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Sep 10, 2018

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DENYS LE CHARTREUX1402:14'31

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SS. D. N. Urbani Papai VIII decreto, observantiaet reverentia qua par est insistendo, profitemur noshaud alio sensu, quidquid in hoc libro allegamus, ac-cipere aut accipi ab ullo vefle, quam quo ea soient,quœ huinana durntaxat auctoritate nituntur.

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DENYS LE CHARTREUX

SA VIE, SON ROL.E, UNE NOUVELLE ÉDITION

DE SES OUVRAGES

NAISSANCE DE DENYS. SES ÉTUDES.

Dans la province actuelle du Limbourg belge, autrefoisComté de Hesbaye, se trouve un petit village appeléRyckel 2, dont le nom a passé dans l'histoire, uni à celuid'un de ses fils les plus méritants, Denys le Chartreux ouDenys de Ryckel.

A l'époque où nous reporte notre récit, tout ce pays res-semblait à une Thébaïde en miniature. Au centre se grou-paient les abbayes de Miien, Orienten, Saint-Trond et Ter-beeck, tandis qu'au nord veillaient comme des sentinellesavancées, Bilsen, Herkenrode et Zehlem, et qu'au sud sedéployaient, comme un rideau protecteur, Neumoutiers, le

1 Le premier et principal biographe de Denys le Chartreux est DomThierry Loer, Chartreux de Cologne. Sa Vila beatw ,hemoriœ DionysilCartusiani a été reproduite dans les Acta Sanct., au tome Il de Mars,pag. 242 et suiv. C'est à cette reproduction que nous renvoyons le lec-teur, quand nous citons Laer. Les autres Vies dont nous avons faitusage sont en italien, Campanini, Ii Dollar es(atico, Venezia, i736, etDinhani, Vila del B. Dionisto, Siena, 1782; en espagnol, Cassani, S. J.,Admirable rida del P. D. Dion ysio, Madrid, 1738; en français, Welters,Denys le Chartreux, Rurernonde, 1882 c'est le plus récent et le plusdocumenté des écrits consacrés à Denys. il existait en 1782, à la Char-treuse de Rureinonde, aile Vie en flamand ) fiel leven pan den herwaderDionysii Ilyckel; mais nous ne savons ce qu'elle est devenue,

2 Ryckel est un village de seize feux, à égale distance (6 kil.) deSaint-Trond et de Looz, au milieu de vastes vergers. Le vieux châteauseigneurial continue à dominer le hameau, mais la demeure plus hum-ble des parents de Denys a disparu sans laisser de souvenirs.

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Val Notre-Dame, la Paix-Dieu, Flône et Vau Saint-Lambert.La gloire des gloires, celle de produire des Saints, n'avaitpoint été refusée à ces florissantes colonies monastiques.Saint-Trond était plein encore des souvenirs de son héroïqueVierge, Christine l'Admirable, dont on était séparé par troisgénérations à peine 1; plus loin, Spaelbeeck et Flerkenrodes'enorgueillissaient de leur stigmatisée, Élisabeth de Spael-beeck, célèbre par son abstinence et ses sept ravissementsquotidiens'. Il y a dans les lieux de pèlerinage comme unevertu secrète qui se répand en bénédictions sur tout ce qui lesentoure placé par sa naissance sous deux influences émi-nemment salutaires, Denys le Chartreux devra à Christinel'Admirable, son ardent amour pour les âmes du purgatoire,à la Bienheureuse Élisabeth, sa dévotion à la Passion, àtoutes deux, l'héroïsme de sa pénitence et les merveilles ex-tatiques de sa piété'.

C'est donc au sein de ces populations croyantes que vitle jour, sous le pontificat de Boniface IX, et le règne deRobert le Court, Empereur d'Allemagne, le petit enfant

I « In loco quo fuit sepulta Christina Mirabilis fui frequenter, dit leChartreux; et dom in pueritia, in oppido S. Trudonis frequentavi, scho-lares ex relata suoru,n parentum sepe loquebantur de ea. » De partie.judic, in obitu singulor., art. xxxiii. Etailleurs: « Atque, ut dicebatur,aliqui tunc viseront in S. Trudone, qui noverunt nonnullos qui ipsamfeminam gloriosam videront in carne. De IV Noj'issim., art. L. Letombeau de la Sainte était à Milen, à une demi-lieue au nord de Saint-Trond. Sur Ste Christine voir Acta Sanct.. XXIV mlii, pag. 637.

2 « Devotissirna virgo Elisabeth de Spaetbeeck, compatriota mea, quiaSpaelbeeck villa est non longe s villa ortus moi Ryckel, quotidie septiesrapiebatur ad Deum. » De contemplai.. lib. III, art. xix. Sur cette Saintevoir Acta Sanct., XIX Octob., pag. 384 C, et Goerres, Mystique, liv. IV,chap. xv.

3 A cela ne devaient pas se borner les rapports de Denys avec lesSaints. Le VI- de ses sermons De p enerabili Sacramento est adressé àtrois religieuses avec qui il avait formé union de prières. La première,extatique: «Hoc tibi Mechtildi, qute in Noviomagio jaces... die ac noctein lectulo, et assiduis raptibus obdormis ac reficeris in Dilecto. » La se-conde, stigmatisée : « Tibi quoque Christine, quia et instar Christi, no-per quinque vu[nera in corpore tue bajulasti, quorum stigmata nuncusque cernontur in te. » La troisième, favorisée du don de vivre sansmanger : « Tibi etiam Catharinm, quœ nulle corporeo alimentS... trien-nio et amplius usa es, nisi modico poculo liquoris qui remanet, caseofacto ex lacte. » Oper. ,ninor., t. I, f 240, V.. Le monastère de Neuma-gen, près flerncastèl, est bien connu dans les annales de la Mystique.Voir Guerres, liv. VIII, chap. xxxii.

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qui devait illustrer le nom de Denys le Chartreux. On étaiten 1402 l Ses parents, de condition honorable, s'appelaientVan Lecuven, ou De Leeuvis 2 , et la piété était en honneurau foyer domestique. Plus tard, dans une de ses nombreusesvisions, le Chartreux reconnut son père dans les flammes dupurgatoire, et fut assez heureux pour obtenir sa délivrance.Quatre enfants, Jean et Denys, et deux filles dont le nomest resté inconnu, composaient la petite famille, qui se per-pétua longtemps encore par les sept neveux et nièces denotre Bienheureux3.

Issu de forte race, Denys, à qui nous consacrons ces pages,apportait en ce monde, pour le combat de la vie, une cons-titution athlétique, une volonté de fer, et une ardeur toutemilitaire qu'il devait mettre un jour au service de l'Église

I Denys dit à la fin de son traité De ineditaUone (Opuscuta aliquolad theorja,,, etc Colon., 1534, f' 386) « lstud opusculum anno vit&nete 67 finio, anno Dni 1469 ».

2 Le nom patronymique de notre auteur se trouve écrit de bien desmanières Levis, Leeuvis, Leeuven, Lieuve, etc. il parait avoir été VanLeeuven (Von Loewen, des lions); en latin de l'époque, De Leeuvis, parle même procédé qui a fait Kenlpis, de Kempen. Un document con-temporain, le registre de la Confrérie de Ste Anne de Ryckel, donneune liste, par rang de dignité sans doute, des affiliés. On trouve en têteles Van Rycicel, seigneurs (Jonchere) du pays, puis les Van de Creft,les Van Kerkoom et les Van Lieuwe, etc. Deux localités aux environsde Ryckel portent encore aujourd'hui les noms de Kerckom et de Leeuw(Léau). D'après l'usage qui autorisait les seigneurs d'autrefois â prendrele nom de leurs domaines, ne faudrait-il pas voir dans ces Van Kerkoomet ces Van Lieuwe, des parents plus ou moins éloignés des petits soi-gneurs de Kerckom et de Léau ? -

3 Le frére et les deux soeurs de Denys se marièrent, et ces dernièresétaient déjà veuves Lorsqu'il écrivait son traité De laudabili p ila vidua-rusa (y . in fine Pnetationis). Parmi ses neveux, Henri l'aîné entra dansl'Ordre des Croisiers; Denys, le troisième et en même temps son filleul,devint curé de R yckel, où il mourut saintement en 1535. Dans un ma-nuscrit de la bibliothèque de Cambridge, l-1h, I, i, intitulé Rycke! Mis-sa!, on voit les membres de la famille former entre eux une associationpour faire célébrer chaque mardi une messe de Ste Anne, suivie dequelques exercices de piété. Cinq ans après, en iSoS, on y ajoute unservice pour les membres défupts de la confrérie. - Le registre des Anni-versaires de R yckel, conservé à la cure, en fait mention « 14' Decem-bris, Commemoratio Joannis de Lieuwis et Dynte stue usons, et DniDionysii fratris sui Cartusiensis, et Oni 1-lenrici Cruciferi et Joannis etDni Dionysii investiti Ecclesize de Ryckel, filiorum, et Catharina, Mar-garit, D ynœ, Mari, filiaruin... Et mernordntur devote cum vigilia etmissa cantanda, quia a progenie de Lieuwis multuin provisum estanniversariis. » (Communication de M. l'abbé A. M. P. lngold.) Cf. Dans,Analectes, t. VII, pag. ''S, et Welters, op.,cil., pag. 25 -

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sa

et des âmes. En attendant, il l'exerçait dans une sphère plusmodeste; car, soit simplicité des moeurs antiques, soit parceque les ressources de la famille n'étaient pas à la hauteur lieson rang, il débuta, comme d'autres grands hommes, parl'emploi de gardeur de moutons. C'est lui-même qui nousl'apprend avec une admirable simplicité, dans un passageoù il se compare à Rachel : « Ego quoque in pueritia mea,antequam coepi frequentare scholas, custodivi et pavi ovesparentum meorum. » Et il ajoute humblement ce trait assezpiquant : « Et eram puer valde malus, pugnans frequenterin agro contra alios pueros ovium pastores 1. »

Toutefois, par un contraste qui n'est pas rare, à ces dispo-sitions turbulentes il associait un vif attrait pour des oc-cupations plus intellectuelles, sauf à porter là encore toutel'impétuosité de son caractère. Les moyens d'instructionne manquaient pas autour de lui. C'était l'époque où, à lasuite de la grande rénovation monastique du ne siècle, lespetites écoles s'épanouissaient à l'envi sur le sol de la Chré-tienté. Bénédictins, Cisterciens, Chanoines réguliers, s'é-taient faits instituteurs , et il était bien peu de monastèresqui n'eussent une école publique ouverte à tous ceux qui s'yprésentaient. « Il y avait des enfants auxquels on montraitles premiers éléments des lettres et des arts libéraux; il yavait aussi des jeunes gens plus avancés en âge, auxquels ondonnait des leçons de toutes les sciences alors en usage 1. »Telle était la petite école Bénédictine de Saint-Trond oùDenys de Leeuven allait faire ses premiers pas dans lalongue carrière de la science'.

J Comment, in Genesim, art. LXXIV.Il n'est pas jusqu'aux Chartreux qui n'aient cédé quelque peu à

'entraînement commun. La Chartreuse de Tuckelhausen(prês de Wurtz-bourg en Franconie) a eu pendant longtemps un vrai séminaire approuvépar les Chapitres Généraux. A une autre époque, nous voyons égalementdes jeunes gens élevés à la Chartreuse de Molsheim. Cf. A. M. P. lngold.Les Chartreux en Alsace. Paris, 1894, pag. 13.

3 Hist. littér. de la France, t. VII, pag. g.4 L'abbé de Saint-Trond était un compatriote du jeune étudiant, Dans

son inscription funéraire il est appelé « Robertus, germen • de Ryckelingenuurn» (c. a. d. probablement, un Van Ryckel). Il s'était fait repré-senter par son Procureur au Concile de Pise (1409), et mourut en 1420.Avant lui Ryckel avait fourni au même monastère un autre abbé, Guil-laume, chapelain de l'Empereur (1248-1272), à qui ton doit plusieurs

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La base de toute instruction au Moyen-Age était l'ensei-gnement des sept arts, donné avec plus ou moins de déve-loppements scion les ressources de l'école, et partagé endeux séries ou deux étages, le trivium et le quadriium, qui.n'ont qu'une analogie lointaine avec nos enseignements pri-maire et secondaire. « Le premier cours, qui comprenait lagrammaire, la rhétorique et la dialectique, faisait l'uniqueobjet des gens de lettres qui n'aspiraient qu'à un savoir mé-diocre. Mais ceux qui voulaient s'élever au-dessus du com-mun faisaient encore le second cours, qui embrassait l'arith-métique, la musique, la géométrie et l'astronomie ' u A cefond commun on ajoutait encore assez souvent un artd'a-grément. A Saint-Trond en particulier, on paraît avoir cul-tivé la peinture et la sculpture, et la riche bibliothèque dumonastère 2 s'ouvrait sans doute pour les plus studieux.

Ce que devint le futur Chartreux dans cet asile de scienceet de piété, nous pouvons l'apprendre de lui-mênie. Plustard, récapitulant devant Dieu ces premières années de sajeunesse, il trouvait à le remercier de trois choses. La pre-mière, d'avoir commencé de si bonne heure ses études

Infantulum perte adhuc, nondumque discretionis temporasortitum, litteris me applicuisti et erudisti. u La deuxième,d'avoir reçu une vive intelligence « Puer erarn ingeniosus,capacemque mihi mentem elargitus es. La troisième enfin,d'avoir eu pour la science une ardeur passionnée : « Tantusmihi adhuc in primordiis disciplina inerat litterarum amor,ut, nocturnis temporibus, dum luna se splendor diffundensper fenestra rimas emicaret, diurnum putans radiare jubar,

réformes dans l'Ordre monastique. Gal!. Christ,, t. lIT, pag. q62-963. -Dans l'Ordre cartusien, nous trouvons, outre Denys, un Jean de Ryckel,d'époque assez incertaine, mais à coup sûr antérieure â ,5o3. II a laissé:

Un traité De musica plana, dont le ms. autographe se trouve à labibliothèque de Gand (iv 421) et qui n été reproduit par M. de Cous-semaker (Scriptoruin de rn,csica enedit oevi nova sertes, Paris,, 1867,t. Il, pag. 434-484. Vois' aussi t. IV. pag. 12, note). r Un traité De arte,nunces, conservé également à Gand, et dont le prologue, si l'on encroit M. Fétis, serait de notre Dent',. M. Walwein de Tervtiet le luiattribue même tout entier. 3 Un opuscule De canÉ,, ,nensurahili, quisemble perdu. Quels liens pouvaient rattacher ce Jean de Ryckel à Denys,c'est ce que nous ignorons. Il était comme lui profès de Ruremonde.

Hist. litkr. de la France, t. IX, pag. 143; t. XXIV, pag. 382.-2 Jbid, t. VII, pag. 29.

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niox iiitempestie noctis silentio surgens, nisi fores cIausafuissent, ad scholas properassem '. ' Les progrès littérairesfurent donc rapides; mais ce qui le fut moins, ce sont lesprogrès dans la piété. Denys le reconnaît avec sa sincéritéordinaire. Il se laissa trop entraîner par la curiosité de lascience et par la joie de ses précoces succès; et plus tard iln'aura pas assez de larmes pour déplorer ces années où, dit-il, il vivait loin de Dieu, esclave de la vanité et de I'orgueilt.• Il ne paraît pas du reste qu'il soit resté longtemps à Saint-

Trond : « Sed, o misericors Creator, » continue-t-il dans ceprécieux chapitre où il nous raconte sa vie, e cito misertuses mci, atque ad distantiores me regiones, studendi, rationede'duxisti, in quibus nedum philosophia3 exordia, sed et re-ligiosœ quoque vitae initia, te efficiente, adeptus sum. »

Il avait alors treize ans, si nous en croyons une petite his-toire racontée à l'article xvi de son traité De doctrina scho-/ariuna. e J'ai connu, dit-il, un écolier qui, pour son âge detreize ans, était assez instruit. Il avait eu jusqu'alors unmaître excellent, savant grammairien'; mais il advint quece maître eut pour successeur dans son école .unjeune maîtreès arts tout frais émoulu. Un jour que ce nouveau venudevait expliquer à son auditoire ce vers latin z Non spuit dieprocul qui barbam conspuit zpse, par ignorance ou distrac-tion il lu?: Non .spernit illeprocul qui Barbaram conspernitipse. L'élève remarqua la bévue de son maître; par respectpour lui, il garda le silence, mais ne tarda pas à choiir unemeilleure école 4 . » Denys parle souvent de lui-même à la

I De nzunijicentia Dei, art. xxvi. Oper. miner., t. I, f 250. On peutconclure de ces derniers mots que Denys n'était qu'externe, et qu'ildevait se rendre chaque matin de Ryckel à Saint-Trond.

Ibidem. Il ne faut pas oublier que les Saints ont pour apprécier leurségarements une mesure qui n'est pas la nôtre. Nous faisons donc nosréserves sur les expressions très dures dont se sert notre auteur.

S L'enseignement de la grammaire occupait régulièrement, dans lesécoles monastiques, les trois premières années des études. Il embras-sait [es belles-lettres, et par conséquent 'histoire, la poétique, et toutce qui concerne l'une et l'autre. (Hist. litldr., t. IX, pag. 153; t. XXIV.pag. 392.)

t Oper. n,inor., t. I, 1' 524, \'. Ce traité De doctrina scholarium, est,dit MolI. digne de l'attention de tous ceux qu'intéresse l'histoire de lapédagogie. Kcrltgeschiedenis van-Nederland voor de Herporming (1h»-loire de l'Église des Pays-Bas avant la Réforme), Arnhem, 1864-186g,

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troisième personne; et si, comme tout nous porte à le croire,le héros de cette petite aventure n'est autre que lui-même, nous devons en conclure que, malgré ses défauts plusou moins exagérés, il avait conservé un respect de l'autoritéet un amour de la bonne science, rares à son âge.

Quelle était cette nouvelle école où il fut initié à la foisaux principes de la philosophie et de la vie religieuse? Onne peut répondre que par des hypothèses; mais, en écar-tant l'Université de Cologne, proposée par Dinbani 1 , et laChartreuse de Zehiem, défendue par M. Moil 2 1 nous croyonspouvoir accepter l'école de Deventer, où précisément verscette époque, la Providence allait conduire un autre jeûnehomme, qui deviendra un des meilleurs amis de Denys,Nicolas Crebs, le futur Cardinal de Cusa .

Quoi qu'il en soit, au milieu de ces succès et de ces vanitésle temps passait, et avec la 18' année s'imposait au brillanthumaniste l'obligation de songer sérieusement à son avenir.Que se passa-t-il alors dans cette âme? C'est une chose mer-veilleuse, remarque à ce propos un de ses biographes', quel'action de la grâce dans la vocation religieuse, et l'art admi-rable avec lequel elle pousse l'âme qu'elle a saisie, dans lavoie souvent la plus contraire à toutes ses aptitudes et à tousses goûts. A cette vigoureuse nature, avide d'émotions forteset de gloire mondaine,; Dieu allait inspirer le désir du genrede vie le plus paisible et le plus caché peut-être qui existedans l'Église. Dans une illumination intérieure puissante, illui fit sentir et comme toucher du doigt l'inanité profondede cette science humaine à laquelle il avait tout sacrifié. « Omiséricordieux Jésus, s'écriera plus tard le Chartreux recon-naissant, de quelle tendresse vous m'avez poursuivi, et de

part. Il, ii, pag. 243. M. W. Mou, professeur à l'université d'Amster-dam, avait entrepris sur notre Chartreux un travail considérable quela mort ne lui permit pas d'exécuter. Les ouvrages principaux où ilen parle sont, sa grande Histoire déjà citée, et bannes l3rug'nan (enhollandais) 2 vol. Amsterdam, 1854. lI est, avec un autre protestant, leD' Zoeckler, du petit nombre de ceux qui, à notre époque, semblentavoir lu Denys d'un bout à l'autre.

I Dinbani. Vila del B. Dionisio, pag. 24.t Atoll. Kerkgcschiedenis, part. Il, ii, pag. 380.

Voir plus loin. --4 P. Cassani. Admirable vida... pag. 5.

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quelles lointaines régions vous m'avez rappelé à vous! Com-bien de mes condisciples, et plus forts et meilleurs que moi,ont été laissés et sont morts dans leurs iniquités! Et moi,vous m'avez conduit par la main jusqu'à cet asile de paix,où, chaque jour encore, vous fermez les yeux sur meslâchetés'.

Dès lors, brisant avec toutes les habitudes de son passé ettous les rêves de gloire si longtemps caressés, il alla frapperà la porte de la Chartreuse la plus voisine, celle de Zeihem,près Diest, en Brabant. Mais nul n'est prophète dans sonpays. A ses instantes prières on se contenta d'opposer sonâge trop peu avancé 2, et on répondit par un refus. Repous-sé, mais non découragé, l'ardent jeune homme se mit enquête d'une demeure plus hospitalière, résolu à ne se dé-clarer vaincu qu'après avoir épuisé toutes les sollicitations.

La Chartreuse de Ruremonde, qui sera le berceau spiri-tuel de Denys, le principal théâtre de ses vertus, et qui gar-dera sa tombe, était de fondation récente (1376). Elle s'ap-pelait «Bethleeni Marie, n en souvenir et en honneur de lasainte Etable, que son pieux fondateur, le chevalier Wernerde Swalmen, venait de visiter, le bourdon de pèlerin à lamain 1. Si elle était petite, si on y vivait pauvrement, enrevanche, elle avait eu l'heureuse fortune d'être gouvernée,presque à ses débuts, par un homme supérieur, qui l'animade son esprit. Nous voulons parler de Henri de Kalkar, legrand écrivain auquel plusieurs critiques n'ont pas craintd'attribuer l'imitation de J-C.; et cela, non sans apparencede raison, dit Mol], tant sa manière ressemble à celle ducélèbre livre . Si tous ses successeurs ne l'égalèrent pas,

I De n,unificentza Dei, art. xxvi. Oper, niinOr. t. 1, f' 250, -

2 Les Constitutions exigeaient alors 20 ans -pour la réception dansl'Ordre.

3 Welters. Denys le Chartreux. pag. 20.4 MoB. Kerkgeschiedenis, part. li, n, pag. 38. fleuri Egher, né a

Kalkar, province de Trêves, docteur et professeur de l'Université de Pa-ris, chanoine de Cologne, entra dans l'Ordre cartusien à l'âge de 37 ans,et présida successivement au gouvernement des maisons d'Arnhern, Ru-remonde, Cologne et Strasbourg. R fut quelque temps le maître et ledirecteur de Gérard Groote, le fondateur des Frères de la vie commune.Durant le grand schisme, il gouverna les provinces de Picardie et d'Al-lemagne, et en resta 20 ans Visiteur, avec pleins pouvoirs du Pape d'ab-

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tous du moins eurent à coeur de suivre ses traces et de main-tenir ses traditions.

Celui qui, selon toute probabilité, en cette année 14201,remplissait les fonctions de Prieur, n'était pas indigne delui être comparé. Il se nommait D. Albert Buez ou Buer.Les Ephémérides de l'Ordre lui rendent un éclatant témoi-gnage « Spectatissimus vir, magister in artibus et medicusdoctor.., in temporalibus simul et spiritualibus multumexpertus, pacificus ac insigni pieute repletus... De Ordineoptime rneritus, ad coelos evolavit VI Julii 14392. u Prieurde la Chartreuse de Bâle à l'époque du Concile (1432-1439).il eut une grande influence sur les Pères rassemblés, et sembleavoir joué alors un rôle important. Tel était l'homme qui al-lait décider de l'avenir de Denys de Leeuven. Plus habile queson confrère de Zehlem, il sut faire comprendre et admirerau fervent postulant la sagesse des Constitutions monastiquesqui exigent des aspirants à la vie religieuse la maturité cor-porelle et spirituelle; il lui démontra de quelle utilité seraitpour lui, dans la vie solitaire à laquelle il était appelé, uneformation théologique sérieuse, et à la satisfaction com-mune, on se sépara pour deux ans.

L'Université de Cologne vers laquelle, sur les conseilsdu Prieur, Denys dirigea ses pas, avait été fondée peu au-paravant, en 1388, par treize docteurs de Paris, qui luiavaient apporté les traditions de la grande Université, alorsmère et maîtresse de tout le savoir d'Occident. Des maitres

soudre de tous les cas réservés au Siège Apostolique. 'Il mourut à Co-logne,le 20décembre 14o8,dans la 8o année de son âge,regrettéde touspour sa douceur, et vénéré comme un Saint : « M Sancti osque cono-men, quum adhuc viveret, ore omnium celebratus et habitus u. Hartz-heini, S. J. iiiblioth, Colon. Colon. 174z' pag. I 17. Sur ses Révélations,voir D. Le Vasseur, iiphernerid. O. Carlus., XX Dece,nb. ; sur ses écrits,Petreius, Biblioih. Canut.. pag. I 3; Swert, Athen. Relg. Antverp. 1628,pag. 33c.

I Nous disons «selon toute probabilité», parce qu'il a quelque incer-titude sur [.a des Prieurs de Rureinonde à cette époque; 'naisles circonstances bien connues de ].a de D. Albert, ne permettentde fixer son priorat à Ruremonde qu'entre les années 1415-1421 Orc'est précisément dans cet intervalle que se présenta Denys de Leeuven.(On le trouve Prieur dUtrecht, 1410 et suiv. ; de Ruremonde; 14.-1421;d'Utrecht iierum, 1421-1426; de Monichusern, 1427-1428; de Bâle, 1432-1439.)

2 D. Le Vasseur. Epheincnid. O, Cartus., VI Joui.

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éminents, comme Jean Brammart et Simon de Spire', tousdeux de l'Ordre du Carmel; avaient jeté sur ses débuts un.vif éclat dont le souvenir n'était pas effacé. Si Denys ar-rivait trop tard • pour profiter de leur enseignement, il putrecevoir les leçons du Dominicain Jacques de Sweyve, éludoyen de la docte Faculté le g Octobre 1417, et dans lasuite, inquisiteur des diocèses de Cologne, Brème et Pader-born; de Gérard Terstegen, professeur de philosophie; deRutgerus Overbach, professeur d'exégèse, qui, prenant pourtexte de ses leçons le Psautier, commença l'explication dupremier psaume le iG Novembre 1418, et termina celle ducinquantième le 25 Juin 1421 '. Mentionnons encore par-miles maîtres de notre Chartreux, Théodoric de Munster,alors Chancelier de l'Université, auquel l'ancien élève deCologne rendait plus tard ce témoignage « Vir vita, scien-tia atque facundia clarus, sed et prœcipue mitis et pius 1. »

Tels maîtres, tels disciples : Denys méritera surabondam-ment l'éloge que nous venons de reproduire.

L'Université de Cologne, établie sur le modèle de lagrande école parisienne, « qualis Lutetiœ Parisiorum, » de-vait comme sa mère, comprendre les sept arts, la philoso-phie, la théologie, le droit canonique et civil et la méde-cine; et quelles que fussent les études antérieures de Denys,,trois ans lui étaient nécessaires pour avoir le droit de solli-citer le grade envié de Maître ès-arts. Il n'hésita point, à sesoumettre à cette épreuve. Ce que furent pour lui ces troisans de travail acharné, sous une direction aussi intelligenté,on peut facilement l'imaginer, et ses oeuvres subséquentes leredisent éloquemment.A l'en croire, le démon de la scienceet de l'orgueil l'avait ressaisi'; mais de tout le travail accom-

I Sur les origines de l'Université de Cologne et tous les personnagesdont nous allons entretenir e lecteur, voir l'ouvrage de llartzlteirn, S. J.déjà cité, J3ibliorlz. Colon, aux articles qui les concernent.

2 Overbach était un savant qui s'aidait des textes grec et hébraïque.Son Commentaire sur le Psautier, à la fois moral, mystique et littéral,était conservé en trois volumes in-folio manuscrits à la bibliothèque deSte Croix de Cologne. Hartzhein,. Op. cil., pag. 293.11 nous semble qu'unecomparaison entre cet ouvrage et celui que Den ys entreprit dans la suitesur la même matière, pourrait donner lieu à d'intéressantes observations.

De reformai. claustral., art. xv. Oper. ,ninor., t. Il, f 30.4 « Quemadinodum prie ceteris, in scientiis, sic in inflatione et prai-

suinptibne omni profeci vel patios defeci. » De ntunificentia Dei,

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pli alors, il ne nous reste que le titre de sa thèse de Maîtreès arts, De ente et essentia, et ce jugement sommaire par luiporté sur cette production de sa jeunesse « In adolescentia

mea, dum in studio et via Thomte instruerer, potius sensiquod esse et essentia distinguerenttlr realiter, unde et tunede illa materia quemdam tractatulum compilavi t quem uti-nam nunc haberem, quia corrigerem. Etenim, diligentiusconsiderando, verjus et probabilius ratus sum quod non

realiter ab jnvicem differant 1 . »

art. xx". Du reste, pas plus à cette époque qu'aniourd'hui, tes grandesécoles n'étaient des sanctuaires de vertu, et les désordres de la rue duFouarre et du Clos Bruneau se retrouvaient ailleurs qu'à Paris. Aussi,tout en rendant hommage aux services rendus par les Universités,Denys n'hésite pas à en déconseiller le séjour, comme« non mediocrite'rpericulosus pueris castis et devotis. » Il préfère les études particulièresdans les bonnes écoles monastiques. Inter Jesum et pmlerunm dM10 gus,art. IV. Oper. ,m,inor., t. II, fr 355.

I in Sentent., t. I, dist. VIII, qust. VII. Cette question de la distinc-tion entre l'ens et l'essentia parait avoir préoccupé beaucoup les théo-logiens de Cologne, car, parmi les ouvrages de Gérard Tersteqen, ontrouve aussi une Comrnentatio in aureum D. Thonmtv tractatum de enteet essenlia, llartzheim. Op. cil., pag. monDe même que Denysa pu s'ins-pirer de son professeur d'exégèse pour la rédaction de son Commentairesur les Psaumes, il dut probablement â son professeur de philosophiel'idée de sa thèse.

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SA VIE RELIGIEUSE.

C'est en 1423 qu'e, riche de science et de bonne volonté,le jeune Maître ès arts regagna la chère solitude où devaits'écouler la plus grande partie de sa vie'. Il y changea, sinous en croyons un de ses historiens 2, le prénom de Henricontre celui de Denys, et cela « non sans un grand mystère,puisque par l'étude assidue des oeuvres de son saint patron,il fut amené à devenir l'un des astres les plus brillants duciel de la mysticité». Il abandonna également, selon l'usagedu temps, ce nom de Van Lecuven, trop honorable d'ail-leurs pour son humilité, et prit celui de Ryckel, l'infimebourgade où il avait vu le jour.

Trois mots peuvent désormais résumer sa vie oraison,lecture, composition.

1 Denys ne retrouva plus au retour, son conseiller et ami 1). Albert,devenu Prieur d'Utrecht. Presque tous les historiens, nous ne savonspourquoi, placent à cette époque, à la tête de la maison de Rureinonde,D. Barthélemy de Maestricht, écrivain et théologien fort connu alors.Campanini, pag. 8; Dinbani pag. 33; Tromby, Storia del PatriarcaS. .Bruno, Napoli, i g, t. IX, pag. 55 Welters, pag. 21; etc. C'est pour-tant une erreur. D. Barthélemy, docteur et professeur à l'universitéd'Heidelberg, fut élu do yen de la Faculté de théologie en '408, recteurde 1412 * ]413, doyen iterum en 1414, vive-recteur de 1419 à '420.(Tœpke. Matricl der Uniycrsitœt I1cidclberg t. I, pag. 119, 120, 146, 147;t. Il, pag. 369, 371, G'o.) Il ne se fit Chartreux que vers i.wo, fut nomméPrieur de Ruremonde en 1442, près de ao ans après l'entrée de Denys,et mourut en 1446. Sur D. Barthélemy et ses ouvrages, voir Morozzi,'Jheatrum c/ironolog. O. Cartes,. pag. 82; Possevin, Apparat. Sacr.;Fleury, Jlist. Ecclés., t. XXII, liv. CIX, n' 137.

2 Campanini. Il dauor estatico) pag. 8. A deux reprises, pages 2 et 8,cet auteur allirme que Denys reçut au baptême le nom de Henri. Tou-tefois, dans la Matrjftel der Unipersijoet Koelu, ISSg bis 1559, publiéepar le D' Keussen, t. I, pag. 183, on trouve cette mention « Dyon. deRykele Leod. d(iœcesis) » au n' 6 des lntitulati sous le rectorat de Fre-dericus de Dudelendorff. Il se serait donc appelé Denys, même avantson entrée dans l'Ordre. Les deux noms étaient également en honneurdans sa famille, car les documents contemporains que nous avons puconsulter ne nous offrent, comme prénoms masculins des Van Leeuven,que Jan, Nys (Denys), et Herrick,

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Mais avant d'entrer dans quelques détails à ce sujet, nousdemandons au lecteur la permission de lui soumettre unproblème dont nous n'avons pu trouver encore la solution.Un Chartreux vivant conformément à sa règle, consacreenviron huit heures pat jour aux exercices dé piété Offices,messes, méditations, etc. Loin de retrancher jamais une mi-nute de ce temps si précieux, Denys y ajouta beaucoup, eton peut évaluer à onze ou douze heures le temps par luijournellement consacré à Dieu. Il lut en cellule, comme onle verra ci-après, un nombre d'ouvrages assez considéablepour suffire à l'ambition (d'un lecteur, même moins occupé.11 fut pendant un certain temps, chargé de l'absorbante obé-dience de Procureur, d'une mission en Allemagne, du gou-vernement d'une Maison en formation. Il dut pendant delongues annéés, fournir à une correspondance active. Voilà,semble-t-il, de quoi occuper une vie ordinaire. Or, c'est aumilieu de tout cela qu'il trouva le temps et le moyen d'écrirede sa main la valeur de 25 volumes in-folio, sur des matièresdélicates et difficiles où l'improvisation n'est pas de mise. Ilest,vrai que le temps des repas pour lui se réduisait à peu dechose, et le temps du sommeil à trois heures par nuit I; maismême ramenée à ces termes, la question reste encore pournous tout aussi insoluble que pour son premier biographe,Loer, lorsqu'il s'écriait: « Neminem audivi qui viri hujuslaborem sine stupore vident, qui non senserit mecum, abs-que ingenti miraculo fleni non potuisse, ut nous vir lotscripserit libres 1.

On peut dire, sans, exagération, que l'oraison fut lagrande occupation deDenys. Sa prière vocale était à peuprès continuelle, mais à toutes les formules il préférait lePsautier, Sa prière favorite. Il le savait.par coeur et le réci-tait chaque jour, du moins en grande partie; et dans un deses ouvrages, s'adressant aux religieux de son Ordre, il leurdéclare qu'un bon religieux ne saurait se dispenser de dire.

«J'avoue, répondait-il à cieux qui lui reprochaient ses austérités, queje ne conseillerais personne d'en faire autant, et que j'aurais scrupulede le permettre à d'autres; mais j'ai une téte de fer et un estomac debronze..» Cassani, pag. i6.

2 Loer, cap. 1 , 4.

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au moins la moitié d'un Psautier chaque jour, et qu'avec unpeu d'habitude et d'attention, on peut arriver facilement àen réciter journellement un et même deux, sans rien omettrede ses autres devoirs'.

C'est par ces longues prières vocales que Denys se dispo-sait à la contemplation. Il y consacrait habituellement letemps que ses confrères accordaient au sommeil après Mati-nes, de trois à six heures du matin '.Son oraison parait avoirété très simple, et le sujet le plus ordinaire était, ou la mé-ditation de la Passion, ou la contemplation de la SainteTrinité, les deux grandes dévotions de sa vie. Des faveurssurnaturelles ne tardèrent pas à récompenser.sa piété. Dès lenoviciat il lui arrivait de paser jusqu'à deux ou trois heuresde suite hors de lui-même, privé de ses sens extérieurs etenivré de toutes les joies du ciel . Cette disposition à l'extasene fit que s'accroître avec le temps et ses progrès dans lavertu. Ses ravissements duraient alors sept heures et plus';et vers la fin de sa vie il ne pouvait entendre chanter leVeni, Sancte Spiritus, ou. certains versets des psaumes, niconverser sur certains sujets de piété, sans être aussitôt ràvien Dieu et soulevé de terre 54

De ces merveilles et de beaucoup d'autres racontées parses biographes, nous ne voulons retenir qu'une particularité.qu'on n'a pas assez remarquée 6 , c'est la connexion qui existeentre ses visions et ses écrits. En effet les révélations, selon

propre doctrine de Denys, sont de deux sortes et se fontpour deux fins. Les unes, purement privées, sont donnéespour la consolation et l'encouragement de l'âme qui lesreçoit et celles-là, il est bon de les tenir secrètes. Les autresregardent le bien public ou l'utilité d'autrui l'âme qui en

t De lande et prwconio soU!, p ila.,, art, xxi,. Oper. n,inor., t. •Hf 437, -w.

2 Campanini. li dottor eslatico, pag. 6'.3 Ibid., pag. 64.4 « Sapius ecstaticus plus septeni pernianet borax.- Loer, Carmina, en

tête du traité De contemplai. Opnscula aliquol ad theoria,,, etc. Colon.,1534.

5 Dinbani, Vila de! B. Dionisio, pag. 14' Cassani, pag. 27.Cette notice étant avant tout une étude littéraire, ne renrernie de la

vie de Denys que ce qui peut servir à l'intelligence de ses oeuvres. Pourle surplus nous renvoyons aux biographes.

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est favorisée n'est que l'instrument par lequel se commu-nique la volonté divine, et ce serait frustrer les intentions dela Providence que de ne pas les faire parvenir à leur adresse.Ces dernières sont des grâces gratuites que Dieu accorde àqui il lui plaît, sans aucun égard pour les mérites, commeon le voit par l'exemple de Balaan,, magicien et pécheur,qui n'en fut pas moins choisi pour bénir le peuple élu etprophétiser ses destinées'.

Or, des nombreuses révélations faites à Denys, il est in-contestable qu'un bon nombre étaient d'intérêt général.Dieu semble prendre plaisir à lui confier ses douleurs et sescolères; il l'initie à ses projets; il lui dévoile la corruptiondu peuple chrétien dans ses divers états, et les châtimentsqui en seront la suite; il lui montre dans le lointain lachute de Constantinople, les succès des Turcs, la désolationdu duché de Gueldre, etc. Il lui manifeste dans la damna-tion de Jean de Heinsberg, 52° évêque de Liège, le sortréservé aux prélats mondains, et dans le long purgatoirede Jean de Louvain, ce qui attend les détenteurs de nom-breux bénéfices. Aussi chacune de ces révélations était-ellepour Denys l'occasion de lettres ou de traités plus ou moinsconsidérables'. Ne semble-t-il pas dès lors que Dieu aitvoulu diriger vers un but particulier l'activité littéraire duVoyant' > Ce but, nous esayerons bientôt de le dégager.

Un document précieux que le savant Chartreux écrivit àla fin de sa vie, sur l'ordre de ses supérieurs, nous donneune idée de ses occupations en dehors de la prière : o Moifrère Denys, dit-il, je remercie Dieu du fond de mon coeurde m'avoir fait entrer si jeune en religion. Je n'avais alors

I Lettre aux exécuteurs testamentaires de Jean de Louvain. Open mi-for., t. Il, f' 36b. Cf. Peur. Dortand., Chron. Cartus., lib. VII, cap. xxu,xxtjl; Cassani, pag. 44.

t A la seule vision où fut révélé à Denvs le sort de Jean de Louvain,nous devons l'Episiola ad exsecutores testant....; l'/ipistola ad i'zagi-strniz que;ndanz et, selon toute vraisemblance, les traités De pluriitrnbenetic. usurpai., et Contra p luratit. benefic.

3 Plus d'une fois, affirme une tradition rapportée par Dinbani, enrevenant à lui au sortir d'une extase, il trouva écrit sur son pupitre ccqu'il se proposait ou- avait commencé d'écrire. Vita del 13. Diontçio,pag. 78.-

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que vingt-un ans, et voici maintenant quarante-six ans queje suis Chartreux, avec l'aide du Seigneur. Et pendant toutce temps, Dieu en soit béni, l'ai toujours été occupé à l'é-tude, et j'ai lu beaucoup d'auteurs. Sur les Sentences saintThomas, Albert le Grand, Alexandre de Halès, saint Bona-venture, Pierre de Tarentaise, Gilles de Rom; Richard deMidletown, Durand (de Saint-Pourçain), et beaucoup d'au-tres encore 1 J'ai lu les oeuvres de saint Jérôme, particulière-ment ses commentaires sur les Prophètes, saint Augustin,saint Ambroise, saint-Grégoire, saint Denys l'Aréopagite,monauteur de prédilection, Origène, saint Grégoire de Na-zianze, saint Cyrille, saint Basile, saint Chrysostome, saintJean Damascène, Boèce, saint Anselme, saint Bernard, leV. Bède, Hugues (de Saint-Victor), Gerson, Guillaume deParis, etc. J'ai lu toutes les Sommes, toutes les Chroniques;j'ai pris dans le droit civil et canonique, ce qui pouvait m'ê-tre de quelque utilité; l'ai lu quantité de commentateurs del'ancien et du nouveau Testament. Enfin j'ai étudié tous lesphilosophes qu'il m'a été possible de me procurer Platon,Proclus, Aristote, Avicenne, Algazel, Anaxagore, Averroès,Alexandre (d'Aphrodise), 4lphorabius (Al-Farabi), Abubather(ibn-Tofaïl), Evempote (Ibn-Badja), Théophraste, Thémi-stius, et d'autres encore 2. Ce genre dé travail auquel l'espritseul prend part, est naturellement accompagné de beaucoupde difficultés, de fatigues et d'ennuis : il m'a été par celamême plus profitable, puisqu'il m'aidait à mortifier les senset à reprimer les instincts mauvais; ces études enfin m'ontfait demeurer plus volontiers en cellule 1 . »

Il apportait à ces travaux une intelligence très vive, quisaisissait le sens à la première lecture 4 , une mémoire fidèle,

II a donné une liste un peu plus complète en tète de son Commen-taire sur les Sentences. On y trouve en outre Henri de Gand, Guillaumed'Auxerre, Ulricli, Scot, Hannibal.

Ailleurs il cite encore Alkindi, Albategni, Albuniazar, Alfraani,Avicebron (lbn-Gebirol), Anavalpetras (Ibn-el-Bitrôdji), Apulée, Porphyre,Plotin, Maimonide, Mo y se de Girone, etc.

3 Protestaiio ad Superioreni.4 Cassani. Op. ci!., pag. iog. Les deux auteurs qui lui offrirent le plus

de difficulté sont Ruysbroeck, à cause de la profondeur des idées, etl'Aréoparite, à cause de l'obscurité du st y le. De dis!. perfccl. divin, ethuman., art. x, Oper. rninor., t. I, f' 255.

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qui ne perdait rien de ce qui lui avait été une fois confié',enfin un grand respect : e Quand nous prions, dit-il aprèssaint Jérôme, c'est nous qui parlons à Dieu; quand nousétudions, c'est Dieu qui nous parle. Quel est le serviteurfidèle qui, recevant une lettre de sou prince, la mépriseraitou la lirait avec indifférence? Pourquoi donc sommes-noussi tièdes à feuilleter les auteurs orthodoxes, puisque leurslivres ne sont autre chose que des lettres de Dieu? Hélas!non seulement nous les dédaignons, mais nous nous mo-quons de ceux qui les lisent, et nous leur répétons le sotproverbe, que le verbe studeo a pour supin stultum2.»

On se demande naturellement, en face de cette liste éten-due, où et comment ce solitaire a pu se procurer tant demanuscrits. Ce n'était pas la pauvre Chartreuse de Rure-monde qui était en état de les lui fournir; elle était de fon-dation trop récente pour que le travail de ses copistes eût puenrichir beaucoup les rayons de sa bibliothèque'. Il les em-pruntait donc de toutes parts à ses amis et correspondants,avec grande peine, dit son biographe'; aussi aimait-il àrépéter que la plus grande partie de ses ouvrages étaientdes fruits de la sainte mendicité.

I « Fuit illi ingeniurn perspicax, memoria ad stuporem tenacissima. »Swert. Alhcnoe )3e/gicœ. Antverp., 1627, pag. 215.

De p ifa ci fine solitar., lib. I, art. xxii. Oper. ,ninor.. t. Il, t' 455.3 La liste des manuscrits de Rurenionde, dressée en 1.785 et conservée

aux archives de Bruxelles, ne renferme que bien peu des noms cités parDen ys Quelques Pères, saint Ambroise, saint Jérôme, le V. Hède...et parmi les théologiens saint Anselme, saint Thomas, Albert le Grand,Gerson, Ulrich, Pierre Alphonse...

4 In monasterio tunc suo non habuit quibus indigebat, quibus et ususest libris. Inde illi occupatio immodica parabatur pro codicibus aliundeconquirendis. Vite, cap. ,, 4 . Le Cardinal de Cusa, un des amis parti-culiers du Chartreux, avait profité de son séjour à Constantinople (1437)pour réunir une magnifique collection d'auteurs grecs et arabes et il necessa de l'augmenter durant toute sa vie. Cette bibliothèque, léguée parle Cardinal à son hôpital de Cues, et en partie conservée, ne renfermepas moins de 3o7 manuscrits sur l'Écriture Sainte, la théologie, le droit,la philosophie et les sciences. On y relève la plupartdes noms fami-liers à Denys, Hippocrate, Ptolémée, Porphyre, etc.; Avicenne, AlgazelAlkindi, Alkabicius, Albumazar, Abenragliel, Messahalach, Zeliel, etc.(Serapeum, n' 23, Leipzig, 1864, art, du D' F. Xav. Kraus.) Jusqu'à quelpoint Den y s put-il profiter de ces richesses, c'est ce que nous lie sau-rions déterminer, la correspondance entre les deux amis, qui eût punous éclairer à ce sujet, étant perdue. (Voir cependant plus bas ce quenous disons de leurs relations.)

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Du reste, on ne se fait pas toujours à notre époque, uneidée suffisante des ressources offertes aux travailleurs avantl'invention de l'imprimerie. La rareté relative des auteursavait développé dans les classes cultivées une immense cu-riosité littéraire. Aussi les missionnaires, FF. Prêcheurs etMineurs, répandus dans tout le monde, et les Juifs, ces inévi-tables trafiquants en relation d'affaires avec les Chrétiéns etles Musu1mans étaient également à l'affût des productionslittéraires, et ne laissaient passer inaperçu aucun livre nou-veau. Dès qu'un ouvrage de quelque valeur paraissait, nonseulement dans la Chrétienté, mais à Cordoue, à Grenade, àBagdad, etc., il était signalé, traduit sil y avait lieu, puis ilpassait de monastère en monastère, d'école en école, partoutcopié et recopié, de sorte qu'en très peu de temps, parfoisl'année même de son apparition, le traité d'un philosopheoriental pouvait se trouver sur la table de Denys à Rure-monde.

Ce système toutefois avait deux inconviients. Le pre-mier, c'était de ne livrer aux lecteurs qu'u4 texte peu sûr.On comprend en effet que de ces transcriptins réitérées, oùchaque copiste ajoutait ses distractions erses bévues à cellesde ses , prédécesseurs, devait sortir à la longue une rédactionsingulièrement mêlée, et l'on ne s'en aperçoit que trop quandon veut vérifier les citations des docteurs du Moyen-Age 1 . Lesecond inconvénient, c'est que des spéculateurs peu honnêtesprofitaient de la difficulté du contrôle pour parer d'un nomen vogue des oeuvres quelconques. Denys semble avoir étédoublement victime de cette supercherie. Lorsque son nomdevint une recommandation pour un livre, les libraires luiattribuèrent un grand nombre d'ouvrages qu'il n'avait pasfaits; et pour couper court à cette industrie qui pouvait lecompromettre, il fut à plusieurs reprises obligé de dresserun catalogue en quelque sorte officiel de ses oeuvres authen-tiques 2 . En outre, il semble avoir pris le change lui-même

IL est ici question surtout des manuscrits livrés par le commerceambulant dans les provinces, et exécutés la plupart par des scribes àgages pour des entrepreneurs de publicité. On peut voir dans l'Hist.li(tdr. de la France, t. XXIV, pag. 278 et seq., les précautions usitéesdans les Universités et les monastères.

2 « Quoniain scia quam rnulta mihi adscribuntur opuscula qute nonfeci..., ista scribo ad discernendum opuscula mea'hb allis.» Elcnchus

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sur plusieurs ouvrages qu'il attribue à des auteurs célèbres,et qu'on ne trouve pas dans leurs oeuvres imprimées; àmoins qù'on ne préfère dire qu'ils sont perdus'.

Si l'on nous demandait en quelle langue Denys lisait cesauteurs, nous n'hésiterions pas à répondre que de la plupartil n'a pu lire que des traductions latines. Il ne savait ni l'a-rabe ni l'hébreu, bien qu'il ait pu apprendre quelques motsde cette dernière langue, de son professeur Overbach. Iltranscrit mal les noms arabes, et quand il risque une éty-mologie hébraïque, il a toujours soin de se retrancher der-rière la modeste clause ut fertur. Savait-il le grec? Lestitres de plusieurs de ses ouvrages, ex/icicosis, monopanton,a'ialogion, entc'rzone, s'ils sont bien de lui, et les quelquesétymologies grecques répandues çà et là dans ses commen-taires, prouvent que cette langue ne lui était pas étrangère 2.

Mais quoi qu'il en soit de ses connaissances linguistiques, illui eût été'à peu près impossible de se procurer le texte desgrands auteurs grecs, dont il n'y avait que fort peu d'exem-plaires en Occident. Aristote et les autres philosophes n'é-

imprimé en tête du Comment, in D. Pauli Epistotas. Colon,, '53o; Paris,i53,.— Deux autres de ces catalogues sont venus à notre connaissance:Je i", conservé à la Bodléienne d'Oxford (Rawi. C. 564), contient 118articles; et le z, à la bibliothèque de Trêves (c. 63,), en renferme 141.

I Tel est bien le cas du Commentaire d'Albert le Grand sur Job, dontDenvs le Chartreux a conservé des fragments assez étendus. Parmi lesfausses attributions, nous trouvons un traité sur la Virginité attribué àsaint Augustin, et différent de celui qui existe aujourd'hui; un Com-mentaire sur le Cantique des cantiques, que l'auteur croit de saint An-seIme, et qui ne peut être identifié avec aucun des trente ou quaranteque nous a légués le Moyen-Age; la vision de Drithelm mise sous l'au-torité de Pierre le Vénérable, etc.

2 Trithème (Liber de Scriptor. Eccles.) et Philippe de Bergame (Sup-pteneut. Chronic. orbis, lib. XV) lui font honneur d'une traduction deCassier, du grec en latin; et le libraire Novésian, en tète de l'éditionde Cologne, [540 (Epist. dedic.), le félicite d'avoir heureusement retou-ché une traduction antérieure. La vérité est que Casien a écrit en latin,comme il • le déclare lui-même (Collat. prfat.), et que les rares exem-plaires grecs connus ne sont qu'une traduction assez infidèle. La préten-due traduction de Denys n'est qu'une explication ou une paraphrase; nouspourrions ajouter, une correction, car il a substitué, dans la XIII' con-férence, la doctrine catholique de la grâce à la théorie pélagienne deCassien, et cette substitution a été fréquemment',acceptée et reproduittdans les éditions subséquentes. Voir Mi gne, Patrol, latine, t. XLIXNotifia /jistorjco-/iflerarja, D. Cellier, 111s f. génér. des auteurs ecclés.,t. VIII, pag. 182, 204; etc.

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taient connus que par des versions latines, faites le plussouvent sur d'autres versions antérieures, arabes ou hébraï-ques. On comprend ce qui devait rester de la, physiono-mie originale d'un auteur après ces transformations succes-sives

Si prolongées qu'on les suppose, la prière et l'étude nesuffisaient pas à épuiser l'activité du solitaire. Entre tempsil écrivait, et la composition a dû prendre bien des heures desa vie. Son oeuvre littéraire est, sinon la plus considérable,au moins une des plus considérables qui existent'. Elle sur-passe du double celle de saint Augustin, et Trithème, qui neconnaissait pas tous ses ouvrages, avoue que, parmi les La-tins, il en est peu qu'on puisse lui comparer'. Ce serait làtoutefois un mince mérite, si à la quantité le pieux auteurn'avait su joindre la qualité.

Deux mots caractérisent sa manière générale science etpiété. C'est avant tout un théologien et un ascète, ou, pourmieux dire, un théologien au service d'un ascète. Il eûtvolon-tiers signé cette assertion d'un moderne, que « c'est le dogmequi fait les peuples et qui les refait aussi'. » Il veut savoirbeaucoup pour aimer beaucoup, car il est de cette grandefamille des moines d'autrefois pour qui « savoir, c'est aimer».« Il faut, dit-il à ses confrères, s'appliquer sur toutes chosesà la science sacrée, parce que Dieu menace de repousser dusacerdoce ceux qui auront repoussé l'instruction, et qu'il pré-fère la doctrine au sacrifice. L'étude de la philosophie et dela théologie réserve à l'âme d'ineffables douceurs; par ellesnous cessons d'être des bêtes et nous devenons des angesLisons donc et étudions, non pour tuer le temps ni pour sur-charger notre mémoire, mais pour renouveler notre esprit et

I mal. lillér. de la France, t. XXIV, pag. 325.2 D Zœckler. Dionys der Karlauser, dans les Studien und Kritiken de

Gotha, 1881 , 4' fasc., pag. 645. - Ellies Du Pin. iVoi,,'. biblioth. des auj.ecclés., t. XII, pag. io3. - Habets. Hel voorrnalig Kar(uiers-Klooslerle Rocrnio,,d, dans le Rocrjnondsche A!rnanak voor. 1859.

Oper. cil. - Cf. également MOI], Kerkgeschiedcnis, pért. Il, ii,pag. 380.

4 Vie du P. Aubry, pag. 171.5 D pila et fine solitar., tib. t, art. xxii. Oper. "fluor., t. Il, f'55.

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l'occuper des choses de Dieu, pour nous enflammer de sonamour'. s Ce qu'il recommande aux autres; il l'avait faitpour son prbpre compte.

Au service de cette science pieuse il met un style qu'on luia souvent reproché, et que tous ses éditeurs se sont crus obli-gés d'excuser et de justifier. Ce n'est certainement pas ungrand style. II est très simple, un peu terne, manquant de cettevivacité et de ce trait qui, dans saint Augustin par exemple,relèvent la pensée et la gravent dans la mémoire. Ainsi l'a'voulu l'auteur: « Styli colorem vitare propono 2 » C'est chezlui, non pas seulement de l'humilité, mais un système arrêté.li estime, et non sans raison, que l'on écrit pour se faireentendre et que le premier souci de l'écrivain doit être laclarté; or, pour lui, clarté c'est simplicité « Dieu, dit-il, avoulu que l'Ecriture Sainte tout entière fût écrite d'un stylesimple et facile, pour qu'elle fût à la portée de tous, et on abien fait de traduire en langage commun certains écrits 'plusdifficiles des Pères; car la difficulté de saisir ce qu'on lit en-lève beaucoup du fruit de la lecture, si même elle ne lc,dé-truit totalement; elle engendre l'ennui et rebute les lecteurs.En outre, pendant que la puissance intellective de l'âme estoccupée à découvrir le sens, la puissance affective est para-lysée, selon l'adage connu que plus l'âme s'emploie aux

I De lande et oroeconjo salit, p ila, art. xxx. Oper. ,ninor., t. Il, N41,V'.Nul, à notre connaissance, ne s'est fait plus persévéranitnent le pro-moteur et le panégyriste de la science sacrée. Après la contemplation,il n'est pas de sujet sur lequel il revienne avec plus de prédilection,et l'on formerait une longue liste de tous les chapitres où il la recoin-mande. C'est pour les clercs une obligation stricte (De p ila pra'snl.,art. tIr ; De p ila archidiac., art. x ; De vite curai., art. VIII); pour lesprinces temporels, une condition de bon gouvernement (De reginz.pri,,-ctp., lib. I, art. xi; 0e regim. politiœ, art, vil); pour les religieux, lesoutien de leur vocation (De p ila salit., lib. I, art. XXII ; De lande etprarconio salit. p ila', art. xxx); pour les jeunes gens, la meilleure sau-vegarde contre les orages de l'adolescence (De doctrina scholar., art. uu,Xxiv; Inter Jesurn et pnerurn dialog., art. iii); pour tous, c'est le plus belornement de notre nature, qu'elle rend égale aux anges (De vil. tout.,lib, I, art. xxii); c'est la porte de toutes les Vertus (De doctrina scliolar.,an, xxiv); le chemin du salut (Ibid., art. r). Aussi l'un des premiers de-voirs de ceux qui ont autorité, est d'établir de bonnes écoles (De iegin.princip., lib. lit, art. iv ; De doctrine sc/iolar., art. xxiv).

2 In Psalmos, Proœinium. Le long commerce du Chartreux avec sonsaint patron a contribué aussi à donner à son style une teinte aréopa-gitique bien sensible.

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actes d'une faculté, mains elle a de forces pour l'exercicedes autres »

Pourtant ce style humble ne manque pas de charmes il aune certaine naïveté aimable, une saveur qui ne déplaît pas,surtout une chaleur communicative que tous ses biographesont signalée 2 . Il prend volontiers la forme de la prière, etcertains de ses traités ne sont que des effusions ou des colloquesavec Dieu'. C'est le reflet d'une âme sympathique. En somme,au jugement de Sixte de Sienne, ce style est un peu plusnoble que celui des Scolastiques, et tient une sorte de justemilieu entre la manière des Pères et celle des modernes4.Swert le trouve plein de sens 5 ; Ellies Du Pin le regardecomme judicieux, sans prétention et des plus agréables à lire 6.

I In Joann. Cassianuni, prolog., -I' i.2 A l'époque du P. Cassani, il était question, parait-il, de mettre les

OEuvres de Denys en meilleur latin. Le savant critique s'en montre juste-ment offensé « Je tiens pour certain, dit-il, que si on le fait, on défigu-rera cet auteur, parce qu'on lui enlèvera cette onction de l'Esprit-Saintqui donne à son style une tendresse singulière, une suavité d'affectionqui porte efficacement ses lecteurs à la dévotion. » Cassant. Op. cit.,pag. 128.

3 De taud fbus Dei; De taudibus superlaudabitis Dei; Jnftamnatoriuindivin î a,noris; etc.

4 Sixt. Senensis. i3ibliolh. Sancl, Colon., 'GaG, pag. aôg.5 Swert. Aihen. Belg.. pag. 215.

ElI. Du Pin. Jfls j . des Conirop , du x':' s., 1" partie, p. 35o.

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L'OEUVRE LITTÉRAIRE DE DENYS.

Nous avons pris par anticipation,- une vue d'ensemble del'oeuvre de Denys. 11 nous reste maintenant à préciser quel-ques points, et à caractériser, au moins brièvement, la naturede ses écrits.

Pour simplifier notre tâche nous diviserons ses ouvragesen deux grandes classes les oeuvres de fond, et les oeuvresde circonstance. Les premières comprennent son grand tra-vail sur tout le cycle scolastique, exégèse, théologie, ascé-tisme; les autres renferment les nombreux traités de polé-mique ou de direction qui lui furent demandés par ses amisou inspirés par les circonstances.

Œuvres de fond. Elles comprennent, avons-nous dit, toutle cycle des études scolastiques, tel que l'entendait le Moyen-Age', tel qu'on le trouve dans les travaux des grands doc-leurs du xt l ,e siècle, Albert le Grand et saint Thomas exégèse,théologie, ascétisme. A l'exégèse se rattachent ses commen-taires sur toute l'Écriture Sainte, de la Genèse à l'Apocalypse,y compris Job et les Psaumes, devant lesquels recula Cor-neille de la Pierre ; à la théologie, son travail sur lesSentences et sur Boèce, sa Sumiha fidei, ses Compendiump/zi/osophicum et tiicologicuin, le Dialogion dejide catholica,et autres traités particuliers; à l'ascétisme, ses commentairessur l'Aréopagite, Cassien et Climaque, et ses beaux traitésDe oratione, De meditatione, De contemplatione, De fontelaids, De donis Spiritus Sancti, etc.

Denys est véritablement le dernier grand écrivain du

« Tous les docteurs, par devoir, faisaient des commentaires sur_leMaître des Sentences, des postUles sur l'Écriture Sainte, des sermons; laplupart rédigeaient aussi des questions quodlibétiqu es, des traités de con-troverse ou de dévotion, et lorsqu'ils étaient canonistes, des gloses sur lesDécrétales. Ces ouvrages sont généralement inédits. » Hist. liilèr. de laFrance, t. XXIV, pag. 336.

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Moyen-Age; il termine et résume la scolastique proprementdite, et semble s'être proposé de la sauver du mépris de sescontemporains en la ramenant dans des voies plus droites, eten la mettant à la portée d'un plus grand nombre.

Nul n'ignore en effet dans quel discrédit était tombée lasco-lastique vieillie, et quels défauts la déshonoraient. - Amourdes questions subtiles et oiseuses tous les points un peu im-portants de la science sacrée ayant été fixés par les travauxdes grands docteurs du x lIIe siècle et de leurs successeurs im-médiats, l'activité des dialecticiens s'était jetée sur les ques-tions quodlibétiques, ou de libre discussion, prétexte iné-puisable de càntestations sans fin.—Abus de l'argumentationdevenue pour. la populatiôn remuante des écoles, non plusun moyen d'investigation et de démonstration, mais une oc-cupation de chaque instant. Des sept arts libéraux, la dialec-tique était incontestablement le plus cultivé; d'aucuns l'étu-diaient pendant toute leur vie, et faisaient consister en celaseul toute la science. L'exercice le plus prisé était bien cebrillant assaut d'arguments, de, réfutations, de répliques,vrai tournoi de la parole, que l'on appelait l'actus disputa-Urus.— Enfin,goût pour les nouveautés, allant jusqu'à la té-mérité et souvent jusqu'à l'hérésie. Dans ces mêlées tumul-tueuses, chacun cherchait à produire de l'inédit sans tropgrand souci de l'orthodoxie, et dans cette fin de siècle, de1340 Ù 1400, l'Université de Paris ne condamne pas moinsd'une douzaine de docteurs, pour témérités ou erreurs dansleur enseignement

Depuis longtemps déjà les meilleurs esprits voyaient avecdéfiance cette intrusion de l'esprit de contention dans lesanctuaire, et s'élevaient contre ces disputeurs infatigables,ces faiseurs d'arguments cornus, ou cornijïciens, qui nevoyaient pârtout qu'objections à faire et problèmes à résou-dre. « L'objection de l'un est résolue par l'autre, écrivait leFrère Mineur Jean de Jandun (un admirateur pourtant), lesréfutations, les répliques se succèdent. On admire tout cequ'une main puissante est capable de construire et de for-

1 Quelques noms seulement en llSg, Guillaume Okam ; 1347, Jeande Méricourt; 1348, Nie. d'Autrecourt ; 135, Frère Gui; 1362, docteurLouis; 'Sôg, Denis Soulechat j»,, Jean de la Chaleur; 1387, Jean deMonzon ; etc. -

OMMIF

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tifier sur le terrain mouvant de la dispute, et l'on ne s'étonnepas moins de tout ce qu'un bras redoutable, sans toucher àla foi, peut détruire ou ébranler; mais ce que la Religiongagne ou perd à une telle gymnastique, Dieu le sait 1 . »

Fort injustement on faisait retomber sur la méthode ce quine devait être attribué qu'à l'abus, et le temps n'était pasloin où Luther allait proclamer à la face de l'Allemagne, quele syllogisme aristotélicien est l'âne d'Abraham qu'il fautlaisser au pied de la montagne quand on veut aller sacrifiersur les hauteurs.

Cesremarques nous aideront à comprendre l'oeuvre deDenys. Elle est en effet une réaction, et comme le contre-piedde cette science vaine et disputeuse. L'auteur a voulu faireun travail, non de curiosité, mais d'utilité. Point de ces ques-tions oiseuses dont la discussion ne conduit à rien « Im-pertinentes subtilitates vitare propono 2 » Après avoir, parexemple, consacré quelques pages à l'exposition du difficileproblème « an esse et essentia realiter distinguantur », iltermine modestement « Pro nunc reor sufficere tantumdemhinc tetigisse, quia, si Deus sic ordinaret, de bac te tractatumcomponerem 3. o Rien de la forme syllogistique si chère auxécoles du ne siècle; les affirmations comme les discussions,calmes et modérées, sont conduites à la façon large de l'an-cienne scolastique, de Guillaume de Paris, en particulier,qui semble avoir été un des auteurs favoris du savant Char-treux. Enfin fidélité absolue à la doctrine traditionnelle (ouce qu'il a cru tel) qu'il défend de son mieux, et religieuxrespect pour les grands maîtres qui l'ont fondée, les Pèreset les docteurs catholiques, dont il ne peut souffrir qu'onparle mal.

Outre ces qualités générales, on trouve dans son travailexégétique une connaissance profonde de la Sainte Écriture,qu'il explique volontiers par elle-même , et un soin cons-

1 lIisi. /ittér.,t. XXIV, pag. 338, 459.— Gonzalez. Hist. de la phi iosoph.,t. Il, pag. 390 et seq.

2 In PsaI,nos, Proœniium. -2 In I' Sent., di st. vi r, qutst. VIT. -

4 Le texte suivi par l'auteur n'est pas lotit Û fait la Vulgate, mais uneversion qui se rapproche de la Bible de Lyra et de celle du CardinalHugues de St Cher.

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tant de faire ressortir les conclusions et applications spi-rituelles du texte, et d'en déduire des règles pratiques. Solicommentaire est avant tout celui d'un théologien. Médiocre-ment versé dans l'histoire, la géographie et la connaissancede l'antiquité; il ne va pas en cela au'delà de saint Jérômeou de Lyra, dont il a judicieusement utilisé les travaux. Oùil excelle vraiment, c'est dans les développements théolo-giques ou ascétiques; là il est chez lui aussi avec quel bon-heur saisit-il toutes les occasions d'établir ou de rétablir unethèse et de la venger des objections! On ne s'étonnera doncpoint que nous signalions comme particulièrement réussiesle Enarrationes sur Job, les Psaumes', les livres Sapien-tiaux', les Prophètes, les Évangiles, les Epitres de saint.Paul. L'auteur est évidemment moins à l'aise avec les livreshistoriques (Paralipomènes, Esdras, Machabées) qui prêtentmoins aux déductions théologiques, et pour lesquels il n'avaitpas les ressources des découvertes modernes. Pourtant si, au-jourd'hui, en face des progrès de l'histoire et de l'archéologiesa science nous parait un peu courte,, nous aurions mauvaisegrâce à le condamner, puisqtie ses contemporains, meilleursjuges que nous de ce qu'on pouvait exiger à leur époque,s'en contentaient et s'en estimaient heureux, à en juger parl'accueil que reçurent ces commentaires'. Hâtons-nous ausside dire que, dispensé heureusement de l'obligation de dé-fendre son texte contre les attaques d'une incrédulité quin'existait pas encore, il a pu faire plus large place aux ré-flexions pieuses, un peu trop sacrifiées de nos jours aux né-cessités de la polémique et aux aridités de la science.

Rien de plus simple et de plus savant à la fois que soncommentaire su' le livre des Senténes. Sur chaque questionil reproduit le texte de Pierre Lombard, et donne quelqueséclaircissements, Puis il indique les divers problèmes qu'ila soulevés, et alors commence l'exposé concis de tout ce qui

I Un des meilleurs commentaires, au jugement des connaisseurs.2 Son Enarrajjo in Caujicum canhicorum a mérité les éloges de Obis-

leri, d'Escobar, de Grandvaux, etc. Il en a été fait tout récemment àN.-D. des Prés une petite édition, j vol. in-ta de 500 pag.

8 Tous ces commentaires historiques obtinrent trois éditions en5o ans.

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a été dit avant lui à ce sujet; le tout se termine par sa propredécision, qu'il justifie avec autant de solidité que de mo-destie. « C'est merveille, •dit le P. Cassani, dont nous empruntons le jugement, de lui voir reproduire fidèlement enquelques lignes, comme dans une belle miniature, les opi-hions de tant de docteurs, sans jamais les dénaturer, niomettre rien d'essentiel ; et son travail est mie véritable bi-bliothèque théologique doublement utile, parce qu'elle metsous les yeux du lecteur, en quelques pages, sans fatigue etsans recherches, tout ce qu'il a intérêt à trouver sur un su-jet donné, et qu'elle peut suppléer à l'absence d'un cer-tain nombre d'auteurs aujourd'hui rares et difficiles à ren-contrer'. »

Parmi ses autres ouvrages de théologie, quelques-uns sontde purs travaux de vulgarisation, de vrais manuels où il a con-densé pour-l'usage de ses contemporains la substance de l'en-seignement scolastique, de saint Thomas en particulier telssont par exemple, les Compendium p/iilosophiœ et thdologiœ,et la Sunimafidei ort/iodoxœ. Un critique protestant 1 Moll,areconnu l'exactitude, la clarté et l'utilité de ces traités « quiont permis à bon nombre de clercs et de moines de faireconnaissance avec ce que la théologie avait produit de plusremarquable, et cela sous la forme la plus appropriée au goûtdu siècle et à leur capacité 2 ». D'autres traités, plus personnels,sont des études particulières sur certains points de doctrine,comme De natura vertet ajienni Dei; Creatunanum in ordi-nem ad Deum consideratio tizeologica; De cognitione mutuaBeatorunt in patria, etc. Dans cette dernière classe nous de-vons signaler tout spécialement son grand commentaire surBoèce 3 , et deux curieux opuscules De lumine c/znistianœtheoriœ, « le plus important et le plus systématique desécrits dogmatiques du savant Chartreux,, » essai de justifica-tion de la foi chrétienne par les données de la raison et de

1 Cassani. Op. cil., pag. IlS.2 Mou. Kcr,kgeschicdenis. part. II, ii, pag. 390.S Cassani reproche à cet ouvrage un vice de méthode qui en rend

la lecture pénible, en obligeant l'oeil à se porter alternativement dutexte au commentaire (p. 21). C'est un peu le défaut de tous les com-,nentaires qui ne sont pas des paraphrases, et il ne nous semble pasplus saillant ici qu'ailleurs.-

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la philosophie platonicienne et aréopagitique'; et De venu-state tnuna'i, monographie substantielle et large du beau di-vin, le plus remarquable traité de philosophie esthétique quenous ait légué le Moyen-Age, au jugement d'un savant con-temporain, le Dr Zceckler, de Greifswald, qui lui a consacréun article étendu et élogieux 2 , et qui proclame l'auteur undes précurseurs de l'esthétique moderne. Cela ne surprendrapas ceux qui savent combien Denys était sensible au beausous toutes ses formes. Cette tête de fer avait des instinctsd'artiste, que son séjour à Cologne, le grand centre intellec-tqel et artistique de l'Allemane d'alors, ne pouvait que dé-velopper. Il c, rubriquait n lui-même ses livres, au dire deLoer; il était poète à ses heures, et il a chanté en vers émusles grandeurs de Dieu et les beautés de la nature l . La beau-

- I DionYs der, Kartauser, dans les Studien und Kritiken de Gotha, j88j,fasc. , pag. 648. - C'est aussi l'objet du Dialogion de .Me catholica,entretien entre un philosophe chargé de faire les objections 'de la rai-son, et un théologien qui donne les réponses de la foi,

2 ibid., pag. 650-665.3 Les anciens catalogues des oeuvres de Denys mentionnent tous des

• Carmina (n" t85, 86), aujourd'hui perdus a l'exception d'un seul. (Oper.minor., t. Il, f' 352, V'.) Mais ce que ses éditeurs ne paraissent pasavoir remarqué, c'est que le traité imprimé en forme de prose, De tau-dibus superlaudabilis Dei (Oper. minor., t. I, f' 141). est un véritablepoème de 'qSo strophes de deux à huit vers, soit un total de j icoo àiaoœ vers. Même remarque pour les quatorze h ymnes du traité suivant,De Iaudibus SS. Trinitaiis (Ibid., f' 171, V'), et les h y mnes et leçonsdes Laudes de Don,ini Passions (Ibid., f' 77). Le rhythme uniformeadopté pa r l'auteur pour ces poèmes, est l'ancien iambe dimétre dl-b'race et des classiques, devenu sous la plume des poètes du Mo yen-Age un vers de huit syllabes plus ou moins isochrones, et disposé enstrophes rimées. Les rimes, masculines (parox ytoniques) ou féminines(ox ytoniques), se succèdent sans beaucoup,d'ordre, tantôt planes, tantôtcroisées. La première strophe nous offre quatre rimes masculines alter-nées, suivies de deux féminines.

O Deus proestantissime,Bonus substantialiter.Tu bonus naturaliter,Tua demum est natura,Dominator altissime, Bonitas omnino petit.

L'auteur a pris plus d'une licence. Son versa parfois (rarement) neufsyllabes; il fait compter les voyelles élidées, comme dans le & vers cité;enfin il n'observe pas toujours la règle de la syllabe forte aux 2', 4' et 5'pieds: Dominator altissime,.etc. Outre ces essais poétiques, tout le traitéDe (audihus Dei (Oper minor,, t. Il, f' '42), et quelques fragments desdeux traités cités plus haut, sont écrits dans cette prose homophôniquequ'on retrouve dans plusieurs ouvrages du Mo yen-Age, notamment dansl'Imitation. Elle se rapproche de Id versification par l'assonance des divers

• membres de la phrase, et par les -règles qui déterminent la cadence- des

cour

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té des temples l'émerveillait, et certainement il ne put voirsans admiration la splendide cathédrale de Cologne, alorsen construction. Il aimait ]a musique, et les belles mélodiesle ravissaient littéralemént : témoin celte extase célèbre quile saisit aux accords de l'orgue, dans l'église de Saint-Jean, àBois-le-Duc

On lui a reproché une certaine sévérité dans la morale,qui lui a fait exagérer telle obligation, et quelques opi-nions hasardées ou aujourd'hui abandonnées, comme par ex-emple son adhésion, au moins en substance, à la théoriegersonienne et basiléenne de la prééminence des Concilesgénéraux sur le Pape, et au décret du concile de Constance

finales, règles trop longues à exposer ici: Quum tua natura - sit bonitasidealis in te subsistens et separata - necesse est ut bonitatis essentia.- sit in te nullatenus ,ninorata, etc. - (Sur la métrique et la proserimée du Moyen-Age, voir L. Gautier, lEst, de la poésie liturgique, etMgr Pu yol, De Imitai. Christ., appendice I.

Loer, Vite, cap. y, pag. 24. - Denys nous a laissé (De p ila canoni-corum, art. xx. Oper. t. I, f' 465) son avis sur la musique reli-gieuse et sur le discant (discantus, faux-bourdon) nouvellement introduitdans l'Église, et qui était alors l'objet de vives discussions.

2 Sessio XXXIX. Dion ys. De auctoritale Gond!. gener., lib. I, art.x-xxxv,,. Oper. minor,, t. I, 1' 332, V'.

A la décharge de l'auteur, nous devons faire observer avec un histo-rien, qu'à cette époque « l'affirmation du fameux principe (de la subor-dination du Pape au Concile) était devenue comme le mot de ralliementuniversel : empereurs et rois, cardinaux et évêques, savants ecclésias-tiques et laïques, tous propageaient et affirmaient cette opinion ». l-lé-félé. Mise, des Concil., t. XI, pag. 278. Née du besoin de réaction contreles compétitions et les scandales du grand Schisme, elle avait été pro-fessée par Gerson egregius doctor et magnus Cancellarius s, commel'appelle Den ys, soutenue par le card. Pierre d'Aill y, et par Nic. deCusa, alors doyen à Coblenz, dans un livre qui eut une publicité trèsétendue, De coneordia catholica; enfin les conciles de Constance et deBâle, regardés alors et même longtemps après comme entièrement accu-méniques, par des hommes de grande autorité, lui avaient donné unesorte de consécration telle, que le Pape Eugène IV lui-mé,ne, quel quefût son désir, n'osa pas d'abord la heurter de front, et sembla l'approu-ver implicitement dans sa reconnaissance du concile de Constance. LesChartreux n'échappèrent pas à ce courant d'opinion. Jacques de Juter-bock, d'une manière plus âpre, dans son traité De septcni trtatibus Ec-clesicr; Barthélem y de Maestricht, dans son travail De auctoritate Con-cUit supra Papam. lib. 1, art, xxvi; Denvs, d'une façon beaucoup plusmodérée, dans son ouvrage De auctoritate Paper cl Coud!. gener.., s'enFirent 'écho. On n remarqué avec raison que ce dernier est moins absoluque la plupart de ses contemporains : « il cherche entre les deux pou-voirs en litige une sorte d'accommodement, et sauvegarde autant quefaire se peut les prérogatives du Pape. s Zoeckler. Op . cil., pag. 646.Cf. Denys, De aucloritale Papce et Concil, gcuer.. lib. III, art. ii.

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sur la réunion périodique de ces mêmes Conciles généraux.Mais c'étaient là, à cette époque, questions débattues, erreursd'un siècle sur lequel pesait, comme un cauchemar, le sou-venir tout récent du grand Schisme.

Dans la pensée du Chartreux, exégèse et théologie, sciencede l'Écriture et du dogme, n'acquièrent leur développe-ment complet, leur couronnement logique, que dans l'actehumain par excellence (puisqu'il est la fin de l'homme ici-bas éomme au ciel) qu'on appelle la contemplation. N'a-t-onpas écrit que « le prêtre se sanctifie d'abord par l'intelli-gence »; qu'il n'y a « pas de vraie piété sacerdotale sans unegrande lumière théologique, car la piété dans le coeur sacer-dotal n'est pas une impression de sensibilité, mais l'espritde foi »; que « Dieu n'a pas fait un Saint sans le faire enmême temps théologien par étude ou par intuition, tellementque l'Église ne canonise jamais un Saint sans d'abord exami-ner les produits de son intelligence 1»? Sans doute la sciencepar elle-même n'est pas la contemplation, mais elle y conduitpourvu qu'on veuille la sanctifier en l'imprégnant de piété etde surnaturel; elle est le fondement sur lequel opérera lagrâce. Qu'est-ce en effet que la contemplation aux yeux duDocteur extatique qui la connaissait si bien? C'est une con-naissance affectueuse, aisée et évidente de Dieu ou des créa-turesen tant qu'elles se rapportent Dieu. Comme la sagessedont elle n'est qu'un acte, cette connaissance, cette vue spiri-tuelle et intérieure, a son siège dans l'intelligence, quant àson essence; toutefois, comme elle n'est pas une connaissancenue, mais affectueuse, elle réside aussi dans la volonté, quantà son complément qui est un amour ardent. Telle est son ex-cellence, qu'elle fera la souveraine félicité et la suprême ré-compense des justes dans l'éternité, où il verront clairementet parfaitement Dieu sicuti est »; et se porteront vers luiavec d'inénarrables transports. Elle est ici-bas la plus grandeperfection de l'âme fidèle, dont tout le mérite en cette vie estde connaître et d'aimer Dieu, de le découvrir à travers l'obs-curité de la foi et le miroir des créatures « per speculum, inoenigmate », jusqu'à ce que par des illuminations successives,

1 Vie du P. Attbry pag. 200;

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elle arrive au plein jour de la vision face à face ti per spe-ciem ». Elle est, pour tout dire, une imitation, une repro-duction, dans la mesure de nos forces, de la vie même deDieu. Aussi doit-on y aspirer, si l'on n'a quelque empéche-ment légitime; et ceux-là sont grandement blâmables, qui,étant en position d'acquérir cette grâce, ne la désirent paset ne s'appliquent pas à lamériter '.

On voit maintenant pourquoi, dans les idées du Moyen-Age que Denys ne fait que résumer, la formation intel-lectuelle pour être complète, devait embrasser l'étude del'Écriture, de la théologie et de la nystiqUê la Bible, lesSentences, l'Aréopagite. Dans l'Écriture on étudiait le fon-dement et les sources de la théologie; dans la théologie, lefondement et les sources de la mystique; dans la mystique,l'âme assouplie et façonnée par cette longue préparation re-cevait l'illumination dernière; et comme tout se tient danscette organisation, à ces clartés nouvelles, Écriture et théo-logie gagnaient en évidence, en précision et en profondeur.Serait-il téméraire de voir dans cette disposition des étudesune des causes de la supériorité des grands scholastiques?

Déterminer la nature, les conditions, les formes diversesde cet acte suréminent de la contemplation ; instruire l'âmeà diriger vers lui toutes ses aspirations et tous ses efforts, às'y préparer par la pureté du coeur, la paix intérieure, l'a-mour de Dieu, la fidélité à la grâce, l'abandon à la Provi-dence, la méditation des mystères; la conduire doucementpar ces étapes mystiques où elle devient successivement ser-vante fidèle, amie secrète et fille cachée de Dieu, pour seperdre enfin dans les splendeurs de la vie déiforme et déi-fiante" tel est donc l'objet de cette troisième partie, oùDenys, au jugement d'un tribunal dont on ne récusera pasl'autorité, a fait preuve d'une admirable expérience « miraasceseos peritia 1 ». Cette partie, pour être un peu moins vo-

1 De conIenp1aL, I b. f.2 De conte,npl.., lib. Il, III.3 Léon XIII. Lettre au R. P. Général des Chartreux, i' avril i8g6. Le

grand mérite ascétique de Denys a été hautement reconnu par des au-teurs comme Alvarez de Paz, Louis de Grenade, saint François de Sales,saint Alphonse, etc.; et de nos jours par le Cardinal Manning (The in-ternat mission o! Me li. Ghost. Dedic., xi), et par le R. P. Meynard, O.P. (Traité de la vie intérieure, Il, paf. 68, 76).

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lumineuse que les deux premières, n'en est pas moins très con-sidérable, si considérable qu'il ne nous est pas possible d'en-trer dans un examen, même superficiel, des oeuvres qui lacomposent; mais on nous reprocherait avec raison d'oublierce beau traité De laudibus gloriosœ Virginis Mariœ, oùl'auteur, faisant à la Très Sainte Vierge, sa grande patronne,l'application de sa théorie mystique, nous la montre commele type idéal et le modèle éternellement inimitable de l'âmecontemplative

Nous ne parlerons que pour mémoire de ses Sermons, oùse trouvent condensées toutes ses qualités d'exégète, de théo-logien et d'ascète « C'est, dit MoU, un vaste répertoire endeux volumes in-folio, mis au service des prédicateurs, soitqu'ils veuillent les prêcher tels quels, soit qu'ils s'en serventcomme matériaux, li N I a pour tous les dimanches de l'an-née et pour tous les jours de fêtes, souvent quatre, six ou huitpour chacun. On en trouve pour le peuple « ad plebem » etpour les religieux e ad religiosos , ce qui les rend utilesdans les paroisses et les Communautés. Sur chaque épître etchaque évangile Den ys donne de pieuses explications; surchaque vie de Saint, il fournit les renseignements historiques

I De laudibus gtoriosw V. Marim, lib. Il. Oper. miner., t. I, f' 282.Cf. De proeconlo et dignilate B. V. M., iib. li, art, xi-xvi. Oper. miner.,t. ii, f' igq. Den ys peut être regardé à bon droit comme un des grandsdévots de la Mère de Dieu. L'amour de Marie avait devancé en lui l'âgede raison « Adolescentulo adhuc, vel potius puerulo, inter bonum etmalum discernere nondum valenti, proeveniente pieute dulcissiina, con-tulisti nominis lui affectum ac tuiipsius amore,n. » (De iaud., lib. III,art. xx.) Assez peu de temps après son entrée en religion,en 1435, coin-mençaient à Rurernonde les manifestations miraculeuses d'une statuede la Vierge destinée à devenir célèbre dans toute la contrée, N. D.in het Zand. Pendant un demi-siècle le Chartreux vit grandir la gloirede ce sanctuaire qu'il dut visiter plus d'une fois. Lst-ce pour favo-riser cette dévotion et à l'usage des pèlerins que furent composés lesdeux importants traités De laudibus gloriosœ V. Mari œ, et De prœ-conte et dignitate beatissimœ V. Aiari? Cela n'est pas improbable.L'auteur 'y a résumé toutes les données de la théologie sur la Très SainteVierge. Il y soutient l'immaculée Conception de Marie (De taud., lib. I,art, vin ; De proecon., lib. I, am mir), la sanctification particulière de soncorpsvirginal (De taud., lib. J, art. xvii; De prœcon., lib. I, art. xxxvi); etc.Il y montre surtout pour N.-D. un ardent amour que les termes ordi-naires lui semblent impuissants à exprimer. Delà des accumulations desuperlatifs, des mots expressifs créés par sa plume ou renouvelés deS. lldephonse. Son Ext'ositio in Caniicum canticorum est aussi un véri-table traité à la gloire de la Sainte Vierge.

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nécessaires. Dans beaucoup de ces sermons, comme Thomasà Kempis, il pose des exemples en confirmation de sa doc-trine, ou des questions qui servent de thème à de nouveauxdéveloppements. Le genre de ces sermons est générale-ment simple et pratique. Quelques-uns sont de pures confé-rences, d'autres renferment deux ou trois parties, selon lesexigences du sujet. Le style est toujours approprié et sérieux,et les réflexions, même les plus communes, sont présentéesavec intérêt'. o

Telle est dans ses grands traits, bien rapidement esquissée,l'oeuvre scolastique, ce que nous avons appelé l'oeuvre defond de l'écrivain oeuvre de science profonde et de piétéexemplaire, où l'on trouve toujours, dit un critique, mêmelorsqu'on a lu les autres, quelque chose à apprendre et denouveaux aperçus à admirer 2 . Pour autant que j'ai pu m'enconvaincre après mûr examen, concluait modestement l'au-teur, je n'ai pas conscience de m'être livré à cette tâche parvanité, profit temporel ou amour-propre, mais plutôt afinque, m'occupant chaque jour de l'Ecriture Sainte, je m'ap-pliquasse à vivre selon ses maximes, pour parvenir enfin àla véritable humilité, patience et mansuétude dont j'ai sigrand besoin'.

I Kcrhgeschiedenis. Il, t,, pag. 400. Composer des sermons, au Moy en-Age, n'était pas le privilège des seuls prédicateurs beaucoup s'en oc-cupaient, que leur vocation éloignait de la Chaire chrétienne, Ici encore,ajoute Moll, les Chartreux sont loin d'occuper le dernier rang. Et âl'appui de sa thèse, il cite les Chartreux l-lenri de Kalkar, Henri deCoesfeld, Barthélem y de Maestricht, Denys de Ryckel, Gifles de Couds-]nid (iEgidius Aurifaber). Il eût pu en citer bien d'autres, Cela prouveau moins que, du fond de leur solitude, les Chartreux ne se désinté-ressaient pas de l'apostolat.

2 Cassani. Op . ci!., pag. 116. - Ni. Habets, de son côté, porte surl'oeuvre scolastique de notre auteur ce jugement d'ensemble « Densest, sinon un des plus savants, au moins un des plus féconds écrivainsdu monde entier: Il a cultivé les champs de la théologie avec une puis-sance d'esprit étonnante. Ses commentaires sur i'Ecriture Sainte ne lecèdent en rien à tous ceux de son temps; ses traités théologiques et sescommentaires sont pleins de science et de justesse. Ses considérationsparfois peuvent à l'oeil de la critique paraître un peu recherchées, matsau regard de la piété, elles sont pleines d'onction. Ses sermons et ho-mélies sont coulants et tissés de sentences de l'Écriture et des p ères. »liabets, Op. ci!., et (fisc, de Rure,nonde,

3 P;'otesialio M Superiorern.

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SON OEUVRE LITTERAIRE (SUITE).

Œuvres de circonstance. Sous ce nom nous comprenonsdes opuscules qui lui furent demandés par ses amis et cor-respondants, et surtout ceux que lui inspira le malheureuxétat de l'Église à son époque, et que le docteur Zoeckier ap-pelle des ouvrages d'éthique sociale', Il a raconté lui-mêmedans quelles terribles circonstances lui fut suggérée d'en hautla pensée de ces ouvrages « Le jour de la Purification de lasainte Vierge, raconte-t-il, un Frère (c'est de lui qu'il s'agit)étant au Choeur avec la Communauté, où il priait pour l'É-glise, vit le Seigneur manifestement, qui lui dit Qu'as-tu àprier pour l'Eglise? Elle est tout entière éloignée de moi, etde la tête aux pieds il n'y a plus en elle une partie saine.Tant de crimes doivent-ils rester impunis? J'ai attendu long-temps, J'ai averti souvent, j'ai menacé durement, et ils nesont point reVenus; il est temps que la douleur leur donnel'intelligence. Et comme le Frère insistait, il vit en esprittoute l'Église triomphante prosternée devant la Majesté di-vine et suppliant ardemment pour sa soeur de la terre, maiselle ne put obtenir d'autre réponse que celle-ci u Selon lamesure de la pénitence faite par l'Eglise, il sera apportéquelques ménagements aux maux qui vont l'accabler. 'C'étaitaux approches de 1450 Constantinople était menacée, l'an-goisse était grande pour Rome elle-même, où Amurat IIprétendait faire manger bientôt l'avoine à son cheval. tc Sei-gneur, demanda le Voyant, les Turcs viendront-ils à Rome?Et le Seigneur répondit Il ne vous appartient pas de le sa-voir: Et le Frère en tira une conclusion qu'il n'a pas osémettre sur ce papier'.

T Zceckler. Loc rit., pag. 646.Apocalypsis. Revclatio i. Cette vision avait duré tout le temps de la

Messe conventuelle. Le visage de Dieu paraissait irrité et implacable, etle Frère en conçut une telle fra y eur, qu'il ne put rien prendre jusqu'ausouper.

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A la suite de cette première révélation, le Chartreux com-mença à tourner ses efforts vers la réforme de l'Église, etadressa aux princes chrétiens une lettre célèbre dont nousparlerons bientôt. « Ce Religieux, continue Denys, adressaaux princes chrétiens cette révélation avec une lettre pour lesencourager à secourir la sainte Mère Église contre les infi-dèles; mais cette publication n'eut pas d'effet bien appré-ciable, car les Turcs infligèrent aux Chrétiens de grandesdéfaites... Aussi, le Dimanche de la Passioh 1461, le mêmeFrère priant à la Messe conventuelle pour le peuple chrétien,et songeant tristement à de grands malheurs dont on lui avaitfait le récit, s'écria O Dieu, voilà que le mal grandit sur laterre est-ce là le prélude de ces fléaux dont vous nous avezmenacés? Et le Seigneur répondit Oui. Tu as répandu par-tout les révélations que je t'avais faites; tu les as fait parvenirjusqu'à Rome qui donc en a profité pour se convertir? Lestemps sont venus de mettre en pratique ce que tu as enseignétoi-même plus d'une fois, c'est qu'il vaut mieux pour lespeuples prévaricateurs être flagellés sur la terre que de périréternellement. Et le Frère vit et entendit de telles choses,qu'il ne croit pas devoir ni pouvoir les exprimer ; maiscomme il se désolait, il lui fut montré dans le lointain lanouvelle Église, telle qu'elle sortirait de l'épreuve, toutebelle et revêtue d'une robe d'un éclat indicible, commel'Épouse du Psaume, Astitit Regina, etc. 1 »

Enfin, cette même année, le 3e Dimanche après Pâques,toujours pendant la Messe conventuelle, le même Religieuxentendit la voix de l'Église universelle pleurant sur la perte deses fils d'Orient et sur les désordres de ses enfants d'Occident:

O mes enfants, disait-elle, revenez à vous, écoutez votreMère, et réconciliés enfin, réunissez-vous autour du Pontifede Rome ou d'un Concile général que dirige le Saint-Êsprit,et prenez compassion de vos frères qui meurent par le fer etla faim entre les mains des infidèles'. »

Tout ce qu'on a appelé le rôle politique de Denys, et nousajouterons, toute son oeuvre politique, va sortir de ces com-munications célestes. Il commença par sa lettre aux princes

I Apocalypsis. Revelatio n.2 ibid. Revelatio in.

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chrétiens De bello instituendo advenus Turcas Il y dé-montre que les péchés des peuples sont la cause de tous lesfléaux qui les accablent, et que partant, il est urgent de pro-céder sans délai et sans faiblesse à une réforme commune. Leseul moyen à ses yeux de la réaliser, c'est la réunion d'unConcile, car tous les désordres de l'Église sont nés de la né-gligence à employer ce remède suprême. Tous ont leur rôletracé dans cette oeuvre dé salut. Au Pape, l'initiative e Vehe-menter miramur cur Sanctitas Tua, et quidem pradecessorestLii• qui post l3asileense fuerunt concilium, tot annis distu-listis celebrare generale Concilium, proesertim quum de eo-rurh celebratione a sacris generalibus Synodis edita fucruntquœdarn decreta 2 » Les princes ne doivent pas se laisserarrêter par de misérables questions d'amour-propre national.Si le Concile ne peut pas se tenir à Lyon, qu'il se tienne pourcette fois à Nuremberg. Que l'illustrissime roi de France nes',enoffense point, car il s'agit du bien commun, et l'on pourratoujours revenir à Lyon plus tard. Le Concile devra avanttout rétablir la discipline dans le corps ecclésiastique et la

1 La lettre aux princes n'était pas le premier écrit cartusien composépour ta réforme. Un Chartreux célèbre, Jacques de Juterbock, avaitprofité du premier moment de paix donné à ]'Église après le grandSchisme, pour adresser au pape Nicolas V un long mémoire motivé(Anisamentti,n cul Papam pro refnrrnatione Ecclesicu), où il attirait sonattention sur la nécessité de remettre en vigueur les Canons partoutoubliés (1447). Plus explicite que Denys, le Chartreux d'Lrfurt stigma-tise hardiment les abus qui s'étaient glissés dans l'administration del'Eglise la vénalité des charges, la simonie, etc. Comme lui (induit enerreur par les mêmes causes) il professe la subordination du Pape auConcile. Pastor, 1/itt. des. Papes, t, Il, pag. 40. Jacques de Juterbock,d'abord Cistercien, puis Chartreux, mourut â Erfurt en 1465, à l'âge de84 ans, célèbre par sa science et ses vertus héroïques. Théologien etjurisconsulte, il avait pris part au concile de Râle, et laissa de nom-breux ouvrages. Cf. 13. Le Vasseur, Ephe;nerid. Ord. Cartus., xxx April.;Morozzo, Theatrun Garnis. Ord., p. 86; Th. ISozius, De signis Eccles.,

.lib. IX, cap. xi; Possevin. Apparat. 50cr. - « L'exemple de Denys, dità ce propos Mol[, montre que la solitude n'empêchait pas un.œil clair-voyant de discerner les maux dont souffrait l'Église et de découvrir- lesremèdes opportuns; et c'est en quoi vraiment ont excellé nos Chartreux.Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Gérard Groot, cet homme émi-nemn'ent pratique, leur ait rendu, sur son lit de mort, ce témoignage,bien qu'il eût reculé devant la rigueur de leur genre de vie. » Kerîrgcs-càiedenis, Il, ii, pag. 124.

Bien que cette phrase soit tirée du préambule de la 2' révélation,qui ne faisait point partie de la lettre primitive, nous avons cru pou-voir la citer ici, parce qu'elle rend bien la pensée de l'auteur.

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paix entre les princes; alors seulement pourra commencer âfrais communs cette guerre contre les Sarrasins, que Dieudemande et qu'il bénira.

Hélas! la sève des Croisades était bien tarie en Europe, etles invitations du Voyant restèrent sans écho 1 . C'est tropdire, il y eut une réponse à laquelle sans doute l'auteurne s'attendait pas, et qui dut délicieusement consoler soncoeur. Borso d'Este, duc de Modène et de Reggio, s'enthou-siasma pour l'Epistola paroenetica. Trop petit prince pourentreprendre à lui seul une tâche devant laquelle reculait sespuissants voisins, il voulut du moins, en témoignage de l'es-time qu'il avait vouée au champion de la Chrétienté, faireconstruire un monastère de son Ordre à Ferrare 2.

I Faut-il attribuer à la démarche des Chartreux Jacques de Juterbocket Denys de Ryckel, les tentatives de Nicolas V pour amener une en-tente entre les princes chrétiens contre les Turcs? Cela n'est pas im-probable. Thomas Parentucelli avait été 20 ans le secrétaire intime duCardinal chartreux Nicolas Albergati; â son avènement au trône ponti-fical il voulut, en souvenir de son hienfaiteu, prendre son nom de Ni-colas, et resta toute sa vie très alkctionné à l'Ordre cartusien. Auxapproches de la mort, il fit appeler pour -l'assister deux Chartreux degrande réputation, Nicolas de Torture et Laurent de Mantoue. On com-prend dès lors qu'il ne dut pas rester indifférent aux instances de Denys,et au sombre tableau tracé par Juterbock de la situation religieuse enAllemagne. (Tractatus de nialis, cap. xx-xxiii.) Dans cette hypothèse, laseconde mission du Cardinal de Cusa (1450-52) aurait été la réponsedu Pape, et l'on s'explique la part qu'y prit Denys. Mais tous ces pire-jets de réforme et de Croisade devaient échouer comme ceux de sonsuccesseur, Callixte HI. Cf. Raynald., ad armes, 1455, n. 8; 1457, n. 7, 12,50; 1458, n. 35.

2 Cainpanini, op. cil., pag. 88; Dinbani, pag. 65. (Ces deux historiensappartenaient à la Chartreuse de Ferrare.) - Ceci nous donne la dateapproximative de la " vision, qui n'est pas datée par le Voyant, et de lalettre aux princes qui la suivit de prés. La première pierre du monastèrede Ferrare fut posée en 1452. Borso ne devint marquis de Ferrare et ducde Modène qu'en r45o, après la mort de son frère, Lionel d'Este; et lesdeux auteursremarquent expressément qu'il avait lu la lettre avant sonavènement, donc au plus tard, au commencement de 1450. Mais on nesaurait sérieusement, â leur suite, la faire remonter jusqu'à une époqueantérieure au concile de Ferrare, 1438. Denys dit formellement qu'entrela lettre aux princes et la 2' vision, il s'écoula quelques années. En 1438,l'auteur n'eût pu dire sans injustice que les maux de l'Église venaientde la négligence à célébrer des Conciles, puisqu'ils n'avaient pour ainsidire pas cessé depuis le commencement du siècle, et qu'à cette époqueil y en avait deux en concurrence, celui de Bâle qui ne voulait pasfinir, et celui de Florence qui commençait. Enfin c'est seulement enaprès la bataille de Varna ('o Novemb.) où périt le Cardinal Césarini,que la question turque se posa dans toute sa redoutable gravité. C'est

qu

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Le Chartreux ne s'était du reste nullement découragé ilsavait que le bien s'opère à son heure et que la moisson lèvequand Dieu le veuf. Aussi, avec son ardeur et sa ténacité or-dinaires, consacra-t-il désormais à ce double but de larésis-tance aux infidèles et de la réforme de l'Église, toutes lesforces de son âme et de son corps, ses prières et ses austéritésd'ascète et sa plume de docteur 1 . Silencieusement, sous l'oeilde Dieu, en vue de cette rénovation qui lui avait été montréedans le lointain, il composa contre les Turcs les 5 livres deson traité Contra Alcoranuin, et pour la réforiie de l'Église,outre l'important ouvrage De auctoritate Papœ et generaliumConciliorum, de nombreux opuscules. Les titres seuls indi-quent toute l'étendue de ce travail De regimineproesulum,- arc/zidiaconorum, - canonicorum, - curatorum, - sdw-larium; De reformatione claustraliu,n, - monialiu,n; Delaudabili vita principum, - nobiliunz, - con,'ugatorum, -inrginum, - ;'iduarum, - zuclusarum, - mercatorum; DePila militari; De regznzne polit iœ; Contra simoniam, -a;nbitionem, pluralitatem beneficiorum; etc. C'est, commeon le voit, une vaste enquête sur toutes les classes de la so-ciété à son époque, et une règle de conduite sûre pour tousles états. Rien de plus instructif que ces opuscules, remar-que le docteur Zceckler, au point de vue de l'histoire du.xve siècle, et comme témoignages de la tendance réformatricequi n précédé Luther et le concile de Trente'. Nous 'pou-vons ajouter qu'ils sont généralement traités de main demaître, qu'on y trouve la science scripturaire habituelle à

donc, croyons-nous, entre le années 1443 et 1450, qu'il faut placer ladémarche du Chartreux de Ruremonde, qui dut coïncider avec cellede Jacques de Juterbock. - Borso d'Este s'était réservé à Ferrare unecellule du cloître, qu'il venait habiter souvent, et il voulut être enterrédans le cimetière conventuel.

Les grands travaux scripturaires de Denys se terminent en l'année457. lI put donc consacrer .à ses travaux de réforme toute son ac-

tivité.2 Studien und Kriliken, pag. 647.— Le mérite de ces ouvrages a sur-

tout frappé nos frères séparés; comme te luthérien Zœckter, le calvinisteMoU, le janséniste Du Pin. Nous comprenons en effet tout l'intérêt qui•s'attache pour eux à ce qui de près ou de loin touche à la naissance duprotestantisme; mais ils pourront aussi reconnaître par là, qu'on pou-vait tout à la fois, stigmatiser la corruption de l'Eglise, provoquer uneréforme radicale, et rester catholique.

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l'auteur, et qu'ils peuvent fournir plus d'une excellente idéeaux prédicateurs.

« Habent sua fata libelli. » Denys mourut en 1471. Le re-cueil Contra Alcoranum, à son apparition (1533) fut dédiéà Ferdinand, roi de Hongrie, archiduc d'Autriche, frère deCharles-Quint, pour l'encourager dans la guerre qu'il sou-tenait contre les Turcs « Hune ad M. T. castra mittimus, utquomodo M. T; arrois, ita hic scriptis Turcam oppugnet, si-mulque videas quibus cum hostibus bellum tibi sit'. »C'étaitremettre entre ses mains le testament du Chartreux. Or, en157 1 , cent ans juste après la mort du Voyant, le neveu dece même Ferdinand, comme lui archiduc dAutriche etarmé de l'épée de l'Église, infligeait à Lépante à la puis-sance Musulmane, un échec dont elle ne devait jamais serelever. -

Les traités de réforme n'eurent pas un sort moins heureux.Entrant dans la pensée de son mattre, D. Blomevenna lesrecueillit en deux volumes in-folio, qu'il intitula Operaminora, et les dédia, l'un au pape Clément VII, l'autre àl'empereur Charles-Quint. Quelques lignes de la dédicacedu premier nous feront voir avec quelle liberté on parlaitalors « Ce que je cherche, V. S. le pressent assurément, carce n'est pas en mon nom seul que je me présente à V. B.,mais au nom de beaucoup, pour ne pas dire de tous. Le ser-vice que nous vous demandons, c'est la réforme de l'Église.Vous êtes le Vicaire du Christ ici-bas, à qui il sera demandécompte de toute âme qui périt; plus que tout autre,vous êtestenu de procurer la gloire de Dieu et de prévenir le scandaledes faibles, qui vont répétant partout que le Pape ne veut pasle Concile, parce qu'il ne veut pas la réforme de sa Cour,et que les Pontifes romains se sont obligés par serment à neplus tenir de Conciles. A défaut de toute autre raison, le

I D. Blomevenna. Epist. dedicat, Le recueil Contra Alcoranu,n, dédiéFerdinand, se compose de cinq opuscules réunis artificiellementles quatre livres contra Alcoranoin r un dialogue qui a formé

depuis le 5' livre; 3' la lettre aux princes'; 4 les deux dernières ré-vélations, qui y furent ajoutées après coup; 5 un petit traité, Contrapilla superstition tint, qui date duvoyage de Denys en Allemagne avecle Cardinal de Cusa. Voici sur ce livre le jugement de Gérard de Buscot Primus liber notabilis multorn est ab art. xl osque in finem, et quartuscirca finem proecipue, theolo'iam devotioncmque prœ ceteris redolet,»

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souci de votre réputation doit vous engager à convoquer cetteassemblée, car pour peu qu'elle tarde encore, vous serez in-failliblement regardé comme le plus grand obstacle à la ré-forme... Et pourtant où trouver dans l'Église quelque chosequi ne soit pas souillé et corrompu? Reste-t-il une lueurd'intégrité dans les ecclésiastiques, de noblesse chez les puis-sants, de loyauté dans le peuple? Tout est gâté et renversé;de la tête aux pieds, tout n'est qu'une plaie. Le mal est sigrand qu'aucune initiative privée ne peut le guérir il fautl'effort de tous , pour éteindre l'incendie qui dévore l'Église.C'est pourquoi, tout le monde réclame un Concile, « clamantpro Concilio universi... » Quant à la manière de procéder àcette réforme, notre B. P. Denys, qui durant sa vie fut initiéaux secrets de Dieu et versé dans toutes les sciences sacrées,l'a nettement déterminée. En effet, pour remédier à la cor-ruption déjà sensible à son époque, il a tracé pour chaqueétat les règles propres à le ramener à la perfection de soninstitution. Ces ouvrages nous Vous les offrons, T. S. Père,afin de concourir pour notre part, à ce grand oeuvre du ré-veil de l'Église 1 . » - Même langage à l'Empereur si on apris la liberté de lui offrir ce volume,c'est parce qu'il contientle remède aux maux dont souffre l'Église, et que S. M. ytrouvera une lumière et un encouragement pour l'oeuvre depacification et d'union qu'elle a entreprise'.

Blomevenna ne vécût pas assez pour voir la réalisation deses espérances, et lorsque le Concile tant désiré se réunitenfin, il reposait depuis neuf ans dans le cimetière de sachère maison de Cologne. Mais la tradition du zèle cartusienn'était pas morte avec lui. Son successeur, D. Gérard Fiarn-montanus, continua son oeuvre. En plein Concile, reprenantencore une fois ces traités de réforme, il en fit un triage, etde ceux qui lui parurent les plus importants, composa unvolume, qu'il dédia sous le nom d'Opera insigniora, à l'undes Pères de l'auguste Assemblée, Gebhart de Mansfeld, ar-chevêque de Cologne, «afin qu'il fût bien constaté aux yeuxde tous que Denys avait voulu, autant qu'il était en lui, ra-mener tous les états de la société chrétienne à la perfection

I Epist. dedicat. D. BIomevenn- Oper. miner., t. I. Colon., 1532.

2 Epist. dedicat. D. Blo,nevenn. Ibid., t. IL. Colon., 1532.

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que leur assignent les lois divines et humaines'. » Quel futle fruit de tant d'efforts, et jusqu'à quel point l'assemblée&inspira-t-elle de ces opuscules, c'est ce que nous ignorons;mais il ne serait pas sans intérêt de .compaitr les projets deréforme du Chartreux avec l'oeuvre définitive du concilede Trente.

Avant de quitter l'écrivain, qu'il nous soit permis de luiconsacrer encore quelques lignes. Tout homme ici-bas a samission, les Saints et les Docteurs plus encore que les autres:quelle a donc été la mission du Docteur extatique? Préparer,croyons-nous, les voies au monde qui allait naître. Placé parla disposition de la Providence, à une époque de transitionsla fin du Moyen-Age et de ses institutions, il a été chargéde faire en petit dans sa sphère d'action ce que fit autrefoisMoyse : aider l'Église à passer la mer Rouge. Pendant qua-rante ans Dieu l'élève jusqu'à lui dans la prière et lui dévoileles vices de cette organisation destinée à disparaître en hautune autorité compromise, au milieu une science hautaine ettoujours prête à la révolte, en bas la corruption, partout unetendance prononcée à s'affranchir de la tutelle maternellede Rome si chère aux siècles précédents, le commencementde ce travail de fermentation qui aboutira à la rupture quel'on sait. Puis par-delà la mer et le désert, il lui montrel'Église régénérée et reprenant dans d'autres conditions samarche séculaire. Pendant quarante ans aussi, au sortir deces entretiens divins, le Chartreux, dans l'obscurité de sacellule, s'acharne â rédiger le code de cette société qu'il nedoit point voir; il résume pour elle toute la science théo-logique et mystique du Moyen-Age, et dresse un règlementde vie pour tous, depuis le Pontife jusqu'au dernier du

I Epist. dedicat. t). Hammontani. Oper. insignior. Colon., i55g, Dansune sorte de classification placée en tête de l'ouvrage, Hamniontanusnous révèle les idées qui l'ont dirigé dans la disposition de ce volume.11 y ramène tous les traités à trois grandes classes « prima classis...ad clerum, a neuf opuscules, comprenant les devoirs du clergé depuisl'évêque jusqu'aux scolastiques; « altera classis... ad vitm monastictprofessores, » dix opuscules, renfermant les principaux enseignementsde l'auteur sur la vie religieuse; «tertia classis... ad seculares,» trei2eopuscules, envisageant toutes les conditions laïques depuis le prince jus-qu'aux écoliers.

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troupeau. A la vérité, il n'entrera pas dans la terre promise;il ne la verra pas, même de loin 8 car les temps se fontmauvais de plus en plus z il s'éteindra au milieu des pre-mières douleurs de l'Église.

Denys est mort à la peine; mais attendons seulement unsiècle et nous le trouverons à la gloire. Il triomphe vérita-blement dans ce mohde nouveau pour lequel il a travaillé.Ses ouvrages sont partout, on les imprime et réimprime z sesCommentaires sur les Évangiles, 87 fois en 54 ans (1532-z586).; sur les Actes des Apôtres, les Epitres et l'Apocalypse,17 fois en 25 ans (t 53o-i 555); sur saint Paul, 20 fois en

ans (153o-i555); sur les Psaumes, les livres sapientiaux,7 fois en 22 ans (1533-1555); le traité De IV No»issi,nis,3o fois en moins de ioo ans. Beaucoup d'opuscules et d'ou-vrages secondaires obtiennent de la faveur publique, 3 , 4, 5éditions et plus, coup sur coup. Les libraires se les dispu-tent' ; Paris i Venise, Cologné, Lyon, Anvers, Louvain, etc.,entrent en concurrence.

A cet empressement du public se mêle l'approbation dessages. Denys est à leurs yeux un grand savant et un grandsaint, « vit undecunique doctissimus t ,» « eximia eruditioneet vitae sanctimonia celeberrimus , » « devotissimus et do-ctissimus doctor', »' propter insignes raptus et ecstases doetor ecstaticus, mire doctus et mire sanctus » (c librorumgurges' et miraculum scriptoris 6. C'est « un prodige d'éru-dition et de sainteté , , » « dont les écrits, inspirés par, l'Esprit-Saint 1 , » « instruisent l'intelligence autant qu'ils touchent le

I E P i st dedicat. I). }3lomevenna. . In VMosaic. Lcg. libros. Colon., 1534,2 Réponse de la Faculté de théol. de Cologne. in D. Pauli Epistolas.

P?oœmium.S Surius. Adinonitio ad lectorem, ante Opera J. Rusbrochii, Colon., 1552.4 Niereniberg, S. J. Ohms Christ. Madrid, 1665, t. Il, lib I, cap. z, § 33.I Alvarez de Paz. Lie Pila ' spir., lib. Il, part. I, cap. vii.

Th. Raynud, S. J. Ilagiolog. exolic., punct. X, § 1 , 3-4.7 J. Molanus, Nain!. Sanc(orurn Lielgif, xii ihlartii ; Serarius, S. J., in

Job, qust. 15; — Bolland., 24 Julii, pag. 638, § i, n. 8; Corn. n Lapide,in la. XL, 3i; Valer. Andrcte IJibIioÉh. Belgica, p55. 185; Bellarmin, Descript. Eccles., ad annum 1450; Mineus, Elog. illusir, Bdgii script.;Sixte de Sienne, BibIiolh. Sanct. ,, pag. 279; etc.

S Blomevenna. Epist. dedicat. Cbmrnent. Dionys. in /VProph. Colon.,5534.

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coeur 1 , » « une perle précieuse, le modèle achevé des soli-.taires 2, » « un auteur merveilleusement expérimenté danéles voies mystiques 3 , » o et qu'il faut toujours avoir, entrelés mains 4 , ' un fils dont l'Église doit être fière t ; » etpour tout dire en quelques mots, car nous n'avons pas laprétention d'être complet, « le premier auteur du temps, sanscontredit', s « dont la Germanie a droit de s'enorgueillir,car en science et en vertu il n'a peut-être pas d'égal depuisla création du monde quantum vix ulla actas protulit, ullagens, ab orbis ipsius fabricatione

Sans doute, nous savons tout ce que la rhétorique peut re-vendiquer dans ces éloges, et nous les enregistrons avec hu-milité ; mais il n'en reste pas moins démontré que le xvie etle XVII 0 siècles ont placé Denys au nombre de leurs maîtrespréférés. Ne serait-ce pas qu'ils se reconnaissaient en lui eavaient conscience de ce qu'ils lui devaient? Oui, il noussemble que le Chartreux peut sans injustice réclamer pourlui quelques-unes des merveilles de cet âge qui s'abreu-vait si largement à sa source. Tous les rêves et toutes lesaspirations de son coeur d'apôtre, tout ce qu'il avait sollicitédans sa prière extatique et préparé par son labeur obstiné,n'était-il pas là réalisé et vivant? La puissance Musulmaneavait été arrêtée à Lépante, la papauté réhabilitée, la sciencesacrée renouvelée par la grande école théologique et mys-tique du xvi 0 siècle, et, à la suite du concile de Trente, une

i Joann. Romberch. O. P. En tête du Comm. de Denys sur les Psaumes.

2 Alvarez de Paz, op. cit., lib. li, part. 1V, cap. xxxi,.3 Schram. O. S. B. Institut. theol. m ysi. Augsbourg, ' i778, tom. I, pag. 8.4 S. F. de Sales. Introd. d la p ie dévote, part. Il, chap. xvii.5 0. Raynald. Annal. Eccles., t. XIX, ad annum 1471, n. 83.

Arnold .Eostius. De illnstr. p ins O. Carlus., 'cap. xxix. C'est en-core, de nos jours, l'opinion de Mol I « Denys Je Chartreux, dit-il,excella au-dessus de tous ses confrères, les auteurs contemporains, parsa science encyclopédique, sa solidité théologique et ses vues profondessur les besoins de la Chrétienté de son temps. Ajuste titre ses contempo-rains honorèrent en sa personne un exégète érudit, nullement étrangeraux belles-lettres ni à la philosophie, un excellent orateur, pour auta,iique le lui permettait un organe un peu embarrassé. II surpassa le plusgrand nombre en ce qu'il sut allier habilement les études scholastiqueet mystiques. » Joann. Brugman, t. 1, pag. 71.

Th. Bozius, De signis Ecclesitv, libXXlJ, cap. iv, sign. 5i.

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vie nouvelle infusée dans les veines de la société chrétienne:le pieux Docteur dut tressaillir de joie au fond de sa tombe.

Pourquoi donc, dirons-nous avec Loer', pourquoi cetauteur n'est-il pas aujourd'hui plus connu, et que lui a-t-ilmanqué pour conserver jusqu'à nos jours ce magistère in-contesté dont l'avaient investi les âges précédents? Hélas!comme tant d'autres, il a été victime des circonstances : -Victime de cette loi du progrès qui relègue à l'arrière-planles anciens ouvrages pour faire place aux nouveaux. « linous faut une vertu non commune, dit à de sujet le P. Cas-sani, pour nous persuader que nous ne valons pas mieux quenos pères, et nous nous contentons généralement de lire lesmodernes, sans réfléchir que c'est une erreur de s'attacheraux disciples à l'exclusion des maîtres 2 . » - Victime de safécondité qui effraie éditeurs et lecteurs. Depuis deux siècles,en effet, on ne lit plus guère les in-folio, détrônés, Dieu saitavec quel profit, par les compendium; et vingt-cinq volumesin-folio sont un bloc redoutable pour la majeure partie denos contemporains.- - Victime enfin de ses éditeurs; car, ilfaut bien l'avouer, ces éditions de Cologne et de Paris,bonnes généralement pour le texte, ne sont pas attrayantesla lecture en est difficile, les abréviations y sont prodiguéesplus que de raison, les tables sont insuffisantes. Se retrouverdans ces pages compactes, tout d'une venue, sans alinéas,...est, qu'on veuille bien en croire notre expérience, un exer-cice de patience trop p'éiible pour bien des lecteurs. La tâcheprincipale des nouveaux éditeurs devra être de faire circulerun peu d'air et de lumière dans ces fourrés; car, nous enavons la conviction, Denys plus accessible et mieux connureprendrait aussitôt le rang qui lui revient'.

I Vila, cap. vi.2 Cassani, pag. 117,3 M. Mou indique une quatrième cause d'oubli « Parmi les hommes

éminents qui firent au xv . siècle l'ornement des Pays-Bas, Denys occupele premier rang, et on ne saurait comprendre pourquoi- à notre époque,au lieu d'être connu et célèbre autant et plus que son compatriote,Thomas à Kempis, il est relativement oublié, si ses écrits, quelquenombreux qu'ils soient, n'étaient devenus une rareté littéraire.» Joann.Brugtnan. t. I, pag. 71.

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SA VIE PUBLIQUE. SES RELATIONSEXTÉRIEURES.

Il est presque toujours, dans une vie humaine, une saisonprivilégiée où l'on peut se croire, sans trop d'illusion, enpossession du bonheur. Telles furent, pour Denys, les pre-mières années de sa vie religieuse. Libre de se livrer sansdistraction à ses longues prières et à ses chères études, favo-risé de communications célestes, en commerce intime avecles âmes du purgatoire qui venaient chaque soir dans sacellule de reclus', il vécut là ses meilleurs jours. Son style,habituellement si sobre, s'émeut quand il faut redire ces dé-lices de la vie cachée en Dieu. « Oh que vous connaissezpeu, écrit-il à un détracteur de la-vie religieuse, que vousconnaissez peu l'action de Dieu dans les vrais solitaires, ceuxqu'il cache dans le secret de, sa face, loin du tumulte deshommes et de la contradiction des langues, auxquels il parledans la solitude, qu'il introduit dans les bics du silence, dansle jour sans trouble, dans la région de la lumière infinie,dans les visions mystiques et les réalités sublimes de la con-templation et de l'extase, où ils se perdent dans l'abîme del'aimable Divinité et de l'éternelle vérité! Et comme elle estvraie, cette parole de nos Statuts, que nulle part le baptêmedes larmes, la ferveur de l'oraison et les ravissements de l'a-mour ne se trouvent mieux qu'au désert " 1 u

Et après saint Basile, il s'écrie « O vie 'solitaire, vie angé-lique des âmes vivantes, écrin des perles célestes, ton odeursurpasse tous les parfums. Tout ce qu'on dit â ta gloire n'est

I Les relations entre Den ys et les âmes du purgatoire furent très in-times et tiennent une grande place dans le récit de ses biographes. Aufrère Charles van Herck, son servant, qui lu demandait s'il avait vubeaucoup d'âmes, il pouvait répondre, à la fin de sa vie,: Des centaineset des centaines. Welters, pag. 38.

2 Loer. Vita, cap. tic, 13.

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rien, car la langue humaine est impuissante à exprimer ce quetu es. Ceux qui t'ont connue te chérissent, ceux qui t'ontgoûtée chantent tes louanges. Tu es le champ de la batailledivine, le théâtre du combat spirituel, le champ clos desforts. O cellule, école de la céleste doctrine, maîtresse desenseignements divins, paradis de délices où fleurissent leslis immaculés de la chasteté, les roses empourprées de lacharité, les violettes odorantes de l'humilité, qui toujourscachées, échappent au souffle des vents ennemis; échelle deJacob qui fait monter les hommes au ciel et descendre lesanges sur 1a terre t»

Mais ces beaux jours devaient avoir un terme. « Commeune lumière ardente, dit le P. Cassani, déborde de l'étroitlocal où on voudrait la confiner, la vertu du solitaire se ma-nifestait au dehors. Ses ouvrages qui allaient se multipliantet se répandant 2 , lui avaient acquis peu à peu dans le mondesavant la réputation d'un conseiller aussi docte que saint, etlui avaient attiré des relations qui compromirent le silencede sa cellule. Aussi, pour concilier, dans la mesure du pos-sible, la paix du cloître qui lui avait été confié, et l'intérêtdes âmes qui venaient y chercher lumière et consolation, lePrieur de Ruremonde appela le théologien à l'administrationtemporelle de la maison'. « A vrai dire, nous croyons peu àson habileté financière, et si quelques-uns de ses biographes,comme Dinbani , ont parlé des heureux succès temporelsde son administration, nous pensons avec Loer qu'il fut plusoccupé du soin d'étendre le royaume de Dieu et d'édifierles âmes que du désir d'augmenter les biens du manas-

1 De laitS et proeconfo salit. p itœ, art. XXXII (Oper. ,,,inor., t. il,f' «z Vj). - De via et fine solitarfl, lib. I. art. xx,x (Ibid., f' 458)« O vita solitaria, t'ita feux et sancta, vita divins et libem vita pura etangelica, tu spiendor ani,nn, arnica sapientite, ornamenturn Ecclesi,plenitudo gratue, consumrnatio perfectionis custosque quietis et packs ITe lex attollit, te propheta rniratur, universi qui vere culmen perfectionisapicemque munditie sortiti sont, tuent agnoscunt proeconium. »

2 Ses Commentaires étaient connus à Rome avant l'année 1447, puisqueEugène 1V les avait entre les 'nains, et s'écriait après la lecture de l'und'eux « Ltetur mater Ecclesia qute talern habet (ilium » Ravnald.Annal. Eccles., Rom, t. XIX, ad annum 1471, n. 83.

3 Cassant, pag. 67. Cf. Wetzer et \Velte, Dictionnai,-e de la théologiecatholiq. Traduct. Goschler, t. VI, pag. 197.

4 Op. cil., pag. 35.

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tère. N'avait-il pas écrit d'ailleurs : « Le religieux est obligéde donner le bon exemple à son prochain, selon ces pa-roles de Notre-Seigneur: Que votre lumière luise devant leshommes. Pour cela il doit montrer de la miséricorde dansses sentiments, de la bonté sur son visage, de l'humilité danssa contenance, de la modestie dans sa conversation, de la pa-tience dans la contradiction. D'où l'on peut conclure que lereligieux aura d'autant plus de gloire dans le ciel qu'il auraédifié plus de monde, et à l'inverse qu'il sera , frappé d'unecondamnation d'autant plus.grave qu'il aura scandalisé da-vantage. Donc, celui que son emploi destine à vivre sous lesyeux d'une Communauté, doit par-dessus tout s'attacher àêtre exemplaire, et, comme un ange de paix, s'efforcer d'en-lever le scandale de la maison de Dieu 1 . »

Exemplaire, le nouveau Procureur'de Ruremonde le fut.En contact journalier avec les Frères convers, les domes-tiques, les ouvriers, les étrangers, il s !attacha à distribuerautour de lui, selon la capacité de chacun, la surabondancede vie spirituelle qu'entretenait en son coeur la pratique del'oraison:

De cet apostolat quotidien les historiens nous ont con-servé un trait frappant. Parmi les fournisseurs de la maisonse trouvait un Juif instruit dans sa religion et très attaché àsa croyance, du reste esprit droit et coeur honnête. Denysl'aimait pour ses qualités personnelles, et déplorait l'aveugle-ment qui le tenait éloigné de la vérité il entreprit de leconvertir, et par ses prières et ses exhortations, il y réussit.Le Juif ne fut point ingrat : à son baptême, qui eut lieu so-lennellement à la cathédrale de Ruremonde, il prit le nomde Denys. Bien plus, changeant jusqu'à son nom de famille,qui est resté inconnu, il voulut, en l'honneur de son pèredans la foi, s'appeler Denys Dionysii. La famille Dionysii s'estmaintenue honorablement à Ruremonde jusqu'à nos jours,et son dernier représentant, Jean-Michel Didnysii, graveurtrès estimé, est mort le i Décembre 1859, l'âge de 65 ans'.

I De professione monast, art. Ix. Oper. insignior., pag. 402.2 Welters, pag. 3o. - La procure de Denys fut, si nos conjectures sont

fondées, signalée par un succès beaucoup plus important. Dès l'année 1456,par les intrigues des ducs de Bourgogne, la mésintelligence s'était mise -.entre le duc Arnold de Gueldre et ses sujets. En 1458, à l'instigation de

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Cette conversion, au milieu de beaucoup d'autres moinsretentissantes, valut dans la contrée, au Procureur de Rure-monde, un redoublement de popularité. Beaucoup voulurentprofiter de ses lumières et se mettre, sous sa direction, et cefut bientôt dans sa cellule un tel concours de consultants.etde visiteurs, que le temps lui manqua pour ses exercices spi-

la ville de Nimàgue, Adolphe, ils aîné du duc, se révolta contre soitmais poursuivi et assiégé dans la forteresse de Venloo, il fut réduit, aubout de 4 mois, à solliciter un accommodement. Dans ces tristes con-jonctures, Arnold eut recours â son ami et oracle ordinaire, Den ys leChartreux. Le 5 Janvier 1459. pendant le siège de 'Venloo, il lui écrivitpour lui demander prières et conseils. La réponse du Chartreux nous aété conservée. (Dorland. Chron, Cartus. Colon., ,5o8. pag. 414. Tromby.Storia del P. S. )3runone, tom. 'Vl]l, append. Il, n. cul.) Il y raconteune apparition d'ange, dont il avait été favorisé, et donne les con-seils les plus touchants pour le rétablissement de la paix. S'en tint-illà? D'après les historiens de la Gueldre, trois Chartreux jouèrent unrôle considérable dans l'oeuvre de la réconciliation les Prieurs deRuremonde et de Gaesdonk, qui reçurent pour leur peine, chacun unquartaut de vin (Registre de la ville de Geldern, année 1439), et un Pro-cureur de Ruremonde, qui n'est pas nommé, mais dont l'intervention futdécisive « Item il faut savoir que le Procureur de Ruremonde, de l'ordredes Chartreux, qui est venu à Vonloo pour y traiter des aflires de soncouvent, a rencontré mon damoiseau (mijnen joncker, c'est-à-direAdolphe) près de trois semaines avant ce jour, et qu'il a réprimandé cemême damoiseau sur ses actions actuelles, disant qu'elles étaient impieset déshonnêtes, tellement qu'il a pu annoncer à mon Seigneur (mijnenheren, c'est-à-dire à Arnold) que mon damoiseau voulait rencontrer monSeigneur en secret, ne l'ayant pas vu depuis 3 ans, afin de voir s'ilspourraient se mettre d'accord. Mon Seigneur s'est deux fois dérobé àl'entrevue; mais la troisième fois qu'on lui en a parlé, mon Seigneur ya consenti., (Déclaration du 24 Août 1459, citée par M. J. S. Van Veen,Vcrhaal caner Sa,nenkon,st, etc., dans i3),dragcn en ,ncdedeelingcn vanhal historisch genoolschap. t. XVIII, 1897, pag. 331.)

Disons, pour n'avoir plus à y revenir, qu'à la suite de ces négociationsfut enfin conclue, le 13 Octobre 1459. la convention de Batenburg, parlaquelle Adolphe reçut en apanage le château, la ville et le pays deNimègue, et se condamna à un pélerinage en Terre-Sainte. (Welters,pag. 36.) Mais ce qui fait, â nos yeux, le principal intérêt de cette décla-ration, c'est qu'elle nous permet de fixer une date jusqu'ici inconnuedans la vie de Denys. Nous concluons en effet à l'identification de Denysavec le Procureur de 1459 r parce que Loer attribue à Den ys le rôledécisif que joue le Procureur dans la déclaration (le peuple de Gueldreen était si bien convaincu qu'il lui fit les honneurs de la paix, et luidonna le surnom populaire de « ['homme qui parle aux anges ». Loer,cap. in, 14.); r parce que cette double circonstance de l'apparition del'ange et de la démarche à Venloo était représentée à Ruremonde sous lenom de Denys. Nous croyons en effet qu'il faut rapporter à cette affairedeux tableaux du réfectoire où notre Chartreux étau représenté recevantla nuit la visite d'un ange (Een Bed, verschyns een Engel) et disputantcontre le duc (disputeet tegen den l-Iertogh).

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rituels et que la pauvre Chartreuse y perdit la solitude'. Dèslors, d'après les usages invariables de l'Ordre, la conduite àsuivre était toute tracée Denys demanda «miséricorde 2 », etelle lui fut accordée.

Mais c'est en vain qu'il essaya de reprendre dans la celluleaimée la vie calme de ses premières années, il dut y con-tinuer cette correspondance accablante qui pèsera sur luid'un poids si lourd, jusqu'à la fin 3 . Un admirateur, presqueun contemporain, André Thevet, s'en explique avec sa naïvetéordinaire : « Ce qui rend ce bon Père singulièrement recom-mendable, est qu'encores qu'il fust renfermé dans sa Char-treuse, de toutes parts il recevoit messagiers des plus grandsde l'Europe, qui, quand ilz se trouvoient surprins de doute,ennuy ou fascherie, principallement quand il s'agissoit despointz de la théologie, ou bien de l'administration et gouver-nement de l'Église, ne sçavoient recourir autre part. qu'àRuremonde et, comme à un oracle, s'adresser à Denis, lequelestoit le plus souvent empesché à pacifier les noises, procez etquerèles des princes, ses voisins. Ce grand Cardinal de Cusaestoit contrainct, dès qu'il doutoit de quelque chose, d'inter-roger la bouche de son Denys 1 . » Les récits des biographesmontrent que ce ne sont pas là de vaines paroles, et Denyslui-même, en dépit de son humilité, est obligé de convenirde sa célébrité r Pour enlever aux simples toute occasionde jugement téméraire, dit-il dans le prologue d'un de sesopuscules, j'avais résolu de cacher mon nom; mais on m'afait observer, avec raison je crois, que c'était inutile. Tout lemonde sait en effet que j'ai beaucoup écrit (non obstante,proh dolor I imperitia mea, imo et conversatione nimium

t Cassani, p. 72. Sans compter plus d'une mortification qui apprirentà Denys que tout n'est pas rose dans le métier de conseiller. Voir enparticulier ses rapports avec l'évêque de Liège, Jean de FlcinsbergLaer, cap. tir, 15.

Style cartusien; c'est-à-dire, l'abiolution de son emploi.3 « Non seulement Denys était l'ami de Philippe de Bourgogne et de

son fils Charles le Téméraire, qui s'efforçaient à leur manière de favo-riser la réforme dans l'Église, mais il avait encore les sympathies detous ceux qui, en Allemagne et dans les Pa ys-Bas, appelaient de tousleurs voeux unavenir meilleurpour ta Chrétienté.»Moll.Joann.i3rugisan,t. I, pag. 72.

4 Thevet. Pottrtraits et p ies des hommes illustres. Paris, 1534, pag.1638. Cf. Dûx. t. Il, pag. 52, note.

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defectuosa). Aussi mon nom ajouté à cet ouvrage n'appren-dra rien qu'on ne sache déjà'. »

Parmi ces amis dont les correspondances venaient chercherDenys dans sa solitude, il en est deux qui demandent de nousune attention spéciale, parce qu'ils influèrent sur sa productionlittéraire ce sont le P. Brugnian et le Cardinal de Cusa 2

Vers l'an 1450 vivait dans les Pays-Bas un prédicateur cé-lèbre nommé Jean Brugman. Ce n'était pas un réformateurrévolutionnaire comme il en surgit au xvl e siècle pour lemalheur de l'E'glise, mais, ainsi que nombre de ses contem-porains, Gérard Groot, Thonias à Kempis, Denys lui-môme,il gémissait sur la décadence de l'Église, et cherchait par tousles moyens à ranimer la foi presque éteinte. Né à Kempen(diocèse de Cologne), il entra jeune encore chez les Francis-cains, et devint lecteur de théologie au couvent de Saint-Omer. Dès lors; pendant vingt ans il parcourut les Pays-Bas,annonçant partout la parole de Dieu avec un succès tel,qu'aujourd'hui encore, après quatre siècles, le souvenir deson éloquence s'est conservé dans le proverbe flamand Sivous pouviez parler comme Brugman 1.

Les hasards de ses courses apostoliques l'avaient mis en

I De partie. jud(c. in obi(I singulor., Prolog. Oper. minor. t. 1. f' 536.2 Les catalogues des oeuvres du Chartreux mentionnent des solu tioncsdubiornm sine numero. Toutes sont perdues, à la réserve d'une seule,

De modo judicandi et corripiendi, insérée dans les Oper. ,,tinor. t. Il,f 39, où il répond aux inquiétudes d'un confrère sur l'obligation etla manière de juger et de reprendre le prochain. Mais bon nombre deses ouvrages. saits être des résolutions de cas de conscience, ont étécomposés à la prière d'amis ou de correspondants. La paraphrase deCnssien avait été demandée par les Chartreux de Liège; les traités. Con-(ra a,nbitionen, (Oper. minor., t. I. gag. 444), par un « venerandus senexDe u,odo agendi processiones (Jbid.,pag.5r3V'), par un certain «Amandus,valdc amandus », De partie. indic. in obitu singulor. (Ibid., pag. 534 V'),par un confrère; le Directoriu,n vite nobEl. (Oper. ,ninor., t. 1F, pag. 270),par une « inclyta doinicella » ; les traités. De reformai. claustral, (Ibid.,pag. 362), par un abbé d'un grand monastère, De gaudio spirit. (Ibid..pag. 517), par un « Doctor predignus », etc. D'autres personnes, sansindiquer de sujet particulier, demandaient quelques pages d'exhortationou d'instructioft spirituelle; c'est pour ces derniers que furent écrits lestraités, Contra avarUian, (O p er. miner., t. J!, pag. 348 V'), De rua cIjinesolitar. (Ibid., pag. 447), etc.

2 Welters. Op. cil., pag. Sg. Brugman mourut à Nimégue, en 1473,deux ans après son ami. On a de lui une Vita S. Lvdwinw Schiedamen-sis, et des Considérations sur la Passion. (1-lartaheim. Biblioh. Coton.,pag. 1i3)

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relation personnelle avec notre Chartreux dont il admirait lascience et la sainteté. Rien d'affectueux comme la lettre, l'u-nique qui nous reste de leurs longs rapports, où Denys lui faithommage du traité De doctrina et regulis vitte c/iristianœ.Le Franciscain y est représenté comme un homme de Dieu,digne en tous points de son nom c'est un véritable Jean,c'est-à-dire, vase de grâce, un homme du pont (Brug-man),qui par ses exemples et ses paroles construit le pont qui doitconduire les âmes à travers les flots de la vie jusqu'à la terredu repos. Denys lui recommande surtout la discrétion, lamodération dans ses oeuvres de zèle, par égard pour sa santéqui finira par fléchir sous le fardeau'. Tout en louant labonne intention du Chartreux, nous croyons que ses ex-emples n'étaient pas de nature à donner, beaucoup de poidsà ce conseil.

Brugman avait demandé à son correspondant un ouvragefait expressément pour lui, et qu'il spécifie avec la plus mi-nutieuse exactitude. Dans une première partie, empruntée àla Sainte Écriture et aux Pères, devaient être exposés les de-voirs généraux de tous les Chrétiens, comme Chrétiens; dansla deuxième, il serait traité des obligations spéciales de cha-cun, conformément aux exigences de son état. Et parce quece livre devait fournir à Brugman la matière de ses prédica-tions, il priait son ami de passer rapidement sur les obliga-tions des dignitaires ecclésiastiques, dont il n'avait que faire,et de s'appesantir sur les devoirs du simple clergé et dupeuple 2 . Tels sont l'origine et le plan du traité De doctrinaet regulis vitœ christianœ, « livre qui nous fournit les donnéesles plus importantes pour la connaissance de l'Église d'alors,de la vie ecclésiastique et religieuse, l'état du peuple, les vuesdes personnes éclairées et pieuses, quant aux intérêts et be-soins de la Chrétienté 3 . »

3 De doctrin. et reg. j'itcv christ., pr&fat. Oper. insignior., pag. 3.2 « Is cujus instantia hac scribuntur, illa durntaxat petiit tangi qu

sibi in sermocinationibus suis amplius poterunt deservire. » Ibid., lib. Il,art. cv. Oper. insignior., pag. 26.

3 Welters, pag. 62. - Voici sur ce livre le jugement de Mou « Celivre était pour l'époque d'un prix inestimable, et se lit encore de nosjours avec beaucoup d'édification. » Joann. Bru grnan, 1, pag. 74. «Denvsy met dans la bouche de Brugman le langage le plus approprié à sesprédications populaires. » Kerkgesc/ziedenis, part. If, ii, 124.

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Nicolas Crebs, Cardinal de Cusa, devait avoir avec Denysdes rapports d'amitié plus étroits encore. Tout les rappro-chait la communauté des idées, le même zèle pour la ré-forme de l'Église, le même amour pour la science. A quelleépoque commencèrent leurs relations, nous croyons pouvoiraffirmer que ce fut de très bonne heure 1 Fils d'un pauvrebatelier de Cues (près de Trèves), Nicolas avait commencépar s'enfuir de la maison paternelle où il était maltraité.Grâce à la générosité d'un Comte de Manderscheidt, au ser-vice duquel il s'était placé, il put faire ses études à Deventerd'abord, chez les Frères de la vie commune, puis à Padoue,où il étudia le droit, le grec et l'hébreu, sous la direction dufutur Cardinal Césarini. Au concile de Bâle, il avait d'abordcomme son maître, pris le parti du Concile contre le Papece qui ne l'empêcha pas de devenir évêque de Brixen (Tyrol)et d'être appliqué par les Souverains Pontifes à des missionstrès délicates 2 . C'est ainsi qu'à la suite du grand jubilé de1450, il fut chargé par Nicolas V de parcourir l'Allemagnepour y publier les indulgences jubilaires et organiser uneentente des princes contre Amurat Il, avec,pleins pouvoirsde visite et de réforme sur les personnes et les choses del"Eglise d'Allemagne. La Bulle qui lui confie sa mission estdu 29 Décembre 1450. Le 3i,Nicolasde Cusa quittait Romepour se rendre dans le Tyrol, et dans les derniers jours deSeptembre 1451, après avoir parcouru tous les pays delangue germanique, il arrivait à Ruremonde. -

Quoi qu'il en soit de'leurs rapports antérieurs, l'impres-sion faite sur lui par Denys •fut si favorable, qu'il voulutl'adjoindre à son modeste cortège et ne lui permit plus de lequitter « Quem nec a latere suc, facile passus est longius

1 Campanini (pag. 24) et Dinbani (pag. 55), font du Cardinal de Cusaun condisciple de Den y s de Ry ckel. Cette assertion que nous n'avonsaucun sujet de mettre en doute, nous a permis de résoudre plus haut(pag. ii) une question laissée sans réponse par les biographes. NicolasCrebs n'a fréquenté, dans les Pays-Bas, que l'école de Deventer. Ilentra en 1417 ou 1418; or nous avons vu Den y s quitter Saint-Trond en1415, pour une école meilleure qu'il ne nomme pas, mais ou, l'on appre-nait la philosophie et les rudiments de la vie religieuse. Cette écoleserait alors celle de Deventer. Le D' Scharpif (Nicot. j'en. Cusa, pag. i6o,note z) se range à cette conclusion. Cf. également Dûx, t. II, pag. 52, note.

2 Voir dans Raynaldi, an. 1454, n. 10, et 1455, n. 27, l'estime professéepour l'évêque de Brixen par les papes Nicolas V et Callixte III.

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abire; non enim tanto munere sperabat se rite defuncturum,nisj illius juvaretur consiliis, cujus eximiam virtutem recon-ditarnque doctrinam secunda late fama celebraret 1. » LeChartreux se trouvait là en bonne compagnie, car le Car-dinal s'était entouré d'hommes d'une vertu et d'une capacitééprouvées, qui l'aidaient de leurs conseils et le suivaientpartout. Toutefois, au milieu des honneurs et des ovationsprodiguées au Légat et à sa suite, rien n'était plus simple queson cortège. Modestement monté sur une mule, sans autresigne de sa dignité qu'une croix d'argent que lui avait donnée

I Gasp. !lartzheim, S. J. Fila Nicul. de Case, Treviris, 1730, pag. uS.—Nous avons suivi le récit du D' Uebinger (Kardinal NicoL Cusanus in- Dculschland, dans l'Historisches Jahrbucli de iMunich, 1887, t. VIII,fasc. , pag. 65g) qui place la réunion du Cardinal et de Denv5, à Rure-monde, le 25 Septembre 1431, et restreint par conséquent le vo yage dece dernier à quelques mois (Octobre 1451-Février 452). Mais cette com-binaison présente quelques difficultés. Nous avons vu qu'on peut sansinvraisemblance attribuer aux démarches de Denys la légatidn du Car-dinal. Cette mission était fort délicate, tout le monde le reconnaît; aussile Légat eut-il soin de s'entourer des hommes les plus capables de l'ai-der de leurs conseils. A sa suite on vit quelque temps saint Jean deCapistran (Scharpif, op, rit,, pag. Go)'; mais celui qui semble avoirattiré plus spécialement l'attention des historiens, c'est Denys. «Habebatin comitatu sun doctrina et virtute admodum excellentes, quos inter juremerito recenseri debet Von. Richelins. » Gasp. Flartzheim, pag. '14;Scharpil', pag. uGg; Dax, t. II, pag. 29; Pastor, t. Il, pag. 97; etc. EtJiartzheim ajoute, d'après Barth. Fiser,, cette phrase citée plus haut,« que le Légat ne croyait pas pouvoir mener â bien son entreprise, s'ilne l'avait sans cesse à ses côtés. » Comment s'expliquer alors qu'aveccette conviction il ait laissé passer g mois, c'est-à-dire la plus grandepartie de sa légation, sans l'appeler auprès de lui? Aussi, sans allerjusqu'à prétendre avec le P. Cassani ( p. 75) que le Cardinal ne consentità accepter sa légation qu'à la condition de pouvoir s'adjoindre DenysJe Chartreux, nous croyons avec Scharpfl qu'il le manda près de luidès le début, et que l'excursion de notre auteur en Allemagne dura, nonP as 4 ou 5 mois, mais 4 mois environ. Nous savons aussi que son séjourauprès du Légat ne fut point continu. A plusieurs reprises, il obtint laPermission de venir se retremper â Ruremonde dans le recueillementde la retraite; mais le Cardinal ne le laissait partir ni volontiers ni pourlongtemps. (Cassani, pag. ci.) -

Denys n'est -ni le seul ni le premier Chartreux qu'on ait tiré de soncloître pour l'appliquer au service del'Église. Précisément vers la mêmeépoque ) le 28 iMai 18, Nicolas V élevait à la dignité de Nonce du Saint-Siège et de Collecteur général de la Chambre apos

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l ique aux royaumesd'Espagne, un simple convers de Porta Coeli, Jean de Néa, son amid'autrefois, aux jours où il suivait la cour des rois d'Aragon. Sur ce-re-ligieux et ses rapports d'amitié avec Thomas de Sarzana (Parentucelli),voir .Epluernerid. 0.-Garnis., XIX Octob;, et Tromb y, op. cil., t. VIIIappend. Il, n. cLxx.

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le Pape, il refusait tout présent et descendait de préférencedans les monastères, où il assistait aux offices et aux autresexercices de la Communauté. Denys se fit le plus humble decette humble cour. Pour échapper à l'ennui des réceptions,il s'esquivait autant que possible; à l'entrée des villes, et ga-gnait un couvent, où il allait voir la bibliothèque et de-mandait une petite chambre pour travailler et prier. Ses deuxprincipales occupations, à la suite du Légat, semblent avoirété la visite des monastères et la recherche des pratiques ma-giques et superstitieuses alors très en vogue2.

•Du reste il n' y avait pas que des honneurs à recueillir surla route, pour les compagnons du Cardinal. Nul n'ignorela situation de l'Eglise d'Allemagne à cette époque idéesanti-romaines, tendance vers le schisme, attachement auxprincipes du concile de Bâle relâchement plus ou moinsprofond 3 . La mission réformatrice du Cardinal rencontraitune grande résistance, et il en résultait des scènes-souventtrès vives 1. -

Parti de Ruremonde vers la fin de Septembre, le Légat etsa suite allèrent à Cologne, pour terminer le débat entrel'archevêque et le clergé de Clèves, qui refusait les subsidesexigés par le prélat. Ils s'acheminèrent ensuite, par Aix-la-Chapelle, Herkenrode, Saint-Trond, Maestricht, vers la villede Liège, qui avait sollicité une visite du Cardinal, jadis sonarchidiacre, et qui lui ménagea une entrée triomphale, le13 Octobre. Par malheur, le clergé de Liège ne persévérapas dans ces premières dispositions. La perspective des ré-formes possibles réveilla toutes les appréhensions. Aussilorsque le surlendemain le Cardinal les admit en audiencesolennelle, tous se levèrent et déclarèrent qu'ils consentaientà le recevoir comme ami, mais non comme Légat. Des pa-roles amères furent prononcées, et l'irritation devint telle, que

.1 Hoc unum isthc el lihertas contulit, ut quod alias neutiquam li-ctiisset, vetustas librorum oflicinas coenobiaque inviseret. » Préf. deTh. Loer sur le commentaire des Prophètes.- 2 C'est à lui que le Légat confia la conversion et la direction dunemagicienne célèbre, nommé Gebula (Sybille). Loer,'cap. ii, n: 'o.

3 Pastor, Hist. des Papes, t. Il, pag. q45.4 Voir Scharpfï, Der Kardinal tend BischofNico!. Cusa, Mayence, 2843,

pag. 176; Dax, Der deutsche Kardinai von Cusa, Ratisbonne, ,847,t. Il,pag. aS, et l'article déjà cité du D' Uebinger.

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le Légat, abandonnant la ville, se retira àla Chartreuse, oùses meilleurs amis n'osèrent môme pas venir le saluer. « Dansces circonstances, dit DÇix, le Cardinal dut trouver de la con-solation dans l'assistance que lui prêta son noble compa-gnon, Denys le Chartreux, qui fit entendre à l'évêque uneremontrance pleine d'une liberté tout apostolique'. » Enfinaprès deux jours de pourparlers inutiles, le Cardinal, renon-çant à triompher de la résistance; quitta définitivement laville. Il laissait derrière lui une lettre grave et forte, où ilrévoquait toutes les concessions d'indulgences qu'il avaitaccordées aux Liégeois.

Pour la consolation de nos lecteurs nous devons ajouterque l'opiniâtreté du clergé de Liège ne tint pas contre cesrigueurs. Trois mois après (Janvier 1452), comme le Cardinalet sa suite revenaient de Bruxelles à Cologne, on se porta encorps à sa rencontre. Tous demandaient pardon pour lepassé et promettaient de s'amender; beaucoup avaient déjà -pris l'initiative. Dans ces conditions on devine que la paixse fit facilement. Le Légat très ému, ouvrit ses bras à cesfils repentants : le passé était oublié, et selon la remarquenaïve de l'historien, on s'aima plus qu'auparavant-.

Nous ne suivrons pas nos voyageurs dans leurs courses àCues (23 Oct. - Novemb.), où le Cardinal posa la pre-mière pierre du grand hôpital Saint-Nicolas, construit à sesfrais, et qui conserve encore en partie sa bibliothèque, ni àBruxelles, dans cette tentative de passage en Angleterre, poury traiter, au nom du Pape, de la paix entre la France et laGrande-Bretagne. Ils furent reçus avec honneur par le duc

I DUx, t. Il, pag. g; Scharpff, pag. 177 Le OE Pastor dit aussi« Parmi ceux qui accompagnaient le Cardinal, se trouvait un hommeconnu pour sa vaste érudition, mais plus encore par la sainteté de savie, un homme véritablement enflammé de zèle pour la réforme desmaisons religieuses, le célèbre Chartreux Den ys van i,eewis. Il soutinténergiquement le Cardinal dans l'accomplissement de sa tâche si diffi-cile; nous en avons une preuve dans son discours à l'évêque de Liège. »Hist. des Papes, t. FI, pag. 97. Tous ces historiens font allusion à la scèneracontée par Laer (cap. iii, n. iS, 16) et par RayÀaldi (an. É452, r,. iS) etqu'ils placent à lkuremonde. il nous semble qu'il y a dans le récit de Laerdes détails incompatibles avec l'application qu'on en fait ici.

2 Adrianus de Veteri-Busco, De rebus Leodiens. etc.; apud Matière,Ampliss. colleci. t. IV, col. iaog; et Corn. Zantfliet, Chronicon, ibid.t. V, col. 475.

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de Bourgogne, Philippe le Bon, qui les dissuada d'aller plusloin, probablement parce que leur mission était rendue inu-tile par celle du Cardinal d'Estouteville 1 Mais nous ne sau-rions passer sous silence la part qui leur revient dans lesdécisions des conciles provinciaux de Mayence (14 Novemb.—3 Décemb.) et de Cologne (23 Février - 8 Mars 1452). Cesdécrets donnent une idée assez pittoresque du temps obli-gation pour les clercs de porter la tonsure, des vêtementsdécents; injonction aux Juifs . de porter une rondelle jaunesur la poitrine, et aux Juives deux raies bleues sur leur voile;défense d'exposer leSaint-Sacrement sous un verre « in mon-strantiis » à la vue du peuple, sauf pendant l'Octave duSaint-Sacrement; etc. 3 Mais où nous croyons retrouver l'in-tervention personnelle du Légat et de son ami, c'est dans ledécret final portant qu'à chaque synode diocésain lecture serafaite de l'excellent traité de saint Thomas, De articulisfideiet .Ecclesiœ sacramentis, et qu'un exemplaire en sera dis-tribué aux desservants de toutes les églises paroissiales'.

C'est par ce dernier voeu que se termine la mission duCardinal, mission de paix et de lumière, le chef-d'oeuvre,comme on l'a appelée, d'une vie d'ailleurs si bien remplie.Le Légat etsa suite y déployèrent toutes les qualités et toutesles vertus. Sans doute ils ne purent sauver l'Allemagne, lemal était trop profond; mais il y eut comme une halte surla pente fatale, et l'on a remarqué que les monastères qui sesoumirent aux réformes du Cardinal, traversèrent sans faiblirles épreuves du xvI e siècle 5 . Les deux amis se séparèrent

I La légation du Cardinal de Cusa avait été étendue à l'Angleterre parune 13ulle du 15 Août 1451. On verra plus loin (pag. 62, note.) l'intérêtque présente cette d5te pour notre sujet.

2 C'est, dit Fleury, la première fois qu'il est question de ce genre deculte. Ilisi. de I'Eghse, liv. tin, t. XXII, pag. 554.

3 Pour les détails voir Labbc,ConCil. gen. t. XIX, pag. 113 et 145.

4 Saint Thomas. T. XXV]I, Pag. 170. Édition Vivês. Selon Denys,toutebibliothèque de prêtre devait renfermer le Livre des sacrements, un lec-tionnaire, un antiphonaire, un livre des baptêmes, un Comput, les Canonspénitentiaux, le Psautier, un livre d'Homélies pour tous les Dimanches etfêtes de l'année, les Statuts diocésains et les Légendes des Saints. «Exquibus omnibus si unum defuerit, sacerdotis nomen vix in eo constare

• poterit. » De p ila archïdiac., art. xvi. Oper. ,ninor., t. 1, f' 406. De pUacurat., art. viii. Ibid., f 475.

5 Pastor, t. Il, pag. 114, note j . - -

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pour ne plus se revoir en ce monde; mais chez tous deuxune estime profonde survécut à la séparation, « et entre euxs'établit dès lors un commerce épistolaire très suivi, dont lestraces n'ont pas entièrement disparu '

Cette excursion rapide sur un terrain qui n'était pas le sienfut très utile à Denys. Il y puisa de nouvelles lumières etdes connaissances pratiques qu'il utilisa plus tard. Pour lesbesoins de la visite, il avait composé les traités De munere etregimine Lcgati t, De refonnatione claustralium, De reforma-tione monialiuni, Contra vitia superstitionis. A la prière duCardinal et pour lui, il écrivit son ouvrage Contra perjidiamMahometi 1 , et une explication de certains passages difficiles

I Uebinger, loc. cit. pag. 660. Ici encore nous nous permettrons d'é-largir les données de cet auteur; et de croire que les relations épisto-laires des deux amis étaient antérieures A 1452. Le Catalogue de Loermentionne(vers la fin) « Epistolm multa ad Cardinalem de Cusa,. D'autrepart, Possevin, en i6o6, signalait un certain nombre de lettres du Car-dinal à Denys « Dionysius de Ryckel... ad quem Nic, Cusm Card. vindoctissimi, plures exstant epistola. » Apparat. sac. Nais de cette volu-mineuse correspondance il ne reste aujourd'hui, à notre connaissance,que deux lettres de Denys, en tète du Â1'anopanon et du traité De causadip ersitatis epentuum humanorum; et dans les oeuvres du Cardinal,deux brèves mentions de Denys, l'une dans la préface de la CribratioAlcorani l'autre dans une lettre inédite de la bibliothèque de Munich.Cod. lat. ]g697, n. '80.

2 Aujourd'hui perdu.3 Le Cardinal de Cusa a laissé également une Cribratfo Alcoranj, sur

laquelle Scliarpff (Der Kardin. pan Cusa ais Rej'orn;ator, Tubingue, 1871,pag. 248) fait cette remarque: « Après la prise de Constantinople, le PapePie Il avait projeté d'écrire un ouvrage considérable où il démontreraitau Sultan l'erreur du iMahométisme et la vérité du Christianisme. LeCardinal, fixé à Rome depuis le mois d'Avril r4fo, fut invité à lui fournirdes matériaux. » La dédicace de la Cribrafio ne laisse autun doute àcet égard : « Recevez ) T. S. Père, ce livre d'un de vos plus dévoués ser-viteurs..luisque, à l'exemple du saint Pape Léon, qui transperça duglaive de la parole apostolique l'hérésie nestorienne, vous voulez dé-montrer la perversité de la secte mahométane, je vous offre ce livrecomme une contribution nécessaire à la prompte réalisation de votreprojet. » Le Cardinal ne se contenta pas de son apport personnel; danscette rnéme dédicace il signale au Pape le travail de son ami : « Demumconcitavi fratrem Dionysium Carthusianum ut scniberet contra Alchoranqui fecit et misit opus suum magnum Nicolao Papœ. » Les deux auteurss'étaient partagé le travail, car les deux oeuvres ne font pas double em-ploi. A Denys est échue la tâche de démolition: il démontre la faussetédu Mahométisme par les erreurs philosophiques et théologiques qui pul-lulent dans le Coran. Le Cardinal s'était réservé le travail de recons-truction : « Ego ingenium applicui, dit-il de son oeuvre, ut etiam exAlchoran Evangelium verum ostenderem. » (De cribrafione, Prkefat.) Et en

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de Job, De causa diversitatis eventuutn hurnanorum. Enfin,c'est encore à l'évèquede Brixen qu'est dédié le Monopan-ton, sorte dé codification de la- doctrine de saint Paul tiréede ses différentes Épître •

effet il s'appuiesur tous les aveux échappés à Mahomet pour démontrer lavérité de la foi chrétienne. C'était, dans ses deux parties, l'oeuvre rêvée -par Pie Il. Le Pape mourut trop tôt pour conduire à terme son projet,et il a manqué à la gloire du Chartreux de devenir le collaborateur d'unPape. - Si, comme il est croyable, le traité Contra perJidian Mahonzelifut un des fruits de l'entrevue de 1452, il faut en placer la compositionentre les années 1452 et 1455.

I « RR. in X Patri ac ft' D Nicolao de Cusa, S. R. E. Cardinali prœ-claro et nunc S. ac Ap. Sedis Legato de latere per Augliam atque AI-maniam, patri oc prmceptori in syncerissimœ charitatis visceribus cor-dialissime prdilecto, E. Dion ysius Cartusiensis subjectionem hurnilli-mam, et quidquid servitus et oratio poteront peccatoris; » Cette dédicacenous donne la date de l'ouvrage. Nicol. de Cusa fut élevé au Cardinalaten iH8 il devint Légat pour la deuxième fois en Allemagne, en Dé-cembre 1450, et en Angleterre, le 15 Août 1451. C'est donc entre cettedernière date et le 8Mars 1452, que lui fut offert le Monopanton.

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DENYS A BOIS-LE-DUC.

Denys recommençait à goûter les charmes de la solitude,lorsque la Providence lui ménagea une nouvelle épreuve.Un Chanoine de Bois-le-Duc', désirant consacrer à Dieu lepetit domaine que lui avaient légué ses ancêtres, l'offrit ausaint Chartreux, dont il vénérait la science et les vertus, pourqu'on y établît une maison nouvelle. L'Ordre avait alors pourGénéral un Hollandais, D. Jean Rosendael il accuellit avecjoie les propositions du Chanoine. Le duc de Bourgogne,Charles le Téméraird, de qui relevait le pays, admirateur deDenys et ami des Chartreux,se prêta de grand coeur à l'érectiond'une Chartreuse en l'honneur de sainte Sophie de Constanti-nople 2 La chute encore récente de cette ville avait laissé danstous les coeurs chrétiens un amer ressouvenir; de plus le Duc,plus expert en faits d'armes qu'en science hagiographique,prenait sainte Sophie (Sophia, la Sagesse éternelle) pour uneVierge martyre, et lui avait voué la plus naïve comme la plustendre dévotion'. Rarement une fondation s'était présentéesous de meilleurs auspices, et l'on pouvait envisager l'aveniravec confiance lorsque notre Chartreux fut chargé de cons-

1 Voir Gerardus Eligius. Annales Cartes, S. Sophia', § X. (Ms. de labiblioth. de la Chartr. de N.-D. des Prés.) Ce Chanoine s'appelait Lu-doiphe van den Waeten. Raissius. Origin. Cartus. Belg. Duaci, 1632,pag. 128. lI se fit ensuite Chartreux.

2 On peut lire dans Raissius (pag. i3i) et dans Trombv (Storia delP.S.jJru,,o,,c Napoli, 1779, t. IX, append. I, n. xxviii), le Libelles supplexde Deny s au Duc et ]a réponse laconique de celui-ci « Fiai ut petitur,in honorem S. Sophite Constantinopolis civitatis. Charles. » Le fondateuravait l'intention de dédier la nouvelle Chartreuse A sainte Marie l'Égyp-'tienne; mais le désir du prince l'emporta. Le Téméraire par affectionpour Den ys, avait voulu se constituer le protecteur de la maison en fon-dation il permit aux Chartreux de faire sculpterles armes de Bourgognesurie portail, et promit de lui venir en aide plus efficacement, dès queles circonstances le lui permettraient ; mais sa mort prématurée renditsans effet toutes ses promesses. G. Éloi. Annales, § IN.

3 Welters, op. cil., pag. 36.

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truire et d'aménager la nouvelle Chartreuse 1 . Grand fut doncson désappointement en recevant des mains du pieux fonda-teur un terrain assez exigu, fortement en pente au flanc d'unecolline, privé d'eau, et pour comble traversé par une granderoute très fréquentée.

Ce n'était pourtant que le début de ses mécomptes, et ilfaut lire dans l'annaliste les péripéties dramatiques de cetteentreprise. Ce premier établissement à 011andi (011andia)succomba au bout d'un an aux inconvénients de sa position.On se rendit un peu plus loin à Eyckendonck (Querbetus),vallée marécageuse où, selon l'historien, se voyaient encoreles traces du déluge, des forêts souterraines (tourbières), etdes eaux si abondantes qu'on faisait en barque le tour despropriétés, e et erant pro mcenibus undœ ». 11 fallut y trans-porter pièce à pièce tous les matériaux de l'ancienne cons-truction, e quœ integra, integra, et quœ convulsa, convulsa;lapides in primis sanctuarii, quia sanctificati Domino, sepa-ratim, non tumultuarie sicut cetera, deportati surit ». Puis,sur ce sol mouvant et fangeux, à force de fossés, de canaux,d'aqueducs, de travaux de drainage de toutes sortes, aprèsbien des murs éboulés et reconstruits, au prix de fatiguesinouids, on réussit à faire tenir debout six cellules et unechapelle que le saint Recteur inaugura par une extase.

L'état présent de la Communauté n'en demandait pas da-vantage. Mai s cette Communauté si chétive,que de peines pourl'entretenir! On manquait de tout. «Vidisses , continue l'an-naliste que nous aimons à citer dans sa langue, parce qu'ill'écrit avec une rare élégance, e virum inf'ulis dignum, et adquem reges et principes provinciarum respiciebant, ad quem

I La lettre du R. P. Général qui instituait Denys Recteur de la nouvellemaison est (d'après l'annaliste) au 3 Juillet 1466. « Quia nova plantatioindiget uiio bono Rectore, auctoritate nostra et cuns consilio totius Do-mus nostra, constituimus in Rectoreni dict.t novie plantationis D. Dio-n y ium, qui in dicta nova plantatione a principio laboravit, et prie este-ris facta ejus cognoscit panier et intelligit. » Il lui donnait toute latitudepour traiter avec les grands et les autorités, et pour choisir dans lesmaisons de la province trois religieux discrets et deux convers zélés,capables de faire régner dans la nouvelle inaison l'esprit religieux. Trom-by, op. cil., t. IX, append. I, n. xxvii.

2 G. Éloi. Annales, § XII. - Il n'eût pas été difficile à Den ys, ajoutel'annaliste, de les transporter miraculeusement, « sed nsaluitconsuetavia nature procedere quam per insolentiam tale aliquid moliri ».

Mr

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ex toto propemodum orbe deferebantur dubia et quœstiones,supplicantem pro fuscinulis et ollis. Et adhuc etiamnum vi-dent mihi videre ilium pro minutiis talibus rogantem, quotiesquœstorium librum Doinus hujus revolvo, in quo notanturomnia et singula diligentissime quœ corrogavit, etiam usquead cacabos et lebetes. ha plane vir tantus, cul similem nosterOrdo non habebat nec habebit fortassis unquam, maxima laussui soeculi, et quem Mirœus dicit non habuisse suo sculoparem aut secundum, cogebatur servire rei culinaria 1• » Lacharité des fidèles répondait de son mieux à ces nécessitésurgentes; mais telle était la difficulté des approvisionnementset des transports dans ces contrées déshéritées 2 , que nos sixmalheureux se virent réduits à opter entre une mort à brefdélai, mort de fièvre et de faim, et une nouvelle migration.Denys avait tenté tous les moyens humains et épuisé sa scienceéconomique; il s'adressa à Dieu, qui dans une vision luimontra le lieu où devait enfin se fixer cette Chartreuse ins-table et vouée jusqu'au bout à l'infortune.

Mais le saint Recteur ne devait pas voir cette nouvellemaison. Il avait, dans une lutte de trois ans contre les élémentset des difficultés inextricables, usé les derniers restes d'unesanté dès longtemps compromise par ses austérités. Accabléd'infirmités et brisé de fatigues, il dut remettre en des mainsplus jeunes l'ingrat labeur de la fondation. Le Chapitre gé-néral de 1469 se montra clément il lui donna pour succes-seur D. Henri Heswich 1 , celui de ses compagnons qui, pen-

I C. lt]oi. Annales, § XIV.2 La Campine, désolée par Les guerres continuelles, était à peu près

inculte et inhabitée.3 D. Henri l-Ieswich ou l-leeswvch, Prieur d'Utrecht, avait consenti,

pour la consolation et le soulagement de son confrère Denys, à.devenirProcureur de la maison en formation. Il se fit son aide dévoué « eumaddextrabat in omnibus s', et recueillit sa succession, tin an plus tard, ilétait lui-même remplacé par D. Jean de Monte, ancien Prieur de Wese].C'est sous l'administration de ce dernier que les Chartreux se transpor-tèrent à Vucht, dans un ancien Couvent de religieuses. Tous ces Rec-teurs passent rapidement: D. Jean de Monte, épuisé par les labeurs dela fondation, est remplacé au Chapitre suivant par Jean Alevins « senexet moribundus s', et deux ans plus tard (1472) par D. Walter de Eleende.La nouvelle Chartreuse étant alors terminée, il prit le titre de Prieur.Les épreuves ne cessèrent pas pour cela : chassés trois fois de leur mai-son, 'qui resta déserte dix ans, obligés de payer rançon et de racheterleurs propres domaines, les Chartreux parcoururent la Campine, cher-

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dant trois ans, avait rempli les fonctions de Procureur, et lerappela à sa chère cellule de Ruremonde 1 . (in prodige attestépar tous ses biographes avait annoncé son retour : une lu-mière céleste, pendant les dernières nuits qui précédèrentson arrivée, vint à l'heure des Matines éclairer l'église con-ventuelle de Ruremonde, au grand effroi des Frères, qui sedemandaient avec anxiété la signification de cette merveille.C'était le grand Docteur qui revenait au foyer natal, et cettefois pour ne plus le quitter.

chant successivement à Boxtelle, à lices et à Ohestelle une retraite as-surée, qui partout leur manqua. La Chartreuse de Bois-le-Duc brûléepar les Gueux juste un siècle après sa fondation ('566), ne se releva ja-mais complètement, et disparut en i623.

I C'est durant ce voyage de Bois-le-Duc à Ruremonde, qu'il eut, dansl'église de Saint-Jean, cette extase publique à laquelle nous avons faitallusion plus haut, et qu'il reçut du démon, au château de ibm, unsoufflet si violent, qu'il en garda depuis sur la joue la marque noire, sansqu'aucun remède pût la faire disparaNre. Loer. Vite, cap. il, n. ii; cap. V,n. 24.

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SA MORT. SON CULTE.

Cependant Denys n'était pas rentré pour briller encore. Sasanté était détruite : il souffrait de la pierre, et ses jambesn'étaient qu'une plaie. Il voulait avant tout se préparer à lamort dans le recueillement et le silence ; il sacrifia tout à cegrand désir, tout, jusqu'à sa piume,son arme de prédilection,la compagne aimée de sa vie. Son dernier ouvrage date decette même année f469. Il l'adresse à ses frères comme ledernier fruit de son zèle, son testament et sa recommandationsuprême : e 1-Ioc meditationum mearum opusculum susci-pite, traites charissimi, atque pro me igitur exorate, qui decetero ad secura taciturnitatis portum transferre me intendo,et ad sacrum exitum, prout Dominus dederit, parare, proe-sertim quia et vires corporis multum deficiunt. Et istud opu-sculum anno vita meoc 67 finio, anno Domini 1469. Adlaudem et gloriarn Omnipotentis, qui est super omnia Deussublimis et benedictus. Amen 1 . u 'Trente-cinq ans plus tôt,l'an 1434, il avait débuté par son .Expositio in Psalmc's; ilterminait par le traité De mcditationc, fidèle comme on levoit, à sa première passion, ou plutôt à la seule passion detoute sa vie, la prière. Dès lors il ne vécut plus que pourDieu, répétant avec larmes ces trois oraisons jaculatoires quilui étaient familières: «Luxoeterna luceateis,Dominc »,pours'exciter au désir de la lumière éternelle ; e Maria unxitpedes Jesu »,pour implorer le pardon de ses péchés; « Sanctiqui sperant in Domino, mutabunt fortitudinem , pour se

I A la suite du petit traité De modo psaflendi, le premier éditeur aajouté cette note: « Hic pins admonendus est lector quoniam opusculum,morte proeventus, auctor imperfectuin reliquit. » ( Opuscula aliquoi cultheoriam etc. Colon., 1534, f' 359.) On en a conclu que cet opuscule estle dernier ouvrage de l'auteur. Nous pensons que c'est une erreur. Letraité De modo psallcndt est court, c'est vrai, mais non incomplet, commeon l'a cru : il se termine régulièrement comme tous les autres écrits deDenys, et dans sa pensée, il devait servir de couronnement à soitsur les Psaumes.

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confirmer dans la confiance en Dieu. Le jour de saint Thomasd'Aquin, un de ses Saints de prédilection, il fit un effort etdescendit jusqu'à la chapelle pour entendre une dernièremesse et recevoir une dernière communion. Jamais sa piétén'avait été aussi sensible. Mais cet effort acheva de le briser,et lorsque, après son action de grâces, il eut regagné sa petitecellule, il dit au frère Charles Van Hcrck,son servant: «Voicile moment que j'ai prédit et désiré. Que faire désormais ici-bas où je serais à charge à tous? Il vaut mieux que je meure.))Et prenant en dégoût toute nourriture, il s'endormit dans leSeigneur, le 12 Mars 1471, fête de saint Grégoire-le-Grand,à n heures du matin 1, pendant que ses frères chantaient àl'église les vêpres d'un Docteur. Son visage devint, après lamort, d'une beauté remarquable, et un parfum céleste serépandit dans la cellule'.

Denys avait 69 ans; il était grand et fort, et d'aspect véné'rable t . Malgré un léger défaut à la mâchoire, qui le faisait

I Dans une ancienne liste des Prieurs de Ruremonde, rapportée parWelters (pag. iii) sur la foi du Chartreux Sch'.vengel, on trouve * uncertain Denys e D. Dionysius », qui figure pour une période de 24 ans,(16-71), et serait mort précisément cette année 1471. L'auteur se de-mande si ce Dionysius ne serait pas notre Chartreux. A cela nous pou-vons répondre, que Schwengel, le seul qui introduise ce nom dans laliste de Riiremonde, accompagne de cette remarque significative « Pu-tatur ab aliquibus ipsum quondani Priorem D. Rurernundae egisse; mihi

tienipsum ?n satis constat. » document authentique contempo-rain n'en fait mention, pas même l'obiit de Denys, qui porte seulemente quondam J'rocurator hujus Domus s, et il faudrait admettre que cepriorat n'a laissé aucune trace dans l'Ordre. Le Prieur qui occupait le siègede Ruremonde en 1471 est D. 'Walter de Eleende (Leendanus), transféréà Sainte-Sophie en 1472, après un gouvernement de plus de 24 ans, autémoignage de l'annaliste déjà cité. On trouve aux archives de la villeun acte signé par lui qui remonte au 28 Mai 1456.

2 Campanini, pag. 78. Dinbani, pag. 168. « Quo mortuo » dit l'Elenchusd'Oxford, ms. du xv . siècle (Raw'l. C. 564) « odor suavissimus exivit decorpore sec, et dia in ejus cella permansit ».

3 Au réfectoire des Chartreux de Ruremonde se voyaient autrefoistrois tableaux de la main du peintre Schumaker, et représentant Denystenté par le démon, disputant contre le Duc, et recevant la nuit la visited'un ange. Quelle était la valeur historique de ces tableaux pour la re-production des traits du Chartreux, c'est ce que nous ignorons puisqu'ilssont perdus. Thevet, dans ses Ponrtra fis des /zo,n,nes illustres (pag. i6i),reproduit un portrait ou prétendu portrait qui lui avait été communiquépar la Chartreuse de Cologne en 1578, et qui semble copié d'un monumentfunéraire, Les éditions de Cologne présentent souvent au frontispice ouen dernière page, un Den ys debout, entouré d'une auréole et foulant le

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bégayer, il avait la parole facile et la conversation aimable.Dans la courte apparition qu'il fit à la suite du Cardinal, surla scène publique de l'Allemagne, il aurait eu le temps, sil'on en croit Moll i de se faire une sérieuse réputation d'o-rateur 1..

Le bruit de sa mort rapidement répandu dans la ville,causa une vive émotion, et l'on se préparait à faire au saintreligieux un enterrement triomphal mais ses frères prévin-rent l'enthousiasme populaire en l'ensevelissant précipitam-nient dans l'humble cimetière de la Communauté. Sa tomben'en devint pas moins le centre d'un petit pèlerinage, et beau-coup dans la contrée assurèrent avoir reçu par son interces-sion des faveurs miraculeuses.

Le Protestantisme vint interrompre ce travail de canonisa-tion populaire. La Chartreuse de Ruremonde allait d'ailleurspasser par des épreuves bien capables de détourner l'attentionpublique. Défruite une première fois le 16 Juillet i 554 par legrand incendie qui réduisit la ville en cendres, elle sortait àpeine de ses ruines, lorsque le 23 juillet 1572, les troupes duprince d'Orange se ruèrent sur la malheureuse cité. Les Re-ligieux avaient le don d'exciter tout particulièrement la hainedes sectateurs du pur Evangile et des ennemis de la propriété,et c'est un privilège qu'ils ne semblent pas avoir perdu. LaChartreuse attirait donc les Gueux h deux points de vue, etpar le désir bien naturel de maltraiter des moines, et parl'espoir d'un gros butin, car la voix publique attribuaitaux Chartreux une certaine opulence.

Rien d'horrible comme le récit de cette invasion, tel quenous l'a laissé 1-lavensius. Sur les vingt-deux religieux pré-seins, douze furent massacrés avec un raffinement de cruautéqui fait frémir. Après les avoir tués lentement, on leur

démon (de l'école d'Rolbein),ou offrant à genoux unllivre à la sainte Vierge(école d'Albert Durer). En attendant de nouvelles découvertes, que nousaccueillerions avec reconnaissance, nous en sommes donc réduits, sur lavéritable physionomie de notre Chartreux, aux récits des historiens.

I Mol. .toann. Drugnan, t. Il, pag. 71:- Pendant longtemps Denys futchargé à Ruremonde des sermons capitulaires c'est là probablement[*origine de ses serinons ad Retigiosos.

t Arnold Havers, Prieur de Gand. Historica reiatio XII Mart yr., etc.Colon., i6o8. - Les religieux s'étaient réfugiés à l'église, cii la plupartfurent massacrés. L'un d'eux, D. Sévère de Coblentz, eut la tête fendue

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ouvrit le ventre, on leur arracha les entrailles, on &posa leurschairs en vente publique; deux furent bouillis dans unechaudière, et trois mis à la broche et rôtis au feu. Le SacriÊ-tain, D. Vincent de Herck, jeune homme tout aimable, futun des plus maltraités. Le nez et les oreilles coupés, leslèvres fendues, le menton taillé en forme de croix i la peau dela tête arrachée, il fut promené par la ville au milieu d'unetroupe de Gueux, revêtus d'habits sacerdotaux, qui psalmo-diaient par dérision les prières de l'Église, et l'accablaientde coups. Sur le parcours se présente un perron; on le hissepar-dessus « Allons, moine, prêche-nous! » Et lui, avec sasimplicité ordinaire Que voulez-vous que je vous prêchepuisque vous ne voulez pas vous convertir? Je vous par-donne de tout mon coeur, et prie bien Dieu de vous par-donner; mais par grâce ne me faites pas souffrir davantage.))Un soldat, mû de pitié, lui tira un coup de fusil à boutportant, et comme il respirait encore, on le pendit à la portedu couvent des Franciscains. Tels étaient les disciples etsuccesseurs de Denys. Des dix survivants, cinq, blessés,mutilés, réussirent à s'échapper par les jardins; les autres,emmenés captifs, durent être rachetés à prix d'argent. L'oeuvre

devant l'autel de la sainte Vierge, et son sang iaillissant â une hauteurde 18 pieds, couvrit le mur voisin. Ces taches glorieuses, précieusementconservées pendant plusieurs siècles, ont disparti aujourd'hui sous unecouche de chaux, Notre ami M. lngold a récemment examiné, à Swal-men, les reliques des Martyrs. Elles consistent en 13 crânes (avec les12 Chartreux on availmassacré aussi le Chapelain de l'évêque de Rure-monde,D. Paul de Waelvyck) et 12 mâchoires inférieures, et un certainnombre d'autres ossements. Plusieurs de ces crânes portent les tracesévidentes de blessures et de coups; on y remarque notamment un coupde sabre, un trou de balle, etc. Ces reliques, confiées (d'après la tradi-tien du pays) par les Chartreux â la famille Cloquet de Ruremonde, lorsde la suppression du monastère en 1783, furent transportées à Swalmenpar le curé Jacques Coquet. Swalmen est un village des environs deRuremonde,où la Chartreuse possédait une ferme appelée encore aujour-d'hui Closterhof.

I C'est aussi par la lecture assidue des oeuvres du saint Docteurque les18 Chârtreux d'Angleterre,niis â mort pour la foi en 1534, se préparèrentâ l'inestimable grâce du Martyre « .ls enim», écrivait le principal d'en-tre eux, « adeo corda nostra suis sacratissimis scriptis et documentis sibiâllexit, ut eo carere sine gravi molestia minime possimus. Nobis enimsapiunt opera ejus meliiflua et sanctissima prœ ceteris perte omnibussacris scriptoribus quos hactenus legimus. » Lettre du B. Jean Floughtonà D. Thierry Loer, 23 Juil. 1533. Et il demandait qu'on lui envoyât te ex-emplaires de Lotis les ouvrages parus, et 20 de quelques-uns en particulier.

L.

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sang accomplie, on commença le pillage en règle de lamaison, qui ne conserva guère que les murs. Les clous, lesferrements, les tuyaux de plomb furent arrachés et vendus. Lacaisse avait été pillée au préalable; il fallut payer la rançondes prisonniers la Chartreuse était ruinée pour longtemps.

Elle se relevait péniblement de ce désastre, lorsque MgrGui jck, évêque de Ruremonde, vint la visiter au mois d'Oc-tobre 1607. Grand admirateur de Denys', il fit restaurer l'autelde la sainte Vierge, sur lequel le Chartreux avait.coutume decélébrer, et le consacra sous l'invocation de saint Denys l'Aréo-pagite, en mémoire de son fidèle disciple, Denys deRycke.l.Il y dit la messe le7 Octobre pour obtenir de retrouverles restes du saint Religieux, car on avait oublié l'empla-cement exact de sa tonibe par suite des bouleversementsqui avaient exhaussé et changé la face du cimetière. Enmême temps il sollicitait de toutes parts des prières à lamême intention. A cette époque vivait à Ruremonde unvieux Chartreux., 1-fend .Kercken, qui avait passé 5o ans dansl'Ordre Très dévot à son confrère, il occupait sa cellule; ildésirait reposer dans sa tombe, dont il désigna la place ap-proxi mati vement. C'était derrière la chapelle de la sainteVierge où Denys avait si souvent dit la sainte Messe. Lors-qu'il s'éteignit, quelques mois plus tard, le Prieur, D. Jodo-cus, pour satisfaire au dernier voeu du mourant, fit creusersa fosse à l'endroit indiqué. Les fouilles amenèrent la décou-verte d'un squelette qui fut examiné par les médecins. Lesossements fort bien conservés furent reconnus pour ceuxd'un homme de grande taille et de grande force; les dentsde devant, par leur proéminence, indiquaient le défaut or-ganique que Loer attribue à Denys. Le crâne exhalait uneodeur suave, et les deux doigts de la main droite, qui avaienttenu la plume si pieuse de l'écrivain, conservaient encoreleurs chairs et leurs téguments 2 Ces vénérables ossementsfurent soigneusement exhumés et conservés à . la Chartreuse

I Mgr Flenri Cuijck, professeur â Louvain avant son élévation à l'é-piscopat, avait publié (1578) une édition de Cassien où il déclare avoirprofité beaucoup de la paraphrase de Denys.

2 « Coin ejus corpus elevaretur, pollex et index manus dextera2 inte-gri, carnosi et vividi apparuere ac si ea die humati... Quid aliud indicat,guam elucubrationibus sibi immortalitatem comparasse? » Morozxo,Theairum cartes. Ord. Tannai, i68i, pag. 88. Welters, op. cil., p ,oô.

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de Ruremonde, jusqu'à ce qu'il plût à la bonté divine de lesglorifier par des miracles'.

Mgr Cuijck avait entrepris un procès canonique prépara-toire à la béatification de son illustre diocésain, mais lamort vint interrompre ses travaux. Après lui, la malheureusemaison éprouva de nouvelles tribulations brûlée une se-conde fois, le 3i IYlai 1665, elle fut comprise dans les décretsde suppression de Joseph li, et définitivement enlevée àl'Ordre le 3o Juin 1783. Après bien des péripéties qu'il seraittrop long de relater, elle est devenue un grand séminaire,où vit toujours le souvenir du grand Docteur. r L'asile desChartreux, dit Welters, est devenu la florissante et fécondepépinière des jeunes Lévites du diocèse de Ruremonde...La science et la piété des saints Chartreux imprègnent encoreleur chère solitude; et, pour nous servir d'un mot célèbre dugrand Tertullien, sur ce sol sacré le sang cruellement ré-pandu des Martyrs est devenu une semence de nos Lévitesdu Sanctuaire Sanguis martyrum, semen Levitarum 2 . » Lacellule môme que Denys occupa si longtemps, cet étroit réduitdécrit par 1-labets, contigu à l'église, éclairé par une petitefenêtre, et qui n'avait pour tous meubles qu'une table et unechaise, avait survécu à tous les bouleversements jusqu'en 1852,époque où elle a été malheureusement démolie.

Et les reliques du saint religieux, au milieu de ces révolu-tions, qu'étaient-elle devenues? - La tête, dérobée par unemain pieuse, avant la suppression de la Chartreuse de Rure-monde, avait été subrepticement transportée à Cologne. Lesinstantes et persévérantes démarches de Mgr Damien deHoensbroeck la ramenèrent au mois d'Aoit 1785 3 à la cathé-

I Henri Kereken mourut 137 ans jour pour jour après son bienheureuxconfrère c'est donc en i6o8, le 12 Mars, que furent retrouvés les restesde Deny s, et si l'on en croit Swert, les miracles ne manquèrent paspour attester sa sainteté: « Corpus cjus inventum est anno Doniini téoS,ipsoD. Gregorii die, quo et obiit, hodieque miracutis clercs. » Svert.Ath en. Belgic. Antverp., 1628, pag. 215. Du Saussay dit également dansson'Mar(vroi. gallic. « l)ionysius Cartusianus, Doctor ecstaticus, cujuscorpus miraculis coruseans noper e terra levavit Henricus episcopus Ru-roemundensis. »

2 Welters, op. cil., pag. 24.Cela résulte de différentes pièces conservées aux archives de Rure-

monde, notamment de deux lettres du mandataire de l'évêque, Ant.Mid-derhoff (n Mai et C Juil. 1785).

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draie de Ruremonde, où elle attend toujours, dans une bottéscellée, le moment où il lui sera permis de paraître sur lesautels. Une portion notable, le maxillaire inférieur;a été gra-cieusement donnée à la Grande Chartreuse, 1e28 AoOt 1858« comme témoignage de l'affection de Mgr l'Évêque enversles Religieux, et pour servir à la cause du serviteur de Dieuauprès du Saint Siège')). Ce qui restait du corps, les deuxtibias, les deux péronés, un fémur, tous les os des bras et uneépaule, enfermé dans une caisse spéciale, eut le sort com-mun des reliques de la Chartreuse, que recueillirent, lorsde la suppression, les nombreux amis de la maison. Conser-vés vraisemblablement par la famille Cloquet de Ruremonde,ces ossements furent transférés à Swairnen avec ceux desMartyrs'.

Mais la voix publique n'avait pas attendu si longtemps pourproclamer la sainteté du serviteur de Dieu. On l'invoquaitavec la même confiance que les Saints; on le représentait avecune auréole 3 ; on insérait son nom dans les Martyrologes 4;

on portait ses reliques avec dévotion 3; et il est bien peu desauteurs qui ont eu à parler de lui, qui, sous les réserves im-posées par les décrets d'Urbain VIII, n'aient cru devoir luidonner les titres de Bienheureux ou de Vénérable. SaintFrançois de Sales en particulier et saint Alphonse de Liguori

I Sur les reliques du saint Chartreux et les différentes reconnaissancesqui en ont été faites, voir Acta Sauce., XII .Martii, pag. 24), et SurtoutWelters , pag. 104 et suiv. -

2 Voyez plus haut, pag. hq, note in fine. En l'absence de documentsauthentiques, on ne saurait affirmer avec une certitude absolue l'identitédu corps conservé é Swalmen avec celui de Denys. Mais l'identificationreste probable, et nous espérons que de nouvelles recherches dissiperont[es derniers doutes.

3 Les représentations de Denys le Chartreux avec une auréole ou lesattributs de la sainteté, ne sont pas rares. Ses éditions de Cologne enprésentent plus d'un exemple. Nous signalons également une chaire dela Cathédrale de Laon, où il occupe un des panneaux, avec le titre deBeatus Dionysius.

4 Molanus, Natales Sanct. Delgii, XII Martii Raissius, Auctarium adNatal., id.; Mirus, .Fasli Belgici; Canisius, Martyrol. Germen.; Ba-iinghern, Calend. Marian.; Ferrarius, Calai. g-en. Sauce.; Du Saussay,Martyr. Gallic; Wi[lot, Martyr. Gallo-Belge; Ballard., Acta Sauce.; etc.

5 Le R. P. Boilandus notamment, « -qui pro sua erga-VenerabilemDionysium affectu ac reverentia, aliquas ejus reliqulas ad armes 46 piereligioseque adservavit ». Acta Sanct..Xil Martii, Commentar. prœv., n.7.

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lui donnent habituellement le titre de Bienheureux. Quant âsesconfrères, ils lui consacrèrent dans l'Obituaire de Rure-monde cette brève notice « XII Mardi. Dionysius a Rickel,professus et quondam Procurator hujus Domus, et RectorDomus quondam Sophiœ, des hujus Domus.

Dieu réserve-t-il à son se . 'heur un culte plus solennel,ces honneurs suprêmes que seule la sainte Église ale droitd'accorder ici-bas? C'est le secret de l'avenir. Ses écrits et savie en retireraient une autorité nouvelle. Mais, dès mainte-nant, un enseignement ressort de cette laborieuse existencec'est la puissance d'une vie qui sait être une. Durant salongue carrière, Denys ne s'est proposé qu'un but rétablirle règne du Christ en ce monde dans son intégrité. Et parcequ'il y est resté invariablement fidèle, il lui a été donné deréaliser de grandes choses. Il fut l'oracle de ses contempo-rains, et son action posthume dans l'Eglise a été efficaceet profonde nous croyons qu'elle le sera encore. Au-cune leçon n'est plus opportune dans les temps de défail-lance que nous traversons. Denys le Chartreux reparaît àson heure.

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LES PREMIERS ÉDITEURS DE DENYS.LA NOUVELLE ÉDITION.

Les ouvrages du Docteur extatique, si l'on excepte unedouzaine de traités publiés peu après sa mort, ne se propa-gèrent, pendant un demi-siècle, que par la main des copistes.En vain, un Chartreux de grand talent et de grande activité,D. Grégoire Reisch, Visiteur de la province du Rhin, s'ef-força-t-il d'en obtenir l'impression; en vain un admirateurde Denys, le savant Dominicain Jean Romberch, adjurait-ille R. P. Général des Chartreux de produire au jour cestrésors, s'il ne voulait encourir la malédiction du serviteurinfidèle qui enfouit soit ; on se heurtait à des diffi-cultés en apparence insurmontables. Il fallait en effet se pro-curer les originaux ou des copies fidèles d'ouvrages trèsnombreux, éparpillés un peu partout 2 il fallait trouver deséditeurs disposés à courir les chances de l'entreprise; il fal-lait enfin, avec les maigres resources de maisons ruinéespar le malheur des temps, affronter les dépenses redoutablesd'une publication aussi considérable.

Rien de tout cela cependant ne put décourager Loer aStratis, le biographe à qui nous devons la Vie la plus com-plète de son bienheureux confrère. Né à Hoogstraeten, dansla province d'Anvers, Thierry Loer avait été successivementchapelain du comte Christophe de Ryneck, et notaire (ad-ministrateur des biens temporels) de l'insigne Collégiale deN.-D_ d'Aix-la-Chapelle 3 . Entré jeune encore à la Chartreuse

I Lettre au R. P. D. Bibauce, 7Janvier 1531. Jean Romberch ne seborna pas à cette invitation, mais il vint en aide à Loer de tout sonpouvoir, en faisant la révision des traités les plus importants de Denys.

2 Den ys se plaint souvent de n'avoir pas lui-même d'exemplaires de sespropres ouvrages. Voyez la lettre à Arnold Campion,

Il avait pour collègue dans cet emploi Gérard Kalkbrenner (Harn-montanus) qui devint son confrère en religion et son collaborateur dansl'édition de Denys.

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de Cologne (i Siq), où devaient le suivre deux de ses frères,Hugues et Bruno, plus tard ses collaborateurs, il se fl(re-marquer par une piété exemplaire, un amour extraordinairedu travail, une énergie et une persévérance que rien nedéconcertait. A cela joignez une merveilleuse aptitude pourles affaires, dont il allait donner des preuves multipliées.Prieur de Hildesheim, en 1539, de Buxheim, en 1343, Visi-teur de la Province, chargé par le Chapitre général, dans lestermes les plus flatteurs, en 1348. 1549 et 1554, de la difficilemission de récupérer et de relever les maisons ruinées parles hérétiques, il déploya des talents si remarquables, quel'évêque d'Augsbourg, Othon Trusches, lui confia la réorga-nisation de son diocèse, et que durant son séjour dans cetteville, Charles-Quint voulut l'avoir pour confesseur. Un jourmême, en pleine cour impériale, détachant son manteau, ilen couvrit, pour signe de particulière estime, les épaulesde l'humble moine'

Tel était l'homme suscité par la Providence pour mettre enlumière les oeuvres de Denys. Pendant dix ans il y consacrason labeur et tous ses instants. Ce qu'il lui en coûta de re-cherches, de fatigues, de déboires et d'ennuis, nous le racon-terons un jour. Astreint è une correspondance écrasante,arrêté à chaque instant par la pauvreté, entravé par lesimprimeurs de Cologne, qui lui posaient des conditions oné-reuses, presque abandonné par la Chartreuse de Cologne quivoyait avec effroi s'accumuler les dettes, il ne se décourageapas. Forcé par les circonstances de recourir aux sollicita-tions, à l'un il demandait des manuscrits, à l'autre des se-cours matériels, à tous il recommandait la vente de ses livres.

Toutefois, au milieu de ces épreuves, les consolations nelui manquaient pas. Les adhésions et les encouragements luivenaientdes personnages les plus marquants d'Allemagne,d'Angleterre, de Belgique, de France, d'Italie. li rencontrade généreux bienfaiteurs. Les évêques de Belgique, réunisen concile provincial à Anvers lui adressèrent des félicità-tions et des secours pécuniaires. Deux Anglais, West, évéque

I D. Le Vasseur. Ephemerid. Ord. Cartus., XXVI August. A sa mort(1554), ses confrères de Wurtzbourg lui donnèrent un témoignage inu-sité de vénération, en l'ensevelissant non pas au cimetière commun,mais dans le choeur de l'église.

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d'Ély, et le chevalier Herman Rinc, familier de Henri VIII,lui vinrent en aide de tout leur pouvoir. Le Comte de Ryneckfit une généreuse offrande. Parfois ces secours prenaient uncaractère vraiment touchant. De pauvres communautés s'im-posèrent spontanément une cotisation un prêtre séculier,Guillaume Loer, le frère des éditeurs, se chargea de la pu-blication de plusieurs Quvrages; un Chanoine liégeois, DeHèze, en envoyant ce qu'il appelle l'obole de sa pauvreté,20 pièces d'or, écrivait « En vérité, si je pouvais supposerque cette édition fût arrêtée, faute d'argent, je vous sacrifie-rais ma fortune et j'emprunterais pour vous aider. » Ainsipurent être publiés en dix ans, 18 vol. in-folio et ici vol.in-12 ou in- iS. Les ouvrages de Denys restaient fidèles à leurcaractère fruits de la sainte mendicité, ils étaient publiéspar la charité du monde catholique'.

Cette édition de Cologne est devenue le type de toutesles rééditions partielles de Paris, de Venise et d'ailleurs.Sans manquer à la reconnaissance que nous devons à Loer,il nous sera permis de remarquer que sa collection n'estpas complète. Malgré l'activité et les recherches de l'éditeur,plusieurs manuscrits lui échappèrent et furent imprimés dansla suite. Elle n'est point homogène. Editée au jour le jour. etpar différents imprimeurs; elle offre tous les types de carac-tères, et tous les formats, depuis l'in-folio jusqu'à l'in-r8.Enfin elle est devenue rare , et probablement aucune bi-bliothèque au monde ne peut se flatter de la posséder toutentière. Cependant il n'est personne qui ne reconnaisse etn'apprécie • l'importance de cet oeuvre au point de vue del'histoire du Moyen-Age et de la Réforme, et une voix plusautorisée que la nôtre a bien voulu rappeler naguère lesavantages importants qu'en pouvaient retirer la science sa-crée et la piété « Ad cetera religiosi auctoris merita illudetiam accedit, cjuod cum scholasticam philosophiam calleretoptime, mdc hauserit sapienter quo et catholica do-mataconfirmaret et pietatem impensius foveret .

I Voir les préfaces de Loer, passim.2 Certains ouvrages sont hors de prix. Les trois volumes des Opera

minora se vendent Goo fr.3 Léon XIII. Lettre au R. P. Général des Chartreux, r" Avril 1896.

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Telles sont les raisons qui nous amènent à présenter aupublic une nouvelle édition. Les recherches patientes et in-fatigables d'un ami aussi savant que modeste, qui a fait deDenys son auteur de prédilection, nous ont permis de réu-nir des exemplaires de tous les ouvrages imprimés du Char-treux, et un concours de circonstances exceptionnellementfavorables nous met en mesure de les publier en une seulecollection. Cette, publication formera environ 48 forts vol.in-4° à 2 colonnes', ainsi répartis Commentaires sur l'Ecri-turc-Sainte, iS vol. Œuvres théologiques, ascétiques, etc.,26 vol. (le Commentaire sur les Sentences., environ 8 vol.;sur l'Aréopagite, 3 vol. ; sur Boèce, Cassien et Climaque,3 vol., etc.) - Sermons, . vol. - Trois volumes supplé-mentaires renfermeront les Dubia, les lnedita, si l'on veutbien nous en communiquer, les remarques, annotations, dis-sertations des éditeurs, et enfin les tables générales.

Le texte a été revu avec le plus grand soin sur les édi-tions de Cologne, regardées à bon droit comme les plusfidèles, et confronté, lorsqu'il y avait lieu, avec les autreséditions, les manuscrits, la Patrologie de Migne, etc. Leséditeurs se sont efforcés d'y introduire des divisions nom-breuses et rationnelles, pour faciliter l'intelligence et lesrecherches. Des tables analytiques aussi complètes que possi-ble sont composées spécialement pour cette édition, et lescitations des textes de l'Écriture en marge, exactement vé-rifiées. L'exécution matérielle elle-même a été l'objet d'uneattention et d'une surveillance minutieuses.

En un mot rien n'a été épargné pour faire de cette publi-cation, selon le voeu de S. S. Léon Xlll,une oeuvre digne del'auteur et des matières dont il traite, « quœ auctoris rerum-que dignitati respondeat, u un monument typographiquecapable d'honorer les bibliothèques qui voudront en fairel'acquisition.

I Pour les souscripteurs le prix très réduit de chaque volume est de8 Cr, La souscription close, l'édition sera mise en librairie au prix de5 fr. le volume. Le tome (de 78 pages), orné de 3 gravures du

xv,- siècle et d'un fac-siniile sera livré immédiatement aux souscrip-teurs. Le 2 paraîtra en Février 1897 . Les tomes II-VIII sont déjà im-primés, sauf les tables.

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APPENDICE I

LISTE DES OUVRAGES DE DENYS LE CHARTREUX.

On trouvera dans la nouvelle édition un catalogue très completet très détaillé des oeuvres du Docteur extatique, avec l'indicationdes diverses éditions- Nous nous contenterons ici de présenter le

tableau méthodique de ses nombreux ouvrages'.

A. - ExaÈsE.

I. Commentaire sur toute l'Écriture-Sainte, de la Genèse â l'Apo-

calypse'. - Il. Passio secundum n' Evangelistas. - 111. Epitome

sive nobiliores sententiœ totius Bibliœ. - IV. Monopanton seu

Redactio omnium Epistolarum B. Pauli in unam 3 .—V. In septem

Psalmos poenitentiales. - VI. De causa diversitatis eventuum bu-manorum (explication de quelques textes de Job.) - Vil, Sonus

epulantis.

- PHILOSOPHIE.

I. Super Boetiutn, De consolatione philosophi. - If. Compen-

dium philosophicum. - fil. De venustate mundi.

I tint classi catinn rigoureusement méehodiq us des oeuvres du célèbre Chant

rtreux pré-same des difficultés, en raison de la nature cotssplexc de certains ouvragea qu' on Pour" t

indifféremment ranger sous plusieurs titres- Nous noua sommes décidés pour le caractèrequi nous s paru le plut saillent-

n l'ou.t ces com,nentaires ont eu plusieurs édition; (3 su minimum) beaucoup en Oct

eu un grand nombre (de 8 à 25); qsuelqrtes-reFea Ont obtenu les honneurs d'une traduction.Tel le commentaire sur les Psaumes et les Csntiq uts, traduit en allemand, Cologne,

535, 1563.3 Neuf éditions, dont la première eut d'An vers. a. s. Leu éditions indiquées par nous

ont été toutes véritié.s sur les ouvroget mémes. Il en est d' autre, que nous n'avons psspu contrôler. qui restent pour nous douteuses, et que nous n'avons pas fait entrer enligne de compte.) Le Menopatston, en outre, s été traduit en fronça ii, Paris, 1663, et enportugais, Napulcss 5844.

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Perdus: Dialogus inter theologum et philosophum. - De ente etessentia. - De scientia universalium.

C. - THOLOGIE ET DROIT CANON.

I. In lv Libros Sentent iarum.—IL Summa fi dei orthodoxa -III. Compendium theologicum. - IV. De lumine christiana3 theo-riœ. - V. Dialogion de flde catho] ica. - V]. De natura veri etoeterni Dei. - VI]. Creaturarum in ordinem ad Deum consideratiotheologica. - VIII. De distantia perfectionis divinie et humanœ. --IX. De munificentia et beneficiis Dei'. - X. De ]audibus P. V.Maniœlibri n' 3 . - Xl. De prœconio et dignitate ejusdem libri iv. -XII. De auctonitate et oflicio Summi Pontificis. - XIII. De pote-state et jurisdictione ejusdem. - XIV. De auctonitace generaliumConciliorum. - XV. De iv Novissimis 4. - XV]. De particu]arijudicio in obitu singulorumu . - XVII. De mutua cognitione Bea-torum in patria.

Perdus : Sacra theologm, epitome, ex Cuili. AntisiodorensisSumma. - De divinaessentia.

D. - PoL1MIQUE.

1. Contra perfidiam Mahometi 6 . - II. Disputàtio inter Chnistia-num et Sarracenum. - III. Contra superstitiones. - IV. De pluriumbeneficiorum usurpatione.— V. Contra plura]itatem beneficiorun.

I Six éditions.2 Traduction française, Paris, 1587.3 Traduction flamande, Hasselt, 1852 Bois-le-Duc, 1867.4 Trente-sept éditions latines. (Certains catalogues en comptent jusquà 45.) Nom-

breuses - traductions françaises, dont la plus ancienne, conservée A la Bibliothèque na-tionale, â Paris, ms. fr. 7310, remonte à l'année 1455. D'après Von Praet, e[le auraitpour auteur Jean hliélot. Double traduction italienne, de Plantadio, S. J. Tor no, 1578et de R. de Savignano, Venezia, iSgô, toutes deux maintes rois réimprimées. On trouveaussi une traduction lismande, IdrusacI, 1 628; espagnole. Madrid, 1 63o; allemande.Aschaffenburg, 1853.

5 Quinze éditions. Traduction française de Jean Miélot, â la Bibliothèque de l'Uni-versité de lotIvain, nia. 9048. Double traduction italienne, comme au n5 précédent,Venezia, t 590, etc. Traduction flamande (voir '\'cltera, page si, n 5 109(; espagnole(voir Morozzo, 17ee.ztr., pag. 93, n' t58).

6 Il n été publié (u Strasbourg (t 5.40) une traduction en vieil allemand, curieuse etCrée lié, des livres Il et lit de cet opuscule, sous le titre de Ale!t orau... Y,,osha/t tondilb/setettng. Le traduc tettr y s ptia toutes les licences, abréger, modifier, et mérou subs,situer sa doctrine A celle de l'auteur.

7 Douze éditions. Traduction française, Paria, [586. -8 Traduction française. Paris,... chez Chaudière.

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—VI. Contra simoniam', -Vil. Contra avaritiam. —VI Il. Con-tra ambitionem2.

Perdus Contra vitium proprietatis in Religiosis. - Contra artesmagicas et errores Wa!densiusn.

E. - LITURGIE 3.

L Enarratio hymnorum'. - Il. Expositio Miss. - III. Dialo-gus de Sacramento altaris 1.- IV. De sacra communione frequen-tanda, - V. De venerabili Sacramento sermones sex. - VI. DeSanctorum et reliqularum veneratione. - VII. De modo devotepsallendi 5 . - VIII. Contra cordis instabilitatem in divinis Iaudibus.— IX. Delaudibus superlaudabilis Dei. - X. Laudes Dei devotissi-

t Ce traité De Sinossis se rattache â l'histoire d'une grande querelle théologique.•A l'époque de Denys, et déjà auparavant, dans beaucoup de monastères pauvres de l'unet de l'autre sexe, l'usage s'était introduit d'exiger des postulants qui dépassaient lenombre normal, une certaine somme pour leur entretien r e Recipimss te in fratrem etsororem, si desuleris tecum unde vivat, quis bossa Congregseionis mettra,non sufficiunc

-niai nabis. s Cette pratique avait ses défenseurs et ses adversaires, et les raisons nemanquaient ni aux uns ni aux autres, (Voir De Sinoni,, art. vs et Vus.) Le Chartreuxentreprit son ouvrage pour ie, combattre. Il y démontre qu'elle est illicite et périlleuse,qu'elle n'est qu'une simonie palliée, puisqu'elle revient en définitive è vendre à denierscomptants un bien spirituel, qui est la profession religieuse. Sans doute, ois pourrait àla rigueur, la profession accordée et faite grstuieement, demander su nouveau profèsun subside pour son entretien ; mais c'est agir bien imprudemment, car s'il refuse, on sgrevé le couvent et on n'a pas la ressource d: l'expulsion. Donc, dans toua les cas, e tu-tins est non reripere . (De ,Sisssoee., art. ra.) Ces conclusions furent attaquées par certainsdocteurs de Cologne. L'affaire parut assez importante pour être soumise à l'arbitrage dela grande autorisé théologique d'alors, l'Université de Paris. C'était en 1458. Les re-gistres des délibérations de la Faculté de théologie font défaut pour cette époque, maisune copie de la décision se trouve aujourd'hui entre les mains de M. L. Rosenthal, à Mu.nich (voir catalogue ILs!, n' 5221), à qui nous en devons la gracieuse communication.s' Deterninstio DI. sImm Universitasis psrisiensis super conteoverais qute fuit internugrum Ilernardum de Reyda, doctorem in theologis Colon. Ussiv. cent sibi sdhz-rentibut et mgrum Dionysium Csrtusiensem in Ruremunda. s Le docte aréopage estd'avis qu'il acte pat permit de recevoir dans un monastère plus de religieuses qu'iln'en peut nourrir, et qu'il y s simonie à exiger des récipiendaires une dot pour prix deleur entrée en religion. Dans les couvents très pauvres et partout où cette coutume estlégitimement prescrite, on pourrait, la profession librement accordée, solliciter des te-,,ligieutes fortunées on subside pour leur entretien. mais à condition qu'il n'y ait pascoaction et que le refus ne pût enerainer l'expulsion. Mois ,néme en ce cas, s eutius estquod aihil petstu r, et si sliqua petit reripi, dicatur ci quod monesterium non potest aamrecipere, guis non luabet unde cure A . Il était difficile de donner plus entièreapprobation aux idées du Chartreux; mais nous ignorons la suite de l'affaire.

2 Traduction italienne, Rame, 1757.3 Sous cette rubrique nous avons groupé les différents traités de l'auteur sur le

Saint-Sacrement, bien que plusieurs ne soient pst des traités liturgiques au sens strict-du moe.

Treize éditions.5 D'après les connaisseurs, la première édition de cet ouvrage, par Arnold Ther.

hoernen, à Cologne, peut remonter è l'an 5475,6 Sept édition,,

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mœ. - XI. Flora de SS. Tri nitate. —XII. Hora devotissima de Pas-sione Domini.

Perdus Meditationes dominicac Passionis. - Dialogus aureusinter Christum et sacerdotem.

F. - ASCTISME.

I. In libros H. Dionysii Areopagita. - II. Expositio librorumJ. Climaci. - III. Translatio Iibiorum J. Cassiani. - IV. Deexemplis authenticis. - V. De donis Spiritus Sancti libri n'. -VI. Summa de vitiis et.virtutibus. - VII. De modo judicandi et cor-ripiendi. - VIII. De gravitate et enormitate peccati'. — IX. Spe-culum de conversione peccatorum'. - X. De arcta via salutis etcontemptu mundi 3 .—Xl. Speculum amatorum mundi°. -XII- Devia purgative. - XIII. De via purgativa exercitium. - XIV. Demortificatione vivifica 5 . - XV. De fonte lucis ac semitis vitœ. -XVI. De remediis tentationum. - XVII. De discretione spirituum.- XVIII. De passionibus anima. - XIX. De puritate et felicitateanima. - XX. Cordiale sive proecordiale'. - XXI. De custodiacordis et profectu spirituali'. - XXII. De gaudio spirituali. -XXIIi. De pace interna. - XXIV. De oratione. - XXV. De medi-tatione. - XXVI. De contemplatione libri lu. —XXVII. Inflamma-torium divini amoris.— )XVIII. Dialogus de perfectione caritatis'.

Perdus De vita et exemplis Patrum. - Instituta et coliationesPP. secundum Dion ysium. - De triplici via. - De elevatione men-tis ad Deum. - Dialogus de caritatis profectu.

G. - PARNTIQUE ET SOCIOLOGIE.

I. Epistola ad principes christianos". - II. De regulis vitae Chri-stianorum ". - III. Devita et regimine prasulum.— IV. De vita et

t Douze éditions. Traduction française, Paria, e586, Tournay, a6a I; flamande, Bras.sel. s626. Traductions italiennes, Milano, 1563, Venezia, 1592, etc.

2 Seize éditions, dont la première est de 1473, Alose. Mimes erad ucecurs que icprécédent, plus une traduction flamande, Anewerpen, 483,

3 Seize éditions. Mêmes traducteurs que les précédents.Seize éditions. Mimes traducteurs que Ira précédents.

5 Sir éditions.6 Onze édi lacs. Traduction française, Paris, ,586, Tournsy, 1611 flamande, Brus-

sel, 1626. Traduction, italiennes, Mitano, 1563. Venezia, 1592, eec.Douce êdieiorss. Mimes traducteurs que le précédent.

S Si. éditions.9 Traduction française. Paris, 1576.te Traduction franai se, Pari-, 1586-e' Traductions italiennes, Venezis, '565, et Firenze, 1577.

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r gimifle archidiaconorum. - V. De regimine pralatorum. -

VIDe vin et statu canonicorum'.... —VJ I.De vita et regimine cu-

ratorum.— VIII. De doctrina scholariunl 2 . - IX. De vita nobilium.

—X. De reg [mine principum._Xl.Devita et regirnine principiss'.— XII. De vita militarium4. - Xlii. De vin mercatorulTt . -

XI V. De regimine politiat. — XV. De laudabili vitaconjugatorum.

— XVI. De laudabili vita viduarum 5 . — XVII. De !audabili vita

virginum'. - XVIII. Inter Jesuni et serein, dialogus 5 . — XIX. In-

ter Jesum et puerum dialogus 9. — XX. Sermones'°

Perdus t De officiel legati. - De actu visitationis. - De honestaconversatione clericorum. — Dialogus inter Christum et. principem.— De deformatione et rcformatione Ecclesiat.

H. - MONASTIQUE"

I. Exhortatorium novitiorum".— II. De professione monastica't.

-- III. De obedientia superioribus prrestanda. — IV. De fructuosa

temporis deductione. - V. De reforniatione claustralium. - VI. De

reformatione moniatiuni ". - VII. EnarratiO in tertiam regulam

S. Francisci".— VIII. De pratconio Ordinis Cartusiensis. — IX. De

vita et fine so[itarii. — X. De lande vitat solitariie. - XI. De vita

inclusarum. -

i Qua torco édition s. Traduction anglaise s. s. London (Rtdenan) françsite, 1-ou-vain, t 76 L italienne. Roma, 1771-

2 Traduction italienne Milano, t563.3 Traduction française, Douai, 1502.4 Traduction italienne, Milano, 1563.5 Traduction française. Reins.....italienne, Slilano, 156 9. Voir Mororto, pag. qa.

n'oO)6 Traduction itnlitnne, Milano, ,563. -

Traductions italiennes, Milano, 1563, et Venezia, '585.S Traduction italienne. Miluno, 1565 t flamande, Antwerpen, 1556.9 Traduction italienne, Milano, 1563.uo Quatre éditions. Quelques-nus traduits en italien et publiés à Florence, par Sera-

phinus Florenti nus- (Vois Possevin.)t I Un certain nombre de Traités, comme De tssortiflcatione vivifia, De profertu spi-

ritual I. etc., ont été écrits pour des Religieux. Nous les av ont cependant laissés sousla rubrique ascétisme parce que les enseignements qu'ils contiennent peuvent trouverleur application en dehors de lavis religieuse. Nous n'svo,sa fait exception que pour letraité De fructuoaa tempori s deductione, qui ne peut guère intércaser que les Chartreux.

2 Huit éditions.t3 Sept éditions.14 Traductionfrançaise. Douai, 1604. Le même ouvrage a été traduit en français

sous le litre bizarre de Lunettes spirituelles pour conduire les femmes religieusesdans le rhets in de la perfection, Douai, 1587, Paris, 1597. Lvon, t 598, et en fla-mand, Idrussel. 1628. (De les,l den rrligieuaen cerut gemseckt door den )iey-ligereDionyaius genoent Cartuaianus.)

i5 Traduction française. Paria, 1620 1868

lq

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Perdus : De inst[tutjone et regula Ordinis Cartusiensis. - De vitaLita ria.

I. - MÉLANGES.

L Revelationes', - II. Elegia de judicio mortis. - III. Epistolaliquot : ad executores testamenti D. J. de Lovaniô; - ad magi-strum quemdam Coloniensean - ad principes Ge]dri - adArnold. Campion; - ad Carolum audacem, Ducem Burgundiœ.- Elenchus operum , et Protestatio ad Superiorem.

Perdus: Carmina varia. - Episto!aquamp!urimœ. - Collationeset sermones. - Solutionnes dubiorum sine numero'.

J. -

I. De vita et beneficiis Salvatoris. - II. Commentaria in Sym-bojum Quicurnque. - Ill. Commentaria in Canticum Te Deum. -IV. De Providentia, pradestinationc et prscientia Dei. - V. Spe-cula omnis status viuu human.

Perdu : Unguentum mysticum de rebus Tungrorum.

I Traduction françeiee, l'aria, 1586.3 Voir ci-dessus pag. 22 in fine et note 2. Le plus ancien catalogue ir,lui d' Ox-

ford) fut dressé par Denys en 5466. pour ses confrères de Bruges, étant Recteur â Bois-le-Due.

3 Comme on e pu le voir, il n'y a pas moins de 21 traités perdus, sans compter1cc lettres et les car mina. Devons-noua renoncer â les retrouver jamais, ou les fonds dobibliothèques nous réservent-ils des surprises ? C'est é MM. les Bibliothécaires et pro-priétaires de collections privées â notas donner la réponse. Nous recevrons avec la plusvive reconnaissance couse Communication à ce sujet

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APPENDICE II

DES MANUSCRITS DE L'AUTEUR.

On sait que, malgré le nombre étonnant de ses ouvrages, Denysles a tous écrits de sa propre main « nullo penitus usus amanuen-si' »; quelques-uns même en double, pour obéir â l'injonction deses supérieurs qui lui avaient prescrit de garder copie de ceux dontil faisait hommage â différentes personnes. « V. P. \Cisitator, écri-vait-il à un de ses correspondants, jam in ultima visitatione mihicommisit ut servem apud me copiam epistolarum hujusniodi, seuresponsionum et opusculorum quai alus miflo 2 . » De ces unanus-crits, qui devaient former, comme bien on pense, une niasse consi-dérable, nous pouvons suivre la trace dans l'histoire.

En iS3o, ou un peu auparavant, ils sont â Cologne où Loer peutles voir de ses propres yeux « Quorum (librorum) profecto tantusest numerus ut, juranti etiam mundo non crederem... nisi uniusDionysii et ingenium et stylum, nianuni quoque et characteremprorsus eadeni ubique conspexisseni 1 . » Dans les premières annéesdu xv: siècle ils reviennent à Ruremonde, au grand déplaisir dePetreius, qui eût voulu les garder « Omnia propria conscripsitmanu, sicuti eamdem etianinum videre licet ex ingentibus aliquotvoluminibus Ruramundani hinc (cum alioqui nobis jure typogra-phico debebantur) paucis ante annis asportatis'. » Peu 'avant samort, arrivée en 1665, l'année même du second incendie de laChartreuse de Ruremonde, le R. P. Bollandus constatait leur exis-tence « Solebant in Cartusia Ruraimundensi adservari CL volu-mina libroruin ab illo composita ac propria manu exarata s, »Toutefois quelques-uns avaient déjà été donnés « quorum aliquaad alla nionastèria honoris ac reverentim causa delata sont ». Tous

s D. Petrcius. flibUstJt. Carias. Colon., 1600, psg. So.2 Epiat. ad A restA. Campis;u. Ope,. ,stiusr., t. t, f' 326, Va.3 Dans une de leurs préfaces, les premiers éditeurs déclarent qu'ils ont est sous let

yeux les manuscrits de l'auteur, u archetypon Dinnysianssrn o, et qu'ils ont di par-fois deviner le sens de certains passages que te Chartreux, surchargé de travail, avaitécrits moins lisiblement.

. Petreius, op. rit., pag. 5o. l 'es imprimeurs ne composèrent pas sur les ma. mêmes,mais au moyen de copies qui en furent fai tes à Cologne. Loer, Préface du raité Decsnies,p/aûsne_

5 Acta S.tnrt., xis MarcH, pag. 24.3, n. t.

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les autres furent-ils épargnés par l'incendie de 1565, qui du restene détruisit pas toute la Chartreuse? Ce qui est certain, c'est qu'aucommencement du xviii e siècle, lorsque, d'après Foppens', il futquestion dans l'Ordre des Chartreux, de donner une nouvelle édi-tion du Docteur extatique, on voulait y comprendre des traitésinédits conservés à Rureinonde. Mais le Chapitre généra] ayantexigé que l'édition se fit en Fiance et qu'on y transportât tous lesmanuscrits, le projet n'eut pas de suite.

Ici s'arrêtaient jadis les témoignages historiques, et l'on supposaitgénéralement que les précieux manuscrits, transportés à Colognepar les Chartreux chassés de Ruremonde, avaient péri dans lesbouleversements de la Révolution. Nous devons aux heureuses in-vestigations d'un chercheur émérite, M. lngold, d'avoir pu retrou-ver leurs traces' Contrairement à l'opinion reçue, les Chartreuxde Ruremonde furent obligés, en 1783, de chercher une retraitedans le pays même, et ne purent gagner Cologne. Leur bibliothèquefut confisquée comme leurs autres biens, et envoyée à Bruxelles,où le libraire Ermens fut chargé de vendre les livres. Quant auxmanuscrits, en raison de leur importance, ils furent confiés, avecceux des monastères supprimés, aux savants Bollandistes Ghes-quiéres et de Smet, qui en dressèrent la liste. Le carton 207 duComité de la caisse de religion, aux Archives de Bruxelles, contientcette liste, et l'on peut voir que la collection était déjà bien enta-mée en 1785. En effet, sur les qq manuscrits enlevés de Rure-inonde, 25 seulement, parmi lesquels 23 autographes, appartiennentà Denys. Ce sont, en autographes

N' t. Expositiones super Genes. et Exod. (in-f')'. — 2. In Josue,Judices, Ruth, 'Fobiam, Judith, Esther, Esdram, Nehem., Machab.et Baruch. —3. In libres Regum et ParaI. , S et 6. In primant,2m et 3am Psaim. quinquagenam. - 7 . in Jerem., Threnos et ize-chieN. - 8- In Daniel. et Prophet. minor. - q In Matthum etMarcum. - in. In Lucain. - ri. In Joannem. - 12. In Epist.13, Pauli. - 13. In Epist. Canonic. et librum Joan. Climaci t . -14. In Job, Apoealyps. et Actus Apost. - iS. In Dionys. Areopagi-tam. - 16. Excerpta ex somma S. Thom, et Epitome BibIi. -17 et 18. Sermones de tempore et de Sanctis. - 1g. TranslatioCassiani. - 20. De Iaudih. gloriosœ V. Maria. - De reformât.Monialium. - De laude Ord. Carthusiensis. - De laude solitarivita

Viennent ensuite les nos 21 (in-4') écrits en partie par l'auteur,en partie par Aderolanus Scuwelius, anno 1449, et par d'autresDe landab. vita conjugatorum. - Speculum amator. mundi. -

Bibliosh. Relgic,. I3ruxclI., .73q, t. t. pag. 24,

voir nolamnient A la recherche des manuscrits de fle,ye dc Chartreux, dsns k B.1-clin criliquc, 25 juin 8)5.

3 Les man,scrits. sauf md cation contraire, sont in-folio.4 Se srou y - Ili o,rd' bai t la bibliothèq us de runiversisé de Louvain, sous le n' 2,3.5 Ibid., sous le n' 233.

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r Cet opuscule semble inédir.2 ltent. - 3 hem. - 4 t,,,.5 Voir dan, les Courtes re,,dsa des séances de ja Cni,,,u j,. royale d'hi.etoire... 4' série,

'orne r V, p 173-2l., le t, ... il dc M. Plot Les sM,nus en11, relatifsà l'histoire, prove.naut des couvents supprimés par Joseph Il.

(s tes documenta héraldiques pi-oprement dit, concernant le, familles des Pays-Ra,,revinrent à La Hayc en 814; cette qui regerdent la Belgique, à Bruxerres vers I 840.Tour le- reste est demeuré à Vienne. Pourrant le Catalogue de 2e Bibliothèque impé-

:cusc que let manuscrits sujvarcts de Denys: n" 9393. Exposit. in erres. ce Exod.utograplse n 7<326. Exhortai orir,rrr Nuvitiore,rrr qui ne vient pas de Ruremonder4 qui parait bien étre le cohier n' 2 r du Carelogue des manuscrits de Rure.Iressé eu 1785 Sammlungen der vereinttn Familles und l'rivat l3ibliothekdes Kaisers. Wien, 1873, t. I.

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Specuhim peccatorum— hi editatio super Ps. In tesperavi' - Oratioabbatis Effrem (sic) super Ps. Miserere 2_ lnllammator. divini aire-ris - De vita prsuIum - De laudab. vita viduarum - De custodiacordis, — 22. (in-4°) dune main inconnue: De arcta via salutis - Demiitua cognit. Beatorum - Contra pluralit. beneficiorum - De re-girnine politi - De reformat. claustralium - De modo judicandi -De vita inctusarum. —23. (in-8 1) Hora de SS. Trinitate - Horœ depassione Domini - De laudibus Dei. - 24. (in-8°) Tractatus delaudibus Dei. - 25. (in-4°) 0e la main de Jean 1-leysen de Grave,chartreux de Ruremonde : De gravitate peccati - Excerptiones desententiis quorurnd. patrum cathol. et gentilium'. - De iv -'irtut.cardinal .- De Sacramento altaris.

Sur les 168 traités de l'écrivain, 62 seulement avaient donc étéconservés à Ruremonde, 42 en autographes et 20 en copies. Qu'é-taient devenus les ro6 autres ê On a vu que 25 ne s'étaient point re-trouvés en t53o et semblent définitivement perdus; les 85 autresavaient disparu de 1530 à 1785 Quant à ceux qui subsistaient, ilsn'étaient pas au bout de leurs aventures.

En 5785, la Chambre héraldique de Bruxelles, qui voulait re-constituer sa bibliothèque détruite dans un incendie, demanda etobtint une partie des dépouilles des monastères. Elle choisit notam-ment 3o manuscrits de Ruremonde, dont 8 étrangers à notre au-teur, 17 mentionnés sous le titre général, Manuscrits de Ruremonde,et 5 ainsi désignés: De reformatione 011-4"), Dialogus (in-45), 5cr-mones (in-40), D ionysius (in-f0), Thomas

En 1794, lors de l'invasion des Pays-Bas par les Français, leconservateur des collections de la Chambre héraldique, M. Beydaelsde Zittaert « premier roi d'armes, dit Toison-d'or », les transportasuccessivement à Dordrecht, Dusseldorf, Wurtzbourg, Patisbonne,-Linz, Krems et enfin â Vienne où elles arrivèrent en i8o3, nonsans avoir laissé aux diverses étapes des épaves plus ou moins con-sidérables- Après de longs pourparlers relatifs à certains droits surces manuscrits que faisaient valoir leur sauveteur, ces collectionsentrèrent définitivement dans la bibliothèque particulière des em-pereurs d'Autriche, en mai et août r8o3°. A cette occasion Beydaelsdressa la liste des manuscrits qui lui restaient. On y trouve

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Dionys. Cartus. De vita laudabili conugatorum, et les indications •suivantes qui peuvent se rapporter àdes manuscrits de Denys Dereforma(. Religiosorum, in-.Ç, D. Thomoe Summi (sic), Tobjas,Esther, Job, Liber Epistolarum, in-f-, Diagolus.novitiorunl in con-temptu mundi (sic), in-40.'

En définitive, parmi les autographes de Denys, un est conservé àCues prés de Trèves'; un certain nombre sont allés â Vienne; cinq,par on ne sait quelle voie, sont entrés dans la bibliothèque deLouvain. Ce 9U0 sont devenus les autres, nous n'avons pu réussir àle savoir, malgré les recherches qui ont été faites dans les princi-pales bibliothèques de ta région.

Nous avons parlé surtout des autographes; quant aux simplesmanuscrits ou copies, on a bien voulu nous en signaler près de 140,dont 40 en Belgique, 33 en Allemagne, 3 1 en Hollande, io enFrance, 6 en Angleterre, 4 en Suisse, 12 environ en Autriche et2 en Italie. Ils embrassent 70 traités. Le plus ancien, l'ExpositioClimaci, est de 1454; le De vita et fine solitarii, de 1455 le Devitiis et virtutibus, de 1459, etc.... Nous devons en terminant, unremerciement au Dr Paulus de Munich, qui nous a fait connaître,d'après un ms. de la Bibliothèque de cette ville, sin fragment inéditde la Collatio niissa Capitulo generali FF. Minorum.

t M. Beyd,rls 3 Vienne, 1 796-181 1, manuscrit, aux Affaires éttangères de idruxelles.2 C'est le manuscrit du %foaopantasr, envoyé par Denys au Cardinal de Cusa. Voir

ci .deasus p. 62 et la note.3 Ou trouve dans la l3ibliothèque privée de 1'E,, pereur d'Autriche, une liste ma-

nuscrite, du commencement du xv,' siècle, contenant leu titres de tous ies ouvrages deDenys qui êtaient ronscrvéa à la Chartreuse de Itetremonde.

A

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TABLE DES MATIÈRES

Naissance de Denys. Ses études ...........5Sa vie religieuse .................i6L'oeuvre littéraire de Denys ............. 27

Sa vie publique. Ses relations extérieures. 49

Denys à Bois-le-Duc ...............63Sa mort. Son culte ..................67

Les premiers éditeurs de Denys. La nouvelle édition. .75

Appendice 1. Liste des ouvrages de Denys le Chartreux.79

Appendice Il. Des manuscrits de l'Auteur . . . . . . . . 85

II

'I-

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Mdntreui I-sur-Mer. - 1m primerie de In Chars reuse de Notre-Dame des Prés.E. I)UQUÂr directeur.