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Directeur de la publication : Edwy Plenel Mardi 24 Janvier www.mediapart.fr Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à [email protected] si vous souhaitez le diffuser.1/69 Sommaire En Irak, les milices chiites appuyées par l'Iran s'invitent dans la bataille de Mossoul LE MARDI 24 JANVIER 2017 | PAR JEAN-PIERRE PERRIN p. 5 Primaire du PS: l’amateurisme au pouvoir PAR LÉNAÏG BREDOUX p. 6 Battre la campagne PAR BATTRE LA CAMPAGNE p. 10 Hamon-Valls, deux «irréconciliables» au second tour PAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET CHRISTOPHE GUEUGNEAU p. 11 Et Arnaud Montebourg s'en est allé PAR LÉNAÏG BREDOUX p. 13 MediaPorte: «Message à Manuel Valls: ici, c'est le PS» PAR DIDIER PORTE p. 13 Croquis. Fracture ouverte pour un PS encore en vie PAR HUBERT HUERTAS p. 14 Ce qu'il reste de sympathisants PS a voté sans enthousiasme PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART p. 21 Voter ou ne pas voter à la primaire du PS (quand on est de gauche)? PAR STÉPHANE ALLIÈS ET LA RÉDACTION DE MEDIAPART p. 26 A Florange, Mélenchon explique sa «nouvelle civilisation» PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU p. 28 Les mots des politiques: 1350 discours disséqués PAR MARINE TURCHI p. 32 Notre soirée spéciale au Théâtre du Rond-Point: Sonnons l'alarme! PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART p. 32 Primes en liquide: Claude Guéant condamné à un an de prison ferme PAR MICHEL DELÉAN p. 33 A Dax, relaxe pour le «faucheur de chaises» qui milite contre l'évasion fiscale PAR DAN ISRAEL p. 36 Détournements de fonds au Sénat: encore un pilier du groupe UMP mis en examen PAR MATHILDE MATHIEU p. 37 Syrie: un cessez-le-feu en attendant la négociation de paix? PAR RENÉ BACKMANN p. 40 La résistance à Trump s'organise PAR THOMAS CANTALOUBE p. 42 La Gambie échappe à son dictateur PAR FABIEN OFFNER p. 44 L'inquiétante mascarade des populistes européens à Coblence PAR THOMAS SCHNEE p. 45 «Dalida», le biopic et l'être pour la mort PAR EMMANUEL BURDEAU p. 47 Tennis: six questions sur un détournement de biens publics PAR LAURENT MAUDUIT p. 50 Cédric Herrou à nouveau interpellé, des journalistes entravés PAR LOUISE FESSARD p. 52 Les industries culturelles et médiatiques rattrapées par le vertige numérique PAR JOSEPH CONFAVREUX ET OLIVIER ALEXANDRE p. 53 Valérie Mrejen livre son doux chambardement PAR LÉONTINE BOB (EN ATTENDANT NADEAU) p. 54 L’Institut national du sport en pleine tempête PAR LAURENT MAUDUIT p. 56 La banque suisse Syz & Co reconnue coupable de «travail dissimulé» en France PAR AGATHE DUPARC p. 58 La démonétisation de l'Inde commence à faire des ravages PAR GUILLAUME DELACROIX p. 60 Les écologistes allemands prêts à jouer la carte Merkel PAR THOMAS SCHNEE p. 62 La Chine met un terme à l'expérience démocratique de Wukan PAR GILLES TAINE p. 64 Un attentat meurtrier fragilise la paix au Mali PAR FABIEN OFFNER
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Feb 07, 2017

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Mikah Hakim
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Sommaire

En Irak, les milices chiites appuyées par l'Iran s'invitent dans labataille de MossoulLE MARDI 24 JANVIER 2017 | PAR JEAN-PIERRE PERRIN

p. 5

Primaire du PS: l’amateurisme au pouvoir PAR LÉNAÏG BREDOUX

p. 6

Battre la campagne PAR BATTRE LA CAMPAGNE

p. 10

Hamon-Valls, deux «irréconciliables» au secondtour PAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET CHRISTOPHE GUEUGNEAU

p. 11

Et Arnaud Montebourg s'en est allé PAR LÉNAÏG BREDOUX

p. 13

MediaPorte: «Message à Manuel Valls: ici, c'estle PS» PAR DIDIER PORTE

p. 13

Croquis. Fracture ouverte pour un PS encore envie PAR HUBERT HUERTAS

p. 14

Ce qu'il reste de sympathisants PS a voté sansenthousiasme PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

p. 21

Voter ou ne pas voter à la primaire du PS (quandon est de gauche)? PAR STÉPHANE ALLIÈS ET LA RÉDACTION DE MEDIAPART

p. 26

A Florange, Mélenchon explique sa «nouvellecivilisation» PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU

p. 28

Les mots des politiques: 1350 discours disséqués PAR MARINE TURCHI

p. 32

Notre soirée spéciale au Théâtre du Rond-Point:Sonnons l'alarme! PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

p. 32

Primes en liquide: Claude Guéant condamné à unan de prison ferme PAR MICHEL DELÉAN

p. 33

A Dax, relaxe pour le «faucheur de chaises» quimilite contre l'évasion fiscale PAR DAN ISRAEL

p. 36

Détournements de fonds au Sénat: encore unpilier du groupe UMP mis en examen PAR MATHILDE MATHIEU

p. 37

Syrie: un cessez-le-feu en attendant lanégociation de paix? PAR RENÉ BACKMANN

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La résistance à Trump s'organise PAR THOMAS CANTALOUBE

p. 42

La Gambie échappe à son dictateur PAR FABIEN OFFNER

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L'inquiétante mascarade des populistes européensà Coblence PAR THOMAS SCHNEE

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«Dalida», le biopic et l'être pour la mort PAR EMMANUEL BURDEAU

p. 47

Tennis: six questions sur un détournement debiens publics PAR LAURENT MAUDUIT

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Cédric Herrou à nouveau interpellé, desjournalistes entravés PAR LOUISE FESSARD

p. 52

Les industries culturelles et médiatiquesrattrapées par le vertige numérique PAR JOSEPH CONFAVREUX ET OLIVIER ALEXANDRE

p. 53

Valérie Mrejen livre son doux chambardement PAR LÉONTINE BOB (EN ATTENDANT NADEAU)

p. 54

L’Institut national du sport en pleine tempête PAR LAURENT MAUDUIT

p. 56

La banque suisse Syz & Co reconnuecoupable de «travail dissimulé» en France PAR AGATHE DUPARC

p. 58

La démonétisation de l'Inde commence à faire desravages PAR GUILLAUME DELACROIX

p. 60

Les écologistes allemands prêts à jouer la carteMerkel PAR THOMAS SCHNEE

p. 62

La Chine met un terme à l'expériencedémocratique de Wukan PAR GILLES TAINE

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Un attentat meurtrier fragilise la paix au Mali PAR FABIEN OFFNER

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Une nouvelle plainte relance l’affaire RémiFraisse PAR MICHEL DELÉAN ET LOUISE FESSARD

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Retour sur nos enquêtes: la filiale illégale deUber et les états d'âme des sarkozystes PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

En Irak, les milices chiites appuyéespar l'Iran s'invitent dans la bataillede MossoulLE MARDI 24 JANVIER 2017 | PAR JEAN-PIERRE PERRIN

Des combattants des brigades Al-Badr, la plus importante des milices chiites,affrontent l'Etat islamique à l'aéroport de Tal Afar, le 20 novembre 2016. © Reuters

Personne n'en voulait mais elles sont omniprésentes. Les miliceschiites participent à la bataille de Mossoul, la grande ville sunnitetenue par l'État islamique. Elles sont soutenues et encadrées parl'Iran, et leur montée en puissance complique l'offensive militairesur la ville. Surtout, leur puissance va avoir des conséquencespolitiques majeures pour tout l'Irak.

Personne ne veut des milices chiites irakiennes sur le théâtred’opération de Mossoul. Ni le commandement central américainqui a planifié l’offensive militaire contre la « capitale » de l’Étatislamique en Irak. Ni le gouvernement irakien et sa GoldenDivision – nom donné aux unités d’élite. Ni même les peshmergaskurdes, qui servent de forces d’appoint dans la bataille. Personnene veut de ces unités paramilitaires, responsables de crimes deguerre contre les populations sunnites…

Elles ont quand même surgi à l’ouest de l’immense agglomération(deux fois la superficie de Paris intra-muros) en s’emparantmi-novembre de l’aéroport de Tal Afar, à une soixantaine dekilomètres à l'ouest de Mossoul (voir carte ci-dessous). Elles ontpris, en décembre, le centre de commandement de l’État islamique(EI) à Tal Abtah, au sud-ouest, et peut-être bientôt la ville sunnitede Baaj. Les milices chiites, regroupées au sein des Forces de

mobilisation populaire (Hached Al-Chaabi – FMP pour le sigleen français), ne participent certes pas directement à la prise deMossoul. Mais elles sont devenues l’un des enjeux de la bataille.

Tal Afar est par excellence un « verrou stratégique ». Cetteville, qui comptait naguère plus de 100 000 habitants, ferme lafrontière syrienne. Son contrôle est donc essentiel pour empêcherles djihadistes de s’enfuir. On s’attendait à ce que la localité tombedans les mains de la coalition internationale et non entre les griffesdes FMP. Or, parties de Bagdad le 29 octobre, les milices chiitesont suivi l’armée irakienne dans son avancée sur Mossoul avantde bifurquer vers l’ouest en direction de Tal Afar.

Le premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, s’était montré trèsferme dans son refus de voir les FMP participer à la bataille :« La force qui mène les opérations de libération est la courageusearmée irakienne conjointement avec la police nationale, et ce sontelles qui entreront dans Mossoul, pas d’autres. » Pas questionpour lui de les voir renouveler les atrocités perpétrées à Tikrit,Ramadi ou Falloujah, quand elles avaient terrorisé les populationssunnites qui les craignent davantage que l’EI.

Ces milices inscrivent leur combat dans le cadre d’un djihadchiite, théoriquement défensif, face au djihad sunnite. Ellesveulent donc être associées à la prise de Mossoul. Cela leurpermettrait de renforcer leur légitimité, de montrer qu’ellessont indispensables et de concurrencer l’armée nationale : leurseffectifs globaux sont estimés à 140 000 volontaires. Si Mossoulconstitue pour elles un enjeu essentiel, c’est aussi parce qu’ellessont liées à des partis politiques, tous islamistes mais rivaux, voireennemis. Leur participation à la bataille aura donc des retombéespolitiques, en particulier dans la perspective d’élections. Enfin,ces milices ont pour but de contrer la Turquie sunnite qui, contrela volonté de Haïdar al-Abadi, a envoyé des troupes à la périphériede Mossoul.

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La conquête des abords de Tal Afar et de son aéroport leur donned’ores et déjà une assise considérable. Symbolique, d’abord :la ville est un bastion de l’EI et plusieurs de ses chefs en sontoriginaires, comme Fadel Ahmed Abdullah al-Hiyali. Cet ancienofficier du renseignement militaire, puis des forces spécialesde Saddam Hussein, est connu dans l’insurrection sous le nomd’Abou Muslim al-Turkmeni (il a été donné pour mort fin 2014).

Tal Afar est aussi une enclave turkmène sunnite – la minoritéchiite a fui la ville – dans une région majoritairement arabe.

C’est pourquoi la 92e brigade des FMP n’a pas encore pris laville. Elle craint une réaction turque, en particulier depuis laviolente colère de Recep Tayyip Erdogan, soutien autoproclamédes sunnites irakiens et des Turkmènes. Le président turc amenacé d’intervenir en cas d’exactions contre les habitants.

Atout stratégique ensuite : les djihadistes qui voudraient fuirMossoul doivent passer par Tal Afar. Après avoir pris l’aéroport,les milices ont d’ailleurs fait la jonction avec les peshmergaskurdes. Les routes de la Syrie sont donc coupées pour les hommesd’Abou Baker al-Baghdadi. Il leur faudra se battre jusqu’à la mort.

Un encerclement total de la ville

Des combattants des brigades Al-Badr, la plus importante des milices chiites,affrontent l'Etat islamique à l'aéroport de Tal Afar, le 20 novembre 2016. © Reuters

Trois mois après le début de l’offensive pour la reprise deMossoul, les forces de la coalition n’ont à ce jour conquis que lapartie est de la ville où persistent quelques poches de résistance.Elles doivent à présent franchir le Tigre (les cinq ponts ont ététout ou partie détruits) et entrer dans la vieille ville, où les chars neseront plus d’aucune utilité. Pour le moment, la Golden Divisionse trouve encore à environ 1 500 mètres de la vieille mosquée An-Nouri, là où al-Baghdadi avait annoncé le califat, le 29 juin 2014.

Or, si Tikrit, Ramadi et Falloujah ont pu être prises, c’est parceque l’armée de Bagdad a usé de la même stratégie : assiégerla ville sur trois côtés afin de permettre aux djihadistes des’enfuir par le quatrième. À Mossoul, la situation est radicalementdifférente. La grande cité sunnite fait l’objet d’un encerclementquasiment total depuis que les FMP contrôlent les routes menant àTal Afar. La bataille devrait donc durer beaucoup plus longtempsque prévu. Le général Joe Votel, chef des forces américainesau Moyen-Orient, avait estimé qu’elle s’achèverait fin janvier.Le secrétaire américain à la défense de Barack Obama, AshtonCarter, voulait en voir la fin avant l’installation de Donald Trumpà la Maison Blanche. En réalité, la durée de l’offensive demeureune équation inconnue.

Comme les FMP chiites sont sous la coupe des pasdarans iraniensqui les arment, les entraînent et, de fait, les dirigent, la décisionstratégique de prendre Tal Afar a sans nul doute été prise àTéhéran. Sur le terrain, selon des témoignages d’observateursinternationaux, toute la chaîne de commandement de ces milicesest iranienne et les officiers de la force Al-Qods (la division despasdarans chargée des opérations extérieures) ne se cachent mêmepas. Visiblement, l’Iran cherche à ce que les takfiri – nom donnépar les chiites aux djihadistes – ne puissent pas gagner la Syrie,où l’Iran, principal soutien militaire de Bachar al-Assad, est aussià la manœuvre.

Mais on peut aussi suspecter Téhéran de souhaiter voir le siège deMossoul durer. Car plus il s’éternisera, plus il sera difficile pourHaider al-Abadi de garder les FMP à distance. D’autant plus quele premier ministre irakien joue son avenir politique sur la réussitede la reprise de la ville. Tout échec le mettrait en difficulté. Dansce cas, deux hommes, très proches de Téhéran, en profiteraient :son vieil ennemi, l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki ;et Hadi al-Amiri, qui fut ministre des transports et chef desomniprésentes brigades Al-Badr, la plus importante des miliceschiites et le bras armé du Conseil suprême islamique irakien,l’un des grands partis islamistes chiites. Aujourd’hui, c’est luiqui dirige les FMP, dont il se sert comme d’un marchepied pourarriver au pouvoir à Bagdad.

Placées sous son commandement, les FMP réunissent plusieursdizaines de milices. Al-Badr a fourni le plus grand nombre decombattants. À ses côtés, on trouve les brigades du Hezbollah,fondées sur le modèle du Hezbollah libanais, Asaïb Ahl Al-Haq, qui a acquis une forte notoriété en envoyant des milliers devolontaires se battre en Syrie, et l’Armée du Mahdi (renomméeles Brigades de la paix) du trublion religieux Moqtada al-Sadr.Fait significatif, cette dernière, toute-puissante à Sadr-City, lagrande banlieue chiite de Bagdad et aguerrie par les longs combatsqu’elle a menés contre l’armée américaine pendant l’occupationde l’Irak, pèse cependant peu dans cette coalition hétéroclite. Laraison : elle paye sa relative autonomie à l’égard de Téhéran.

Depuis la prise de Mossoul par l’État islamique, les milices chiitesn’ont cessé de monter en puissance. Elles ont profité à la foisde l’immense discrédit de l’armée irakienne, qui ne s’est pasbattue pour défendre la ville, et d’une fatwa d’Ali Sistani, legrand ayatollah de Nadjaf, dans laquelle il appelait les Irakiensà « défendre leur pays, l’honneur de ses citoyens et les lieuxsacrés ». Ce religieux né en Iran, qui appartient au courant chiitequiétiste et qui, dès lors, maintient une forte distance avec lathéocratie iranienne, ne voulait sans doute pas les encourager àcréer des milices strictement confessionnelles. Il s’exprimait aunom de l’intérêt supérieur de l’Irak et non uniquement en celuides chiites.

Mais sa fatwa a été utilisée comme une caution justifiant laformation de nouveaux groupes armés qui se sont imposés àl’ombre des quatre principales milices, les « quatre grandessœurs », comme les surnomme un professeur d’université de

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Bagdad. Certaines ont des noms très imagés, comme les Brigadesde l’âme d’Allah, les Légions de la promesse heureuse ou lesBrigades du lion victorieux d’Allah. D’autres laissent entendrequ’elles sont pures et dures, comme les Brigades du maître desmartyrs, la Punition juste ou la Main d’Allah. L’une d’ellesannonce même qu’elle va faire payer les sunnites pour les crimesde l’État islamique.

Une seconde armée, cette fois entièrement chiiteMême si tous ces groupes paramilitaires, les grands et les petits,sont sous la coupe de la force iranienne Al-Qods, cela ne lesempêche pas de s’affronter, parfois en plein cœur de Bagdad, àcoups d’armes automatiques. Car qui dit milices dit aussi racket,trafics, corruption, kidnappings et autres crimes. Derrière leurregroupement au sein des FMP sous un commandement militairecommun, se profile la création d’une seconde armée, idéologiquecette fois et entièrement chiite.

On retrouve là le schéma iranien où, à côté de l’armée régulière,s’est développé le corps des pasdarans et des bassidji (lesmiliciens) au service exclusif du régime. Le guide suprêmeiranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a évoqué cette possibilitéen parlant des FMP comme de « l’avenir de l’Irak ». Mêmetrajectoire en Syrie, où il existe une structure analogue qui a jouéun rôle de premier plan dans la reprise d’Alep-Est et sur d’autresfronts.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.Pour lui, ces milices sont « l'avenir de l'Irak ». © Reuters

En Irak, le patron militaire des FMP est Abou Mehdi al-Mohandes, dit « l’Ingénieur », un véritable homme de l’ombre. Ila dirigé la résistance chiite à l’occupation américaine (2003-2011)

et était déjà recherché pour sa participation à des attentatsmeurtriers perpétrés pour le compte de Téhéran au Koweït,dont un contre l’ambassade de France – ce qu’il dément.« L’Ingénieur », qui a passé beaucoup plus de temps en Iranqu’en Irak, où il n’est revenu qu’en 2012, après le départ desAméricains, est aussi l’adjoint pour l’Irak du général iranienKacem Soleimani, le chef de la brigade Al-Qods, qui a dirigéen personne la bataille de Tikrit contre l’État islamique et,dernièrement, celle d’Alep.

La récente nomination comme ambassadeur à Bagdad de IrajMassedji va aussi dans ce sens. Ancien commandant despasdarans et l’un des « décideurs » des opérations depuis laguerre Irak-Iran (1980-1988), il est aussi un proche conseillerde Soleimani. Mais la médaille iranienne a son revers : ens’engageant autant dans la guerre sectaire, l’Iran n’est plus lagrande puissance musulmane qu’elle prétend être. Elle apparaîtdésormais au grand jour comme le défenseur des chiites etl’ennemi des sunnites.

Alors que la ville de Mossoul est loin d’être tombée, le parlementirakien a adopté, le 26 novembre 2016, à une majorité prochedes deux tiers, passant outre l’opposition vent debout des députéssunnites, une loi dite de « mobilisation populaire » qui confèreaux FMP un statut de « force nationale irakienne ». Et doncun pouvoir et une immunité quasiment absolus qui ne peutque les encourager à commettre de nouvelles exactions. On lesverra bientôt à l’œuvre s’ils prennent Baaj, une ville sunnitequ’ils encerclent. Des représailles sont d’autant plus à craindreque certains des chefs tribaux sunnites de cette localité avaientparticipé aux massacres des villages yézidis voisins aux côtes del’État islamique en 2014.

Boite noireJean-Pierre Perrin est journaliste indépendant. Il a travailléde longues années à Libération. Depuis plus de vingt ans, il acouvert la plupart des conflits en Afghanistan, en Irak et en Syrie.Spécialiste de l'Iran et du Moyen-Orient, il a écrit plusieurs livres.Cet article inaugure sa collaboration avec Mediapart.

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Primaire du PS:l’amateurisme au pouvoirPAR LÉNAÏG BREDOUXLE MARDI 24 JANVIER 2017

Toute la journée de lundi, les socialistesont laissé prospérer l’hypothèse d’unetriche sur les résultats du premier tour.Selon plusieurs sources, il s’agit plutôtd’une série de bourdes, sans incidencefondamentale sur la réalité du scrutin, maisqui dénote une sérieuse désorganisation.

C’est franchement tordu. Mais comme çaconcerne le vote de centaines de milliersde personnes, qui ont pris la peine de sedéplacer un dimanche et de débourser uneuro, ça vaut quand même le coup decomprendre. Lundi, le Parti socialiste a étéincapable, pendant de longues heures, decommuniquer des résultats fiables sur lepremier tour de sa primaire. Tricherie ouincompétence ? Seule la publication desrésultats, bureau par bureau, promise lundisoir dans les 24 heures, permettra d’enavoir le cœur net. Mais, selon les sourcesinterrogées par Mediapart, c’est la secondeoption qui l’emporte, avec une série debourdes parfois grotesques.

Tout commence dimanche soir. Vers 20 h30, le président de la Haute autorité desprimaires citoyennes (HAPC), chargée ducontrôle du scrutin, annonce les résultatssur les 3 000 premiers bureaux. « Nousserons entre 1,5 million et 2 millionsde votants, sans doute plus proche de2 millions », explique Thomas Clay. Çatombe bien : c’est l’objectif que s’est fixéle Parti socialiste.

Le problème est qu’à 20 h 30, dimanche,Clay fait un pari : selon plusieurs témoinsinterrogés par Mediapart, l’extrapolationdes premières remontées donnait alors uneparticipation « comprise entre 1,6 et 1,7million de votants ». C’est d’ailleurs ce quis’est réellement produit – j’y reviendraiplus tard. Mais les données concernaientsurtout les plus petits bureaux, dontles dépouillements avaient été les plusrapides. Le président de la HAPC penseque les plus gros bureaux vont permettred’accrocher les 2 millions. En fait, çan’arrivera pas. Première erreur.

Il y a ensuite « le » tweet de 0 h 07 : laHaute autorité poursuit sa validation desrésultats. Elle annonce « 1 485 318 votantssur 87,68 % des bureaux de vote » etdétaille par candidat. Sauf que personne nesonge à actualiser son site Internet, qui nedonne pas les mêmes chiffres. Deuxièmeerreur.

Lundi, au réveil, c’est le grand n’importequoi. Le site lesprimairescitoyennes.fr afinalement été rafraîchi. « À 10 h 00 »,est-il précisé. Cette fois, la participationatteint 1 601 138 votants. C’est cohérentavec le tweet de la veille de la Hauteautorité donnant près d’1,5 million. Maisplus personne ne s’en souvient (du tweet)puisque le site, lui, n’a pas été actualisédepuis le chiffre provisoire à environ 1,3million. En clair : ça donne l’impressionque 350 000 voix ont été rajoutées dansla nuit, discrètement, histoire de gonflerla participation et de sauver l’honneur duParti socialiste.

Pire encore : plusieurs médias découvrentque le détail des scores par candidata carrément été bidonné. Les 350 000voix supplémentaires ont été ventilées parcandidat, au prorata de leur pourcentage dela veille. Comme si les 350 000 votantsavaient choisi Hamon, Valls, Montebourg,Peillon, Rugy, Pinel et Bennahmiasexactement dans la même proportionque le 1,3 million déjà dépouillé. Celan’a aucun sens. Et si je ne suis pasclaire, le tableau du journaliste Laurentde Boissieu va vous aider :

Le tableau résumant le « bug »

Libérations’aperçoit dans la foulée qu’ilmanque 161 voix dans les résultats publiéssur le site de la primaire. Qu’à cela netienne : le PS les offre dans la foulée àSylvia Pinel. Ça y est, c’est grotesque.

Dans l’après-midi, le PS finit par admettre« un bug ». Et finalement « l’erreurd’un permanent ». Joint au téléphone, le

patron du Comité national d’organisationde la primaire (Cnop), Christophe Borgel,rapporte sa version : « Ce matin, quandje me réveille à 6 heures, je vois quetout le monde s’affole sur la participationà seulement 1,3 million. Je demandealors que cela soit actualisé. D’autantqu’entre-temps on a plus de 90 % desbureaux qui sont remontés et on est à1,6 million. Après, c’est l’erreur d’unpermanent… » Selon Borgel, la personnechargée d’entrer le nouveau chiffre departicipation sur le site n’a pas actualiséle nombre de voix par candidat mais l’aventilé automatiquement.

Quand on insiste pour comprendre, ilajoute : « Et puis qu’est-ce que vousvoulez que je vous dise ? Voilà c’estune erreur. Mais m’accuser de ne pasêtre transparent, moi, c’est lunaire. » Ilraccroche en promettant un communiquéde la Haute autorité dans la soirée.

En attendant, on n’a toujours pas les bonschiffres. Et on n’est quand même pasvraiment sûrs que ce soit si « lunaire »d’imaginer une triche au Parti socialiste.Cela a même été longtemps une traditionmaison.

J’appelle alors plusieurs sources au PSet à la Haute autorité. Elles me disenttoutes la même chose : il y a bienautour d’1,6 million de votants ; les350 000 électeurs ajoutés lundi à 10 heuresne sont pas des fantômes ; leurs votesexistent dans la base sécurisée de remontéedes résultats. Ces sources, qui ontrequis l’anonymat, évoquent une série de« bourdes », de « maladresses », de« dysfonctionnements ». Cela va, pour lesplus polis, du « professionnalisme à demi »à « une équipe de bras cassés » pour lesplus remontés.

En plus de la communication sur lesite www.lesprimairescitoyennes.fr quia complètement déraillé, le processus deremontée des résultats a parfois connu desratés. D’après les récits recueillis lundi,il était très complexe, avec un doublecomptage par bureau et par département,qui a parfois embrouillé les esprits dans “lawar room” chargée de valider les données.

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Plusieurs présidents de bureaux de voteont eu des difficultés avec l’application(ou l’audiotel) sur laquelle ils devaientrenseigner les résultats : certains avaientdes identifiants qui ne fonctionnaient pas ;d’autres ne parvenaient pas à enregistrerles données.

Quant aux référents départementaux de laHaute autorité, ils n’arrivaient pas toujoursà ouvrir les PV scannés envoyés bureau devote par bureau de vote : « Cela prenaitdix minutes. On était obligé d’utiliserles données papier », explique l’avocatFlorian Borg, qui a participé à la validationdes résultats dans le Nord. Or, témoigne-t-il, « plusieurs présidents de bureauxde vote ont mis les PV avec les feuillesd’émargement sous scellés ». Pour sondépartement, les résultats de 15 bureaux(sur 230) sont manquants. « Ce n’est pasde la triche, c’est de la désorganisation etun manque de préparation. »

19 h 04. La Haute autorité publie enfin soncommuniqué sur Twitter :

Les résultats communiqués lundi soir par la HAPC

Elle précise : « Force est de constaterque les écarts sont marginaux », avec lesrésultats précédemment annoncés. C’estvrai. Mais ce n’est pas le problème :on voulait juste des chiffres, mêmeprovisoires, qui soient fiables. Et cen’est pas encore complètement le cas :le total des pourcentages annoncé lundisoir n’atteint pas 100 % mais 97,97 %.Il manque les votes blancs et les nuls– c’est sans doute l’explication. Enfin,on l’espère. La Haute autorité n’a pasconfirmé. Tout comme elle n’a pas donnéle nombre de voix par candidat. Le PSa promis, sous 24 heures, la publicationdétaillée des résultats, bureau par bureau.

En attendant, le président de la HAPC,Thomas Clay, a osé dire au Monde :« J’insiste sur le fait que tout a bienfonctionné. » Et un des conseillersdu premier secrétaire Jean-ChristopheCambadélis, Pierre Kanuty, s’est faitmenaçant sur Twitter : « Toute mise encause [des résultats – ndlr] sera passibledes tribunaux. » Personne, en revanche,n’a apparemment songé à s’excuser auprèsdes électeurs.

Battre la campagnePAR BATTRE LA CAMPAGNELE LUNDI 23 JANVIER 2017

Toute l’actualité de la campagneélectorale, sous le regard graphique etdécalé de notre équipe de dessinateurs.Un partenariat Mediapart, La Revuedessinée et Arte.

Lundi 23 janvier. En route Manuel..., parAurel.

Dimanche 22 janvier. Valls deuxièmede la primaire, avec 31,6%, par LoïcSécheresse.

Primaire à gauche : en marche!, par Jean-Claude Mazurie.

Samedi 21 janvier. La tentation de l'île-de-Ré, par Stéphane Trapier.

Vendredi 20 janvier. Barack Obama s'enva, par Loïc Sécheresse.

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Un froid sibérien sur la France, parThibaut Soulcié.

Jeudi 19 janvier. La folie Macron,pourquoi?, par Loïc Sécheresse.

Mercredi 18 janvier.Avis de vent frais surla France, par Aurel.

Mardi 17 janvier. Mélenchon sedédouble, par Loïc Sécheresse

© Mediapart

Lundi 16 janvier. Débat de primaire, parDamien Glez.

Dimanche 15 janvier.Les Françaispeuvent-ils se faire leur opinion sanssondage?, par Bernko.

Samedi 14 janvier.Le FN confirme sonadmiration pour Trump, par Jean-ClaudeMazurie.

Vendredi 13 janvier.Un débatsoporifique, par Gros

Jeudi 12 janvier.Valls prépare son débat,par Bernko

Mercredi 11 janvier.2017, année destrolls, par Loïc Sécheresse.

La campagne de Peillon ne décolle pas,par Jean-Claude Mazurie.

Mardi 10 janvier. Morelle se fait cirer lespompes, par Daniel Casanave.

Lundi 9 janvier. Macron plaît, parBernko.

Lundi 9 janvier.La difficile campagne deManuel Valls, par Lionel Serre.

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Dimanche 8 janvier.Au centre,l'arbitre ?, par Bernko.

Dimanche 8 janvier.Retour sur les vœuxà la presse de Marine Le Pen, par Jean-Claude Mazurie.

Samedi 7 janvier. Vague de froid surtoute la France, trente départementsplacés en vigilance orange, par ThibautSoulcié.

Vendredi 6 janvier. À droite aussi, lerevenu universel pose question, par LoïcSécheresse.

Jeudi 5 janvier. François Bayrou démentavoir passé un accord avec Fillon, parGuillaume Bouzard.

Mercredi 4 janvier. Les candidats à laprimaire préparent le débat, par Bernko.

Mercredi 4 janvier. Primaire à gauche,par Jérôme Sié.

Mardi 3 janvier. Valls présente sonprogramme à la maison de la chimie, parLoïc Sécheresse.

Mardi 3 janvier. Après les fêtes, nedonnez pas vos vieux jouets, jetez-les !,par Loïc Sécheresse.

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Mardi 3 janvier. Jean-Luc Mélenchon,star de YouTube, par Bernko.

Lundi 2 janvier.Et la campagnereprend... avec le Front national, parThibaut Soulcié

Dimanche 1er janvier. Les vœux deFrançois Fillon, par Jean-ChristopheMazurie.

Retrouvez tous les dessins du mois dedécembre en cliquant ici

Mediapart a lancé le 14 novembreune opération pour mieux raconterl'élection présidentielle 2017. Montée enpartenariat avec nos amis de La Revuedessinée et Arte, « Battre la campagne,la présidentielle 2017 en dessins »vous propose un rendez-vous quotidienavec le dessin de presse. Durant sixmois, une équipe d'une vingtaine dedessinateurs chroniquera les petites etgrandes batailles du scrutin à venir.

Jusqu' au 7 mai 2017, une vingtainede dessinateurs vont donc se relayer àun rythme quotidien pour chroniquerles batailles électorales, les débats et lesthèmes de campagne mais aussi l'état

de la société française. Arte nous ayantrejoints dans l'aventure, nos trois titresse sont donc alliés pour développercette opération. Cela se fera de deuxfaçons. Un rendez-vous quotidien, tousles jours à 13 heures, avec un dessind'actualité. Clin d'œil, humour, rebond,éditorial, indignation, décalage. Il vade soi que les dessinateurs ont carteblanche pour nous donner leur lecturede cette actualité politique.

Un deuxième rendez-vous sera, lui,mensuel : il vous proposera unreportage, une enquête en « récitdessiné » : une dizaine de planches pourprendre le temps d'explorer un sujet.Ces récits associent un dessinateur del'équipe « Battre la campagne » etun journaliste de Mediapart qui vonttravailler en tandem. Premiers sujetslancés : le choc de la littérature et de lapolitique en Corrèze ; Saint-Denis, unkaléidoscope de crises ; Oyonnax et lavallée du plastique : comment religionset communautés cohabitent.

Tous ces dessins seront accessibles surMediapart. Ils le seront également enpartie sur le site d'ArteInfo et sur unsite spécifique que nous avons créé etqui sera disponible dès lundi 13 heures :battrelacampagne.fr

Les dessinateurs qui participent àl'opération (liste non exhaustive) :Loïc SécheresseHervé BourhisThibaut SoulciéAurelLionel SerreStéphane TrapierTerreur graphiqueGuillaume BouzardDamien GlezPascal GrosVincent SorelCyrille PomesZoé ThouronChristophe GaultierJulien SoléJamesMerwan ChabaneHelkaravaDaniel Casanave

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PochepBenjamin Adam

Hamon-Valls, deux«irréconciliables» au secondtourPAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET CHRISTOPHEGUEUGNEAULE MARDI 24 JANVIER 2017

Manuel Valls, dimanche 22 janvier, à laMaison de l'Amérique latine © Reuters

Manuel Valls et Benoît Hamon vonts’affronter dimanche 29 janvier au secondtour de la primaire « citoyenne » du PS. La« clarification » au PS est proche, assurentleurs soutiens respectifs.

Il n’y avait pas deux pôles plus éloignéslors de cette primaire du PS, deuxgauches plus « irréconciliables », selonla formule de l’ancien premier ministreManuel Valls. Benoît Hamon et ManuelValls se retrouvent tous deux dimanche29 janvier au second tour de la primairede la Belle alliance populaire (le PSet ses satellites).Dans le détail, cetteprimaire a moins rassemblé que celle de2011. À la veille de la présidentielle de2012, près de 3 millions de personnesy avaient participé, contre au moins1,3 million cette fois-ci (selon lesderniers résultats disponibles à 23 heuresdimanche). Le résultat pour les septcandidats est le suivant : Benoît Hamon(36,21 %), Manuel Valls (31,19 %),Arnaud Montebourg (17,62 %), VincentPeillon (6,83 %), François de Rugy (3,83%), Sylvia Pinel (1,99 %), et enfin Jean-Luc Bennahmias (1,01 %).

À l’annonce des résultats, les partisansde Benoît Hamon, réunis sur une pénichesituée à une centaine de mètres deSolférino, le siège du PS, ont hurlé leurjoie. À l’image des meetings du candidat

de l’aile gauche, beaucoup de jeunesétaient rassemblés au milieu d’une forêt decaméras et de perches.

Le second tour, dimanche prochain, voits’affronter deux lignes claires, où deuxcandidats hors primaire tiennent déjàles premiers rôles. À la droite du PS,Emmanuel Macron remplit des meetingset attire déjà dans les rangs socialisteset même dans l'entourage de FrançoisHollande. À la gauche du PS, Jean-LucMélenchon avec la France insoumise a faitune OPA sur la gauche de gauche (le PCFet Ensemble l’ont déjà rejoint, tandis quele NPA cherche ses parrainages).

Le PS peut-il s’en sortir ? Rien n’est moinssûr. Jean-Christophe Cambadélis, sonpremier secrétaire, est intervenu devant lapresse à 20 heures dimanche, avant queles premiers résultats ne filtrent. Contremauvaise fortune bon cœur, “Camba”a fait du “Camba”, une « déclarationpolitique » qui ne disait pas grand-chose. « Un grand merci, vous êtes venuspar centaines de milliers participer à laprimaire de la Belle Alliance populaire,malgré une campagne inlassable contre lescrutin, malgré l’idée distillée que c’étaitinutile », a déclaré Cambadélis. « Je saluetous les candidats qui ont fait honneur àla primaire, en défendant leur idée avecsincérité et respect. Nous avons réussi cepremier tour », a-t-il ajouté. « Face àla droite de Fillon, face à une extrêmedroite qui progresse dans l’ombre, faceà la fragmentation, aux rancœurs, à latentation du fatalisme, ensemble nousdémontrons une voie possible pour laréussite de demain », a enfin estiméle premier secrétaire du PS, qui est «persuadé qu’un nouvel alliage est en trainde naître ». Sauf que ce « nouvel alliage »est d’ores et déjà dans les limbes.

Sitôt le résultat connu, chez Hamon,l’enjeu du second tour est dans toutes lestêtes. Soutien du candidat, le député deParis Pascal Cherki pose immédiatementl’enjeu : « C’est à Jean-Luc Mélenchonque vous devriez parler maintenant, vousles journalistes. C’est lui qui ne voulaitpas de la primaire à cause de Hollande.Il va faire quoi maintenant ? » Plus

sérieusement, Cherki enchaîne : « BenoîtHamon a toujours dit qu’avec Jean-LucMélenchon, il y avait des convergencespossibles. Il y a des points à discuter. »

Pour Cherki, les « électeurs ont voulutourner la page, et surtout en écrireune nouvelle ». « Il y a maintenantMacron d’un côté, pour faire vite onpeut dire le centre-gauche, même s’il y abeaucoup de droite dans ce centre-gauche,et de l’autre, Jean-Luc Mélenchon quireprésente l’extrême gauche, et je le dissans sens péjoratif. »« Ce devoir incombeà Benoît Hamon », conclut le député.Croisé un peu plus tard, Benjamin Lucas,président des Jeunes socialistes, vante le« réveil des électeurs de gauche ». « C’estla preuve que les électeurs de gauchene sont pas résignés à une gauche quiemprunte à la droite ses thèmes et sesdiscours. »

C’est évidemment Manuel Valls qui estvisé. Au même moment, les proches deManuel Valls réunis à la Maison del’Amérique latine, à quelques centaines demètres de la péniche de Hamon et du siègedu PS, ont compris que leur championne serait pas en tête. Sitôt arrivé, ManuelValls se calfeutre avec ses proches, commele maire d’Évry Francis Chouat, le numérodeux du PS Henri Weber ou le ministrede la justice Jean-Jacques Urvoas. Lestélés et les radios se disputent les militantsqui arrivent au compte-gouttes. On croisedans la salle l’essayiste Mohamed Sifaouiou Patrick Kessel, ancien Grand maîtredu Grand Orient de France et présidentdu Comité Laïcité République. Quelquesrares soutiens de Valls s’aventurent àparler aux journalistes, comme le directeurde campagne Didier Guillaume ou leporte-parole Olivier Dussopt.

Le résultat tombe dans un silence à peuprès total – les écrans télé disposés dans lasalle ne marchent pas.

« Un choix très clair »Le député de Paris Christophe Careschedéplore un « vote défouloir ». Un militantdit à un autre : « Hamon a joué surun truc populiste, un air du temps, endisant je vais donner 500 euros de revenu

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universel à tout le monde. » Devantl’écran télé, l’ancien numéro deux dela CFDT Jacky Bontems, fidèle soutiende François Hollande qui a tenté demobiliser les syndicalistes pour Valls, sedésole : « Après le Hollande bashing,c’est le Valls bashing. L’appareil nes’est pas non plus beaucoup mobilisé.Et puis Macron a siphonné une partiedes électeurs de Manuel Valls… » Endiscussion avec des amis, MohamedSifaoui s’en prend à Vincent Peillon, lequatrième de la primaire soutenu par lamaire de Paris Anne Hidalgo. « Il a justefoutu la merde. » Même refrain pour le

maire du IIIe arrondissement de Paris,Pierre Aidenbaum. « Peillon, c’est unemachination, on l’a mis là pour empêcherManuel Valls. »

À 21 h 40, lorsque Manuel Valls arrivepour prendre la parole, la quarantaine demilitants présents s’animent soudain pourles télés : « Manuel président ! » ; « Onva gagner ! ». Dans un coin de la salle,le député Christophe Caresche espère undiscours fort : « Si c’est pour perdre,autant que ce soit avec les honneurs. »

Manuel Valls fait plus qu’exaucer sesvœux. « Un choix très clair », dit-il, se présente aux électeurs de laprimaire, « entre la défaite assurée et lavictoire possible », entre des « promessesirréalistes et infinançables » et une «gauche crédible ». Fidèle à ses refrains dela fin de campagne, il parle de « Trump», de la « Russie de Poutine », de lalaïcité, sur laquelle il ne cédera « aucunpouce de terrain ». Il tape encore surle « revenu universel au coût exorbitant», la proposition phare de son rival, «impliquant d’augmenter massivement lesimpôts ». Valls dramatise à dessein l’enjeudu second tour. Il se pose en bouclierpour tous ceux qui craignent l’explosion

dimanche prochain d'un PS tiraillé entreMélenchon, le candidat de la Franceinsoumise, et le fondateur d'En marche !

Manuel Valls, dimanche 22 janvier, à laMaison de l'Amérique latine © Reuters

Sur la péniche de Hamon où l’oncontinue la fête, les attaques laissent demarbre. D’abord parce qu’ils ont reçu lesoutien d’Arnaud Montebourg, ce qui leurdonne mathématiquement la majorité ausecond tour. Surtout parce que, commel’explique son directeur de campagneMathieu Hanotin, le résultat de ce soirmontre qu’il y a une « clarificationdéfinitive du bilan du quinquennat ». « Cen’est pas nous que Manuel Valls vise cesoir, ce sont les centaines de milliers depersonnes qui se sont déplacées », ajouteHanotin, pour qui « l’agressivité » n’ajamais fait gagner en politique.

Antoine Détourné, autre soutien de Hamonet membre du conseil national du PS,résume quant à lui la campagne deson candidat autour de deux moments :l’émission de France 2, début décembre,et l’entrée en campagne de Valls. Dansces deux moments, il a constaté des « picsd’intérêt » pour Benoît Hamon. « Vallsorganise ce soir, en tapant fort, lesconditions de sa défaite complète », juge-t-il. Difficile à entendre du côté de Valls,où l’on refuse de s’avouer vaincu. Leporte-parole du groupe PS à l’Assembléenationale Hugues Fourage assure que «rien n’est écrit ». Pour enfoncer un coinentre Hamon et Montebourg, il rappelleles critiques de ce dernier sur le revenuuniversel de Hamon.

Pierre Aidenbaum, lui, commence déjà lemode de la campagne du second tour. «Ça ne va pas être facile, mais ce seral’occasion d’une clarification entre deuxlignes », dit-il. L’élu parisien jure lavictoire à portée de main, à condition que «

200 000 à 300 000 personnes de plusviennent voter dimanche ». Il s’en prend àHamon, « ce ministre de l’éducation quia démissionné la veille de la rentrée : cen’est pas un homme d’État ». Finalement,dimanche soir, chaque camp évoque la «clarification » à venir. « On va d’abordgagner, et on verra après ! », balaie levallsiste Hugues Fourage avec un sourirecrispé, qui admet un « risque » deschisme socialiste la semaine prochaine.Le député Christophe Caresche évoquedéjà le spectre d’une « corbynisation » duPS si Hamon gagne dimanche prochain.Il refuse même d’assurer qu’il lui donnerason soutien, en évoquant les frondeurssocialistes qui ont, pour beaucoup, votéHamon ce dimanche. « Pendant cinq ans,ils n’ont rien respecté au Parlement, ils nevont pas nous donner des leçons. » Plusexplicites, certains menacent déjà de partiravec armes et bagages chez Macron siHamon l’emporte.

Lors de ses vœux à la presse, débutjanvier, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, évoquait le «match point, ce moment où la balle peuttomber d’un côté ou de l’autre du filet ». Ilparlait alors du match entre la droite et lagauche. Dimanche, ce sera pourtant entrela « gauche Valls » et la « gauche Hamon» que la balle devra choisir son point dechute.

Et Arnaud Montebourgs'en est alléPAR LÉNAÏG BREDOUXLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Arnaud Montebourg © Reuters

L’ancien député PS a une nouvelle foiséchoué à la troisième place du premier tourde la primaire de son parti, derrière Benoît

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Hamon et Manuel Valls. Une défaitequi sonne peut-être la fin de sa carrièrepolitique.

L’échec est cuisant. Arnaud Montebourga une nouvelle fois échoué à se qualifierau second tour de la primaire du partisocialiste, arrivant comme en 2011 entroisième position. Devancé par BenoîtHamon et Manuel Valls, l’ancien ministrede l’économie paie une campagne ratée.Ce nouvel échec sonne peut-être la fin desa carrière politique.

Selon des résultats partiels, il obtientseulement 17,52 % des suffrages, loinderrière Manuel Valls (31,11 %) et,surtout, Benoît Hamon (36,21 %). Il fait àpeine mieux qu’il y a cinq ans (17,19 %),quand il avait créé la surprise en prenant latroisième place de la primaire. En nombrede voix, il perd même du terrain – laparticipation ayant été nettement moinsélevée cette année.

Premier candidat à s’exprimer dimanche,Arnaud Montebourg a appelé à voterpour Benoît Hamon. « Nous avonscombattu ensemble dans le gouvernementcontre les politiques sociales-libéralesaujourd’hui désavouées. Nous avonsquitté le gouvernement ensemble et nousavons veillé [dans cette campagne] àce que nos prises de position restentcompatibles », a-t-il expliqué, parlant d’un« appel de l’histoire » au « rassemblementdes gauches ». Il y a quelques mois,quand il annonçait sa candidature depuisson rendez-vous annuel de Frangy-en-Bresse, il faisait pourtant figure defavori, du moins pour concurrencer laligne gouvernementale, alors portée parFrançois Hollande. Aux yeux de sesproches, celle de Benoît Hamon étaitcondamnée à être symbolique, apportant,au mieux, une réserve de voix utile ausecond tour, au nom de la « théorie durâteau ».

Déjà, à l’époque, Montebourg auraitdû s’alarmer de voir ses concurrentstoujours le devancer, et miner son proprecalendrier : quand il hésitait à contournerla primaire du PS, et à se présenterhors parti, c’est Macron qui a dégainé lepremier avec En Marche !. Et quand il s’est

finalement décidé à être candidat, BenoîtHamon avait déjà fait sa déclaration decandidature.

Cette primaire, dont il a été lepromoteur au parti socialiste quandpersonne n’en voulait, devait signer sarevanche, deux ans après son départforcé du gouvernement en 2014, avecBenoît Hamon (déjà) et Aurélie Filippetti.Montebourg rêvait de régler les comptespolitiques de Hollande, après être apparucomme son principal opposant au seinmême du gouvernement depuis Florange.

Le renoncement du président, le 1er

décembre, a tout chamboulé.

Surtout, sa campagne, ponctuée pendantsix mois de nombreux déplacements surle terrain, n’a jamais décollé. Pire, ellea souvent semblé invisible ou illisible.Sur le fond, Montebourg a paru parfoisplus préoccupé par les électeurs potentielsd’Emmanuel Macron que par ceux de lagauche socialiste : c’était, entre autres,le sens de son slogan « Libérez lesFrançais ». Sur la forme, il tenait avanttout à se « présidentialiser », en gommantles aspérités de ses formules, quitte à neplus incarner la radicalité, prometteusede rupture avec un quinquennat qui atant désespéré l’électorat de FrançoisHollande. Dans son équipe, de nouveauxvisages apparaissaient, notamment ledirecteur de campagne François Kalfon,quand les plus fidèles se tenaient en retrait,parfois consternés par les choix de leurmentor.

Ce n’est que très récemment que lacampagne de Montebourg a sembléreprendre un peu de souffle. Trop tard,assurément, au vu des résultats. Sesvieux amis étaient revenus ; des soutiensde poids l’avaient rejoint, comme ledéputé Christian Paul ou l’élu européenEmmanuel Maurel. « Ça y est, on respire,glissait alors un proche du candidat.C’est quand même autre chose à latable du conseil politique. Enfin, on parlepolitique ! » Son programme économique,présenté début janvier, assumait une ligneclaire : la relance de l’économie ; lepouvoir d’achat ; la lutte contre l’austérité

et la finance. Un discours du Bourget, enplus radical, et qui serait, cette fois, suivià la lettre.

Aucune de ses propositions pourtant,même sur la réorientation de l’Europe,n’a monopolisé les débats entre lescandidats. Jamais il n’est apparu commele lanceur d’idées (rôle rempli parHamon), ou le candidat responsable de la« gauche crédible qui serait vraiment degauche » (rôle rempli, au choix, par Vallsou Peillon). Montebourg a tenu la route,mais sans briller, sans incarner un messageclairement identifié.

Arnaud Montebourg © Reuters

« Dans cette campagne, il fallait un oudeux étendards, explique un proche ducandidat. Arnaud, cette fois, il était lecandidat de quoi ? » Dans son viseur :la stratégie de campagne choisie par ledirecteur François Kalfon, ancien strauss-kahnien devenu frondeur. « Il lui disaitde ne pas prendre de risques, de seprésidentialiser, détaille un autre proche,qui préfère ne pas être cité. Mais il n’apas marqué les esprits et, à la fin, lesgens n’avaient pas de raison de voterMontebourg. » « On s’est lancé tôt et ona fait longtemps une campagne sans vis-à-vis, explique aussi le député PhilippeBaumel. Cela nous a amoindris. » Aprèsavoir dénoncé « trois candidatures pournuire », dont celle de Vincent Peillon,la victoire de la « démagogie », ilajoute : « On s’est aussi en partie trompéde campagne. On a fait une campagnede premier tour de la présidentielle,et pas une campagne de primaire. Ona joué la responsabilité alors que lesélecteurs cherchaient des marqueurs etdes identifiants garantissant une politiquede gauche. »

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Avant le premier tour, l’équipeMontebourg craignait aussi une sous-représentation des électeurs populaires àla primaire, sur lesquels il avait construittoute sa campagne. « Arnaud a fait le choixde parler au monde du travail, celui quis’est détourné de la gauche depuis 2002,rappelle Christian Paul. Sans les couchespopulaires, on ne peut pas gagner. C’estle rêve inabouti de notre générationdepuis le 21-Avril. » Mais la déformationsociologique du corps électoral de laprimaire, qui serait cantonné aux seuls“bobos” de centre-ville, ne suffit pas àexpliquer la claque de dimanche. « En fait,on perd partout. Benoît Hamon est devanttout le temps », explique un conseiller del’ancien ministre de l’économie.

Certains électeurs ont aussi reproché àMontebourg son ralliement à FrançoisHollande en 2011 – c’est du moinsce que rapportent plusieurs députéssur le terrain. Ils auraient pu aussilui faire payer sa participation à lanomination de Manuel Valls à Matignon(à laquelle Benoît Hamon avait pourtantaussi activement participé en 2014). Auhasard d’un reportage à Aubervilliers,dimanche, un électeur, venu voter pourHamon, reprochait même à Montebourgde n’avoir « rien pu faire à Bercy »et d’avoir « abandonné Florangefinalement ». Comme si, au fil duquinquennat, sans qu’il ne s’en rendecompte lui-même, l’ancien député, chantrede la démondialisation, ensuite devenuministre, avait progressivement dilapidétout son capital politique.

Cet automne, Montebourg déroutait aussicertains de ses proches qui s’interrogeaientsur sa réelle volonté de se lancer à nouveaudans l’arène politique, lui qui avait amorcéune nouvelle vie dans le privé et qui n’aplus aucun mandat électif. « Il y a aussieu, sans doute, une équation personnelle »,explique un de ses amis. En novembre,quand nous l’interrogions sur la lassitudedes électeurs de gauche face aux débats dela primaire, Montebourg rétorquait : « Lalassitude… Mais que croyez-vous que j’airessenti pendant deux ans ? »

MediaPorte: «Message àManuel Valls: ici, c'est lePS»PAR DIDIER PORTELE LUNDI 23 JANVIER 2017

Cette semaine, Didier Porte chroniquele premier tour de la primaire du Partisocialiste et de ses satellites.

Croquis. Fracture ouvertepour un PS encore en viePAR HUBERT HUERTASLE MARDI 24 JANVIER 2017

Benoît Hamon. © Reuters

Le résultat de la primaire de la BelleAlliance populaire, dimanche 22 janvier,est sans appel. Avec plus de 1,3 million devotants, et un second tour Hamon-Valls, ildélivre un double message : le PS n’est pasmort et son aile gauche est dominante.

Avec une participation initialementannoncée à plus d’un million et demi devotants, puis réajusrée à un modeste unmillion trois cent mille, le PS est très loind’égaler son score de la primaire de 2011(2,7 millions d’électeurs), mais il sauveun peu les meubles. Cette primaire s’estengagée dans de mauvaises conditionsavec l’hypothèse d’une participation deFrançois Hollande, puis avec son retrait.Elle est affaiblie par les chances trèsminces pour le gagnant de devenirprésident de la République. Elle estbousculée à gauche par la montée deJean-Luc Mélenchon. Elle est malmenée à

droite par la percée d’Emmanuel Macron.Cette primaire pouvait donc tourner aufiasco. À la « pasokisation », c’est-à-dire àl’effondrement subi par le Parti socialistede Grèce. Finalement, si le chiffre departicipation est conforme à ce qui étaitannoncé dimanche soir, le PS français estclairement coupé en deux, mais il disposetoujours, dans le pire environnementpolitique, d’un certain électorat.

Cet électorat est majoritairement à gauche.Ce message est important. Il s’adresseà Jean-Luc Mélenchon. Il prouve quela gauche est diverse et ses dirigeantsmultiples. Ils sont des partenaires enpuissance, ou des concurrents, et leurlégitimité s’appuie sur une élection, ce quivaut bien tous les décomptes d’adhérentsou d’internautes. Hier soir, le principe dela primaire n’a pas été jeté à la poubelle,et l’autre soliste de cette présidentielle,à droite en la personne d’EmmanuelMacron, ne peut pas l’ignorer.

Le résultat du premier tour de cetteprimaire du PS est d’abord un échecretentissant pour Manuel Valls. Il jetteaussi une lumière implacable sur lafaute fondamentale du pouvoir éluen 2012, qu’il représente dans cetteélection. François Hollande était connudepuis longtemps pour incarner une aileplutôt droitière dans son parti, mais ilavait gauchi son discours de campagne.Pourquoi ? Parce qu’il savait que le PSne pouvait pas gagner sans son ancrageà gauche. Léon Blum était soutenu parle PCF, François Mitterrand avait nommédes ministres communistes, Lionel Jospinaussi.

Or sitôt élu, François Hollande aconsidéré que son aile gauche, nécessairepour accéder à l’Élysée, n’était pasindispensable pour gouverner. Plusgrave encore, après des municipalescatastrophiques, il a nommé à Matignoncelui qui passait pour l’homme le plus àdroite des socialistes, Manuel Valls, lequels’est débarrassé de ses opposants internes.Hamon, Montebourg, Filippetti, Taubira,faut-il en rappeler la liste ?

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Manuel Valls a expérimenté une pratiquedu pouvoir sans précédent au Partisocialiste, en pariant que son aile gaucheétait hors du temps et qu’il pouvait s’endébarrasser. Il peut toujours rappeler lesgrands problèmes de la planète pour sedonner une stature, évoquer VladimirPoutine ou Donald Trump pour se hisserdans la cour des grands, comme il l’a faithier soir, le résultat est là : il a lourdementchuté. Les électeurs de la primaire l’ontrenvoyé à la réalité. Il aspirait à devenirle tout, et le dimanche 22 janvier 2017 ilne pesait que le tiers de son parti, tandisque l’aile gauche qu’il présentait commearchaïque en pèse plus de la moitié. Quelque soit le résultat du second tour, cetéchec est fracassant.

Benoît Hamon a donc gagné. Il est l’anti-Valls par excellence. Le symétrique degauche. Instruit par l’échec de son rivaldu second tour, il ne peut pas envisager,dans cette campagne et après, de fairece que Valls a tenté, mais à l’envers.Se débarrasser de l’aile droite commel’ancien premier ministre avait cru bonde se passer de son aile gauche. Lasurvie du PS passe par le maintien d’unassemblage bancal mais redoutable surle plan électoral, entre Chevènement etRocard, Joxe et Mauroy, Badinter etDefferre, Fabius et Jospin, Aubry etStrauss-Kahn…

Si Hamon se contentait d’incarner satendance comme Valls se cramponne àla sienne, que pèserait-il face à Jean-Luc Mélenchon ? Et que feraient lesélecteurs de Manuel Valls ? Voteraient-ils Hamon à la présidentielle, ou, dansle secret de l’isoloir, glisseraient-ils lebulletin d’Emmanuel Macron ?

Si la participation est bien celle querevendique le Parti socialiste, donc si le PSconserve un électorat, et si Benoît Hamonconfirme sa percée du premier tour, lechantier qui s’annonce est énorme. Il seraitd’abord interne. Hamon devrait sauver lenavire plutôt que de rêver à l’engagerdans une course présidentielle tellementmal engagée. Il aurait à réduire la fractured’un PS écartelé. Jamais l’aile gauche etl’aile droite socialistes n’ont paru plus

aux antipodes. Jamais la personnalité desfinalistes, Hamon et Valls, n’a sembléplus contrastée. Et, sur le plan électoral,jamais les forces centrifuges, Mélenchon àgauche et Macron à droite, n’ont été pluspuissantes.

Ce qu'il reste desympathisants PS a votésans enthousiasmePAR LA RÉDACTION DE MEDIAPARTLE LUNDI 23 JANVIER 2017

A Marseille, le 22 janvier. © Jean-Marie Leforestier

De Nantes à Marseille, en passant parLyon, Valenciennes, Paris, Aubervilliersou Cintegabelle, récit d'une journée devote à la primaire, où ne se sont déplacésque ceux qui ne veulent pas tout à fait enfinir avec le Parti socialiste.

Ils ont été environ 1,5 million à serendre aux urnes de la primaire du PS cedimanche 22 janvier. Une faible affluenceà travers la France, par rapport aux quatremillions de la primaire de droite, et mêmeaux près de trois millions qui s'étaientdéplacés en 2011. Dans les basses-eauxd'un quinquennat finissant, il ne reste plusque le cœur des sympathisants socialistesà s'être encore mobilisé. Ceux pourqui l'expérience élyséenne de FrançoisHollande n'est pas si catastrophique, ouqui jugent que le PS est encore le lieu oùse dessine l'avenir de la gauche. Voyageà travers la France, de Cintegabelle àAubervilliers.• À Cintegabelle, un vote « sans

conviction » entre Peillon et Hamon

Les fiefs historiques du PS n'échappentpas au blues du quinquennat Hollande. ÀCintegabelle, petite ville (2 900 habitants)de la septième circonscription de la Haute-Garonne, dont Lionel Jospin a été ledéputé de 1988 à 1993 puis de 1997

à 2002, les électeurs se sont déplacésavec parcimonie pour le premier tour dela primaire citoyenne. La comparaisonavec les affluences constatées de visudans les bureaux de vote de la régiontoulousaine, lors de la primaire de la droiteen novembre dernier, est cruelle. Celleavec les chiffres de la primaire socialistede 2011 n'est pas non plus glorieuse :ils étaient alors presque 280 électeursà s'être déplacés sur le bureau de votede Cintegabelle au premier tour. Ce 22janvier, deux minutes après la fermeturedu bureau de vote à 19 heures, OlivierDaguerre, président du bureau, nous enannonçait seulement 233. À midi, enHaute-Garonne, seulement 16 000 votantss'étaient exprimés sur 882 713 inscrits.

Un manque d'enthousiasme assez flagrantaujourd'hui à Cintegabelle. «Mouais… Jesuis venue mais je ne suis pas convaincue.Il y a des problèmes autour de cequinquennat et aussi au sein même duPS, mais bon, il ne faut pas baisser lesbras…», nous confiait ce matin une «Cintegabelloise de gauche ». Exprimantun sentiment oscillant entre résignation,colère et sens du devoir, souvent entendudans la journée. « On est venus voterpour faire barrage à Valls et montrerque la gauche est toujours là», expliquaitMyriam, 65 ans, « sympathisante degauche » un peu dépitée. Béatrix, 67 ans,était elle plus remontée : « Je m'en sensle devoir, mais je ne suis pas enthousiaste.Je n'aime pas ces candidats, je n'aimepas ce gouvernement. Hollande nous atellement roulés dans la farine qu'il y a uneperte de confiance. On en tire une certainerancœur. Mais je ne retournerai pas maveste, je suis de gauche. »

A Cintegabelle, le 22 janvier. © Emmanuel Riondé

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Une affirmation souvent réitérée par lespersonnes interrogées tout au long de lajournée. Et confirmée par les bulletinsdéposés dans l'urne : la plupart disentavoir voté Vincent Peillon ou BenoîtHamon. Le premier, apprécié pour soncôté jugé « posé et sérieux », son« honnêteté » ou son « programmecohérent », recueille les faveurs descadres locaux comme Sébastien Vincini,président de la fédération départementaledu PS ou Guy David, adjoint au maire.Sans confier son vote, le maire de lacommune, Jean-Louis Rémy, 63 ans,en poste depuis 2008, estime lui quePeillon est, avec Montebourg, celui quipeut le mieux endosser « l'héritage deJospin ». Qui, même s'il ne vient plus quetrès rarement à Cintegabelle « pour desobsèques ou des visites privées », demeure«l'homme politique le plus regretté ducoin », assure Gisèle, élue municipale.Difficile de savoir jusqu'à quel pointHamon est, lui aussi, perçu comme unhéritier, mais il a fait le plein d'électeurs cedimanche à Cintegabelle. « Il est celui quiincarne le mieux la gauche telle que je mela représente», résume Jean-Jacques. «Il aété assez clair, pédagogique et a dit qu'iln'y aurait pas d'homme providentiel »,apprécie Didier, 60 ans, venu avec son filsPablo, 19 ans. «Le gros problème de Valls,c'est la tension de son personnage, il faitun peu trop dur pour des gens de gauche»,estime le père. «Sur le fond aussi, il y aun gros problème», complète son fils. Euxcomme Jean-Luc, d'une commune voisine,pour qui ça se jouera « entre Hamon etMontebourg », l'assurent : si Valls emportela primaire, ils ne voteront pas PS aupremier tour de la présidentielle.

Un vote marqué à gauche qui, commepour la primaire 2011, où Martine Aubryétait arrivée en tête devant FrançoisHollande au premier tour (36,4 %contre 32,4 %), recueille donc les faveursdes Cintegabellois. Démentant au passageque ce choix soit l'apanage des seulsjeunes : quasiment aucun ne s'est déplacéaujourd'hui pour voter dans la petite villedu Lauragais, où l'on pouvait surtoutcroiser des retraités et des quinquagénairesconfirmés. «C'est aussi la sociologie du

coin», tempérait avec justesse OlivierDaguerre. Reste qu'à Cintegabelle, fiefmilitant, l'élan du PS gauche plurielle dela fin des années 90, incarné par la gloirelocale Lionel Jospin, est bel et bien révolu.Quand, dans le milieu de l'après-midi, unmonsieur âgé, claudiquant et fatigué, entreet interroge, facétieux : «Qu'est-ce qu'onfait ici ?!», la réponse que lui adresseGisèle, souriante et les mains en porte-voie, sous la photo de François Hollande,est imparable : « On faiblit, Bernard »…• À Nantes, l’hésitation des électeurs

« Bon ! Ben, alors, tu rentres ? »« Je réfléchis encore. » Commesuspendue, la porte du bureau de vote del’école Fellonneau bâille dans un vilaingrincement. Le froid piquant de l’extérieurs’installe dans la pièce surchauffée. Lapetite file d’attente réajuste écharpes etbonnets. Dans un claquement de métal,la quinquagénaire finit par rejoindre sonmari. Il est près de midi. La vingtainede personnes présentes fait la queue dansun silence quasi religieux. Au rythmedes assesseurs, la ligne s’ébroue. Sedivise en deux. Sous l’œil blasé descameramen et photographes de presse,presque aussi nombreux. Eux aussiattendent. Fellonneau est également le

bureau de vote du député ligérien etcandidat du Parti écologiste à la primaire,François de Rugy.

François de Rugy vote à Nantes, le22 janvier © Pierre-Yves Bulteau

« On le suit depuis longtemps,racontent Charles et Marie, retraitésde l’enseignement. Il nous a toujoursété sympathique. Ses thèses et sadémarche écologique nous séduisent.D’avoir discuté cinq minutes avec luiconfirme que nous avons besoin d’unprojet de société qui jette des ponts entreles générations et ouvre des possibles.Cela, grâce à la mise en place d’un travailcollectif. C’est d’ailleurs pour ça que j’aivoté… Hamon ! » s’amuse le retraité. Unvote « à double détente », précise Charles.« Pour positionner un socialiste crédibleau premier tour de la présidentielle oureconstruire la gauche en cas d’échec. »

Un calcul davantage balbutiant ducôté d’Antoine et Olivier. Professeurd’histoire-géographie et agent de clinique,tous deux âgés de 28 ans, ils ont finalementdécidé de franchir le pas de la primaireen allant voter à l’école publique duSoleil-Levant. « Je ne suis pas sûr devouloir voter socialiste en avril prochain,réfléchit Olivier. Mais, pour un euro, jepeux déjà faire en sorte que le PS resteà gauche. » « Pour moi, il y a toutsimplement urgence, le coupe son pote.Il faut faire barrage à la droitisationdu PS. » Bonnet coloré vissé jusqu’auxsourcils, Olivier reste pourtant méfiant.« Je dis ça et, en même temps, Hamon

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pourrait très bien nous refaire le coupde Hollande en 2012. Son programmeme séduit, mais il est aussi comptabled’une partie du bilan du quinquennat. »Quant à Mélenchon, les deux trentenairess’arrêtent. « Je ne sais pas, doute encorel’agent de clinique. Là aussi, je suis trèsintéressé par son programme mais lepersonnage est flippant. »

Une valse-hésitation que ne connaît pasTristan. Fine roulée coincée entre deuxdoigts rougis par le froid, ce sociologuede 42 ans sait pourquoi il est là. « Jamaisje ne voterai pour un candidat PS aupremier tour d’une présidentielle. Je mesuis un peu forcé pour venir ce matin mais,payer un euro pour envoyer un messageclair au PS nantais, ça les vaut bien. »Dans la ligne de mire de l’universitaire,« le soutien exigeant à Manuel Valls »officialisé par Johanna Rolland, le 9janvier dernier. « La maire de Nantes nousrefait le coup de la stature, de l’énergie etde l’autorité alors qu’on a vu les dégâtsoccasionnés par ce même autoritarisme etce virage à droite toute pris par le PS. »

« Si nous en sommes là, c’est peut-êtreaussi un peu de notre faute. » Caban noirimpeccablement ajusté, François arrive,accompagné de sa fille Aymie, au bureaude vote de l’école Stalingrad. « Dansle match Aubry-Hollande de 2011, nousavons trop fait confiance au seconden oubliant d’inscrire des garde-fouspour border son quinquennat. Résultat,c’est celui qui a récolté 5 % des voixlors des dernières primaires qui a finipar impulser la politique actuelle dugouvernement. » Parmi ces choix, celuide vouloir imposer le projet d’aéroport àNotre-Dame-des-Landes. « En choisissantValls, Johanna Rolland bluffe, analyseTristan. Elle affirme aux Nantais que leprojet se fera. » Alors même qu’en 2011,à Nantes aussi, Valls avait réuni 5,6 %des suffrages. « Il ne faut pas non plusoublier, rappelle le sociologue, que sur laconsultation publique de juin dernier, àNantes, le “oui” est passé ric-rac. D’unepetite centaine de voix. De ce qui sortirades urnes, ce soir, dépendra également

le rapport de force à installer face auPS, notamment en vue des prochaineslégislatives. »• À Valenciennes, Valls fait débat

À la mairie de Valenciennes, l’un destrois bureaux de vote de la commune,le compteur de l’urne affichait, dimancheà 16 heures, le chiffre de 183 bulletinsde vote déposés. À trois heures dela clôture du scrutin, ce chiffre étaitlégèrement supérieur aux prévisions desorganisateurs. Sur l’ensemble de la ville,entre 500 et 600 électeurs devraients’être déplacés pour ce premier tour dela primaire socialiste. À la sortie del’isoloir, ce sont les noms de Manuel Valls,Benoît Hamon, Vincent Peillon, ArnaudMontebourg et, dans une moindre mesure,celui de François de Rugy qui revenaientle plus souvent. Pour une bonne partiedes électeurs, c’est le bilan de FrançoisHollande qui a déterminé leur choix.Alex, retraité de 73 ans et sympathisantsocialiste depuis toujours, explique ainsiavoir voté Benoît Hamon pour que « Vallsne prenne pas les rênes du parti ». « Je neveux pas qu’il ait la mainmise sur le parti.Il faut savoir ce que l’on veut que soit lePS : un parti de droite ou un vrai parti degauche. »

Même constat pour Catherine, unecréatrice d’entreprise de 45 ans, pour qui« le seul choix rédhibitoire, c’était Valls ».Elle aussi a fait le choix de Benoît Hamoncar « il propose une politique différente. Etnous avons grand besoin de changement». À l’inverse, Catherine, professeure desécoles de 54 ans, a voté pour le premierministre de François Hollande. « Vallsa un programme social correct. Vu lasituation économique, ils ne s’en sontpas si mal sortis. Et il a su gérer lacrise des attentats. Je le trouve carré »,explique-t-elle, estimant son candidat et leprésident de la République victimes d’un« matraquage médiatique qui n’est pasmérité ». Son époux, Vincent, lui aussiprofesseur des écoles et âgé de 53 ans, a deson côté donné sa voix à Vincent Peillon.« Il me semble honnête et droit dans cequ’il dit. Mais j’ai longtemps hésité. Jevoterai peut-être Valls au second tour. »

De toute manière, poursuit-il, son vote etcelui de sa femme « sont proches : ontrouve tous les deux que le bilan de cequinquennat n’est pas mauvais ». Quoiqu’il en soit, à la présidentielle, le couplevotera socialiste : ni pour Mélenchon, nipour Macron, « un peu trop à droite » àleur goût.

A Valenciennes, le 22 janvier. © Jérôme Hourdeaux

Christine, une professeure de 57 ans,a voté Arnaud Montebourg, mais sansillusion sur le résultat final. « Il a undiscours différent. Mais pour la gauche,de toute manière, c’est dans le lac. Ilfaudrait un événement extraordinaire. »Elle aussi trouve que François Hollande« a globalement fait du bon boulot,notamment le mariage pour tous. Je penseque c’est ça que l’Histoire retiendra,comme Jules Ferry pour l’école ouMitterrand pour la peine de mort ».Dominique, une designeuse de 55 ans,n’est ni militante ni même réellementsympathisante du PS. Elle a même déjàparticipé à la primaire de la droite,et regrette de ne pas s’y être prise àtemps pour voter à celle des Verts. « Jetrouve ça très bien, les primaires. Onpeut choisir nos candidats, on a enfinl’impression d’être acteur, d’être partieprenante à ces élections. » Lors du scrutinà droite, elle avait voté Alain Juppé.Cette fois, elle a choisi François de Rugy,« pour son côté écologique ». Un choixauquel elle ne se sent pas du tout liéepour la présidentielle. « J’ai épluché lesprogrammes, consulté des comparateursdans la presse, regardé un maximum dedébats… et je me déciderai en fonctionde certains critères importants pour moi,comme l’éducation, l’environnement, unepolitique plus ouverte en matière d’accueildes migrants. »

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Responsable du Mouvement des jeunessocialistes de Valenciennes, ClémentBéreaux s’est décidé pour Vincent Peillon,« le moins pire de tous ». « Il a une visioneuropéenne, ce qui est très important pourma génération. » Selon lui, le rejet du bilande François Hollande dans une partie del’électorat socialiste est presque logique.« François Hollande a lui-même reconnucertains échecs. Et Manuel Valls resteracomme l’homme du 49.3. Et puis, c’estdans l’air du temps d’éliminer les sortants.On l’a bien vu avec Sarkozy ou avec CécileDuflot. » Pour le responsable des MJS, ilreste cependant important « de dire quela droite et la gauche, ce n’est pas lamême chose. Il suffit de voir le programmede Fillon ! Le vote utile, ce sera celuiqui unifiera la gauche et Peillon est lecandidat de la synthèse. Mélenchon etMacron sont trop clivants », estime-t-il.

En face de la mairie, attablé devant uncafé, Nicolas, un artisan auto-entrepreneurde 43 ans, lui, ne traversera pas la placed’Armes pour voter. Pourtant, il a jusqu’àprésent toujours voté socialiste. En 2012,il avait même pris sa carte pour participerà la primaire. Mais pas cette fois. « Jevois pas l’intérêt de me déplacer poursavoir qui sera le perdant », explique-t-il. Ce n’est pas seulement le fait qu’aucuncandidat ne l’a séduit. « Entre Macron,Mélenchon et le candidat socialiste, çava trop éparpiller les voix. Je veux doncvoter pour celui qui aura le plus dechances de gagner. » Et selon lui, celui quia les meilleures chances, c’est Jean-LucMélenchon. « Et pourtant, on ne peut pasdire que je l’aime bien », précise Nicolas.Mais selon lui, c’est là que se trouve cettefois « le vote utile ».• À Lyon, « c’est mal barré »

À Lyon, le premier tour de la primairedu PS se déroule dans une ambianceun peu particulière. Le maire de laville et président de la métropole GérardCollomb a rassemblé une cinquantained’élus et militants de la fédération duRhône, dans un communiqué affirmantleur soutien à Emmanuel Macron, ainsique leur non-participation au scrutin dela « Belle Alliance populaire ». De

quoi créer quelques remous dans lesmois à venir, et perturber encore plusl’organisation militante des bureaux devote du Grand Lyon. Cela n’empêchepas, d’après les retours de plusieursresponsables de ces mêmes bureaux,une participation citoyenne de bonnetenue. La mobilisation est assurément plusfaible que pour la primaire de droiteet en recul par rapport à 2011, maisn’est pas ridicule et rassure plutôt lesresponsables contactés. Général, le constatvaut également pour des communes trèspopulaires comme Vénissieux ou Saint-Fons, où l’on remarque par ailleurs, choseplus surprenante, que des personnes etmême des élus de droite se sont déplacés(ce qui n’avait pas été le cas il y a six ans).À une heure de là en voiture, dansl’agglomération grenobloise en Isère, oùle Parti socialiste a durement souffertdes élections intermédiaires, le constatfait par les cadres socialistes est assezsimilaire. Le flot des électeurs est continu,mais moindre que pour les précédentesprimaires. Un retour assez systématiqueconcerne la moyenne d’âge plutôt élevée.« On voit beaucoup de personnes deplus de 50 ans, des jeunes autour de lavingtaine, je n’en ai pas vu », nous adéclaré un conseiller départemental, quiremarque aussi une sous-mobilisation del’électorat le plus populaire. En revanche,l’ambiance est plutôt détendue, même sila ferveur n’est clairement pas au rendez-vous, comme elle avait pu l’être en 2011lorsque l’alternance était en vue.

A Lyon, le 22 janvier. © Fabien Escalona

Quelques dizaines de minutes passéesdans une école du troisièmearrondissement de Lyon, assez mixtesocialement, confirment ces remontéeséparses du Rhône et de l’Isère. Il n’y aqu’un seul bureau dans le groupe scolairerue Antoine-Charial, quand la droite enalignait trois en novembre dernier. Ici, on

croise beaucoup de retraités et couplesplus que trentenaires. Dans la file, certainss’inquiètent de savoir s’ils sont dans lebon bureau, certains ne comprennent paspourquoi ils devraient aller ailleurs. Unedame s’indigne en se hâtant : « C’est lebazar ! » Dans d’autres bureaux, comme

dans le 7e, on relève de nombreuses erreursdans la gestion des listes.Interrogés sur leurs motivations, lesélecteurs passés à la fin du marchéaffirment tous saisir une occasion, soitpour soutenir le candidat qui a seloneux le plus de chances d’accéder ausecond tour de la présidentielle, soit pourpeser quoi qu’il arrive sur l’avenir duPS et de la gauche. Certains souhaitentpar exemple éliminer les candidats « passérieux, comme Montebourg ou Hamon,qui n’assument pas le bilan ». D’autress’inquiètent au contraire du faible niveaude la pile de bulletins Valls, à quiils sont venus « faire barrage ». Oncroise des sympathisants, mais aussiplusieurs électeurs qui sont encartés au PS.Danièle, hamoniste décontenancée de nepas pouvoir voter à ce bureau, est assezdépitée par la situation. Elle se désoleque plus personne ne vienne aux réunionspubliques, concluant notre entretien parun : « C’est mal barré ! »• À Marseille, « il ne reste que le résidu

à sec »

« Je viens dans l’espoir de dire “Fuckyou Valls”. » Cette remarque attrapéeà la volée à l’entrée du gymnase del’école Chave résume l’ambiance dansce bureau du centre-ville. Dans cequartier où résident beaucoup de jeunesparents, parfois rapidement qualifié de“bobo”, la file d’attente forme un coudepour traverser la cour de récré. Ladizaine de personnes avec qui nouséchangeons affiche la même ambition desortir l’ancien premier ministre. Ainsi,Olivier Oudon, qui travaille dans lacommunication numérique, explique :« Valls, c’est la politique musclée. Safaçon de faire appartient à un autre temps.» Le quadra, qui avait fait campagnepour la liste citoyenne menée par PapeDiouf aux municipales 2014, est venu« saluer l’ouverture à la société civile

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et notamment à l’écologie » de BenoîtHamon. « Je ne le connaissais pas bien,je l’ai découvert pendant cette campagne», admet-il. Les débats et un meeting« regardé en replay mais en entier »l’ont convaincu de se déplacer, lui quin’est pas forcément électeur habituel du

Parti socialiste. Habitant des 4e et 5e

arrondissements où n’a été installé qu’unseul bureau de vote, l’un des petitscandidats de cette primaire, Jean-LucBennahmias, s’est réjoui en venant voterde la diversité des électeurs. « Je vois iciun électorat plus large que celui du PS »,a-t-il assuré aux journalistes présents.

A Marseille, le 22 janvier. © Jean-Marie Leforestier

Comme dans les quartiers sud, plus aisés,l’affluence dans ce bureau évite auxorganisateurs le ridicule qu’ils craignaientmais reste sans commune mesure avec laprimaire socialiste de 2011 ou celle dela droite à l’automne. Dans les quartierspopulaires en revanche, les électeurs ontboudé les urnes ce dimanche. Avecseulement 150 votants sur 31 000 inscrits,

le 14e arrondissement affichait ainsi untaux de participation de moins de 0,5 %à 13 heures. « On croise beaucoup detêtes connues, d’anciens candidats. Il nereste que le résidu à sec, constate LaurentDornic, président du bureau de vote dece grand arrondissement, qui s’apprêteà voter Montebourg. Pour venir de laBusserine, il faut prendre deux lignesde bus. Il n’y a que les convaincus qui

viennent !» Dans le 3e arrondissement, oùla moitié des habitants vit sous le seuilde pauvreté, les urnes restent en ce débutd’après-midi peu remplies. « Je ne suispas surprise, souffle Nassera Benmarnia,suppléante de Patrick Mennucci et soutiende Vincent Peillon qui y tient le bureaude vote. Quand tu laisses les gens les plusdémunis dans la misère, quand les services

sont de moins en moins présents dans lesquartiers, il ne faut pas s’étonner qu’ils neviennent pas. »

L’organisation locale n’a sans doutepas aidé à une forte mobilisation. Denombreux élus, comme la sénatrice desquartiers nord Samia Ghali, se sontostensiblement désintéressés de ce scrutin.Le nombre de bureaux de vote a étédivisé par deux et, confie un délégué deVincent Peillon, « quelques jours avantle scrutin, on ne savait pas dire aux gensoù ils allaient voter». Le même militantconfie qu’« une section entière du parti arefusé d’organiser la primaire car ils vontsoutenir Macron ».

Le tout vient souligner un parti quise délite, davantage encore dans lesBouches-du-Rhône. Le PS y est miné parles divisions internes depuis la primairemunicipale de 2013 et continue de payerles affaires judiciaires de deux de ses ex-leaders, l’ex-députée Sylvie Andrieux et lesénateur Jean-Noël Guérini. Ce dimancheencore, les équipes de Patrick Mennucci,ancien candidat aux municipales et deLisette Narducci, membre du PRG etalliée à Jean-Claude Gaudin (LR) dansla majorité municipale, se sont invectivésau sein même des bureaux de vote.La seconde reprochait au premier uneorganisation ratée, quand les partisansdu premier recalaient les observateursenvoyés par Narducci (au nom de SylviaPinel), accusés d’être « de droite ». Uncadre de la fédération socialiste se montrefataliste : « On leur a dit que, pour éviter leridicule, ils pouvaient mettre leur guerreune journée en veilleuse. Visiblement, çan’est pas possible. »• À Évry, chez lui, Valls fait carton

plein

Il y a foule à la sortie de l'église d'Évrydans l'Essonne, située à quelques mètresde l'hôtel de ville. En revanche, l'attraitest moindre dans le bureau de vote de laprimaire citoyenne – la ville en compteneuf en tout. Ici, à 15 heures, le tauxde participation est bas. 123 votants surles 2 672 inscrits se sont déplacés pourdépartager les sept impétrants.

De vieux confettis en forme de cœur,restes visibles d'un mariage, virevoltentdehors. À l'intérieur, l'ambiance n'est pasvraiment à la fête. À midi, une camérade BFM TV est toujours là, dans lesmurs de la mairie à l'architecture froide,dans l'attente qu'il se passe quelque chose.Un peu plus tôt dans la matinée, ManuelValls, l'ancien maire, est venu déposerson bulletin dans l'urne sous l'œil desjournalistes dans la plus pure traditionélectorale. Dans la salle, une fresque deMarianne, seins nus comme le défendl'ancien premier ministre, trône et prônela liberté universelle. Il n’y a pas de grosquestionnements organisationnels parmiles électeurs. Les assesseurs l’assurent,tout se passe bien, la précédente primaireen 2011 les a déjà préparés à l’exercice.Tout comme ils mettent beaucoupd’énergie et de conviction à expliquer pardes raisonnements arithmétiques flous quela faible affluence est imputable au faitqu’il y a moins de bureaux de vote dansla ville qu’à la précédente primaire, cequi démotive la foule à se déplacer. Sanscompter que la population a grossi. Àen croire les assesseurs, les comparaisonsavec le précédent exercice démocratiquedu Parti socialiste ne sont pas pertinentes.Mais pour se rassurer, l’une d’entre euxprécise que le taux de participation à13 heures, 3,55 % ici, est plus fortque dans les villes limitrophes de lacirconscription comme Corbeil-Essonnesou Courcouronnes.

En sondant les votants, un nom se détache.Celui de Manuel Valls, « évidemment», ajoutent certains à cette question. Lecandidat joue en terrain conquis. Ici, raressont ceux qui ne lui ont pas accordéleur confiance. Le président du bureau,Pacôme Adjourouvi, est le premier adjointde la ville. Il ne tarit pas d'éloges pourcelui qui est surnommé « le Catalan » surses terres. Il estime que la campagne aété « belle et l’occasion pour le peuple degauche de voir les différents programmeset de déceler l’utopie de la réalité ».Un tacle ouvertement adressé à BenoîtHamon. De l’autre côté, pour lui, Manuel

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Valls c’est la réalité et la solidité. À sonsens, il est seul apte à protéger la Francede la menace terroriste persistante.

À Évry, le 22 janvier. © Faïza Zerouala

Il regrette néanmoins une campagne « tropcourte », alors même que le PS est affaibli.Il dénonce aussi le parti pris des médias,dit-il, qui n'ont pas épargné son champion,en soulignant ses difficultés voire en le« chargeant ». Mais peu importe : à sesyeux, il en faut plus pour affaiblir l'ancienministre de l'intérieur. Il vante son bilancomme maire et souligne l’attachementaffectif des habitants pour lui.

Ce sont par ailleurs les deux principauxarguments pour le vote Valls ici, mêmesi parfois certains sont bien en peined’expliquer avec précision les motivationsde leur choix. Françoise, une juriste enrecherche d’emploi, reconnue travailleusehandicapée après de graves problèmes desanté, a donné sa voix à Manuel Valls. Sielle n’a pas tellement suivi les débats fautede temps, elle reste persuadée qu’il saura« sauvegarder le socialisme » et aiderles plus vulnérables. Comme Pechpailin,une étudiante en sciences de l’éducationde 25 ans qui n’est pas encartée auParti socialiste. Elle confie voter à chaqueélection et attend « un changement réel enmatière de sécurité et de lutte contre leterrorisme ». Elle explique également êtreun peu légitimiste et « vouloir rester fidèleà François Hollande qui aurait réussi àtenir ses promesses s’il avait eu cinq ansde plus. D’ailleurs, son bilan en matièred’éducation est très positif », pense-t-elle.Si au deuxième tour il est éliminé, ellevotera… Macron, avant de se rappeler quel’ancien ministre de l’économie concourthors primaire.

Difficile de trouver des habitantsinsatisfaits du bilan de l’ancien premierministre. Andréa Iacovella, 63 ans, «pas encarté mais avec une sensibilité degauche », se définit comme un enfant dela République. Il est directeur adjoint del’école d’informatique ENSIIE. Son votepour Manuel Valls est mu par « l’estimeque j’ai pour lui. Il est à l’écoute et il a duflair. Quand il était maire, il a toujours étéattentif aux projets que je lui ai présentéspour valoriser le numérique ». Même lesdéfauts que lui prêtent ses concurrents,comme son autoritarisme, sont vus par lesexagénaire comme des qualités. « Lesautres candidats jouent sur l’émotion maisquand on gratte, il n’y a rien derrière.Alors que lui, par exemple, je suis sûr qu’ilest le seul à pouvoir convaincre les classesmoyennes tentées par le FN de le soutenir.Sans compter qu’il a relevé le défi pourlutter contre le terrorisme. » Même sagestion de l’adoption de la loi sur le travailest défendue : « Les syndicats réformistesl’ont validée, cette loi. Le reproche del’usage du 49.3 est injuste. En son temps,Michel Rocard l’a utilisé et tout le mondelui a rendu hommage au PS comme unsaint homme lorsqu’il est décédé. » Toutcomme le projet abandonné de déchéancede nationalité, qui a heurté les électeurs degauche : « Je suis naturalisé, je suis arrivéd’Italie à l’âge de 14 ans. Cela visait ceuxqui ont commis des actes terroristes. Je nel’ai jamais pris pour moi, on n’introduisaitpas le ver dans le fruit. »• À Paris, affluence relative…

Près de la place de la Nation, dans un

quartier résidentiel et plutôt chic du XIIe

arrondissement de Paris, le contraste estsaisissant avec le tableau d'il y a quelquessemaines. Pour choisir François Fillon, lesélecteurs de la primaire de droite formaientune queue qui débordait largement dans larue, faisant grimper l'attente à plus d'uneheure durant la plus grande partie de lajournée. Mais ce dimanche à 14 heures,dans l'école élémentaire faisant office debureau de vote, seuls une petite quinzained'électeurs sont rassemblés. En tout, ilsétaient 265 à avoir franchi les portes de

l'école depuis le matin. C'est bien peu pourun lieu où sont regroupés quatre bureauxde vote officiels…

« Ce n’est pas si mal, les gens se succèdentsans interruption depuis l’ouverture, etcertains attendaient même devant laporte quand on est arrivés », tente dese convaincre une des militantes quiaccueillent les électeurs. On est néanmoinsloin de l'affluence (relative) au mêmemoment dans les quartiers voisins plus

populaires, dans le XIe arrondissementpar exemple. « Allez, je parie qu’onn’aura pas besoin de venir voter dimancheprochain, il y en a bien un qui vaemporter plus de 50 % des votes »,s’exclame, guillerette, une quadragénairemanifestement habituée des lieux. Onrigole poliment dans la file, avant depiocher parmi les sept bulletins. « On vientplutôt sans illusion », glisse l’électeursuivant.À l’école Maurice-Chevalier àMénilmontant, dans un quartier qui votetrès majoritairement à gauche, très peu demonde s’est déplacé avant 10 h 30, d’aprèsl’un des quatre assesseurs présents. Vers11 heures, un temps moyen d’attentes’est toutefois stabilisé à un quartd’heure. Visiblement en sous-effectif,les organisateurs demandent à plusieursreprises s’il y a des bonnes volontéspour aider au dépouillement. Aucunreprésentant des candidats ne semble avoirrépondu présent pour ce faire. Dans lafile d’attente, un sexagénaire lâche : « Laprimaire de droite était mieux organisée. »

Dans le XIXe arrondissement à Paris,le 22 janvier © Stéphane Alliès

Dans le XIXe arrondissement voisin, lefief du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, au bureau de votede l’école Manin, la matinée a été aussicalme. « C’est au second tour que les gens

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se déplaceront, veut croire la présidentedu bureau de vote. Quand ce sera plusclair et qu’il y aura deux options vraimentclivantes à départager. » Un militantcroisé à la sortie admet la participationen baisse, mais dit « s’être tellementattendu à pire, au bide absolu », quefinalement « l’image donnée n’est pas simauvaise : on arrive encore à mobilisermalgré l’étiquette PS, que Mélenchon etMacron voudraient brûler. Comme quoi,même si on est moribond, on reste les seulsà gauche à organiser une désignationdémocratique, et il faudra quand mêmecompter avec nous… ».

Dans le XVIIIe arrondissement, le bureaude vote de l’école maternelle Constantin-Pecqueur est quasiment vide vers 14heures. « Mais on dénombre déjà 244votants, explique l’une des assesseurs.Si on arrive à 500, franchement, cesera bien. » La jeune femme n’est pasmembre du PS, mais « sympathisante d’uncandidat » – elle ne veut pas dire lequel.Parmi les personnes qui se sont déplacées,beaucoup sont des inscrits de 2016.Comme Alexandre, un jeune homme de18 ans venu voter pour la première fois,« parce que c’est quand même une bonneoccasion de faire entendre sa voix ». Uncouple de retraités n’est pas dans ce cas. Ilsont toujours voté PS et trouvent que cetteprimaire « offre finalement un bon choixde candidats, avec des lignes claires ». Ilsne se font en revanche guère d’illusions surl’issue de la présidentielle en mai, surtout« avec Macron, s’il continue comme ça ».• À Aubervilliers (Seine-Saint-Denis),

Hamon fait un carton

Le bureau de vote est quasi vide, aucollège Rosa-Luxemburg. De 9 heuresà 15 heures, seule une petite centainede votants se sont déplacés, sur 5 000inscrits. Un militant socialiste lâche :« Ça n’a rien à voir avec 2011.Les gens n’ont pas confiance dans cescandidats-là. Il fait froid. Et puis, ily a la politique du gouvernement quia carbonisé tout le monde… » Ladizaine d’électeurs interrogés confirment :l’écrasante majorité est critique duquinquennat ; pas un ne soutient ManuelValls ; Benoît Hamon fait un carton.

À part la députée de la circonscription,Élisabeth Guigou, venue voter peu avant16 heures. « Manuel Valls a retournésa veste jusqu’au dernier moment. Iln’a pas facilité la tâche du président »,explique Nadine, sympathisante socialiste.En 2011, elle avait soutenu Hollandeaux deux tours. Cette fois, elle a choisiBenoît Hamon. « C’est le plus pêchu,même si certaines de ses propositions sontirréalistes ! »

Danièle et Alain ont fait le même choix :« [Valls] a les dents qui rayent leparquet ; il ne veut pas dépénaliserle cannabis. » Danièle, à la retraite, atravaillé très longtemps au centre socialde la cité des 4 000 à La Courneuve.La légalisation proposée par Hamon laconvainc. Question de pragmatisme, et devaleurs de gauche. Le mot « gauche »revient dans la bouche de Caroline : elleaussi a voté Hamon. « Je suis de gauche.Et lui, il est vraiment de gauche. »« Hamonsemble être une personne de gauche »,explique aussi Stéphane, 40 ans. Il estsurtout venu pour ne pas voir ManuelValls au second tour. « Il n’a paseu un comportement digne d’un hommepolitique du PS. » Il cite ses déclarationssur le burkini et le passage de la loi sur letravail grâce au 49.3. À 34 ans, Alexandrese dit « plutôt d’extrême gauche », maisvote à chaque fois qu’il en a l’occasion.« Logiquement, j’ai donc voté pour le plusà gauche du PS. »

A Aubervilliers, le 22 janvier. © Lénaïg Bredoux

Dans ce bureau d’Aubervilliers, surl’échantillon interrogé au hasard, c’estArnaud Montebourg qui arrive endeuxième position, avec des électeursplus populaires, et plus préoccupés parla situation sociale que par l’état de lagauche. « Il faut tout faire pour rassemblerla gauche, et les socialistes pour faireface à François Fillon. C’est un danger

vraiment sérieux », estime Juliane, 79 ans,sympathisante socialiste. Elle se « souvientque Montebourg a bataillé pour le “madein France” » : « Ça fait des emplois. »Samia, militante PS, a convaincu son amieNadia de venir voter. Ça a été dur. « Moi, jene voulais pas me déplacer. Franchement,on vote et ça ne change rien. C’est lapolitique bla-bla », dit Nadia. « J’ai faitla campagne de Hollande. Mais il n’apas tenu son programme, poursuit Samia.Autour de moi, les gens sont tellementdéçus qu’ils disent que la gauche estmorte. » Elles mettent Valls dans le mêmesac. « C’est l’ancien premier ministre, onveut pas le reprendre ! Et puis, il n’estpas pour la Palestine. Ici, ça compte. »Finalement, elles ont choisi Montebourg.Dans un sourire, elles lâchent : « En plus,comme nous, il a des origines kabyles ! »En réalité, son grand-père était algériend’Oran, mais c’est un détail.

Abdou a fait un choix plutôt iconoclaste :il a voté Sylvia Pinel. Pas pour sonprogramme (« elle n’en a pas, ou si peu »).Mais parce qu’elle était « la seule femmedans cet aréopage d’hommes ». Pour lereste, il est « de ceux qui croient que lesmétastases sont au stade final et qu’il nenous reste plus qu’à accompagner le PSpour qu’il meure dans la dignité ». Il estplutôt tenté par Emmanuel Macron. « Lavérité, c’est que toutes les révolutions quiont marché sont celles qui ont été menéesde l’intérieur. »

À la permanence de la sénatrice ÉvelyneYonnet, là aussi, la participation est trèsfaible, avec 74 votants sur 3 900 inscrits.À la pause cigarette, sur le trottoir,les militants socialistes sont inquiets. Ilspestent contre la baisse du nombre desbureaux de vote (5 cette année, contre11 en 2011) et contre la mairie Front degauche qui a refusé de prêter gratuitementles écoles primaires (elle demandait undédommagement de 480 euros par école).« On a plein de gens qui n’ont pas trouvéleur bureau. Ou pour qui c’était troploin… Les personnes âgées notamment »,explique un militant PS. Le site nationaldu PS a aussi connu quelques ratés delocalisation.

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En revanche, on y a trouvé deux électeursde Manuel Valls. Une militante PS, quin’a pas envie de donner son nom, luireproche la déchéance de nationalité etle 49.3. « Mais je pense à nos vies, pasà l’avenir du PS. Face à Trump et àPoutine, qui peuvent nous emmener dansune guerre, il faut un bonhomme. » Imbie,lui, a voté par adhésion. « Je ne suis pasdéçu par le quinquennat. On a mené unebonne politique ; les résultats viendrontaprès. » Il cite en exemple l’ancienchancelier allemand Gerhard Schröder(SPD) « qu’on ne félicite que maintenantpour ses réformes ».« On ne peut pasêtre éternellement de gauche archaïque. Ilfaut qu’on s’adapte à la mondialisation. »Imbie a choisi Valls sans hésiter. « C’estla continuité, et avec fermeté. Sur ladélinquance, la sécurité. Je ne peux pascomprendre que les Manouches fassentdes trucs et qu’on les laisse comme ça. »

Boite noireOnt participé à ce récit de la journée :Emmanuel Riondé (Cintegabelle), Jean-Marie Leforestier (Marseille), Pierre-YvesBulteau (Nantes), Jérôme Hourdeaux(Valenciennes), Faïza Zerouala (Évry),Fabien Escalona (Lyon), Lénaïg Bredoux(Aubervilliers), Stéphane Alliès (Paris).

Voter ou ne pas voter à laprimaire du PS (quand onest de gauche)?PAR STÉPHANE ALLIÈS ET LA RÉDACTION DEMEDIAPARTLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Manifestation contre la loi sur le travail,28 juin 2016 © Rachida EL Azzouzi

Mediapart a interrogé une trentaine deresponsables de la “société mobilisée”pour prendre le pouls comment lessympathisants de gauche appréhendent

cette primaire du PS. Si le rejet vis-à-visdes socialistes est grand, la campagne atout de même suscité de l’intérêt.

À l’issue d’un quinquennat si déprimantque le président sortant élu par la gauchea préféré ne pas se représenter, commentune nouvelle primaire du PS pourrait-elle intéresser à nouveau au-delà de cequ’il reste des sympathisants socialistes ?Alors que les candidats, comme lesentreprises de sondages, affirment avoirconfiance en une mobilisation avoisinantles deux millions de votants, la rédactionde Mediapart a interrogé plusieurs de sescontacts parmi la “société mobilisée”. Dessyndicalistes et des militants associatifsfaisant figure de relais d’opinion dans lepeuple de gauche, qui s’investit en dehorsdes partis et plus encore du PS de cesdernières années, mais a toujours entretenuun rapport plus ou moins distant (parfoisprivilégié, souvent de force) avec la sphèrepolitique socialiste.

La primaire du PS fait-elle encore sens,pour tous ces déçus du pouvoir socialiste ?En parle-t-on autour d’eux ? Qu’est-ce quimotiverait les éventuels votants à se rendreaux urnes dimanche ? Et pour voter qui ?

En creux, c’est un constat alarmantde l’état du parti socialiste qui estdressé. Avec beaucoup de lucidité, lagrosse trentaine de citoyens engagésinterrogés, qui s’expriment à titrepersonnel (quelques-uns ont réclamél’anonymat), semble ne plus rien attendredu PS ni parfois même de la politiquetout court. Mais parce que ces “capteurs”gravitent parmi ce que les entreprisesde sondages nomment “les sympathisantsde gauche”, et parce qu’ils sont tousdes acteurs d’une démocratie qui lesreprésente pourtant de moins en moins, ilsont quasiment tous suivi les débats de cettecourte campagne, et en dressent un bilannuancé et peu enthousiaste.• Ceux qui ne peuvent plus

Il y a ceux pour qui le passif duquinquennat est si lourd et négatif qu’ils nepeuvent pardonner au PS. Entre rancœuret déprime, ils considèrent que le PS estmort, et sa primaire est par conséquentun objet auquel ils ne s’intéressent pas.

Ainsi, cet élu CGT de Marseille confieque lui et ses collègues « ne s'occupent pas» de cette primaire. « Il y a toujours unmarginal qui ira voter, sur le principe du“On me demande mon avis, je le donne”,mais en réalité c'est jamais évoqué entrenous ou dans nos réunions, explique-t-il.On regarde plutôt du côté de Mélenchon.C'est fini le parti socialiste ! Beaucoup à laCGT se disent que la meilleure chose quipuisse arriver est que ce parti disparaissepour de bon. »Éric Beynel, porte-parolede Solidaires, confirme ne « quasimentpas en entendre parler dans le cerclemilitant, un cercle qui n’en finit plus devomir la gauche gouvernementale. Soitils n’y prêtent aucun intérêt, soit ils s’enmoquent ». « En fait, les militants sont déjàdans l’après-présidentielle, à dire qu’ilfaut préparer la lutte, ajoute-t-il. Quant àl’idée du vote utile, elle a été engloutiedepuis le vote Chirac contre Le Penpuis Hollande contre Sarko. Beaucoup demilitants disent qu’ils s’abstiendront oun’iront pas voter à la présidentielle. »

Membre du syndicat des avocats deFrance (SAF), Slim Ben Achour est luiaussi à mille lieues du vote socialiste dedimanche. « Je n’en parle absolumentpas aux copains. C’est fou, c’est unnon-événement. » Même s’il se dit «conscient que derrière la gauche c’estpire, donc c’est la moins pire des solutions», celui qui fut l’un des avocats à l’originede la condamnation de l’État pour descontrôles discriminatoires a désormaisdes griefs rédhibitoires vis-à-vis du PS.« Ils ont renoncé aux idéaux de lagauche, non par stratégie politique, maispar conviction, s’exaspère-t-il. Ils nousont dit : “Ne nous emmerdez pas avecl’histoire du contrôle au faciès.” Maisils ne se rendent pas compte de l’impactque cela a dans les quartiers populaires,qui s’étaient vraiment mobilisés pourfaire voter Hollande en 2012 ! Ilssont déconnectés, et se disent que “lesquartiers ne pourront jamais voter àdroite”, ils voteront pour nous quoi que

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nous fassions. Par ce renoncement, lessocialistes contribuent à l’accession aupouvoir de l’extrême droite. »

Place de la Bastille, le 5 juillet 2016. © D.I.

Grégory Bekhtari, prof d’anglais aulycée Éluard à Saint-Denis et membredu syndicat enseignant majoritaire SNES,abonde : « Aucun d’entre eux, Montebourgou Hamon inclus, ne reconnaît que cequinquennat a été dramatique. Ils ontréussi à dégoûter beaucoup de gens de lagauche ou l’idée qu’on s’en fait. Autourde moi, beaucoup sont déboussolés. Maisparadoxalement, dans la salle des profs ona plus parlé de la primaire de droite. Jene ressens pas d’enthousiasme. On se sentdésemparés et orphelins. Dans mon cerclesyndical, certains regardent vers Hamon,d’autres Mélenchon. Mais pas grandmonde ne semble convaincu. »« Ce qu’onentend des candidats de la primaire du PSprouve que ce parti a arrêté de réfléchir ily a 15 ans, tranche Nicolas Haeringer del’ONG écolo 350.org. Il n’a plus d’autresclivages que des clivages individuelssurdéterminés par les choix tactiques,alors qu’ils auraient pu se connecter aumouvement des communs, aux conférenceseuropéennes sur la décroissance, auxluttes pour la justice climatique. » S’ilconcède des « nuances sur la transitionénergétique », il déplore que « la seuleréponse valable, celle d’un mix 100 %renouvelable, n’existe qu’à l’extérieur decette primaire ». Le directeur généralde Greenpeace France, Jean-FrançoisJulliard, est tout aussi incrédule : « Aucundes candidats socialistes ne défend larupture avec le système existant, même siHamon va un peu plus loin. Ils disent tousvouloir plus d’énergies renouvelables,plus de bio, moins de diesel, et sortir ducharbon… des trucs hyper consensuels etdéjà en marche, qui se feront de toutefaçon avec ou sans eux. »

Même son de cloche qui ne sonneplus chez Matthieu Bonduelle, ancienprésident du syndicat de la magistrature(SM). « Le bureau du syndicat a regardéles débats, les a tweetés, comme untravail de veille. Mais il y a une formed’indifférence. J’ai l’impression qu’onen parle avec un sourire en coin, unpeu moqueur. » À l’entendre, le SMa de bonnes raisons de se tenir àdistance : « La question judiciaire n’estvraiment pas au cœur du débat politique.Sauf sous l’angle sécuritaire. Même ledébat sur le cannabis n’est pas abordésous un angle judiciaire. Les candidatsparlent à la limite de justice pénale, etencore, seulement sous l’angle carcéral.L’antiterrorisme est aussi abordé, mais onévoque plus les opérations homo ou lesservices de renseignement que la justiceelle-même. Le statut du parquet, uneéventuelle réforme institutionnelle, n’estmême pas évoqué. » Et de conclure :« Il y a une forme de lassitude à voirque le sujet justice est soit occulté,soit mal traité. » Ancien responsabled’Emmaüs, Patrick Doutreligne est luiaussi dans un rapport éloigné à la primairedu PS : « On en parle, mais ce n’estvraiment pas enthousiasmant. Ce quinous intéresse, c’est le revenu minimumd’existence. Mais ce qui nous inquiète,c’est qu’il n’est pas très élaboré. » Celuiqui est désormais président de l’Uniopss(Union nationale interfédérale des œuvreset organismes privés sanitaires et sociaux)regrette l’absence de « vision prospective» sur le sujet : « Ce n’est pas assezstructuré, les associations n’adhèrent pascar ce serait un grand saut dans le vide.» Et l’absence tout court de discourssur « la protection sociale, la place desenfants, ou les problèmes d’intégration ».« Il n’y a quasiment rien sur le projetsocial. Et c’est faible sur les programmesde société », soupire-t-il. Marie Alibert,porte-parole d’Osez le féminisme, est toutaussi sceptique. « Bien sûr qu’on suit laprimaire du PS, comme celle de droiteavant. Mais les militantes sont blasées etlasses de ce qu’elles ont pu entendre lorsdes débats. L’égalité hommes/femmes estsouvent anecdotisée ou utilisée comme un

alibi. Il y a peu de propositions concrètes,beaucoup de promesses vagues et peud’objectifs chiffrés. »

Membre d’Attac dont il fut l’un des porte-parole, Thomas Coutrot ne voit pas plusd’intérêt à cette primaire PS autour delui. «Beaucoup me disent qu’ils n’irontpas voter, alors que nous y étions tousallés en 2012. Ce sont des débats internesau PS, et l’enjeu principal porte surqui va garder le contrôle de l’appareilau moment de la scission », estime-t-il. Il ne perçoit lui non plus « pas dedébats d’idées : on le voit bien avecValls, il n’y a pas de contenu politique.La seule nouveauté est la propositiond’Hamon sur le revenu universel. C’estun marqueur idéologique astucieux maisc’est du marketing, critique-t-il. Aprèsles mouvements sociaux du printemps, onaurait pu espérer quelques réflexions, desremises en cause. Mais ils n’en ont tiréaucune leçon ».

Manifestation contre la loi sur le travail,28 juin 2016 © Rachida EL Azzouzi

• Ceux qui sont en colère, maisregardent quand même

D’autres acteurs associatifs et syndicauxne semblent pas autant écœurés par le bilandu pouvoir socialiste. Et même s’ils sonttrès critiques, ils demeurent intéressés parles débats internes de la primaire ouvertedu PS. « D’après ce que j’entends, desmilitants sont allés voter à la primaire dedroite, et iront voter à celle du PS, ditLuc Bérille, ancien secrétaire du syndicatUnsa. Après, vous dire que ça déclenchedes passions terribles, non. »FrançoisHommeril, secrétaire national de la CFE-CGC, qui représente « les cadres et lestechniciens », constate autour de lui «une frange extrêmement importante de laclasse moyenne, plutôt impliquée, qui est

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désespérée de la question politique, dit-il. Mais sans pour autant abdiquer. Il y anéanmoins de l’intérêt ».

« La primaire du PS, c’est un sujet donton discute peu dans nos rangs militants.Lors de notre dernière réunion mensuelle,il en a été à peine question », racontela présidente de la Ligue des droits del’homme (LDH), Françoise Dumont, quireste « dubitative » d’avoir vu tous lescandidats approuver les assassinats cibléssans « aucune contestation ». Mais elleobserve tout de même que « les débatsont une certaine tenue, contrairement à ceque l’on aurait pu craindre, tout ne tournepas autour de l’islam, de la laïcité ou desracines chrétiennes de la France ». Et noteque « la question sociale reste centrale ».

Responsable de Médecins sans frontières(MSF), Michaël Neuman résume biencette ambivalence paradoxale qui agiteplusieurs de ces « sympathisants de gaucheau sens large ». Il se dit « peu inspiré »par les débats de la campagne, avec le «sentiment que la présidentielle va se jouerailleurs, entre Fillon, Le Pen, Mélenchonet Macron », il dit se poser « pour lapremière fois la question de voter » enavril prochain. Mais il espère aussi se« tromper ». Et « n’exclu[t] pas d’allervoter dimanche à la primaire du PS »,continuant « de penser que les partis ontun rôle à jouer dans l’émergence d’idéeset la représentation du pouvoir ». Mêmeintrospection douloureuse pour LucieWatrinet, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire et engagée dans la luttecontre les « paradis fiscaux et judiciaires».« Je constate autour de moi une relationun peu étrange vis-à-vis de la primaire.C’est une forme d’attirance-répulsion, dit-elle. On s’y intéresse beaucoup, mêmesi c’est un peu malgré nous. On a tousété déçus par ce quinquennat, on est trèscritiques face à la politique qui a étémenée. Mais on n’arrive pas à décrocher.Après chaque débat, on parle des positionsdes candidats, on en débat. Peut-êtreest-ce dû à notre travail, au fait quel’on rencontre certains candidats ou leurentourage, ou que l’on fait partie desgeeks qui peuvent suivre en direct les

débats à l’Assemblée nationale. » Si elleconvient qu'autour d'elle, un peu plus loinque son milieu professionnel direct, «très peu se déplaceront pour voter », ellehésite davantage. « Il y a six mois, j’étaistellement en colère que je n’aurais pas crupossible de m'intéresser à ce débat inter-PS. Je leur en veux, mais il reste un miniespoir. Je constate que je suis de près lesdébats, au-delà de ce qu’on me demandedans mon travail. C’est comme s’il y avaitune toute petite flamme, qui ne s’éteintpas. »

Membre des Économistes atterrés,l’universitaire Christophe Ramauxassume de « regarder les débats de laprimaire socialiste pour comprendre oùon est dans le débat ». Et lui aussi ne peut «que constater la différence entre la droiteet la gauche. On n’est pas dans la courseà l’échalote, dans le toujours moins. Il ya des idées qui émergent ». Même s’ilnote les faiblesses de chacun sur diverssujets, notamment « sur la constructioneuropéenne », l’économiste dit « faireattention à ne pas entretenir une certainedépolitisation. Ces débats participent à laformation politique des citoyens. Je ne suispas d’accord avec ce discours radical quidit que rien ne se passe, qu’il faut fairetable rase du passé. Les idées existent,progressent ».

Mohamed Mechmache, co-porte-parolede Pas sans nous, la coordinationassociative des quartiers populaires, estlui aussi plus attentif et investi dans lesuivi de cette campagne. « Les militantsdes quartiers sont très intéressés par lesdébats de fond, assure-t-il. Et comme pourla primaire de droite, on regarde deprès les programmes. » À l’issue de lacampagne du premier tour, il regrette «qu’aucun axe précis ne se dégage sur lesujet des quartiers populaires, qui n’a pasvraiment été à l’ordre du jour ». « C’estautant la responsabilité des journalistes,estime-t-il, mais ça s’est essentiellementrésumé à la radicalisation et à la laïcité,sauf lors du dernier débat. » Il a lacritique indulgente, mais acerbe : « On aentendu quelques bonnes idées, mais pasde politique générale. Rien sur la culture,

les violences policières ou le contrôle aufaciès. On aimerait enfin être associés auxdébats sur les questions de démocratie, cequi n’est jamais le cas. »• Aller voter ou pas ?

Secrétaire générale du syndicat enseignantet universitaire FSU, Bernadette Groisonnote « clairement moins d'engouementque pour la primaire de 2011. Tous lesmilitants en parlaient, beaucoup à cetteépoque sont allés voter. Et ça suscitaitun débat vraiment intéressant sur leschoix de société ». Selon elle, « cetteannée c'est plutôt le rapport de forceau sein de la gauche qui est discuté,avec Macron et Mélenchon. Les militantsregardent et suivent les débats, mais sontplus en “extérieur” qu'en 2011. Et moinsde militants disent ouvertement qu'ils vonty aller ».

À la CFDT, la primaire semble toutefoisintéresser davantage que dans d’autrescentrales syndicales. Un responsablerégional hésite à se prononcer sur le niveaude mobilisation. « À la machine à café,les militants s’interrogent. Beaucoup iront– ce n’est pas un scoop de dire qu’àla CFDT, nous avons une sensibilité decentre gauche proche du PS –, mais ilsiront voter sans enthousiasme. On est tousconscients que le parti est en ruines. Moi-même j’irai, mais à quelques jours duscrutin, je ne sais toujours pas pour quelcandidat voter ! » Un délégué syndicallorrain assure qu’« il y a des militantschez nous qui ont envie d’y aller, parceque c’est important de donner son avis ».Mais un ancien cadre qui a démissionné auprintemps dernier nuance cet optimisme :« C’est difficile de ne pas en parler parceque même si on zappe beaucoup, on suittous à la télé les débats de la primaire et ondébriefe ensuite au boulot. Mais souventen rigolant car on ne va pas se mentir,c’est devenu un sujet de moquerie. Perso,je n’irai pas et beaucoup de militantsautour de moi feront pareil. »

Figure du collectif Aggiornamentohistoire-géo, l’enseignante Laurence deCock n’ira pas non plus. « Les candidats seplacent dans des approches stratégiquesavec des petits arrangements entre amis,

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et la politique devient secondaire, regrette-t-elle. Ils se rallieront tous au vainqueuret par ce système, ils se donnent uneillusion de virginité politique. » Elledit suivre « quand même un peu lesdébats » et « s’affliger de ce qui nousattend». Mais elle juge « intéressant quedans ce moment les colères et la parolese libèrent, contraignant les candidatsd’examiner leur bilan et d’imaginerdes propositions ». L’universitaire etéconomiste atterré Benjamin Coriatpartage ces doutes, presque fasciné parl’entreprise de sélection présidentiellesocialiste. « J’ai suivi les débats de laprimaire, dit-il. Je me suis ennuyé, mais jevoulais voir ce qu’ils comprennent de leurdésastre et de ce qui se passe en France.Il y a un côté pathétique de voir le PS, quis’est autodétruit dans la dernière période,essayer de sauver les meubles. Ceux quiont vanté la déchéance de nationalité etfait la loi El Khomri, veulent maintenantgagner à gauche… »

Paris, 12 mai 2016, manifestation contre la loisur le travail et le 49-3 © Rachida El Azzouzi

Ancienne socialiste, l’une des fondatricesd’Anticor Séverine Tessier se fait plussévère encore : « Sur la corruption,c’est le silence total. On n’a jamaisautant ressenti la corruption et les liensd’influence, la concentration des intérêts.À l’heure où Macron incarne ce lien entrepolitique et milieux d’affaires, la gauchedevrait se battre pour imposer une “laïcitépolitique”, une séparation des intérêtspublics et privés lucratifs. Pourquoi cesujet n’est-il pas présent ? » Celle qui estaussi l’une des initiatrices des « conseilsd’urgence citoyenne », créés début 2016pour dénoncer l’état d’urgence, juge enoutre « très inquiétants » les silencesunanimes sur les libertés publiques. «On attendait des choses critiques sur ceterrain, comme l’ont fait des magistrats,

des journalistes, des avocats… soupire-t-elle. Ce parti a aussi abandonné ce combat– de gauche – pour les libertés. »

À l’inverse, Patrick Doutreligne (leprésident de l’Uniopss et ancienresponsable de la fondation Abbé Pierre)estime que si, « à défaut d’idées, ça tourneautour des candidats eux-mêmes, et quece n’est pas passionnant quand on sedit que tout ça pourrait déboucher surune quatrième ou cinquième place à laprésidentielle », la mobilisation pourraitêtre « paradoxalement assez importante »,car « les gens ne veulent pas avoir l’airde trop peu se mobiliser par rapport àla primaire de droite ». Et le fait que «personne ne se détache mobilise les gens». Matthieu Bonduelle, du Syndicat de lamagistrature, se demande si « au sein dusyndicat, cette critique du quinquennat vase traduire par une sanction à l’égardde Valls ou de l’indifférence ? ». Maisil semble sceptique : « Vouloir éliminermachin quand on ne croit pas non plusà l’autre, c’est quand même atteindre unassez haut niveau de sophistication. »LucBérille de l’Unsa s’interroge également : «En 2011, c’était un peu différent, il y avaitune énergie à battre Sarkozy. Là aussi ily a des gens à battre mais le contexte estdifférent, les chances de victoire des uns etdes autres sont plus faibles. Aujourd’hui,les gens sont clairement désenchantés eten même temps beaucoup continuent deregarder ce qui se passe politiquement.Et des gens, un peu revenus de tout, sousla pression de la primaire de droite, seréinvestissent sur la question. »

Pour Jean-François Corty, responsablede Médecins du monde (MDM), « lesprimaires, qu’elles soient de droiteou de gauche, représentent un moded’intervention intéressant dans la viepolitique. Elles apportent une dynamiquedans notre vie démocratique ». Et même si« des idées et des personnalités nouvelles» n’ont pas émergé, « la primaire du PS apermis, sur les questions migratoires, parexemple, de faire entendre des analysesraisonnables pouvant servir de base à dessolutions concrètes et réalistes », citantnotamment des propositions de Benoît

Hamon. Alors il ira voter dimanche, «parce que cette primaire est ouverte àtous, et parce [qu'il] pren[d] au sérieux lesdébats sans être dupe des candidats ».• Voter pour ou voter contre ? Hamon

attractif, Valls répulsif

À la CFDT, Arnaud Montebourg n’a pasla cote. « Aucun d’entre nous ne veutvoter pour lui en mémoire de sa gestiondu dossier Florange », dit un responsablerégional de la CFDT. Un ancien cadredémissionnaire dit pencher pour Hamon «qui me séduit sur les questions de travail,mais que fout-il encore au PS ? » Ilreste à ses yeux « le meilleur candidatqu’on puisse leur souhaiter, face à lagirouette Montebourg et au dangereuxValls ». Mais il ne votera pas, car «face à la machine Le Pen et à Fillon,s’alliera-t-il à Mélenchon ? Moi c’est ceque je veux savoir ». Un responsable dela fondation Abbé Pierre se dit aussi «attiré par Hamon, car il a le courage dedire que la croissance est un vœu pieux.Que cela ne marche pas. Les inégalitésse creusent, la pauvreté augmente : qu’uncandidat veuille changer de logiciel meparaît intéressant».

Françoise Dumont, présidente de laLDH, a elle aussi une préférence pourHamon. « Sur l’état d’urgence, lui seul adit clairement que cela suffisait. Il s’estaussi positionné en faveur du recoursaux “visas humanitaires” à l’égard desréfugiés, ce qui est une des priorités de laLDH pour accueillir les personnes fuyantla guerre. » Porte-parole de France natureenvironnement (FNE), Benoît Hartmannest lui aussi « agréablement surpris » parle député des Yvelines et de l’aile gauche.« Beaucoup d’écolos ont été surpris des’identifier à ce point à lui lors du premierdébat de la primaire. » À l’inverse, aucundes autres favoris ne trouve grâce auxyeux écolos. « Le dérapage de Peillonsur “le nucléaire écolo” nous fait bondir.Le discours de rupture de Valls ne passepas du tout. On l’a trop fréquenté, il estrude et ce n’est pas un homme d’écoute.On a tous été échaudés par Montebourget sa défense des gaz de schiste.» Du

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point de vue féministe de la présidented’OLF Marie Alibert, « personne ne s’estdistingué à nos yeux ».

L’économiste atterré Benjamin Coriatdresse un bilan plus détaillé d’unemême conclusion. « Valls est unnéolibéral assumé, mais honteux danscette campagne. J’espère qu’il ne trompepersonne, détaille Coriat. Montebourg etHamon ne me séduisent pas. L’un està la recherche du fordisme perdu avecune absence totale de vision novatrice,l’autre a raté les enjeux de la périodeen “achetant” avec le revenu universelles thèses sur la fin du travail. »Pour son collègue Christophe Ramaux,la primaire du PS a montré « encreux la reconnaissance de l’échec dece quinquennat ». « Même les deuxcandidats qui en portaient l’héritage(Valls et Peillon) ont pris leurs distances», démontre-t-il. À ses yeux, « Hamonavance des idées nouvelles », mais ilest aussi « très dubitatif » sur sa visiondu revenu universel. « On risque deconstruire une usine à gaz qui va fragiliserle modèle de protection sociale qui, quoiqu’on en dise, est déstabilisé mais toujourslà. C’est une idée qui peut mobiliser dansles salons parisiens, mais les pauvresn’y gagneront rien. Ils risquent mêmed’y perdre. » Quant à Montebourg, «son contrat d’activité est la reprise d’unevieille idée keynésienne déjà discutéedans les années 30, mais qui risque decannibaliser les bons emplois privés etpublics », dit-il.

Hamon, Montebourg, Peillon et Valls. © Reuters

Pour le secrétaire général de l’UNSAChristian Chevalier, « aucun candidatde la primaire de gauche ne provoqueun enthousiasme délirant dans l’éducationnationale ». « Vincent Peillon ne recueillepas l’engouement à cause de sa réformedes rythmes scolaires », et « Manuel Valls

n’est pas très populaire, notamment pourla loi sur le travail ». Mais au bout ducompte, selon lui, « tous les programmesen matière d’éducation se placent dansla continuité des réformes déjà engagées,avec plus de moyens, plus de mixité socialeet une priorité au primaire, dans unedroite logique progressiste pédagogique». Et de pronostiquer que « tout ne vapas se jouer sur le programme mais surla personnalité du futur candidat ». SelonPatrick Doutreligne, si Hamon a la coteauprès des militants associatifs du secteurmédico-social (« car c’est celui qui paraîtle plus à gauche et qu’on imagine avoir leplus d’écoute sur les questions de santé etde pauvreté »), il confie que Manuel Vallsest tout aussi regardé. « On ne comprendpas, car le candidat ne dit pas la mêmechose que le premier ministre, dont on nepeut pas dire qu’il ait été très “social”.Mais il incarne une stature, une formed’autorité. Ça plaît à certains… »

De tous nos échanges avec ces“sympathisants de gauche”, il est le seulà avoir cité favorablement le nom del’ancien premier ministre.

Éric Beynel, porte-parole de Solidaires,évoque ainsi celles de ses connaissancesqui « se déplaceront pour virer Valls,mais pas avec le même engouement quepour la primaire de droite, où il fallaitbattre Sarkozy, puis Fillon ».MohamedMechmache de Pas sans nous parle mêmed’une mobilisation qui pourrait être plusimportante qu’on l’imagine. « Depuis troismois, il n’y a pas une réunion ou unediscussion où le sujet n’est pas abordé,dit-il. Il n’y a pas pour autant d’adhésionenvers des candidats particuliers, maissurtout la volonté de ne plus avoiraffaire avec ceux qui nous bassinent avecl’instrumentalisation de la laïcité et lastigmatisation de l’islam. » Il insiste :« Je suis vraiment étonné de voir pleinde jeunes dire leur écœurement du PS,mais vouloir avant tout “ne plus entendreValls”. Il symbolise la déchéance denationalité, la Marianne qui ne porte pasle voile ou son interdiction à l’université.J’en ai même entendu plusieurs dire s’êtreinscrits sur les listes “pour virer Valls”. »

• La présidentielle est-elle encore unmoment important?

Également conseiller régional d’Île-de-France (élu d’ouverture EELV),Mohamed Mechmache dit avoir déjà «rencontré Montebourg et Jadot », tandisque « les entourages de Hamon et Macronnous ont approchés pour qu’on se voieaprès la primaire ». Il entend bien utiliserla campagne pour interpeller les candidatssur leur idée de « fonds citoyenneté »et publier un manifeste. D’autres vontfaire de même, dans leur “secteur”. Parexemple OLF, qui lance une campagne“Osez l’égalité”. Plusieurs des personnesinterrogées ne cachent pas accepter dediscuter avec l’ensemble des candidats,notamment dans les centrales syndicales (àl’exception du FN). Mais les déceptions etles lassitudes évoquées tout au long de cetarticle laissent transparaître un décrochagecroissant de l’intérêt vis-à-vis de la sphèrepolitique nationale.

« Pour la première fois de son histoire,Greenpeace a décidé de ne pas interpellerles candidats, dit ainsi Jean-FrançoisJulliard. Ça prend trop de tempspour un résultat souvent très décevant.On est devenus très sceptique sur lesengagements de campagne… »LucieWatrinet, du CCFD, raconte de son côtécombien « ces cinq ans ont fait beaucoupde mal » : « Pas mal d’interrogations surle sens même du vote ont émergé. » PourMichaël Neuman, de MSF, « dans monmilieu associatif, beaucoup s’intéressentmoins aux structures qu’aux levierssur lesquels agir. Et le cadre nationala inspiré de nombreuses déceptions,par exemple sur l’accueil des réfugiés.Certains préfèrent désormais consacrerleur énergie à trouver des solutionspragmatiques à l’échelon local, auxcôtés des maires notamment, plutôt qued’espérer quoi que ce soit de l’État ».

Le constat est le même chez les militantsdes libertés numériques, ou selon unmembre de la Quadrature du Net tentantde synthétiser l’état des discussions sur2017 dans le milieu : « Le refus deprendre part au vote est massif, et pasque pour les primaires.» Et d’expliquer :

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« Aucune idée du candidat pour lequelvoter, chacun d'entre eux ayant unboulet au pied et/ou des casseroles àtraîner… Comment voter pour ceux quiont voté pour la loi Renseignement, ouont fait parti d’un gouvernement del'État d'urgence généralisé ? » MêmeMohamed Mechmache, malgré sa bonnevolonté de jouer le jeu des institutions,trouve « le paysage politique désolant » et« la gauche pas à la hauteur de ce qu’elledevrait être ». Et s’il se dit « persuadéque ça va bouger », c’est en évoquantles rapprochements avec « d’autresassociations, spécialisées dans d’autressecteurs, qui elles nous considèrent àvaleur égale et non comme des supplétifs». L’une de cette grosse trentaine decitoyens engagés finit toutefois par trouverdans le marasme actuel une touched’optimisme : « Finalement, pour nousce n’est pas si mal. D’habitude, on estplutôt marginalisés lors des campagnesprésidentielles. Là, on reste audibles, desrapprochements se font, des discussionsse mènent en dehors des partis, maisen profitant de l’intensité politique dumoment. »

Boite noireJade Lindgaard, Chrystelle, FaïzaZerouala, Carine Fouteau, MathildeGoanec, Rachida El Azzouzi, MathildeMathieu, Martine Orange, Louise Fessard,Michel Deléan, Dan Israel et MichaëlHajdenberg ont participé à cet article.

A Florange, Mélenchonexplique sa «nouvellecivilisation»PAR CHRISTOPHE GUEUGNEAU

LE VENDREDI 20 JANVIER 2017

Jean-Luc Mélenchon jeudi à Florange

Le candidat de la France insoumise tenaitmeeting jeudi soir dans la ville symbolede la « trahison » de François Hollande.Il a centré son discours sur l'éducationet surtout l'enseignement professionnel,seul à même selon lui de produire « lamasse qualifiée » dont on aura besoindemain pour sa révolution citoyenne etécologique.

Florange, de notre envoyé spécial. -Jean-Luc Mélenchon, le candidat de laFrance insoumise pour la présidentielle,s’est rendu jeudi 19 janvier à Florange,en Moselle. Plus de 1 000 personnes,selon les organisateurs, se sont présentéesau meeting : la salle de la médiathèqueLa Passerelle (400 places) était pleine,de même que le hall d’entrée, et descentaines de personnes ont dû suivre lemeeting dehors, par – 2 degrés (« – 15degrés ressentis », a précisé Mélenchon audébut d'un discours qu'il a pour l'occasioncommencé dehors).

Dès 18 heures, une heure et demie avant ledébut du meeting, des dizaines de personnes

font déjà la queue à Florange © CG

Dans cette ville symbole des promessestrahies de François Hollande, le candidatavait rencontré dans l’après-midi desreprésentants syndicaux d’ArcelorMittal,de la CGT et de la CFDT – Sud enrevanche n’était pas présent alors qu’ilétait annoncé, FO avait décliné. À la sortiede cette rencontre à huis clos, Serge Fuss,de la CFDT, s’est montré combatif mais

circonspect : « Jean-Luc Mélenchon nenous a rien promis. Il y a eu un débat, unediscussion sur nos problématiques. Il nousa dit : “Je vous aiderai si je peux vousaider et j’en parlerai partout où je peux enparler.” »

Il faut rappeler que les syndicalistes sontéchaudés par les politiques, depuis lespromesses trahies par le gouvernementactuel à l’hiver 2012-2013. Alors que lecandidat François Hollande s’était engagéà sauver le site, le président fraîchementélu est entré en négociation avec Mittalpour une reprise du site mais avecfermeture des hauts fourneaux, tandisqu’il désavouait Arnaud Montebourg, quiplaidait pour une nationalisation du site.« On est toujours atterrés des politiquesqui font du Florange-bashing, a ajoutéSerge Fuss, on en a marre d’entendre qu’iln’y a aucun avenir à Florange. »

Lionel Burriello, ancien salariéd’ArcelorMittal, toujours CGT et candidatde la France insoumise aux législatives,était également à la réunion. Il met toutde même en garde Jean-Luc Mélenchon :« Nous espérons que si Jean-LucMélenchon est président demain, nousn’aurons pas le même coup de Trafalgar.» Il n’empêche, Burriello soutient à fondla France insoumise et son candidat àl’Élysée, parce que « la lutte des classesexiste toujours ».

« Venir à Florange c’est toujours remettreses pas dans une sorte de douleurintérieure que tous les Français ont »,lui a indirectement répondu le candidatde la France insoumise au début de sonmeeting, qui s'est terminé par une lecture,par le candidat, du texte de BernardLavilliers, Les Mains d'or. « J’ai lecœur qui se serre quand je pense qu’ilaurait fallu un milliard pour nationaliserFlorange et qu’Hollande en a donné 40aux patrons », a-t-il ajouté. Lui, a-t-ilexpliqué, est candidat pour « changer lamatrice productive de notre pays ». Duranttout son discours, Mélenchon n'a pas eu unmot pour la primaire du PS dont le premiertour a lieu dimanche.

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Pour ce meeting en pays ouvrier, lecandidat a préféré ciseler son discoursautour d’une idée force : le développementde l’apprentissage et la formationprofessionnelle. En Moselle, le tauxde chômage n’est pas redescendu sousles 10 % depuis le troisième trimestre2012. En tant qu'ancien ministre déléguéde l'enseignement professionnel de LionelJospin, Mélenchon a pu faire valoir qu'ilmaîtrisait son sujet. Cible de tous sesmeetings, François Fillon, le candidatLes Républicains, en a de nouveau prispour son grade. Et particulièrement saproposition de passer de 400 000 à unmillion d’apprentis. « Absurde », a jugéMélenchon, pour qui penser que « cetteseule idée est la bonne est un réflexe declasse ». « Je ne sais pas pourquoi cesgens se croient malins de se précipiter surles gosses des autres. Parce que c’est pasleurs gosses qui vont en apprentissage »,a-t-il ajouté.

Au contraire, le candidat de la Franceinsoumise s’est échiné pendant une grossepartie de son discours de près de deuxheures à redonner son titre de noblesseà l’apprentissage et plus largement àl'enseignement professionnel. Notammenten proposant ce qu’il appelle la « filièrepolytechnique », qui irait du CAP àPolytechnique proprement dite. « Je sais,les marches ne sont pas toutes à la mêmehauteur », a-t-il précisé.

« L’intelligence vient toujoursdu cerveau »Jean-Luc Mélenchon a également évoquél’investiture de Donald Trump, le nouveauprésident des États-Unis, qui a lieuvendredi 20 janvier. Pour lui, Trumpa « rendu le monde encore plusdangereux », ce qui appelle la France àse « rendre encore plus pacifique », etdonc à sortir de l’Otan. Selon Mélenchon,les États-Unis, « puissance déclinante »,sont tiraillés entre ceux qui voudraienttoujours faire de la Russie un ennemi,comme au temps de la guerre froide, etceux qui ont compris que l’Europe, groupede pays concurrent, et la Chine, premièrepuissance économique, représentaient lesnouveaux ennemis.

« Trump est en train de nous chercherpouille (sic), la bêtise de notre partserait de ne pas le comprendre. Nousdevons donc sans cesse travailler à notreindépendance. » Cette indépendance passepour Mélenchon par un retrait de l’Otan,une renégociation des traités européens etde nouveaux partenariats avec la Russie etl’Allemagne.

Jean-Luc Mélenchon pendantson meeting à Florange © CG

Mais c’est bien l’apprentissage qui aoccupé la majeure partie du discours ducandidat. Dont le raisonnement a couru dudébut à la fin, lui permettant de balayer lesgrands thèmes de son programme.

Fort de sa réunion un peu plus tôt avecles syndicalistes, Jean-Luc Mélenchona commencé par parler industrie. Ilfaut « relocaliser tout ce que l’on peutrelocaliser », a-t-il lancé, explicitantensuite sa vision du protectionnisme,un protectionnisme de « responsabilitéécologique, parce que nous savonsfaire un acier dans des conditionsécologiques », qu’il oppose à un « libre-échangisme » qui serait une « primedonnée aux plus violents socialement, àceux qui traitent le plus durement leurssalariés ». Une prime également à ceuxqui détruisent la nature. « L’acier qui nousarrive ici (en France – ndlr) est couvert desang et de maltraitance de la nature », a-t-il tonné. « Pour que ça coûte moins cher,il faut détruire des hommes, détruire lanature. Et le prix du malheur n’est jamaischiffré. Et moi, on me demande sans arrêtcomment je paie ceci, comment je paiecela… », s’est encore exclamé le candidat.

À propos du climat, Jean-Luc Mélenchonest revenu sur les risques de pénuried’électricité provoqués par la vague defroid. Il a de nouveau défendu la création

d’un pôle public de l’énergie et réaffirméqu’il reviendrait sur la privatisation desbarrages hydroélectriques. « Il faut qu’onarrive à 100 % d’énergie renouvelable.On peut le faire. À condition d’avoir lesaciers pour produire les machines ! », a-t-il lancé à un public ravi. « Il faudra desmachines, donc il faudra investir. Autantd’argent qui n’ira pas dans les poches deceux qui touchent des dividendes », a-t-ilajouté.

Sur le sujet de l’énergie il s’en estpar ailleurs pris aux privatisations etaux ventes des « fleurons de l’industriefrançaise ». Et de s’interroger : « Commenten est-on arrivé à vendre Alstom àGeneral Electric ? », « pourquoi EDFinvestit dans une centrale nucléaire horsde prix en Grande-Bretagne à HinkleyPoint ? ».« Macron nous dit “on gardel’expertise”, Macron c’est aussi lui quia vendu Alstom, c’est un commerçant, cemonsieur Macron. » Huées dans le public.

Ce pôle de l’énergie et la transitionécologique qui figurent au programmenécessitent des centaines de milliersd’emplois, des centaines de milliers depersonnes qu’il faudra donc former.D’où l’accent mis jeudi soir surl’apprentissage et sa proposition d’unefilière polytechnique, pour produire « lamasse dont on a besoin, qualifiée ». Ill’avait déjà dit précédemment, notammentà Bordeaux fin novembre, il l’a reditjeudi soir : il déteste l’expression« intelligence de la main ». « L’intelligencevient toujours du cerveau », a-t-ilexpliqué. « Et les études de médecine,celles d’avocat, ce n’est pas del’enseignement professionnel ? On yapprend bien un métier non ? »

Pour Mélenchon, s’il y a une « chosesocialement marquée », c’estbien « l’ambition » : « On ne l’apprendpas partout, ce n’est pas évident. » Ilfaut donc « en finir avec la culture durésigné qui pense qu’on ne peut pas faireautrement », a-t-il dit, expliquant quela « révolution citoyenne » qu’il proposedevait donc d’abord avoir « un contenuculturel ». « Je voudrais, si je suis élu, queles gens se disent : “celui-là, il comprend

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ce qu’on est” », a-t-il enfin lancé àl'assistance. Au vu des applaudissementsnourris, Jean-Luc Mélenchon a réussi sonpari, au moins dans cette salle de Florange.

Les mots des politiques:1350 discours disséquésPAR MARINE TURCHILE LUNDI 23 JANVIER 2017

La chercheuse Cécile Alduy a décryptéà l'aide d'un logiciel 1 350 discoursde présidentiables, de François Fillon àMarine Le Pen en passant par Jean-Luc Mélenchon. Dans ce livre-enquêtesémantique, en librairie le 19 janvier, elleanalyse la parole des politiques, son sens,mais aussi sa réception.

Derrière l'écume des petites phrasesreprises par les journalistes, quel est le sensdes mots des politiques ? Pour la premièrefois, une analyse scientifique décode,avant l'élection, les « logiques profondesdes présidentiables » :François Fillon,

Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon –comparés à François Hollande, AlainJuppé, Nicolas Sarkozy.

« Liberté, « laïcité », « sécurité »,« peuple », « identité », « égalité »,« ordre », « changement » : derrièreces mots clivants ou passe-partout, quelsens les hommes et femmes politiquesleur donnent-ils ? Les candidats parlent-ils de la même manière et disent-ils lamême chose ? Professeure de littératureà l'université Stanford et chercheuseassociée au Cevipof à Sciences-Po, CécileAlduy a décrypté pas moins de 1 350discours – deux millions et demi de mots–, écrits ou prononcés entre 2014 et 2016(lire notre Boîte noire). Elle a analysé, àl'aide d'un logiciel, la parole des politiques,son sens mais aussi sa réception. L'objectifest de distinguer l'écume de la vague, etde cerner la « vision du monde », « dela société » cachée derrière les mots descandidats.

Un travail particulièrement crucial dansun contexte de profonde transformationdu champ politique, entre « désaffectionvertigineuse pour la classe politique etles partis traditionnels », « confirmationd'une tripolitisation de l'espace politiqueen trois blocs – Front national, droiteclassique, gauche », « modes desélection des candidats inédits (primaires,candidatures spontanées hors parti) »,et« victoires de candidats ou mouvements

“populistes”, ou anti-mondialisation enEurope (Brexit) et aux États-Unis (DonaldTrump », énumère la chercheuse.

Le résultat est un ouvrage inédit etméthodique, à paraître le 19 janvier: Cequ’ils disent vraiment. Les politiques prisaux mots.Nous en publions en avant-première deux extraits : l'un consacré àFrançois Fillon et au thème de « l'identité», l'autre à Marine Le Pen et au «féminisme ».• Ce qu’ils disent vraiment. Les

politiques pris aux mots, CécileAlduy, Seuil, 2017, 21€.

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François Fillon, un identitaire calme

Nicolas Sarkozy s’était emparé lors dela campagne de l’élection présidentiellede 2007 du thème de l’« identité »,dans une stratégie, inspirée par l’ancienrédacteur du journal d’extrême droiteMinute Patrick Buisson, de cooptationde l’électorat frontiste. Son retour dansl’arène politique à partir d’août 2014,puis la campagne de la primaire de ladroite et du centre, ont donné lieu à unconflit ouvert au sein de la droite entrepartisans d’une ligne culturo-identitaireforte, à la Sarkozy […] et la ligne modéréeportée par Alain Juppé avec son conceptoriginal d’« identité heureuse », un idéal desociété du « vivre-ensemble » qui espèredésarmer les antagonismes et concilier lesdifférences, dans le cadre réaffirmé d’unelaïcité à la Française et d’une politiqued’immigration rigoriste. […] De quel côtéde la balance se situe le candidat du partiLes Républicains, François Fillon ?

Ce dernier a réussi à faire profil bassur cette question pendant la campagnede la primaire en raison de sa positiond’outsider. En apparence discret surla question, il évite l’écueil de lasurmédiatisation de la seule question

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identitaire et culturelle où est tombéNicolas Sarkozy (polémique sur le « nosancêtres sont les Gaulois »), sans s’attirerles reproches d’angélisme, voire de« complaisance » qu’a dû essuyer AlainJuppé.

En fait, François Fillon est un identitairecalme : il a exactement les mêmespositions que Nicolas Sarkozy surl’assimilation, sur la politique migratoire,sur l’école comme creuset du patriotisme,sur le refus de la « repentance »[1], surles « racines chrétiennes de la France » etl’idée que l’islam a « un problème »[2]avec la République, etc., mais il n’enfait ni une obsession, ni une priorité,ni un prétexte à petites phrases pourcréer du « buzz » médiatique. Alors queNicolas Sarkozy parvenait à parler deuxfois plus d’identité que Marine Le Pen(voir tableau), François Fillon traite dusujet avec modération, tant du point de vuequantitatif (il en parle dans des proportionssimilaires à celles d’Alain Juppé), quequalitatif, en privilégiant un ton sobre etpragmatique.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

« Fillon banalise la questionidentitaire »

François Fillon. © Reuters

Sans la minimiser, François Fillon tendà remettre en perspective la questionidentitaire pour la subsumer sous d’autresproblématiques : « Cette questionde l’identité nationale, pour essentiellequ’elle soit, ne doit pas masquer lesquestions qui minent les Français : lechômage, la désindustrialisation du pays,la désolation des agriculteurs, la précaritéqui gagne les classes moyennes, la détressedes quartiers bousillés par la drogue etl’insécurité… »

Le prisme économique l’emporte sur lepolitique et le culturel. Inquiétudes etfractures identitaires ont pour cause etpour remède la situation économique de laFrance dans la mondialisation : « J’estimeque l’identité française se confond avecla bataille pour la souveraineté nationale.Nous doutons de notre identité parce que laFrance se dissout dans la mondialisation.La reconquête de la souveraineté passepar une remobilisation de notre modèleproductif face à la force asiatique, ellepasse par le pouvoir donné à nosentreprises et nos salariés de gagner lacompétition internationale, elle passe parla restauration d’un capitalisme françaisqui investit en France. »

Surtout, pour François Fillon, l’« identité »est, en apparence, un non-sujet parcequ’elle relève de l’évidence : « Danscette campagne, j’entends beaucoupparler d’identité nationale. Certainsdisent qu’elle est malheureuse, d’autrequ’elle devrait être heureuse… Rien nem’est plus cher que la France, maispersonnellement je n’ai aucun doute surmon identité : je suis français, avecdes racines sarthoises, vendéennes etbasques[3]. » Son discours est émailléde cette affirmation tautologique, « jesuis français », qui doit servir tout à lafois de rappel d’une évidence, de signede ralliement, et d’affirmation de fiertépatriotique.

La formule est habile : en utilisantla première personne du singulier,François Fillon personnalise, humanisemais aussi banalise la question identitaire.À la question politique et collective del’identité – qui sommes-nous ? –, ilsubstitue une question individuelle – quisuis-je ? – dont la réponse coule de source.Il fait mine ainsi de dépolitiser la notionen la traitant comme une donnée factuelle,et non comme relevant d’une questionpolitique. Il transforme ainsi l’identitéen un fait de naissance figée dans letemps, qui relèverait du bon sens et dela connaissance de soi, et non du tumultené de la coexistence entre populations

d’origines variées ou de l’ambivalencedes identités plurielles. L’identité n’est ni« heureuse » ni « malheureuse », elle est.

Constellation lexicale du mot « identité » chezFrançois Fillon. © Réalisation Donatien Huet

Cette vision dépolitisée renvoie cependantl’Autre à son identité troublée ouincertaine. L’évidence de l’affirmation « jesuis français » ne vaut, justement, quepour ces Français qui, comme FrançoisFillon, peuvent citer leurs racines enterre métropolitaine (« je suis français,avec des racines sarthoises, vendéenneset basques »). Dans son dernier discoursavant le premier tour des primaires,le 18 novembre 2016, au palais desCongrès, François Fillon déroule unegénéalogie collective qui a toutes leschances d’exclure les nouveaux arrivants :« Nous sommes les héritiers d’une histoireimmense, et chacun sait ici qu’il fallutbien des héros et des bâtisseurs pour nousdonner le privilège de dire cette phrasebelle et simple : “je suis français”. »

Et d’insister pour mettre en avantnon la République seule commeaboutissement de cette histoire quipourrait accueillir en vertu de sonuniversalité tout nouveau venu, mais « LaRépublique française[4]» : « Ces derniersmois, on parle beaucoup de la République.C’est abstrait. Moi, je dis la “Républiquefrançaise”. » Vient alors l’injonction àl’assimilation : « Dans la Républiquefrançaise, les derniers arrivants ont desdevoirs avant de réclamer tous les droits.Il faut réduire l’immigration à son strictminimum, en l’organisant par quotas, enfonction de nos besoins économiques etde nos capacités d’intégration. Il fautconditionner les aides sociales à unecertaine durée en France ; il faut préciserà ceux que nous avons choisi d’accueillir

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ce que nous exigeons d’eux : un travail, lavolonté de s’approprier notre langue, noscoutumes et nos règles communes[5]. »

Au mieux, François Fillon offre commeespoir à ces immigrés et Français venusd’ailleurs le mystère de la « foi » : « Iln’est pas nécessaire de descendre desGaulois pour aimer la France : être françaisn’est pas un privilège de l’hérédité. Êtrefrançais est un acte de foi. » Dansses moments les plus francs cependant,il prône une théorie assimilationnisterigoriste de l’immigration et ne mâche passes mots pour faire une critique acerbede toute prise en compte de la culturedes populations dernièrement arrivées :« Les lois de l’hospitalité n’exigent pasque l’on démonte les sapins de Noëlsimplement parce que l’on présume queles musulmans seraient – peut-être –susceptibles de les percevoir commeune insoutenable agression. » D’où unepolitique migratoire qui n’a rien à envierà celle du Front national, ni dans lestermes utilisés, ni dans les mesuresproposées : « La question migratoiretouche à l’essence de notre identitéfrançaise. Je veux une immigration réduiteau strict minimum[6]. »

[1]. Il juge notamment positive lacolonisation : dans un discours du 28 août2016, il affirme : « Non, la France n’estpas coupable d’avoir voulu faire partagersa culture aux peuples d’Afrique. »

[2]. « En France, il n’y a pas de problèmeavec la plupart des communautésreligieuses mais un problème avec l’islamet sa radicalisation » ; « Il y a un problèmeavec une partie des musulmans. Cettereligion est récente sur notre territoire etn’a pas fait son Vatican II, la frontière duspirituel et du temporel restant floue »,François Fillon, entretien dans Famillechrétienne, 8 juin 2016.

[3]. Discours au Cirque d’hiver, 21septembre 2016.

[4]. Discours, 18 novembre 2016.

[5]. Ibid.

[6]. François Fillon, Faire, op. cit.

Le « féminisme » stratégique deMarine Le PenAlors qu’elle avait pris ses adversairesau dépourvu lors de la campagneprésidentielle de 2012 en faisant de lalaïcité son cheval de bataille, MarineLe Pen s’est depuis emparée de la causedes femmes dans une stratégie similairede cooptation des mots-valeurs du campadversaire. La défense des droits desfemmes est historiquement un combat degauche, mais c’est à présent Marine Le Penqui parle le plus des « femmes », dela « femme » et de leurs droits (voirtableau). Seule candidate au milieu d’unaréopage masculin, elle ne rechigne plusà revendiquer son propre statut de femmeet de mère pour se parer d’une légitimitésupplémentaire[1].

Elle évoque les « droits desfemmes » (7 fois, plus que FrançoisHollande, qui ne les cite que 3 fois),l’« égalité homme / femme » ou desformules proches[2], la mixité, allègueSimone de Beauvoir et Élisabeth Badinteret a transformé en 2015 le traditionneléloge de Jeanne d’Arc, patronne duFront national, en un vibrant hommageaux femmes qui ont fait l’Histoirede France, de sainte Geneviève, saintepatronne de Paris, à Christine de Pizan,Marie de France, Olympe de Gouges,Camille Claudel et Marie Curie – unpalmarès digne d’un cours de FeministStudies outre-Atlantique. Une posture quine peut manquer de rassurer un électoratféminin qui a longtemps été réticent àvoter Front national[3].

Tableau comparatif des fréquences de « femme » et «femmes » (rang de fréquence et fréquence relative en ‰).

Comme pour la défense de la laïcité[4],on peut parler ici d’instrumentalisationciblée d’une cause légitime : de mêmequ’en s’emparant de cette première valeurrépublicaine, historiquement étrangère àson parti, elle a opportunément accaparéun terrain abandonné par la gauche,de même elle exploite le malaise

et la division d’une gauche écarteléeentre héritage féministe et défense desminorités pour investir la question dudroit des femmes et en faire un argumentirréprochable au service de son combatcontre l’immigration. Le féminismeversion frontiste est en effet quasiexclusivement une arme rhétorique contrel’immigration et l’islam, deux termesd’ailleurs interchangeables dans sondiscours[5].

Ainsi d’une tribune publiéedans L’Opinion immédiatement aprèsles centaines d’agressions sexuellescommises la nuit de la Saint-Sylvestredans la ville allemande de Cologne. Letitre de cette tribune ? « Un référendumpour sortir de la crise migratoire ». MarineLe Pen fait immédiatement le lien, danssa bouche inéluctable, voire proprement decause à effet, entre crise des réfugiés etviols.

Dès la deuxième phrase, elle accuse :« C’est comme femme française libre, quia pu jouir toute sa vie durant des libertéstrès chères, acquises de haute lutte par nosmères et nos grands-mères, que je tiensà alerter sur une nouvelle forme de larégression sociale, humaine et morale quenous impose la crise migratoire[6]. »Et plus loin : « J’ai peur que la crisemigratoire signe le début de la fin desdroits des femmes. » Il s’agit de cibler lanature fondamentalement rétrograde à sesyeux de l’islam, de noter les « frustrationssexuelles » des migrants, et de poserl’incompatibilité entre leur venue et les« fondements même de la civilisationfrançaise : la sécurité de tous, et les droitsdes femmes ».

Marine Le Pen le 18 septembre 2016, lorsde ses « Estivales », à Fréjus. © Reuters

Ce féminisme stratégique entre doncpleinement dans l’argumentaire de la« France apaisée » qu’elle a mis en

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avant à partir de janvier 2016, avectoutes les ambiguïtés et les non-dits dece slogan : « La France apaisée seracelle où les femmes pourront à nouveauvivre, s’exprimer et avancer dans la vieen toute quiétude[7]. » Ce féminismede combat laisse cependant de côté la« parité », l’égalité des carrières et dessalaires, les droits reproductifs (MarineLe Pen condamne les « avortements deconfort » et s’oppose à la réécriture de laloi Veil de janvier 2014, qui supprime lanotion de « situation de détresse »).

La présidente du Front national se gaussede la « grotesque théorie du genre »,de « l’égalitarisme des sexes », de la« parité »[8]. Certes, elle attire l’attentionsur la précarité des femmes et critique à cetitre la loi El Khomri[9], un regard genrésur le marché du travail inattendu de lapart de celle qui moque la « théorie desgenres » : « Dans la France apaisée àlaquelle j’aspire, la femme n’est pas unevariable d’ajustement à disposition despuissances d’argent. » Mais au nom durefus de tout « communautarisme » (dontle féminisme serait une variante selon lui),le Front national se justifie de ne proposeraucune mesure catégorielle pour remédierà la situation spécifique des femmes autravail.

Bien qu’elle invoque chaque fois « lessiècles de combats menés énergiquementpar nos mères et nos grand-mères »,Marine Le Pen a en fait uneconception essentialisée et figée desdroits des femmes, qu’elle assimile àdes acquis définitifs qu’elle prise entant qu’exemplaires d’un mode de vieproprement français, d’une grandeur dela « civilisation française » : « l’égalitéhomme/femme […] constitue un pointcardinal de notre culture, de notrecivilisation française ».

Sans même parler du fait que leprogramme du Front national entenddétricoter certains de ces droitstant vantés[10] (droit à l’avortement,notamment), elle prend pour un acquisce qui est encore une lutte :« La femme française est libre, elleest l’égale de l’homme[11]. » Cette

mystification[12] essentialise « La Femmefrançaise », figée dans un présent de véritégénérale qui construit dans le discoursune égalité en réalité évanescente. Cenouveau mythe oblitère les inégalités entrehommes et femmes encore présentes dansla société française : inégalités de revenus,d’accès à l’emploi et aux responsabilités,de carrières, de charges parentales,de traitement médiatique, d’orientationscolaire, les taux d’agressions, deharcèlement, l’objectification sexuelle,etc. : la liste est longue des chantiersencore en cours pour améliorer lacondition féminine, et elle est totalementabsente du discours mariniste. Leféminisme de Marine Le Pen est ainsisubsumé par un nationalisme xénophobe.Tout éloge des femmes en tant que femmesse fait parce que femmes françaises.

[1]. « C’est la responsable politique, maisaussi la femme, qui prend aujourd’huila plume pour s’adresser aux Français »,tribune sur les agressions sexuelles deCologne dans L’Opinion,13 janvier 2016.Sur son blog Carnets d’espérance elle seprésente uniquement comme « une femmelibre, une mère, une Française », et noncomme présidente du Front national.

[2]. Une formule absente des textes deFrançois Hollande et de Nicolas Sarkozy,qui utilisent « l’égalité entre les hommeset les femmes » (respectivement 7, 3 et2 fois). François Fillon l’emploie 4 fois,Alain Juppé 3 fois, Marine Le Pen 3, sur uncorpus beaucoup plus restreint. Jean-LucMélenchon n’emploie ni l’une ni l’autreexpression.

[3]. L’écart de propension au voteFront national selon le sexe est biendocumenté, et cette réticence du voteféminin envers l’extrême droite s’étend àd’autres partis européens. Marine Le Penest parvenue à fortement réduire cetécart depuis son ascension à la têtedu parti. Voir Terri E. Givens, « TheRadical Right Gender Gap », ComparativePolitical Studies,vol. 37, n° 1, 2004,p. 30-54 ; Nonna Mayer, « The Closingof the Radical Right Gender Gap inFrance ? », French Politics,vol. 13, n° 4,2015, p. 391-414.

[4]. Voir l’analyse détaillée de lacooptation sémantique de la laïcitédans Cécile Alduy et StéphaneWahnich, Marine Le Pen prise auxmots, op. cit., p. 51 et 94-95.

[5]. « Immigration » supposant toujoursdans le discours mariniste des populationsmusulmanes, on peut dire que sonparti a re-sémantisé ce terme pourle faire coïncider avec l’imaginaire del’islamisation de la France.

[6]. L’Opinion,13 janvier 2016 [notreitalique].

[7]. Discours du 1er mai 2016.

[8]. « Nul besoin de grotesque théoriedu genre pour se couper les cheveux etrevêtir l’habit viril. Elle n’avait pas attendul’égalitarisme des sexes pour monter àcheval et manier l’épée. Elle n’avaitpas espéré la parité pour commanderaux hommes et prendre la directiond’une armée. Elle n’avait pas attendu lalibération de la femme pour donner sa vieà la libération de la France », Discours du

1er mai 2015.

[9]. Blog Carnets d’espérance, « Hollandeféministe », 4 mars 2016,

[10]. Voir Sylvain Crépon, « La politiquedes mœurs au Front national », in SylvainCrépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer(dir.), Les Faux-Semblants du Frontnational, op. cit., p. 185-205.

[11]. Marine Le Pen, 8 mars 2016 . Etaussi : « La civilisation française sublimela femme, elle la met sur un pied d’égalitéavec l’homme, et non quarante niveauxen dessous de lui, voilée de la tête aux

pieds ! », Discours du 1er mai 2016.

[12]. Au sens de Roland Barthes dansses Mythologies (1956) : le propre dumythe est de « transformer l’Histoireen Nature », de transfigurer des réalitéshistoriques en construction en archétypesatemporels : « La Femme française », « LeMigrant », etc. « En passant de l’histoireà la nature, le mythe fait une économie :il abolit la complexité des actes humains,leur donne la simplicité des essences ; leschoses ont l’air de signifier toutes seules. »

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Ici c’est la complexité des signes culturels,vestimentaires, religieux qui est abolie auprofit d’une assignation unique.

Boite noireCécile Alduy collabore aussi à notremodule « L'œil des chercheurs», sur la campagne 2017. Elle apublié en 2015 un premier décryptagedu discours frontiste, avec StéphaneWahnich : Marine Le Pen prise auxmots (Seuil, 2015).

Notre soirée spéciale auThéâtre du Rond-Point:Sonnons l'alarme!PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPARTLE MARDI 24 JANVIER 2017

Retrouvez toutes les interventions de notregrande réunion publique au Théâtre duRond-Point. Face aux guerres, aux misesen cause de nos libertés, au durcissementdes régimes autoritaires, à la montée desdroites extrêmes, il est urgent de « sonnerl'alarme ». Et d'en appeler au réveil dessociétés. De nombreux invités français etétrangers nous diront comment résister.

Sonnons l'alarme ! Trois jours aprèsl'investiture de Donald Trump, Mediapartvous invite à cette soirée exceptionnellepour comprendre et résister au nouvelordre international qui se profile. Alorsqu'en Europe, nos libertés sont attaquées,sous couvert de la lutte contre leterrorisme ; alors qu'en Turquie, unerépression massive frappe la société ; qu'enRussie, le régime Poutine s'enfonce dansl'autoritarisme ; que la guerre se poursuiten Syrie, qui déstabilise toute la région,il est urgent d'en appeler aux nombreusesdynamiques venues des sociétés et de

les soutenir. Cette soirée s'organisera endeux temps : crises françaises et crisesmondiales.

Animée par Edwy Plenel, avecla participation des journalistes deMediapart, cette soirée rappellera aussicombien, en ces temps de fractures et derégressions, un journalisme indépendantest indispensable.

L'introduction de Jean-Michel Ribes etEdwy Plenel• Crises françaises

Thierry Kuhn, président d’EmmaüsFrance

Rachida El Azzouzi, journaliste àMediapart

Damien Carême, maire de Grande-Synthe, pour les solutions concrètesd'accueil des réfugiés

Geneviève Jacques, présidente de laCimade, militante des droits des femmeset des réfugiés

Laurent Mauduit, journaliste àMediapart

Patrick Weil, historien, spécialiste desquestions d'immigration et de citoyenneté

Vanessa Codaccioni, historienne,spécialiste des répressions politiques

William Bourdon, avocat, vient depublier un livre sur les dérives de l’étatd’urgence

Faïza Zerouala et Ellen Salvi,journalistes à Mediapart• Transition musicale

Rohân Houssein, rappeur et poète franco-syrien• Crises mondiales

Ça#la Aykaç, universitaire de Turquie,contrainte à l'exil et aujourd'huienseignante à l'université de Genève

François Bonnet, journaliste à Mediapart

Zyad Majed, universitaire, spécialiste dela Syrie

Elias Sanbar, écrivain, traducteur dupoète Mahmoud Darwich, ambassadeur dela Palestine à l’Unesco

Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart

Piotr Pavlenski, artiste russe, demandel'asile politique en France (lire notre billetde blog ici)

Primes en liquide: ClaudeGuéant condamné à un ande prison fermePAR MICHEL DELÉANLE MARDI 24 JANVIER 2017

Nicolas Sarkozy et Claude Guéant © Reuters

Claude Guéant a été condamné, lundi 23janvier, par la cour d'appel de Paris àdeux ans de prison dont un ferme dansl’affaire des primes en liquide du ministèrede l’intérieur.

Faire appel de sa condamnation n'est pastoujours une idée payante, même pour uneéminence sarkozyste. Claude Guéant ena fait l'amère expérience. La cour d'appelde Paris vient de le déclarer coupable,lundi 23 janvier, de « complicité dedétournement de fonds publics et recel» et d'alourdir sa peine dans l'affairedes primes en liquide du ministère del'intérieur.

L'ex-ministre de l'intérieur et anciensecrétaire général de l'Élysée sous NicolasSarkozy est condamné à deux ans deprison dont un an ferme, 75 000euros d'amende et cinq ans d'interdictiond'effectuer toute fonction publique. Il doiten outre rembourser à l’État (au titre desdommages et intérêts) les 105 000 eurosde primes en liquide qu’il s’était indûmentattribués au ministère de l’intérieur, de2002 à 2004. En première instance,il n'avait écopé que de deux ans deprison avec sursis et des mêmes peinescomplémentaires (lire le jugement depremière instance ici). Claude Guéant aencore la possibilité de former un pourvoien cassation. Par ailleurs, sa peine étant

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inférieure à deux ans ferme, elle pourraéventuellement être aménagée pour luiépargner une incarcération.

Nicolas Sarkozy et Claude Guéant © Reuters

Les faits concernent la période 2002-2004,quand Nicolas Sarkozy était ministre del'intérieur et que Claude Guéant dirigeaitson cabinet. Ce dernier prélevait 10 000euros chaque mois sur les frais d’enquêteet de surveillance (FES) prévus pour lespoliciers de terrain, en gardait la moitiépour lui, et distribuait le reste à quelquescollaborateurs triés sur le volet.

Les quatre autres prévenus ont, euxaussi, vu leurs peines alourdies. L'anciendirecteur général de la police nationale(DGPN) Michel Gaudin, qui avait obéià Guéant mais sans toucher aucuneenveloppe, a été condamné à une peine dedix-huit mois d'emprisonnement avec unsursis, assortie d'une « mise à l'épreuve» (un régime plus strict que le sursissimple). Quant aux trois autres ancienscollaborateurs de Sarkozy place Beauvau,qui avaient également bénéficié de cesprimes indues, Michel Camux et DanielCanepa ont été chacun condamnés àun an de prison assorti d'un sursis demise à l'épreuve, et Gérard Moisselin àsix mois d'emprisonnement assortis d'unsursis de mise à l'épreuve. Les troishommes ont par ailleurs vu les peinesd'amende confirmées.

En première instance, Michel Gaudin avaitété condamné à dix mois de prison avecsursis. Les préfets Daniel Canepa, MichelCamux et Gérard Moisselin avaient pourleur part été condamnés à des peines pluslégères : huit mois de prison avec sursiset 30 000 euros d’amende pour DanielCanepa, huit mois de prison avec sursiset 40 000 euros d’amende pour MichelCamux, et six mois de prison avec sursis et20 000 euros pour Gérard Moisselin. Lestrois préfets doivent, en outre, rembourser

les primes perçues (qui sont d’un montantproche des amendes prononcées) à l’agentjudiciaire de l’État.

Le détournement de fonds publics était,à l'époque des faits, passible d'une peinede dix ans de prison et 150 000 eurosd'amende (l'amende maximale est passéeà un million d'euros depuis la loi du 6décembre 2013, article 432-15 du codepénal).

Un rapport d’inspection de juin 2013 avaitrévélé que Claude Guéant, alors directeurde cabinet du ministre de l’intérieurNicolas Sarkozy, avait reçu, « à partir del’été 2002 et au plus tard jusqu’à l’été2004 », quelque 10 000 euros en liquidepar mois, prélevés sur les frais d’enquête etde surveillance (FES) des policiers. Ce quiavait valu à l'ancien ministre de l'intérieurainsi qu'à Michel Gaudin, à l'époquedirecteur général de la police nationale (etaujourd'hui directeur du cabinet de NicolasSarkozy, après avoir été préfet de police deParis), d’être entendus en garde à vue, le17 décembre 2013.

La facture de ces détournements est, enfait, bien plus élevée, car les faits sesont poursuivis après le départ de ceshommes vers d'autres fonctions. Selon unréféré de la Cour des comptes rendupublic le 4 mars 2014, ce sont au total34 millions d’euros de frais d'enquêtequi ont été perçus par le cabinet dudirecteur général de la police nationaleentre 2002 et 2012 (où se sont succédéMichel Gaudin, puis Frédéric Péchenard).Quels en ont été les heureux bénéficiaires ?Selon quels critères ? La Cour des comptesne le précise pas, indiquant seulement quel'emploi de ces 34 millions d'euros fut« totalement discrétionnaire ». « Il n'ena été conservé aucune pièce justificativejusqu'en 2011 », précise la Cour (lire notrearticle ici).

Par ailleurs, Claude Guéant est mis enexamen dans l'affaire du financementlibyen de la campagne 2007 de NicolasSarkozy, relancée récemment par ZiadTakieddine.

A Dax, relaxe pour le«faucheur de chaises» quimilite contre l'évasionfiscalePAR DAN ISRAELLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Jon Palais, le militant basque jugé pouravoir emporté quatorze chaises d'uneagence parisienne de BNP Paribas enoctobre 2015, a été blanchi par la justice.D'autres procès sont à venir.

Non, emporter les chaises d’une agencebancaire pour protester contre laparticipation des géants de la finance àla fraude fiscale mondiale, ce n’est pasdu vol. Et ce n’est pas condamnable. Lemilitant Jon Palais, figure des « faucheursde chaises », jugé pour le vol de 14 chaisesdans une agence parisienne de la banqueBNP Paribas le 19 octobre 2015, a étérelaxé ce lundi par le tribunal de Dax.Une telle issue était perceptible dès lejour de l’audience, où la bonne ambiancegénérale méritait d’être signalée : laprésidente du tribunal, Florence Bouvier,a suivi les réquisitions du procureurJean-Luc Puyo, qui considérait qu’il n’yavait pas « d’élément intentionnel del’appropriation frauduleuse » et que « levol n’[étai]t pas constitué ». La banqueBNP Paribas, qui réclamait un euro dedommages et intérêts, n’était même pasreprésentée au procès.

La présidente a aussi exprimé la nullitéde la procédure concernant le refus deprélèvements ADN de Jon Palais, et aconclu à « la relaxe de la totalité des chefsde poursuite ». Plutôt que de vol, elle aparlé de « la prise de chaises », là où leprocureur avait employé le terme « emportde chaises ».

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« C'est un grand désaveu pour la BNP »,a réagi devant les médias Jon Palais. Lemilitant de 37 ans était défendu par l'ex-magistrate et ex-candidate écologiste àl'élection présidentielle Eva Joly et sa fille,Caroline Joly. Il a vu dans le jugement « unsigne fort pour la légitimité des actionsdes faucheurs de chaises » dans leur luttecontre l'évasion fiscale, en référence àune quarantaine d'actions collectives de cetype menées dans différentes banques en2015, puis une soixantaine dans les joursprécédant son procès. D'autres procès sontà venir, et notamment celui de FlorentCompain, le dirigeant des Amis de laTerre, le 11 avril à Bar-le-Duc, pour uneaction réalisée à Nancy le 6 novembre2015.

-------------Nous republions ci-dessous l'article publiéle 9 janvier relatant le procès et la journéede mobilisation:

Il y a fort à parier que si BNP Paribasavait su la tournure que prendraient lesévénements, elle n’aurait pas porté plaintecontre les « faucheurs de chaises ». Lepremier procès de l’un de ces militants,auteurs de « réquisitions citoyennes »de sièges dans les agences bancairespour dénoncer l’évasion fiscale, s’estdéroulé à Dax ce lundi 9 janvier. Ila non seulement été l’occasion d’unedémonstration de force de la société civile,avec plusieurs centaines de personnesmobilisées pour soutenir le prévenu,Jon Palais. Mais la justice s’est aussimontrée particulièrement bienveillanteavec le militant qui se revendique de ladésobéissance civile et de la non-violence,le procureur réclamant sa relaxe pure etsimple.

La banque avait peut-être senti le venttourner quelque temps avant l’audience :bien qu’elle se soit constituée partiecivile et réclame un euro symbolique

de dommages et intérêts, aucun de sesreprésentants, ni de ses avocats, n’étaitprésent à Dax.

Les faits sont simples. Le 19 octobre2015, vingt-cinq militants vêtus de giletsfluo entrent dans une agence de la BNP,rue de Rivoli à Paris, et emportentquatorze chaises. Ils expliquent leuraction aux employés, puis plus tardsur une vidéo internet, où Jon Palaisla revendique officiellement. L’hommeest un militant hyperactif, au sein desassociations basques Bizi ! ou Alternatibaet d’Action non violente-COP21(ANV-COP21), qu’il a fondée. Lui et ses amisrépondent en fait à un appel lancé le29 septembre dans Libération par desdizaines de personnalités et d’associations,Amis de la Terre, Attac ou Bizi, Jean-LucMélenchon, Edgar Morin ou ChristopheAlévêque.

L’idée est d’« emprunter » 196 chaisesavant la COP21 dans les agencesdes banques les plus implantées dansles paradis fiscaux. Elles serviront desupport à un sommet citoyen, où ellesreprésenteront les 196 pays rassembléslors de la COP21, pour souligner l’urgenceclimatique et la difficulté de financerles actions en faveur de la transitionécologique, alors que des centaines demilliards d’euros sont cachés dans lesparadis fiscaux. Le sommet citoyen a bieneu lieu, et une quarantaine d’actions dansdes agences bancaires a fourni les chaises,en plus grand nombre que prévu. 196sièges ont été symboliquement rendus àla police, le 8 février dernier, jour del’ouverture du procès de Jérôme Cahuzacà Paris (voir ci-dessous la vidéo de cetteaction). Les chaises restantes ont étépubliquement confiées à de prestigieux

parrains soutenant le mouvement, de l’ex-banquier Claude Alphande#ry à l’ancienpremier ministre Lionel Jospin.

La directrice de l’agence visitée le 19octobre 2015 a porté plainte au nomde sa banque, et la procédure s’estengagée. Palais a été identifié sur sa vidéode revendication, et poursuivi. Ces faitsvalaient-ils procès ? « La justice se centresur l’histoire des chaises, mais bien sûr cesemprunts n’ont pas le moindre effet sur lasanté financière de la banque, soulignaitle prévenu auprès de Mediapart quelquesheures avant le procès. Mon action n’aaucun sens si on ne la lie pas avec ladimension politique et citoyenne de cetteaction civique : notre problème, ce n’estpas qu’il y ait des chaises dans les agencesbancaires, mais que les banques jouentun rôle majeur dans l’évasion fiscale. »Autrement dit, « ce n’est pas mon procèsqu’il faut faire, mais celui de l’évasionfiscale ». Et Palais et ses amis se sontemployés à organiser l’événement, avecune efficacité redoutable.

Pendant toute la journée à Dax, descentaines et des centaines de personnes(2 000 selon les organisateurs, peut-êtreun peu optimistes) étaient réunies dans lesHalles de la ville, prêtées par la mairiesocialiste, en échange de la promesse qu’iln’y aurait aucune dégradation dans la cité.Tous les âges se mélangeaient sous leschasubles fluo siglées ANV-COP21, lest-shirts verts Bizi ! ou les K-way blancsGreenpeace. À l’intérieur, une grandescène destinée à un concert d’AlexisHK côtoyait une brasserie artisanale etdes stands de nourriture solidaire. Despanneaux portant des petites annonces decovoiturage renseignaient sur l’origine desparticipants : Paris, Nantes, Bordeaux,Toulouse, Perpignan, Grenoble… Alertéspar une mobilisation tous azimuts, denombreux journalistes étaient sur place,pour France Inter, BFM TV, Quotidiensur TMC. On croisait aussi XavierHarel, journaliste auteur d’un excellent

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documentaire sur l’évasion fiscale, quiprépare un nouveau film sur les banquespour France Télévisions.

Aux Halles de Dax, le 9 janvier 2017. © D.

Dans la matinée, dans une salle pleine àcraquer, une table ronde était organiséesous les auspices d’Attac, des Amisde la Terre et de la Plateformefrançaise de lutte contre les paradisfiscaux (CCFD-Terre solidaire, Oxfam,One…). Elle a réuni les candidats àla présidentielle Yannick Jadot (EELV-Les Verts), Philippe Poutou (NPA), desreprésentantes de Benoît Hamon (PS)et de Jean-Luc Mélenchon (La Franceinsoumise), ainsi que Pierre Larrouturou(Nouvelle Donne) ou la candidate issuede la primaire citoyenne, CharlotteMarchandise. L’eurodéputé José Bovéétait de la partie plus tard dans l’après-midi. Et sa collègue Eva Joly, anciennemagistrate et avocate, s’est chargéed’assurer la défense de Jon Palais autribunal, avec sa fille Caroline Joly, elleaussi avocate.

Lors de la table ronde, pour planter ledécor, l'économiste et co-président d’AttacThomas Coutrot a rappelé que tous les ans,60 à 80 milliards manquent à la Franceen raison de l’évasion fiscale, auxquelsil faut ajouter 40 à 60 milliards dus àl’optimisation fiscale des multinationales(dont certaines sont françaises, comme lecas Engie l’a démontré tout récemment).« L’argent pour financer la transitionsociale et écologique existe, il faut aller le

chercher », a résumé Coutrot. Des termesqui ont été repris sur tous les tons duranttoute la journée.

Le représentant d'Attac a reconnu que desavancées ont été obtenues ces dernièresannées, dont « il faut se féliciter » :l’échange automatique d’informationsfiscales entre gouvernement est désormaisune réalité pour une centaine de pays (laSuisse et le Luxembourg l’ont déclenché

le 1er janvier), ainsi que l’obligation faiteaux banques européennes de détaillertoutes leurs filiales dans le monde, avecleur activité, leur bénéfice et les impôtsqu’elles payent. Et l’ancien ministre dubudget Jérôme Cahuzac a été condamnéen première instance pour fraude fiscale.« Les États n’ont fait que réagir sousla pression de l’opinion publique faceà des scandales inacceptables, révéléspar les médias ou par des lanceursd’alerte », a pourtant souligné Coutrot.Il a rappelé dans la foulée qu’en France,le Conseil constitutionnel vient d’annulerdeux dispositions de lutte contre l’évasionfiscale, au nom de la liberté d’entreprise.

À l’applaudimètre, le public a saluéla sortie de Jadot appelant à traduire« les banques devant les tribunaux,pour incivisme caractérisé et pour fraudefiscale » et dénonçant les allers-retours desmembres des cabinets ministériels et de lahaute administration entre les banques etles services de l’État. Poutou s'est aussitaillé aussi un franc succès en réclamant« l’expropriation des banques ».

Le procureur demande la relaxeEn poursuivant Jon Palais à Dax, près deson lieu de résidence, alors que l’action aeu lieu à Paris, la justice semble avoir tentéd’entretenir une certaine discrétion sur soncas. Idem pour le prochain sur la liste desaccusés : Florent Compain, le dirigeant desAmis de la Terre, sera jugé le 11 avrilà Bar-le-Duc, pour une action réalisée àNancy le 6 novembre 2015. « Ils tententpeut-être de fuir la médiatisation, ditCompain. Mais pour une ville comme Dax,la mobilisation d’aujourd’hui est énorme.Nous sommes sur le premier procès dece type d’action, et la décision sera bien

évidemment étudiée de près par les autrestribunaux qui auront à juger d’affairessimilaires. »

Depuis le 1er étage du TGI deDax, le 9 janvier 2017. © D.I.

Et si tentative d’étouffement il y a eu, ellea totalement échoué. Lorsque Jon Palaisse rend au tribunal de grande instance deDax, peu avant 13 h 30, il est précédé parune foule massive et bruyante, pancartes,banderole et porte-voix en avant, aux crisde : « C’est pas les faucheurs qu’il fautjuger, c’est l’évasion fiscale en bandeorganisée ! » et « Nous sommes tous desfaucheurs de chaises ! ».

Lorsqu’il pénètre dans la petite salledu tribunal de grande instance, lesbancs, censés contenir une quarantainede personnes maximum, sont pleins àcraquer. Des spectateurs sont debout dansles allées, d’autres assis par terre. Lesphotographes se pressent pour prendreun cliché de l’homme qui cultive un airchristique avec sa barbe et ses cheveuxlongs, aux côtés d’Eva et de Caroline Joly.« Du jamais vu à Dax », a-t-on entendu àplusieurs reprises dans la journée.

La présidente du tribunal, FlorenceBouvier, regarde cette agitation avecune certaine bienveillance et salue dansun sourire « un public enthousiaste ».Elle prend soin de mener l’audiencecomme pour la dizaine d’autres affairesqu’elle aura eu à juger dans l’après-midi. Tout juste note-t-elle qu’étant donnél’affluence, certains autres prévenus n’ontsans doute pas réussi à entrer dans lepalais de justice. La présidente remarqueensuite que la BNP n’est pas représentée àl’audience.

Les minutes qui suivent ne sont presquequ’une formalité. Jon Palais est égalementpoursuivi pour avoir refusé les relevés

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d’empreintes et les prélèvements d’ADN ?Caroline Joly plaide que la procédure estnulle, car le gendarme qui l’a auditionnéa négligé de demander l’autorisation duparquet pour effectuer les prélèvements. Etle procureur Jean-Luc Puyo partage cetteanalyse, en tant que « premier garant deslibertés individuelles ».

Jon Palais, avec Eva et Caroline Joly, au tribunal degrande instance de Dax, le 9 janvier 2017. © D.I.

Palais est surtout poursuivi pour volen réunion, risquant en théorie cinqans d’emprisonnement et 75 000 eurosd’amende. « J’ai bien participé à cetteaction de réquisition de chaises. J’étaisle porte-parole de cette action, dont lebut était de dénoncer le rôle des banquesdans l’évasion fiscale », assume-t-il. Ildéveloppe sur cette « manière de dénoncerle vol organisé que constitue l’évasionfiscale », revendiquant « une action dedésobéissance civile, avec une dimensioncivique et citoyenne » : « Contrairement àceux qui organisent l’évasion fiscale, nousagissons à visage découvert, nous n’avonsrien à cacher. »

Pourquoi cibler principalement la BNP ?Parce qu’il s’agit d’une des principalesbanques européennes, du premierétablissement français, et qu’il est leplus présent dans les paradis fiscaux,avec 2,432 milliards d’euros de bénéficesréalisés dans ces territoire. C’est ce qu’unéclairant rapport d’ONG pointait en marsdernier. Depuis, la banque a d’ailleursdécidé de quitter les îles Caïmans…

Le prévenu a ensuite rappelé que lesfameuses chaises ont été rendues auxforces de l’ordre, et appelé comme témoinsle journaliste Antoine Peillon, qui a lepremier dénoncé le scandale UBS dansun livre dès 2012, puis Vincent Drezet,dirigeant du syndicat Solidaires finances

publiques. Tous deux ont témoigné ducaractère purement revendicatif et non-violent des actions des faucheurs dechaises. « Je n’ai pas ressenti le moindremotif crapuleux. Les termes vol ou recelme paraîtraient complètement déplacés »,a insisté Peillon.

Cela tombe bien, le procureur partagecette analyse. Le représentant du parquetqualifie les faits, non de vol, mais« d’emport » de chaises, en soulignantqu’il choisit ses mots. Il laisse entendreque si le prévenu avait accepté de livrer untémoignage au gendarme qui l’a interrogé,« le ministère public aurait pu retenir uneautre solution » que le procès. Et bienvite, il indique qu’il n’y a pas à son sensdans ce dossier « d’élément intentionnelde l’appropriation frauduleuse » et que« le vol n’est pas constitué ». Il demandedonc la relaxe au tribunal. Le seul reprochequ’il fait, très sérieusement, aux faucheursde chaise est d’avoir pris le risquede déclencher un potentiel « incidentcardiaque » chez une hypothétiquepersonne âgée qui aurait pu assister àl’action et s’en inquiéter.

Au passage, le procureur critique labanque qui ne s’est pas déplacée, alors quec’est elle qui a déclenché l’action publiqueen portant plainte. Et il révèle qu’avantd’être magistrat, il avait été… contrôleurdes impôts dans les Hauts-de-Seine, et quele sujet de la fraude fiscale lui tient doncparticulièrement à cœur. Légèrement priseà contre-pied, la défense de Jon Palais n’aplus, par la voix d’Eva Joly, qu’à déroulerle nombre de scandales dans lesquels estempêtrée la BNP, dont un récent dossierassez lourd de fraude fiscale en Argentine,détaillé ici par Mediapart. « Jon Palaisa toutes les raisons du monde d’emporterdes chaises des agences de la BNP »,tranche l’avocate.

Le jugement sera connu le 23 janvier. « Onne peut pas anticiper les décisions, maisc'est une victoire de se sentir compris parun procureur », a déclaré Jon Palais à lasortie de l’audience. Avant de rejoindre lesHalles, où ses soutiens l’attendaient pourfaire la fête. « Vous êtes une vague qui selève », a lancé Eva Joly à la foule en liesse.

Une vague qui n’est pas loin d’avoir faitboire la tasse à la plus puissante banquefrançaise.

Détournements de fondsau Sénat: encore un pilierdu groupe UMP mis enexamenPAR MATHILDE MATHIEULE LUNDI 23 JANVIER 2017

L’ex-sénateur André Dulait a été mis enexamen dans l’affaire des détournementsde fonds publics au palais du Luxembourg.C’est la cinquième mise en examen dansce dossier qui fait trembler la droitesénatoriale.

Une de plus. D'après nos informations,une cinquième mise en examen a étéopérée, jeudi 12 janvier, dans l’affairedes détournements de fonds publicsau sein du groupe UMP du Sénat(devenu Les Républicains), en pleineaccélération depuis quelques semaines.Après notamment les sénateurs Jean-Claude Carle (trésorier historique dugroupe) et Henri de Raincourt (ex-président), elle vise André Dulait, dix-neuf ans de maison, un illustre inconnuqui fut tout de même président de lacommission des affaires étrangères et de ladéfense.

À droite, André Dulait lors d'unevisite au Kazakhstan en 2014 © Sénat

Ce septuagénaire issu des rangs centristes,surnommé « sénateur oléoduc » parcequ’il pilotait le groupe d’amitié avecl’Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan,etc.), a terminé son ultime mandat enseptembre 2014 mais n'est jamais sortides radars des policiers de la BRDA(Brigade de répression de la délinquanceastucieuse) et du juge René Cros (chargé

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d’instruire ce dossier depuis plus dedeux ans avec Emmanuelle Legrand),qui l’a finalement mis en examen pour« détournements de fonds publics »et « recel de détournements de fondspublics ».

C’est qu’André Dulait fut le trésorierde l’URS, une association satellite dugroupe UMP au cœur des investigations,dénuée d’objet politique réel, qui aservi jusqu’en 2014 à récupérer unepartie des fonds versés par le Sénat augroupe UMP, théoriquement destinés autravail parlementaire. En réalité, l’argentsiphonné par l’URS sous différentsprétextes (sur lesquels nous reviendronsprochainement) était redistribué en douce,en plus de toutes leurs indemnités légales,à des dizaines d’élus de la Républiquequi en usaient selon leur bon vouloir,y compris pour leur train de vie. AndréDulait a lui-même encaissé des chèquespendant des années.

Interrogé par Mediapart dès 2016, cerécent retraité nous avait répondu, clamantson honnêteté : « Vous êtes des fouille-merde, vous n’avez rien d’autre à fairequ’à enquiquiner un vieillard ? »

Par téléphone, l’ancien élu des Deux-Sèvres démentait toute utilisation privéede fonds publics. « C’était pour desactivités politiques ; je n’ai pas prisd’argent de poche », nous assurait-il. Pourtant, les sommes n’étaient-ellespas versées sur son compte personnel ?« Oui. » De quelles activités s’agissait-il alors ? « De soutien à desassociations locales. » Par exemple ?« Récemment pour des manifestationscinématographiques… » Questionné sur lemontant global encaissé au fil des années,André Dulait balayait : « Je ne tenais pasde comptabilité... » Et de nous raccrocherau nez.

Sollicité par Mediapart, son avocat, Me

Raphaël Gauvain, maintient qu’« aucundétournement ne peut être reproché [àAndré Dulait], les groupes parlementairesétant souverains et autonomes dans ladétermination de l’usage des fonds qu’ilsreçoivent ».

On se demande, dès lors, pourquoi legroupe UMP s’est échiné à faire transiterces fonds publics par une structurefantoche… En réalité, les chèques del'URS distribués en pagaille permettaienttous les usages discrétionnaires, sansmême parler des retraits en espèces,intraçables ou presque.

À titre d'exemple, l’ancien secrétairegénéral de l’URS, François Thual, a confiéà Mediapart qu’André Dulait, élu du mêmedépartement que Ségolène Royal, avait unjour réclamé plusieurs milliers d’euros deliquide pour enquiquiner cette dernière :« On va emmerder Royal ! » Son idée ?Donner un coup de pouce à une ancienneassistante de l’élue socialiste, si fâchéequ’elle avait attaqué sa patronne auxprud’hommes.

Retrouvée par Mediapart en 2015, lasalariée en question s’en amusait presque.« En 2007, alors que je venais depublier un livre pour raconter moncombat, mon éditeur m’a dit qu’AndréDulait venait d’en commander un grandnombre d’exemplaires et qu’un chauffeurétait venu les chercher. » Le jugen’aura pas manqué de revenir sur cefinancement public de règlements decomptes picrocholins.

Syrie: un cessez-le-feu enattendant la négociation depaix?PAR RENÉ BACKMANNLE LUNDI 23 JANVIER 2017

© Reuters

Réunis pour la première fois auKazakhstan par la « troïka » Russie-Turquie-Iran, les représentants desrebelles et ceux du régime de Damasdevraient s’entendre sur un cessez-le-feu

consolidé et préparer la conférence de paixorganisée par l’ONU dans deux semainesà Genève.

Après plus de cinq ans de guerre, 310 000morts et le déracinement de 12 millionsde réfugiés ou déplacés – soit plus d’unSyrien sur deux –, des représentants durégime de Damas et de la rébellion vont seretrouver pour la première fois face à face,lundi, autour d’une table de négociationsà l’hôtel Rixos d’Astana, capitale duKazakhstan. Les deux délégations avaientdéjà participé à Genève, en février 2016, àdes pourparlers organisés par les Nationsunies. Mais elles siégeaient dans despièces différentes et des émissaires del’ONU faisaient la navette entre les deuxcamps.

Dirigées par les mêmes négociateursqu’à Genève – Mohamed Allouche, l’undes dirigeants du groupe Jaich Al-Islam(l’Armée de l’Islam) surtout actif dansla région de Damas, pour les insurgéset Bachar Jafari, ambassadeur de Syrie àl’ONU, pour le régime – elles dialoguerontdésormais sans intermédiaires. Organiséspar la Russie, la Turquie et l’Iran, quiparticiperont aux discussions prévues pourdurer plusieurs jours, ces pourparlersinédits devraient au moins permettre depérenniser le fragile cessez-le-feu instauréle 30 décembre 2016, après l’accordsigné par neuf organisations rebelles,au terme d’une négociation conduite àAnkara entre la Russie et la Turquie.Signe de l’implication directe des groupesarmés, la délégation rebelle sera enprincipe composée de huit commandants,qui seront conseillés par neuf responsablespolitiques, membres du Haut comité desnégociations de l’opposition.

En théorie, ces discussions d’Astanaauxquelles ne participent ni les États-Unis, ni l’ONU, ni l’Union européenne,ni les pays arabes sunnites qui aident etfinancent, comme la Turquie, les groupesarmés syriens, devraient ouvrir la voieaux négociations élargies qui s’ouvrirontà Genève le 8 février, sous l’égide desNations unies, pour rechercher une sortiede crise. Elles constitueront « une étape »

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avant un processus parrainé par l’ONU, aadmis le ministre des affaires étrangèresfrançais Jean-Marc Ayrault.

« Les objectifs d’Astana seront d’unepart la consolidation du cessez-le-feu et d’autre part un accord surune participation des commandantsau processus politique, c’est-à-direà la rédaction d’une constitutionet l’organisation d’un référendum etd’élections, a indiqué mardi dernier leministre russe des affaires étrangères,Serguei Lavrov. Ce sera une rencontreentre personnes qui s’affrontent les armesà la main et contrôlent des territoiresconcrets, sur le terrain. » En réalité,les choses risquent d’être un peu moinssimples, comme le relevait samedi leporte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov,qui juge même « improbable » de parvenirà des accords à Astana car « beaucouptrop de parties sont impliquées dans ceprocessus ».

Sans se prononcer sur les résultatséventuels des pourparlers, c’est aussi lerisque que pointe Ziad Majed, professeurà l’Université américaine de Paris etspécialiste du conflit syrien. « Ladifficulté majeure, constate-t-il, c’est quechacune des parties à la conférence,y compris celles qui appartiennent aumême camp, arrive avec son propreagenda, sa propre logique et sa proprevision du rapport de force. Il sera donctrès difficile, dans ces conditions, desurmonter les contradictions, dégager desintérêts convergents et définir une issuecommune. »

C’est un fait : sans même aborder lefond du conflit qui oppose le régime auxmouvements armés, les divergences, voireles contradictions qui existent entre lestrois parrains de la négociation – Russie,Iran, Turquie – directement impliquésdans les opérations militaires sur le terrain,sont nombreuses et de taille. La Russie,dont les frappes aériennes, entamées enseptembre 2015, ont joué un rôle majeurdans le basculement du rapport de forceen faveur du régime de Damas, entendaffirmer à la face du monde – et en

particulier à l’intention des puissances« occidentales » – son retour sur la scènestratégique internationale.

Mais elle veut aussi capitaliser entermes d’atouts diplomatiques, en vuedes marchandages politiques à venir, lessuccès militaires, notamment la reprise parle régime de la partie orientale d’Alep etla progression du contrôle de la « Syrieutile », qu’elle a offerts à l’armée deBachar al-Assad. Elle cherche enfin, pourpouvoir mettre un terme à une interventionmilitaire ruineuse, surtout dans l’étatactuel de son économie, un moyen de sortirde cette crise sans sacrifier ses acquis,en termes de déploiement stratégique etde lutte contre l’islamisme radical armé.En d’autres termes, la stabilité de laSyrie future et la préservation de sesintérêts régionaux lui importent davantageque le destin personnel de Bachar al-Assad. Le Kremlin le soutiendra donc aumoins jusqu’à l’organisation d’éventuellesélections et tant qu’une formule assurant lasurvie du régime n’a pas été trouvée. Maisaprès…

Allié historique de la Syrie, l’Iran estimeaujourd’hui, comme Moscou et Ankara,qu’il n’y a pas de solution militaireau conflit mais entend invoquer, pourfaire entendre sa voix, l’appui capitalqu’il a apporté au régime syrien grâceà la présence sur le terrain, bien avantl’intervention de l’aviation russe, deses conseillers militaires et des diversesmilices engagées à son initiative. Lescombattants libanais du Hezbollah, les« volontaires » chiites irakiens ou afghans,entraînés, armés et encadrés par desmilitaires ou des Gardiens de la révolutioniraniens ont en effet joué – et jouentencore – un rôle décisif dans la défenseou la reconquête des zones que l’arméesyrienne, épuisée et de piètre valeurmilitaire, a du mal à défendre.

« La guerre ne s’est pas faite sansnous, estiment les responsables iraniens.Il en sera de même de la paix et dela reconstruction. » Au nom de cesprincipes, il ne peut être question pourTéhéran de laisser s’installer demainà Damas n’importe quel régime, qui

ferait la part belle aux sunnites etbousculerait les alliances du pays. Et il nepeut être envisagé non plus d’écarter, àcourt terme, Bachar al-Assad du pouvoir.Contrairement aux dirigeants de Moscou,ceux de Téhéran estiment qu’il a sa placedans la transition politique et qu’il doitdonc aller jusqu’au terme de son troisièmeseptennat, en 2021.

Concrétisation de cette implicationdurable de Téhéran dans le présent etl’avenir de la Syrie, c’est une entrepriseiranienne qui va reconstruire le réseau detéléphonie mobile syrien, en ruine commeune bonne partie du pays. La volontéde remercier la Syrie de son soutienpassé, notamment lorsque le reste dumonde arabe approuvait ou soutenait lesagressions du régime irakien de SaddamHussein contre Téhéran, n’explique passeule cette sollicitude de l’Iran à l’égarddu régime et de la personne de Bacharal-Assad. Le maintien en Syrie d’unrégime ami est aussi, aux yeux desdirigeants iraniens, le moyen le plus sûrde maintenir un lien avec la communautéchiite libanaise et surtout de préserverune ligne logistique avec leurs alliés duHezbollah, pour qu’ils restent en mesurede représenter une menace crédible à lafrontière nord d’Israël.

« La stabilité de la région reposeaujourd’hui sur l’axe Téhéran-Moscou-Ankara »

© Reuters

Pour toutes ces raisons et quelques autres,Téhéran, qui tient depuis la conclusionde l’accord international sur son industrienucléaire civile à retrouver toute sa placede puissance régionale, ne voit pas d’unbon œil le rapprochement entre Moscouet Ankara, en cours depuis plusieursmois. Même si le ministre des affaires

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étrangères iranien, Mohammad JavadZarif, a participé en décembre 2016 à larencontre historique de Moscou, au coursde laquelle la Russie, l’Iran et la Turquieont scellé leur entente sur la Syrie etaffirmé que cette « troïka » était désormaisla garante d’une solution de sortie de criseen Syrie, une réelle méfiance demeure enIran à l’égard du voisin turc.

Car avant d’admettre comme Moscouqu’il n’y a pas de solution militaire et quela priorité en Syrie n’est pas la chute durégime, mais la lutte contre le djihadisme,Ankara, pilier régional de l’Otan et alliéfidèle de Washington, a été de longuesannées durant avec l’Arabie saoudite, leQatar et le Koweït, l’un des principauxsoutiens de la rébellion syrienne. Lerégime d’Ankara défendait l’idée, commela France, que Bachar al-Assad ne pouvaiten aucun cas faire partie de la solution duconflit. C’est par la Turquie notammentqu’arrivaient, en provenance des paysarabes et européens, les recrues islamistesqui entendaient rejoindre les rebellessyriens ou les djihadistes de l’organisationÉtat islamique (Daech) ou de FatahAl-Cham (ex-Front Al-Nosra) branchelocale d’Al-Qaïda. C’est aussi par laTurquie qu’entrait en Syrie l’aide arabeet occidentale destinée aux nombreuxgroupes armés du nord de la Syrie. Etc’est de la base turque d’Incirlik quedécollaient – et que décollent encore– une partie des avions de combat etdes drones occidentaux qui vont frapperles positions ou les cadres de Daech,mais qui recueillent aussi des informationsdestinées aux groupes rebelles jugésdignes d’être aidés.

Une conversion inattendue aupragmatisme stratégique, la certitude quele rapport de force sur le terrain étaiten train de basculer en faveur du régimede Damas et de ses alliés, la volonté,après une série d’attentats sanglants, deconcentrer ses forces contre le terrorismeglobal de Daech et de ses disciples,n’expliquent pas seules le choix d’Ankarade se rapprocher de Moscou et deconvaincre ses protégés de la rébellion dela vanité de la solution militaire.

Les critiques et les reproches adresséspar les États-Unis et l’Union européenne,notamment, à Recep Tayyip Erdoganaprès le virage autoritaire et lesarrestations massives qui ont suivi leputsch raté du 15 juillet 2016 ontsans doute aussi incité le président turcà chercher du côté du Kremlin unpartenaire moins sourcilleux que ses alliésoccidentaux, face aux violations des droitsde l’homme et des libertés démocratiques.Sans aller jusqu’à renoncer à exigerle départ de Bachar al-Assad, lesdirigeants turcs estiment aujourd’hui queleur politique en Syrie était « pleined’erreurs ».« Nous allons réparer toutesces erreurs », a annoncé au début dumois le vice-premier ministre, NumanKurtulmus.

Convaincus qu’ils ont dans la région unrôle majeur à jouer, et qu’ils ont beaucoupà attendre de la nouvelle administrationaméricaine, les dirigeants turcs estimentavoir, pour le moment, trouvé dansle régime russe un partenaire qui« respecte sa parole». Et l’assassinat, le18 décembre à Ankara, de l’ambassadeurrusse en Turquie par un policier turc n’afait qu’accroître leur dette politique etdiplomatique à l’égard de Moscou. Moinsde deux semaines après l’attentat contrel’ambassadeur, Ankara faisait admettreà neuf organisations importantes dela rébellion le cessez-le-feu négociéavec le Kremlin. Tout en poursuivant,avec l’accord de Moscou, l’opération« Bouclier de l’Euphrate » lancée parson armée dans le nord de la Syriecontre les positions de Daech. Le 12janvier, un accord a même été concluentre Russes et Turcs pour « coordonner »leurs frappes aériennes dans la région.Six jours plus tard, des appareils russeset turcs lançaient une opération conjointecontre la ville d’Al-Bab, bastion de Daechà une quarantaine de kilomètres au nord-est d’Alep.

« C’est désormais un fait : la stabilitéde la région repose aujourd’hui surl’axe Téhéran-Moscou-Ankara », confieun diplomate iranien. Ce qui n’empêchepas la république islamique de poursuivre

ses critiques contre l’opération « Bouclierde l’Euphrate ». Pour Téhéran, c’est àl’armée syrienne et non à une forceétrangère qu’il revient de libérer Al-Bab.Préoccupation patriotique qui dissimulemal la concurrence entre les deuxpuissances régionales que sont la Turquieet l’Iran, pour instaurer et préserver leurszones d’influence en Syrie comme en Irak.

Malgré ses divisions et les divergencesentre les agendas de chacun de sesmembres, la nouvelle « troïka »rassemblée par Moscou parviendra-t-elle àconvaincre les représentants des groupesarmés présents à Astana qu’ils doiventdéfinitivement renoncer à leur projet derenverser le régime syrien par la force etaccepter, pour commencer, l’instaurationd’un cessez-le-feu permanent ? C’est laquestion centrale de cette négociation.

« L’opposition militaire a peu de margede manœuvre, constate Ziad Majed. Enplus d’être très divisée, et presque partouten situation difficile sur le terrain, elleest aussi affaiblie par la fermeture desfrontières jordaniennes et turques, quirend très difficile son approvisionnement,mais aussi par l’engagement de plusen plus intense et coûteux de l’Arabiesaoudite au Yémen, qui pèse sur lesoutien politique et matériel de Riyad enleur faveur. » Par ailleurs, le principalmouvement de la rébellion, Ahrar Al-Cham, fort de plusieurs milliers decombattants, a refusé de participer à laconférence en invoquant les nombreusesviolations du cessez-le-feu par le régimeet ses alliés, en particulier à Wadi Barada,près de Damas, où se joue le contrôlede l’alimentation en eau de la capitale.Mais ses dirigeants ont affirmé qu’ilsapporteraient leur soutien aux décisionsprises à Astana, si elles « servent lesintérêts de nation », ce qui laisse unemarge d’appréciation substantielle.

Autour du représentant de Jaich Al-islam, Mohamed Allouche, qui dirigerala délégation de la rébellion, une largereprésentation des groupes insurgés seraprésente. Même s’il est aventureuxd’affirmer, comme le fait MohamedAllouche, que « tous les groupes

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rebelles vont à Astana, tous ont donnéleur accord », il est clair qu’unelarge représentation de la rébellionsera présente, depuis les « modérés »de l’Armée syrienne libre jusqu’auxsalafistes de Jaich Al-Islam, que soutientl’Arabie saoudite, en passant par FaylaqAl-Cham, branche armée des Frèresmusulmans, ou les Turkmènes de labrigade Sultan Mourad, implantés dans lenord avec l’aide d’Ankara.

Pour tous, il semble évident que l’heureest venue d’admettre que le rapport deforce a basculé et que la parole doitêtre désormais aux négociateurs. « Astanas’inscrit dans un processus pour mettrefin à l’effusion de sang commise par lerégime et ses alliés. Nous voulons mettrefin à leurs séries de crimes », admettaitla semaine dernière Mohamed Allouche,qui n’a manifestement pas été dissuadéde tenir ce discours par ses protecteurssaoudiens. Signe d’une apparente volontéde voir réussir cette étape au moinsdes négociations, la plupart des groupesrebelles – à l’exception du puissant AhrarAl-Cham – semblent avoir décidé de nepas insister sur les violations répétéesdu cessez-le-feu recensées depuis findécembre.

Que peut-on attendre alors des discussionsd’Astana ? La préparation de « nouveauxaccords de réconciliation », commel’envisage sans excès de décence Bacharal-Assad ? On en est très loin. Un cessez-le-feu consolidé et peut-être surveillé pardes observateurs ? C’est le plus probable.« Les rebelles en ont besoin pour encaisserle traumatisme provoqué par la défaited’Alep et achever la réinstallation descombattants évacués dans la zone d’Idlib,tenue par les djihadistes de Fatah Al-Cham, estime un expert familier du terrain.Le régime en a moins besoin, car il amilitairement le vent en poupe et entendatteindre son objectif : en finir avec larébellion. Mais il acceptera le cessez-le feu sous la pression de ses alliés, enparticulier de Moscou, qui compte alleren position de force à la négociation deGenève ».

D’ici là, Washington, qui a été invitéà assister aux discussions d’Astana parMoscou et Ankara – contre l’avis deTéhéran – mais qui n’y manifestera sansdoute qu’une présence symbolique, auraprobablement arrêté sa nouvelle positionsur le conflit syrien. La dernière initiativede l’administration Obama sur le terrain aété, deux jours avant l’entrée en fonctionsde Donald Trump, la participation del’aviation américaine aux frappes lancéespar les avons turcs et russes sur lespositions de Daech dans la région d’Al-Bab.

La résistance à Trumps'organisePAR THOMAS CANTALOUBELE MARDI 24 JANVIER 2017

Des manifestantes, samedi 21janvier 2016 à Washington © TC

Des millions de personnes ont manifestédans le monde pour rejeter le nouveauprésident des États-Unis. Alors qu'ils'agissait au départ de défendre le droitdes femmes, le mouvement est devenuune coalition de toutes les oppositionsà Trump. Combien de temps durera cetélan ?

Washington (États-Unis), envoyéspécial.– Pour un pays qui, depuis lafin des années 1960, a quelque peuperdu l’habitude des grandes marches deprotestation, le défilé de Washington, ainsique ceux qui l’ont accompagné dans laplupart des grandes villes américaines,avait quelque chose de réconfortant.D’encourageant même, survenant aulendemain de l’inauguration de DonaldTrump, avec son discours martial etla foule clairsemée qui l’a accueilli.

Les manifestants eux-mêmes paraissaientsurpris de se retrouver si nombreux pourun événement parti d’une invitation lancéesur les réseaux sociaux il y a deux mois etdemi, juste après l’élection présidentielle.

Au départ, il s’agissait d’un mouvementde femmes décidées à ne pas courberl’échine ni à laisser se répandre dans lasphère publique les propos phallocratesde Trump et de sa clique. À l’arrivée,des centaines de milliers de manifestanteset de bonnets roses plus tard, l’ambitioninitiale était nettement dépassée. Cela s’estrévélé tout simplement être le plus grandrassemblement anti-Trump américainet même mondial. Un rassemblementmajoritairement féminin, mais pasexclusivement, un rassemblement mêlanttoutes les tranches d’âge, toutes lesorigines ethniques et sociales, et dontles slogans, montés par milliers sur despancartes improvisées ou dessinés aufeutre sur des tee-shirts, formaient unpatchwork des convictions défendues pardes gens qui savent qu’ils ont remportél’élection au nombre de voix : défensede la démocratie, du droit des femmes àdisposer de leur corps, des minorités, del’égalité raciale, de l’environnement, dusalaire minimum, etc.

Des manifestantes, samedi 21janvier 2016 à Washington © TC

Même s’il y avait quelques associationsreconnues et une poignée decélébrités derrière l’organisation de cesmanifestations, il s’agissait avant toutd’un mouvement spontané de protestation,en partie alimenté par les craintes quesuscitent une présidence Trump. «J’avaisdécidé de venir dès que j’ai entendul’appel à manifester, il y a plusieurssemaines », raconte Lucy, une enseignantede Virginie. «Je voulais faire entendre ma

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voix de mère de famille face à un présidentmisogyne, qui parle des femmes commedu bétail. Mais aujourd’hui, en voyant lafoule autour de moi, je comprends quece qui nous rassemble est bien plus vasteque le féminisme. » À ses côtés, Mary-Jane, une étudiante de 22 ans arrivéepar le même métro, mais qui a décidéde venir le matin même : « Je viensd’une famille conservatrice, mais quandj’ai entendu le discours d’inauguration deTrump vendredi, je me suis dit que ce typen’était pas conservateur, il est destructeur.Il ne faut pas le laisser faire ! »

Cette immense mobilisation a surpris toutle monde aux États-Unis. Il y avait biendes signes qui indiquaient que la jaugeserait élevée, mais elle a dépassé toutesles attentes : plus de 500 000 personnesont défilé sur l’esplanade du Capitole àWashington alors que 200 000 étaientattendues, 150 000 à Chicago, des dizainesde milliers à New York et jusque dans despetites villes en dehors des écrans radarsdes médias. Au total, et si l’on compte lesdéfilés dans le monde, ce sont plusieursmillions de personnes qui sont descenduesdans la rue. Ces chiffres dépassent ceuxde toutes les manifestations des dernièresannées aux États-Unis, qu’il s’agisse dumouvement Occupy ou contre la guerre enIrak.

Donald Trump est un président très malélu (près de 3 millions de voix de moinsqu’Hillary Clinton), il prend ses fonctionsavec un taux de popularité très bas, il s’estattiré l’hostilité de ses propres servicesde renseignement… mais que se passe-t-il ensuite ? Ou, comme le résumait lapancarte d’un manifestant tout seul sur lesmarches de la National Gallery of Arts :« Faisons de ce moment un mouvement ! »

« Je pense que ce que nous voyonsaujourd’hui est un signe », explique CecilyDonovan, une directrice locale de PlannedParenthood, la principale association deplanning familial. « Il y a tellement degroupes et de mouvements qui sont la cibled’attaques sans précédent que tous lesprogressistes se serrent les coudes. Noscombats, nos idées et même nos militants

sont souvent connectés les uns aux autres.L’enjeu est de maintenir ce front pour lesmois et les années à venir. »

Quelques jours plus tôt, MichaelBrune, directeur du Sierra Club, unegrande association de protection del’environnement, annonçait : « Nousn’allons pas nous taire pendant lesquatre années à venir, nous allons nousbattre : dans les tribunaux, dans lesmédias, dans les conseils d’administrationet dans la rue. Nous avons la chanced’être un pays de lois, et celles-cisont extensives. » L’American CivilLiberties Union (ACLU), qui défend lesdroits civiques et les différentes libertés,dit la même chose. Au lendemain del’élection de Donald Trump, sur le sitede l’association, une photo du nouveauprésident était accompagnée du message :« À bientôt au tribunal ! » Samedi 21janvier, autre photo, nouvelle légende :«Jour 1 : nous avons déposé notreplainte » (il s’agit d’obtenir des documentssur les conflits d’intérêts de Trump).

Avant même les manifestationsgigantesques de samedi, ces dernièresannées ont vu des mouvementssporadiques d’occupation ou deprotestation qui, à défaut d’être toujoursparvenus à leurs objectifs, ont faitbouger les lignes. Occupy Wall Streeta contribué à mettre sur le devant dela scène la question des inégalités eta indirectement propulsé la candidaturede Bernie Sanders durant les primairesdémocrates de 2016. Le mouvement BlackLives Matter a mis en évidence la questiondes brutalités policières à l’égard des Noirset obtenu qu’une commission nationalesoit créée sur cette question. Enfin, lesmouvements d’opposition aux différentsprojets d’oléoduc dans le MidWest ontrassemblé des coalitions improbables(ranchers, indiens, chasseurs, écolos…)qui ont souvent obtenu gain de cause.

« Trump a désespérémentbesoin que tout le monde se criedessus pour pouvoir avancer sonagenda »Le vice-président sortant Joe Biden, lorsd’une de ses dernières interventionspubliques début janvier, a comparé lasituation actuelle à celle de la fin desannées 1960. Il parlait du climat politiqueet des fréquentes émeutes dans le pays,mais il faisait également référence, encreux, à l’idée de l’époque selon laquelle« la démocratie est dans la rue ». Ce n’estpas un hasard si samedi, sur l’esplanade duCapitole, un des chants les plus repris parla foule était : « This is what democracylooks like » : « Voici à quoi ressemble ladémocratie ! »

« Il y a un renouveau de l’action derue dans le pays depuis quelques années,parce que les gens ont le sentimentque les processus démocratiques leursont fermés », estime Josh Henry,un militant de Greenpeace. « Nousrecevons de plus en plus de demandesde la part d’autres organisations pourdes formations à l’action directe :désobéissance civile, manifestations nonviolentes, interpellations publiques…C’est un signe de renouveau. »

Une multitude de slogans devant leCapitole, samedi 21 janvier 2016 © TC

Durant les primaires républicaines,Donald Trump a pu jouer sur uneopposition atomisée, avec des adversairesse querellant entre eux au lieu de fairefront commun contre lui. Ensuite, faceà Hillary Clinton, il a tiré profit du peud’enthousiasme qu’elle suscitait au seinde la gauche. C’est pour cette raison quele spectre très large des manifestationsdu 21 janvier est de bon augure :elles ont été capables de réunir des

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militantes féministes et des défenseursde l’environnement, des syndicalistes etdes altermondialistes, des supporteursconvaincus de Bernie Sanders et desconservateurs inquiets.

Car, comme le rappelait récemment VanJones, militant des droits civiques etde l’environnement, ancien conseillerd’Obama, « la coalition nécessaire pourstopper Trump ne sera pas toujoursd’accord sur tout. La clef est de ne pascéder à la division, qui est l’arme secrètedu président. Trump a désespérémentbesoin que tout le monde se crie dessuspour pouvoir avancer son agenda ».C’est une évidence. Dès son premierdéplacement présidentiel, au QG de laCIA, Trump a illustré cette volonté dezizanie : il a garanti aux services derenseignement qu’il les soutenait à 100 %… une semaine après avoir comparéleurs pratiques à celles de « l’Allemagnenazie ». Et pour faire bonne mesure, ila expliqué que « les journalistes [étaie]ntles personnes les plus malhonnêtes dela planète », quelques heures après lesavoir félicités pour la couverture de soninauguration…

Dans un paysage politique fracturé,rien ne permet aujourd’hui de penserque Donald Trump ne parviendra pasà ses fins. Certains commentateursaussi respectables que l’économistePaul Krugman ont beau prédire quel’incompétence de l’équipe Trump serason tombeau, il contrôle les principauxleviers de pouvoir. La manière dontles élus républicains du Congrès sesont rangés derrière lui ou ont acceptéd’aller à la soupe, ne laisse pas augurerd’une grande capacité de résistancede la part de la branche législative.Même si une soixantaine de représentantsdémocrates ont refusé de participer à lacérémonie d’inauguration, Hillary Clintonétait présente, alors que rien ne l’yobligeait. De nombreux élus démocratesont promis qu’ils ne feraient pas del’obstruction systématique – à l’instar desrépublicains sous Obama – et se déclarentprêts à soutenir d’éventuelles mesuresd’investissement dans les infrastructures.

«Nous avons une classe politique, auniveau national, qui n’a pas beaucoupde vision ni de courage », estimeWayne Johnson, un stratège démocratequi a travaillé pour la campagne deBernie Sanders. « Si Trump les flatteun peu, la plupart se coucheront devantlui. Je place beaucoup plus d’espoirdans les élus locaux : les maires,les gouverneurs, les procureurs desÉtats. Ce sont eux qui ont d’ores etdéjà promis qu’ils refuseraient certainesdirectives s’ils les jugent contraires àleurs principes. » Des dizaines de mairesde grandes villes, de New York à LosAngeles, ont en effet déjà annoncé qu’ilsrefuseraient toute déportation massived’immigrés sans papiers. Quant auxcombats les plus emblématiques de lagauche de ces dernières années (haussedu salaire minimum, légalisation dela marijuana, droits LGBT, normesenvironnementales), « ils continueront auniveau local, car ils enregistrent succèsaprès succès dans les villes et les États,et c’est ainsi que nous pouvons ensuite lesrépercuter au niveau national », prometWilliam Briggs, l’économiste en chef dusyndicat AFL-CIO.

La présidence Trump ne fait quecommencer, mais elle promet déjàd’être tumultueuse. Pas seulement surle plan international, comme on s’yattendait, mais également sur le plandomestique. Dans la foule à Washingtonlors de la manifestation, mais aussidans de nombreuses discussions entreobservateurs de la politique américaine,on entend fréquemment des prévisions dustyle : « Je donne deux ans à Trump, pasplus », ou alors : «Il va être destitué trèsvite ! De toute façon, le job demande tropde travail pour lui. » Malheureusement,Trump a l’habitude d’être sous-estimé, etcela lui a toujours profité. En attendant, iloccupe la Maison Blanche.

La Gambie échappe à sondictateurPAR FABIEN OFFNER

LE DIMANCHE 22 JANVIER 2017

Battu par Adama Barrow lors de l'élection

présidentielle du 1er décembre 2016,Yahya Jammeh a fini par quitter lepouvoir, et le pays, samedi 21 janvier.Le pays attend désormais l'arrivée de sonnouveau président. Reportage à Farafenni,à la frontière avec le Sénégal.

Farafenni (Gambie), envoyé spécial.–Un grossier dessin en couleurs de YahyaJammeh, « Father of the Nation », ornele mur noir d’humidité du poste-frontièrede Farafenni, en Gambie. Les voyageurs ledépassent sans un regard, dans des voituresou à l’arrière de charrettes tressautantestirées par des chevaux. À l’intérieur dubâtiment, les policiers en chemise jauneregardent vaguement un match de foot dela coupe d’Afrique des nations. Les murssont tapissés d’une mosaïque de photos depersonnes recherchées. Une autre photo,affichée depuis 22 ans, a été décrochéerécemment : le portrait officiel de YahyaJammeh, souriant, sceptre à la main. Cespoliciers plus sympathiques et détendusqu’à l’ordinaire l’ont posé négligemmentdans une vieille caisse en plastique vert,par terre. Par discrétion, une policièredécide de le cacher sous un calendrier.Pas de chance, il est aussi à l’effigiede Yahya Jammeh. Alors elle retournecarrément la photo. Ainsi s'achève laprésence quotidienne du dictateur dans savie. Jammeh avait pris le pouvoir en 1994.

Yahya Jammeh, désormais anciendictateur gambien, a finalement décolléde Banjul, la capitale, samedi 21janvier vers 21 heures, sans avoirpu contester légalement le résultat de

l’élection présidentielle du 1er décembre,perdue face à Adama Barrow. DirectionConakry, en Guinée, première étape

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avant une installation probable en Guinéeéquatoriale, loin de sa zone de nuisancepotentielle.

Dimanche 22 janvier, au poste-frontière de Farafenni,entre le Sénégal et la Gambie. © Fabien Offner

Jusqu’à l’usure, Jammeh aura éprouvéla patience de ses pairs africains, dontles efforts diplomatiques ont fini parpayer après d’interminables négociations.Une résolution du Conseil de sécuritédes Nations unies, le feu vert del’Union africaine, le déploiement auxfrontières d’une force militaire de laCédéao à commandement sénégalais etla médiation des présidents de la Guinéeet de la Mauritanie auront été nécessairespour le faire partir sans violence.

Dans une déclaration diffusée à latélévision la veille de son départ, Jammeha tenté de partir la tête haute : « Madécision d’aujourd’hui n’a pas été dictéepar quoi que ce soit d’autre que l’intérêtsuprême du peuple gambien et de notrecher pays », a-t-il feint. L’opération« Restauration de la démocratie » lancéele 19 janvier par la Cédéao, peu aprèsque le président en exil, Adama Barrow,a été investi à Dakar dans les locaux del’ambassade de Gambie au Sénégal, n’estpourtant pas passée loin de finir sa courseà Banjul.

Dans la ville frontalière de Karang, auSénégal, où un détachement était enattente, l’option militaire semblait motiverles troupes. « La récréation est terminée,s’agaçait vendredi un militaire sénégalais

adossé au mur d’enceinte derrière lequeldes blindés étaient positionnés. Quandil y a autant de signes qui vont contretoi comme ça, il faut savoir partir. S’ils’accroche, c’est fini pour lui, il vafinir comme Kadhafi. » D’autant qu’aprèsla défection de plusieurs ministres etdiplomates gambiens, le chef des arméeslui-même s’était désolidarisé de sonprésident, non sans avoir retourné àplusieurs reprises son uniforme au gré desévolutions. Entrée en Gambie ce dimanchematin à 9 heures, l'armée sénégalaise a étéacclamée par les militaires gambiens.

Dans l’attente du départ effectif deJammeh hors du pays, l’ère de la Gambienouvelle avait débuté sans cotillons,samedi à Farafenni. « Je suis contentcar notre nouveau président arrive »,raconte nonchalamment l’un des policiersdu poste-frontière en épluchant une orangeavec les dents. En ville, ni inscriptionssur les murs, ni signes ostensibles dejoie comme dans la capitale. Tournéevers le commerce frontalier, la localitén’a rien à offrir sinon des alignementsde boutiques et de gargotes sales etchancelantes. « La nuit précédente, leshabitants étaient tous chez eux car ilsredoutaient une intervention de la Cédéao,raconte le policier. Mais aujourd’hui, toutle monde a repris ses habitudes. » Dontcelle de ne pas trop causer politique.La parole des habitants semble toujoursétouffée par une main invisible. Pouréviter les questions, on prétexte une courseà faire, on n’a « pas d’opinion » ou onest étranger. Keba Cissé se dit tout demême « content que les choses se soientpassées dans le calme » et souhaite que lenouveau président apporte enfin à certainsquartiers de la ville « du courant, desbonnes routes et de l’eau courante ». Peut-être Barrow parviendra-t-il à faire aboutirle projet de pont de Farafenni, sur le fleuveGambie, dont la construction maintes foisannoncée mais jamais réalisée a toujoursillustré la mésentente entre le Sénégal etla Gambie. Ces deux pays sont liés pardes peuples communs mais séparés parl’histoire coloniale, la démocratie et lesoutien de Jammeh aux rebelles de la

Casamance. En attendant le réchauffementattendu entre les deux pays, le vieux ferryassure toujours le service.

À Karang (Sénégal), Élisabeth n’auraitpas été contre une fin brutale pourYahya Jammeh, à l’image des milliersd’autres Gambiens réfugiés comme elleau Sénégal en attendant le dénouement,ou comme ceux exilés à l’étranger depuisplusieurs années pour motifs politiques.Adama Barrow a assuré que ces dernierspouvaient revenir en Gambie sans crainte :« À tous ceux que les circonstancespolitiques ont obligés à quitter le pouvoir,vous avez maintenant la liberté de rentrerchez vous », a-t-il dit devant une foulerassemblée vendredi dans un hôtel deDakar.C’est cette fois au tour de Yahya Jammehde connaître l’exil forcé. Si la Cédéaoest venue à bout de l’autocrate duplus petit pays de l’Afrique continentalesans effusion de sang, c’est peut-êtreau prix de l’impunité – ce que leministre sénégalais des affaires étrangèresa contesté dimanche. Car dans l’attentede connaître un jour les conditionsde son départ, la destination Guinéeéquatoriale semble avoir été bien réfléchie.Au pouvoir depuis 1979, son présidentTeodoro Obiang est un adepte du pouvoirillimité et un grand pourfendeur de la Courpénale internationale, dont la Gambie s’estrécemment retirée. De quoi chasser deson esprit le cas de l’ex-dictateur tchadienHissène Habré, accueilli au Sénégal en1990 avant d’être livré à la justice puiscondamné à la prison à vie en 2016.Ailleurs dans la région, certains ironisentsur une Cédéao forte avec les faibleset faible avec les forts. « Si la Cédéaopeut envoyer ses troupes vers l’Adrar deKidal, dans sa partie occupée par lesterroristes, ce sera plus héroïque ! »,a twitté Fahad Ag Almahmoud, leaderde l’un des groupes armés récemmentvisés par un attentat d’Aqmi à Gao, auMali. En Gambie, on attend désormaisle retour du nouveau président. Au suddu pays, à Kanilai, localité de naissancede Jammeh, les affiches du perdant sonttoujours intactes.

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L'inquiétante mascaradedes populistes européens àCoblencePAR THOMAS SCHNEELE LUNDI 23 JANVIER 2017

Les principaux partis d’extrême droited’Europe se sont réunis à Coblence pourlancer « l’année des patriotes 2017 »,censée s'inscrire dans le sillage du Brexitet de l'élection de Trump.

Coblence (Allemagne), envoyé spécial.–Marine, Frauke, Marcus, Geert, Matteoou Harald, ils sont tous venus des quatrecoins d’Europe pour jouer leur partitionau palais des congrès de Coblence, villeoù la noblesse française déchue avait jadisvoulu allumer l’étincelle de la contre-révolution.

La grande salle installée au bord du Rhina été entièrement sécurisée. Pendant deuxjours, elle reste entourée d’un mur debarrières et d’un impressionnant dispositifde protection constitué de 1 000 policiers.Le gouvernement social-démocrate duLand ne veut en effet aucun ennui. Lerisque de dérapage politique est trop grand.Et pendant que près de 5 000 contre-manifestants protestent dans le froidcontre la réunion, les dirigeants populisteseuropéens s’amusent comme des gaminsen se distribuant des titres hypothétiquesronflants.

Saluée par les drapeaux et les projecteurs,et ovationnée par un public composé à80 % d’hommes aux cheveux grisonnants,Marine Le Pen n’est plus que la« future présidente française » l’espace dequelques heures. Frauke Petry et MarcusPretzell, respectivement coprésidentede l’Alternative pour l’Allemagne etvice-président du groupe ENF, sontpour leur part présentés comme la« future chancelière Frauke », auxcôtés de « l’homme le plus importantd’Allemagne ». Quant au président duParti pour la liberté hollandais GeertWilders, cela ne fait aucun doute pour lesorganisateurs, il sera bientôt le « roi » desPays-Bas !

Comme Marine Le Pen, Geert Wildersmontre qu’il sait caresser ses auditeursdans le sens du poil : « Vous êtesl’avenir de l’Allemagne ! », lance-t-ilà un parterre qui exulte d’autant plusque la moyenne d’âge des 500 à 600participants se situe assurément au-dessusdes 60 ans. À l’initiative de MarcusPretzell, qui est aussi dans le privé lenouveau mari de Frauke Petry, les partisd’extrême droite européens ont décidé dese réunir au lendemain de l’investiture deDonald Trump pour inaugurer « l’annéedes patriotes 2017 ».

Leur objectif est simple. Profiter del’investiture de leur « modèle » américainpour mieux capter l’attention des médiaset vendre leur scénario d’un renouveaunational européen et mondial. Cette année,des élections cruciales vont en effet setenir dans plusieurs pays d’Europe. LesHollandais éliront leurs députés au moisde mars, les Français, leur président etleurs députés en mai et juin, et lesAllemands, leurs députés également, aumois de septembre. « Si tout va bien,comme nous le pensons, nous accéderonstous au pouvoir », assure Geert Wilders,qui parle d’un « printemps patriotique ».« 2016 a été l’année où le monde anglo-saxon s’est réveillé. 2017 verra, j’ensuis sûre, le réveil des peuples d’Europecontinentale », a déclaré pour sa partMarine Le Pen, qui a salué la victoirede Trump. Elle relève au passage que,dans le discours d’investiture du nouveauprésident américain, elle a « entendu desaccents communs entre Trump et nous ».

Pendant près de deux heures, les dirigeantspopulistes, qui aiment à se dépeindrecomme porte-parole naturels de tous lessans-culottes de l’UE, vont s’attacher àdécrire un véritable cabinet des horreurseuropéennes. C’est-à-dire « la tyranniedes élites politico-médiatiques » et des« fonctionnaires sans substance » quitrompent, manipulent et « anesthésient »les peuples, ou encore une Unioneuropéenne qui « stérilise », asservit,détruit les valeurs et étouffe le « génienational ».

À maintes reprises, la politiqued’accueil des réfugiés d’Angela Merkelest violemment attaquée. La seulemention des noms de la chancelièreallemande ou du président de laCommission européenne Jean-ClaudeJuncker déclenche des huées d’unevéhémence étonnante, signe d’une hainedésormais bien enracinée. « L’Unioneuropéenne ne réussira pas ce queNapoléon, Hitler et Staline ne sont pasarrivés à faire », ose même déclarerFrauke Petry en oubliant qu’elle dirige unparti où se trouvent des gens comme BjörnHöcke. Le responsable de l’AfD pour leLand de Thuringe se trouve au centre d’unscandale de plus, après avoir expliqué lasemaine dernière que « les Allemands sontle seul peuple au monde qui érige unmonument de la honte dans leur capitale »et que « cette politique ridicule consistantà assumer son passé nous paralyse ».

À Coblence, où le public est bien pluspolicé que celui des meetings de Dresdeou de Leipzig, personne n’évoque lasortie « malheureuse » de Björn Höcke.Seul, un couple de retraités allemandsvenu admirer ses « libérateurs » necomprend pas bien ce que ce qu’il adit de mal : « On ne peut plus direson avis dans ce pays », maugréent-ils.Proche de Marcus Pretzel et président dela section d’arrondissement de Düsseldorfpour l’AfD, Herbert Strotebeck est enrevanche catégorique : « Je ne penserien de bien de M. Höcke. Ce qu’ildit est une honte. On ne peut pasaccepter cela. D’autant plus que Höckesait ce qu’il dit puisqu’il est professeurd’histoire », déclare-t-il. Avant l’AfD, cecadre dans une compagnie d’assurancesn’avait jamais appartenu à un parti. Maisla situation européenne, qu’il juge lui aussicatastrophique, et la lecture des écritscontre l’euro de l’économiste libéral Hans-Werner Sinn, ou encore de ceux contrel’immigration du social-démocrate ThiloSarrazin, l’ont convaincu de s’engager« pour défendre l’avenir de mes petits-enfants », affirme celui-ci qui se perçoitcomme un patriote mais pas comme unnationaliste. Son mentor Marcus Pretzellparle d’ailleurs d’un « nationalisme

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ouvert » et d’un « protectionnismepositif », par exemple, un protectionnismequi se dirigerait seulement contre lesmultinationales apatrides et non contre lesPME bien de chez nous.

« Ce que nous voulons tous, c’estla fin de l’Europe »La vision brouillonne de MarcusPretzell illustre le « bazar politique »des programmes populistes qui nes’embarrassent pas de solutions détaillées,à l’instar de l’argumentaire simpliste etmensonger de Nigel Farage et BorisJohnson, promoteurs démissionnaires duBrexit. À cette Europe des élites,étouffante, uniforme, submergée parles migrants et en mauvaise santééconomique, les populistes européensopposent donc des espaces nationauxcontrôlés et dirigés par les citoyens,vivants, colorés et en bonne santééconomique et ce, par le seul fait que « nospeuples seront en mesure de décider ce quiest bien pour eux ».

Dans le détail, pourtant, personne n’estvraiment d’accord sur la manière. Alorsqu’à la tribune, Marcus Pretzell saluel’existence du marché intérieur uniquecomme étant « une bonne idée au-delàde laquelle on n’aurait jamais dû aller »,Marine Le Pen défend la fin complètede l’Union avec l’abandon de l’euroet la sortie de la France. Cependant,cette dernière s’affranchit rapidement detoute contradiction en expliquant la chosesuivante aux journalistes : « Arrêtezd’essayer de chercher des points communset des différences entre nos partis. Noussommes différents et nous pensons quechacun doit faire ce qu’il entend dans sonpays. Mais ce que nous voulons tous, c’estla fin de l’Europe qui a montré qu’ellea failli à tous les niveaux. Là est notrecohérence, au-delà de nos différences »,affirme-t-elle.

Au bout du compte, la réunion deCoblence suit l’analyse suivante. L’Unioneuropéenne connaît une crise de légitimitéprofonde, ainsi qu’une crise économiqueet financière et, bien sûr, une crisemigratoire. Le Parlement européen vient

de renouveler sa présidence. Enfin, les« moteurs de l’Europe », la France etl’Allemagne, sont face à des échéancesélectorales qui empêchent toute prise dedécision sérieuse et à long terme. Faceà cela, les faits et apparences jouenten faveur des populistes. La victoirede Trump et le Brexit montrent que laconquête du pouvoir est possible. Parailleurs, on ne sait pas encore si le Brexitou le mandat de Trump déboucheront surdes catastrophes. Les populistes européensdisposent donc d’une fenêtre temporelled’au moins deux ans, soit à peu près letemps que les politiques de Donald Trumpet Theresa May puissent être jugées surpièce.

La réunion de Coblence a donc belet bien été conçue comme un coupde butoir médiatique supplémentaire àun moment favorable. À bien regarderl’apparence et les propos des leadersd’extrême droite offerts samedi dernier,la mascarade populiste ne fait guère dedoute. Pourtant, on se dit aussi quele miroir aux alouettes installé par cesprofessionnels de la manipulation peut serévéler redoutable à court et moyen terme,pour les âmes citoyennes qui se sententfrustrées ou spoliées. Et qu’ils gagnentou qu’ils perdent, « le génie nationalne retournera pas dans sa bouteille », aprévenu Geert Wilders.

«Dalida», le biopic et l'êtrepour la mortPAR EMMANUEL BURDEAULE SAMEDI 21 JANVIER 2017

Sorti le 11 janvier, Dalida de Lisa Azuelosn'est pas qu'un biopic de plus. Il poussedans ses derniers retranchements unetendance forte du genre : tout pour la vieet rien pour l'œuvre.

Un certain nombre de chosesn’apparaissent pas, ou si peu, dans lebiopic de Dalida réalisé par Lisa Azuelos.Les paparazzi aux flashes aveuglants etles foules de fans hurlants, par exemple :le public de la star reste, à de raresexceptions près – un retour donné perdantet finalement triomphal à l’Olympia –,une abstraction. Le machiavélisme desproducteurs et le cynisme des marchands,pas davantage, sinon par touches : lepremier mari de la chanteuse, LucienMorisse, n’a d’yeux que pour sa carrière,mais cela n’en fait pas un salaud pourautant. Ou encore, passage pourtant obligéen général, la transition de la pauvretéà la fortune marquée par le spectacledes manteaux de fourrure, des grossescylindrées et des demeures de rêve, sipossible meublées avec le plus outrancierdes mauvais goûts.

Ces absences ne se signalent pas. Ou sipeu. Les biopics sont aujourd’hui asseznombreux, ils se ressemblent en outreassez pour se compléter, voire se prêtermain-forte à distance. Telle scène quine figure pas dans l’un aura été aupréalable vue et enregistrée dans maintautre, de sorte qu’elle peut ici manquersans dommage ou être aisément hallucinéepar le spectateur, surtout au sein d’uncinéma français qui s’est beaucoup penchéces dernières années sur le destin des starsdes années 1960 et 1970, Claude François,Serge Gainsbourg ou Coluche.

Non que Dalida soit dénué des pesanteurset des déguisements usuels du genre –Patrick Timsit en Bruno Coquatrix etVincent Perez en Eddie Barclay valentle détour, tout comme l’excellentissimeRiccardo Scarmacio dans le rôled’Orlando… Il se trouve juste quel’histoire contée ici est moins celle del’interprète de « Bambino », « Il venaitd’avoir 18 ans » ou « Gigi l’Amoroso» que de la femme qui, née IolandaCristina Gigliotti au Caire, en 1933, adoptaau début des années 1950 le pseudo deDalida. Il faut partir de là si l’on veutdonner sa chance à ce film moyen maissingulier, le meilleur de son auteure en toutcas, et de loin : convenons que ni Comme

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t’y es belle ! (2006) ni LOL (2008), nisurtout l’inénarrable Une rencontre (2014)n’avaient placé très haut la barre de notreattente.

Dans Dalida, il n’est quasiment pasquestion de chanson, ni de musique,encore moins d’art. À un journalistequi l’interroge sur le secret de sonsuccès foudroyant, Dalida répond dansun sourire qu’elle travaille énormément.On veut bien la croire. Ce travailreste pourtant entièrement hors-champ, àl’exception d’une scène de répétition dontla chorégraphie disco et les corps ensueur arrivent un peu tard. Il se produitici un curieux échange entre polaritésdramatiques : Iolanda ne semble éprouverà peu près aucune difficulté à devenirDalida ; elle aura en revanche le plus grandmal à devenir elle-même, ou à le rester.C’est-à-dire à être une femme comme lesautres, tout simplement.

Ce sont ce « comme les autres » et ce« tout simplement » tout sauf communset simples qui concentrent l’ensemble desattentions de la cinéaste. Dalida ne racontequ’une histoire : comment être star interditd’être femme. Elle-même fille d’unefigure tourmentée, l’actrice et chanteuseMarie Laforêt – géniale, entre autres,dans le beau et rare Marie-Chantal contreDocteur Kha (1965) de Claude Chabrol –,Lisa Azuelos sait manifestement de quoielle parle.

Leçon à méditer : à une époque qu’on croitfascinée par la célébrité, un film commecelui-là est à deux doigts d’affirmer qu’iln’est rien de plus funeste que d’accéder àla gloire. Devenir célèbre n’est pas ici uneréalisation de soi ; c’en est l’inverse, unempêchement au lieu d’un dépassement.Dalida se moque bien de la chanson, cequ’elle voudrait c’est exister, enfin et toutbonnement. Mais le succès la contraint àrenoncer à être, à se donner à elle-mêmeune sorte de congé définitif.

Bien que prenant toute la place, la chansonest donc rarement davantage qu’un fondsonore, dans Dalida. Un commentaire desecond plan, tout sauf une productionautonome. Cela donne des résultatsinégaux mais parfois inspirés, comme la

rencontre avec Richard Chanfray, fauxalchimiste, faux comte de Saint-Germainmais vrai embobineur à la gueule d’angeet à la voix d’ogre – il est interprétépar Nicolas Duvauchelle –, tandis qu’àl’arrière-plan joue « Paroles, Paroles »,le duo de Dalida avec Delon: « Encoredes mots, toujours des mots, les mêmesmots… » L’œuvre chantée est ici labande originale d’une autre œuvre, sansauteur mais d’un autre calibre, d’une autrenécessité et qui aurait pour titre, selonl’affectueux surnom que lui donnaient sesproches, L’existence impossible de Dali.

La tendance traverse le biopic français –et peut-être aussi l’international – depuisune bonne décennie. Dans le combat entrel’art et la vie, c’est la vie qu’il faut, ou qu’ilfaudrait, seconder. Le message était déjàcelui de La Môme (2007). Mais il y avaitchez la Piaf d’Olivier Dahan et de MarionCotillard une énergie, une vivacité assezdébordantes pour englober la musique aupoint de faire de celle-ci un rouage au seinde la grande machinerie biographique. Unfatalisme étreint au contraire très tôt laDalida d’Azuelos, interprétée avec grâcepar l’Italienne Sveva Alviti : si le film n’estque moyen, Alviti, elle, est parfaite.

Ce fatalisme ne doit que peu à ladénonciation des servitudes du commerce.Aucun méchant ici, j'y insiste. Le fatalismede Dalida est métaphysique. On aurait tortde s’interdire l’emploi du mot à proposd’un film qui s’attarde – à raison, lepassage est émouvant – sur l’initiation dela star à la lecture de Martin Heidegger età la notion d’« être-pour-la-mort » par lejeune intellectuel et chanteur italien LuigiTenco. Tenco se suicidera bientôt, commeles deux autres grands amours dans la viede Dalida, et comme Dalida elle-mêmedeux décennies plus tard, le 3 mai 1987,laissant ce mot resté célèbre : « La viem’est insupportable. Pardonnez-moi. »

Être pour la mort

Dalida et son frère Orlando (SvevaAlviti et Riccardo Scarmacio)

Il serait facile de défendre le film deLisa Azuelos sur cet air-là, qui marchetoujours : la noirceur, la mélancolie, l’être-pour-la-mort (auquel Dalida aimerait tantqu’on substitue « l’être-pour-l’amour »).Ce serait rater l’essentiel. L’essentiel, c’estl’opposition presque terme à terme entrela musique, l’art, la réussite d’un côté, etla vie de l’autre. La plus belle répliquedu film est la réponse que fait Dalida àun homme – Lucien Morisse, sauf erreur– qui, contre son envie d’envoyer toutbalader, lui fait valoir qu’elle n’en a pasle droit pour la simple raison qu’elle a desresponsabilités : en chantant, elle donne eneffet chaque jour de l’espoir à des millionsde gens. La chanteuse a alors ces mots :« Qui m’en donne, à moi, de l’espoir ? »

Ce n’est pas seulement quelque méditationconvenue sur la solitude ou le sacrificedes stars qui est en jeu ici. C’est plusradical et, je crois, plus actuel. Depuis ledébut, Lisa Azuelos fait des films qui sontautant de portraits de femme, autant dechroniques sur ce qu’il en coûte d’êtreune femme aujourd’hui, une femme et uneamante, une femme et une écrivaine, unefemme et une mère… Elle a trouvé sonsujet : Dalida n’arrive pas à être à la foisDalida et quelqu’un. Non pas quelqu’un ausens d’une personnalité, mais au sens den’importe qui. Dalida aurait voulu existerau milieu des autres et elle est le plussouvent seule. Elle rêvait d’être mère, ellene le sera jamais. Elle aurait voulu êtreordinaire, comme tout le monde, mais toutle monde la trouve extraordinaire. Elle ensouffrira toute sa vie au point de déciderd'y mettre fin.

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Longtemps il n’y eut de biopic qu’à lacondition que la vie portée à l’écran fûtplus qu’une vie. C’est parce qu’untel avaitaccompli un exploit, fondé un pays oudirigé un État, bâti une œuvre ou unempire qu’on pouvait raconter sa vie.Qu’on pouvait, autrement dit, raconter cepar quoi cette vie échappait au cadre de cequ’on entend habituellement par là.

Dalida prouve que ce temps est fini. Onserait tenté à présent de soutenir qu’il n’ya désormais de biopic que là où la vie,bien qu’ardemment désirée, manque ; debiopic que de ceux qui, ayant une œuvre,courent après la possibilité d’avoir aussiune vie. Comme s’il y avait urgence àraconter le drame contre-nature de ceuxqui, connaissant le plus, luttent pour avoirégalement le moins. Comme s’il fallaitpasser par le détour de l’exception pourdire la grandeur – parfois hors d’atteinte –de l’ordinaire. Et comme si devenir riche etadulé était la moindre des choses, et que ledéfi logeait ailleurs : parvenir à faire partiede l’humanité, tenir son rang, n’importelequel, au milieu de l’immense assembléedes vivants.

En ce sens, le genre n’a peut-être jamaisaussi bien porté son nom. Biopic : lesimages de la bio, les films de la vie, de lavie comme valeur suprême, bien absolu àcôté de quoi l’art ne pèse pas lourd – ou nedevrait pas peser lourd. Que nous vivionsaujourd’hui sous le régime du bio, toutle prouve, des livres inspirés d’histoiresvraies – de plus en plus souvent venuesdu cinéma d’ailleurs – et pourtant intitulés– on se demande pourquoi – romans, jusqu’à la vogue du bio.

Contrairement à l’idée reçue, le tempsn’est pas au faux et à ses puissances, à lafiction et à ses vertiges. Il est au vrai età sa tyrannie. Il est, sinon à l’authentique,au chantage et au marché de l’authentique.L’étonnant est alors que, tout en ne voulantque la vie, c’est-à-dire la chose a priori lamieux partagée, un certain cinéma – pours’en tenir à celui-ci – s’acharne à allerla chercher de l’autre côté : du côté del’art, du côté de ceux qui s’extraient dupartage commun au risque, précisément,de n’avoir pas de vie.

À propos de Moi, Daniel Blake de KenLoach, je risquais il y a deux moisun diagnostic : « haine de l’art ». Laquestion se repose différemment avecDalida. « Haine » est un mot fort.« Absence » ou « refus » conviennentmieux. Aucune – rigoureusement aucune– tentative d’élucidation ou d’explication,chez Lisa Azuelos, quant au caractèreparticulier de la chanson dalidienne. Cetrait, pour être commun à tous les biopicscontemporains, n’en laisse pas moinspantois.

D’où cette défiance telle, à l’égard descausalités, qu’elle évacue toute formede discours autre qu’existentiel, résumantchaque chanson, chaque œuvre au produitd’un tempérament, voire à celui d’unerencontre miraculeuse avec le public ?Quel est ce cinéma qui se tourne versles figures de la culture populaire touten ne semblant jamais se demander cequ’est cette culture, ce qu’est le populaire,d’où l’un et l’autre viennent et commentils fonctionnent ? Quels sont ces filmsqui visent le succès en parlant du succès,mais sans consentir à dépenser un grammed’énergie ou d’intelligence à s’interrogersur les rouages et les énigmes du succès ?Étrange esthétique, étrange politique. Leurintérêt ne va pas du tout à la popularitéd’un art ; il va entièrement à celle del’artiste en tant que candidat, toujoursrecalé, à l’humanité ordinaire.

Tennis: six questions surun détournement de bienspublicsPAR LAURENT MAUDUITLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Parmi les irrégularités commises au seinde la Fédération française de tennis, surlesquelles la police judiciaire enquête,l'une d'elles est avérée : le trafic quia eu lieu autour des billets de Roland-Garros constitue un détournement de bienspublics.

C’est un spectacle inouï qu’offreactuellement la Fédération françaisede tennis (FFT) : alors qu’elle est

secouée par un nouveau scandale, quia donné lieu à l’ouverture par leparquet national financier d’une enquêtepréliminaire, les instances dirigeantes,premières éclaboussées à des degrés diverspar l’affaire, continuent de supervisercomme si de rien n’était une procédured’élection pour introniser le 18 févrierprochain un nouveau président. Lequel,sitôt en fonctions, pourrait avoir descomptes à rendre sur ses activités passées.De son côté, le ministre de la ville, dela jeunesse et des sports Patrick Kannerse désintéresse totalement du dossier –bien que la FFT assume par délégationdes missions de service public – et semblejuste attendre le prochain Roland-Garros,dans l’espoir sans doute d’être invité à lafête et d’y être vu aux côtés de « people »du cinéma ou de la culture.

Au risque de gâcher un peu la fête, il estpourtant légitime de comprendre commentcette fédération, qui compte plus d’1,1million de licenciés (ce qui fait d’ellela deuxième fédération sportive après lefoot), connaît un tel naufrage ; et decomprendre aussi ce que cela dit de notrevie publique.

Voici donc les principales questions quesoulève la crise de la FFT :

1. Quelles sont les irrégularités avérées ?

On se souvient que selon le rapportde l’Inspection générale de la jeunesseet des sports (IGJS), révélé récemmentpar Mediapart (on le retrouvera dans saversion intégrale dans le premier volet denotre enquête La Fédération françaisede tennis, une sulfureuse pétaudière),quatre irrégularités ou manquementsgraves auraient pu être commis.

Primo, le rapport révélait qu’un importanttrafic de billets pour Roland-Garros avaitété organisé, au moins jusqu’en 2011, etque l’actuel président de la fédération,Jean Gachassin, aurait pu en être l’undes bénéficiaires. À son égard, le rapportpointait aussi des « écarts de conduite » etdes manquements graves « à l’éthique » età « la probité ».

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Deuzio, le rapport n’excluait pas que letrafic de billets ait pu être plus vasteque cela et impliquer beaucoup d’autrespersonnes, dont des joueurs ou d’anciensjoueurs de premier plan.

Tertio, le rapport pointait que lesprincipaux dirigeants de la FFT, dontle secrétaire général Bernard Giudicelliet le vice-président délégué Jean-PierreDartevelle, qui briguent aujourd’hui lessuffrages des licenciés (ainsi que l’avocatAlexis Gramblat, qui fait campagne enfaveur d’une « FFT irréprochable »),ont décidé de passer entre eux ce queles inspecteurs ont appelé un « pacte desilence » quand ce trafic a été découvert.En clair, ils n’ont pas dénoncé au parquetun trafic qui contrevient à la loi. Ils ontgardé le secret sur cette affaire, comme s’ilétait normal que les licenciés n’en soientpas informés. Pis que cela ! Comme on ledécouvre dans le rapport, ils ont décidé depasser l’éponge sur ce trafic, comme s’illeur appartenait d’absoudre des fautes quisont constitutives de délits pénaux.

Quarto, le rapport évoquait un possibletrafic d’influence, mais sans retenir pourl’instant d’indices véritablement solides.

Ce sont donc toutes ces pistes que la policejudiciaire doit vérifier, en multipliantperquisitions ou auditions – c’est-à-direen usant de moyens autrement plusimportants et contraignants que ceux dontdispose un corps d’inspection, commecelui de la jeunesse et des sports. On sauradonc dans quelques mois, quand l’enquêteaura avancé, quels sont les griefs qui sontétablis et ceux qui ne le sont pas.

Mais d’ores et déjà, il y a une certitude,c’est que l’affaire ne sera pas classée.Car de toutes ces irrégularités, il y en aune qui est dès à présent établie, c’est letrafic de billets. On en ignore encore lavéritable ampleur – même s’il se confirmequ’elle est importante – et la liste précisedes bénéficiaires. Mais il est maintenantacquis que la justice sera un jour saisie aumoins de ce volet de l’affaire, sinon desvolets complémentaires.

2. Un trafic de billets constitue-t-il unefaute pénale ?

Dans le rapport de l’IGJS, on découvrait laversion des instances dirigeantes de la FFTsur le trafic de billets. Les inspecteurs onten effet mis la main sur un mail, en datedu 25 janvier 2016, adressé par BernardGiudicelli à ceux qui le soutiennent danssa campagne pour devenir le nouveauprésident, mail dans lequel il expliquesa version de l’histoire. Sans évoquerprécisément le « pacte de silence » qu’ila passé avec les autres dirigeants de laFFT, dont Jean-Pierre Dartevelle, quandle trafic a été découvert, il fait clairementcomprendre que la décision a été prisede ne pas éventer l’affaire et surtoutde passer discrètement l’éponge. « Dansle même temps, écrit-il, nous décidâmesune amnistie générale pour tous les faitsconstatés. » Et plus loin, il ajoute :« Les faits remontent donc à 2010. Ilsont été rectifiés en interne. De plus,concrètement, le seul préjudice subi l’aété par la Fédération car il n’y a euaucun enrichissement personnel de Jean ;autrement dit, confirmé par notre avocat,le dossier est pénalement vide. »

Or, ce n’est évidemment pas le cas :le dossier n’est pas pénalement vide.Il est même pénalement… lourd ! Larétrocession d’un billet, provenant del’organisation d’une manifestation par unefédération qui assume des missions deservice public et manie l’argent de seslicenciés comme de l’argent public, estsans la moindre contestation possible undélit pénal car, dans ce cas de figure, untel billet est ce qu’en droit on appelle un« bien public ». La rétrocession d’un telbillet est donc prohibée par le code pénal,en son article 432-15, qui est ainsi rédigé :« Le fait, par une personne dépositairede l'autorité publique ou chargée d'unemission de service public, un comptablepublic, un dépositaire public ou l'un deses subordonnés, de détruire, détournerou soustraire un acte ou un titre, oudes fonds publics ou privés, ou effets,pièces ou titres en tenant lieu, ou toutautre objet qui lui a été remis en raisonde ses fonctions ou de sa mission, estpuni de dix ans d'emprisonnement et d'une

amende de 1 000000euros, dont le montantpeut être porté au double du produit del'infraction. »

Pétition pour une démission desdirigeants de la FFTUn détournement de biens publics ;ou un recel de détournement de bienspublics : voici donc très précisémentle délit commis par ceux qui auraientparticipé à ce trafic de billets. Le délitn’est pas exactement le même que ledétournement de fonds publics, mais s’yapparente.

Cette incrimination qui risque d’êtreretenue dans l’affaire du trafic des billetsde Roland-Garros, en même temps quela lourdeur des sanctions prévues par laloi, permettent donc de mieux mesurerla gravité des faits qui sont en cause.La gravité des irrégularités commisespar ceux qui ont profité de ces billetsdétournés ; mais aussi incidemment lagravité de la décision prise par lesdirigeants de la FFT, dont BernardGiudicelli et Jean-Pierre Dartevelle, depasser un « pacte de silence » surces irrégularités, et même d’en amnistierleurs auteurs. Car c’est donc, pour direclairement les choses, sur un vastedétournement de biens publics, c’est-à-dire sur un délit pénal, qu’ils auraient de lasorte passé l’éponge, au lieu de le dénoncerau parquet.

3. Jean-Pierre Dartevelle et BernardGiudicelli ne devraient-ils pasdémissionner ?

Alors que les deux dirigeants de la FFTpostulent pour succéder à Jean Gachassinà la présidence de la fédération, c’est

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l'interrogation que soulève leur rival,l’avocat Alexis Gramblat. Et force est deconstater que c'est à juste titre.

Alexis Gramblat

Puisqu’ils sont sévèrement mis en causedans le rapport de l’IGJS ; puisqu’ilsdevront aussi répondre devant la policejudiciaire du « pacte de silence » qu’ilsont décidé de passer, les deux dirigeantsde la FFT seraient évidemment bienavisés de se mettre en retrait, pour quela FFT ne soit pas emportée dans lesturbulences de cette affaire. C’est le simplebon sens qui le suggère ; mais c’estaussi la décision qui devrait logiquementdécouler de l’ordonnance rendue mercredi18 janvier par le tribunal de grandeinstance de Paris (lire La Fédérationfrançaise de tennis est placée sous tutellepartielle).

L’ordonnance revient ainsi sur « ce pactede silence », en soulignant bien qu'il a « desconséquences sur la gouvernance dontle fonctionnement actuel s’éloigne desdispositions statutaires ». L’ordonnanceajoute ensuite : «En l’état du rapportimpliquant le président et l’ensemble desdirigeants, ayant donné lieu à une enquêtepréliminaire, le président ne peut pourvoirlui-même à la défense des intérêts de laFédération qu’il préside, et en l’absence,dans les statuts, de la possibilité dedésigner un mandataire par une instanceindépendante de la présidence, il ne peutdésigner un mandataire dont la neutralitéserait remise en cause ; en conséquence,il convient de désigner un mandataire adhoc pour le temps de la procédure pénaleavec mission de défendre les intérêts de laFFT en sa qualité de partie civile. »

Le tribunal a choisi ce mandataire adhoc : il s’agit de Michèle Lebossé,qui est administratrice judiciaire. Pourune durée de douze mois renouvelable,le tribunal fixe ainsi sa mission : elledevra « représenter la FFT dans laprocédure pénale actuellement en enquêtepréliminaire au parquet national financiermettant en cause le président et lesdirigeants de la FFT, de se constituerpartie civile au nom de la Fédération sinécessaire et de prendre toutes décisionspour la défense des intérêts de celle-ci envue de l’éventuel préjudice qu’elle auraitsubi ».

Cette mise sous tutelle partielle constituedonc un discrédit pour la FFT. Etc’est ce qu’a fait valoir le jour mêmeAlexis Gramblat dans une déclaration surTwitter et sur Facebook. Dans cettedéclaration, il fait en particulier cesconstats : « Le Président du tribunal,après avoir pris soin de consulter leProcureur de la République, a considéréque dans la mesure où la FFT étaitpossiblement victime des agissementsde certains de ses dirigeants et queces derniers avaient choisi de faire un“pacte de silence” pour empêcher larévélation des faits, il n’y avait d’autresolution que de faire représenter laFFT par un tiers indépendant afin dedéfendre ses intérêts […]. Franchement,quand on en est là, quand la justiceprend des mesures aussi sérieuses etaussi rares ; y a-t-il encore matièreà se poser la question? Les dirigeantsvisés doivent démissionner pour préserverl’institution et pour pouvoir se défendresereinement. Bien évidemment, ils sontprésumés innocents, et je suis plusque tout attaché à ce principe deprésomption d’innocence, mais l’imagede notre Fédération souffre trop de leurmaintien à sa tête. Alors, Messieurs,prenez vos responsabilités, prenez la seuledécision qui s’impose pour le bien de votreFédération : D-E-M-I-S-S-I-O-N-N-E-Z etne revenez, si vous deviez revenir après25 ans déjà passés à sa tête, qu’une foisblanchis de tout soupçon. »

Et Alexis Gramblat poursuit :« Aujourd’hui, j’encourage tous leslicenciés de la Fédération à signer cettepétition en ligne demandant la démissiondes dirigeants impliqués dans le “pactede silence”, la remise à plat du systèmeélectoral pour obtenir un vote selon laformule un licencié/une voix. C’est laseule manière à ce jour de retrouver une#FFTIrreprochable. »

La pétition peut être consultée ou signéesur le site Change.org : elle est ici.

4. L’élection du nouveau président de laFFT n’est-elle pas biaisée ?

La réponse coule de source : c’est doncdans de très mauvaises conditions que sedéroule la procédure de désignation dunouveau président de la FFT, procédurequi va s’achever le 18 février. Car à chaquenouveau rebondissement, la direction de lafédération, se rangeant implicitement ducôté de deux des candidats, Jean-PierreDartevelle et Bernard Giudicelli, publiedes communiqués de presse lénifiantss’appliquant à minimiser le scandale.

Un début de chasse auxsorcières ?Plus grave : comme le seul documentpublic dont on dispose permettant deconnaître, même seulement de manièreapproximative, les irrégularités qui ont puêtre commises est le rapport de l’IGJS, lesinstances dirigeantes de la FFT auraient dûavoir à cœur de diffuser très largement cedocument, de sorte que tous les licenciéspuissent en prendre connaissance, ainsique tous les responsables des ligueset comités départementaux. Or, bienévidemment, ce n’est pas le cas. Onchercherait en vain ce rapport révélé parMediapart sur le site internet de la FFT, etcette dernière ne l’a pas davantage adresséaux ligues et comités départementaux.Motus et bouche cousue ! Il faut doncdire les choses comme elles sont :scandaleusement, c’est à l’aveuglette quela procédure de désignation du nouveauprésident se déroule, sans que les votantsne connaissent l’existence de ce rapport.

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Rien que de très logique ! Imagine-t-on Bernard Giudicelli et Jean-Pierre Dartevelle diffusant largement unrapport… qui les épingle ? CQFD !La procédure électorale est totalementbiaisée.

Déjà, elle était dans le passé totalementopaque. Comme dans la plupart des autresgrandes fédérations sportives, les licenciésn’ont pas voix au chapitre : ce sont degrands électeurs qui désignent le président,dans le cadre d’une procédure qui n’estdonc pas du tout démocratique. Celle-cimériterait d’être réformée radicalement,pour que les licenciés choisissent eux-mêmes leur président.

Mais dans le cas présent, c’est encoreplus grave. À la démocratie anémiée quirègne ordinairement au sein de la FFTs’est ajouté un « pacte de silence ».Car c’est bien cela qui s’est passé :le « pacte de silence » qui a eu lieuces dernières années pour masquer letrafic de billets s’est prolongé jusquedans la procédure électorale. Pour que lescandale ne pèse pas sur la désignation dunouveau président ; pour que les licenciésn’en soient pas informés ; pour que toutcontinue comme avant…

5. Pourquoi la commission des litiges dela FFT va-t-elle siéger ?

La procédure de désignation du futurprésident de la FFT n’est pas seulementopaque et très peu démocratique ; elles’accompagne aussi de coups fourrés.

C’est en effet une scène étrange quiva se dérouler lundi au siège de lafédération. En position délicate, vivementcritiqué par le rapport de l’IGJS, BernardGiudicelli, qui est actuellement l’hommefort de la fédération et souhaite le rester,a pris prétexte de quelques échangesvifs ou parfois même violents entreles différents camps en présence pourpoursuivre devant la commission deslitiges une figure connue du tennis enÎle-de-France, Anthony Dagnaud, quifait campagne pour Alexis Gramblat.Président d’un club du Val-de-Marne, CSMarne, s’occupant de la jeune carrièrede Geoffrey Blancaneaux, le vainqueur

2016 de Roland-Garros Junior, AnthonyDagnaud aurait traité Bernard Giudicellide « pourri » - c'est du moins ceque prétend ce dernier- dans le feu despolémiques.

Résultat : il doit comparaître lundi enfin de journée devant la commission deslitiges de la FFT. Et Bernard Giudicellia demandé que lui soit infligée une« sanction exemplaire ». Une étrangeprocédure, en vérité : Mediapart ademandé vendredi au service de pressede la FFT si l’audience avait ou non lieuà huis clos, mais nous ne sommes pasparvenus à obtenir une réponse.

Quoi qu’il en soit, c’est une commissionpassablement surréaliste qui va se tenir.Car le jeune président d’un club trèsdynamique est menacé d’une sanction. Etsi tel était le cas, on en resterait sansvoix : la seule, l’unique sanction envisagéepar la FFT depuis le début du scandaleserait prise à l’encontre d’un dirigeant declub qui s’est indigné – en des termessûrement énergiques – des dérives decette fédération. Mais pour le reste, toutle reste, aucune sanction ! Présomptiond’innocence, et silence dans les rangs.

Cette commission s’apparente donc à uneopération diversion ! Une méchante prisede judo, pour accréditer l’idée que lesdirigeants actuels de la FFT sont lesvictimes d’une insupportable cabale…

6. Mais que fait donc le ministre dessports ?

La réponse ne fait malheureusement aucundoute – et ce n’est pas le moindre desenseignements de cette affaire : rien !Strictement rien ! Depuis le début del’affaire, le ministre de la ville, de lajeunesse et des sports Patrick Kanner etle secrétaire d’État aux sports ThierryBraillard se sont distingués par leur silenceet leur inaction.

Comme nous l’avons révélé, ils n’ontd’abord pas voulu saisir le parquet desirrégularités mises au jour par l’Inspectiongénérale de la jeunesse et des sports. Cequi a contraint les inspecteurs à le faireeux-mêmes.

Mais plus généralement, des dérives d’unefédération sportive assumant des missionsde service public, ils n’ont rien à dire nid’enseignement à tirer. Soit dit en passant,ce terrible diagnostic ne vaut d’ailleurs pasque pour le tennis : au gré des révélationsde la presse, et notamment de Mediapart,on devine que l’impuissance publique estgénérale. Pour le tennis, comme pour lefoot, comme pour le rugby…

Ceci explique d’ailleurs cela ! Pas devéritable démocratie interne au profit deslicenciés ; totale passivité des ministres quine veillent pas au bon respect des missionsde service public : tout concourt pourqu’une grande fédération soit abandonnéeà de petits appétits ou de médiocresambitions. La FFT privatisée au profitd’une petite camarilla…

Cédric Herrou à nouveauinterpellé, des journalistesentravésPAR LOUISE FESSARDLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes), les autorités accroissentla pression. Trois militants, dontl’agriculteur Cédric Herrou déjà poursuivipour aide au séjour irrégulier, ont étéplacés en garde à vue, puis relâchés le 20janvier.

Jugé le 4 janvier 2016 pour aide à l’entrée,à la circulation et au séjour d’étrangers ensituation irrégulière, l’agriculteur CédricHerrou, 37 ans, avait revendiqué « uneaction politique ». Le procureur de laRépublique de Nice Jean-Michel Prêtreavait requis huit mois avec sursis contrecette figure emblématique du combat deshabitants de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes). Depuis le rétablissement descontrôles à la frontière franco-italienne ennovembre 2016 à la suite des attentatsde Paris, cette vallée est devenue unpoint de passage obligé pour les migrantssouhaitant rejoindre la France. Toutesles nuits, de petits groupes partent deVintimille par les voies de chemin de

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fer, les sentiers ou la départementale. Ladécision du tribunal sera connue le 10février.

En attendant, l’agriculteur de Breil-sur-Roya a été de nouveau interpellé le 19janvier 2017 par des militaires d’unepatrouille Sentinelle vers 1 heure du matin,sur un chemin près de Sospel. Placéen garde à vue dans les locaux de labrigade de recherche de la gendarmerie deMenton, Cédric Herrou a été libéré le 20janvier au soir. Toutefois, a prévenu leprocureur de Nice, l’enquête en flagrance« se poursuit malgré tout, notammentavec l'exploitation de la téléphonie ». Uneenquête de ce type peut durer huit jours.

Message publié le 21 janvier par Cédric Herrousur Facebook après sa sortie de garde à vue.

Qu'est-il reproché à Cédric Herrou, quien est à sa troisième interpellation ?Dans Nice Matin, le procureur de Nicea commenté en direct sa garde à vue :« Il était caché dans des buissons aumoment de son interpellation. Il était encompagnie de plusieurs Érythréens ensituation irrégulière. Il est en garde àvue pour, a minima, aide à la circulationd'étrangers en situation irrégulière. Lacompagnie de gendarmerie de Menton estchargée de l'enquête. L'audition de M.Herrou est en cours. » Dans Libération,le procureur précise : « Il tentait defaire passer, par des chemins détournés,le contrôle à trois personnes d’origineérythréenne. »

La version de Cédric Herrou, jointce samedi, diffère sensiblement : «Mercredi soir, trois jeunes Érythréens etun Tchadien [tous quatre majeurs – ndlr]sont partis de chez moi vers 20h30, unpeu avant le dernier train pour Nice. Çam’a stressé de ne pas avoir de nouvelles.

Avec Morgan [son frère – ndlr] et Lucille[une bénévole – ndlr], nous avons essayéde longer les voies ferrées. Nous étionsdeux voitures et avons été contrôlés aupoint de passage autorisé à l’entrée deSospel. Dans l’autre voiture, celle de monfrère, il y avait plusieurs sacs à dos. Ungendarme a dit à mon frère : “Profite deta dernière bière.” Ce sont eux qui ontalerté les militaires sur les “agissementsde la famille Herrou”. À Sospel, nousnous sommes arrêtés pour boire une bière.Hassan, le jeune Tchadien, a fini parrallumer son téléphone : “Je suis perdu, jesuis sous un pont.” Nous avons compris,lors de la garde à vue, qu’ils avaientdû être bloqués par des travaux sur lesvoies. Je suis parti à pied sur la voieferrée, je les ai trouvés et nous avonsattendu près du cimetière de Sospel. Nousavons entendu du bruit, je me suis éloigné,j’ai vu les militaires interpeller les troisÉrythréens puis ils m’ont chopé aussi. Ilsnous auraient repérés avec des jumellesnocturnes. Je n’étais pas caché, je n’avaispas de voiture contrairement à ce quele procureur a affirmé. J'étais assis dansl’herbe et je regardais, car ça fait peur unedizaine de militaires qui courent avec leurarme. Hassan a été arrêté plus tard par lapolice aux frontières. »

Son avocat Zia Oloumi s’interroge surles conditions de son interpellation pardes militaires de la mission Sentinelle,ainsi que sur l’« intention véritable »de la perquisition de son domicile le19 janvier. « Est-on dans du grandbanditisme, de l'antiterrorisme ? Il ya une volonté d'impressionner avec undéploiement de force comme dans les cités.» Une trentaine de gendarmes « casqués,avec visière, gilet tactique multipoches,tonfa, lacrymo et pince-monseigneur »,ont débarqué jeudi après-midi sur leterrain de l’agriculteur, selon le récit deLaurent Carré, photographe à Libérationqui était présent. Laurent Carré a vouluphotographier l’intervention et en a étéphysiquement empêché. D’abord par uneclef de bras, puis par un plaquage au sol.

« “Le journaliste, tu le fais redescendre !”Ça doit être pour moi ça, relate-t-il dans Libération. Un gendarmevient à ma rencontre et me saisit lebras. J’essaye de faire des images,contestant tranquillement, quand unsecond m’attrape le bras gauche. Unesubtile torsion arrière assez désagréabledu bras plus tard, je me retrouve en bas surces sentiers escarpés. Mes deux cerbèresme relâchent près du bas de la piste :“Voilà vous restez là, vous n’allez pas plushaut.” »

Entre-temps, les gendarmes interpellentLucille, 25 ans, et Morgan, 31 ans,qui venaient de finir de déjeuner avecle photographe, ainsi que trois mineurssoudanais et tchadiens de 16 à 17 ans,Nasser, Moussa et Ali. Le photographe lesvoit redescendre. « Je fais des images desprévenus quand soudain j’entends : “Non,non, pas de photos”, hurle le gendarme encivil. Je proteste et déclenche. Subitementle gendarme casqué me fiche au sol. Jedéclenche de nouveau et un second casqueentre dans mon champ de vision. Les brasassociés saisissent ma main et mon boîtier.Ses doigts parcourent les touches de monappareil photo. »

Émile, un bénévole de 31 ans, étaitégalement présent : « Les gendarmes ontdébarqué d’en haut et d’en bas en fileindienne et cerné la maison en criant. Ilsont failli flinguer le chien. Ils ont ouvertles caravanes des trois mineurs en lesbraquant comme si c’était des terroristes.Ils sont rentrés, arme à feu à la main, dansla maison où une infirmière soignait unmineur. C’était complètement démesuré.Direct, ils ont tutoyé Lucille et Morgan.C’était très condescendant. »

Placée en garde à vue par la brigadede recherche de la gendarmerie deMenton comme le frère de Cédric Herrou,Lucille a exercé son droit au silence.« Les gendarmes m’ont arrêtée, car ilsm’avaient vue dans la voiture avec Cédricmercredi soir, nous explique-t-elle. Ilstrouvaient suspect que j’ai tant de sacsavec des vêtements dans le coffre et queMorgan ait beaucoup de sacs à dos. Ilsm’ont demandé ce que je faisais à Sospel

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ce mercredi soir, de décrire ma journée,quel était mon parcours, pourquoi j’étaisvenue dans la vallée. »

« Un acharnement dangereux »Quant aux trois mineurs nonaccompagnés, également interpellés parles gendarmes, ils étaient de retour chezCédric Herrou ce samedi matin après avoirmarché toute la nuit sur les voies ferréesvenant d’Italie. L’agriculteur ne décolèrepas. « Nous avions fait une requête de priseen charge éducative auprès du parquet deNice et de l’aide sociale à l’enfance [ASE,gérée par le conseil départemental – ndlr]le 16 décembre 2016, dit Cédric Herrou. Etles gendarmes, au lieu de les prendre encharge, les ont renvoyés en Italie ! »

Selon la loi française, tout mineur nonaccompagné doit être pris en charge parla police et placé dans un foyer parl’aide sociale à l’enfance du départementconcerné. Mais la préfecture des Alpes-Maritimes prétexte du rétablissement descontrôles aux frontières pour leur refusercette protection. L’argutie est la suivante :lorsque les mineurs sont contrôlés surun des treize points de passage autorisés(PPA) des Alpes-Maritimes, comme lagare de Menton-Garavan ou celle deSospel, ces étrangers sont considéréscomme “non entrés” en France et donc“non admis”. Cédric Herrou estime qu’unequarantaine de mineurs étrangers nonaccompagnés sont actuellement bloquésdans la vallée, le parquet des mineurs deNice et le département se renvoyant laballe.

Émile est lui aussi particulièrementchoqué du traitement de ces adolescentsayant fui leur pays. « Nous nous attendionsà une perquisition, comme à chaque foisque Cédric part en garde à vue. Nous leuravions dit : “Vous avez des droits, vous nerisquez rien, ne partez pas en courant.” Cesadolescents sont arrivés il y a deux moisépuisés, muets, ils commençaient à allermieux, à rire, à se remettre à parler, et ilsse font mettre en joue par des gendarmessurarmés qui les embarquent… C’est toutle travail de deux mois qui est mis en l’air !»

Le 19 janvier, vers trois heures du matin,une journaliste du mensuel L’Âge de fairea également été interpellée un peu aprèsSospel alors qu’elle accompagnait surla voie ferrée six adolescents érythréenspour un reportage. « Une quinzaine demilitaires, de gendarmes et de policiers dela PAF embusqués dans chacune des voiesnous sont tombés dessus un peu aprèsun tunnel », décrit Lisa Giachino, jointepar téléphone. La journaliste a passé dixheures en garde à vue à la PAF de Menton,avant d’être libérée sans poursuite. « Ellen’était pas en possession d’une cartede presse, a justifié le procureur de laRépublique de Nice Jean-Michel Prêtredans Libération. Elle a été placée en gardeà vue pour faire la démonstration qu’elleréalisait bien un reportage, et non une aideaux migrants. »

Directrice de la publication du mensuel,Lisa Giachino ne dispose en effet pasde carte de presse, mais là n'est pas laquestion, d'autant que la carte de pressene fait pas le journaliste. « À aucunmoment les gendarmes et policiers ne mel’ont demandée, dit-elle. Et les policierset gendarmes n’ont jamais mis en doutele fait que j’étais journaliste. » À salibération pour « infraction incaractérisée», les policiers ont toutefois laissé planerla menace : « Attention, si on vousreprend avec des migrants, on peut rouvrirl’enquête et vous poursuivre. » « Je leurai répondu que je faisais mon travail etque je reviendrais sans doute en reportagesur les migrants, relate Lisa Giachino.Ils m’ont dit que quand on fait unreportage en vallée de la Roya, il faut uneautorisation en préfecture ! »

À la gare de Menton après sa sortie degarde à vue vers 13 heures, la journalistea vu la police placer dans un train versl’Italie les six adolescents érythréens, dontau moins quatre mineurs, interpellés enmême temps qu’elle. « Ils avaient étéenregistrés comme mineurs à la policeaux frontières et certains avaient fait unedemande de prise en charge par l’ASE,remarque Lisa Giachino. Nous avons été

arrêtés sur le sol français, pas sur un PPA,donc ces mineurs auraient dû être pris encharge.»

Dans un communiqué, l’association Royacitoyenne a dénoncé un « acharnementdangereux » du préfet des Alpes-Maritimes. C'est l'impression que donnentles autorités départementales, dont l'actionrépressive n'est pas forcément suiviepar les juges du siège. Le tribunalcorrectionnel de Nice a ainsi relaxé, le6 janvier 2017, un enseignant-chercheurqui avait convoyé des Érythréennes. Leprocureur de la République de Nice afait appel. Le même jour, quatre militantsétaient interpellés et placés en garde àvue près de Sospel, accusés d'avoir aidédes migrants à contourner un contrôlede police. Poursuivis pour aide au séjouret à la circulation d’étrangers, ils sontconvoqués le 16 mai 2017 devant letribunal correctionnel de Nice.

Les industries culturelles etmédiatiques rattrapées parle vertige numériquePAR JOSEPH CONFAVREUX ET OLIVIERALEXANDRELE LUNDI 23 JANVIER 2017

Transmédia, cross-média, multimédia…Derrière ces néologismes se jouentles bouleversements numériques etéconomiques des industries culturelles etmédiatiques. Alors que ces enjeux sontsingulièrement absents de la campagneprésidentielle, entretien avec Boris Razon,directeur éditorial de Slate, et anciendirecteur éditorial des nouvelles écrituresde France Télévisions et de France 4.

« Contrechamp », le rendez-vous vidéoet long format de Mediapart consacré auxconditions de production et aux processusde création de ce qui nous est donné à voir,

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lire ou entendre, se centre cette saison surle numérique, en compagnie du sociologuede la culture Olivier Alexandre.

L’analyse des évolutions matérielles desindustries et politiques culturelles esten effet nécessaire dans une périodede bouleversements technologiques etéconomiques, à l’orée d’une campagned’où la culture est singulièrement absente,bien que l’on estime que la productionde biens et services culturels en Francedégage un chiffre d’affaires de 130milliards d’euros et concerne 670 000emplois.

Que recouvrent les termes de « nouvellesécritures » ou de « nouveaux contenus » ?Le transmédia est-il autre chose qu’un CD-Rom rénové ? Qu’est-ce qui se passe etse joue dans les laboratoires multimédiasde Google, du New York Times, deFrance Télévisions ou d’Orange ? Quellessont les rencontres et les contradictionsentre des logiques technologiques etmédiatiques, entre des ingénieurs et desjournalistes ? Comment écrire, filmer,créer au temps d’Internet ? Existe-t-il unmodèle économique pour ces « nouveauxcontenus » vite périmés ?

Autant de questions abordées encompagnie de Boris Razon, actueldirecteur de Slate, ancien directeurdu monde.fr, passé par la directionéditoriale des nouvelles écritures deFrance Télévisions et celle de France 4.

Valérie Mrejen livre sondoux chambardementPAR LÉONTINE BOB (EN ATTENDANT NADEAU)LE SAMEDI 21 JANVIER 2017

L'enfant est né, « le futur être est passéau présent » et le temps s'est écoulé. Dansson roman Troisième Personne, ValérieMréjen déploie son art d'attraper les micro-instants.

Depuis le haut de la fenêtre de la clinique,la mère regarde la ville. Un fragmentde Paris décrit dans toute sa plasticité,ses formes et ses couleurs. Dans un élanpoétique, les gouttes qui dansent formentdes paillettes comparées aux pupilles des

lolitas de mangas. « Les petites billesnoires » viennent de voir le jour et lamère réapprend à regarder, s'émerveillantde chaque détail urbain et de la lumièrechangeante. L'eau qui circule, allusion àla vie qui s'écoule, parcourt le roman. Etcomme la Seine qui va, le roman est prisdans un flot ; l'écriture est fluide. Lesbribes de dialogues sont intégrées au seindes paragraphes sans signe de ponctuationdistinctif. De même, les phrases uniquesqui forment des paragraphes successifs. Etsoudain, le roman devient film, l'auteurejoue sur l'échelle des plans. Ici un gros planfocalise sur les mains d'une vieille femmequi caresse celles de l'enfant ; là un pland'ensemble intègre la fillette minuscules'éloignant sur une plage immense. Pourtendre à une universalité, les parentset l'enfant ne sont jamais nommés, ilssont « elle » et « il ». Mais, audétour d'une phrase, « ses parents »deviennent « mes parents », opérant uneconfusion sur l'identité de la narratricequi devient personnage. La vie de lamère se révèle à partir d'indices parsemésdans le roman : sa relation avec sesparents, les retours de vacances quand elleétait plus jeune… Une réflexion sur lamémoire s'engage à partir des souvenirsde l'adulte : que retient-on de sa propreenfance ? Et le roman amorce aussiune réflexion philosophique sur l’être etla conscience. À partir de ses propresvues et sensations, la narratrice s'interrogesur ce que le nouveau-né peut éprouver.Dans le taxi qui quitte la clinique, blotticontre sa mère, le nourrisson ne peut pasencore se rendre compte des paysagesqui se dessinent et s'animent à l'extérieur.Et son évolution rapide entraîne unquestionnement sur le temps qui fuit et leuréchappe. L'auteure fait des allers-retoursentre les âges de l'enfant, comme unéternel recommencement possible grâce àl'écriture. Cette écriture qui permet de fixer

les souvenirs et, à l'inverse de la vie, denaviguer dans le temps en revenant dans lepassé et en racontant le futur.

Valérie Mrejen. © Stéphanie Solinas

L'enfance est un thème récurrent dans letravail de l'auteure, également cinéaste,vidéaste, plasticienne et metteuse enscène. Pour créer, elle s’inspire de sespropres souvenirs et des souvenirs de ceuxqu’elle rencontre. Dans ses précédentsromans, elle a exploré la famille sous sesdifférentes formes : tensions entre frèreset sœurs, arrachement aux parents, amourpossessif, incompréhension et révoltejuvénile. De même, dans son travail deplasticienne et de vidéaste, elle s’interrogesur la filiation, récolte des mots d’enfantsqui éclairent l’univers des adultes etrévèle des histoires de famille parfoisdramatiques.

La venue de l'enfant transforme leregard des parents sur le monde. Lesrelations sociales évoluent, la mèreparle aux inconnus et le voisinagesemble plus agréable. Les parentsapprennent un nouveau vocabulaire,dorment peu et prennent consciencedes dangers domestiques. Ils doiventredoubler d'efforts pour répondre auxquestions de l'enfant qui n'est jamaissatisfait. Et ils ne peuvent s’empêcherd’interpréter ses actes, ses pleurs, sescris. Le roman évoque la nostalgie –comme celle ressentie à l'écoute d'unechanson qui sera plus tard fredonnée àl'enfant – mais il n'est pas nostalgique.L'auteure décrit les changements avecironie. Le corps transformé de la mère qui,avec fierté, se rend au supermarché pouracheter une gaine ; des parents, courbés,qui s'évertuent à chercher les piècesmanquantes des jouets qu'ils retrouverontdans des lieux improbables. Ou bien

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la carrière professionnelle de certainesfemmes anéantie parce qu'elles auraientcommis l'erreur d'être enceintes.

« Lorsque le futur être est passé auprésent », l'attention des parents s'estfocalisée sur ce nouveau-né qui a grandi sivite. La mère essaye alors de se rappeler etl'écriture s'aventure dans les méandres dela mémoire pour garder une trace.

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Troisième Personne, de Valérie Mrejenéditions P.O.L, 144 pages, 10 euros

Boite noireCet article fait partie du prochainnuméro de la revue numérique Enattendant Nadeau. Sa publication surMediapart se fait dans le cadre d'unpartenariat entre nos deux journaux, quiont la particularité, l'un et l'autre, d'êtreindépendants. L’équipe d’En attendantNadeau publie donc régulièrement surMediapart un article de son choix.Retrouvez ici la présentation détaillée decette collaboration par François Bonnet(Mediapart) et Jean Lacoste (En attendantNadeau). Et retrouvez ici les différentescontributions d'En attendant Nadeau surMediapart.

L’Institut national du sporten pleine tempêtePAR LAURENT MAUDUIT

LE VENDREDI 20 JANVIER 2017

Le directeur général de l'Institut nationaldu sport (Insep), Jean-Pierre de Vincenzi,qui arrive à la fin de son mandat en mars,est appuyé par le ministre des sports pourdevenir inspecteur général de la jeunesseet des sports. Problème : cette mêmeinspection a écrit au ministre trois notestrès sévères, que révèle Mediapart, alertantle gouvernement sur sa gestion chaotique.

L’Institut national du sport, de l’expertiseet de la performance (Insep), templede l’élite sportive française, vit desjours agités. François Hollande s’apprêteà nommer à sa tête un nouveaupatron, contesté par quelques fédérationssportives mais appuyé par d'autres.Quant à l’actuel directeur général del’établissement dont le mandat s’achève,il pourrait être promu au sein del’Inspection générale de la jeunesse etdes sports (IGJS), alors même que celle-ci vient de formuler à son encontredes griefs ravageurs. Ceux-ci auraientdû le disqualifier pour postuler à cettenouvelle fonction, ainsi qu'ils apparaissentdans plusieurs notes confidentielles queMediapart révèle.

Pour le sport de haut niveau français,l’Insep est un outil précieux. Jouissant dustatut d’établissement public à caractèrescientifique, culturel et professionnel,il a la mission de former et d’encadrerles meilleurs jeunes sportifs français,et de les préparer aux plus grandescompétitions internationales, notammentles Jeux olympiques. Accueillant commerésidents des sportifs de toutes disciplines,l’Insep travaille en très étroites relationsavec toutes les fédérations concernées.Dans le passé, la puissance publiquea donc toujours veillé scrupuleusementà nommer des directeurs généraux quifassent consensus dans les milieux dusport. À chaque changement à la tête del'Insep, les grandes fédérations s'agitent etjouent des coudes pour tenter d'imposerleur favori. Cette fois encore, desfédérations s'agacent car leur champion estécarté, tandis que d'autres applaudissentcar le leur a été adoubé par la puissancepublique.

Le nouveau promu devrait être GhaniYalouz, un ancien champion de luttedevenu directeur technique national deséquipes de France de lutte et, à partirde 2009, directeur technique nationalde la Fédération française d'athlétisme.Beaucoup chantent les louanges de l’ex-sportif, dont le parcours est exceptionnel.Mais d'autres préviennent qu’il n’a pas –ou n'aurait pas – les compétences requisespour diriger et gérer un établissement aussiimportant, qui au total dispose de prèsde 400 agents et héberge près de 600sportifs. Selon nos informations, plusieursresponsables fédéraux ont donc fait savoirà l’Élysée leur désaccord. Car si lanomination relèvera d’un arrêté pris parle premier ministre Bernard Cazeneuveet le ministre des sports Patrick Kanner,la décision a en réalité été prise au« château ». C’est Nathalie Iannetta,un temps conseillère pour les sportsà l’Élysée, qui a convaincu FrançoisHollande de ce choix. Chaleureux etvisiblement habitué aux empoignadesrugueuses, l'intéressé, lui, semble se sentirpeu concerné par tout ce tohu-bohu dansles coulisses du pouvoir.

La lutte d'influence a pris une tournureplus vive que d'habitude, car tout le mondes'accorde à dire que le bilan du directeurgénéral sortant de l’Insep, Jean-Pierre deVincenzi, est calamiteux. Beaucoup defédérations espéraient donc que le jeude chaises musicales soit l’occasion d’unrebond.

Si certaines fédérations sont si critiquesà l’encontre du directeur général en finde mandat, et le disent haut et fort, c’estqu’elles savent qu’une récente missionconduite par l’Inspection générale de lajeunesse et des sports (IGJS) corroboretotalement leurs propres constats – etva même bien au-delà. Auprès de l’unede ces fédérations, nous avons ainsi puprendre connaissance non pas du rapportde l’IGJS lui-même, mais de trois notesadressées au ministre des sports par lesinspecteurs chargés de cette mission. Troisnotes en forme d’alerte, résumant trèsvraisemblablement la tonalité du rapportfinal.

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En date du 8 décembre 2015, le premierdocument confidentiel auquel nous avonseu accès est une « note d’étape », écrite pardeux inspecteurs généraux de la jeunesseet des sports ainsi qu'un chargé de mission,dans le cadre de l’inspection de l’Insepqu’ils ont engagée. Il est possible dela télécharger ici ou de la consulter ci-dessous :

Dans cette note d’étape adressée auministre de la ville, de la jeunesse etdes sports Patrick Kanner, les inspecteursprécisent que leurs investigations sonttoujours en cours et qu’ils ne disposentpas encore d’une vision globale dufonctionnement de l’Insep. « En revanche,poursuivent-ils, il paraît utile de vousfaire part d’ores et déjà de deux élémentsd’observation ayant trait d’une part aumanagement du directeur général, d’autrepart à la fluidité des relations sociales ausein de l’établissement. Compte tenu deleur caractère sensible, ceux-ci n’aurontpas vocation à figurer de manière aussiexplicite dans le rapport définitif. »

C’est sur le management de Jean-Pierre de Vincenzi que les deuxinspecteurs veulent alerter le ministredes sports. Ils s’y emploient d’aborden résumant leur constat par cetintertitre : « Un management du directeurgénéral distancié et peu lisible pourles agents ». Entrant ensuite dansle détail des dysfonctionnements, ilsrelèvent en particulier que le directeurgénéral ne s’intéresse qu’à certainsvolets de l’activité de l’établissementdont il a la charge et « manifeste unintérêt limité » pour d’autres commela « recherche, le médical et laformation ». « Il semble porter en outretrès peu d’attention (…) aux fonctionssupport (ressources humaines, finances,patrimoine et informatique ». Ce qui de lapart du patron de l’établissement est pourle moins problématique…

La note d’étape révèle aussi unesituation de crise dans les sommets del’Insep, puisque Jean-Pierre de Vincenzi amarginalisé ses deux directeurs générauxadjoints – « il semble exister désormaisune fracture au sein du trio de direction »,

lit-on – et préfère travailler avec desproches qu’il a fait venir auprès de lui.En particulier, « la mission s’interrogesur le rôle du chef de cabinet dont leposte a été créé par l’actuel DG dansun contexte de resserrement des effectifsdes opérateurs de l’État ». « Depuis lemois de septembre 2015, ajoute la note,

cet agent occupe un T4 de 78,7 m2 dansl’établissement sur le fondement d’uneautorisation d’occupation temporaire etrévocable, signée par lui et par le DG,pour un loyer mensuel de 668,95 €(8 027,4 € annuels). Selon plusieurssources d’informations, dont celle del’agent comptable de l’établissement, lamission a eu connaissance de l’attributiond’une prime mensuelle que le DG aaccordée à son chef de cabinet, d’unmontant identique à celui du loyer précité.» Un autre directeur général adjointbénéficierait aussi d’un logement defonction alors qu’il n’y serait pas éligible ;les frais de mission et de réception ontfortement augmenté…

Dans une seconde partie de la note, lesrapporteurs relèvent que le climat socialest dégradé du fait du comportementdistant du directeur général avec lesorganisations syndicales. Ils soulignentqu’ils ont aussi découvert dans certainsservices « des problèmes de mal-être etde souffrance au travail ». « Les auditionsdu médecin de prévention, de l’assistantede prévention et de l’assistante socialeconfirment l’expression d’une souffranceau travail par des agents relevant deplusieurs services », relèvent-ils.

Dernière touche d’ambiance : lesrapporteurs se font l’écho du « malaiseimportant provoqué après l’annonce parle DG de l’invitation pour 3 jours auxprochains JO de Rio de l’ensemble deschefs de département responsables deservice et directeurs de l’Insep » – ils’agit des Jeux qui ont eu lieu en août2016. Et ils ajoutent : « Les frais serontpris en charge par l’établissement alorsmême que les agents administratifs ontété informés que leur prime exceptionnellede fin d’année sera réduite. Même sielles savent que les lignes d’imputation

de ces charges financières sontdifférentes, les organisations syndicalesconsidèrent particulièrement maladroitecette annonce du DG dans un contextebudgétaire contraint. »

Des faits justifiant unsignalement au parquetDans une note complémentaire, en datedu 4 janvier 2016, l’Inspection généralede la jeunesse et des sports (IGJS) faitune deuxième alerte, qui porte sur « lasituation du département de la recherchede l’Insep ». Voici cette deuxième note. Ilest possible de la télécharger ici ou de laconsulter ci-dessous :

La note décrit par le menu destémoignages qui ont été recueillis auprèsd’agents se plaignant de situations deburn-out, de souffrance au travail oude harcèlement, à cause du managementde ce service par un directeur généraladjoint. Si ces témoignages ont étécollectés de manière anonyme, ils ontvisiblement été pris très au sérieux parl’IGJS puisque la note se termine parcette recommandation : «Si des situationsde harcèlement au travail sont établiesdans le cadre de l’enquête menée parle DG de l’Insep, la mission estimeque ces mesures conservatoires sontnécessaires mais ne sont pas suffisantes.Elles justifient également de sa part unsignalement dans les meilleurs délais auprocureur de la République. »

En date du 21 juin 2016, la troisième noteest signée par le chef de l’IGJS et estadressée au ministre, Patrick Kanner. Elleest jointe au rapport définitif sur l’Insepréalisé au terme de la mission d’inspection.Voici cette note. Elle peut être téléchargéeici ou consultée ci-dessous.

Cette note n’apporte pas d’élémentsnouveaux sur la vie interne de l’Insep.Elle révèle juste que le directeur généralne se soucie guère de respecter les règlesde la vie administrative. Dans le cadrede la mission d’inspection, qui prévoitune procédure contradictoire, il a eneffet eu connaissance de la premièreversion du rapport, mais il n’a pasrespecté la confidentialité à laquelle il

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était tenu. « Il convient de soulignerque les observations du directeur généralcitent des commentaires nominatifs dereprésentants d’organisations syndicalesremettant en cause certaines desappréciations sur le dialogue socialqu’ils ont exprimées au cours desauditions avec les rapporteurs. Cettecommunication d’éléments du rapportprovisoire à des tiers par son destinataireest contraire aux règles de la procédurecontradictoire », relève en particulier lechef de l’Inspection.

Et cette mention est moins anecdotiquequ’il n’y paraît, pour une raison qui tientà l’épilogue de toute cette histoire. Carque va devenir à la fin du mois demars, soit à la fin de son mandat, cedirecteur général qui a un bilan aussifortement critiqué par l’Inspection et sesoucie peu des procédures qui encadrentles missions de cette même inspection ?Aussi stupéfiant que cela paraisse : ilpourrait être coopté comme… inspecteurgénéral de la jeunesse et des sports ! Ilest en tout cas parrainé pour ce poste parle ministre Patrick Kanner et le secrétaired’État aux sports Thierry Braillard.

L’affaire fait donc logiquement beaucoupde bruit dans les milieux sportifs. Ausein de la commission ad hoc chargéede remettre un avis sur les nominationsau sein de l’IGJS, la candidature deJean-Pierre de Vincenzi a été vivementcontroversée. Réunie mercredi 11 janvier,ladite commission s’est même coupée endeux : trois membres, proches du ministre,ont défendu cette candidature, et troisautres s’y sont opposés fermement, parmilesquels le président de la commission, quiest conseiller d’État.

Mais le gouvernement renoncera-t-il pourautant à son projet ? Lorsque l’on regardeles turbulences dans lesquelles sont priscertains sports, comme le football, oucertaines fédérations, comme celles durugby ou du tennis, et lorsque l’on aconnaissance de toutes ces manœuvresobscures en coulisse autour de l’Insep,on se dit que le bilan de ce quinquennatest décidément calamiteux. Jusque dans lesport…

Boite noireLes services du ministre de la ville, dela jeunesse et des sports, Patrick Kanner,refusent en permanence de répondre auxquestions de Mediapart.

La banque suisse Syz& Co reconnuecoupable de «travaildissimulé» en FrancePAR AGATHE DUPARCLE LUNDI 23 JANVIER 2017

Qualifié d’« affabulateur » et de « maîtrechanteur » par son ancien employeur,Jérôme G. a finalement obtenu gain decause. La banque privée genevoise Syz& Co vient d'être condamnée en appel àParis pour «travail dissimulé» : elle avaitsciemment oublié de déclarer les activitésde son employé sur le territoire français.

Genève (Suisse), de notrecorrespondante.- C’est l’épilogue d’uneaffaire qui a ruiné la réputationprofessionnelle d’un ancien employé dela banque privée suisse Syz & Co, maisdont le dénouement est heureux. Le 10janvier dernier, la cour d'appel de Parisa finalement confirmé un jugement dutribunal correctionnel de Paris qui avaitété rendu le 16 novembre 2015 et quicondamnait la banque privée genevoisepour « travail dissimulé » en France àl’encontre de Jérôme G.

Mediapart a déjà raconté l’histoireubuesque de ce Français, qui avait étéqualifié d’« affabulateur » et de « maîtrechanteur » par son ancien employeur. Etvoit enfin la vérité triompher.

© Capture d'Ecran RTS

L’établissement est également épinglépour les mêmes faits concernant un autreex-salarié. Pour ces faits – dont une partie

tombe sous le coup de la prescription –,Syz & Co devra s’acquitter d’une amendede 40 000 euros, et verser à Jérôme G.environ 285 000 euros de dommages etintérêts et autres pénalités. La banque s'estpourvue en cassation et nous a fait parvenirsa réponse (voir la Boîte noire).

L’histoire est certes moins spectaculaireque les divers scandales fiscaux qui ontentaché, ces dernières années, la placefinancière suisse, mais elle témoigne del’acharnement avec lequel Syz & Co (31milliards de francs de fonds sous gestionet 450 salariés dont 265 à Genève) adurant plusieurs années farouchement niéles faits, et tenté par tous les moyensde discréditer celui qui dénonçait lamalversation commise à son égard.

De septembre 2004 au 16 juillet 2009,Jérôme G. était employé de la banque,avec la qualité « vendeur sur la France »,chargé de commercialiser des fonds deplacement auprès de clients institutionnels(banques, caisses de retraite et compagniesd’assurances). Il avait été embauchéavec un contrat de droit suisse qui nementionnait aucun lieu de travail, luidonnant l’autorisation de travailler sur leszones frontalières suisses (permis G).

Mais la réalité a été tout autre. Durantcinq ans, Jérôme G. a passé l’essentielde son temps à Paris où il habitait, auvu et au su de sa hiérarchie. Or, au-delà de six mois passés sur le territoirefrançais, Syz & Co avait l’obligation dele déclarer auprès des organismes sociauxet de l’administration fiscale français, etde s’acquitter des cotisations sociales etdes impôts. Et d'ouvrir un bureau dereprésentation. Ce qu’elle n’a sciemmentpas fait.

À plusieurs reprises, le Français s’inquiètede savoir si son statut de frontalier estbien légal alors qu’il ne travaille quetrois à quatre jours par mois à Genève.On lui répond, oralement, que « tout esten ordre ». En mai 2009, alors que sesconditions de travail se détériorent, il fait

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appel à un avocat français qui lui apprendqu’il se trouve dans la plus totale illégalitédepuis cinq ans.

Jérôme G. avait témoigné sous couvertd'anonymat dans une enquête de la RTS diffusée

le 29 octobre 2013 © Capture d'écran RTS

Jérôme G. demande des comptes à sonemployeur. Le 21 juillet 2009, il estconvoqué et on lui annonce qu’il estrenvoyé. « C’était le jour de la naissancede mon fils… Quand j’ai dit que j’allaisles attaquer, le patron de la banque m'arépondu : “Oui, on sait qu’au final nousallons perdre, mais cela prendra cinqans et d'ici là vous serez ruiné.” C’étaittotalement cynique et vrai », se souvient-il. Il reçoit une lettre de licenciement pour« faute », datée du 17 juillet et danslaquelle on le décrit comme quelqu’und'« insolent » et d'« insubordonné » quiharcèle ses collègues.

À partir de cette date, Jérôme G. ne lâcherapas prise. Il s’adresse aux prud’hommes etdépose une plainte contre la banque privéegenevoise et ses dirigeants auprès duparquet de Paris pour « travail dissimulé,fourniture de services d’investissementssans agréments et fraude fiscale », et seconstitue partie civile.

Le voilà embarqué dans une très longuehistoire. À Genève, la respectable Syz& Co a tout fait pour casser saréputation, jusqu’à exercer des pressionssur les médias locaux. Comme l’a apprisMediapart, la rédaction en chef de L’Agefia accepté de modifier un article, sans enavertir le journaliste qui l’avait écrit. Unrédacteur de la Tribune de Genève a reçudes mises en garde de Syz & Co, qui luidisait en substance que s’il publiait « lesmensonges d’un escroc », il aurait à leregretter.

Tout a été fait pour empêcher JérômeG. de retrouver du travail. De septembre2009 à mars 2010, il décroche un

petit mandat d’apporteur d’affaires, sanssalaire, chez Global Financial Solution(GSF) à Genève. « Deux personnes deSyz & Co se sont physiquement déplacéesà deux reprises chez GSF pour me fairerenvoyer. Et ça a marché ! » témoigne-t-il. En août 2009, des coups de fil ontégalement été passés pour faire capoterson embauche à la banque NeuflizePrivate Asset. Rapportant les paroles dela directrice des DRH d’une autre grandebanque privée, un ami lui signifie qu’il estdésormais « totalement grillé » à Genève.

Syz & Co refuse aussi obstinément et entoute illégalité de lui permettre de disposerde son « deuxième pilier » (ses avoirs decotisations retraite obligatoires pour tousles salariés en Suisse), qu’il n’a toujourspas pu rapatrier dans la banque de sonchoix.

Pendant deux ans, Jérôme G. a touché leRSA en France. Il s’est mis à son proprecompte à Paris, mais son affaire peine alorsà démarrer puisqu’il consacre l’essentielde son temps à sa guerre contre Syz & Co.

Le 2 octobre 2013, sur la base de la plaintequ’il a déposée, le juge parisien RenaudVan Ruymbeke qui instruit le dossier metla banque en examen. En 2015, l’affaireest renvoyée devant le tribunal, avec leseul qualificatif de « travail dissimulé »,le juge ayant finalement rendu un non-lieu sur celui de « fourniture de servicesd’investissements sans agrément » sur leterritoire français, à la grande déception deJérôme G. et de son avocat Stéphane Drai.

L’affaire aurait sans doute pu allerplus loin. Dans le jugement du tribunalcorrectionnel que Mediapart a consulté,figure un étrange épisode. Le 8juillet 2010, la Direction nationale durenseignement douanier (DNRED) avaitadressé une dénonciation au parquet aprèsl’interpellation, en janvier 2010 à Saint-Julien-en-Genevois (à la frontière franco-suisse), d’un Français résidant à Marseille.Ce dernier avait tenté de traverser lafrontière avec 30 000 euros en espèces.Il expliquait alors avoir ouvert un comptenon déclaré, en décembre 2009, à la

banque Syz & Co par l’intermédiaire d’unreprésentant de cette banque venu dans cebut à Marseille !

Aucune suite n’a été donnée à ces faitsqui laissent penser que Syz & Co auraitpu rejoindre la cohorte d’autres banqueshelvétiques – comme UBS et Reyl –qui ont pratiqué le démarchage illégal declients sur le territoire français et ont étéjugés pour cela.

Fin 2012, le parquet a jugé « irrecevable »la plainte de Jérôme G. sur le voletde la fraude fiscale, invoquant l’absencede plainte préalable de l’administrationfiscale. Et pour cause. Selon nosinformations, en décembre 2010, unaccord confidentiel entre la banque suisseet le fisc avait déjà été passé, pour unredressement fiscal d’un montant qui resteinconnu.

À plusieurs reprises, Renaud VanRuymbeke a demandé au fisc qu'on luicommunique ce montant, se heurtant à unrefus. Dans ses conclusions au juge, Syz &Co a fini par articuler une somme, disants’être acquittée d’une amende de 300 000euros.

« Selon moi et selon le responsable de ladirection générale des finances publiques,c'est plusieurs millions. On ne lance pascinq perquisitions pour 300 000 euros »,estime Jérôme G.

À l’été 2010, cinq perquisitions avaientété menées par la Direction nationaled’enquêtes fiscales (DNEF), dont l’une audomicile parisien de Jérôme G. L’ancienemployé était entendu par les policiers dela brigade financière de Paris, les douaneset la direction du fisc. « Mon chiffred'affaires était entre 30 et 50 millionsd'euros par an. En omettant de déclarercette activité commerciale en France,la banque a échappé au paiement descotisations sociales et de l'impôt sur lessociétés. On imagine que le redressementfiscal devait être important », estime-t-il.

Aujourd’hui, il se dit « véritablementsoulagé après huit ans dans la lutte etcontent que la vérité sorte enfin ». Lejour de l’audience en cour d’appel, ila appris par l’avocat général l’existence

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d’un document retrouvé chez Syz & Co.Il s’agit d’une note manuscrite, signée dela main du directeur commercial cinq moisavant son embauche, où l’on peut lire :« Recruter un vendeur français avec unappartement à Paris, quid des problèmesjuridiques et fiscaux : on verra après ».

La procédure se poursuit devant lesprud’hommes, avec une « demanded'indemnisation à la hauteur réelle demon préjudice, soit 2 millions d'euroscar la banque s'acharne à ruiner monemployabilité depuis 8 ans », dit-il.

Il a aussi adressé une plainte au conseil del'ordre des avocats de Paris pour… insultesracistes, contre le défenseur de Syz &Co Bruno Quentin. Lors de l'audienceen appel, le 31 octobre 2015, maîtreQuentin du grand cabinet Gide LoyretteNouel avait, à dix reprises, cru faire del’esprit dans sa plaidoirie en l’appelant« monsieur G. le Zimbabwéen ». Il voulaitainsi signifier que l’ancien employé deSyz & Co était inculte et maîtrisait malle français. « Comment un avocat peut-iltransformer une nationalité en adjectif eten insulte pour dénigrer une personne ? »,demande Jérôme G. dans un mail adresséà l’ordre des avocats, ajoutant que « despropos racistes n'ont pas leur place dansun tribunal ».

Boite noireL'ancien employé de la banque Syz & Cone souhaite pas que son nom soit publié,par crainte que cela ne puisse nuire à safragile situation professionnelle.

La banque Syz & Co a été contactée. Sondirecteur de la communication MorenoVolpi nous a fait parvenir par mail unedéclaration :

« Cette affaire fait suite à une plaintedéposée par un ancien salarié de laBanque, qui avait été licencié pour fautegrave en 2009. A l'issue de plusieursannées d'investigations approfondies, lajustice pénale a écarté la quasi-totalité desaccusations de cet ancien salarié.Le juge d’instruction a ainsi rendu unnon-lieu pour deux des trois infractionsque celui-ci avait invoquées, dont celle deprestation de services d’investissements

sans agrément (PSI). Le débat juridiqueen question concerne donc uniquement ledroit social.L’unique question sur laquelle la Courd’Appel de Paris a statué concernel’infraction de travail dissimulé pardissimulation d'emploi salarié, et portedonc uniquement sur un débat de droitsocial. Il est à noter qu’à ce stade lesmotivations de cet arrêt ne sont pasconnues car la décision n’est pas encore àdisposition pour les parties.La Banque continue de considérer qu’ellea respecté la règlementation qui lui étaitapplicable, raison pour laquelle elle adécidé de former un pourvoi en cassation.»

La démonétisation del'Inde commence à faire desravagesPAR GUILLAUME DELACROIXLE VENDREDI 20 JANVIER 2017

Un cordonnier près du siège de la banquecentrale (Reserve Bank of India) à Bombay,le 18 janvier 2017 © Guillaume Delacroix

Après la disparition des deux principauxbillets de banque en circulation dans lepays, début novembre, les destructionsd'emploi se multiplient et les salairesdégringolent. Reportage dans la régionde Bombay, où la situation ne semblepas partie pour s'améliorer, tandis quela banque centrale va avoir besoin desept mois au minimum pour fabriquerl'équivalent de l'argent disparu.

Bombay (Inde), de notrecorrespondant.– C'est un carrefour bienconnu des ouvriers à la petite semaine.Rajawadi Junction, dans le quartier deGhatkopar, voit arriver chaque matin descentaines d'hommes prêts à tout pourtravailler quelques jours sur un chantier de

bâtiment. Desservi par la ligne ferroviairequi irrigue la moitié est de Bombay et parl'unique ligne de métro de la mégapole,qui conduit aux banlieues lointaines dunord-ouest, l'endroit est un peu comme labourse du travail du secteur du BTP. Àl'aube, les patrons viennent y chercher unemain-d'œuvre bon marché composée, pourl'essentiel, de paysans ayant quitté leurcampagne pour venir plonger les mainsdans le ciment et gagner entre 2 000 et10 000 roupies par semaine (entre 27 et138 euros), une somme qu'ils envoientdirectement à leur famille restée au village.

Un cordonnier près du siège de la banquecentrale (Reserve Bank of India) à Bombay,le 18 janvier 2017 © Guillaume Delacroix

Depuis que l'argent liquide s'est volatilisépartout en Inde, Rajawadi Junctionressemble au Mur des lamentations. Lesouvriers sont là, sur le trottoir, bougonsou en colère, désœuvrés. Il n'y a plusde boulot pour personne, parce que lesentrepreneurs n'ont plus de billets debanque pour payer les salaires. Srivatsa,la quarantaine, continue cependant dese présenter tous les jours et il enveut à Narendra Modi. « En supprimantd'un coup les principales coupures encirculation, le premier ministre pensaitmettre fin à l'argent sale et à la corruptionmais il a surtout paralysé l'économie »,dit-il. Début novembre, près de 90 % duliquide en circulation se sont évaporés.Quelque 94 milliards de billets de 500et 1 000 roupies ont fini à la poubelleet en cette mi-janvier, les nouvellescoupures imprimées par la banque centralecommencent à peine à apparaître dans lesporte-monnaie des plus modestes.

La situation est-elle en train des'améliorer ? En chômage forcé depuisplus de deux mois maintenant, Srivatsas'est enfin vu proposer deux jours detravail, ce qui lui laisse espérer que

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le pire est peut-être passé. Plusieurs deses copains d'infortune sont rentrés auvillage mais lui arrive à tenir bon. Et defait, certains employeurs commencent àréapparaître à Rajawadi Junction. « Pourla première fois, je viens de voir lenouveau billet de 500 roupies, explique-t-il, ma banque m'a dit hier qu'elle avaitenfin été livrée de quelques liasses. » Signeque le système monétaire se détend trèslégèrement, le plafond de retrait quotidienau distributeur automatique a été relevé de2 000 à 4 500 roupies (de 27 à 62 euros) autout début de l'année, puis à 10 000 roupies(138 euros), lundi 16 janvier.

Mais le problème logistique demeure,car ces annonces émises par la ReserveBank of India restent théoriques. Lesdistributeurs ont beau être autorisés àcracher davantage de billets, ils restentinsuffisamment alimentés pour pouvoirsatisfaire la demande. Les Indiens onteu à peine plus de huit semaines, entrele 9 novembre et le 30 décembre, pourrendre leurs vieilles coupures, tandis quela banque centrale, elle, va avoir besoinde sept mois au minimum pour fabriquerl'équivalent de l'argent disparu. Entre-temps, le choc monétaire frappe l'emploide plein fouet, et des centaines de millionsd'intérimaires sont sur le carreau. Dansle bâtiment et les travaux publics, secteurparmi les plus pourvoyeurs en emploisdans le sous-continent, les revenus desouvriers ont chuté de plus de 80 %, fontsavoir les fédérations professionnelles.

On ne compte plus les exemples desituations dramatiques. À une centainede kilomètres de Delhi, le village deSherkot (Uttar Pradesh), connu dans toutel'Inde pour ses fabriques de pinceaux, avu 60 % de ses ateliers fermer, fauted'argent pour payer les employés. Dansle canton, les distributeurs sont presquetous à sec. À Bhind (Madhya Pradesh),le marché aux semences est désert. Lesintermédiaires avaient l'habitude d'acheterpar camions entiers les graines destinéesaux cultivateurs, pour des montantssupérieurs à 1 million de roupies (13 800

euros) payés cash : avec la limitationimposée aux retraits bancaires, de tellestransactions ne sont plus à leur portée.

À Bombay, les innombrables petitscommerces de rue, eux, sont en modesurvie. Interrogés par la State Bank ofIndia, le plus gros établissement financiercontrôlé par l’État fédéral, près des troisquarts des vendeurs de saris bon marché,de lunettes de soleil contrefaites et de panipuri (petits pains creux farcis de pommede terre et de pois chiche) déclarent queleur chiffre d'affaires a fondu de moitiédepuis début novembre. Il faut préciserque pendant deux mois, les premièrescoupures fraîchement imprimées à êtrelentement distribuées à la population ontété celles de 2 000 roupies, sur lesquellesquasiment personne n'avait de quoi rendrela monnaie.

À Pune, centre industriel proche deBombay, sept chefs d'entreprise sur dixaffirment être « durement touchés » parla disparition du liquide. L'Associationnationale des industries manufacturières(AIMO), qui compte plus de 300 000entreprises adhérentes, s'attend pour sapart à une baisse de 60 % du nombrede postes dans son secteur au premiertrimestre 2017. Elle invoque plusieursfacteurs : l'incapacité des clients à payeren liquide comme ils en avaient jusqu'icil'habitude, le plafonnement des retraits audistributeur, l'absentéisme du personneloccupé à faire la queue tous les jours àla banque, l'incapacité desdites banquesà accorder des prêts compte tenu dela situation générale, la baisse de laroupie face au dollar, l'effondrement del'immobilier…

Professeur d'économie à l'université deBerkeley, en Californie, Pranab Bardhanobserve que Narendra Modi avait àl'origine justifié cette opération par untriple objectif : en finir avec la corruption,la fausse monnaie et le financement duterrorisme. Puis le premier ministre asoudainement changé son fusil d'épaule,déclarant qu'en réalité son idée étaitde faire de l'Inde un pays sans argentliquide. « Personnellement, je pense qu'iln'a pas réfléchi aux conséquences de

sa décision et que les conseillers qu'ila consultés étaient soit insensibles, soitsimplement enclins à ne lui dire quece qu'il voulait entendre », estime cetéconomiste d'origine indienne.

L'effondrement de l'industriemanufacturière et del'immobilierAmartya Sen, prix Nobel d'économie1998 récompensé pour ses travaux surles mécanismes fondamentaux de lapauvreté, pense la même chose. « Cequi est en train de nous arriver n'estpas surprenant vu l'importance du liquidedans le pays », a-t-il déclaré dans uneinterview au quotidien The Hindu, le 17janvier. On se demande, dit-il, « pourquoiles artisans de la démonétisation n'ont pasprévu ce qui allait se passer et commentils peuvent rester aussi aveugles devantles preuves accablantes de la crise » quisecoue actuellement l'Inde. Selon lui, legouvernement est pris au piège de « laconfusion qui règne autour des objectifspoursuivis ». Les désagréments causés àl'économie informelle par le tarissementdes petits salaires, des transactions entrepetites entreprises ou de l'argent que lesfemmes au foyer parvenaient à mettre decôté sont « beaucoup plus graves » que lecoup réellement porté à l'argent sale.

En face de la gare ChhatrapatiShivaji © Guillaume Delacroix

Il est aujourd'hui « très clair » que l'idéedu gouvernement Modi de résoudre lesproblèmes de l'Inde par la disparition desprincipaux billets de banque d'un coupde baguette magique était parfaitement« irréaliste », estime Amartya Sen.Dématérialiser l'économie par un usageaccru des cartes bancaires et autresportefeuilles électroniques, comme celasemble être maintenant l'objectif, nécessite

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« bien plus de temps qu'une mesuredraconienne manifestement inadaptée ».Résultat, les Indiens subissent « un chaoset une souffrance généralisés ».

Les organisations financièresinternationales le confirment : l'Inde esten train de connaître un coup de freinsans précédent. Alors que Narendra Modise targuait l'an dernier d'avoir permis àson pays d'afficher la plus forte croissancedu produit intérieur brut dans le monde(7,6 %), plaçant pour la première foisl'Inde devant la Chine, le Fonds monétaireinternational a douché son enthousiasmeen annonçant il y a quelques joursque l'économie indienne progresserait, aumieux, de 6,6 % cette année. La Chineva repasser devant, prédit-il. D'aprèsles calculs de la Banque mondiale, lacroissance tourne aujourd'hui autour de7 % en rythme annuel. Très loin des 10 %,voire plus, promis à moyen terme par leministre des finances, Arun Jaitley. Celui-ci est en train de mettre la dernière main au

budget de la nation qu'il doit dévoiler le 1er

février. Il se murmure qu'il n'aura d'autrechoix que d'annoncer une forte hausse dela dépense publique. Pour tenter de panserles plaies de la démonétisation.

Un vendeur de "pani puri" de Colaba,au sud de Bombay © Guillaume Delacroix

En attendant, l'immobilier, qui constituesouvent un indicateur avancé de la santé dupays, va mal. Selon le cabinet de conseilKnight Frank, les ventes de logement sontactuellement en baisse de 23 % comparéà l'année dernière et, à l'automne, lestransactions ont même diminué de près de50 % dans les grandes métropoles commeBangalore et Delhi. Seule la baisse destaux d'intérêt réclamée aux banques par legouvernement Modi permet actuellementaux promoteurs et agents immobiliers dene pas sombrer. L'année 2016 restera

comme la pire depuis la crise financièremondiale de 2008. Dans l'automobile, c'esttout aussi désastreux : en décembre, lesventes de voitures ont baissé de 8 %,celles de deux-roues de 22 % et celles derickshaws de 36 %. Les concessionnairesn'avaient pas vu cela depuis l'an 2000.

Plus grave encore, plus d'une centainede personnes sont déjà mortes à causede la démonétisation. Le Mumbai Mirrora récemment publié le portrait de ceshommes et de ces femmes pour qui lavolatilisation de leurs petites économiess'est révélée fatale. Kallol Roychowdhury,56 ans, fonctionnaire, est décédé d'unecrise cardiaque sur un trottoir de Bandel(Bengale-Occidental) où il faisait la queuedevant un distributeur. La petite KomaliGanesh, 2 ans, est morte après une fortefièvre, l'hôpital de Gajuwaka (AndhraPradesh) ayant refusé de la soigner car sonpère n'avait en poche que de vieux billetsde 500 roupies pour payer le traitement.Shaik Basheer, 35 ans, chauffeur de taxi,s'est immolé par le feu à Nizamabad(Telangana) parce qu'il ne pouvait plusrembourser son prêt automobile, fauted'argent liquide.

« La démonétisation frappe d'abord lespauvres », constate Pranab Bardhan,notre professeur de Berkeley. D'aprèslui, « Modi ne se rend probablementpas compte des dégâts qu'il provoquesur le salaire et sur l'emploi dedizaines de millions de paysans, depetits commerçants et de travailleurssaisonniers. Les revenus de ces gens-là diminuent alors qu'ils étaient déjàmisérables ». L'économiste estime que lesrevenus des plus défavorisés ont chutéde 40 à 70 % et que lorsque le chef dugouvernement assure qu'il a fait disparaîtrel'essentiel des roupies pour protéger lesplus pauvres de la corruption endémiquequi gangrène l'Inde, cela sonne comme« une plaisanterie cruelle ».

Les écologistes allemandsprêts à jouer la carteMerkelPAR THOMAS SCHNEE

LE SAMEDI 21 JANVIER 2017

Les très pragmatiques Katrin Göring-Eckardt et Cem Özdemir ont été élustêtes de liste du parti écologiste pour leslégislatives de septembre en Allemagne.Une alliance avec le parti conservateurd’Angela Merkel constitue une optionsérieuse dans leur stratégie.

Berlin (Allemagne), de notrecorrespondant.– La probabilité quel’Allemagne soit bientôt gouvernée parune coalition réunissant conservateurs etécologistes (dite noire-verte) a fortementaugmenté depuis mercredi. En milieu dejournée, le parti écologiste Bündnis 90/Die Grünen a publié les résultats de laprimaire destinée à sélectionner les deuxcandidats qui emmèneront le parti dans lacampagne pour les élections législativesdu 24 septembre 2017.

Les 61 000 adhérents (taux departicipation de 59 %) avaient le choixentre trois hommes et une femme. Seulefemme et donc qualifiée par les statutsdu parti, la coprésidente du groupeparlementaire fédéral Katrin Göring-Eckardt a été élue sans surprise aveccependant le bon score (pour ce parti)de 70,6 %. Côté hommes, en revanche,le coprésident du parti Cem Özdemir(35,9 %) l’a emporté avec seulement75 voix d’avance sur l’outsider RobertHabeck (35,7 %), patron des Verts duLand de Schleswig-Holstein et ministrede l’environnement régional. Le derniercandidat, et seul représentant de l’ailegauche du parti, l’autre coprésident dugroupe parlementaire Anton Hofreiter, aété clairement battu avec 26,19 % desvoix.

« La base a élu une réaliste et unsuper réaliste. Une coalition noire-verte n’est plus du tout exclue »,estime le politologue Siebo Janssen auvu du profil des deux élus. Né enThuringe (RDA), la théologienne Göring-Eckardt (50 ans), très engagée dansl’église protestante, a démarré sa carrièrepolitique dans les mêmes mouvementsprotestataires est-allemands qu’AngelaMerkel (Demokratischer Aufbruch).Optant pour le mouvement écologique,

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elle ne fait cependant pas partie de lagénération qui est entrée au gouvernementde Gerhard Schröder. Plus orientée surles questions sociales, de famille etd’éducation que d’environnement, elle acependant soutenu sans faillir les réformeslibérales de l’Agenda 2010.

De son côté, le fils d’immigrés turcsCem Özdemir (51 ans) est devenuun exemple d’intégration en Allemagne.Premier député fédéral allemand issude l’immigration turque à entrer auBundestag (1994), il a démarré sacarrière près de Stuttgart et, de ce fait,promène avec lui un fort accent souabe.Comme sa colistière, le touche-à-tout CemÖzdemir ne vient pas de la mouvanceenvironnementale du parti. Il s’estdistingué sur les sujets de l’immigration etde l’intégration, ou encore sur l’éducation,l’Europe et le régime turc actuel qu’ilcondamne violemment et qui le considèrecomme un traître.

Lors de la conférence de presse descandidats qui s’est tenue hier (vidéo ci-dessous), Katrin Göring-Eckardt et CemÖzdemir ont expliqué que leur principalobjectif était de revenir au gouvernement.Au pouvoir de 1998 à 2005 en partenairejunior du SPD de Schröder, les écologistesont réussi à ravir la place du parti libéral(FDP) qui était depuis 30 ans la troisièmeforce politique allemande. Ils ont aussicontribué à changer la république fédéralepar le biais de la « sortie du nucléaire »de 2001 ou encore de la modification ducode de la nationalité. Mais le pouvoir lesa aussi changés. Alors que les Grünen ontlongtemps été nourris aux mamelles dupacifisme et de l’écologie, la décision deleur leader charismatique Joschka Fischer,alors ministre des affaires étrangères, desoutenir l’intervention de l’OTAN dans laguerre du Kosovo et ainsi d’envoyer pourla première fois depuis 1945 un soldatallemand dans une guerre, avait alorsdéclenché une vague de départs du partiet valu à M. Fischer d’être violemmentbombardé de cartouches de peinture aucongrès de Bielefeld en mai 1999.

Une bonne partie des écologistes, quis’accommodent assez bien du modèleallemand d’économie sociale de marché, apar ailleurs soutenu les réformes brutalesdu marché du travail lancées par Schröder(Agenda 2010). Enfin, l’électorat duparti a changé. Lors de sa fondationen 1980, 80 % de l’électorat écologisteavait moins de 35 ans, contre seulement10 % aujourd’hui. Par ailleurs, plusieursétudes ont montré que les électeursverts alignaient, avec les électeurs duparti libéral, une moyenne salariale biensupérieure à celle des autres partis.

À la suite du mauvais score du SPD en2005, les Verts se sont retrouvés dansl’opposition, en ayant cependant appris àgouverner et avec l’espoir de ne pas y fairede vieux os. Cependant, l’incapacité dessociaux-démocrates à soigner la blessureinterne ouverte par l’Agenda 2010, maisaussi à créer une coalition avec DieLinke, ont empêché la création d’uneunion de la gauche en 2009 puis en2013. Et pour les Verts, la législaturequi s’achève a été la plus éreintante. Eneffet, avec le parti de la gauche radicaleDie Linke, ils se sont retrouvés à jouerle rôle d’opposition parlementaire avecmoins de 25 % (Verts et Die Linke)des sièges, seuil sous lequel les partisn’ont même pas le droit de demander laconvocation d’une commission d’enquêteparlementaire. Désireuse de préserver uneapparence de démocratie, l’omnipotentegrande coalition CDU-SPD leur aexceptionnellement accordé ce droit etquelques autres jusqu’à la prochaineélection. Aujourd’hui, on se retrouve doncavec un parti écologiste qui a faim depouvoir et, comme tous les autres partisd’ailleurs, ne rêve que d’une seule chose :en finir avec le règne de la grandecoalition.

« Toute formation degouvernement sera difficile »Dans cette perspective, les deux candidatsn’ont que mollement nié qu’une allianceavec le parti conservateur d’AngelaMerkel pût désormais constituer uneoption majeure dans leur stratégie. « Nousvoulons entrer au gouvernement pour

mettre en œuvre le plus possible de notrepolitique. Nous verrons si nous sommesassez forts pour nous imposer dans unecoalition. Avec qui, ce n’est pas important.Ce qui compte, c’est qu’il y ait beaucoupde vert dedans », a précisé Mme Göring-Eckardt. Le fait que la dirigeante d’unparti venu de gauche, qui a dirigé huitans le pays aux côtés du SPD, afficheautant d’indifférence quant à son éventuelpartenaire politique est un message clair,confirmé quelques instants après par M.Özdemir. À la question de savoir si unecoalition à gauche était encore possible,celui-ci a expliqué que « même avec leplus grand optimisme, on peut dire quecela va être dur pour le SPD », a-t-il dit en faisant référence aux sondagesmisérables des sociaux-démocrates qui,pour l’instant, ne peuvent guère choisirqu’entre retourner dans l’opposition ouêtre une force supplétive à la CDU dansune nouvelle grande coalition.

La faiblesse de leurs alliés d’hieret la rupture des équilibres politiquesprovoquée par l’arrivée du partipopuliste et xénophobe Alternative pourl’Allemagne (AfD) ne sont pas lesseules raisons qui poussent Bündnis 90/Die Grünen à envisager sereinement unealliance avec la CDU de Merkel. Au fildes ans, les deux partis se sont beaucouprapprochés et les derniers grands obstaclesidéologiques ont été levés avec, en 2011,la brusque sortie du nucléaire décrétéepar Merkel puis, en 2015, la politiqueinflexible de la chancelière en faveur del’accueil des réfugiés.

Dans le champ économique et social,les différences insurmontables ont aussidisparu. La CDU de Merkel abeaucoup évolué sur la question de lacondition féminine, des immigrés, del’éducation et de l’environnement. Quantaux écologistes, désireux de « verdirl’économie », ils ont infiltré un mondede l’entreprise qui les a autant changésque eux l’ont changé. Preuve en estl’élection fracassante de l’écologisteWinfried Kretschmann, qui entame sondeuxième mandat de ministre-présidentdu Land de Bade-Wurtemberg, bastion

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conservateur pendant 58 ans et cœurindustriel de l’Allemagne. En novembredernier, le « troisième homme » desécologistes avait d’ailleurs été on nepeut plus clair. Il s’était prononcé pourla candidature d’Angela Merkel à lachancellerie : « Je ne sais pas qui d’autrequ’elle pourrait mieux faire ce travail »,avait-il déclaré.

Au lendemain de la réélection de M.Kretschmann, M. Özdemir avait posétrois conditions minimales pour pouvoir« commencer à imaginer » une alliancenoire-verte : l’Allemagne doit abandonnerle charbon, le gouvernement fédéral doitse battre au niveau européen pour lelancement d’un « plan Marshall » pourl’Afrique, et enfin lancer une réformedu système éducatif où la question desorigines et des revenus ne se poseplus. Alors que même les partisans ducharbon les plus coriaces ne donnentplus longtemps à vivre à l’industrieallemande du charbon, et que le ministreconservateur du développement GerdMüller a précisément proposé mercredide lancer un… plan Marshall pourl’Afrique, on imagine que ce n’est pas latroisième condition qui posera problème.Bien sûr, à l’aube de la campagneélectorale que Cem Özdemir annoncecomme dure et passionnante, les Vertsont d’autres revendications, notamment laréintroduction d’un impôt sur la fortune etd’une fiscalité plus verte et plus sociale.Mais tout se négocie.

En dépit des apparences et de la défaitede l’aile gauche du parti, il ne fautcependant pas aller trop vite en besogne.Les deux candidats ont promis à plusieursreprises de tenir compte des désirs del’ensemble des sensibilités du parti. Et lacourte victoire de M. Özdemir pourraitêtre la garante de cette promesse. Parailleurs, Mme Göring-Eckardt a expliquéavec raison que « toute formation degouvernement sera[it] difficile ». En effet,s’allier avec la CDU, c’est aussi s’allieravec sa petite sœur bavaroise la CSU qui aplacé la sécurité et la limitation du nombrede réfugiés au cœur de son programme.

Enfin, du côté gauche, créer une unionsuppose de trouver un accord avec lespositions de Die Linke en politiqueétrangère (Die Linke veut sortir del’OTAN) ou encore de s’accorder avecSarah Wagenknecht, co-cheffe du groupeparlementaire Die Linke, accusée parcertains de pratiquer un populisme degauche xénophobe afin de récupérer lesélecteurs perdus à l’extrême droite. Aubout du compte, ce seront les voix desélecteurs qui décideront de la couleur dela future coalition. Et pour l’instant, lesVerts ont du mal à décoller de leur socleélectoral situé entre 9 % et 11 %, pendantque la CDU oscille entre 32 % et 38 %,un mouvement de pendule qui ne permetque de temps en temps de croire en unemajorité noire-verte.

La Chine met un terme àl'expérience démocratiquede WukanPAR GILLES TAINELE SAMEDI 21 JANVIER 2017

Neuf habitants du village de Wukanviennent d'être condamnés à des peinesde prison ferme à l'issue d'un procèsexpéditif. En 2012, les revendicationsdes villageois sur leurs terres avaienttrouvé un écho favorable auprès desautorités, et attiré l'attention des médiasinternationaux. Un lointain souvenir.

Le 26 décembre 2016, neuf villageoisde Wukan, dans la province chinoisedu Guandong, étaient condamnés à despeines allant de deux à dix ans de prisonaprès un procès de moins d’une demi-heure. La victoire de 2012, lorsque lesvillageois avaient obtenu le droit d’élirelibrement leur comité de village chargéde redistribuer les terres expropriées parun promoteur immobilier, n’est plus qu’unlointain souvenir. Ces condamnationsachèvent une année funeste pour le village,puisque Lin Zulian, secrétaire de la celluledu parti du village et ancien leader desmanifestations en 2012, avait déjà écopéde trois ans de prison en septembre aprèsavoir fait des aveux télévisés. Treizevillageois sont encore détenus en attente

de leur procès et la police armée populairecontinue de patrouiller jour et nuit dans lesrues de Wukan.

Le 22 juin 2016 à Wukan, les habitants manifestentpour la libération de Lin Zulian. © REUTERS

Fin 2011, la lutte des villageois de Wukanpour recouvrer leurs terres faisait la unede la presse hongkongaise et internationaleaprès la mort en détention de XueJinbo, l’un des leaders des manifestationsorganisées par les villageois contreleurs dirigeants, coupables d’avoir vendusecrètement leurs terres à des promoteursimmobiliers. À l’époque, l’activité desvillageois sur les réseaux sociaux chinoiset la couverture de l’événement par desjournalistes de Canton et de Hong Kongavaient permis de mettre en lumière cecas typique de conflit social en Chinecontemporaine où, quarante ans après lelancement des réformes, l’expropriationdes terres reste l’un des sujets principauxde conflit entre paysans et autorités.

La ténacité des villageois et la couvertureimportante de ces événements par lapresse internationale avaient poussé WangYang, le secrétaire du parti de la provincedu Guangdong de l’époque, à envoyerson second, Zhu Mingguo, négocier avecles villageois. Celui-ci avait reconnu lalégitimité de leurs exigences et autoriséles élections libres du comité de village,une première en Chine populaire. MêmeLe Quotidien du peuple s’était félicitéde la résolution de ce conflit dans unéditorial du 10 janvier 2012 dans lequelon expliquait que « la cause principalede la corruption à Wukan était le manquede démocratie et de supervision. La leçonde cette affaire est que nous devonspréserver le rôle central de l’exercice desdroits démocratiques et de supervision des

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villageois, en promouvant avec convictionla gestion démocratique de la politiquedans les campagnes ».

Après l’élection de la plupart des leadersdu mouvement au sein du comitévillageois, l’attention de la presse localeet internationale retombe complètement,laissant supposer que tout va pourle mieux dans le petit village depêcheurs qui a réussi à faire plier legouvernement chinois. Néanmoins, lasituation se détériore progressivemententre 2013 et 2016. Malgré l’électionlibre du comité villageois, le dossierde la redistribution des terres n’avancepas, puisque les échelons supérieurs del’appareil d’État continuent de s’y opposeret de soutenir les promoteurs. De plus,avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir fin2012, Wang Yang, nommé vice-premierministre, est remplacé par Hu Chunhua,plus conservateur, à la tête du Guangdong,tandis qu’en 2016 Zhu Mingguo estcondamné à la prison à perpétuitépour corruption. L’espace politique serestreint et les anciens dirigeants duvillage regagnent progressivement leurinfluence, grâce au soutien des cadresdu canton et du district ainsi qu’àl’arrestation de quatre autres leadersdu mouvement de protestation. Cettesuccession d’événements ne provoquetoutefois pas de nouvelles manifestationsde masse, les villageois cédant sans douteau désarroi et au sentiment d’impuissance.Il faudra attendre juin 2016 et l’arrestationdu secrétaire de la cellule du village, LinZulian, accusé de corruption et forcé defaire des aveux diffusés à la télévisionnationale (phénomène de plus en plusrépandu dans la Chine de Xi Jinping etanalysé par Mediapart ici) pour voir lesvillageois redescendre en masse dans larue afin d’exiger sa libération.

La réponse des autorités locales etprovinciales face à ces nouvellesmanifestations sera diamétralementopposée à ce qu’elle avait été cinqans auparavant. Alors qu’en 2011 ellesavaient finalement accepté de négocieraprès avoir constaté que la force n’avaitpas calmé les ardeurs des paysans etque l’affaire avait reçu une couverturede la presse internationale, elles décidenten 2016 de maintenir le village en étatde siège et de renforcer la censure pourgarder la mainmise sur la publicité donnéeaux manifestations. Tandis qu’en 2011les villageois avaient réussi à attirerl’attention sur leur situation en relatantles événements sur les réseaux sociauxchinois, la censure renforcée a rendu cetteopération bien plus difficile en 2016 (bienque des vidéos de la répression aient puêtre publiées).

Jusqu’au 13 septembre, date à laquelle lapolice armée mène des raids nocturnesdans les maisons du village et où deviolentes altercations opposent policearmée et villageois, tous les articlespubliés dans la presse chinoise insistentsur l’harmonie qui règne à Wukan. C’estpar exemple le cas d’un article publiépar le Nanfang Daily, organe du comitédu parti de la province du Guangdong,qui affirme le 12 septembre que « lesproblèmes de droits fonciers qui minaientautrefois le village sont désormais résolusgrâce au succès des négociations menéesentre les cadres de la ville, les dirigeantsdu village, les promoteurs immobilierset des experts indépendants spécialistesdes problèmes fonciers » et cite le chefde la police armée locale : « À Wukan,nous formons tous une grande familleheureuse. » Après le 13, la musiquechange. Le 15, le tabloïd Global Timesdénonce « une minorité de trouble-fêtepoussés par les médias étrangers quidéfendent, encouragent et planifient lechaos ». Sur le terrain, des journalisteshongkongais sont arrêtés, placés en gardeà vue et renvoyés à Hong Kong, lesjournalistes étrangers sont reconduits àCanton dès leur arrivée et des récompensessont promises par les autorités pourtoute personne rapportant la présence de

journalistes étrangers dans le village. SurInternet, la censure est renforcée et le motWukan banni des réseaux sociaux chinois.Les lourdes condamnations prononcéesen décembre 2016 ne sont donc qu’uneétape supplémentaire, voire finale, dans larépression du « modèle de Wukan ».

Alors qu’en 2012 la presse officielle faisaitde Wukan un modèle de résolution deconflit au niveau local, en 2016 elle faitdes villageois, dont les revendicationsn’ont pas changé, des agents de l’étrangervoulant semer le chaos au Guangdong. Cerevirement spectaculaire et la destructionméthodique de tous les éléments quiavaient permis d’obtenir un résultathistorique en 2012 – que ce soientla censure accrue des réseaux sociaux,l’expulsion des journalistes étrangers,les multiples arrestations arbitraires devillageois ou le siège du village par desmilliers d’agents de la police armée et lescondamnations expéditives – traduisentencore une fois le renforcement de ladictature en Chine. Les masses doiventaccepter les décisions du parti, carseul le parti porte la parole du peuplechinois. Peu importe que les paysans deWukan représentent justement ces massesprétendument libérées par la révolutionmaoïste. À partir du moment où elles serévoltent, elles ne peuvent que rejoindreles avocats des droits de l’homme, lesdissidents et les militants dans la catégoriedes ennemis de l’État.

Les deux discours prononcés début janvier2017 par Zhou Qiang, chef de la Coursuprême, selon lequel « les tribunaux auxquatre coins du pays doivent cette annéese concentrer sur la sauvegarde de lasécurité de l’État et punir sévèrementles crimes tels que la subversion et leséparatisme » et par Xi Jinping pourqui « le gouvernement doit accorder lapriorité à la stabilité politique dans uncontexte de tensions sociales accrues »n’augurent rien de bon pour cette année2017, qui risque de ressembler à s’yméprendre à 2016.

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Un attentat meurtrierfragilise la paix au MaliPAR FABIEN OFFNERLE JEUDI 19 JANVIER 2017

Moins d'une semaine après la visitedu président français à Gao, l'explosiond'une voiture piégée a fait près decinquante morts dans un camp où sontlogés des soldats de l'armée malienneet des combattants des groupes arméssignataires de l’accord de paix.

Bamako (Mali), envoyé spécial.– LeMali a connu mercredi 18 janvier le plusmeurtrier attentat de ces dernières annéesde crise. Le carnage a ciblé l’un des raressymboles encourageants de paix, dans unpays dont on n’aperçoit toujours pas la finde la chute.

Peu avant 9 h 00, un véhicule piégéa explosé à l’intérieur du camp duMécanisme opérationnel de coordination(MOC) à Gao, où sont logés 600combattants des groupes armés signatairesde l’accord de paix d’Alger et des soldatsde l’armée malienne. Ont été visés « ceuxqui sont en train de préparer la mise enplace de ces patrouilles mixtes, de la miseen œuvre des accords d'Alger de façontrès concrète sur le terrain et dont certainsne veulent pas », a réagi dans la journéele chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, dans l'émission Questionsd'Info (LCP/Le Monde/AFP/France Info).« Le sens politique, c'est d'empêcherque le processus de paix et deréconciliation, notamment avec le Nord-Mali, se poursuive », a-t-il ajouté.

Dans un communiqué diffusé dans lajournée, la Coordination des mouvementsde l’Azawad (CMA, ex-rebelles) adénoncé « le manque de dispositifsérieux pour assurer la sécurité descombattants dans le camp ». Unvéhicule identique à ceux du MOCaurait défoncé le portail avant d’exploserau cœur d’un rassemblement. Legroupe Al-Mourabitoune, lié à Aqmi,aurait revendiqué l’attaque dans uncommuniqué, a annoncé en fin d’après-

midi le site mauritanien Alakhbar. Le site adans un premier temps affiché le nom d’uncombattant déjà cité dans l’attaque ratéecontre l’aéroport de Gao le 29 novembre,avant de le retirer tout en maintenant larevendication.

Des photos de membres éparpillés, ducratère causé par l’explosion et desblessés ont circulé toute la journée surles réseaux sociaux. Le bilan provisoireprésenté par le gouvernement malienévoque 47 morts dont cinq kamikazeset plusieurs dizaines de blessés, maisd’autres bilans non officiels réévaluentces chiffres à la hausse. « On a soigné76 blessés et distribué des dizaines desacs mortuaires », témoigne Jean-NicolasMarti, chef du CICR au Mali. Le présidentIbrahim Boubacar Keita a décrété troisjours de deuil national. « Tous les gensque je connais sont directement touchés,soit via un mort, soit via un blessé »,rapporte depuis Gao l’employé maliend’une ONG internationale. « Tout lemonde est solidaire, ajoute-t-il. Les gensse rassemblent et donnent leur sang. »

Derrière l’acronyme du MOC se cachece qui doit être « la première avancéeconcrète porteuse d’espoir », disait-on la semaine dernière au siège dela Minusma, à Bamako. « Imaginezque ceux qui se tiraient dessus hiervont patrouiller ensemble sous le mêmeécusson de la MOC. » L’inaugurationdes patrouilles avait finalement pris duretard, comme l’application du processusde paix dans son ensemble, plombé parles divisions au sein des ex-rebelles etles accusations de tergiversations portéescontre le gouvernement malien.

C’est la première fois qu’une attaqueterroriste d’ampleur s’en prend aux ex-rebelles touaregs plutôt qu’à la Minusma,à la force française Barkhane ou àdes cibles occidentales. Depuis plusieursmois, les ex-rebelles touaregs sontnéanmoins régulièrement visés par desassassinats ciblés ou des embuscadesen raison de leur implication dans leprocessus de paix ou de leur collaborationavec l’armée française. « Nous sommesrégulièrement attaqués dans la région

de Tombouctou », expliquait à BamakoEhameye Ag Mohamedou, porte-parole duCongrès pour la justice dans l’Azawad,créé sur des bases tribales à la suite dedésaccords au sein de la CMA. « Noussommes aussi bien armés qu’Aqmi etnous connaissons la région mieux qu’eux,seulement nous manquons de moyenslogistiques de base.Ils sont préparés àattaquer puis à se disperser sur descentaines de kilomètres, nous non. »

À l’image du « Tiens bon “Gao, larésistante” !!! », écrit sur Twitter parKarim Keita, le fils du président malien,député et président de la commissionde défense de l’Assemblée nationale,les autorités maliennes semblent ne plusavoir autre chose que des mots et descondoléances à offrir aux Maliens.

Les groupes armés aux agendas diversse multiplient et leur emprise s’étendaujourd’hui au sud de Konna, oùl’opération Serval avait stoppé l’avancéedes djihadistes en janvier 2013. Ennovembre, une prison a été attaquée àmoins de 150 km de Bamako. Aqmi etAnsar Dine conduisent des attaques « deplus en plus fréquentes et audacieuses »,observe l’ONU, dont les pertes au sein dela Minusma ont doublé entre 2015 et 2016.

« En 2015 et 2016, les exactions sesont aggravées et se sont propagées auxrégions centrales du Mali, a observémercredi Human Rights Watch dansun communiqué. Les groupes islamistesarmés dans le nord et le centre du Maliont exécuté de nombreuses personnes etimposent de plus en plus de restrictions àla vie dans les villages. Le gouvernementmalien a été généralement incapable deprotéger les civils vulnérables du nord etdu centre du pays. »

L’Élysée a condamné l'attentat « sansréserve et avec la plus grande fermeté ».Moins d’une semaine après le sommetAfrique-France à Bamako et la visite deFrançois Hollande à Gao, le satisfecitexprimé alors par le président françaissonne comme une prophétie qui ne seréalise pas. « Les terroristes ne contrôlentplus aucun territoire, la démocratie arepris son cours, les élections ont eu lieu,

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l’économie repart et la réconciliation,avec les accords d’Alger, est en cours »,avait déclaré le chef de l'État français.À Gao, le sentiment de cet habitant citépar Sahelien.com est tout autre. « Je necomprends pas, il y a plus de morts qu’autemps des djihadistes. »

Une nouvelle plainterelance l’affaire RémiFraissePAR MICHEL DELÉAN ET LOUISE FESSARDLE SAMEDI 21 JANVIER 2017

Rémi Fraisse. © (dr)

Une plainte pour « faux témoignages» visant des gendarmes mobiles vientd’être déposée par la famille de RémiFraisse. Aucune mise en examen n’a étéprononcée après la mort du jeune hommeen 2014 à Sivens, et l’enquête s’achève.Un gendarme vient en revanche d’êtrepoursuivi pour « violences volontaires »après avoir blessé une jeune fille avec unegrenade sur le même site.

Un nouveau front judiciaire va s’ouvrirdans l’affaire Rémi Fraisse, qui est enliséedepuis maintenant plus de deux ans. Selondes informations obtenues par Mediapart,une plainte pour « faux témoignages» a été déposée au tribunal de grandeinstance de Paris, ce mercredi 18 janvierau matin, par les avocats de la famillede Rémi Fraisse. Cette plainte vise lesdépositions successives effectuées parplusieurs gendarmes mobiles impliquésà des degrés divers dans la mort dujeune manifestant à Sivens (Tarn), le26 octobre 2014. Affectés à l’escadronde gendarmerie mobile de La Réole(Gironde), ces militaires étaient déployéssur le site du projet de barrage lanuit des faits ; ils ont été interrogéspar leurs collègues de la section de

recherches de Toulouse, puis ceux del’Inspection générale de la gendarmerienationale (IGGN) et, enfin, par les jugesd’instruction.

Cette nouvelle plainte (avec constitutionde partie civile), rédigée par l’avocatparisien Arié Alimi, vise à empêcherun enterrement du dossier Rémi Fraisse,tué à 21 ans par la grenade offensived’un gendarme mobile à Sivens. Elleest déposée quelques jours après queles juges d’instruction Anissa Oumohandet Élodie Billot, du tribunal de grandeinstance de Toulouse, ont fait savoir,le 11 janvier, qu’elles avaient achevéleurs investigations (article 175 du codede procédure pénale). Les différentesparties ont encore un délai de trois moispour formuler des observations et fairedes demandes d’acte, mais une prochaineclôture du dossier par une ordonnance denon-lieu des juges toulousaines sembletrès probable, selon les spécialistes dudossier.

Par ailleurs, la famille Fraisse doitégalement déposer ce 18 janvier uncomplément de plainte au tribunal deToulouse pour homicide involontaire àl’encontre de l'ancien préfet du Tarn,Thierry Gentilhomme, et de son ex-directeur de cabinet, le sous-préfet YvesMathis. Cette plainte vise également ungendarme, le capitaine M., qui a conduitl’enquête sur la mort de Rémi Fraisse, etqui est accusé de subornation de témoin.

Rémi Fraisse. © DR

Aucune mise en examen n’a en effet étéprononcée depuis la mort de Rémi Fraisse,dans ce dossier de « violence par unepersonne dépositaire de l’autorité publiqueayant entraîné la mort sans intention dela donner », « meurtre », et « violenceayant entraîné la mort sans intention de

la donner ». Les deux juges d’instructiontoulousaines ont choisi de placer plusieursprotagonistes sous le statut de témoinassisté (à mi-chemin entre le mis enexamen et le simple témoin).

L’auteur du lancer de grenade létal, lemaréchal des logis-chef J., a été interrogésous le statut de témoin assisté le 18mars 2016. « Je voudrais vous dire,avant de poursuivre et d'aborder la nuitdes faits, toute la tristesse qui est lamienne suite à cet accident dramatiqueet qui me ronge tous les jours, ainsi quele sentiment d'injustice », a notammentdéclaré le militaire. « Ce drame a touchéun jeune de 21 ans qui avait tout l'avenirdevant lui et qui avait trouvé sa voie, j'yrepense tous les jours. Je suis entré engendarmerie pour protéger les personnes,et c'est quelque chose qu'on ne souhaitepas voir se produire. »

Après lui, le major A., le capitaine J. etle capitaine L., tous membres du mêmeescadron de gendarmerie mobile, ontégalement été placés sous statut de témoinassisté. Le lieutenant-colonel Rénier, quicommandait à l’époque le groupementde gendarmerie du Tarn, ainsi que sonadjoint, le lieutenant-colonel Andreani,ont en revanche été entendus sous le statutde simple témoin.

La nouvelle plainte de la famille Fraisseest déposée au tribunal de Paris enraison de sa compétence spécialisée enmatière militaire. Elle vise trois gendarmesmobiles (le capitaine L., le major A.et le maréchal des logis-chef J.) quiauraient dénaturé et omis des faits lors deleurs différentes dépositions, ce de façonintentionnelle, portant ainsi préjudice àl’établissement de la vérité et à larecherche d’une bonne justice, selon la

plainte de Me Alimi.

Le capitaine L. se voit ainsi reprocherd’avoir modifié sa version initiale desordres reçus de la préfecture du Tarn etdu groupement de gendarmerie concernantl’utilisation de la violence légitime àSivens, ce pour dégager sa propreresponsabilité. Le major A. aurait poursa part effectué un revirement délibéré,assumant dans un premier temps l’ordre

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donné de lancer une grenade offensivevers les manifestants, avant de direfinalement qu’il ne s’agissait pas d’unordre direct, ce pour les mêmes raisonsque son collègue. Enfin, le maréchal deslogis-chef J. se voit reprocher plusieurschangements de version sur l’ambiancequi régnait à Sivens, sur l’éclairage ainsique l'observation de la zone où il a lancéla grenade offensive, sur les sommations,sur les ordres reçus et enfin, sur le lancerfatal lui-même.

Les avocats de la famille Fraisse (AriéAlimi, Claire Dujardin et Étienne Noël)avaient, le 28 juin 2016, déjà soulevéauprès des juges d’instruction de Toulouseles zones d’ombre du dossier et descontradictions dans les dépositions desgendarmes, mais leurs demandes d’acteavaient été rejetées par les juges le 22juillet, puis par le président de la chambrede l'instruction le 24 août.

La partie civile demandait uneconfrontation avec le gendarme J., qui adonné plusieurs versions différentes deson lancer de grenade et des instantsqui l’ont précédé, notamment quand il aobservé les manifestants avec des jumellesà intensification de lumière. Certainstémoins ont par ailleurs déclaré queRémi Fraisse avait ce soir-là une attitudepacifique et s’avançait les mains en l’airvers les gendarmes quand il a été touchémortellement par une grenade offensive.

Les avocats de la partie civile estimenten outre que si ce gendarme a pucommettre une faute d’imprudence ou denégligence, c’est en raison des ordres reçusde sa hiérarchie. Ils soutiennent que laresponsabilité pénale des sous-officiers etofficiers qui étaient chargés de la manif deSivens peut être recherchée. Or le major A.a d’abord indiqué avoir donné l’ordre delancer la grenade offensive, puis a indiqué,dans un second temps, qu’il ne s’agissaitque d’un ordre indirect.

Les défenseurs de la famille Fraisseestiment enfin que des contradictionssont apparues entre les consignes demaintien de l’ordre données ce soir-là parles officiers opérationnels, la préfecturedu Tarn et la Direction générale de

la gendarmerie nationale (ministère del’intérieur), et que le cadre juridiqued’intervention des gendarmes mobiles àSivens n’était pas clairement défini, ce quipourrait engager la responsabilité de lapréfecture du Tarn.

Dans un rapport du 25 novembre 2016,le Défenseur des droits a pointé laresponsabilité du préfet du Tarn enposte fin 2014 : il constatait « lemanque de clarté et les incompréhensionsentourant les instructions données auxforces de l’ordre par l’autorité civile,préfet et commandant du groupement degendarmerie départementale, ainsi queles incertitudes sur l’état d’esprit danslequel elles devaient assurer leur mission :fermeté ou apaisement, entre défensede la zone ou riposte ou retrait desmilitaires »…

Le Défenseur des droits estimaitégalement « qu’en l’absence de l‘autoritécivile, à partir de 21 h 30, le choix del’adaptation des objectifs et du dispositifà mettre en œuvre, malgré ce flou, aété laissé à la seule appréciation de lahiérarchie opérationnelle sur le terrain ».En clair, les gendarmes ont été placés dansune situation où ils ont fait usage de laforce pour défendre une « zone de vie » quine présentait pas grand intérêt, jusqu’audrame.

Un gendarme confondu par unenregistrement vidéoDans une autre procédure judiciaire, legendarme V., qui avait grièvement blesséElsa Moulin, une jeune militante anti-barrage, a été mis en examen le 17janvier 2017 pour « violences volontairesavec arme par personne dépositaire del’autorité publique ayant entraîné uneITT supérieure à huit jours », selon desinformations obtenues par Mediapart. Cegradé était entendu par les deux jugesd’instruction toulousaines dans le cadred’une information judiciaire ouverte enjanvier 2015. La jeune femme blessées'était réfugiée dans une caravane avectrois autres jeunes zadistes, avant qu'ungendarme du peloton de surveillanceet d’intervention (PSIG) de Gaillac ne

prenne le risque fou de lancer une grenadede désencerclement à l'intérieur (voirnotre reportage).

Après huit mois d’enquête, l’Inspectiongénérale de la gendarmerie nationale(IGGN) a conclu, dans un rapport desynthèse du 15 septembre 2016, que« l’infraction de violences volontairesaggravées peut être retenue à l’égarddu maréchal des logis-chef V. ». «Aucun élément de l’enquête n’accréditela légitimité du jet de la grenade dansla caravane par ce gradé, note lerapport. Par ailleurs, il est indéniableque les blessures subies par Elsa Moulinne peuvent avoir été causées que parl’explosion de la grenade, au moment oùelle a voulu la saisir. »

Les grenades DMP (pour dispositifmanuel de protection) projettent 18 paletsen caoutchouc dans un rayon d'environdix mètres, avec une détonation de150 décibels. Disposant d’un retardateurde 1,5 à 2,5 secondes, cette armeintermédiaire est prévue « pour s’extraired’un encerclement ou d’une prise à partiepar des groupes violents ou armés ».Selon le capitaine de l’IGGN chargé del’enquête, si son utilisation « peut sejustifier pour l’approche d’un groupe deplusieurs opposants, tel n'est pas le cass'agissant de l'évacuation d'une caravanedont les occupants ne sont pas agressifs ».

Son rapport souligne cependant la «fatigue physique et morale des gendarmesdu Tarn face au harcèlement moralet physique continu » des zadistes.Âgé de 47 ans, le gendarme exercetoujours au sein du PSIG de Gaillac,l’équivalent en gendarmerie des brigadesanticriminalité de la police. Alors quel'IGGN, dans son rapport du 2 décembre2014, estimait qu'il avait « commisune faute d'appréciation qui doit êtresanctionnée au plan professionnel », il n'asubi aucune sanction administrative, selon

l'un de ses avocats, Me Alexandre Martin.« Les faits reprochés sont très loin de sonprofil, et ses supérieurs ont estimé qu'au vude sa carrière exemplaire, il n'y avait paslieu de le suspendre », explique l'avocat.

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Voir ci-dessous la vidéo qui a confondule gendarme :

Présente par intermittence sur la ZADde Sivens, Elsa Moulin, une éducatricespécialisée de 25 ans, s’était ce jour-là réfugiée dans une caravane avec troisautres militants. Elle avait tenté de rejeterla grenade lancée par le gendarme, pensantqu’il s’agissait d’une lacrymo. L’enquêtede l’IGGN confirme point par point le récitdes faits qu’elle avait livré à Mediapart enoctobre 2014.

Quand les pompiers, appelés à 15 h 40par une militante, l’ont prise en charge, lajeune femme pleurait « à la fois de douleuret d’émotion », se souvient l’un d’eux.Souffrant d’un « traumatisme par blast dela main droite », la jeune militante avaitété opérée en urgence à Albi le soir même,puis transférée à Toulouse. Elle a dû subirde multiples séances de caisson hyperbareet de kinésithérapie pour rééduquer samain. Elsa Moulin souffre toujours d’un« état de stress post-traumatique », selonl’expertise réalisée en novembre 2016, àla demande de la justice, par un médecinlégiste et une psychologue.

Depuis sa première audition dans le cadred’une enquête disciplinaire, en novembre2014, le gendarme V., aujourd’hui âgéde 47 ans, nie avoir lancé la grenadedans la caravane. Contre toute évidence,il maintient avoir visé un groupe dezadistes qui seraient arrivés à sa gauche« renforcer les occupants de la caravane». « Comme ils étaient trop près, j’ai prisune DMP et je l’ai jetée en me déplaçant[…] en direction de l’herbe, en directiondes zadistes », assure-t-il face aux deuxenquêteurs de l’IGGN venus à Toulouse,en juin 2016, l’entendre en audition libre.Il n’aurait pas vu où la grenade étaittombée, ni où elle a explosé, « deuxcarences […] d’autant plus surprenantesque ce militaire est présenté comme unbon professionnel », s’étonne l’IGGN. Lesoccupants de la caravane seraient ensuitesortis sans aucune récrimination. Et il lesaurait escortés hors de la Gazad, sansjamais remarquer qu’une jeune femmeavait été grièvement blessée à la main.

Le gendarme V. prétend, lui, n’avoirdécouvert cette blessure qu’un mois plustard, en novembre 2014. C’est-à-dire unmois après la plupart de ses collègues qui,auditionnés, ont affirmé avoir appris le soirmême qu’une opposante avait été blesséepar une grenade.

À la suite de l’intervention des pompiers,la cellule de renseignement de lagendarmerie Midi-Pyrénées est, quant àelle, informée dès 16 h 48 qu’« uneopposante a été blessée à la main par unegrenade DMP » et souffre d’un « grostraumatisme à la main ». Manifestement,les chefs de la gendarmerie prennentl’affaire très au sérieux. À 18 h39, un lieutenant-colonel de la régiongendarmerie Pyrénées demande au PSIGde Gaillac un décompte des grenades tiréesdans la journée et, à 19 h 58, il fait appelerl’hôpital d’Albi pour s’enquérir de l’étatde la jeune fille.

La version du gendarme V. est contreditepar une vidéo de la scène, mise enligne sur YouTube par un zadiste, etles déclarations de plusieurs des autresgendarmes présents. L’analyse de la vidéopar l’Institut de recherche criminellede la gendarmerie nationale (IRCGN)est particulièrement cruelle pour legendarme. Contrairement aux accusationsde plusieurs gendarmes auditionnés sur leszadistes « adeptes des montages vidéo »,l’IRCGN dément toute manipulation de lavidéo et conclut au passage à travers lafenêtre de la caravane d’un « objet » avecune « légère fumée », puis d’un « flashlumineux » correspondant à une explosion.

« La vidéo ne montre pas le maréchaldes logis observer une menace venantsur la gauche », relève l’IGGN. Onentend en revanche à plusieurs reprisesle gendarme inciter les jeunes à quitterla caravane : « Allez, dégagez, à trois jevous laisse partir », avant de sortir unegrenade de son gilet tactique et d’entamerun décompte : « Trois, quatre, je vouslaisse partir, vous avez le choix. […] Sept,huit, sortez ! » tandis que les occupantstentent de négocier et hurlent : « C’est pasexpulsable, putain ! » Les occupants dela caravane « se sont sentis directement

menacés par la sortie de grenade et ledécompte », constate l’IGGN. Et « lefait que les occupants de la caravane ensoient sortis sans faire de récriminationsest contredit par la vidéo », poursuit-elle.On y entend en effet clairement un cri dedouleur juste après l’explosion, puis unjeune homme hurler : « Nan mais ça va pasnan !!! Ça va pas nan !! Ça va pas la tête ?»

Sur la trentaine de gendarmes auditionnéspar l’IGGN, aucun n’a vu d’opposantss’approcher de la caravane. « Le sensde progression des supposés opposantsimplique qu’ils aient transpercé la vaguede refoulement, souligne l’IGGN. Orcelle-ci était étanche selon les gendarmesla composant. » Et les trois gendarmeslocaux, postés en arrière-garde, « dontla mission était justement de détectertoute menace, n’ont pas vu des opposantss’approcher », précise l’IGGN. Enrevanche, ces trois gendarmes ont bienentendu une forte détonation. L’un d’eux,qui a vu sortir « en gueulant » lesoccupants de la caravane, s’en étonneauprès du maréchal des logis-chef V. « Ilétait assez tendu, il m’a répondu quelquechose comme “Je sais ce que je fais” »,relate le gendarme, entendu en avril 2016par les enquêteurs de l’IGGN.

La scène leur est confirmée par un ex-gendarme de Rabastens : « On a entenducrier dans une caravane, je me suisdemandé ce que V. faisait tout seul là.[…] V. me semblait très énervé […] letroisième gendarme qui était avec nous ademandé à V. ce qu’il avait fait. V. lui arépondu “Je sais ce que j’ai à faire”.C'estlà que je me suis dit que V. était surles nerfs. » Selon l’IGGN, ce « refusd’explication » du gendarme auprès deses collègues « accrédite l’hypothèse d’unacte illégitime ».

Un gendarme: «On faisait unpeu n’importe quoi»Le gendarme V., entendu en audition libreen juin 2016, reste droit dans ses bottes. «Rien ne corrobore votre version, s’agacentles enquêteurs. Comment expliquez-vous les blessures occasionnées à une

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occupante de la caravane ? »« Je nesaurais vous dire, élude le gendarme. Ilsfabriquaient tellement d’explosifs avec descanettes de bière que quand cela explosait,ça faisait des vapeurs vertes, des cocktailsMolotov, des pétards, des tubes en PVC.» Quand les enquêteurs lui demandents’il n’existait pas une autre solution autir d’une grenade de désencerclement, legradé se braque : « Désobéir à ma missionet partir en courant. Cela aurait été laisserle terrain aux zadistes. » Dans son rapportde synthèse, l’IGGN conclut que cette« attitude étonnante » du mis en cause,qui ne « cherche pas à expliquer cescontradictions », peut correspondre à «une stratégie de défense prédéfinie ».

Ce 7 octobre 2014, environ 35 gendarmeslocaux et des PSIG de Gaillac, Albi etCastres avaient pour mission d’évacuer lazone dite de Gazad, en aval du chantierdu barrage, pour permettre l’enlèvementdu camping-car d’un zadiste par undépanneur. Les zadistes, dont Elsa Moulin,qui dormaient à la métairie neuve, sesouviennent d’avoir été réveillés parl’arrivée des gendarmes braquant leurFlashball sur eux, alors qu’ils étaientencore dans leur duvet. Scène ordinaired’une confrontation quotidienne entregendarmes et opposants au barrage, quis’était intensifiée avec le début dudéboisement, fin août 2014.

L’enquête sur la blessure d’Elsa Moulinéclaire l’état d’esprit des gendarmes et ledegré de violence qui existait à Sivens, unesemaine avant la mort de Rémi Fraisse.Les gendarmes des brigades territorialessoulignent l’« usure » de leurs collèguesPSIG employés depuis deux mois etdemi en permanence à Sivens et un «énervement des deux côtés ». « Tout lemonde en avait plein les bottes. Nousdevions tenir le terrain mais nous n’étionspas équipés, pas entraînés pour cela», résume un gendarme de la brigadeterritoriale de Rabastens. L’IGGN juge lestémoignages de ces gendarmes locaux «plus précis et objectifs que ceux des PSIG» qui, confrontés depuis des semaines au

« harcèlement continu des opposants lesplus virulents », ont développé une « visiondes choses partiale ».

Les agents des PSIG auditionnés racontent« un rythme de travail très difficile» – des « journées de 17 à 18 heures» – et l’absurdité de leur mission– reprendre chaque matin le terrainperdu la nuit. « Il s’agissait de missionde maintien de l’ordre et parfois derétablissement de l’ordre, c’est-à-direles mêmes missions qu’en gendarmeriemobile sans le matériel, ni la formation »,regrette un sous-officier du PSIG d’Albi.« Sur ce coup-là, j’ai eu le sentiment quenous avons travaillé pour une entrepriseplus que pour l’État, déplore un gradéde la brigade de recherche de Gaillac.Nous repoussions les zadistes pour que lesentreprises puissent travailler et le soir onlaissait le terrain aux zadistes. Cela tousles jours, à force c’est lassant. »

Le 5 novembre 2014, une longue cicatrice marquait lamain d'Elsa Moulin, à cause d'une incision réalisée parle chirurgien pour éviter une nécrose des tissus. © LF

Désormais retraité, un gendarme deRabastens se lâche et reconnaît qu’un tipi aété saccagé le 7 octobre par ses collègues.« Je me demande même si un gars du PSIGn’y a pas mis le feu. C’est là que je me suisdit qu’on faisait un peu n’importe quoi.» Le même jour, le commandant du PSIGd'Albi est filmé en train de donner descoups à un opposant se trouvant au sol.

La hiérarchie elle-même prend ses aisesavec la légalité. Appelé le 7 octobrepour réaliser la mise en fourrière ducamping-car, un gendarme de Rabastensobjecte à son supérieur que sur un terrainprivé il existe une longue procédure àrespecter, avec lettre de mise en demeureau propriétaire du véhicule, qui disposealors d’un délai de dix jours pour réagir.« Le chef d'escadron n'était pas d'accord

sur cette procédure, relate le gendarme,spécialiste des infractions routières. Ducoup, le chef d'escadron L. [commandantde la compagnie de gendarmerie deGaillac – ndlr] a appelé le procureur,monsieur Derens [le procureur d’Albi –ndlr], qui lui dit “allez-y, je vous couvre”».

C’est ce même supérieur qui, ensuite, n’apas jugé utile de sanctionner le gendarmeV., allant jusqu’à nier l’évidence pourmieux le soutenir. « Le chef V. m'aindiqué, après la diffusion de la vidéo, lescirconstances dans lesquelles il avait dûemployer cette grenade, à savoir l'arrivéed'un groupe d'opposants se dirigeant versGazad, tranche le chef d’escadron L.,entendu par l’IGGN en mars 2016. Jen'ai pas de raison de mettre en doute cequ'il dit. » Très apprécié par ses chefs etses collègues, le gendarme de 47 ans estdécrit comme « professionnellement carréet rigoureux ». « Avec lui, je partirais àla guerre, lâche un de ses subordonnés duPSIG de Gaillac. Il travaille toujours ensécurité. Je ne l’ai jamais vu faire preuvede violence gratuite. »

Ses supérieurs, le chef d’escadron L. etle lieutenant-colonel Rénier, commandantdu groupement de gendarmerie du Tarn,ont même soutenu au départ que la vidéomontrant V. en train de lancer la grenadeaurait été tournée le 8 octobre, et non le7. « L'évacuation par les pompiers d'unefemme blessée à la main par une grenadeétant datée du 7 octobre 2014, le colonelRénier est en conséquence dubitatif sur lefait que la jeune femme visible sur la vidéoait été blessée », note l’IGGN. S’agit-ilune tentative d’enfumage pour minimiserle geste fautif de leur subordonné ?

Curieusement, le décompte des munitions,remis par la gendarmerie du Tarn auxenquêteurs de l’IGGN, affirme qu’aucunegrenade DMP n’aurait été « consommée »le 7 octobre. Quant à la caravane, ellea été enlevée dès le 8 octobre par undépanneur du coin, puis détruite sansplus de formalités. Selon le responsablede la casse, la gendarmerie leur auraitsimplement demandé de « foutre cela enl’air ». Le dépanneur, lui aussi entendu

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par l’IGGN, se souvient d’avoir reçu laréquisition d’enlèvement de la caravane« seulement trois ou quatre mois après», un délai inhabituel. N’en restent queles images filmées le soir même et jamaisdiffusées par deux journalistes pour M6,montrant un matelas perforé par uneexplosion et des galets en caoutchouc.

Sans l’émoi provoqué par la vidéo filméepar un zadiste, la gendarmerie s’en seraitdonc fort probablement tenue à la versionmensongère du gendarme incriminé.

Retour sur nos enquêtes: lafiliale illégale de Uber et lesétats d'âme des sarkozystesPAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

LE SAMEDI 21 JANVIER 2017

François Bonnet décrypte avec Dan Israella filiale très rentable (et illégale) d’Uber,puis, avec Ellen Salvi, analyse le devenirdes sarkozystes dans la campagne deFillon.

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