussi bien la « parole claire » que la « parole ancienne ». Làencore, selon son groupe social d'origine, selon la langue ou la variété utilisée,on choisira ce qui mérite d'être relaté, quel aspect de l'événement doit être misen valeur, les circonstances dans lesquelles il convient de le faire.

Une didactique soucieuse de la prise en compte de l'hétérogénéité linguis¬tique et culturelle des élèves a tout intérêt à connaître les pratiques du récit dansles familles afin de pouvoir s'appuyer sur les acquisitions langagières de la mai¬son, y compris dans d'autres langues que le français. Un enfant, même lorsqu'ilest scolarisé en France dès l'âge de deux ou trois ans, est déjà enculturé dansune culture première qui peut être fort différente de celle de l'école. Desrecherches récentes (1) ont montré que l'enfant est d'autant plus à même debénéficier des avantages d'un bilinguisme précoce que les différentes langueset cultures dans lesquelles il est socialisé sont valorisées dans son entourageimmédiat, famille, école, réseaux sociaux. II peut aisément réinvestir les acquisi¬tions et apprentissages effectués dans « l'autre » instance de socialisationlorsque la famille d'un côté, l'école de l'autre, valorisent ce qui a été appris dansl'autre univers.

Les réflexions qui suivent sont issues d'une recherche sur l'activité narra¬tive orale de l'enfant (2) menée par l'ESA CNRS 6065. Le cadre de ce travail estconstitué par la notion de « socialisation langagière » qui est opératoire pourexpliquer comment l'enfant s'approprie les modèles langagiers de son environ¬nement immédiat et comment il les modifie. Pour mener à bien cette recherche,notre équipe a recueilli des récits auprès d'une population d'enfants diversifiéetant socialement que par le type de récits recueillis et les circonstances durecueil. Pour ma part, je me limiterai, dans le cadre de cet article, à la situationparticulière des enfants d'origine africaine ou maghrébine en France et aux pra¬tiques narratives dans les familles en m'appuyant sur une enquête menée dansune école maternelle de la région rouennaise comportant une majorité d'enfantsd'origine étrangère, sur des recherches antérieures menées auprès des famillesafricaines en France et sur une expérience passée d'enseignante de maternelleayant travaillé une quinzaine d'années en ZEP. Dans le cadre de notre étude, j'aiinterrogé une trentaine d'enfants sur les pratiques narratives dans leurs familleset leur ai demandé de me raconter l'histoire de leur choix. En premier lieu, jeprésenterai les pratiques narratives dans les familles africaines, d'une part parceque ce sont celles que je connais le mieux pour avoir étudié les pratiques et les

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

attitudes langagières de la deuxième génération originaire d'Afrique noire (3) et,d'autre part, parce que l'opposition entre cultures de l'oralité et de l'écriture yest particulièrement exemplifiée. Dans un second temps, on s'arrêtera sur lescontes choisis par des enfants d'origine étrangère toutes nationalités confon¬dues. Enfin, les enfants d'origine africaine sont scolarisés comme tous les petitsFrançais dès l'âge de deux ou trois ans. Leurs récits, dont nous analyserons unextrait ci-après, rendent compte de cette rencontre entre deux univers linguis¬tiques, culturels, énonciatifs...

1. LES PRATIQUES NARRATIVES DANS LES FAMILLES

1.1. Dans une situation inégalitaire de contact de langues

On ne peut aborder les pratiques narratives dans les familles africaines enFrance sans savoir dans quelle(s) langue(s) elles s'actualisent. C'est pourquoi jem'arrêterai brièvement sur la transmission des langues africaines aux enfantsdans un contexte où elles sont particulièrement minorées. C'est que ceslangues sont parlées par des populations socialement défavorisées et politique¬ment marginalisées qui ne peuvent s'appuyer sur le statut de langue officielledans les pays d'origine pour les promouvoir. Le point commun à l'ensemble despays d'origine des migrants africains en France est d'avoir promu, après lesindépendances, la langue de l'ancien colonisateur au rang de langue officielleunique. Les langues locales ont au mieux le statut de langue nationale, ce statutpouvant regrouper des situations fort diverses selon les pays. Le français, dansles pays où il est langue officielle, jouit d'un statut sans commune mesure avecle nombre réel de ses locuteurs (4) puisqu'il est à la fois la langue du pouvoir etdes médias, de la scolarisation et de l'accès au travail salarié. II bénéficie d'unprestige d'autant plus important qu'il est la langue de l'élite et de l'accès à lamodernité. Cette situation résulte, entre autres, de la politique linguistique del'état français qui a lutté pendant plusieurs siècles pour asseoir la dominationd'une seule langue sur le territoire français, l'unité linguistique ayant été confon¬due avec l'unité nationale. La politique prônant un monolinguisme idéel s'estprolongée dans les colonies. Comme en métropole, les langues locales furentqualifiées de dialectes et de patois, le port du « symbole » (5) généralisé dansles écoles.

La situation de dévalorisation, redoublée en France, est perçue par lesparents qui vont mettre en place de véritables politiques linguistiques familiales,choisissant de transmettre leurs langues premières à leurs enfants ou aucontraire de privilégier le français. Ces politiques linguistiques familiales dépen¬dent de critères sociaux référant autant à ce qui se passe en France qu'enAfrique, comme l'importance de la communauté linguistique et culturelle enFrance, son degré de structuration, son origine rurale ou urbaine et ses liensentretenus avec le pays d'origine, le degré de francophonie avant la migra¬tion (6)... En outre, les Africains noirs ne sont pas les seuls à mettre en placedes stratégies destinées à maintenir leurs langues et cultures en situation demigration ; les mêmes phénomènes sont observés chez d'autres catégories demigrants (Deprez 1 994).

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attitudes langagières de la deuxième génération originaire d'Afrique noire (3) et,d'autre part, parce que l'opposition entre cultures de l'oralité et de l'écriture yest particulièrement exemplifiée. Dans un second temps, on s'arrêtera sur lescontes choisis par des enfants d'origine étrangère toutes nationalités confon¬dues. Enfin, les enfants d'origine africaine sont scolarisés comme tous les petitsFrançais dès l'âge de deux ou trois ans. Leurs récits, dont nous analyserons unextrait ci-après, rendent compte de cette rencontre entre deux univers linguis¬tiques, culturels, énonciatifs...

1. LES PRATIQUES NARRATIVES DANS LES FAMILLES

1.1. Dans une situation inégalitaire de contact de langues

On ne peut aborder les pratiques narratives dans les familles africaines enFrance sans savoir dans quelle(s) langue(s) elles s'actualisent. C'est pourquoi jem'arrêterai brièvement sur la transmission des langues africaines aux enfantsdans un contexte où elles sont particulièrement minorées. C'est que ceslangues sont parlées par des populations socialement défavorisées et politique¬ment marginalisées qui ne peuvent s'appuyer sur le statut de langue officielledans les pays d'origine pour les promouvoir. Le point commun à l'ensemble despays d'origine des migrants africains en France est d'avoir promu, après lesindépendances, la langue de l'ancien colonisateur au rang de langue officielleunique. Les langues locales ont au mieux le statut de langue nationale, ce statutpouvant regrouper des situations fort diverses selon les pays. Le français, dansles pays où il est langue officielle, jouit d'un statut sans commune mesure avecle nombre réel de ses locuteurs (4) puisqu'il est à la fois la langue du pouvoir etdes médias, de la scolarisation et de l'accès au travail salarié. II bénéficie d'unprestige d'autant plus important qu'il est la langue de l'élite et de l'accès à lamodernité. Cette situation résulte, entre autres, de la politique linguistique del'état français qui a lutté pendant plusieurs siècles pour asseoir la dominationd'une seule langue sur le territoire français, l'unité linguistique ayant été confon¬due avec l'unité nationale. La politique prônant un monolinguisme idéel s'estprolongée dans les colonies. Comme en métropole, les langues locales furentqualifiées de dialectes et de patois, le port du « symbole » (5) généralisé dansles écoles.

La situation de dévalorisation, redoublée en France, est perçue par lesparents qui vont mettre en place de véritables politiques linguistiques familiales,choisissant de transmettre leurs langues premières à leurs enfants ou aucontraire de privilégier le français. Ces politiques linguistiques familiales dépen¬dent de critères sociaux référant autant à ce qui se passe en France qu'enAfrique, comme l'importance de la communauté linguistique et culturelle enFrance, son degré de structuration, son origine rurale ou urbaine et ses liensentretenus avec le pays d'origine, le degré de francophonie avant la migra¬tion (6)... En outre, les Africains noirs ne sont pas les seuls à mettre en placedes stratégies destinées à maintenir leurs langues et cultures en situation demigration ; les mêmes phénomènes sont observés chez d'autres catégories demigrants (Deprez 1 994).

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

Malgré la pression francophone très forte, les stratégies de résistance lin¬guistique et culturelle peuvent aller jusqu'à l'interdiction du français à la maisondevant les adultes. Elles concernent surtout les personnes originaires du Sahel(Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal), majoritaires dans l'immigration afri¬caine en France. A l'inverse, une minorité de familles originaires d'Afrique cen¬trale et du golfe de Guinée privilégient le français qui apparait comme unelangue de promotion sociale pour leurs enfants. La majorité des familles sesituent entre ces deux pôles et mettent en place des glottopolitiques destinées àtransmettre leurs langues premières à leurs enfants sans que celles-ci ne soienttrès strictes.

Toutefois, si stratégie de résistance il y a, il faut aussi composer avec leprésent et l'avenir ici, alors que la réussite scolaire et, partant, l'espoir d'un ave¬nir meilleur pour les enfants passe avant tout par la maitrise du français écrit.C'est dans cette tension entre l'attachement au pays d'origine médiatisé par latransmission de la langue et de la culture et l'inscription dans la société fran¬çaise que se situent les pratiques narratives dans les familles. Tension danslaquelle il faut inscrire la confrontation entre cultures de l'oralité (dévalorisées) etculture écrite (valorisée). Rappelons que l'écrit en français est particulièrementprestigieux chez des personnes qui n'ont pas eu la chance d'être scolariséesétant enfant alors qu'y compris dans le pays d'origine, la scolarisation s'effectueen français. De plus, sa non maitrise représente, dans la société françaiseactuelle, un handicap tant au quotidien que pour les possibilités de promotionprofessionnelle.

1.2. Des pratiques narratives bouleversées par la migration

Dans une situation de minoration linguistique importante, le récit en languepremière, en tant que pratique langagière majeure dans les cultures de l'oralité,peut prendre toute sa place dans la transmission des valeurs de la commu¬nauté, des informations jugées essentielles dans l'histoire familiale et sociale. Onne saurait cependant calquer les pratiques familiales en France sur celles envigueur dans les régions d'origine. Nous avons vu plus haut que la pratique tra¬ditionnelle du conte ne prenait tout son sens qu'en référence avec l'environne¬ment immédiat et l'ordre culturel traditionnel. Celle-ci se trouve en quelque sortedéracinée lors de la transplantation en France. II est peu probable que le coqpuisse continuer à symboliser la case et le chat être doté des fétiches les pluspuissants au milieu des barres et des tours. Si les personnages des récits tradi¬tionnels peuvent encore faire rêver et distiller leur part de merveilleux, les refe¬rents deviennent complètement étrangers au quotidien. Et que dire de lagénéalogie prestigieuse de la famille si ce n'est qu'elle ne peut être transmise dela même façon dans une société qui prétend ignorer l'appartenance à une lignéepour se focaliser sur la réussite individuelle.

Au delà des bouleversements causés par la transplantation, le patrimoineculturel de la famille ne se limite plus à la culture traditionnelle du pays d'origine.Toute migration implique une rupture, les raisons pouvant en être plus ou moinsdouloureuses, que l'on songe aux réfugiés politiques ou, plus fréquemment, à ladégradation de la situation économique sur place qui ne laissent que l'exil

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

Malgré la pression francophone très forte, les stratégies de résistance lin¬guistique et culturelle peuvent aller jusqu'à l'interdiction du français à la maisondevant les adultes. Elles concernent surtout les personnes originaires du Sahel(Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal), majoritaires dans l'immigration afri¬caine en France. A l'inverse, une minorité de familles originaires d'Afrique cen¬trale et du golfe de Guinée privilégient le français qui apparait comme unelangue de promotion sociale pour leurs enfants. La majorité des familles sesituent entre ces deux pôles et mettent en place des glottopolitiques destinées àtransmettre leurs langues premières à leurs enfants sans que celles-ci ne soienttrès strictes.

Toutefois, si stratégie de résistance il y a, il faut aussi composer avec leprésent et l'avenir ici, alors que la réussite scolaire et, partant, l'espoir d'un ave¬nir meilleur pour les enfants passe avant tout par la maitrise du français écrit.C'est dans cette tension entre l'attachement au pays d'origine médiatisé par latransmission de la langue et de la culture et l'inscription dans la société fran¬çaise que se situent les pratiques narratives dans les familles. Tension danslaquelle il faut inscrire la confrontation entre cultures de l'oralité (dévalorisées) etculture écrite (valorisée). Rappelons que l'écrit en français est particulièrementprestigieux chez des personnes qui n'ont pas eu la chance d'être scolariséesétant enfant alors qu'y compris dans le pays d'origine, la scolarisation s'effectueen français. De plus, sa non maitrise représente, dans la société françaiseactuelle, un handicap tant au quotidien que pour les possibilités de promotionprofessionnelle.

1.2. Des pratiques narratives bouleversées par la migration

Dans une situation de minoration linguistique importante, le récit en languepremière, en tant que pratique langagière majeure dans les cultures de l'oralité,peut prendre toute sa place dans la transmission des valeurs de la commu¬nauté, des informations jugées essentielles dans l'histoire familiale et sociale. Onne saurait cependant calquer les pratiques familiales en France sur celles envigueur dans les régions d'origine. Nous avons vu plus haut que la pratique tra¬ditionnelle du conte ne prenait tout son sens qu'en référence avec l'environne¬ment immédiat et l'ordre culturel traditionnel. Celle-ci se trouve en quelque sortedéracinée lors de la transplantation en France. II est peu probable que le coqpuisse continuer à symboliser la case et le chat être doté des fétiches les pluspuissants au milieu des barres et des tours. Si les personnages des récits tradi¬tionnels peuvent encore faire rêver et distiller leur part de merveilleux, les refe¬rents deviennent complètement étrangers au quotidien. Et que dire de lagénéalogie prestigieuse de la famille si ce n'est qu'elle ne peut être transmise dela même façon dans une société qui prétend ignorer l'appartenance à une lignéepour se focaliser sur la réussite individuelle.

Au delà des bouleversements causés par la transplantation, le patrimoineculturel de la famille ne se limite plus à la culture traditionnelle du pays d'origine.Toute migration implique une rupture, les raisons pouvant en être plus ou moinsdouloureuses, que l'on songe aux réfugiés politiques ou, plus fréquemment, à ladégradation de la situation économique sur place qui ne laissent que l'exil

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

comme seule issue à la survie. Dans cette situation, la nécessaire transmissionaux enfants peut être beaucoup plus marquée par l'histoire récente de la familleque par le patrimoine traditionnel. Certains parents vont préférer raconter auxenfants la vie de la famille dans le pays d'origine pour maintenir le lien. II en estainsi pour nombre de familles d'ethnie poular, manjak ou soninké qui, apparte¬nant à des communautés structurées, choisissent de transmettre leur langue àleurs enfants afin que ceux-ci continuent d'appartenir au groupe ethnique et cul¬turel ici et là-bas.

Le choix de transmission linguistique et culturelle ne concerne pas la seulefamille au sens européen du terme mais l'ensemble du groupe en France oudans le pays d'origine pour qui la pratique de la langue ancestrale signe l'appar¬tenance au groupe ethnique. Les raisons données par les parents pour justifierles choix de transmission réfèrent fréquemment à la nécessité de ne pas couperl'enfant de son groupe ethnique d'origine et de lui transmettre les valeurs cultu¬relles véhiculées par la langue. Les enfants doivent pouvoir communiquer avecla famille restée au pays, respecter les règles d'interaction qui commandent dene pas s'adresser à une personne plus âgée (donc que l'on respecte) en fran¬çais. Dans ce contexte, les parents privilégient d'expliquer à leurs enfants la viequotidienne en Afrique, y compris sous forme de narration d'événements passésou présents. Par exemple, un enfant soninké de dix ans m'a relaté que son pèrene lui racontait pas « d'histoires » mais lui parlait des vaches qu'il avait enAfrique. Un père de famille manjak m'a dit préférer raconter et expliquer à sesenfants ce qui se passait réellement dans sa région d'origine plutôt que de leurtransmettre des contes traditionnels alors qu'il était un conteur particulièrementhabile et reconnu dans son village. Cette position s'explique aisément pour desfamilles nombreuses ayant des revenus très modestes car les possibilités d'em¬mener les enfants au pays sont faibles. II s'agit alors de donner aux enfants uneimage de l'Afrique plus proche de la réalité que celle véhiculée par les médiasfrançais qui en présentent les aspects négatifs : sida, guerre, pauvreté, etc.

En revanche, les parents qui privilégient la transmission du patrimoine tra¬ditionnel sous forme de contes, comptines, devinettes entretiennent générale¬ment des relations plus distantes avec la communauté ethnique en France et enAfrique et sont moins exigeants sur les compétences en langue d'origine deleurs enfants. II s'agit souvent de personnes ayant fréquenté l'école au delà dela scolarité primaire et plus sensibles de ce fait à la culture littéraire qu'elle soitécrite ou orale. Le patrimoine littéraire vient dans ce cas suppléer les liens dis¬tendus avec le groupe d'origine. II s'agit là de tendances générales observéslors d'une série d'enquêtes (7) menées auprès de migrants africains et de leursenfants depuis 1993 qu'il ne faut en aucun cas considérer comme règle absolue.

Enfin, la famille connait une profonde restructuration lors de la migration.En Afrique de l'ouest, les parents sont avant tout investis d'un rôle d'autoritéalors que les oncles et tantes ont un rôle affectif important auprès de l'enfant. Ala campagne, les familles ne vivent pas sur le modèle nucléaire européen maisdans des concessions (8) regroupant une vingtaine de personnes. Dans cecadre, ce sont rarement le père ou la mère qui racontent des histoires auxenfants mais les grands-parents, à moins qu'un membre de la famille ou du

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comme seule issue à la survie. Dans cette situation, la nécessaire transmissionaux enfants peut être beaucoup plus marquée par l'histoire récente de la familleque par le patrimoine traditionnel. Certains parents vont préférer raconter auxenfants la vie de la famille dans le pays d'origine pour maintenir le lien. II en estainsi pour nombre de familles d'ethnie poular, manjak ou soninké qui, apparte¬nant à des communautés structurées, choisissent de transmettre leur langue àleurs enfants afin que ceux-ci continuent d'appartenir au groupe ethnique et cul¬turel ici et là-bas.

Le choix de transmission linguistique et culturelle ne concerne pas la seulefamille au sens européen du terme mais l'ensemble du groupe en France oudans le pays d'origine pour qui la pratique de la langue ancestrale signe l'appar¬tenance au groupe ethnique. Les raisons données par les parents pour justifierles choix de transmission réfèrent fréquemment à la nécessité de ne pas couperl'enfant de son groupe ethnique d'origine et de lui transmettre les valeurs cultu¬relles véhiculées par la langue. Les enfants doivent pouvoir communiquer avecla famille restée au pays, respecter les règles d'interaction qui commandent dene pas s'adresser à une personne plus âgée (donc que l'on respecte) en fran¬çais. Dans ce contexte, les parents privilégient d'expliquer à leurs enfants la viequotidienne en Afrique, y compris sous forme de narration d'événements passésou présents. Par exemple, un enfant soninké de dix ans m'a relaté que son pèrene lui racontait pas « d'histoires » mais lui parlait des vaches qu'il avait enAfrique. Un père de famille manjak m'a dit préférer raconter et expliquer à sesenfants ce qui se passait réellement dans sa région d'origine plutôt que de leurtransmettre des contes traditionnels alors qu'il était un conteur particulièrementhabile et reconnu dans son village. Cette position s'explique aisément pour desfamilles nombreuses ayant des revenus très modestes car les possibilités d'em¬mener les enfants au pays sont faibles. II s'agit alors de donner aux enfants uneimage de l'Afrique plus proche de la réalité que celle véhiculée par les médiasfrançais qui en présentent les aspects négatifs : sida, guerre, pauvreté, etc.

En revanche, les parents qui privilégient la transmission du patrimoine tra¬ditionnel sous forme de contes, comptines, devinettes entretiennent générale¬ment des relations plus distantes avec la communauté ethnique en France et enAfrique et sont moins exigeants sur les compétences en langue d'origine deleurs enfants. II s'agit souvent de personnes ayant fréquenté l'école au delà dela scolarité primaire et plus sensibles de ce fait à la culture littéraire qu'elle soitécrite ou orale. Le patrimoine littéraire vient dans ce cas suppléer les liens dis¬tendus avec le groupe d'origine. II s'agit là de tendances générales observéslors d'une série d'enquêtes (7) menées auprès de migrants africains et de leursenfants depuis 1993 qu'il ne faut en aucun cas considérer comme règle absolue.

Enfin, la famille connait une profonde restructuration lors de la migration.En Afrique de l'ouest, les parents sont avant tout investis d'un rôle d'autoritéalors que les oncles et tantes ont un rôle affectif important auprès de l'enfant. Ala campagne, les familles ne vivent pas sur le modèle nucléaire européen maisdans des concessions (8) regroupant une vingtaine de personnes. Dans cecadre, ce sont rarement le père ou la mère qui racontent des histoires auxenfants mais les grands-parents, à moins qu'un membre de la famille ou du

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

groupe ne soit spécialisé dans cette tâche vu ses compétences. Or, en France,la famille se rapproche du modèle nucléaire européen et perd ainsi la référence àla mémoire que transmettent les personnes plus âgées et les membres de lafamille élargie.

1.3. La répartition des rôles au sein de la famille

Les recherches sur les pratiques langagières dans les familles migrantes(africaines ou autres) ont montré l'existence d'une répartition des rôles au seinde la famille dans les apprentissages langagiers. Les parents transmettent lalangue première alors que les aines servent de médiateurs linguistiques et cultu¬rels entre la famille et les institutions françaises et se chargent d'apprendre lefrançais à leurs frères et sAurs plus jeunes et quelquefois à leurs parents. Lerôle des aines dans l'acquisition langagière des cadets ne se limite pas à l'ap¬prentissage de la langue stricto sensu car ils racontent volontiers des histoiresaux cadets, cette activité étant surtout assumée par les filles. En revanche,lorsque les parents racontent, c'est la langue première qui est employée et ce,que le récit appartienne au patrimoine traditionnel ou concerne l'histoire de lafamille. Les histoires choisies par les aines, selon les témoignages recueillisauprès de jeunes enfants, sont surtout des contes traditionnels appartenant aupatrimoine français, la pratique du conte africain en langue africaine par desaines étant beaucoup plus rare. On peut supposer que la pratique du conte enfrançais est considérée par les aines comme une part importante de la compé¬tence dans cette langue pour qu'ils s'y adonnent si volontiers. Ils reproduisentune pratique qu'ils ont aimée quand ils étaient plus jeunes et qu'ils considèrentcomme un bon moyen d'apprendre le français ou de s'initier à la lecture. Leurvécu scolaire n'y est certainement pas étranger.

La pratique narrative auprès des enfants, assumée en Afrique (ou auMaghreb) par la famille élargie, ne disparait pas en France ; elle est désormaisassurée par les aines qui racontent, le plus souvent en français, des contes dupatrimoine traditionnel européen. On peut aussi y voir une volonté peut êtreinconsciente d'acculturation. Ceci montre l'importance que les enfants accor¬dent au récit d'histoire et le plaisir qu'ils y trouvent. Raconter aux petits estperçu comme une activité emblématique de l'école maternelle.

2. LES RAPPELS PAR LES ENFANTS

J'ai demandé à une trentaine d'enfants de grande section de maternelle deme raconter l'histoire de leur choix. L'enquête a été effectuée dans une école dela banlieue rouennaise comportant 90 % d'enfants d'origine étrangère (9), origi¬naires surtout du Maghreb et d'Afrique noire souvent non francophones avantleur scolarisation. Certains enfants ont choisi de me relater un événement heu¬reux ou angoissant qui les avait marqué, d'autres de me traduire une histoireracontée en langue première dans la famille ou de me rappeler un conte entenduet travaillé en classe. Notons que les enseignantes de cette école avaient entre¬pris l'année de l'enquête une action spécifique sur le récit. Les élèves, dont lamajorité étaient non francophones avant leur scolarisation, éprouvaient de

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groupe ne soit spécialisé dans cette tâche vu ses compétences. Or, en France,la famille se rapproche du modèle nucléaire européen et perd ainsi la référence àla mémoire que transmettent les personnes plus âgées et les membres de lafamille élargie.

1.3. La répartition des rôles au sein de la famille

Les recherches sur les pratiques langagières dans les familles migrantes(africaines ou autres) ont montré l'existence d'une répartition des rôles au seinde la famille dans les apprentissages langagiers. Les parents transmettent lalangue première alors que les aines servent de médiateurs linguistiques et cultu¬rels entre la famille et les institutions françaises et se chargent d'apprendre lefrançais à leurs frères et sAurs plus jeunes et quelquefois à leurs parents. Lerôle des aines dans l'acquisition langagière des cadets ne se limite pas à l'ap¬prentissage de la langue stricto sensu car ils racontent volontiers des histoiresaux cadets, cette activité étant surtout assumée par les filles. En revanche,lorsque les parents racontent, c'est la langue première qui est employée et ce,que le récit appartienne au patrimoine traditionnel ou concerne l'histoire de lafamille. Les histoires choisies par les aines, selon les témoignages recueillisauprès de jeunes enfants, sont surtout des contes traditionnels appartenant aupatrimoine français, la pratique du conte africain en langue africaine par desaines étant beaucoup plus rare. On peut supposer que la pratique du conte enfrançais est considérée par les aines comme une part importante de la compé¬tence dans cette langue pour qu'ils s'y adonnent si volontiers. Ils reproduisentune pratique qu'ils ont aimée quand ils étaient plus jeunes et qu'ils considèrentcomme un bon moyen d'apprendre le français ou de s'initier à la lecture. Leurvécu scolaire n'y est certainement pas étranger.

La pratique narrative auprès des enfants, assumée en Afrique (ou auMaghreb) par la famille élargie, ne disparait pas en France ; elle est désormaisassurée par les aines qui racontent, le plus souvent en français, des contes dupatrimoine traditionnel européen. On peut aussi y voir une volonté peut êtreinconsciente d'acculturation. Ceci montre l'importance que les enfants accor¬dent au récit d'histoire et le plaisir qu'ils y trouvent. Raconter aux petits estperçu comme une activité emblématique de l'école maternelle.

2. LES RAPPELS PAR LES ENFANTS

J'ai demandé à une trentaine d'enfants de grande section de maternelle deme raconter l'histoire de leur choix. L'enquête a été effectuée dans une école dela banlieue rouennaise comportant 90 % d'enfants d'origine étrangère (9), origi¬naires surtout du Maghreb et d'Afrique noire souvent non francophones avantleur scolarisation. Certains enfants ont choisi de me relater un événement heu¬reux ou angoissant qui les avait marqué, d'autres de me traduire une histoireracontée en langue première dans la famille ou de me rappeler un conte entenduet travaillé en classe. Notons que les enseignantes de cette école avaient entre¬pris l'année de l'enquête une action spécifique sur le récit. Les élèves, dont lamajorité étaient non francophones avant leur scolarisation, éprouvaient de

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grandes difficultés à relater un événement, qu'il se soit déroulé à la maison,dans le quartier ou dans l'école, de manière compréhensible par l'interlocuteur.Le travail effectué en classe a porté surtout sur l'organisation des récits et leurcohérence.

2.1. Le choix des contes

Le choix des contes que les enfants ont souhaité raconter est intéressant àconsidérer parce qu'il nous éclaire sur le goût des enfants. Le « Petit ChaperonRouge » arrive en tête du palmarès, talonné de près par « Les Trois petitscochons » et « La Chèvre de Monsieur Seguin » pour ce qui concerne les his¬

toires non traduites de la langue première. Ces trois récits, présents dans lesclasses parmi beaucoup d'autres, sont en outre fréquemment cités comme his¬

toires racontées par les aines à la maison.

On peut proposer plusieurs explications à ces choix. La première estd'ordre banalement économique et social. Les albums sont disponibles ausupermarché du quartier à un prix modique alors que les familles ne fréquententjamais les librairies du centre ville où le choix est beaucoup plus vaste... et lesprix plus élevés. II serait alors logique que les enfants préfèrent raconter le seulalbum disponible à la maison. Cependant, d'autres albums sont accessiblesdans les mêmes conditions. Blanche Neige est curieusement absente du palma¬rès, y compris pour les filles, de même que Cendrillon. Pourtant, les histoires desorcières sont présentes dans les différentes cultures quand bien même au suddu Sahara les sorcières préfèrent sucer le sang de leur victime plutôt que lesempoisonner. Si ces contes ne font pas recette, c'est peut être que ces histoiressont trop éloignées du vécu des enfants qui sont loin de vivre dans un universsurprotégé où la préoccupation essentielle serait la rivalité de la fille unique avecla mère.

Les trois contes préférés ont en commun de confronter des personnagesanthropomorphes avec un loup qui représente le danger suprême, celui de lamort. Ce sentiment de vivre dans un univers potentiellement dangereux permetd'expliquer le succès des Trois Petits Cochons qui apparait à première vue inso¬lite chez les enfants de culture musulmane. Mais, dans ce conte, les cochons,représentant les enfants, doivent se débrouiller seuls, sans aucune aide, pourparer le danger et assurer leur survie. Ici, on ne peut compter sur une bonne fée,des nains, ou quelque chasseur pour se sortir d'un mauvais pas ou réparer uneerreur ; seule la solidarité entre pairs peut protéger. II est d'ailleurs remarquableque ce conte arrive en tête des histoires racontées par les aines quelle que soitl'origine ethnique ou culturelle. Au-delà du vécu quotidien, on peut avancer desexplications se référant aux cultures d'origine des enfants. La Chèvre de mon¬sieur Seguin ayant pour thème la désobéissance, son contenu thématique est àrapprocher des contes traditionnels africains qui alertent leurs auditeurs sur cequ'il ne faut pas faire. Quant au Petit Chaperon rouge, il peut être comparé auxrécits initiatiques avant tout destinés aux enfants. Dans ceux-ci, le héros doitentreprendre un voyage jalonné d'épreuves au cours duquel il rencontrera adju¬vants et opposants se présentant souvent sous forme d'animaux. En outre, un

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grandes difficultés à relater un événement, qu'il se soit déroulé à la maison,dans le quartier ou dans l'école, de manière compréhensible par l'interlocuteur.Le travail effectué en classe a porté surtout sur l'organisation des récits et leurcohérence.

2.1. Le choix des contes

Le choix des contes que les enfants ont souhaité raconter est intéressant àconsidérer parce qu'il nous éclaire sur le goût des enfants. Le « Petit ChaperonRouge » arrive en tête du palmarès, talonné de près par « Les Trois petitscochons » et « La Chèvre de Monsieur Seguin » pour ce qui concerne les his¬

toires non traduites de la langue première. Ces trois récits, présents dans lesclasses parmi beaucoup d'autres, sont en outre fréquemment cités comme his¬

toires racontées par les aines à la maison.

On peut proposer plusieurs explications à ces choix. La première estd'ordre banalement économique et social. Les albums sont disponibles ausupermarché du quartier à un prix modique alors que les familles ne fréquententjamais les librairies du centre ville où le choix est beaucoup plus vaste... et lesprix plus élevés. II serait alors logique que les enfants préfèrent raconter le seulalbum disponible à la maison. Cependant, d'autres albums sont accessiblesdans les mêmes conditions. Blanche Neige est curieusement absente du palma¬rès, y compris pour les filles, de même que Cendrillon. Pourtant, les histoires desorcières sont présentes dans les différentes cultures quand bien même au suddu Sahara les sorcières préfèrent sucer le sang de leur victime plutôt que lesempoisonner. Si ces contes ne font pas recette, c'est peut être que ces histoiressont trop éloignées du vécu des enfants qui sont loin de vivre dans un universsurprotégé où la préoccupation essentielle serait la rivalité de la fille unique avecla mère.

Les trois contes préférés ont en commun de confronter des personnagesanthropomorphes avec un loup qui représente le danger suprême, celui de lamort. Ce sentiment de vivre dans un univers potentiellement dangereux permetd'expliquer le succès des Trois Petits Cochons qui apparait à première vue inso¬lite chez les enfants de culture musulmane. Mais, dans ce conte, les cochons,représentant les enfants, doivent se débrouiller seuls, sans aucune aide, pourparer le danger et assurer leur survie. Ici, on ne peut compter sur une bonne fée,des nains, ou quelque chasseur pour se sortir d'un mauvais pas ou réparer uneerreur ; seule la solidarité entre pairs peut protéger. II est d'ailleurs remarquableque ce conte arrive en tête des histoires racontées par les aines quelle que soitl'origine ethnique ou culturelle. Au-delà du vécu quotidien, on peut avancer desexplications se référant aux cultures d'origine des enfants. La Chèvre de mon¬sieur Seguin ayant pour thème la désobéissance, son contenu thématique est àrapprocher des contes traditionnels africains qui alertent leurs auditeurs sur cequ'il ne faut pas faire. Quant au Petit Chaperon rouge, il peut être comparé auxrécits initiatiques avant tout destinés aux enfants. Dans ceux-ci, le héros doitentreprendre un voyage jalonné d'épreuves au cours duquel il rencontrera adju¬vants et opposants se présentant souvent sous forme d'animaux. En outre, un

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

des contes récents souvent choisi par les enfants de cette école est « ChienBleu » qui peut être assimilé à un récit initiatique par son contenu thématique.

Surtout, qu'ils aient été élaborés directement à l'oral ou à l'écrit, les troiscontes préférés comportent une organisation formelle caractéristique des textesoraux, telle qu'on l'a définie ci-dessus : répétitions, parallélismes, formulesrituelles, etc. Les enfants dont le français n'est pas la langue première retiennentplus facilement des récits qui ont conservé leur organisation formelle de texteoral ou qui s'en rapprochent par leur structure car ils peuvent s'appuyer sur cesmarques pour les rappeler. La scène du loup soufflant et tapant sur la maisondes cochons se répète trois fois, par exemple. II est d'ailleurs remarquable quelors d'étayages entre enfants, l'intervention aidante ou réfutante du camarade sefocalise sur la structure du récit : non d'abord la maison en paille alors que lecontenu d'une réplique est rarement contesté. Pour les enfants, l'ordre desséquences doit être respecté, ce qui maintient la cohérence du récit, la variationindividuelle étant permise à l'intérieur de ce cadre. De même, les formulesrituelles émaillant le récit du Petit Chaperon rouge sont vite retenues et resti¬tuées à leur place exacte quand bien même les enfants n'ont pas accès ausens, comme pour la célèbre chevillette qui fait choir la bobinette. Or, les procé¬dés rhétoriques caractéristiques de l'oralité sont atténués voire disparaissentdans la plupart des albums pour enfants de confection plus récente qui ont étédirectement élaborés à l'écrit. II ne faut plus dès lors s'étonner de voir préférerdans certaines écoles de banlieue des livres au graphisme désuet, en mauvaisétat à force d'être manipulés, à des albums flambant neuf aux illustrationsattrayantes... mais si difficiles quand on veut les raconter tout seul.

La narration de Bodri, que nous allons analyser ci-après, est un bonexemple de l'effet facilitant des caractéristiques formelles des textes oraux.

2.2. Bodri : Et puis le loup a disa : « Comment ça va ? »

Bodri a six ans, est originaire du Congo-Kinshasa et parle lingala et françaischez lui. II éprouve visiblement un grand plaisir à raconter des histoires bien qu'ilaffirme que personne à la maison ne lui en raconte. C'est donc un conteentendu en classe : le Petit Chaperon rouge, qu'il choisira de rappeler d'abord.Le rappel de Bodri n'omet aucune séquence importante de l'histoire alors qu'ilapparait comme un conteur habile dont la performance n'a rien à envier à celled'enfants de même âge monolingues en français. Bodri s'est manifestementapproprié l'histoire sans que sa spécificité d'enfant bilingue et biculturel ne dis¬paraisse derrière un modèle. On analysera ci-après les marques d'interlangue etd'interculture présentes dans son récit.

L'interiangue est un système intermédiaire créé par les apprenants d'unelangue seconde au cours de leur apprentissage en s'appuyant sur leur connais¬sance de leur(s) langue(s) première(s) et sur les hypothèses qu'ils font sur lefonctionnement de la langue cible. Ce système instable, en évolution constanteau cours de l'acquisition, tend à se rapprocher de la langue à acquérir. Lescaractéristiques principales en sont les interférences avec les langues acquisesantérieurement et les simplifications, qui concernent essentiellement les zones

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des contes récents souvent choisi par les enfants de cette école est « ChienBleu » qui peut être assimilé à un récit initiatique par son contenu thématique.

Surtout, qu'ils aient été élaborés directement à l'oral ou à l'écrit, les troiscontes préférés comportent une organisation formelle caractéristique des textesoraux, telle qu'on l'a définie ci-dessus : répétitions, parallélismes, formulesrituelles, etc. Les enfants dont le français n'est pas la langue première retiennentplus facilement des récits qui ont conservé leur organisation formelle de texteoral ou qui s'en rapprochent par leur structure car ils peuvent s'appuyer sur cesmarques pour les rappeler. La scène du loup soufflant et tapant sur la maisondes cochons se répète trois fois, par exemple. II est d'ailleurs remarquable quelors d'étayages entre enfants, l'intervention aidante ou réfutante du camarade sefocalise sur la structure du récit : non d'abord la maison en paille alors que lecontenu d'une réplique est rarement contesté. Pour les enfants, l'ordre desséquences doit être respecté, ce qui maintient la cohérence du récit, la variationindividuelle étant permise à l'intérieur de ce cadre. De même, les formulesrituelles émaillant le récit du Petit Chaperon rouge sont vite retenues et resti¬tuées à leur place exacte quand bien même les enfants n'ont pas accès ausens, comme pour la célèbre chevillette qui fait choir la bobinette. Or, les procé¬dés rhétoriques caractéristiques de l'oralité sont atténués voire disparaissentdans la plupart des albums pour enfants de confection plus récente qui ont étédirectement élaborés à l'écrit. II ne faut plus dès lors s'étonner de voir préférerdans certaines écoles de banlieue des livres au graphisme désuet, en mauvaisétat à force d'être manipulés, à des albums flambant neuf aux illustrationsattrayantes... mais si difficiles quand on veut les raconter tout seul.

La narration de Bodri, que nous allons analyser ci-après, est un bonexemple de l'effet facilitant des caractéristiques formelles des textes oraux.

2.2. Bodri : Et puis le loup a disa : « Comment ça va ? »

Bodri a six ans, est originaire du Congo-Kinshasa et parle lingala et françaischez lui. II éprouve visiblement un grand plaisir à raconter des histoires bien qu'ilaffirme que personne à la maison ne lui en raconte. C'est donc un conteentendu en classe : le Petit Chaperon rouge, qu'il choisira de rappeler d'abord.Le rappel de Bodri n'omet aucune séquence importante de l'histoire alors qu'ilapparait comme un conteur habile dont la performance n'a rien à envier à celled'enfants de même âge monolingues en français. Bodri s'est manifestementapproprié l'histoire sans que sa spécificité d'enfant bilingue et biculturel ne dis¬paraisse derrière un modèle. On analysera ci-après les marques d'interlangue etd'interculture présentes dans son récit.

L'interiangue est un système intermédiaire créé par les apprenants d'unelangue seconde au cours de leur apprentissage en s'appuyant sur leur connais¬sance de leur(s) langue(s) première(s) et sur les hypothèses qu'ils font sur lefonctionnement de la langue cible. Ce système instable, en évolution constanteau cours de l'acquisition, tend à se rapprocher de la langue à acquérir. Lescaractéristiques principales en sont les interférences avec les langues acquisesantérieurement et les simplifications, qui concernent essentiellement les zones

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REPÈRES N° 21/2000 F. LECONTE

les plus fragiles du français. Par exemple, la forme « que » est employée pourtous les pronoms relatifs alors que les déclinaisons ont pratiquement disparu dufrançais. Pour les interférences, elles sont plus fréquentes chez les personnesqui acquièrent une seconde langue à l'âge adulte ou lorsqu'il s'agit de languesgénétiquement proches (comme le français et le portugais). Simplifications etinterférences touchent tous les niveaux de l'organisation du discours, rhéto¬rique, sémantique, énonciatif, morpho-syntaxique, lexical ou phonologique. II nes'agit pas de « fautes » qu'il faut à tout prix sanctionner avant qu'elles ne s'ins¬tallent définitivement mais de marques perceptibles dans le discours d'un tra¬vail actif de l'apprenant sur son acquisition.

Pour des enfants qui apprennent le français comme langue seconde dèsl'âge de deux ou trois ans, il peut être malaisé de faire la part des simplificationsqui sont communes à tous les enfants en cours d'apprentissage du français, dece qui est spécifique aux enfants bilingues. II s'agit souvent des mêmes phéno¬mènes même si l'on observe un décalage dans le temps. On doit alors analyserles écarts par rapport aux usages avec une grande circonspection, surtout lors¬qu'il s'agit d'une transcription, car ceux-ci ressortissent de phénomènes de plu¬sieurs ordres. Lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte une canette et un petitcoup de beurre à sa grand-mère, comme nous l'a rappelé un des élèves, il estpréférable d'y voir l'influence du quartier plutôt que celle de la langue première.De même la réalisation [i] ou [iz] pour /7s selon qu'il soit devant voyelle ouconsonne est une marque typique de l'oral quelle que soit la langue première dulocuteur, comme les hésitations, les répétitions et les reprises.

Malgré la prudence qu'il convient d'observer, on peut noter quelquesmarques d'interlangue dans la restitution de Bodri dont voici un extrait (10).

Les conventions de transcription sont les suivantes :

/pause brève, II, pause plus longuebonjour, soulignement, segment prononcé avec une intensité fortexx, segment incompréhensiblei ou is, il ou ils prononcé p]

B1 II était une fois une petite fille qu'habitait loin de la forêt I à sa maman unjour la disa I je je crois que la grand-mère est malade I i faut l'am(e)ner I un petitpeu de beurre et I et quoi encore ensuite

E1 et une galette

B2 et une galette I et puis euh dépêche toi avant /ajournée de ta nuit I alorslà y disait alors là il était i partit et puis I il avait entendu ting ting I c'était la voixdu loup I et puis i a disa comment ça va I et là a disa euh ça va bien et puis etaprès al dit (. . .) et puis a dit et pis le lou disa u 'est-ce ue tu fais ans la forêtet pis où vas-tu d'abord I sij'veux I bon sij'veux (. . .)

B3 j'y vais j'y vais loin de la forêt chez ma grand-mère I et puis I et puis I leloup disa as d n e chemin là et moi è asserai dan hemin là I et c'estmoi et en c'est toi qui va arriver premier I alors I is étaient partis partis partisaprès I c'était le loup qu'étaient i arrivé

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les plus fragiles du français. Par exemple, la forme « que » est employée pourtous les pronoms relatifs alors que les déclinaisons ont pratiquement disparu dufrançais. Pour les interférences, elles sont plus fréquentes chez les personnesqui acquièrent une seconde langue à l'âge adulte ou lorsqu'il s'agit de languesgénétiquement proches (comme le français et le portugais). Simplifications etinterférences touchent tous les niveaux de l'organisation du discours, rhéto¬rique, sémantique, énonciatif, morpho-syntaxique, lexical ou phonologique. II nes'agit pas de « fautes » qu'il faut à tout prix sanctionner avant qu'elles ne s'ins¬tallent définitivement mais de marques perceptibles dans le discours d'un tra¬vail actif de l'apprenant sur son acquisition.

Pour des enfants qui apprennent le français comme langue seconde dèsl'âge de deux ou trois ans, il peut être malaisé de faire la part des simplificationsqui sont communes à tous les enfants en cours d'apprentissage du français, dece qui est spécifique aux enfants bilingues. II s'agit souvent des mêmes phéno¬mènes même si l'on observe un décalage dans le temps. On doit alors analyserles écarts par rapport aux usages avec une grande circonspection, surtout lors¬qu'il s'agit d'une transcription, car ceux-ci ressortissent de phénomènes de plu¬sieurs ordres. Lorsque le Petit Chaperon Rouge apporte une canette et un petitcoup de beurre à sa grand-mère, comme nous l'a rappelé un des élèves, il estpréférable d'y voir l'influence du quartier plutôt que celle de la langue première.De même la réalisation [i] ou [iz] pour /7s selon qu'il soit devant voyelle ouconsonne est une marque typique de l'oral quelle que soit la langue première dulocuteur, comme les hésitations, les répétitions et les reprises.

Malgré la prudence qu'il convient d'observer, on peut noter quelquesmarques d'interlangue dans la restitution de Bodri dont voici un extrait (10).

Les conventions de transcription sont les suivantes :

/pause brève, II, pause plus longuebonjour, soulignement, segment prononcé avec une intensité fortexx, segment incompréhensiblei ou is, il ou ils prononcé p]

B1 II était une fois une petite fille qu'habitait loin de la forêt I à sa maman unjour la disa I je je crois que la grand-mère est malade I i faut l'am(e)ner I un petitpeu de beurre et I et quoi encore ensuite

E1 et une galette

B2 et une galette I et puis euh dépêche toi avant /ajournée de ta nuit I alorslà y disait alors là il était i partit et puis I il avait entendu ting ting I c'était la voixdu loup I et puis i a disa comment ça va I et là a disa euh ça va bien et puis etaprès al dit (. . .) et puis a dit et pis le lou disa u 'est-ce ue tu fais ans la forêtet pis où vas-tu d'abord I sij'veux I bon sij'veux (. . .)

B3 j'y vais j'y vais loin de la forêt chez ma grand-mère I et puis I et puis I leloup disa as d n e chemin là et moi è asserai dan hemin là I et c'estmoi et en c'est toi qui va arriver premier I alors I is étaient partis partis partisaprès I c'était le loup qu'étaient i arrivé

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

E2 en premier

B4 en premier et puis i peut toc toc toc Itoc toc toc I qui est là II c'estc'était moi votre petit chaperon rouge II et puis il est et puis I il le loup disa à lavoix du petit chaperon rouge I c'est moi votre petit chaperon rouge I tirez la che-villette et la chère cherra I et puis le loup ouvra la porte et puis trouva la vieilledame couchée dans son lit après II

E3 Qu'est-ce qui fait qu'est-ce qui fait à la vieille dame le loup

B5 il se jetta sur elle et let ça xx tout partout

Une des erreurs récurrentes dans les récits d'enfants en cours d'acquisitiondu français langue seconde concerne le maniement des prépositions dont la dif¬ficulté est bien connue de tous les enseignants de français langue étrangèrequel que soit leur public. Les plus fréquentes, à et de, sont suremployées,comme dans à la voix du petit chaperon rouge (B3) pour avec la voix alors quel'expression de la localisation induit de fréquentes erreurs vu sa complexité : il

faut utiliser par pour un chemin mais dans pour la forêt. De même lorsqu'il s'agitd'exprimer la manière dont le loup dévore ses victimes, Bodri emploie d'abordl'expression sur une seule bouchée puis en dans une seule bouchée. Ces refor¬mulations divergentes du texte original montrent que son système est instable etévolue sous la pression des modèles de langue auxquels il est exposé. Certainssegments du récit sont retenus globalement alors que d'autres font l'objet d'unrappel en fonction de ses hypothèses sur le fonctionnement du français. Leserreurs concernant les pronoms personnels ressortissent des mêmes phéno¬mènes. S'agissant des rares formes, avec les pronoms relatifs, qui se déclinentencore en français contemporain, l'opposition complément direct vs indirect etl'absence de forme spécifique au féminin pour le datif est difficile à acquérir (samaman la disa, il faut l'amener) car elle fait figure d'exception.

Au niveau énonciatif, on note une conduite du loup bien particulière devantson interlocutrice. Il n'oublie pas de la saluer en lui demandant de sesnouvelles : comment ça va. Elle répond alors en petite fille bien élevée : euh çava bien. Cette incursion d'un trait culturel spécifiquement africain dans le récitmontre que l'enfant s'est approprié l'histoire pour en faire une restitution person¬nelle, y compris en y incluant une marque typique de sa culture première. II nefaut cependant pas oublier que nous sommes dans une cité française. Les salu¬tations tournent court rapidement et le Petit Chaperon rouge commence par serebeller, défie l'autorité quand le loup s'enquiert des raisons de sa présence ence lieu. Pareil manquement aux règles de politesse est impensable en Afriquechez un enfant de cet âge. L'interculturel se joue dès la première rencontre... Enrevanche, le système phonologique de Bodri est celui d'un francophone de cetâge puisque le seul écart perceptible par rapport à la norme concerne la réalisa¬tion de [a] ou [al] pour e//e, caractéristique de Rouen et de sa région. II est bienconnu que les enfants de la deuxième génération adoptent rapidement l'accentde la région où ils vivent jusqu'à fréquemment se faire railler sur leur « accentfrançais » lorsqu'ils se rendent dans leur pays d'origine.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

E2 en premier

B4 en premier et puis i peut toc toc toc Itoc toc toc I qui est là II c'estc'était moi votre petit chaperon rouge II et puis il est et puis I il le loup disa à lavoix du petit chaperon rouge I c'est moi votre petit chaperon rouge I tirez la che-villette et la chère cherra I et puis le loup ouvra la porte et puis trouva la vieilledame couchée dans son lit après II

E3 Qu'est-ce qui fait qu'est-ce qui fait à la vieille dame le loup

B5 il se jetta sur elle et let ça xx tout partout

Une des erreurs récurrentes dans les récits d'enfants en cours d'acquisitiondu français langue seconde concerne le maniement des prépositions dont la dif¬ficulté est bien connue de tous les enseignants de français langue étrangèrequel que soit leur public. Les plus fréquentes, à et de, sont suremployées,comme dans à la voix du petit chaperon rouge (B3) pour avec la voix alors quel'expression de la localisation induit de fréquentes erreurs vu sa complexité : il

faut utiliser par pour un chemin mais dans pour la forêt. De même lorsqu'il s'agitd'exprimer la manière dont le loup dévore ses victimes, Bodri emploie d'abordl'expression sur une seule bouchée puis en dans une seule bouchée. Ces refor¬mulations divergentes du texte original montrent que son système est instable etévolue sous la pression des modèles de langue auxquels il est exposé. Certainssegments du récit sont retenus globalement alors que d'autres font l'objet d'unrappel en fonction de ses hypothèses sur le fonctionnement du français. Leserreurs concernant les pronoms personnels ressortissent des mêmes phéno¬mènes. S'agissant des rares formes, avec les pronoms relatifs, qui se déclinentencore en français contemporain, l'opposition complément direct vs indirect etl'absence de forme spécifique au féminin pour le datif est difficile à acquérir (samaman la disa, il faut l'amener) car elle fait figure d'exception.

Au niveau énonciatif, on note une conduite du loup bien particulière devantson interlocutrice. Il n'oublie pas de la saluer en lui demandant de sesnouvelles : comment ça va. Elle répond alors en petite fille bien élevée : euh çava bien. Cette incursion d'un trait culturel spécifiquement africain dans le récitmontre que l'enfant s'est approprié l'histoire pour en faire une restitution person¬nelle, y compris en y incluant une marque typique de sa culture première. II nefaut cependant pas oublier que nous sommes dans une cité française. Les salu¬tations tournent court rapidement et le Petit Chaperon rouge commence par serebeller, défie l'autorité quand le loup s'enquiert des raisons de sa présence ence lieu. Pareil manquement aux règles de politesse est impensable en Afriquechez un enfant de cet âge. L'interculturel se joue dès la première rencontre... Enrevanche, le système phonologique de Bodri est celui d'un francophone de cetâge puisque le seul écart perceptible par rapport à la norme concerne la réalisa¬tion de [a] ou [al] pour e//e, caractéristique de Rouen et de sa région. II est bienconnu que les enfants de la deuxième génération adoptent rapidement l'accentde la région où ils vivent jusqu'à fréquemment se faire railler sur leur « accentfrançais » lorsqu'ils se rendent dans leur pays d'origine.

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Au niveau rhétorique, le récit, très détaillé, de Bodri apparait conforme à laversion entendue en classe. Aucun événement important n'est omis, l'ensemblene manquant ni de cohérence ni de cohésion. Bodri use des temps verbauxpour organiser sa narration. Le passé simple a été identifié comme temps durécit lorsqu'il s'agit de rappeler la « parole ancienne » et est amplement usité enopposition avec le présent des dialogues et l'imparfait comme temps de l'his¬toire (cf. A1). II intègre l'équivalence entre passé simple et passé composé pourexprimer l'achèvement d'un événement se déroulant dans le passé.L'équivalence est remarquable dans son discours par la présence, non systéma¬tique, de l'auxiliaire « avoir » devant une forme radical + a (/e loup a disa). Audemeurant, les écarts par rapport aux usages concernant la formation du passésimple des verbes irréguliers sont communs à tous les enfants francophones à.un moment donné de leur acquisition. Ils assimilent l'usage qu'il convient defaire de ce temps jamais entendu à l'oral dans une conversation quotidienne etla règle de formation pour les verbes du premier groupe, les plus fréquents. Lesexceptions viendront après. Pour Bodri, lorsque le verbe est au premier groupe,le passé simple est réalisé conformément à la morphologie, comme le montrel'extrait suivant :

A7 non non tout d'abord i trouva euh I une I dans l'armoire a i trouva unpyjama (1 1) d'Ia grand-mère I après a i s'habilla avec le pyjama et puis mmh etpuis se coucha I dans le lit

L'utilisation d'une forme emblématique du passé simple, si elle n'est pastoujours conforme à la réalisation attendue comme pour le verbe dire, permet àBodri de structurer son récit. C'est que le verbe « dire » est identique à l'oral auprésent, au passé simple et au participe passé [di]. Comment dès lors exprimerla spécificité du conte en tant que genre ? Comment faire ressortir l'oppositionentre la voix du narrateur et celle de chacun des personnages ?

C'est que les voix des personnages ont une grande importance pour notreconteur. II a bien compris l'importance que celles-ci revêtaient dans la progres¬sion du récit puisque c'est en travestissant sa voix que le loup peut berner lagrand-mère et la dévorer, séquence qu'il restitue (B4). Ainsi, chaque personnageest joué avec une intonation particulière. Le loup, lorsqu'il rencontre le PetitChaperon Rouge, parle avec une voix grave et une intensité forte qu'il abandon¬nera pour leurrer ses victimes. A l'inverse, la Grand-mère est rendue avec unevoix chevrotante et le Petit chaperon rouge une voix aiguë, Bodri réservant sonintonation habituelle à la narration proprement dite. Mais, d'un point de vuestrictement sonore, le narrateur est facilement identifiable grâce à la présencerécurrente de la voyelle [a] à la fin des verbes. Les jeux sur les temps et les voixfont sens en se renforçant mutuellement et permettent de produire un récitfidèle, long, et beaucoup plus élaboré que celui de nombre d'enfants de cet âgequi se limitent à l'emploi des temps verbaux les plus fréquents, les séquencesn'étant reliés entre elles que par les « et puis », « après » caractéristiques desrécits des jeunes enfants.

Ainsi, sa performance ressemble à celle d'un conteur « professionnel » quisait tenir son auditoire en haleine. II est remarquable qu'un enfant dont l'encultu-ration première a été effectuée dans une culture de l'oralité use des divers pro-

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Au niveau rhétorique, le récit, très détaillé, de Bodri apparait conforme à laversion entendue en classe. Aucun événement important n'est omis, l'ensemblene manquant ni de cohérence ni de cohésion. Bodri use des temps verbauxpour organiser sa narration. Le passé simple a été identifié comme temps durécit lorsqu'il s'agit de rappeler la « parole ancienne » et est amplement usité enopposition avec le présent des dialogues et l'imparfait comme temps de l'his¬toire (cf. A1). II intègre l'équivalence entre passé simple et passé composé pourexprimer l'achèvement d'un événement se déroulant dans le passé.L'équivalence est remarquable dans son discours par la présence, non systéma¬tique, de l'auxiliaire « avoir » devant une forme radical + a (/e loup a disa). Audemeurant, les écarts par rapport aux usages concernant la formation du passésimple des verbes irréguliers sont communs à tous les enfants francophones à.un moment donné de leur acquisition. Ils assimilent l'usage qu'il convient defaire de ce temps jamais entendu à l'oral dans une conversation quotidienne etla règle de formation pour les verbes du premier groupe, les plus fréquents. Lesexceptions viendront après. Pour Bodri, lorsque le verbe est au premier groupe,le passé simple est réalisé conformément à la morphologie, comme le montrel'extrait suivant :

A7 non non tout d'abord i trouva euh I une I dans l'armoire a i trouva unpyjama (1 1) d'Ia grand-mère I après a i s'habilla avec le pyjama et puis mmh etpuis se coucha I dans le lit

L'utilisation d'une forme emblématique du passé simple, si elle n'est pastoujours conforme à la réalisation attendue comme pour le verbe dire, permet àBodri de structurer son récit. C'est que le verbe « dire » est identique à l'oral auprésent, au passé simple et au participe passé [di]. Comment dès lors exprimerla spécificité du conte en tant que genre ? Comment faire ressortir l'oppositionentre la voix du narrateur et celle de chacun des personnages ?

C'est que les voix des personnages ont une grande importance pour notreconteur. II a bien compris l'importance que celles-ci revêtaient dans la progres¬sion du récit puisque c'est en travestissant sa voix que le loup peut berner lagrand-mère et la dévorer, séquence qu'il restitue (B4). Ainsi, chaque personnageest joué avec une intonation particulière. Le loup, lorsqu'il rencontre le PetitChaperon Rouge, parle avec une voix grave et une intensité forte qu'il abandon¬nera pour leurrer ses victimes. A l'inverse, la Grand-mère est rendue avec unevoix chevrotante et le Petit chaperon rouge une voix aiguë, Bodri réservant sonintonation habituelle à la narration proprement dite. Mais, d'un point de vuestrictement sonore, le narrateur est facilement identifiable grâce à la présencerécurrente de la voyelle [a] à la fin des verbes. Les jeux sur les temps et les voixfont sens en se renforçant mutuellement et permettent de produire un récitfidèle, long, et beaucoup plus élaboré que celui de nombre d'enfants de cet âgequi se limitent à l'emploi des temps verbaux les plus fréquents, les séquencesn'étant reliés entre elles que par les « et puis », « après » caractéristiques desrécits des jeunes enfants.

Ainsi, sa performance ressemble à celle d'un conteur « professionnel » quisait tenir son auditoire en haleine. II est remarquable qu'un enfant dont l'encultu-ration première a été effectuée dans une culture de l'oralité use des divers pro-

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

cédés formels propres à la littérature orale - qu'ils concernent l'organisation tex¬tuelle ou sonore - pour raconter une histoire.

CONCLUSION

Raconter des histoires, le plus souvent à l'aide d'albums, apparait, pour lesenfants issus de l'immigration, comme une activité emblématique de l'écolematernelle et de la petite enfance. La pratique narrative en français remplit sesfonctions de développement des capacités langagières globales des élèves.L'école a dès lors tout à gagner à s'appuyer sur l'intérêt et le plaisir qu'éprou¬vent les enfants à fréquenter des récits, que ce soit en production ou en récep¬tion. Dans ce contexte, les contes du patrimoine traditionnel françaisreprésentent cette activité d'acculturation et de premiers pas vers l'écrit, aupoint d'être appropriés par les aines bien que l'école maternelle offre un choixnettement diversifié. La proximité culturelle entre les histoires que l'on préfèreraconter et celles circulant dans les cultures d'origine est confirmée par lesrécits récents qui remportent un succès particulier à cet âge. II s'agit soit derécits d'initiation, comme Chien Bleu par exemple où une petite fille est perduedans la forêt ; soit d'histoires mettant en scène des sorcières ou certains ani¬maux. Dans une perspective interculturelle d'échange et de reconnaissance del'Autre, il est important de varier le choix des textes en faisant appel, non seule¬ment à des récits véhiculant des valeurs particulièrement appréciées par lesenfants - comme la solidarité - mais aussi aux contes du patrimoine appartenantaux cultures représentées dans le quartier. En outre, la pratique sociale du conteoral connait un important regain d'intérêt depuis une décennie dans de nom¬breuses couches de la société. Les banlieues ne sont pas en reste : des asso¬ciations, bibliothèques, établissements scolaires, etc., invitent en partenariat desconteurs Africains et Maghrébins dans les cités.

Au delà du contenu thématique, l'organisation formelle des textes sembleprimordiale. Les contes du patrimoine traditionnel, grâce à leur structure, per¬mettent aux enfants dont le français n'est pas la langue première de pallier aumieux le décalage existant entre leur développement intellectuel et affectif etleurs compétences en français. Les caractéristiques propres au texte oral ont uneffet facilitant lorsqu'il s'agit de conduire un récit sans l'étayage d'un album,d'un adulte ou d'un pair. La narration de Bodri n'est qu'un exemple parmi beau¬coup d'autres récits recueillis de l'aide que peuvent représenter les dimensionsrécurrentes caractéristiques de l'oralité.

Mon propos n'est pas de limiter le choix des contes offerts aux enfants demigrants aux seuls contes traditionnels, ce qui reviendrait à ne proposer qu'unesous-culture, caricaturale par sa stéréotypie, dans les écoles de banlieue. Je n'aipas demandé aux enfants quelles étaient les histoires qu'ils préféraient entendremais celles qu'ils voulaient me raconter. Toutefois, si on veut aider les élèves quiapprennent le français notamment à l'école à produire des récits d'une manièreautonome, il semble important de leur offrir des modèles de texte oral acces¬sibles et facilitants, qu'ils soient traditionnels ou non. Le récit directement éla¬boré à l'écrit présente rarement ces caractéristiques et remplit une autre

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cédés formels propres à la littérature orale - qu'ils concernent l'organisation tex¬tuelle ou sonore - pour raconter une histoire.

CONCLUSION

Raconter des histoires, le plus souvent à l'aide d'albums, apparait, pour lesenfants issus de l'immigration, comme une activité emblématique de l'écolematernelle et de la petite enfance. La pratique narrative en français remplit sesfonctions de développement des capacités langagières globales des élèves.L'école a dès lors tout à gagner à s'appuyer sur l'intérêt et le plaisir qu'éprou¬vent les enfants à fréquenter des récits, que ce soit en production ou en récep¬tion. Dans ce contexte, les contes du patrimoine traditionnel françaisreprésentent cette activité d'acculturation et de premiers pas vers l'écrit, aupoint d'être appropriés par les aines bien que l'école maternelle offre un choixnettement diversifié. La proximité culturelle entre les histoires que l'on préfèreraconter et celles circulant dans les cultures d'origine est confirmée par lesrécits récents qui remportent un succès particulier à cet âge. II s'agit soit derécits d'initiation, comme Chien Bleu par exemple où une petite fille est perduedans la forêt ; soit d'histoires mettant en scène des sorcières ou certains ani¬maux. Dans une perspective interculturelle d'échange et de reconnaissance del'Autre, il est important de varier le choix des textes en faisant appel, non seule¬ment à des récits véhiculant des valeurs particulièrement appréciées par lesenfants - comme la solidarité - mais aussi aux contes du patrimoine appartenantaux cultures représentées dans le quartier. En outre, la pratique sociale du conteoral connait un important regain d'intérêt depuis une décennie dans de nom¬breuses couches de la société. Les banlieues ne sont pas en reste : des asso¬ciations, bibliothèques, établissements scolaires, etc., invitent en partenariat desconteurs Africains et Maghrébins dans les cités.

Au delà du contenu thématique, l'organisation formelle des textes sembleprimordiale. Les contes du patrimoine traditionnel, grâce à leur structure, per¬mettent aux enfants dont le français n'est pas la langue première de pallier aumieux le décalage existant entre leur développement intellectuel et affectif etleurs compétences en français. Les caractéristiques propres au texte oral ont uneffet facilitant lorsqu'il s'agit de conduire un récit sans l'étayage d'un album,d'un adulte ou d'un pair. La narration de Bodri n'est qu'un exemple parmi beau¬coup d'autres récits recueillis de l'aide que peuvent représenter les dimensionsrécurrentes caractéristiques de l'oralité.

Mon propos n'est pas de limiter le choix des contes offerts aux enfants demigrants aux seuls contes traditionnels, ce qui reviendrait à ne proposer qu'unesous-culture, caricaturale par sa stéréotypie, dans les écoles de banlieue. Je n'aipas demandé aux enfants quelles étaient les histoires qu'ils préféraient entendremais celles qu'ils voulaient me raconter. Toutefois, si on veut aider les élèves quiapprennent le français notamment à l'école à produire des récits d'une manièreautonome, il semble important de leur offrir des modèles de texte oral acces¬sibles et facilitants, qu'ils soient traditionnels ou non. Le récit directement éla¬boré à l'écrit présente rarement ces caractéristiques et remplit une autre

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fonction didactique, celle de familiarisation avec la langue écrite. II ne peut à luiseul remplir les deux rôles.

NOTES

(1) Voir les travaux de J. Hamers et J. Blanc 1990, 1992 et F. Leconte 1999

(2) II s'agit de l'opération de recherche « L'activité narrative de l'enfant » dirigée parR. Delamotte-Legrand par l'équipe ESA CNRS 6065 dynamiques sociolangagières.

(3) Voir F. Leconte, 1 996, 1 997.

(4) Le nombre de locuteurs du français en Afrique est très variable selon les pays. II estestimé à 10 % au Sénégal et au Mali mais à plus de 60 % au Congo-Brazzaville.

(5) Le symbole était un objet honteux, sabot, bouteille ou veille chaussure que lesenfants étaient obligés de porter lorsqu'ils laissaient échapper en classe voire dansla cour un mot dans leurs langues premières. L'enfant devait conserver le symbolejusqu'à ce qu'un de ses camarades fasse de même et récupère l'objet. A la fin de lajournée, celui qui conservait le symbole était sévèrement battu ou puni. Cette pra¬tique fut d'abord employée dans les régions françaises (Bretagne, etc.) avant d'êtreexportée dans les colonies. Au Sénégal, la pratique du symbole a perduré jusqu'à lafin des années soixante.

(6) Pour une synthèse concernant le maintien des langues africaines en France, voirF. Leconte 2000.

(7) Voir F. Leconte, 1996 et passim.

(8) En Afrique, le terme concession désigne une aire dans laquelle est regroupée lafamille élargie. Dans les sociétés patrilinéaires, elle se compose généralement duchef de famille et de sa ou ses épouse(s), de ses fils et de leurs épouses et desenfants. Chaque femme réside, avec ses propres enfants, dans une maison ou unecase personnelle.

(9) Je tiens à remercier ici les enseignantes de l'école maternelle Henri Wallon à Saint-Étienne du Rouvray pour la qualité de leur accueil et leur collaboration.

(10) Conventions de transcription :

(11) On remarquera que nous avons affaire à une grand-mère moderne qui revêt non unechemise de nuit mais un pyjama pour dormir.

BIBLIOGRAPHIE

BAKHTINE M. (1984) : Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (coord.) (1999) : Alternances des langues etconstruction des savoirs, Cahiers du français contemporain N° 5, Paris,ENS éditions.

DECOURT N. et RAYNAUD M. (1999) : Contes et diversité des cultures, CRDPde l'Académie de Lyon, Lyon.

DELAMOTTE-LEGRAND R. et HUDELOT C. (1997) Le langage à l'école mater¬nelle, Cahiers d'Acquisition et de Pathologie du Langage, UniversitéDescartes, Paris.

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fonction didactique, celle de familiarisation avec la langue écrite. II ne peut à luiseul remplir les deux rôles.

NOTES

(1) Voir les travaux de J. Hamers et J. Blanc 1990, 1992 et F. Leconte 1999

(2) II s'agit de l'opération de recherche « L'activité narrative de l'enfant » dirigée parR. Delamotte-Legrand par l'équipe ESA CNRS 6065 dynamiques sociolangagières.

(3) Voir F. Leconte, 1 996, 1 997.

(4) Le nombre de locuteurs du français en Afrique est très variable selon les pays. II estestimé à 10 % au Sénégal et au Mali mais à plus de 60 % au Congo-Brazzaville.

(5) Le symbole était un objet honteux, sabot, bouteille ou veille chaussure que lesenfants étaient obligés de porter lorsqu'ils laissaient échapper en classe voire dansla cour un mot dans leurs langues premières. L'enfant devait conserver le symbolejusqu'à ce qu'un de ses camarades fasse de même et récupère l'objet. A la fin de lajournée, celui qui conservait le symbole était sévèrement battu ou puni. Cette pra¬tique fut d'abord employée dans les régions françaises (Bretagne, etc.) avant d'êtreexportée dans les colonies. Au Sénégal, la pratique du symbole a perduré jusqu'à lafin des années soixante.

(6) Pour une synthèse concernant le maintien des langues africaines en France, voirF. Leconte 2000.

(7) Voir F. Leconte, 1996 et passim.

(8) En Afrique, le terme concession désigne une aire dans laquelle est regroupée lafamille élargie. Dans les sociétés patrilinéaires, elle se compose généralement duchef de famille et de sa ou ses épouse(s), de ses fils et de leurs épouses et desenfants. Chaque femme réside, avec ses propres enfants, dans une maison ou unecase personnelle.

(9) Je tiens à remercier ici les enseignantes de l'école maternelle Henri Wallon à Saint-Étienne du Rouvray pour la qualité de leur accueil et leur collaboration.

(10) Conventions de transcription :

(11) On remarquera que nous avons affaire à une grand-mère moderne qui revêt non unechemise de nuit mais un pyjama pour dormir.

BIBLIOGRAPHIE

BAKHTINE M. (1984) : Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard.

CASTELLOTTI V. et MOORE D. (coord.) (1999) : Alternances des langues etconstruction des savoirs, Cahiers du français contemporain N° 5, Paris,ENS éditions.

DECOURT N. et RAYNAUD M. (1999) : Contes et diversité des cultures, CRDPde l'Académie de Lyon, Lyon.

DELAMOTTE-LEGRAND R. et HUDELOT C. (1997) Le langage à l'école mater¬nelle, Cahiers d'Acquisition et de Pathologie du Langage, UniversitéDescartes, Paris.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

DEPREZ C. (1994) : Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, CREDIF -Didier Hatier.

DERIVE J. (1975) : Collecte et production des littératures orales, Paris, Selaf.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire, Paris, A. Colin.

HAMPATE Bâ A. (1995) : Petit Bodiel et autres contes de la savane, Paris, Stock.LECONTE F. (1996) : Ils parlent en black. Pratiques et attitudes langagières des

enfants originaires d'Afrique noire, Thèse de doctorat, Rouen, Université deRouen.

LECONTE F. (1 997) : La famille et les langues. Une étude sociolinguistique de ladeuxième génération africaine, Paris, L'Harmattan.

LECONTE F. (1999) : Le discours des enfants sur l'alternance codique. Étude decas de deux enfants d'origine sénégalaise, dans les Cahiers du françaiscontemporain N° 5, Paris, ENS éditions, pp. 167-180.

PAULME D. (1976) : La mère dévorante, essai sur la morphologie du conte afri¬cain, Paris, Gallimard.

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Récits enfantins en situation de contacts de langues et de cultures

DEPREZ C. (1994) : Les enfants bilingues. Langues et familles, Paris, CREDIF -Didier Hatier.

DERIVE J. (1975) : Collecte et production des littératures orales, Paris, Selaf.

GADET F. (1989) : Le français ordinaire, Paris, A. Colin.

HAMPATE Bâ A. (1995) : Petit Bodiel et autres contes de la savane, Paris, Stock.LECONTE F. (1996) : Ils parlent en black. Pratiques et attitudes langagières des

enfants originaires d'Afrique noire, Thèse de doctorat, Rouen, Université deRouen.

LECONTE F. (1 997) : La famille et les langues. Une étude sociolinguistique de ladeuxième génération africaine, Paris, L'Harmattan.

LECONTE F. (1999) : Le discours des enfants sur l'alternance codique. Étude decas de deux enfants d'origine sénégalaise, dans les Cahiers du françaiscontemporain N° 5, Paris, ENS éditions, pp. 167-180.

PAULME D. (1976) : La mère dévorante, essai sur la morphologie du conte afri¬cain, Paris, Gallimard.

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