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Rev. Sc. ph. th. 88 (2004) 401-460 PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO L’ INFLUENCE LATINE DE LONTOLOGIE DE PORPHYRE : LE CAS DE J EAN SCOT ÉRIGÈNE par Christophe ERISMANN Porphyre est sans conteste l’un des auteurs les plus lus durant le Moyen âge. La diffusion de son introduction aux Catégories, l’Isagoge, a été considérable. Présenté par l’historiographie comme la source de la Querelle des universaux, ce texte a connu une influence sans précé- dent. L’apport de Porphyre sur les questions logiques et sémantiques a été mis en lumière par un article de Sten Ebbesen 1 ; certains chapitres de l’histoire de sa réception ont déjà été écrits, notamment ceux rel a- tifs à Abélard ou à Guillaume d’Ockham 2 . C’est la question de son in- fluence métaphysique que nous souhaitons étudier ici. En effet, Por- phyre, de par l’infléchissement platonicien qu’il a fait subir aux Catégo- ries d’Aristote, a fourni dans son Isagoge le fondement textuel de plu- sieurs formulations médiévales du réalisme. Le philosophe latin du IX e siècle Jean Scot Erigène 3 offre un exemple très probant de la lecture métaphysique réaliste que l’on peut donner des thèses porphyriennes. Erigène a en effet trouvé dans l’ Isagoge, traduit en latin par Boèce, un cadre dans lequel formuler ses thèses métaphysiques sur la question 1. S. EBBESEN, « Porphyry’s legacy to logic », in R. SORABJI, (éd.), Aristotle transfor- med, the Ancient commentators and their influence. Londres, 1990, pp. 141-171. Cf. aussi C. EVANGELIOU, Aristotle’s Categories and Porphyry. Leiden, 1988. 2. Cf. entre autres, J. JOLIVET, « Abélard et Guillaume d’Ockham, lecteurs de Por- phyre », Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie, 6 (1981), pp. 31-53; C. PANACCIO, « Le commentaire de Guillaume d’Ockham sur le livre des Prédicables de Porphyre », Dialogue, 20 (1980), pp. 318-334; et OCKHAM, Commentaire sur le livre des Prédicables de Porphyre, trad. R. Galibois. Sherbrooke, 1978. 3. Pour une présentation générale de la vie et de l’œuvre de l’Erigène, cf. JEAN SCOT ERIGÈNE, Homélie sur le Prologue de Jean, éd. et trad. E. Jeauneau. SC 151. Paris, 1972, pp. 9-50; ID., De la division de la Nature. Periphyseon, I et II, trad. F. Bertin. Paris, 1995, pp. 5-10; et Ch. ERISMANN, « Jean Scot Erigène », in C. GAUVARD, A. DE LIBERA et M. ZINK (éds), Dictionnaire du Moyen âge. Paris, 2002, pp. 771-775. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 178.196.150.157 - 02/09/2012 21h32. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 178.196.150.157 - 02/09/2012 21h32. © Vrin
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Erismann Processio Id Est Multiplicatio-libre

Dec 16, 2015

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  • Rev. Sc. ph. th. 88 (2004) 401-460

    PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO

    LINFLUENCE LATINE DE LONTOLOGIE DE PORPHYRE : LE CAS DE JEAN SCOT RIGNE

    par Christophe ERISMANN

    Porphyre est sans conteste lun des auteurs les plus lus durant le Moyen ge. La diffusion de son introduction aux Catgories, lIsagoge, a t considrable. Prsent par lhistoriographie comme la source de la Querelle des universaux, ce texte a connu une influence sans prc-dent. Lapport de Porphyre sur les questions logiques et smantiques a t mis en lumire par un article de Sten Ebbesen 1; certains chapitres de lhistoire de sa rception ont dj t crits, notamment ceux rela-tifs Ablard ou Guillaume dOckham 2. Cest la question de son in-fluence mtaphysique que nous souhaitons tudier ici. En effet, Por-phyre, de par linflchissement platonicien quil a fait subir aux Catgo-ries dAristote, a fourni dans son Isagoge le fondement textuel de plu-sieurs formulations mdivales du ralisme. Le philosophe latin du IXe sicle Jean Scot Erigne 3 offre un exemple trs probant de la lecture mtaphysique raliste que lon peut donner des thses porphyriennes. Erigne a en effet trouv dans lIsagoge, traduit en latin par Boce, un cadre dans lequel formuler ses thses mtaphysiques sur la question

    1. S. EBBESEN, Porphyrys legacy to logic , in R. SORABJI, (d.), Aristotle transfor-

    med, the Ancient commentators and their influence. Londres, 1990, pp. 141-171. Cf. aussi C. EVANGELIOU, Aristotles Categories and Porphyry. Leiden, 1988.

    2. Cf. entre autres, J. JOLIVET, Ablard et Guillaume dOckham, lecteurs de Por-phyre , Cahiers de la Revue de Thologie et de Philosophie, 6 (1981), pp. 31-53; C. PANACCIO, Le commentaire de Guillaume dOckham sur le livre des Prdicables de Porphyre , Dialogue, 20 (1980), pp. 318-334; et OCKHAM, Commentaire sur le livre des Prdicables de Porphyre, trad. R. Galibois. Sherbrooke, 1978.

    3. Pour une prsentation gnrale de la vie et de luvre de lErigne, cf. JEAN SCOT ERIGNE, Homlie sur le Prologue de Jean, d. et trad. E. Jeauneau. SC 151. Paris, 1972, pp. 9-50; ID., De la division de la Nature. Periphyseon, I et II, trad. F. Bertin. Paris, 1995, pp. 5-10; et Ch. ERISMANN, Jean Scot Erigne , in C. GAUVARD, A. DE LIBERA et M. ZINK (ds), Dictionnaire du Moyen ge. Paris, 2002, pp. 771-775.

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    des universaux, de lindividuation et de la structure hirarchique du rel. Les philosophes latins du Moyen ge nont dailleurs pas manqu dassocier Porphyre aux drives de la mtaphysique raliste. Ab-lard, sattaquant la thorie de lessence matrielle de Guillaume de Champeaux dont nous avons soulign ailleurs le lien avec la pense dErigne 4 , ne manque pas dgratigner lorthodoxie aristotlicienne de Porphyre :

    Certains conoivent ainsi une chose universelle : dans des choses qui dif-frent entre elles par des formes, ils mettent une substance essentiellement la mme, essence matrielle des tres singuliers en qui elle est; une en elle-mme et diverse seulement par les formes [= les accidents] des tres rangs sous elle. Si lon tait ces formes, il ny aurait plus aucune diffrence entre les choses, qui ne se distinguent les unes des autres que par la diversit de leurs formes, leur matire tant par essence absolument la mme. Par exemple, dans chacun des hommes numriquement diffrents il y a la mme substance de lhomme, qui ici devient Platon par ces accidents-ci, et l So-crate par ces accidents-l. Porphyre semble tout particulirement daccord avec eux, quand il dit :Par la participation de lespce plusieurs hommes sont un, et dans les sujets particuliers ce qui est un et commun est plusieurs; et encore : ils sont appels individus parce que chacun est constitu de proprits dont lensemble nest pas en un autre (Logica Ingredientibus, nous soulignons) 5. Cest ce rapport complexe entre Porphyre et le ralisme ontolo-

    gique que nous souhaitons aborder, et ce, au travers des deux buts que nous poursuivons dans cet article :

    1. Analyser linflexion platonicienne et dans une moindre mesure stocienne 6 que Porphyre fait subir au systme ontologique des Catgories dans son opuscule dintroduction lcrit du Stagirite, lIsagoge. Il sagit de souligner, outre le syncrtisme des courants philosophiques propre au noplatonisme, en quoi Porphyre a pla-

    4. Sur le rapprochement entre Erigne et Guillaume de Champeaux, voir

    Ch. ERISMANN, Generalis Essentia. La thorie rignienne de lousia et le problme des universaux , Archives dHistoire doctrinale et littraire du Moyen ge, 69 (2002), spcialement pp. 32-37.

    5. ABLARD, Logica Ingredientibus (Ed. GEYER, p. 10 : 17-34) : Quidam enim ita rem uniuersalem accipiunt ut in rebus diuersis ab inuicem per formas eandem essen-tialiter substantiam collocent, quae singularium, in quibus est, materialis sit essentia et in se ipsa una, tantum per formas inferiorum sit diuersa. Quas quidem formas si separari contingeret, nulla penitus differentia rerum esset, quae formarum tantum diuersitate ab inuicem distant, cum sit penitus eadem essentialiter materia. Verbi gratia in singulis hominibus numero differentibus eadem est hominis substantia, quae hic Plato per haec accidentia fit, ibi Socrates per illa. Quibus quidem Porphyrius adsentire maxime uidetur cum ait : Participatione speciei plures homines unus, parti-cularibus autem unus et communis plures. Et rursus : Indiuidua, inquit, dicuntur huiusmodi, quoniam unumquodque eorum consistit ex proprietatibus, quarum collec-tio non est in alio . La traduction franaise est de Jean Jolivet.

    6. Sur le stocisme et linfluence dAlexandre dAphrodise dans la problmatique porphyrienne et notamment dans le questionnaire, voir A. DE LIBERA, Entre Aristote et Plotin : lIsagoge de Porphyre et le problme des catgories , in C. CHIESA et L. FREULER (ds), Mtaphysiques mdivales. Etudes en lhonneur dAndr de Muralt. Cahiers de la Revue de Thologie et de Philosophie, 20 (1999), pp. 7-27.

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    tonis les catgories 7 et de montrer en quoi il est au commence-ment du mouvement de pense qui va peu peu investir les cat-gories dune signification mtaphysique qui ntait pas la leur au dpart. Pour ce faire, nous allons nous servir du prisme grossis-sant que reprsente la rception latine de lIsagoge.

    2. Prciser limportance de la pense porphyrienne dans la mtaphy-sique de Jean Scot Erigne. Et ainsi complter 8 le panorama de ses sources logiques et ontologiques que les travaux de John Maren-bon 9 sur les Categoriae decem et de Giulio dOnofrio 10 sur les Traits de thologie de Boce ont entam; cela afin de reconstituer le trip-tyque des sources ontologiques du matre irlandais : Opuscula sacra Categoriae decem Isagoge. Il sagit de montrer comment lErigne, aid par sa lecture de

    Maxime le Confesseur et du Pseudo-Denys, a su exploiter le nopla-tonisme rsiduel du texte de Porphyre, et la lu la lumire dun noplatonisme plus tardif. Cela permettra de souligner limportance de la pense porphyrienne dans la mtaphysique rignienne. Jean Scot sest en effet abondamment servi de Porphyre pour analyser, dans le Periphyseon, la structure ontologique du rel. Notre analyse permet galement dtayer, par lexemple prcis de Jean Scot, deux thses historiographiques plus gnrales : dabord que, dans le domaine philosophique, le haut Moyen ge est une continua-tion sans rupture de lAntiquit tardive. En effet, montrer comment Erigne, lun des premiers philosophes du Moyen ge, est encore li la scolastique noplatonicienne tmoigne de la continuit existant entre philosophie tardo-antique et pense alto-mdivale. En second

    7. S. K. STRANGE, Plotinus, Porphyry and the Neoplatonic interpretation of the

    Categories , in W. HAASE (d.), Aufstieg und Niedergang der rmischen Welt, II, 36. Berlin, 1987, pp. 955-974.

    8. Limportance de Porphyre comme source dErigne na que trop peu t tudie. Par exemple, Porphyre est le grand absent du volume, au demeurant remarquable, consacr aux sources de Jean Scot : W BEIERWALTES (d.), Eriugena. Studien zu seinen Quellen. Heidelberg, 1980. Remarquons toutefois que J. PPIN a, par quelques brves remarques, signal limportance de Porphyre, dans son texte Humans and Animals : Aspects of Scriptural Reference in Eriugenas Anthropology , in B. MCGINN et W. OTTEN (ds), Eriugena East and West. Notre Dame (Indiana)-Londres, 1994, pp. 179-206.

    9. Cf. surtout J. MARENBON, John Scottus and the Categoriae decem , in W. BEIERWALTES (d.), Eriugena. Studien zu seinen Quellen. Heidelberg, 1980, pp. 117-134; et ID., From the circle of Alcuin to the school of Auxerre, Cambridge, 1981. Voir galement G. DONOFRIO, Disputandi Disciplina. Procds dialectiques et Logica vetus dans le langage philosophique de Jean Scot , in G.-H. ALLARD (d.), Jean Scot crivain. Montral-Paris, 1986, pp. 229-263.

    10. G. DONOFRIO, Giovanni Scoto e Boezio : tracce degli Opuscula sacra et della Consolatio nellopera eriugeniana , Studi medievali, XXI, fasc. II (1980), pp. 707-752; ID., Agli inizi della diffusione della Consolatio e degli Opuscula Sacra nella scuola tardo-carolingia : Giovanni Scoto e Remigio di Auxerre , in L. OBERTELLO (d.), Atti. Congres-so internazionale di studi Boeziani. Rome, 1981, pp. 343-354; ID., A proposito del magnificus Boetius : unindagine sulla presenza degli Opuscula sacra e della Con-solatio nellopera eriugeniana , in W. BEIERWALTES (d.), Eriugena. Studien zu seinen Quellen. Heidelberg, 1980, pp. 189-200.

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    lieu, lanalyse de lusage ontologique de lintroduction de Porphyre dans la constitution du systme raliste de Jean Scot permet de justi-fier laffirmation selon laquelle lIsagoge est bien le fondement textuel principal du ralisme ontologique dfendu durant le haut Moyen ge latin.

    Plus que du Porphyre historique cest--dire de la position, pr-sume cohrente, obtenue par la synthse de lensemble de ses uvres grecques conserves, mme fragmentaires , cest du Porphyre tel quil a t lu durant le haut Moyen ge carolingien dont nous parlons dans ce texte; ou, pour prciser davantage, de la rception de la doctrine porphyrienne telle quelle se dessine partir de lIsagoge latin unique-ment. Il sagit de mesurer limpact dune pense philosophique sur une autre, de montrer non ce que veut dire le texte, mais comment il a t compris une certaine poque, relativement une situation culturelle donne; cette prcision est importante pour notre propos, car la lec-ture qui a t faite de Porphyre durant le haut Moyen ge est forte-ment tributaire de la situation du corpus de textes philosophiques alors disponible 11. En effet, lIsagoge, comme les Catgories dAristote, a t appel tenir un rle qui ntait pas le sien dans le projet porphy-rien, et cela cause dune absence remarquable, celle de la Mtaphy-sique dAristote. Un auteur de lge grco-latin de la mtaphysique mdivale ne lit pas Porphyre comme le lira un penseur de lpoque arabo-latine coutumier de la Philosophia Prima dAvicenne et de la Mtaphysique. Selon la belle formule dAlain de Libera, lIsagoge nexiste pas en soi, son intelligibilit et son contenu sont relatifs ltat des corpus philosophiques o elle sinscrit 12. Pour se structurer, la premire ontologie mdivale sest appuye sur le corpus disponible, savoir celui de la Logica vetus, donc princi-palement sur les Categoriae decem texte faussement attribu Augus-tin et qui sest substitu aux Catgories dAristote , lIsagoge de Por-phyre et sur les Opuscula Sacra de Boce. Si le de Hebdomadibus bo-cien est un texte vise clairement mtaphysique, une telle remarque est beaucoup moins vidente formuler pour les Catgories et lIsagoge. Mais un horizon de lecture et une attente face aux textes dterminent parfois leur interprtation. Les philosophes du haut Moyen ge vont demander aux Catgories et lIsagoge de remplir lespace laiss vacant par la Mtaphysique, et donc de fournir des lments de rponse, non seulement en matire logique et smantique, mais aussi ontologique. Nous parlerons peu ici du cas des Catgories, mais pour lIsagoge et cest une thse que nous souhaitons dfendre cette lecture ontolo-gique alto-mdivale nest pas sans fondement textuel. Analyser la rception latine de Porphyre implique de prendre en considration ce donn historique, car cest dans le domaine de lontologie que cette

    11. Sur les ges de la mtaphysique mdivale et lhistoire des corpus, cf. A. DE LI-

    BERA, Gense et structure des mtaphysiques mdivales , in J.-M NARBONNE et L. LANGLOIS (ds), La mtaphysique. Son histoire, sa critique, ses enjeux. Paris-Qubec, 1999, pp. 159-181.

    12. A. DE LIBERA, La Querelle des Universaux. De Platon la fin du Moyen ge. Paris, 1996, p. 41.

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    influence fut la plus remarquable. Cest ce Porphyre qui a influenc la rception latine du systme ontologique des Catgories dAristote (ga-lement rpercut par la paraphrase pseudo-augustinienne Categoriae decem), dont nous voquerons le rle dans le dveloppement de la rflexion ontologique alto-mdivale.

    I. LA DESTINE LATINE DE LISAGOGE ET JEAN SCOT Avant de traiter des points de doctrine, il convient de formuler

    quelques remarques sur la nature de la connaissance directe, indi-recte quErigne pouvait avoir de lIsagoge de Porphyre. Lexamen de cette question est rendu ncessaire par le constat de labsence totale de citation explicite de Porphyre dans le Periphyseon. Alors quil cite souvent nommment Augustin, Denys, Maxime ou Grgoire de Nysse, ni Porphyre , ni Isagoge napparaissent dans luvre matresse dErigne. Labsence de citation explicite de Porphyre ne suffit pour-tant pas accrditer la thse de la seule connaissance indirecte du trait. Le modus philosophandi dErigne est tel quil ne se sent point oblig dinvoquer des autorits lorsquil travaille en philosophe. Jean Scot, sil cite abondamment les Pres Augustin, Ambroise, Grgoire, Maxime ont tous droit plusieurs dizaines de mentions 13 , nest que peu enclin citer les philosophes. Lattitude de Jean Scot lgard de ses sources philosophiques diffre fortement de celle adopte lgard de ses lectures patristiques. Les doctrines philosophiques sont utili-ses, intgres, dveloppes mais peu cites ou attribues. Sur lensemble du Periphyseon, Aristote et Boce, dont limportance dans la pense rignienne nest plus dmontrer, nont droit qu six citations chacun; on est bien loin de labondante invocation des Pres. Sr de sa direction et de son objectif, Jean Scot ne ressent pas le besoin de se protger par des autorits. Au contraire, conscient de loriginalit de sa dmarche, il sautorise en philosophie les liberts quil se refuse parfois en thologie.

    De plus, Jean Scot, affirmant souvent son rationalisme, a toujours fait preuve dune grande libert desprit lgard des autorits. La ratio pour le matre irlandais prime par nature sur lauctoritas. Jean Scot dfend une recherche de la vrit quaucune auctoritas ne doit blo-quer : Ne sois pas effray. Car nous devons maintenant suivre la rai-son, qui scrute la vrit des choses et qui ne se laisse entraver par aucune autorit, et laquelle rien ninterdit de rvler et de proclamer publiquement des vrits dont elle senquiert mthodiquement par les mandres des raisonnements et quelle ne dcouvre quavec beaucoup de peine (509 A) 14. Mme sil aime se trouver des devanciers, Erigne

    13. Pour une liste de ces mentions, cf. G. MADEC, Jean Scot et ses auteurs : annota-

    tions rigniennes. Paris, 1988. 14. Periphyseon 509 A : Noli expauescere. Nunc enim nobis ratio sequenda est,

    quae rerum ueritatem inuestigat nullaque auctoritate opprimitur, nullo modo impedi-tur ne ea quae et studiose ratiocinationum ambitibus inquirit et laboriose inuenit publice aperiat atque pronuntiet . Les citations latines du Periphyseon sont extraites de ldition critique dE. JEAUNEAU (CCCM 161, 162, 163, 164 et 165); les traductions franaises (Livres I-IV) sont lorigine celles de F. BERTIN (Paris, 1995 et 2000) ; nous les avons parfois modifies.

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    manifeste lgard des Pres et des penseurs antrieurs un dtache-ment rel, une attitude consciente de parfaite libert, un vritable es-prit critique qui sabstient des exgses pieuses. Selon Jean Scot, au-cune auctoritas nest jamais par elle-mme normative, son critre de vrit et de validit reste la uera ratio 15.

    Le statut particulier du texte porphyrien 16 un trait de dialectique justifie en lui-mme labsence de citation. Pour Jean Scot, la dialec-tique nest pas une invention humaine, mais un art inscrit au cur mme des choses. Pour Jean Scot, la dialectique qui divise les genres en espces et qui rsout les espces dans les genres [] na pas t invente par des machinations humaines, mais cet art a t cr dans la nature mme des choses par lauteur de tous les arts, qui sont des arts vritables, et a t dcouverte par les philosophes, qui ont pris lhabitude de lutiliser pour pratiquer un examen approfondi de la nature mme des choses 17 (749 A). Porphyre na donc pour lui rien invent , il a seulement us de schmes et de thses adquats quErigne se sent entirement libre de reprendre. Porphyre a fait un usage correct de sa ratio, il a ainsi compris certaines structures la fois du rel et de la pense, mais na pas fait preuve doriginalit ou dinventivit, il a su justement retranscrire un donn inscrit dans la nature. Remarquons demble la forte prsence dun vocabulaire porphy-rien dans le Periphyseon. Erigne emploie frquemment les adjectifs generalis et specialis ainsi que des superlatifs generalissimus et specia-lissimus traductions du grec et absents du vocabulaire dAristote mais trs prsents dans lIsagoge. La traduction par generalis et specialis suit la traduction bocienne. Pour dsigner les individus, Erigne use souvent de lexpression rcurrente chez Porphyre de 18 Relevons galement que Jean Scot utilise souvent le verbe subsistere pour dsigner le mode dtre des genres et des espces, qui

    15. Pour Jean Scot, la raison prime par nature sur lautorit. Aprs avoir tabli que

    ce qui est antrieur par nature a une noblesse plus grande que ce qui est antrieur dans le temps, le matre explique en Periphyseon 513 BC : N. Rationem priorem esse natura, auctoritatem uero tempore didicimus. Quamuis enim natura simul cum tem-pore creata sit, non tamen ab initio temporis atque naturae coepit esse auctoritas, ratio uero cum natura ac tempore ex principio rerum orta est.

    A. Et hoc ipsa ratio edocet. Auctoritas siquidem ex uera ratione processit, ratio ue-ro nequaquam ex auctoritate. Omnis enim auctoritas quae uera ratione non approba-tur infirma uidetur esse; uera autem ratio, quoniam suis uirtutibus rata atque immu-tabilis munitur, nullius auctoritatis astipulatione roborari indiget. [...]

    N. [...] Ideoque prius ratione utendum est in his quae nunc instant, ac deinde auc-toritate .

    16. La polmique anti-chrtienne suscite par Porphyre et rapporte par Augustin a possiblement jou un rle dans ce silence.

    17. Periphyseon 749 A : [] ars illa, quae diuidit genera in species, et species in genera resoluit, quaeque dicitur, non ab humanis machinationibus sit facta, sed in natura rerum ab auctore omnium artium, quae uere artes sunt, condita, et a sapientibus inuenta, et ad utilitatem sollertis rerum indagis usitata .

    18. Ce vocabulaire porphyrien est galement prsent chez MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua ad Iohannem XXXVII; cf. pour la traduction rignienne de ce texte CCSG 18 (Ed. JEAUNEAU), p. 185.

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    renvoie directement au clbre questionnaire de Porphyre qui ouvre lIsagoge. La seule mention explicite de lIsagoge est rechercher dans lenseignement palatin des arts libraux du matre irlandais, dans les Annotationes in Marcianum o Erigne crit, parlant du skopos du trai-t porphyrien : LIsagoge constitue la fois une introduction et le premier volet de lart de

    la dialectique (prima pars artis dialecticae), dont les articulations sont au nombre de cinq : le genre, lespce, la diffrence, le propre, laccident. On donne aussi lIsagoge le nom dintroduction car si on nen possde pas la notion, on ne peut pas remonter jusquaux dix genres de ltre (decem genera rerum). Car il existe dix genres de ltre, que les Grecs appellent catgories (categoriae) et que les Latins appellent prdicaments (predicamenta) : la subs-tance (substantia), la quantit, la qualit, la relation, la situation, la disposi-tion, le lieu, le temps, lagir et le ptir 19. Nous aurons loccasion de revenir sur le contenu de ce texte. Cette

    seule mention, qui pourrait fort bien provenir dun rsum scolaire de logique, ne permet en rien de conclure une connaissance directe du texte. Dautres passages attestent dune connaissance du contenu sco-laire de lIsagoge, telle la liste des cinq prdicables (genre, espce, diffrence, propre et accident) qui, bien que reformule en fonction de la mtaphysique de Jean Scot (genre est compris en terme dessence), apparat deux reprises :

    Comment toutes les choses ont-elles t cres dans lhomme et subsis-tent-elles en lui? Est-ce selon leur seule essence, ou selon leurs seuls acci-dents, avec toutes les proprits que lon peut observer dans la crature en gnral, c'est--dire la fois selon lessence [essentia = genre], lespce, la diff-rence, le propre et toutes les autres proprits conues autour delle [= les ac-cidents]? (764 C, nous soulignons) 20 [] on ne peut trouver aucune substance cre [= genre] que lon ne puisse considrer comme subsistant dans lhomme, ni aucune espce, aucune diff-rence ni aucun propre, ni aucun accident naturel, affrents la nature mme des existants (773 D, nous soulignons) 21. Dans un surprenant mlange des genres, o sentremlent dialec-

    tique et sacra pagina, certains lments de lIsagoge sont mme utiliss pour lexgse biblique, par exemple de Gense 1,24 : 19. Annot. in Marc., Ed. C. Lutz, 84, 1-6 : ISAGOGE introduccio et est prima pars

    artis dialecticae, et sunt quinque numero : genus species differencia proprium acci-dens. Isagoge autem introduccio dicitur quia nisi noticiam earum quis habuerit ad decem genera rerum non potest ascendere. Sunt enim decem genera rerum quae a Graecis categoriae, a Latinis praedicamenta, dicuntur : substantia quantitas qualitas relatio situs habitus locus tempus agere pati .

    20. Periphyseon 764 C : Quomodo in homine omnia creata sunt et in ipso subsis-tunt? Num secundum solam essentiam, an secundum sola accidentia cunctaque quae considerantur in uniuersa creatura, hoc est, secundum essentiam, et speciem, et diffe-rentiam, et proprietatem, et omnia quae circa intelliguntur? .

    21. Periphyseon 773 D : [...] cum nulla substantia sit creata, quae in eo [lhomme] non intelligatur esse, nulla species, seu differentia, seu proprium, seu accidens natu-rale in natura rerum reperiatur, quae uel ei naturaliter non insit, uel cuius notitia in eo esse non possit [...] .

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    [] le commandement divin a ordonn la terre de produire lme vivante, savoir lanimal vivant, c'est--dire de produire concrtement dans leurs genres et dans leurs espces propres les cratures vivantes encore pr-contenues sous un mode causal et latent dans leurs causes primordiales et dans leurs normes constitutives []. Et tu peux constater comment la Parole divine nous indique la conscution naturelle des vnements : Que la terre produise, dclare-t-elle, des mes vivantes selon leur genre propre . Dieu cra en premier le genre, car toutes les espces sont pr-contenues dans leur genre commun et ne font quun en lui, puis le genre se subdivise dans les espces et achve de se multiplier travers les formes gnrales et les espces individuelles, selon un processus galement indiqu par les paroles suivantes : Quelle produise les bestiaux, les bestioles qui rampent sur le sol et les btes sau-vages selon leurs espces propres (748 CD) 22. La tradition latine de lIsagoge lge carolingien permet cependant daffirmer la possibilit dune connaissance directe. Traduit dabord

    par le rhteur africain du IVe sicle Marius Victorinus 23, puis par Boce 24, lIsagoge de Porphyre est lun des textes les plus lus et les plus comments du haut Moyen ge 25. Avec la Paraphrasis Themistiana ou Categoriae decem, il forme le noyau dur du corpus de la Logica vetus.

    22. Periphyseon 748 CD : Quoniam itaque in hac omnium communi terra omnia

    animalia secundum corpus et animam causaliter et primordialiter creata sunt, quid mirum si diuino praecepto iubeatur animam uiuentem (hoc est animal uiuens) pro-ducere, ut quod causaliter occulte in causis et rationibus habebat, hoc in genera et species aperte produceret? Et uide quomodo naturalem rerum consequentiam diui-num nobis manifestat eloquium. Producat, inquit, terra animam uiuentem in ge-nere suo. Primo genus posuit, quoniam in ipso omnes species et continentur et unum sunt, et in eas diuiditur, et multiplicatur per generales formas specialissimasque spe-cies. Quod etiam ostendit dicens : iumenta et reptilia et bestias terrae secundum species suas .

    23. Sur la traduction de Marius Victorinus, cf. P. MONCEAUX, LIsagoge latine de Marius Victorinus , in AAVV, Philologie et linguistique. Mlanges offerts Louis Havet. Paris, 1909, pp. 291-310; et L. ADAMO, Boezio e M. Vittorino traduttori e interpreti dellIsagoge di Porfirio , Rivista critica di Storia della Filosofia, XXII (1967), pp. 141-164. Voir aussi P. HADOT, Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et ses uvres. Paris, 1971, spcialement les pages 179 186 consacres lIsagoge et lappendice IV lIsagoge de Marius Victorinus , pp. 367-380.

    24. Pour une analyse du rapport de Boce Porphyre, cf. L. OBERTELLO, Severino Boezio. Gnes, 1974, pp. 197-201, 476-493; J. BIDEZ, Boce et Porphyre , Revue belge de philologie et dhistoire, II (1923), pp. 189-201; A. GUZZO, LIsagoge di Porfirio e i commenti di Boezio , Annali dellIstituto Superiore di Magistero del Piemonte, VII (1934), pp. 161-211; et aussi J. SHIEL, The Greek copy of Porphyrios Isagoge used by Boethius , in J. WIESNER (d.), Aristoteles Werk und Wirkung. II. Kommentierung, ber-lieferung, Nachleben. Berlin-New York, 1987, pp. 312-340. Sur Boce comme vecteur de la pense grecque, cf. M. ASZTALOS, Boethius as a Transmitter of Greek Logic to the Latin West : the Categories , Harvard Studies in Classical Philology, 95 (1993), pp. 367-407.

    25. Les gloses de JEPA sur lIsagoge de Porphyre, contenues dans le manuscrit latin de la Bibliothque nationale de France 12949 sont un tmoin de premier plan de la pratique de commentaire du trait porphyrien durant le haut Moyen ge. Cf. C. BAEUMKER, Frhmittelalterlische Glossen des angeblichen JEPA zur Isagoge des Porphyrius , Beitrge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters. Texte und Untersu-chungen, XXIV (1924). Pour une proposition dattribution de ces gloses Isral Scot, cf. E. JEAUNEAU, Pour le dossier dIsral Scot , AHDLMA, 52 (1985), pp. 7-72.

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    Cet ensemble de textes qui comprenait aussi le De Interpretatione dAristote, les Topica de Cicron et le Periermenias dApule a servi de base aux recherches philosophiques et thologiques du haut Moyen ge, aussi bien sur les questions dontologie que sur celle, trs dispu-te, de la praedicatio in divinis, c'est--dire de la possibilit de lapplication du langage catgorial Dieu. De plus, les crits de Mar-tianus Capella (De Nuptiis Philologiae et Mercurii), de Cassiodore (Insti-tutiones), et dIsidore de Sville (Etymologiae) comportent tous un bref rsum de la doctrine des Catgories et de celle de lIsagoge. LIsagoge a souvent t lu accompagn du second commentaire de Boce; la cir-culation du premier commentaire avant la fin du Xe sicle nest pas prouve. La consquente diffusion de lIsagoge au IXe sicle est bien atteste. LIsagoge est prsent dans quasiment tous les manuscrits qui compor-tent un recueil de textes logiques. Au moins six manuscrits copis au IXe sicle, donc plus ou moins contemporains dErigne, contiennent lIsagoge dans la traduction de Boce, gnralement accompagn des Categoriae decem 26.

    Erigne qui a beaucoup frquent les milieux intellectuels de son temps, matre lcole palatine, tait un grand lecteur. la fois itin-rant et introduit, curieux et perspicace, toutes les conditions sont ru-nies, si lon ajoute la diffusion du texte, pour accrditer la thse de la connaissance directe. Remarquons de plus quune connaissance di-recte du texte grec de lIsagoge, bien que peu probable, nest pas impos-sible. lexception du manuscrit contenant les uvres du Pseudo-Denys (le ms. Paris BN Grec 437), les manuscrits grecs utiliss par Jean Scot pour ses traductions de Maxime ou de Grgoire ne sont pas iden-tifis, on ne peut donc savoir de faon exhaustive ce quils contenaient. De plus, une langue sapprend au travers de textes, et lon ne sait quels taient ceux dont a dispos Jean Scot 27.

    26. Ces manuscrits sont les suivants : Romanus, bibl. Patrum Maristarum (Padri Maristi A.II. 1) : saec. VIII-IX; Carolisruhensis, bibl. Badensis, Reich. CLXXII : saec. IXinc; Vercellensis, arch. Capit. CXXXVIII : saec. IX *; Parisinus, bibl. nat., lat. 12949 : saec. IX *; Petropolitanus, bibl. publ. F. V. class. Lat. 7 : saec. IX (texte partiel) *; Parisinus, bibl. nat., lat. 7730 : saec. IX-X. Les manuscrits suivis dun astrisque (*) sont originaires du milieu intellectuel de

    Corbie. Le premier des manuscrits est trs instructif : il sagit du manuscrit dit de Leidrad, lami dAlcuin; copi avant 814, il contient lIsagoge, les Categoriae decem, la Dialectica dAlcuin, le Periermenias dApule, le premier commentaire de Boce au De Interpretatione; il donne surtout une bonne image des outils philosophiques quoffrait la Logica vetus lpoque carolingienne. Le Parisinus 12949 est aussi un manuscrit de premire importance, il contient en effet des gloses manant de lcole dAuxerre lIsagoge et aux Categoriae decem, gloses qui tmoignent de linfluence dErigne dans le milieu auxerrois du Xe sicle. Cf. pour une description de la tradition manuscrite latine de lIsagoge : le volume I. 6-7 [Categoriarum supplementa] de lAristoteles Latinus, Ed. L. MINIO-PALUELLO. Bruges-Paris, 1966; pp. XI-XXXIX.

    27. Sur ces questions et sur la bibliothque grecque de lErigne, cf. E. JEAUNEAU, Erigne et le grec , Archivum Latinitatis Medii Aevi, XLI (1979), pp. 5-50.

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    Quoiquil en soit de la connaissance directe de lIsagoge, la connais-sance indirecte est, elle, la fois vidente et multiple. Dabord, les vec-teurs du contenu scolaire de lIsagoge sont nombreux 28; les plus com-plets sont probablement les paragraphes 344 348 des Noces de Philo-logie et Mercure de Martianus Capella (ed. DICK, p. 157 : 17 160 : 19), le Liber de definitionibus de Marius Victorinus et le de Divisione de Boce. Jean Scot, matre s artes liberales, avait une grande connais-sance des Noces 29, comme en tmoignent ses gloses, ses Annotationes in Marcianum. Plus importants sont les vecteurs de la pense ontolo-gique de Porphyre. La liste est longue, car elle comprend la quasi-totalit des lectures philosophiques de lErigne. Ses lectures nopla-toniciennes grecques videmment, mais aussi ses lectures patristiques latines; Porphyre a en effet influenc aussi bien les sources grecques (Grgoire de Nysse 30, Maxime le Confesseur et dans une moindre me-sure Denys 31) que latines (Boce 32, Marius Victorinus 33, ou mme Au-gustin 34 et Ambroise) du matre irlandais. Porphyre est omniprsent

    28. Cf. sur ce point S. EBBESEN, Ancient logic as the source of medieval scholastic

    logic , in N. KRETZMANN, A. KENNY, J. PINBORG (ds), The Cambridge History of Later Medieval Philosophy. Cambridge, 1982, p. 105. Sur lapport dIsidore et de Cassiodore la dialectique, cf. G. DONOFRIO, Fons scientiae : la dialettica nellOccidente tardo-antico. Naples, 1986, pp. 57-78. Cf. aussi D. P. HENRY, Predicables and categories , in N. KRETZMANN, A. KENNY, J. PINBORG (ds), The Cambridge History of Later Medieval Philosophy. Cambridge, 1982, pp. 128-142.

    29. Sur limportance de Martianus Capella pour Jean Scot, cf. G. SCHRIMPF, Jo-hannes Scottus Eriugena und die Rezeption des Martianus Capella im karolingischen Bildungswesen , in W. BEIERWALTES (d.), Eriugena. Studien zu seinen Quellen. Heidel-berg, 1980, pp. 135-148.

    30. Sur le rapport de Grgoire de Nysse et de Porphyre, voir entre autres : P. COURCELLE, Grgoire de Nysse lecteur de Porphyre , Revue des Etudes grecques, LXXX (1967), pp. 402-406; H. F. CHERNISS, The platonism of Gregory of Nyssa. New York, 1930; J. DANILOU, Grgoire de Nysse et la philosophie , in H. DRRIE, M. ALTENBURGER, U. SCHRAMM (ds), Gregor von Nyssa und die Philosophie. Leiden, 1960, pp. 3-20; E. PEROLI, Il Platonismo e lantropologia filosofica di Gregorio di Nyssa. Con particolare riferimento agli influssi di Platone, Plotino e Porfirio. Milan, 1993.

    31. Remarquons nanmoins que dans la prface quil rdige sa traduction latine des uvres de Denys, JEAN SCOT associe au projet thologique de Denys dans les Noms Divins des lments porphyriens : Tertius dehinc continet divinarum nomina-tionum virtutes, ideoque de divinis Nominibus vocitatur. In eo secretissima subtilis-simaque reserantur mysteria de unitate et trinitate divinae essentiae, hoc est, quae nomina discretam, quam unitam insinuent Deitatem, quae per se incarnato Filio conveniant, quae sit unius solius omnium causae in primordiales causas prima pro-cessio, ac per eas iterum a summo usque deorsum multiplex theophania, in genera quidem, in species numerosque visibilium et invisibilium naturarum (PL CXXII, 1034 C).

    32. Cf. les rfrences donnes en note 24. 33. Le travail fondamental sur les liens entre le rhteur africain et le philosophe

    de Tyr demeure la thse de P. HADOT, Porphyre et Victorinus. Paris, 1968; cf. aussi M. T. CLARK, Marius Victorinus Afer, Porphyry, and the history of philosophy , in R. BAINE HARRIS (d.), The significance of neoplatonism. Norfolk (Virginie), 1976, pp. 265-273; et L. ADAMO, Boezio e M. Vittorino traduttori e interpreti dellIsagoge di Porfirio , Rivista critica di Storia della Filosofia, XXII (1967), pp. 141-164.

    34. Cf. entre autres W. THEILER, Porphyrios und Augustin. Halle, 1933. Mention-nons, titre dexemple de linfluence porphyrienne, De civ. Dei, XII : Cum enim deus

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    dans les lectures dErigne, vritable vulgate de la dialectique. Trois auteurs occupent cependant une place de choix comme transmetteurs de la pense porphyrienne : dabord, mais dans une moindre mesure, Marius Victorinus. Limportance des thmatiques porphyriennes dans luvre du rhteur africain, premier traducteur latin de lIsagoge, a t magistralement mise en lumire par Pierre Hadot, nous ny revien-drons pas. Limportance de linfluence de Victorinus sur Jean Scot, partiellement tablie, mriterait dtre traite systmatiquement, mais tel nest pas notre propos. Boce a tenu un rle de premier plan 35. Jean Scot a probablement lu, outre sa traduction du texte mme, son se-cond commentaire lIsagoge. Il en a retenu plusieurs thses philoso-phiques importantes dont la principale pour notre propos est celle, porphyrienne, de la prsence complte du genre dans ses subdivisions. Lauteur dont le rle est capital dans la transmission de Porphyre est sans conteste Maxime. Le Confesseur a transmis Jean Scot un exemple dutilisation philosophique des thses porphyriennes dans ses Ambigua, texte quErigne a traduit en latin. Pour illustrer lapport philosophique de Maxime Jean Scot, don-nons un exemple de matriau porphyrien repris et transmis par Maxime 36. Il sagit du passage des Ambigua 1177 BC qui transmet lchelle porphyrienne, logique ou ontologique, qui va du genre le plus gnral aux espces les plus spciales travers les genres gnraux.

    Depuis le dbut, la substance de toutes choses est mue dans la raison et de la manire de lexpansion et de la contraction. Elle est en effet mue par-tir du genre le plus gnral, travers la mdiation des genres gnraux vers les espces. travers la mdiation de ceux-ci, et dans ceux-ci, la substance des choses trouve une division naturelle qui progresse jusquaux espces les plus spciales qui posent un terme lexpansion en tant que telle et circons-crivent son tre dans la lumire de ses frontires vers le bas. Dautre part, la substance se contracte en abandonnant les espces les plus spciales et en passant travers les espces les plus gnrales et retourne au genre le plus gnral qui pose une fin la contraction en tant que telle dfinissant ainsi ses frontires vers le haut (1177 B12-C9) 37.

    summa essentia sit, hoc est summe sit, et ideo immutabilis sit, rebus quas ex nihilo creavit esse dedit, sed non summe esse, sicut est ipse, et aliis dedit esse amplius, aliis minus atque ita naturas essentiarum gradibus ordinavit .

    35. J. MARENBON prcise sans autre dveloppement : the concepts he gathered from the Isagoge (and Boethius second commentary to it) and the Categoriae Decem play an important role in his masterpiece . Early Medieval Philosophy, p. 65.

    36. Pour une prsentation gnrale de lapport des Ambigua de Maxime Erigne pour les questions bibliques, thologiques, spirituelles et, dans une moindre mesure, philosophiques, cf. E. JEAUNEAU, Jean lErigne et les Ambigua ad Iohannem de Maxime le Confesseur , in F. HEINZER, C. SCHNBORN (ds), Maximus Confessor. Fri-bourg, 1982, pp. 343-364. Voir aussi louvrage de S. GERSH, From Iamblichus to Eriuge-na. An investigation of the Prehistory and Evolution of the Pseudo-Dionysian tradition. Leiden, 1978.

    37. Ambigua 1177 (E. JEAUNEAU p. 92 : 1389-1396) : [] sed etiam ipsa existen-tium simul omnium et mota est et mouetur, ea ratione et modo qui est per diuisionem et collectionem. Mouetur enim a generalissimo genere per generaliora genera in spe-cies, per quas et in quas diuidi consueuit, proueniens usque ad specialissimas species, quibus terminatur secundum ipsam diuisio, esse ipsius deorsum uersus circumscri-

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    Cest notamment en se basant sur ce passage que Jean Ppin peut avancer laffirmation quil ne dveloppe malheureusement pas, selon laquelle [] the conclusion seems justified that it is through Maximus that Eriugena was informed about the content of the Isagoge 38. Limportance de Maxime dans la connaissance que Jean Scot a pu avoir de Porphyre quil ait connu ou non la traduction de Boce incite formuler une remarque. Maxime a considrablement influenc la lecture quErigne a pu faire de Porphyre. Confort par ses autres sources grecques, Erigne a trouv chez Maxime une confirmation voire mme linspiration de la lecture noplatonisante quil va pro-poser de lIsagoge. Laccent que porte le matre irlandais sur les pas-sages et les affirmations clairement noplatoniciens du trait porphy-rien lui a sans doute t suggr par le Confesseur. La conception de la dialectique et limportance du schme divisio-collectio sont certaine-ment dus Maxime. La lecture rignienne de Porphyre nen reste pas moins originale de par lapplication des thses du philosophe de Tyr aux problmatiques propres de Jean Scot thorie de la substance, ralisme des universaux, individuation qui sont dans leur majorit penses et formules au moyen des instruments fournis par la tradi-tion logique latine.

    Projet exgtique et expos mtaphysique Une ultime remarque simpose avant dexaminer les points prcis dinfluence. Elle a trait la perspective de lecture et lobjectif suivis par nos deux penseurs. Constatons demble que lvaluation de linfluence porphyrienne requiert de prendre en compte une autre uvre que lIsagoge mme, les Catgories dAristote. Nous aurons loccasion de remarquer de multiples reprises que, souvent, linfluence porphyrienne se manifeste comme un inflchissement de la doctrine dAristote. Introduction aux Catgories, lIsagoge en est aussi sur quelques aspects une remise en cause, guide gnralement par des principes mtaphysiques noplatoniciens. Le schma historiogra-phique global peut tre, dans ses grandes lignes, prsent ainsi : une mtaphysique sous-jacente des Catgories rpond une mtaphysique sous-jacente de lIsagoge qui transparat plus clairement dans certains passages du texte; cette mtaphysique porphyrienne est accepte, dveloppe et rendue explicite par Jean Scot dans le Periphyseon, qui tout au long de son uvre distillera des critiques lencontre de la position aristotlicienne. Le travail et la rflexion sur le texte dAristote sont diffrents pour Porphyre et pour Erigne; cela explique certaines divergences, mme si la position mtaphysique globale cest notre hypothse de travail est commune. L o Erigne propose une vaste

    bens, et colligitur iterum a specialissimis speciebus per generaliora regrediens usque ad generalissimum genus, quo terminatur secundum ipsam contractio [] .

    38. J. PPIN, Humans and animals , p. 189. Cette affirmation doit tre complte par le jugement global que Jean Ppin porte sur la connaissance de Porphyre par Erigne : It is quite possible that Eriugena read the Isagoge, perhaps in Boethiuss translation. It could also be that he became familar with its contents, at least, in part, during his own school training .

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    uvre qui ne se veut ni une exgse dun texte particulier 39, ni un pro-pdeutique, mais un systme complet et personnel dont la complexit tient beaucoup sa volont dexhaustivit Jean Scot tente dexpliquer rationnellement lensemble du rel , Porphyre rdige, lui, un court trait introductif, destin des dbutants et cens expliquer la premire uvre ou le premier groupe duvres que doit lire quel-quun qui entame le cursus des tudes philosophiques noplatoni-ciennes. Le philosophe de Tyr se retient daborder les thses mtaphy-siques, trop complexes pour les dbutants auxquels il sadresse. Ce qui ne veut nullement dire que Porphyre ny adhre pas. Car comme le remarque Philippe Hoffmann : Pour tudier les Catgories, Porphyre se situe dans la perspective logique qui est celle des Pripatticiens, mais cela ne signifie pas que toutes les affirmations nonces par lui dans lIsagoge ou dans le petit Commentaire aux Catgories reprsentent une doctrine. Son aristotlisme rpond un projet exgtique il sagit simplement dexpliquer comment les Anciens ont conu les cinq mots ( ) et les catgories et ninterdit donc pas de souli-gner les affleurements du platonisme qui correspond aux vri-tables positions dogmatiques de Porphyre 40. Il ny a, dans lIsagoge, comme dailleurs dans le Commentaire aux Catgories, ni reniement, ni renoncement, mais simplement une retenue pdagogique. Si Porphyre ne parle pas duniversaux autres que les concepts abstraits ce nest point quil nie leur existence, mais parce que son projet est dintroduire lOrganon et non la philosophia prima. En ce sens, il nous semble quune remarque de Philippe Hoffmann sur le Commentaire de Por-phyre aux Catgories dcrit exactement lattitude adopter dans la lecture de lIsagoge : Il ne faudrait pas conclure toutefois que Por-phyre adhre laristotlisme en oubliant purement et simplement lontologie noplatonicienne. La suite du texte est tout fait claire sur ce point et permet de comprendre que cet aristotlisme est mthodo-logique et exgtique, au sens o il est guid par la considration du propos logique 41. Une telle retenue pdagogique fonde sur la con-sidration du propos logique du trait aristotlicien ne peut tre for-mule que par un auteur qui envisage lensemble du corpus aristotli-cien : largumentaire de Porphyre ou celui plus tardif de Simplicius pour carter une lecture strictement ontologique des Catgories na de sens que pour quelquun qui possde la Mtaphysique. Sans philoso-phie premire, la possibilit dune dmarcation stricte entre logique et mtaphysique nest simplement pas envisageable. Cest dans ce dernier cas de figure que se place Jean Scot pour qui lontologie catgoriale est la seule voie mtaphysique possible.

    39. Le Periphyseon est souvent prsent comme un Hexameron, une exgse des

    premiers versets de la Gense. Cette lecture, mme si elle est parfois clairante, est par trop rductrice. Le Periphyseon est une uvre complexe qui ne saurait se rduire un commentaire.

    40. Ph. HOFFMANN, Les principes de linterprtation noplatonicienne des Catgories dAristote, de Porphyre au Pseudo-Arthas. Paris, 1998, Thse dhabilitation non publie ( paratre aux ditions des Belles Lettres), vol. 1, p. 80.

    41. Ph. HOFFMANN, Les principes de linterprtation noplatonicienne des Catgories, vol. 1, pp. 78-79.

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    Ne pouvant la concevoir, Erigne ne sembarrasse nullement de la retenue mthodologique porphyrienne; son projet philosophique est autre : le matre irlandais veut proposer une explication gnrale de la structure ontologique de la ralit; le matre soumet lalumnus un expos complet et fortement mtaphysique, dans lequel il expose et dfend lensemble de la doctrine noplatonicienne, du moins telle quil pouvait la connatre ou la reconstruire. La mtaphysique, ou plus pr-cisment cette science, inscrite dans la nature, qui touche ltre mme des choses, la dialectique, est le centre de son intrt. Le matre irlandais nprouve pas un grand enthousiasme pour les questions purement logiques. Si Porphyre lintresse, cest que les schmes quil propose se prtent une lecture raliste et une utilisation mtaphy-sique. Ce travail va galement proposer une justification par un exemple prcis dune thse gnrale nonce par Alain de Libera 42 : Ce sont les noncs platoniciens, comme par la participation lespce, les hommes multiples constituent lhomme un ou par les individus, cet homme unique et commun devient plusieurs, qui, dans la tradition interprtative lont emport sur les aspects aristotliciens . Ce constat savre particulirement adquat pour Jean Scot.

    Jean Scot utilise et interprte les ides logiques de Porphyre la lumire de sa vise mtaphysique. Nous discuterons au terme de cet article la pertinence de ce projet. Pour que linterprtation quErigne propose de lIsagoge soit errone, il faudrait que sa lecture repose sur une mtaphysique autre que celle de Porphyre, ce qui, nous allons le voir, est loin dtre vident. Si tel nest pas le cas, on peut affirmer quErigne ne fait que raliser un dessein que Porphyre lui-mme au-rait prvu. Erigne, dont le projet philosophique nest pas celui de Porphyre, peut ainsi aborder des questions que Porphyre, par souci pdagogique, avait dlibrment choisi dcarter. Notre hypothse de travail est que, loin de se mprendre sur le sens de la pense porphy-rienne, Jean Scot, fort de sa grande culture noplatonicienne, va, dans un sens cohrent avec la pense de Porphyre 43, rpondre aux ques-tions que lIsagoge a partiellement ignores. Il complte ainsi par le versant mtaphysique et, dans une moindre mesure, pistmologique, lexpos de philosophie entam par Porphyre pour la logique. Comme la soulign S. K. Strange 44, pour Porphyre lengagement ontologique des catgories nest pas restrictif, elles peuvent tre int-

    42. A. DE LIBERA, Introduction , in PORPHYRE, Isagoge. Paris, 1998, note 44, pp.

    XXXI-XXXII. 43. La lecture dAristote propose par Porphyre dans lIsagoge procde selon lexpression de G. GIRGENTI in ottica platonica. Cf. Il pensiero forte di Porfirio. Media-

    zione fra henologia platonica e ontologia aristotelica. Milan, 1996, p. 127 : LIsagoge certamente un commentario ad unopera aristotelica, ma evidente il timbro platoni-co che Porfirio imprime alla sua esegesi ; cf. aussi la prface sa traduction de lIsagoge (Milan, 1995) : Il recupero dellonto-henologia porfiriana indispensabile per comprendere come, attraverso le decine di commentari allIsagoge, si sia trasmesso al Medioevo un cripto-platonismo, che ha condizionato le posizioni di molti autori , p. 6.

    44. S. K. STRANGE, Plotinus, Porphyry and the Neoplatonic interpretation of the Categories , pp. 961-963.

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  • PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO 415

    gres dans une ontologie plus large et plus riche, comme par exemple lontologie noplatonicienne. Erigne ralise cette intgration, mais aprs un long et consquent travail de renversement du systme onto-logique des Catgories, partiellement prpar par Porphyre. Ainsi, il accepte lexistence duniversaux abstraits aristotliciens au ct des formes platoniciennes, qui sont, elles, des universaux transcendants causes la fois des sensibles et des universaux immanents. Ce pas, Erigne va laccomplir en adoptant une thorie proche de celle, no-platonicienne, des trois tats de luniversel o prend place une thorie des formes platoniciennes, sa doctrine des causes primordiales ou ides archtypales, une thorie des universaux in re, et une conception des universaux abstraits, qui bien que dobdience aristotlicienne sera repense par Jean Scot dans une direction que lon peut qualifier didaliste. II. LE LEGS ONTOLOGIQUE DE LISAGOGE Plus que des points de doctrine isols et disparates, cest une vision du monde cohrente, un schme de comprhension de la ralit que Porphyre a transmis 45. Bien au-del de prceptes logiques, cest une analyse ontologique que le penseur de Tyr a lgue au travers de lIsagoge. Affirmer cela requiert de prciser un lment : pour que Por-phyre livre un corps de doctrine ontologique 46, il faut le lire dans une certaine optique, celle du platonisme, ou, mieux, du noplatonisme 47 et selon lhorizon de problmatisation propre au haut Moyen ge latin. Cest dans cet esprit, sensibilis par ses autres lectures patristiques grecques, quErigne va lire lIsagoge. Dans cette perspective dinterprtation o lon cherche des rponses des questions non pas logiques, mais ontologiques, voire hnologiques, lIsagoge livre, par des formules brves voire elliptiques, une analyse structurelle de la ralit. Cette ralit se construit sur un schme fondamental dans le nopla-tonisme, celui de la procession 48, de la manence et du retour; transpo-s dans les questions ontologiques, ce principe est entendre ainsi : il y un principe un et universel qui se dploie, se divise, se fractionne en une multitude de ralits particulires (chute dans le multiple, Jean Scot dit souvent processio id est multiplicatio), demeure, et se runifie (retour lun). Ce principe capital est le socle de la pense la fois de

    45. Pour une prsentation gnrale de la contribution de Porphyre la rflexion

    ontologique ultrieure : cf. A. DE LIBERA, La querelle des Universaux, pp. 35-47. 46. Sur la rflexion ontologique dans lensemble de luvre de Porphyre, cf.

    A. SMITH, and in Porphyry , in F. ROMANO, D. P. TAORMINA (ds), Hyparxis e hypostasis nel neoplatonismo. Florence, 1994, pp. 33-41; R. CHIARADONNA, Linterpretazione della sostanza aristotelica in Porfirio , Elenchos, XVII (1996), pp. 55-94.

    47. Pour une lecture de lIsagoge la lumire du noplatonisme plus particuli-rement des Sentences de Porphyre, cf. lensemble des travaux de G. GIRGENTI, no-tamment : Il pensiero forte di Porfirio; Introduzione a Porfirio. Rome-Bari, 1997; et lintroduction de sa traduction italienne de lIsagoge.

    48. Pierre Hadot a insist sur la comprhension porphyrienne de la procession noplatonicienne comme un processus de particularisation dans son article fonda-mental : La mtaphysique de Porphyre , in AAVV, Porphyre. Entretiens sur lAntiquit classique, XII. Vanduvres-Genve, 1966, pp. 127-163.

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  • 416 CHRISTOPHE ERISMANN

    Porphyre dans les Sentences, et plus discrtement dans lIsagoge et de Jean Scot. Il se comprend comme une superposition au mouvement dialectique de la et de l de celui, ontologique, de la et de l Ce schme implique de comprendre luniversel (i.e. le genre) comme un principe. Cette comprhension de la multiplication du principe est prsente, nous y reviendrons, en Isa-goge II. 12, mais relativement discrte dans le reste de luvre, elle est en revanche thmatise dans la Sentence 11 : Les hypostases incorpo-relles se multiplient et se partagent lorsquelles descendent dans les individus, par affaiblissement; en revanche lorsquelles remontent, elles sunifient et reviennent lorigine par renforcement 49.

    De ce schme - dcoulent les consquences sui-vantes qui sont autant dapports considrables de Porphyre lrignisme : 1. Le primat de la vision dductive et divisive (platoni-cienne) sur linductive aristotlicienne : le mouvement premier est en effet celui de la sortie, de la division, de la multiplication; 2. La pri-maut de luniversel : dans une vision dductive, luniversel est ontolo-giquement premier, les individus ne sont que lultime aboutissement de la descente, ce qui, transpos en termes aristotliciens, revient affirmer la primaut des substances secondes sur les substances pre-mires. 3. La procession est alors dploiement ontologique, on ne parle plus dentits logiques abstraites, mais de ralits. 4. Ce dploiement est pens sous un mode hnologique : chute de lun dans le multiple et runification. 5. Lindividu est alors comprendre comme une instan-ciation dun universel unique, manifestation numriquement diffrente dune unique essence. 6. Lindividu, fruit des accidents, ne diffre dun autre que par une runion unique de proprits. Le principe noplatonicien de Porphyre se retrouve dans larchitec-tonique du Periphyseon : le mouvement de luvre est celui dune qua-dripartition de la nature qui repose sur ce schme de la procession et du retour; la ralit est comprise comme une manifestation thopha-nique dun principe unique (lousia gnrale) qui se divise en genres gnraux et intermdiaires, espces et individus, avant damorcer un vaste mouvement de retour unificateur 50. Les diffrentes consquences qui dcoulent de ce principe sont la base des grands axes de la m-taphysique de lErigne et influencent sa conception des catgories, des universaux et de lindividuation.

    49. PORPHYRE, Sentence 11 (Ed. LAMBERZ. Leipzig, 1975) :

    50. Erigne sest vu conforter dans cette direction par la thorie noplatonicienne de la causalit. Lousia tant comprise par Jean Scot comme une cause, on peut voir larchitectonique du Periphyseon comme un dveloppement de la conception nopla-tonicienne dune cause, telle que lexpose par exemple PROCLUS, dans laxiome 35 des Elments de Thologie : Tout effet la fois demeure dans sa cause, procde delle et se convertit en elle (trad. TROUILLARD), (Ed. DODDS). Lensemble du Periphyseon dcrit comment la ralit, conue comme un effet, drive du principe unique, cause de tout, puis retourne ce principe.

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  • PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO 417

    Nous avons retenu huit points sur lesquels Porphyre, en fonction de cette mtaphysique, modifie ou complte le systme ontologique des Catgories. Ces thses sont autant de postulats forts dfendus par Por-phyre qui seront repris et souvent amplifis par Erigne. Plus quun agrgat de points de doctrine, ces thses forment une position mta-physique dont nous essaierons de montrer la cohrence :

    a. La comprhension des catgories comme dix genres suprmes de ltre, dix principes de la ralit; b. La prfrence accorde la descente diairtique platonicienne sur linduction aristotlicienne; c. La primaut des substances secondes sur les substances premires, i. e. de luniversel sur le particulier; d. La division de la ralit esquisse dans larbre de Porphyre , une

    structure plus ontologique que logique;

    e. La plurification de lunit; f. Les individus comme variations numriques dune mme subs-

    tance;

    g. La dfinition de lindividu comme faisceau de proprits. a. La comprhension des catgories comme principes de la ralit

    Le schme de la procession ncessite un principe premier : cest dans les Catgories que Porphyre va le chercher. LIsagoge est ce titre un tournant capital dans la rception des Catgories. Dans ce texte, la comprhension du statut des dix catgories est profondment modi-fie. Alors quAristote na jamais prtendu que les catgories sont une classification systmatique de toutes les choses, Porphyre va tablir les catgories comme dix genres premiers sous lesquels tous les autres genres, espces et individus sont subordonns. Les dix catgories sont des classes qui recouvrent lensemble de la ralit. Porphyre le dit clairement :

    De fait le genre dont nous parlons est une sorte de principe pour ce qui est sous lui, et il semble embrasser toute la multiplicit sous lui. (I. 4) 51

    Etenim principium quoddam est huiusmodi genus earum quae sub ipso sunt specierum, videtur etiam multitudinem continere omnem quae sub eo est.

    Surtout, les catgories deviennent des principes 52 : Posons simplement, comme dans les Catgories, les dix premiers genres

    comme jouant le rle dautant de principes premiers []. (II. 10, nous souli-gnons) 53

    Sed sint posita, quemadmodum in Praedicamentis, prima decem genera quasi prima decem principia.

    51. PORPHYRE, Isagoge I. 4 :

    52. ARISTOTE rejette explicitement cette possibilit en Mtaphysique B 3, 998 b 14

    ss. Enn. VI. 2. [43] 10, PLOTIN discute en quel sens genre et principe sont quivalents. 53. PORPHYRE, Isagoge II. 10 :

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  • 418 CHRISTOPHE ERISMANN

    < le genre le plus gnral > [] joue le rle de principe premier ( ). (II. 7, nous soulignons) 54

    < genus generalissimum > [] supremum et primum principium. Premier principe englobant lensemble de la ralit, le genre est mme conu comme une totalit : donc lindividu est embrass par lespce, et lespce par le genre, car le genre est une sorte de totalit (totum enim quiddam est genus) [] 55 (II. 16). Cette vision du genre comme principe gnrant la multiplicit subordonne vient de la fu-sion conceptuelle quopre Porphyre entre les lments des diffrentes dfinitions du genre quil propose. Il distingue en Isagoge II. 1-4 trois sens de genre qui correspondent dans les grandes lignes ceux pro-poss par Aristote en Mtaphysique 28. Pour Porphyre, genre se dit dabord dune collection dindividus qui se rapporte de faon dtermi-ne un tre unique. Cest le genre compris comme unit gnalo-gique de provenance selon la relation qui est ici vis. Genre se dit deuximement du principe de la gnration de chacun, quil sagisse de celui qui la engendr ou du lieu o lon est n. Genre se dit troisimement de ce sous quoi est range lespce. Porphyre opre un rapprochement entre ces trois sens, l o en Mtaphysique Aristote oprait une stricte dmarcation 56. Porphyre prcise que sa dfinition philosophique du genre est ainsi nomme limitation des [significa-tions] prcdentes (ad horum fortasse similitudinem dictum, , I. 4). Cette assimilation 57 des carac-tristiques des deux sens non-techniques du genre lacception philo-sophique est profondment anti-aristotlicienne. Ainsi le genre au sens philosophique se voit pourvu des caractristiques des sens prcdents, savoir le fait dtre un principe organisateur et crateur pour la mul-tiplicit subordonne qui, donc, dpend de lui. La conception anti-aristotlicienne qui sen dgage alors est celle dun genre principe g-nrateur de ses espces. Les possibilits dapplication mtaphysique dune telle thorie sont videntes. Elle permet de penser la hirarchie des tres de lontologie noplatonicienne comme manant de leur principe, lousia intelligible.

    54. PORPHYRE, Isagoge II. 7 : [] [] [] 55. PORPHYRE, Isagoge II. 16 : Continetur igitur individuum quidem sub specie, species autem sub genere. Totum enim quiddam est genus [].

    [] 56. Aristote distingue avec insistance le signifi gnalogique du genre et celui du

    genre substrat des diffrences. Sur cette distinction, cf. P. PELLEGRIN, Logical Diffe-rence and Biological Difference : The Unity of Aristotles Thought , in A. GOTTHELF, J. G. LENNOX (ds), Philosophical Issues in Aristotles Biology. Cambridge, 1987, pp. 313-338; et dans le mme volume, J. G. LENNOX, Kinds, Forms of Kinds and the More and the Less in Aristotles Biology , pp. 339-359.

    57. P. AUBENQUE a signal ce rassemblement : lhypothse gnalogique, quil [Porphyre] ne semble dailleurs pas distinguer de linterprtation gnrique , dans son article Plotin et Dexippe, exgtes des Catgories dAristote , in AAVV, Aristotelica, Mlanges offerts Marcel de Corte. Bruxelles-Lige, 1985, note 30, pp. 23-24.

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  • PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO 419

    Porphyre interprte le genre philosophique en terme de dpen-dance gnalogique 58. Cette comprhension du genre base sur la relation exige un principe gnrateur et dbouche sur un no-platonisme ontologique 59. Le genre est alors compris comme ce prin-cipe qui comprend toute la multiplicit subordonne. Le genre procde vers la multiplicit quil rassemble sous une nature unique.

    Porphyre a soin de prciser les limites de cette thorie pour le cas prcis de la catgorie de la substance. Dans lIsagoge, lousia est dite, selon une expression absente chez Aristote mais dorigine stocienne, genre suprme. Pour Porphyre, un genre suprme est : ce qui, tout en tant un genre, nest pas espce , ou encore : ce au-del de quoi il ne saurait y avoir un autre genre . Mais Porphyre ne veut pas dune con-ception de ltre comme dun genre suprme unique pour toutes les choses et dfend une conception stricte de lhomonymie de ltre : Seulement dans le cas des gnalogies, on slve jusqu quelquun dunique, par exemple Zeus, le plus souvent le principe, tandis quil nen va

    pas de mme dans le cas des genres et des espces : en effet, ltant nest pas 58. Soulignant linterprtation anti-aristotlicienne du genre au sens philoso-

    phique en terme de dpendance gnalogique dans ce passage, R. CHIARADONNA pr-cise fort justement : in Porfirio il genere tende (antiaristotelicamente) a essere un principio generatore delle sue specie (). Proprio questo aspetto cio lidea che il genere sia principio di co che gli subordinato caratterizza lunit neoplato-nica di provenienza che lega i livelli della sostanza alla loro lousia intel-ligibile. Il genere dellIsagoge non soltanto in potenza rispetto alle specie, ma contiene in s ci che gli subordinato, secondo uno schema che pu richiamare quello della precontenenza, ossia il tipo di relazione che lega il genere trascendente neoplatonico a quanto dipende da esso , Sostanza, Movimento, Analogia. Plotino critico di Aristotele. Naples, 2002, pp. 251-252. La question de la prcontenance est trs importante chez Jean Scot. Elle est au croisement de sa conception de la procession ontologique et de sa thorie de la causalit. Interprtant le rapport genre-espces en terme de causalit, il applique au genre un des lments fondamentaux de sa dfinition dune cause vritable, savoir la prcontenance par la cause de ses effets sur un mode minent. La meilleure dfinition de la prcontenance est celle de 547 A : Une cause, si elle est vritablement cause, prcontient en elle-mme sous un mode de perfection absolue tous les effets dont elle est cause, et elle parfait en elle-mme tous ses effets avant quils ne deviennent manifestes dans une concrtisation quelconque (Causa siquidem, si uere causa est, omnia perfectissime quorum causa est in se ipsa preambit, effec-tusque suos, priusquam in aliquo appareant, in se ipsa perficit) . Cf. PLOTIN, En-nades, V. 3 [49], 15 : 29 et la rflexion de Plotin sur la prcontenance comme signe de la dpendance ontologique de leffet par rapport sa cause en V. 5 [32], 9 : 1-10; voir aussi le PSEUDO-DENYS qui dfend une thse similaire dans une formulation proche de celle dErigne : Corpus Dionysiacum, Ed. SUCHLA, I, 133 : 3-4. Pour une analyse de la thorie rignienne de la causalit, cf. Ch. ERISMANN, Causa essentialis. De la cause comme principe dans la mtaphysique de Jean Scot Erigne , in Quaestio. Annuario di storia della metafisica 2 (2002), pp. 187-215.

    59. Comme le prcise bien R. CHIARADONNA : Entro ciascun genere aristotelico, Porfirio ammette per il rapporto genere-specie una relazione conforme alla dipenden-za genealogica che porta dai discendenti al capostipite. Il modello di causalit secondo cui strutturato lalbero di Porfirio quello, antiaristotelico, secondo cui il genere un analogo del principio generatore (e non della materia) rispetto a ci che gli su-bordinato : la relazione , Sostanza, Movimento, Analogia, p. 255.

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    un unique genre commun toutes choses et toutes ne sont pas du mme genre en relation un certain genre suprme, comme le dit Aristote. Posons simplement, comme dans les Catgories, les dix premiers genres comme jouant le rle dautant de principes premiers : supposer mme quon les appelle tous tants, on le fera, dit-il, dune manire homonymique, mais non pas synonymique. En effet, si ltant tait une sorte de genre commun de tous les tres, tous seraient appels tants dune manire synonymique; or entre les dix premiers, la communaut ne stend quau nom, mais non pas la d-finition correspondant au nom (II. 10) 60.

    Porphyre donne ici une formulation radicale de la thorie aristot-licienne de la pluralit des sens de ltre, de lhomonymie de ltre 61. Les catgories ne sont pas les subdivisions dun genre plus gnral, tel que le quelque chose (, quid), genre suprme unique des stociens 62. En dcrtant quil est impossible de rattacher les genres premiers un principe unique, Porphyre dveloppe une position anti-stocienne; mais il nadhre pas explicitement une doctrine platoni-sante qui ferait de la thorie des catgories le couronnement dune conception hirarchique de lunivers o, de ltre aux catgories, des catgories aux genres, des genres aux espces dernires, on descen-drait par une srie de divisions successives de luniversalit de ltre la pluralit des espces dernires 63. Cette doctrine platonicienne res-semble, nous allons le voir, de trs prs la position de Jean Scot, lexception prs que ce dernier intgre les individus cette hirarchie, comme lchelon le plus bas. Comme le remarque R. Chiaradonna, Porphyre, en fidlit laristotlisme mthodologique qui prvaut dans lIsagoge, ne se prononce pas sur la possibilit de considrer l comme une unit hirarchique de provenance. Son rejet vise uniquement la thse dune prdication synonymique de l comme genre; une telle

    60. Porphyre, Isagoge II. 10 (6 : 3-12) :

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    61. Cf. les remarques de P. AUBENQUE dans Le Problme de ltre chez Aristote. Essai sur la problmatique aristotlicienne. Paris, 1962, p. 183, note 1 : lautre extremit de larbre, on ne peut rattacher les genres premiers un principe unique et p. 188 : Porphyre [] refuse de voir dans ltre le genre le plus lev .

    62. Cf. par exemple SNQUE (Lettre 58, 13-15) : Les Stociens veulent placer au-dessus de ce genre [lexistant] un autre genre encore, dune primaut suprieure []. Quelques Stociens considrent quelque chose comme le genre premier, et je vais indiquer la raison pour laquelle ils le font. Dans la nature, disent-ils, certaines choses existent, certaines nexistent pas. Mais la nature englobe mme celles qui nexistent pas des choses qui entrent dans lesprit, comme les Centaures, les Gants, et toute autre chose qui, forme faussement par la pense, se revt de quelque image tout en manquant de substance (trad. BRUNSCHWIG-PELLEGRIN). Larticle fondamental sur la question est celui de J. BRUNSCHWIG, La thorie stocienne du genre suprme et lontologie platonicienne , in J. BARNES, M. MIGNUCCI, (ds), Matter and Metaphysics. Naples, 1988, pp. 21-127.

    63. Cf. A. DE LIBERA, Introduction , p. XIV.

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    rcusation, si elle est aristotlicienne, est aussi un principe noplatoni-cien comme en tmoigne lEnnade VI. 1 [42] de Plotin.

    Au-del de cette rserve, cest bien une thorie du genre propice au noplatonisme ontologique quexpose Porphyre en dcrivant les cat-gories comme des principes et le genre suprme comme un principe gnrateur. Permettant de concevoir le rapport entre le genre et les espces qui lui sont subordonnes sur le modle de la dpendance gnalogique base sur la relation , il introduit la conception du genre suprme comme principe causal unique.

    Erigne accepte et amplifie les conclusions de Porphyre. Deux as-pects sont particulirement dvelopps : une considration gnreu-se du statut des catgories qui sont comprises comme une classifica-tion exhaustive des choses et une acceptation complte du schma du genre suprme comme principe causal unique.

    Pour le matre irlandais, les dix catgories sont une classification exhaustive des choses 64, aucune ralit cre nchappe la catgorisa-tion :

    Car puisque selon Aristote il existe dix genres des choses (decem genera rerum), que lon appelle catgories, c'est--dire prdicaments, et puisque nous constatons quaucun des Grecs ou des Latins ne soppose cette division des choses en genres [] (507 C) 65. Aristote, le plus sagace dentre les Grecs, dit-on, et inventeur de la m-thode consistant diffrencier les ralits naturelles, classa les innombrables varits de toutes les ralits postrieures Dieu et cres par Dieu en dix genres universels, quil appela les dix catgories, c'est--dire les dix prdica-ments, car, selon lui, on ne peut rien dcouvrir dans la multitude des ralits cres et dans les divers mouvements des esprits, que lon ne puisse ranger dans lun de ces genres (463 A) 66. On donne aussi lIsagoge le nom dintroduction car si on nen possde pas la notion, on ne peut pas remonter jusquaux dix genres de ltre (decem genera rerum). Car il existe dix genres de ltre, que les Grecs appellent catgo-ries et que les Latins appellent prdicaments : la substance, la quantit, la qualit, la relation, la situation, la disposition, le lieu, le temps, lagir et le p-tir (Annot. in Marc., op. cit.).

    64. Rappelons que dans le Commentaire aux Catgories par questions et rponses

    (Ed. BUSSE 56 : 34-35) un texte quErigne ne pouvait pas connatre , PORPHYRE affirme que le genre nest ni un concept, ni un mot, mais une chose : Parce que les tres et leurs genres et leurs espces et leurs diffrences sont des choses et non des mots , .

    65. Periphyseon 507 C : Nam cum sint secundum Aristotelem decem genera re-rum, quae kategoriae (id est praedicamenta) dicuntur et huic diuisioni rerum in gene-ra nullum graecorum uel latinorum obstare repperimus [] .

    66. Periphyseon 463 A : Aristoteles, acutissimus apud graecos, ut aiunt, natura-lium rerum discretionis repertor, omnium rerum que post deum sunt et ab eo creata innumerabiles uarietates in decem uniuersalibus generibus conclusit, quae decem kategorias (id est praedicamenta) uocavit. Nihil enim in multitudine creatarum rerum uariisque animorum motibus inueniri potest quod in aliquo praedictorum generum includi non possit.

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    Nous verrons ultrieurement les consquences de cette affirmation selon laquelle les catgories sont les genres des choses 67. En effet, Alain de Libera a mis en lumire un principe qui stipule que de fait, pour qui soutient que lobjet des Catgories est constitu par les choses ( ) ou les tants premiers, la doctrine des prdicables d-bouche automatiquement sur un ralisme 68. Sur ce point Erigne est, en effet, un cas dcole . Ltape suivante de son raisonnement est de montrer le primat ab-solu de lousia sur toutes les autres catgories. Seule lousia existe par elle-mme, les autres catgories sont accidentelles, donc ontologique-ment dficientes : Quoi quil y ait dix catgories, ne donne-t-on pas une seule dentre elles le nom dessence ou de substance, alors que les neuf autres catgories sont des accidents et subsistent dans la subs-tance? Car ces catgories ne peuvent subsister par elles-mmes 69 (467 D). La doctrine catgoriale du matre irlandais se construit sur le modle dune catgorie essentielle (lousia) et de neuf catgories de laccident. Ce modle a pour but dexprimer dans la doctrine catgo-riale le primat ontologique de la substance. Une fois tabli que lousia 70 est la catgorie centrale, Erigne ex-plique quil faut la comprendre comme genus generalissimum unique, comme principe de la ralit. Ce principe, il lappelle aussi essentia uniuersalis, ou generalis essentia (par opposition substantia qui d-signe gnralement ltre de lindividu). Erigne reprend la thse por-phyrienne selon laquelle le genre est principe, mais il opte pour une conception personnelle du genre. Pour lui, le genre est intimement li la catgorie dousia, tel point quil remplace volontiers genus dans la liste des cinq prdicables de Porphyre par essentia, comme en t-moigne le texte de 764 C dj cit. Alors que Porphyre admettait dix principes premiers, pour Erigne, si le genre est bien principe de la ralit, il sagit avant tout du genus generalissimum quest lousia, et dans une moindre mesure ses subdivisions. Nous reviendrons plus tard sur ce rtrcissement qui fait de lexemple de Porphyre le principe unique de Jean Scot.

    67. Sur la question de lobjet des catgories (mots, choses ou concepts), voir

    G. REALE, Filo conduttore grammaticale, filo conduttore logico e filo conduttore ontologico nella deduzione delle categorie aristoteliche e significati polivalenti di esse su fondamenti ontologici , in A. TRENDELENBURG, La dottrina delle categorie in Aristo-tele. Milan, 1994, pp. 17-70, et C. EVANGELIOU, Alternative ancient Interpretations of Aristotles Categories , in AAVV, Language and Reality in Greek Philosophy. Athnes, 1985, pp. 163-172. Pour une perspective contemporaine, voir J. GRACIA, The ontologi-cal status of Categories : are they extra-mental entities, concepts, or words? , Interna-tional Philosophical Quarterly, XXXIX (1999), pp. 249-264.

    68. A. DE LIBERA, Introduction , p. XL. 69. Periphyseon 467 D : Nunquid, cum decem kategoriae sint, una earum essentia

    seu substantia dicitur, nouem uero accidentia sunt et in substantia subsistunt? Per se enim subsistere non possunt .

    70. Sur la thorie rignienne de lousia, voir J. MARENBON, From the circle of Al-cuin to the school of Auxerre. Cambridge, 1981, pp. 78-83; et K. ESWEIN, Die Wesen-heit bei Johannes Scottus Eriugena. Begriff, Bedeutung und Charakter der essentia oder bei demselben , Philosophisches Jahrbuch, 43 (1930), pp. 189-206; et Ch. ERISMANN, Generalis Essentia , pp. 7-31.

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  • PROCESSIO ID EST MULTIPLICATIO 423

    Lousia de Jean Scot correspond au principe dont dcoule la hirarchie des tres. Genre suprme et principe premier, elle est la cause de la ralit. Le rapport entre lousia gnrale et les ousiai parti-culires est pens en terme de causalit manative. Lousia gnrale est la cause 71 des substantiae particulires : Car jestime que nous ne contredirons pas la vrit si nous disons que, de

    cette essence (essentia) qui a t cre une et entire dans toutes les choses et commune toutes choses, et qui, pour cette raison, parce quelle appartient toutes les choses qui participent delle, est dite ntre en propre aucun des individus qui participent delle, il mane par une progression naturelle une substance (substantia) propre qui nappartient personne dautre qu celui dont elle constitue la substance propre (506 BC) 72.

    Erigne stipule encore plus clairement ce rapport de causalit en 606 D : lessence gnralissime qui subsiste perptuellement en elle-mme et qui devient cause de toutes les substances qui procdent dans des effets sensibles (generalissimam et in se ipsa semper manen-tem substantiarum omnium ad uisibiles effectus procedentium essentiam). Dans le mme passage, peu avant, lessence gnrale est prsente en ces termes : unam simplicem et indiuiduam causam solique intellec-tui perfectissimorum sapientum cognitam . Selon Jean Scot, une subs-tance ne peut procder dune autre cause que de lessence gnralis-sime. Lousia gnrale est la cause des existants. Le matre irlandais le pose comme axiome en 605 AB : Omnis substantia a generali essen-tia defluit . Une illustration est fournie grce lexemple du feu, qui en tant quil est une substance, ne peut provenir dune autre cause que de lessence gnrale : ignis itaque, quia substantia est, non ab alia causa descendit nisi a generalissima essentia (605 B, nous soulignons). Pour dcrire lousia, Erigne recourt volontiers limage noplatoni-cienne de la source; la ralit lensemble des genres et des espces est dite maner ex uno fonte OYCIAE (494 B). Cette mtaphore qui mieux quaucune autre correspond lide porphyrienne de principe causal unique est dveloppe en 750 A :

    Car il existe une nature gnrale et commune tous les existants [i.e. lousia], cre par lunique principe de tous les existants, partir de laquelle, comme autant de ruisseaux issus dune source jaillissante, les cratures fluent travers des canaux qui demeurent cachs et jaillissent dans les diff-rentes formes propres aux existants individuels (750 A) 73.

    71. La notion rignienne de cause peut se reconstruire ainsi : une cause est un

    principe intelligible, simple et universel, responsable de ltre de son effet, qui agit par son tre mme et qui, bien que transcendant, est prsent dans chacun de ses effets quil prcontient en lui-mme sous un mode de perfection absolue.

    72. Periphyseon 506 BC : Non enim ueritati obstrepat, ut aestimo, si dicamus ex ipsa essentia, quae una et uniuersalis in omnibus creata est omnibusque communis atque ideo, quia omnium se participantium est, nullius propria dicitur esse singulo-rum se participantium, quandam propriam substantiam, quae nullius alicuius est nisi ipsius solummodo cuius est, naturali progressione manare .

    73. Periphyseon 750 A : Est enim generalissima quaedam atque communis om-nium natura, ab uno omnium principio creata, ex qua ueluti amplissimo fonte per poros occultos corporalis creaturae ueluti quidam riuuli deriuantur, et in diuersas formas singularum rerum eructant .

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  • 424 CHRISTOPHE ERISMANN

    Ladoption de la thorie porphyrienne du genre est dautant plus ai-se quErigne en trouve une double confirmation dans ses lectures latines : la premire dans les Categoriae decem, la paraphrase des Cat-gories quil lisait en lieu et place du trait du Stagirite, la seconde, sous forme dun retour aux sources, dans la Lettre 58 de Snque.

    Dans la Paraphrasis themistiana, lousia est prsente comme un nom immense et dune capacit infinie qui comprend tout ce qui est et en dehors duquel rien ne peut tre trouv ou pens :

    Postremo, licet abunde prospexerat dispersa passim genera speciali nota concilians, tamen ingenti quodam et capaci ad infinitum nomine omne quid-quid est comprehendens dixit , extra quam nec inveniri aliquid nec cogitari potest. (Categoriae decem 5 p. 134 : 16-19) Et surtout lousia na pas de genre parce quelle fait exister toutes choses ([] ipsa autem usia genus non habet cum omnia ipsa sustineat []; 57, p. 145 : 28). Elle est la structure ontologique de la ralit. Snque 74 transmet, dans la Lettre 58 75, les principales thses de la

    tradition scolaire mdioplatonicienne qui seront, pour la plupart, codi-fies par Porphyre dans lIsagoge. Snque dveloppe une lecture pla-tonisante des Catgories dAristote, notamment de lousia et propose surtout une comprhension de la philosophie de Platon comme onto-logie. Il prsente un arbre au sommet duquel se trouve un genre su-prme unique, le quod est, principe des choses, initium rerum, dont dpendent toutes les espces et do procde toute division. Laspect ontologique domine cette structure rgie par une causalit verticale; les subdivisions de ltre conu comme genre le plus lev et principe des choses sont des tres. En haut de larbre, le , genre premier et le plus gnral (genus primum et antiquissimum et, ut dicam, generale, 12) se substitue la substance. Le quod est est compris comme le genre suprme dune scala entis mais aussi comme le principe des ra-lits sensibles. Ltre est dit initium (principe) des choses. Principe purement intelligible, il ne peut tre saisi par les sens. Rappelons que Porphyre, lui aussi influenc par le mdioplatonisme, adopte une thse similaire : le genre le plus gnral est dit principe premier (, II. 7). Pour Snque, le quod est comprend toutes les choses (omnia sub illo sunt). Lousia est dfinie par Snque (58. 6) comme natura conti-nens fundamentum omnium.

    74. Pour une description gnrale de la prsence de Snque durant le Moyen ge,

    voir M. L. COLISH, The Stoic Tradition from Antiquity to the Early Middle Ages. Volume 2, Stoicism in Christian Latin Thought through the Sixth Century. Leiden, 1985 et L. D. REYNOLDS, The Medieval tradition of Senecas Letters. Oxford, 1965. Cf. aussi J. J. HALL, Seneca as a source for earlier thought , The Classical Quarterly, XXVII (1977), pp. 409-436.

    75. Sur la Lettre 58 de SNQUE, voir lanalyse remarquable de J. MANSFELD, dans ID., Heresiography in Context. Hippolytus Elenchos as a Source for Greek Philosophy. Leiden-New York-Cologne, 1992, pp. 94-109. Cf. aussi M. ISNARDI PARENTE, Seneca, Epistulae Morales ad Lucilium, 58 : Linterpretazione di Platone , Istituto Lombardo (Rend. Lett.), 129 (1995), pp. 161-177; P. L. DONINI, LEclettismo impossibile : Seneca e il platonismo medio , in P. L. DONINI, G. F. GIANOTTI, Modelli filosofici e letterari : Lucrezio, Orazio, Seneca. Bologne, 1979, pp. 151-298; et P. HADOT, Porphyre et Victori-nus, pp. 156-162.

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