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Chris Tome1

Jul 08, 2015

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Tome 1

A paratre ...

Carolle BORDA

ChrisLexprience temporelleTome 1

Roman

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A toute ma famille en esprant leur apporter du bonheur A mon mari et mes enfants pour leur soutien dans cette inspiration A Denise-Juliette Pzennec pour sa relecture A la vie qui me donne la chance de continuer mes passions

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Prambule

Quand je vois chaque jour des enfants, des femmes et des hommes souffrir ou chercher une rponse toutes leurs interrogations, jai envie de croire quune invention humaine pourra nous aider dans le futur choisir notre vie. Et si demain, quelquun nous offrait la possibilit de voyager dans le temps, que ferions-nous ? Aurions-nous la curiosit de revenir dans notre pass, de voir notre futur ou de dcouvrir un autre monde plus lointain ? Et pourquoi pas une action plus universelle ? Chris, ce hros qui nous ressemble tant dans sa simplicit et sa souffrance quotidienne, devra mener une enqute sur sa vie pour trouver un nouvel espoir. Jai fait natre ce personnage, jai cr son histoire tout en me laissant guider dans cette aventure humaine et sociale avant tout. Ce premier roman ouvrira la porte dautres aventures fantastiques qui dlivreront leurs mystres au gr des pages tournes. Mais avant tout, laissons Chris se prparer sa premire exprience temporelle

Carolle BORDA

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Anne 2011 Bourgogne, France13 septembre : Le lieu du drameIl tait l, seul, face une foule de visages inconnus et troublants. Ses yeux ne comprenaient pas ce qui se passait autour de lui. Le sang coulait sur ses blessures : les mains, les jambes et surtout le visage sur lequel il ressentait une douleur intense. Il entendait des sirnes, voyait des lumires et surtout comprenait ce quon disait : Quil ne bouge pas surtout vous rendez-vous compte ? Une chute de cette falaise ! Cest un miracle quil soit toujours l ! . Une voix sapprochait de lui en insistant : Monsieur ? Monsieur ! Sil vous plat, pouvez-vous me dire ce que vous ressentez au niveau des jambes, comment vous appelez-vous ? . Il leva les yeux vers cette voix et dcouvrit celle qui lui parlait, le premier visage sur lequel il parvint se concentrer. Une femme si belle avec un regard bleu docan et une approche toute de tendresse. Elle portait une blouse blanche, un mdecin srement. Ses cheveux taient attachs, laissant dcouvrir une longueur plus que charmante ; quelques anglaises au bord du visage faisaient penser lurgence de la coiffure et donc de la situation. Il neut pas le temps de la dcouvrir davantage, dj elle lallongeait pour lausculter. Laissez-vous faire monsieur, nous allons nous occuper de vous . Il se sentit rassur mais perdu au milieu de ces visages nombreux qui lentouraient. En position couche, il sentit une douleur trs vive dans la colonne vertbrale ignorant cependant la gravit de son tat. Son regard se leva et observa le lieu o il se trouvait. Une falaise immense le dominait, celle-l mme dont 5

parlaient les gens autour de lui. Serait-il tomb de cette hauteur ? Ctait impossible. Il tourna alors son regard et dcouvrit un paysage magnifique constitu de superbes rochers de calcaire qui surplombaient une rivire. Le vent soufflait et les odeurs de la nature lenvahissaient dans son tat de sommeil veill. L, perdu dans un univers inconnu, il sentit son cur battre plus rapidement, ses yeux se fermer et un malaise lenvahir progressivement. Cest fini , se dit-il intrieurement, Je suis mort ! .

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20 septembre : Le rveilSes yeux souvraient doucement la vie et la douleur. Comme sorti de nulle part, il ressentait une furieuse envie de vivre et de revenir ce quil tait. Mais qui tait-il ? Et o se trouvait-il ? Son cur battait vite ; il avait la sensation de se rveiller dun long sommeil oubli. Il se souvenait prsent de cette image marquante, ce paysage de rochers, la falaise, ces gens autour de lui, cette femme au regard docan et ce malaise. Puis, simposa lui une suite dimages tranges : il marchait sur une terre rouge, lhorizon reculait devant lui, jamais il ne latteindrait Un rve ? Une ralit ? Brutalement, il sentit une douleur la tte et entendit le bruit insoutenable dune machine qui sonnait sans cesse ses cts. Il ouvrit les yeux et comprit quil tait lhpital. Des murs blancs lentouraient, des fils le retenaient trs certainement la vie, des papiers simprimaient avec le calcul du rythme de son cur. Il ntait pas mort et il revenait la vie. Sa tte tournait, il ne sentait plus ses membres. Quarrivait-il ce corps quil ne dcouvrait que depuis quelques heures dans sa mmoire trouble ? Langoisse et la panique lenvahirent, faisant semballer son cur sans limite. Lurgence tait l et le personnel de lhpital en prenait conscience. - Le Monsieur de la 113 est rveill. Activez-vous ! Les voix et les personnes sentassaient dans la petite chambre et commenaient prendre son corps comme objet dune exprimentation. La tension dabord, les yeux examins dans une lumire aveuglante et cette voix quil reconnut de suite. Les yeux bleus de la femme plongeaient nouveau dans les 7

siens. Sa voix calme et pose sopposait aux mouvements incessants des autres infirmires. - Bonjour Monsieur, comment vous sentez-vous ? Ne vous inquitez pas, vous tes pris en charge depuis votre malaise la semaine dernire. Vous avez dormi longtemps mais aujourdhui, tout va mieux, vous voil parmi nous, nest-cepas ? Ses soupons taient vrais alors. Ce malaise avait t long. Il souhaitait parler mais aucun son ne semblait pouvoir sortir de sa bouche. La femme lui prit le bras pour freiner sa volont de ragir : - Ne parlez pas pour le moment, reposez-vous, nous avons tout notre temps prsent. Il referma les yeux, doucement, calm par la voix sereine et le sourire rassurant. Il se sentait si loin prsent de ces voix. Il lui fallait se reposer.

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25 septembre : La mmoire oublieRveill par linfirmire venue prendre sa tension, Chris prenait enfin conscience de la gravit de son tat. Linfirmire ne lui parlait pas : elle lui prit rapidement le bras pour lexamen quotidien. Ses yeux souvraient progressivement sur le mme univers dcouvert la veille : des murs blancs dhpital, la perfusion branche son bras droit et ces nombreux papiers de suivi mdical sur le tableau blanc face son lit. Le silence de la femme lui convenait bien. Les douleurs ragissaient brutalement dans son corps : le visage qui le brlait, les mains galement corches de blessures multiples. Mais ce qui linquitait le plus, ctaient ses jambes quil ne ressentait plus. Linfirmire finit par dire : - Votre tension est bonne monsieur. Reposez-vous, le mdecin va passer vous voir ce matin. En partant, elle indiqua le chiffre 13.3 sur le tableau destin au suivi mdical. De loin, il essayait de visualiser ces graphiques incomprhensibles et sinterrogea tout coup sur le nom indiqu. En toutes lettres, il tait crit en face du mot patient : Chris avec un point dinterrogation rouge ct. Etait-ce son prnom ? Mais quel tait son nom en fait ? Sa tte explosa dun coup suite ces questions sans rponse. Comment pouvait-il se rappeler et comprendre les gestes de linfirmire sans savoir quel tait son vrai prnom ? Le rythme de son cur sacclra dun coup et linfirmire sen tonna : 9

- Monsieur, tout va bien ? Avez-vous besoin de quelque chose en particulier ? Il ne pouvait pas rpondre cette question, lui-mme ne trouvait aucune rponse. Il rpondit non de la tte, pensant se dbarrasser de cette prsence drangeante pour mieux avoir le temps de rflchir seul. Elle sortit enfin de la chambre, un grand sourire aux lvres tout en lui souhaitant une bonne journe. Quelle bonne journe ? Ici, clou sur son lit dhpital, il prenait conscience de son amnsie certainement due son accident au bas de la falaise. Le passage du mdecin lui apporterait peut-tre des rponses.

- Monsieur ? Monsieur rveillez-vous un instant, je vous prie. Il ouvrit alors les yeux et retrouva le regard inoubliable. Il voulut sourire mais sentit une douleur intolrable ce mouvement. - Je sais, la douleur est intense sur votre visage. Les cicatrices sont nombreuses : vous pouvez dire que vous revenez de loin. Mais avant tout, jai oubli de me prsenter. Elle serra sa main de manire polie et continua : - Je suis le Docteur Brire, responsable du service neurologie de cet hpital. Je souhaitais vous parler prsent que votre tat 10

est stationnaire. Elle observa un instant le regard tonn du patient et continua : - Nous vous avons trouv inerte, la semaine dernire, au pied dune falaise sur un site trs connu de la rgion, les Rochers du Saussois une quarantaine de kilomtres dici. Vous vous en tes sorti avec des blessures multiples et des squelles suivre pendant votre hospitalisation. Vous tes rest dans un coma partiel une semaine entire et vous vous tes rveill hier. Elle laissa un temps la comprhension de toutes ces informations un peu drangeantes et continua : - Votre tat de sant est bon, except les blessures prsentes sur tout le corps et surtout votre visage. Nous avons mis un pansement la blessure la plus importante sur votre joue droite, do la brlure que vous devez ressentir en ce moment. Le teint de Chris blanchit dun coup, il tenta de monter sa main sur cette joue endolorie. - Ne touchez pas sil vous plat, cette blessure prendra le temps de gurir et nous verrons ensuite avec le chirurgien esthtique comment attnuer la cicatrice principale. Il baissa doucement sa main pour couter attentivement la suite de lhistoire quil dcouvrait mot aprs mot. - Je sais que ces nouvelles sont difficiles entendre dun coup. Elle laissa nouveau un temps avant daborder lessentiel.

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- Votre colonne vertbrale a t certainement atteinte lors de la chute. Je vais attendre les prochains examens mdicaux pour en savoir plus. Sa voix se voulait rassurante mais elle captait rapidement la tension du patient au vu de lagitation inhabituelle de son corps. Habitue ces ractions de patients dsorients, elle choisit de parler diffremment. - A prsent, il faut quon apprenne se connatre, nest-cepas ? Ses yeux bleus brillaient de gentillesse, il se sentait rassur. Il attendait les questions mais semblait si certain des rponses. - Nous vous avons trouv au bord de la falaise sans papiers didentit et sans marque apparente qui nous permette de vous identifier. Quelques signes taient pourtant prsents sur vous et notamment un mot crit la main avec la mention suivante : Je mappelle Chris et je suis amnsique. Aidez-moi trouver mon histoire . Nous avons retrouv une boussole avec la gravure dun symbole astrologique confirmer, identique au tatouage sur votre poitrine. Aprs un silence, elle reprit : - Excusez-moi du cumul de toutes ces informations mais, il me faut savoir si vous vous souvenez de votre nom Monsieur. Les yeux de lhomme tendu sur son lit dhpital se troublrent dun coup cette question qui le tracassait depuis le passage de linfirmire et surtout la vision du prnom inconnu sur le tableau de suivi mdical. 12

Il baissa la tte pour rflchir et parla enfin dune voix rauque et fatigue : - Pardon mais je ne sais pas je nme rappelle rien cette falaise, ces blessures, ce prnom, ce symbole pardon mais je ne me souviens de rien Des larmes commenaient perler dans son regard, laissant imperturbable la doctoresse habitue aux histoires dramatiques. Pour le rassurer, elle lui prit la main et lui dit : - Ne vous inquitez pas, je suis mdecin. Je comprends votre trouble et je serai l pour vous aider retrouver votre histoire. Reposez-vous prsent, le temps vous aidera recouvrer progressivement votre mmoire. Nous allons effectuer des examens neurologiques qui vont nous aider avancer. Ne vous inquitez pas. Il ne savait pas ce que lavenir lui rservait mais les mdecins qui lentouraient seraient l pour laider, lui, ce Chris inconnu perdu dans cette mmoire oublie. Il savait quil noublierait jamais cet instant o il prenait conscience des limites de sa nouvelle vie. Le mdecin conclut avant de partir : - Je mappelle Clara et je serai l pour vous accompagner dans cette preuve. Aprs un silence, elle se leva en lui demandant : - Si vous le voulez bien ? 13

Il baissa les yeux pour les relever sur ce visage rayonnant et souffla dans ses lvres le seul mot qui lui semblait important : - Merci. Il ne trouvait pas dautres mots en raction cette situation dans laquelle il souffrait avec ce lui-mme quil ne connaissait pas. Il baissa nouveau les yeux, le visage attrist et pensif. Le mdecin comprit clairement sa volont de rester seul et sortit en silence. Il tourna le visage sur son oreiller et laissa couler une nouvelle larme empreinte dincertitude sur sa vie qui navait plus dancrage dans sa mmoire oublie. Une phrase se rptait sans cesse dans son esprit : - Je mappelle Chris et je suis amnsique. Aidez-moi trouver mon histoire.

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30 septembre : une nouvelle visionLes jours se poursuivaient dans cet univers inconnu avec le soutien des mdecins et des infirmires qui soccupaient de lui au quotidien. Mais rien navanait dans les tests de mmoire. Un matin pourtant, Clara lui apporta un objet susceptible de laider retrouver son identit, un miroir. Chris comprenait quun choc pouvait assaillir sa vie la vision de son physique actuel et le refusa ds son arrive. - Non, je ne suis pas prt Docteur. Jai peur, peur de ce que je vais voir. - Je suis l, ne vous inquitez pas. Cette phase est importante. Il faut passer cette tape pour faire voluer la connaissance de vous-mme. Faites-moi confiance, je vous en prie. Son regard rassurant se plongea dans les yeux de Chris pour lencourager accepter. Clara avait travaill depuis des annes autour de lamnsie : elle avait expriment avec succs cette nouvelle mthode. Mais le plus important tait que ce nouveau patient donne son accord pour que tout senchane sur le chemin de la gurison. Pensif, il baissa les yeux de nouveau pour rflchir et se dcida enfin : - Daccord, mais, je vous en prie, restez auprs de moi. Elle sapprocha doucement, prit une chaise pour tre ses cts et lui tendit la main pour renforcer la confiance. Lmotion tait forte ce contact : ce moment tait important 15

pour lvolution de sa sant et la dcouverte de sa vritable identit. Clara monta doucement le miroir face au visage de Chris, laissant le silence simposer dans cet instant fatidique. Chris se voyait enfin dans ce miroir rvlateur : le cou marqu par les blessures si fin quon en voyait presque les os, la pomme dAdam prpondrante qui bougeait sa manire davaler pniblement la salive, le menton qui avanait en avant, la bouche fine et bien dessine, le nez assez long semblant aller dans lensemble dun visage mince. La joue droite tait recouverte dun grand pansement impressionnant du haut de lil jusqu la mchoire. Le miroir sapprocha davantage de son regard. Des yeux noirs foncs lui apparurent dune duret impressionnante. Chris se voyait, Chris se dcouvrait mais comment pouvait-il ne pas comprendre qui il tait ? Il attendait tellement de cette vision mais rien ne venait. Rien ! Dune voix tremblante qui exprimait sa dception, il parla tout haut : - Je ne ressens rien Docteur. Pourquoi ? Je ne me connais pas, je ne sais pas qui est cet homme en face de moi ! Il rebaissa brutalement le miroir pour le poser sur le lit. Pour lui, cette vision tait inutile, except pour dcouvrir quel physique il avait : anguleux, froid et sombre la fois. Qui taitil ? A cette raction impulsive quelle avait dj constate avec dautres patients, Clara sempressa de lui dire : - Ne vous inquitez pas Chris, le temps vous aidera comprendre. Vous vous approchez de vous progressivement et bientt, de nouvelles images vous seront rvles. 16

Elle posa nouveau sa main sur son bras pour le rassurer et ajouta : - Cet aprs-midi, nous vous emmenons faire un IRM du cerveau et des radios multiples de votre corps. Nous aurons ainsi un point clinique gnral de votre tat de sant et bientt, tout sarrangera, vous verrez. Les mots taient pleins despoir mais comment avoir de lespoir avec ce pass oubli ? Chris ne rpondit pas. Il la regarda longuement et finit par dire : - Jai confiance en vous mais je crois que je naurai ni le temps ni la patience dattendre. Je ne suis rien ou plutt lombre de cet homme qui a peut-tre essay de se suicider. Je ne sais pas si jai envie de me battre. Alors, allez-y, faites tous les examens que vous souhaitez mais rien ny fera, je le ressens en moi. Il me faudra comprendre par moi-mme qui je suis. Elle sourit nouveau et ajouta en sortant de la chambre : - Jai confiance en vous. Vous verrez, votre histoire sera la vtre trs bientt. Le mot crit en est la preuve. Il ne faut pas dsesprer A tout lheure pour les rsultats de ces examens. Elle nattendait pas de rponse et sortit rapidement de la chambre pour rejoindre les autres patients. Chris restait pensif. Une personne avait crit ce mot pour donner linformation sur son prnom et encourager une enqute sur sa vie. Mais qui tait cette personne ? Sa femme, un ou une amie, un inconnu, un ennemi peut-tre ? Et ce symbole bizarre sur la boussole et sur sa poitrine ? Il ne fallait pas quil se dcourage. Il fallait quil 17

se batte : gurir tout dabord et chercher qui il tait avant cet accident. La lumire du soleil posait des reflets sur son visage et sur le miroir laiss ses cts. Il reprit doucement cet objet de rvlation dans sa main droite et le souleva face ce visage auquel il commenait shabituer. Ses yeux fixaient son image sans pouvoir sen dtacher et il se dit tout haut : - Chris, cest toi ? Qui es-tu ? Quas-tu fait pour mriter cette preuve ? Tes-tu jet du haut de cette falaise ou quelquun lat-il fait ta place ? Qui es-tu ? Il baissa le miroir. Il commenait comprendre que ses forces le menaient une nouvelle vie, faite de mystre et dinconnu. Il tait prt se battre contre ce brouillard sans fond qui constituait son prsent.

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1er octobre : Les rsultats des examens- Salut Vincent, tu vas bien ? Clara entra rapidement dans la salle dexamen pour saluer son ami de toujours. - Clara, tu vas bien ma belle ? Le Docteur Brire avait pass toutes ses tudes au Qubec avec Vincent Rousseau et lavait retrouv dans cette unit spcialise. Ils avaient cru un moment quune histoire damour pouvait natre entre eux mais lamiti avait t le vainqueur de cette belle relation. - Vincent, je viens te voir suite aux examens de Chris, lamnsique de la chambre 113. - Oui, je me souviens. On en a parl en runion hebdomadaire. - Les examens sont finis ? Il devait les faire cet aprs-midi ? - Oui tout est fini mais Le doute de la voix inquita Clara qui linterrogea rapidement : - Quoi, tu as un problme ? Il la fit sasseoir tranquillement et se positionna vers lcran dordinateur. Il laissa un temps de rflexion et commena expliquer : - Ecoute Clara, cest bizarre, comment te dire ? Regarde par toi-mme ! 19

Clara posait son regard sur lIRM pratiqu sur le cerveau de Chris et cherchait comprendre. Limage sembla floue au dpart puis son regard changea dun coup lorsquelle comprit ce dont Vincent voulait parler. - Ce nest pas possible ? - Je sais, moi aussi, jai eu cette raction. Ecoute. On la install pour lIRM une premire fois. Cela na pas t facile car il croyait quon voulait lui faire du mal et cherchait protger son cerveau avec ses deux mains en criant quil ne voulait pas quon y touche. Je lui ai parl et il na pas compris lui-mme sa raction. Je pense sincrement que quelquun lui a fait du mal, voir avec la suite de son histoire. Une fois calm, il sest allong et il sest plong dans une sorte de transe pendant laquelle il rptait sans cesse passer le temps, passer le temps . Une fois atteinte la zone dexamen du cerveau, ses yeux se sont modifis en prenant une couleur inhabituelle comme un violet transparent. Ctait comme si sa vision ragissait nos appareils et que ses yeux reconnaissaient cette mthode danalyse virtuelle. Il semblait changer avec la machine. Et puis ce nest pas tout Clara attendait la suite avec impatience et le lui fit comprendre du regard. - Regarde, regarde bien les rsultats des examens ! Intrigue par le mystre de la voix de Vincent, Clara se rapprocha de lcran et saperut rapidement de lanomalie. - Vincent, comment cette partie du cerveau peut-elle avoir disparu ? - Je ne sais pas Clara mais comme tu le vois, lhippocampe de 20

son cerveau est compltement dtruit gauche et droite. Tu sais quhabituellement, selon des expriences effectues sur des souris, les cannabinodes endognes placs dans lamygdale, la zone du cerveau central, effaceraient les motions, les souvenirs, voire les peurs. Mais l, je ne comprends pas, cest comme si quelquun avait volontairement dgrad cette partie du cerveau sans laquelle pourtant aucun humain ne peut survivre. - Cest impossible ! Clara ne savait que dire face ce mystre mdical. Jamais elle navait diagnostiqu un tel cas et cela lui confirmait que ce patient tait unique. Toute cette histoire au bord de la falaise, ce mot, ces symboles et cette amnsie perturbante ! Elle regarda nouveau les rsultats des examens pour mieux en saisir le mystre. Elle sassit au fond de sa chaise, dpite par cette nouvelle et rflchit tout haut un instant : - Ce qui veut dire que ce patient est unique mais que par contre, il ne retrouvera jamais sa mmoire. Nous, mdecins, nous navons aucune solution pour laider ? - Clara, il faut en parler en haut lieu. Cest un cas unique. - Non, Vincent, sil te plat, attends encore un peu. Je veux prendre le temps de revoir ce diagnostic et surtout de lannoncer mon patient. Vincent regarda engagement : Clara et comprit demi-mots son

- Clara, ne timplique pas trop dans cette histoire. Tu vas y laisser des plumes, je te connais. Je dois prvenir de ce cas scientifique, tu le sais ! 21

Clara se rapprocha de Vincent jouant de son charme et de son inquitude la fois : - Vincent, je ten supplie, au nom de notre amiti, laisse-moi un dlai. Son regard insistait et Vincent pressentait limportance de ce suivi mdical pour elle. Il se souvenait quelle aussi lavait aid un moment donn de sa carrire. Clara simpliquait souvent dans les cas complexes tout en risquant frquemment son poste mais elle savait tre solidaire de ses collgues. - Ok Clara, ne te mets pas dans ses tats-l. Je garde les examens pendant quinze jours pour linstant. Par contre, il faut que tu le dises au patient. - Oui, bien sr, bien sr Clara restait pensive. Elle le remercia avant de partir. Elle vagabonda lair hagard dans les couloirs, les examens fermement tenus dans ses mains. Elle se souvenait dune phrase que lui avait dite sa grand-mre lorsquelle tait petite : - Tu sais Clara, tre mdecin ne te donnera pas la solution des mystres de la vie. Elle savait cela mais si elle avait voulu tre mdecin, ctait pour sauver des vies et pas pour se retrouver face des mystres aussi inexplicables. Lessentiel tait quelle puisse trouver une solution mdicale pour aider ce patient. Elle trouverait la solution, elle le pressentait.

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2 octobre : Lannonce du diagnosticRveill tt ce matin-l, Chris essayait doublier la tristesse ressentie lors du premier diagnostic mdical de la veille. Il avait mang pniblement son repas du midi et attendait impatiemment la venue de son mdecin. Ses penses le ramenrent une vision bizarre vcue pendant son coma : une marche interminable sur un sable d'une couleur inhabituelle et dune texture douce mais puisante aux mouvements de ses pas rguliers. En fermant les yeux, il se souvint d'un dtail qui lavait troubl. Il se voyait lever les yeux pour dcouvrir un ciel dune trange couleur d'un violet transparent et ressentir sur son visage ltouffante chaleur dun soleil inhabituel. Un mystrieux paysage dont il ne voyait pas la fin simposait lui. Plus il repensait cette vision, plus il se disait que rien ne ressemblait au monde qui l'entourait aujourd'hui. Serait-ce un nouveau mystre autour de son identit oublie ? Mme sil ne trouvait pas encore de rponse cette question, il restait pensif. Il fut brutalement sorti de ses rflexions par l'arrive de Clara. Il ouvrit les yeux progressivement et comprit, son visage, qu'elle n'avait pas de bonnes nouvelles lui annoncer. Il dcida dentamer lui-mme la conversation : - Bonjour, comment allez-vous ? Clara sapprocha de lui et s'assit un instant sur le bord du lit : - Je vais bien, merci. Elle laissa passer un temps. Ce ntait pas facile pour elle de 23

venir aujourd'hui, mme si les diagnostics faisaient partie de son quotidien depuis des annes dj. Sa direction lui avait souvent reproch des moments dattention presque affectifs envers ses patients. Mais cette fois, elle savait quelle devait prendre son temps pour le diagnostic attendu. Chris lui sourit tout en entrant, signe dune complicit dj bien tablie avec elle. Clara se dcida enfin parler : - Chris, j'ai enfin les rsultats de vos examens. Et comme vous le devinez, je suis l aujourd'hui pour en parler avec vous. Chris baissa la tte, le cur battant. Il attendait ces paroles depuis tellement longtemps. Il leva les yeux nouveau vers Clara tout en cherchant plonger dans son regard. - Chris, tout d'abord, je veux vous rassurer sur votre physique. Votre colonne vertbrale n'a rien de grave et nous pourrons trs bientt vous lever pour vous rapprendre marcher. Le reste viendra avec le temps, il vous faudra des sances de kinsithrapie, beaucoup de patience et de courage. Pour les cicatrices, nous pourrons faire le point la semaine prochaine avec notre chirurgien esthtique qui vous fera des propositions que vous accepterez ou non. Par contre, Chris, le souci principal est la prise en charge de vos soins. L'assistante sociale viendra vous voir cette semaine pour vous proposer un soutien exceptionnel le temps de retrouver les personnes qui pourront nous donner des informations sur votre pass. Je connais bien le directeur de lhpital et sa gnrosit. Ne vous inquitez pas, des solutions seront trouves. Un fonds social est prvu pour les cas de patients sans identit.

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Chris se sentait rassur par les premires paroles de Clara : il pourrait remarcher, corriger ces cicatrices qui avaient meurtri son visage et surtout continuer tre aid par lhpital qui il devait tout. Il savait pourtant que Clara n'avait pas tout dit et il attendait la suite. - Je crois, Chris, que vous tes rassur sur ces points. prsent, il me faut vous parler de l'I.R.M. du cerveau que nous avons demande et analyse hier. Mon collgue, Dr Rousseau, m'a parl de votre difficult effectuer cet examen, due probablement un ancien traumatisme sur cette partie de votre corps. Pourtant, il reste un mystre, Chris, un mystre trs particulier pour nous, mdecins. Chris sentait son cur battre tout rompre et comprenait que ces mdecins avaient dcouvert quelque chose d'inhabituel. Il savait que ces rvlations pouvaient nouveau changer sa vie. - Chris, en fait, une partie importante de votre cerveau est compltement endommage, ce qui pourrait expliquer vos soucis de mmoire. Elle ouvrit alors l'enveloppe des rsultats des examens, la montrant directement Chris comme argument. - Vous voyez, ici gauche et droite, le cerveau humain prsente habituellement une structure bilatrale et symtrique faisant partie du systme limbique. Dans le milieu mdical, nous l'appelons l'hippocampe ou corne dAmmon. Compose de plusieurs modules, cette zone du cerveau a une fonction encore mal lucide. Nous savons pourtant que cette dernire contribue la construction rapide de mmoires vnementielles complexes, qualifies de mmoire pisodique. Le fait que ces 25

parties de votre cerveau soient totalement endommages peut tre la cause de votre amnsie. Je ne peux malheureusement pas vous en dire davantage car je n'ai aucune rponse propos du rsultat de vos examens. Est-ce une dgradation due une maladie ou un accident ? Aucune rponse et aucun traitement ne sont possibles ce jour. Seule une forte exposition des champs magntiques pourrait expliquer la situation mais aucun cas na t identifi ce jour. Clara s'arrta un instant. Son cur s'emballait face l'impuissance mdicale qu'elle osait aujourd'hui avouer. Elle baissa les yeux, ne trouvant plus les mots pour continuer. Bouscul par cette nouvelle mais touch par l'motion de Clara, Chris lui rpondit : - Merci tout d'abord pour votre sincrit, j'ai confiance en vous en tant que mdecin. Comme vous devez vous en douter, je suis compltement perturb par cette nouvelle. Moi, l'amnsique de l'hpital, je rentre nouveau dans un cadre d'exception. Mon cerveau est endommag sans possibilit de gurison et je continuerai vivre sans mes souvenirs. Une angoisse monta alors brutalement en lui. Si son cerveau tait dtruit, comment pouvait-il vivre ? Comment pouvait-il continuer vivre ? - Je vais mourir, cest a ? Choque par cette question, Clara croisa nouveau son regard et lui rpondit franchement : - Non Chris, non, je ne crois pas. Ce que je suis en train de vous dire, c'est que moi, mdecin depuis cinq ans dj, je n'ai 26

aucune rponse ces examens et donc aucun diagnostic sur votre vie. Je garde espoir pour qu'on trouve un jour une solution ce mystre et je vous confirme que je vous y aiderai. Le diagnostic ne rpondait pas lattente du patient mais Clara devait continuer son mtier. Elle se leva brusquement et finit par lui dire : - Chris, mon collgue m'a donn quinze jours avant d'en parler au comit scientifique de l'hpital. Nous allons rflchir ensemble et avancer dans votre histoire. Nous allons surtout nous occuper de votre corps et faire des recherches sur votre vie. Nous avons dj eu des cas similaires aux vtres et la plupart du temps, nous retrouvons les proches. Jai confiance sur ce point. Malheureusement, je dois vous laisser. J'ai un emploi du temps trs charg aujourd'hui mais je voulais tre l pour vous annoncer ces nouvelles que nous pourrons revoir au jour le jour. Ne vous inquitez pas, nous allons trouver une solution et surtout une rponse toutes vos questions. Elle le salua poliment et s'loigna, fermant rapidement la porte de la chambre. Il fallait que ce patient comprenne son tat actuel et quelle trouve elle-mme une nouvelle solution pour lamener la gurison. Rest seul, Chris prit alors toute conscience de la nouvelle. Encore un mystre, encore une question qui s'ajoutait toutes les autres. Mais la volont de son mdecin lui donnait envie de croire que demain serait un jour nouveau. Qui tait-il ? Il prfra loigner cette question. Il fallait pour le moment rester indiffrent un combat qui lui semblait insurmontable. Il ferma les yeux comme pour oublier ce que le prsent lui imposait.

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5 octobre : un chemin de vritTransfr dans un service de convalescence au sein de lhpital suite son coma, Chris connut une priode de transition pendant laquelle des professionnels laidrent rveiller son corps. Kinsithrapeutes, infirmires, psychologues et toujours son mdecin, en fil rouge de son suivi mdical. Ce jour-l, assis sur la terrasse de lhpital, il profitait du soleil qui rchauffait ses joues. Pendant les quinze jours suivant lannonce du diagnostic de son cerveau, il navait pas souhait repenser cette information qui fermait son avenir mais avait choisi plutt de sinvestir physiquement et moralement dans son prsent. Pourtant, l, cet instant mme, seul face ce paysage lointain et envahi par le silence du matin, il y pensait et repensait. Comment tait-ce possible ? Un cerveau qui fonctionnait sans les lments physiques essentiels la survie dun tre humain ? Son mdecin ne lui en avait pas reparl et chacun tait rest silencieux sur le sujet. Accompagn mdicalement depuis quelques semaines, il semblait retrouver une identit et se crer un chemin vers une nouvelle existence. Mais comment pouvait-il oublier quune autre vie tait derrire lui ? En dpit de sa volont, rien ntait revenu sa mmoire, ni un nom, ni un visage, ni une odeur, ni mme un sentiment. Tout se construisait au prsent, enferm dans cet hpital. Il sefforait de croire en un nouvel espoir de vie. Linstant tait intense. Les yeux ferms, il ressentait une motion nouvelle lenvahir, comme une intuition qui montait en lui et une flamme qui le brlait de lintrieur. Quel tait ce sentiment qui lenvahissait brutalement au plus profond de son 28

corps ? Il sentait une prsence sapprocher alors que ses yeux taient ferms. Intuitivement, il savait quune main allait se poser sur son paule droite et lui annoncer nouveau une mauvaise nouvelle. Etait-ce un rve ? Un tat comateux suite la prise de sdatifs ? Brutalement, il sursauta et ouvrit les yeux. Le soleil lblouissait. La situation dont il rvait linstant commenait se concrtiser. Il entendit des pas derrire lui et bientt, il le savait, ce serait dj cette main, cette mauvaise nouvelle et cette flamme qui chauffait son corps de manire inhabituelle. A plusieurs reprises, il stait aperu avoir ressenti les situations quelques secondes avant comme si son cerveau les lui annonait pour sy prparer. Mais il ne sy attarda pas cette fois car il entendit distinctement le son de la voix de son mdecin, Clara. - Chris, vous prenez le soleil ? Clara resta derrire lui et lui posa naturellement la main sur lpaule droite. Puis, elle prit une chaise sur la terrasse et la plaa face lui pour mieux croiser son regard. Elle semblait dtendue mais son attitude srieuse dmontrait limportance de la situation. Chris le ressentait en cho de sa premire intuition. - Bonjour Docteur. Oui, cest vrai, jaime le soleil du matin, les derniers avant lhiver mme si pour moi, les saisons sont oublies dans mon esprit. Vous allez bien ? La question de Chris tait destine faire comprendre Clara quil savait pourquoi elle tait l. - Chris, je sais que vous tes intelligent et qu chaque fois que je viens vous voir ainsi, vous en devinez le motif. Vous me connaissez un peu prsent et cest bien comme a. 29

Un silence et elle reprit : - Voil, les quinze jours sont presque passs depuis lexamen crbral que nous avons ralis, vous savez, la destruction partielle de votre cerveau et cette annonce officielle que javais promise un de mes collgues. Dans deux jours, je dois le faire mais Sans explication, il sentit quelle allait lui faire une nouvelle proposition. Il observa les cheveux de Clara boucls souhait, ses yeux maquills avec soin et son sourire lumineux. Il redcouvrait lapparence de cette femme dont le charme ne lui tait pas indiffrent depuis leur premire rencontre. - Voil, jai pens une autre proposition. Le mot tait tomb. Chris avait raison, il dcouvrait nouveau que son intuition ne le trompait pas sans chercher pourtant analyser ce nouveau don. - Jai un ami qui intervient au sein de lhpital, il sappelle Gilbert. Il est magntiseur et pratique lhypnose veille depuis un certain nombre dannes pour rechercher lhistoire des personnes amnsiques. Nous nen sommes quau dbut de nos recherches mais cela a donn des rsultats extraordinaires pour certains patients. Avant dannoncer officiellement aux instances scientifiques et mdicales de lhpital la confirmation du mystre de votre examen crbral, jaimerais essayer cette mthode avec vous. Avec votre accord bien videmment. Aprs un temps dchange de regards, elle lui demanda : - Quen pensez-vous Chris ? 30

A cette question, Chris ne put sempcher de trouver bizarres les sentiments quil ressentait depuis son arrive lhpital et surtout son intuition au pralable de la formulation de cette proposition. Il ferma les yeux un instant comme si sa rflexion pouvait lui apporter la rponse cette question. Rien ne venait, le silence demeurait dans son esprit. Plong dans ses penses, il entendait rsonner au loin les premiers cris doiseaux laube de ce matin mystrieux. Il ouvrit nouveau les yeux et vit le visage de Clara qui attendait impatiemment sa raction. - Docteur, je sais que vous croyez en ma gurison mais Comprenant que Chris avait lintention de refuser sa proposition, Clara tenta une nouvelle motivation : - Je vous arrte tout de suite Chris. Ne refusez pas cette proposition, je garantis le srieux de cet homme et vous verrez peut-tre une solution venir vous pour connatre enfin la rponse vos questions. Je ne vous lai pas propos depuis votre arrive ; nous attendons toujours un mois avant de le faire pour permettre au cerveau de ragir par lui-mme. Mais cette fois, Chris, cest le moment davancer vers la vrit. La voix rsonnait bizarrement dans le cerveau de Chris : avancer vers la vrit . Ntait-ce pas lobjectif quil stait fix depuis son arrive ? Et en mme temps, il ressentait quil pouvait faire confiance cette femme qui lui avait toujours dit la vrit sur sa situation. Il devait lui exprimer sa volont de croire en elle. - Vous tes l pour me guider dans mes recherches, je le sais prsent. Vous avez t la premire lire le mot retrouv lors de mon accident. Laide demande sur ce bout de papier, je sais 31

que vous tes celle qui me lapportera. Je le sais, je le ressens en moi ! Habitue des situations de psychose aprs un coma, Clara semblait malgr tout trouble de ces mots et du regard puissant qui les accompagnait. Elle se leva brusquement comme pour couper court sa raction avec lintention de faire un lectrochoc son patient. Chris comprit son sentiment de rejet face ce nouveau personnage. Il cligna des yeux pour chasser ses paroles et revenir au Chris accueilli il y avait un mois dans cet hpital. - Nayez pas peur de moi, je vous en prie. Jai confiance en vous, je vais faire cette exprimentation vos cts et chercher le chemin de ma vrit. Soulage de sa rponse et certaine davoir raison dans cette nouvelle recherche de gurison, Clara afficha un large sourire. - Merci Chris de votre confiance. Gilbert est prt venir cet aprs-midi si vous le souhaitez. Chris rpondit favorablement de la tte. Clara comprit son attitude quil souhaitait se reposer prsent. - Je vous laisse, les infirmires vont passer. Souhaitez-vous que je vous ramne dans votre chambre ? Ce fauteuil roulant nest vraiment pas pratique. A lannonce de ce mot, Chris regarda alors ses jambes. Comme loign de la ralit, il avait oubli cette machine infernale qui lui permettait dvoluer, ce fauteuil qui bloquait son corps tout en laissant libre son esprit. 32

- Non, merci, jai assez honte dtre aid chaque jour par les infirmires ou les aides-soignantes. Je vais rester un peu et jattendrai votre ami cet aprs-midi. Merci, merci pour tout. - De rien Chris. A tout lheure ? Jassisterai moi-mme la sance dhypnose, je serai l vos cts comme promis. Elle sloigna dans le dos de Chris et le laissa seul sur la terrasse. Elle le regarda de loin et ne put sempcher de repenser ce moment mdical doubl dun grand moment dhumanit. Cette histoire ressemblait celle dautres patients mais quelque chose lintriguait malgr tout intrieurement. Sans trouver le motif de son inquitude, elle referma la porte et repartit au travail. Il fallait quelle se dpche de finir ses tches du matin avant de revenir voir son patient.

Aprs avoir pris rapidement son djeuner, Chris se prpara la sance dhypnose. A quatorze heures juste, un homme entra dans sa chambre. Grand, svelte, habill en dcontract, lhomme sapprocha doucement du fauteuil roulant o Chris tait dj install. - Bonjour, je mappelle Gilbert. Ses yeux profonds de couleur noire scrutaient le visage de Chris comme si ce professionnel recherchait un change visuel. - Bonjour, je vous attendais. Mon mdecin nest pas l ? - Elle nous rejoint dans la salle de consultation. Vous avez t inform de la sance de cet aprs-midi ? Avez-vous des 33

questions sur la mthode ? - Oui, le Dr Brire ma prvenu et ne vous inquitez pas, je pense connatre lhypnose. Gilbert sembla surpris de sa raction, tonn quun homme amnsique comprenne la mthode de lhypnose alors quaucun souvenir ne lui tait rest de sa propre vie. Clara lavait prvenu de la personnalit mystrieuse du personnage. Conscient de limportance dobtenir son accord pralable pour la manipulation, il ajouta : - Je comprends, mais je dois par respect du milieu mdical vous informer au pralable et vous faire signer un document de confirmation de votre accord. Voil, je suis magntiseur depuis quinze ans dj. Jai dcouvert ce don par hasard et ma vie en a t bouleverse. On peut considrer que chaque tre humain est un aimant vivant en attraction avec dautres aimants et quil possde une nergie propre avec la facult de la partager. Ces changes dnergie favorisent lquilibre, contrairement la maladie qui est un tat de dsquilibre. Le magntisme est un agent naturel qui est propre aux tres vivants. Pour ma part, jai tudi les lois de lnergtique et je les ai appliques quotidiennement pour dvelopper mon propre magntisme. En imposant mes mains sur le corps des personnes, je me suis alors aperu que je pouvais soulager certains de leurs maux. Je travaille depuis cinq ans avec lhpital pour certains cas de brlures importantes. Nous avons expriment mon don pendant une anne entire et les professionnels mdicaux de cet tablissement mont fait confiance. Je fonctionne par objectif et prouve chaque jour que mon don apporte un plus au suivi mdical classique. Mais ma prsence aujourdhui concerne plutt une pratique spcifique que jexprimente depuis deux ans : lhypnose magntique. Avec la force de mon 34

magntisme, je peux endormir votre corps et garder votre esprit libre pour communiquer. Je lai pratiqu sur deux patients amnsiques avec de trs bons rsultats. Le Dr Brire me fait confiance pour cette exprience quelle croit favorable votre gurison et au chemin de vrit que vous recherchez depuis votre arrive. Gilbert avait parl sans sarrter pour faire assimiler ces informations ce nouveau patient et comme habituellement, il laissa alors un temps de silence pour quil puisse ragir. Plong dans le regard du magntiseur, Chris analysait son esprit. Mais quelle tait encore la facult quil se dcouvrait lui-mme ? En regardant Gilbert expliquer son histoire, il lui semblait scanner son cerveau et visualiser les images probables de son pass : une dpression, une vie isole et consacre ce don, le dmarrage de son mtier, la confiance retrouve, la gurison miraculeuse de certaines personnes, certaines dceptions, la passion de vouloir tout faire pour que son don vienne aider lautre. Chris ne comprenait pas ce qui lui arrivait : il entendait les paroles de lhomme mais se sentait lointain de cette scne. Les minutes lui semblaient interminables. Chris avait sa rponse : ce professionnel inconnu jusque l ntait pas ngatif et pouvait laider. Il se frotta les yeux aprs la fatigue de leffort fourni. Encore une fois, son esprit fonctionnait diffremment des autres et il dcouvrait progressivement ses nouveaux dons. Troubl par ces ressentis devenus de plus en plus bizarres depuis quelques semaines dj, il prit sa tte entre ses deux mains comme pour se protger. Gilbert sinquita de son tat : - Vous allez bien Monsieur ? - Oui, tout va bien merci. Je sais prsent que je peux vous 35

faire confiance. Alors, allons-y prsent. Gilbert ne chercha pas comprendre. A cet instant mme, il percevait tout au fond du regard de Chris un sentiment trange jamais ressenti chez une autre personne. Clara avait raison : ce patient avait quelque chose de bizarre et il esprait trouver avec lui le chemin de sa vrit. Aprs cet accord, il poussa Chris sur son fauteuil pour se rendre la salle de consultation. Dans le couloir, Chris profita de cet instant pour se confier : - Je ne crois pas que cet examen mapporte la vrit sur mon histoire mais surtout nayez pas peur de moi. Je vous en prie, nayez surtout pas peur de moi. Derrire le fauteuil roulant, Gilbert ne ragit pas et se contenta de froncer les sourcils sur ces propos quil devait apparemment garder pour lui. Arriv la salle de consultation, Chris sourit la vision de Clara : - Vous allez bien Docteur ? Voyez, je suis l, prt vous faire confiance. - Merci vous et bienvenue dans le chemin de votre vrit. Je souhaite surtout que cette exprience vous aide comprendre qui vous tes rellement. Peu dchanges de mots, le basculement du corps inerte de Chris sur la table de la salle avec laide dautres infirmires, et la prparation cette nouvelle exprience pouvait commencer. Gilbert expliqua alors : 36

- Je vais faire quelques passes magntiques sur votre corps et vous pourrez marrter lorsque vous aurez envie de parler. En gnral, il faut environ une demi-heure de passes pour endormir le corps. Vous me prvenez ds que vous vous sentez prt. Le magntiseur tourna autour de Chris, passa ses mains et sa chaleur magntique sur son corps, ses jambes, son abdomen, sa poitrine, son cur, sa tte. Tout se passait bien. Chris avait une sensation dendormissement et de bien-tre comme sil pouvait sabandonner cet homme pour tout lui dire. Il ne rsista pas et murmura : Je suis prt, je suis prt parler . Clara et Gilbert retenaient leur souffle tout en esprant quenfin, Chris allait connatre la vrit sur son histoire. - Nous vous coutons Chris. Que voyez-vous ? Parlez-nous de votre pass. Les questions de lhypnotiseur saccumulaient sans entraner aucune raction de Chris. Linquitude marqua le visage du professionnel qui insista pourtant : parfois, les ractions venaient ultrieurement. - Qui tes-vous ? Que souhaitez-vous nous dire sur votre histoire ? Toujours rien. Et puis cette question qui dclencha tout : - Je mappelle Chris et je suis amnsique. Aidez-moi trouver mon histoire . Quest-ce que cela signifie votre avis ?

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Chris ouvrit brusquement les yeux. Gilbert sapprocha de lui tout et lui conseilla de garder les yeux ferms. Chris lui accrocha le bras brutalement, presque violemment et parla enfin : - Je mappelle Chris et je suis amnsique. Aidez-moi trouver mon histoire. Le silence qui suivit fit passer une peur inexplicable dans la salle. Chris ne lchait pas le bras de lhypnotiseur qui avait mal prsent. Lhomme nosait pas bouger tout en se rappelant la phrase de Chris : Nayez surtout pas peur de moi ! . Clara demeurait immobile, sachant que le moment trs important dans lexprience, la libration de la parole. Soudain, Chris lcha enfin le bras de Gilbert et continua parler : - Je vois un homme avec un grand manteau de couleur sombre, une capuche sur son visage. Qui est-il ? Il est l devant un lieu sacr, il tient un objet dans les mains, une boussole, une carte, un symbole du temps, Saturne. Ma mission de changer le monde derrire cette exprience temporelle, mon corps me brle, je passe les portes du temps non !! Chris cria ce dernier mot tout en restant calme pendant les secondes suivantes. Clara et Gilbert semblaient surpris de ces paroles, attentifs lappareil qui surveillait les battements de son cur et lordinateur vido qui enregistrait la scne. - Je passe les portes du temps, mais comment ? Un appareil dans ma main ouvre une bulle lumineuse. Mais qui suis-je ? Et cet homme qui se bat avec moi, je dois lempcher de nuire 38

lenfant qui natra dans un an. Il magresse, il est prsent mon ennemi, je tombe, non ! Je tombe de cette falaise. Ma tte me fait mal, mon cerveau est atteint, cest trop tard et pourtant, je le savais ! Epuis par ses paroles, Chris ferma les yeux et arrta lexprience avec ces derniers mots. - Un regard bleu, cette femme qui me regarde, elle va maider des murs blancs et puis cette ralit : je ne suis personne, je ne suis plus personne ! Chris ne parlait plus. Inquiet de cette raction impulsive, Clara sapprocha de lui, prit sa tension et confirma du regard Gilbert que tout allait bien. Le magntiseur sapprocha son tour pour lui donner la passe magntique du rveil : - Chris, rveillez-vous prsent, doucement, revenez nous, tout doucement Chris ouvrit alors les yeux et vit en premire vision les mains du magntiseur. - Je vais bien ? Cela na pas march, nest-ce-pas ? Le professionnel comprit alors que ce patient tait tomb dans un tat hypnotique profond et que cela expliquait son absence de mmoire de la sance pendant laquelle pourtant, il stait exprim. Il rassura Clara dun regard et expliqua : 39

- Chris, vous avez parl durant cette sance mais parfois, il arrive que les personnes ne se souviennent pas tout de suite de leurs mots. Nous avons tout enregistr. A prsent, vous devez vous reposer. Nous pourrons vous montrer les images quand vous serez prt les regarder. Certains mots sont importants et pourront vous aider connatre la vrit. Merci vous Chris, reposez-vous prsent, nous allons vous ramener dans votre chambre. Chris lana Clara un regard dinterrogation. Elle parla son tour pour le rassurer : - Oui Chris, certains lments de votre histoire sont apparus aujourdhui. Ce puzzle nous sera dcouvert bientt, jai confiance mais comme dit Gilbert, il faut vous reposer. Jappelle pour vous ramener dans votre chambre et je passerai vous voir ds demain matin. Elle bipa immdiatement les infirmires, incapable elle-mme dassumer cette situation mystrieuse dans linstant prsent. Ces mots sans explication raliste devaient tre claircis. Tout tait trop compliqu, elle devait prendre du recul. Gilbert sapprocha de Chris pour le rassurer et stonna soudainement dun signe corporel tout aussi mystrieux que lexprience ellemme. Le torse nu de Chris faisait apparatre un cercle rouge autour du symbole grav sur sa poitrine. Il le fit remarquer du regard Clara qui sembla trouble son tour. Ils devaient galement creuser cette piste pour ne rien oublier dans la recherche de vrit. Gilbert en tait persuad : ce ntait pas anodin que ce tatouage ait eu une raction dinflammation lors de lhypnose. Chris sorti en compagnie des infirmires et de Clara, le magntiseur resta pensif. Il navait jamais connu une telle situation et comme ce patient le lui avait annonc au 40

pralable, il avait eu peur de ce personnage inconnu et de son rcit presque sorti dun roman de science-fiction. Cet homme la tte recouverte dune capuche, ce symbole du temps, cet ennemi vengeur, des messages issus du pass ou dun futur inconnu et puis, cette amnsie mystrieuse et pourtant prvisible apparemment. Il sentit son corps trembler. Il regarda ses mains : elles taient rouges dinflammation. Il se prcipita vers le lavabo pour les vider de cette nergie inconnue. Laver ses mains pour en expulser une influence quil avait du mal dfinir en positif ou en ngatif. - Tout sexpliquera bientt Gilbert parlait tout haut. Convaincu de lexistence de forces invisibles pour lesquelles personne navait dexplication y compris pour le magntisme, il recherchait cet instant mme une justification capable de le rassurer sur cette situation nigmatique. - Oui, cest sr tout sexpliquerait plus tard

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16 octobre : le rve librateurUne fois recouch, Chris ne comprenait plus o il tait, perdu dans un univers de mystre qui ne rpondait aucune de ses questions. Encore une fois, lexprience dhypnose navait rien rgl et pourtant, il avait limpression davoir pass une porte de son pass. Son mdecin le lui dirait, mais quand ? Fatigu dans son corps et son esprit, Chris ferma les yeux doucement aprs le dpart des infirmires. Comment allait-il sen sortir ? Cet univers de maladie lui pesait lourdement sur les paules. Il fallait dormir, se reposer et attendre encore un nouvel espoir. Le sommeil envahit son corps, progressivement, comme si un autre univers devait sinstaller en lui. Comme dans un rve, il commena visualiser des images. Il sentait sur son visage un air frais qui lincitait garder les yeux ferms. Il voyait au loin un pont avec de chaque ct de superbes tendues fleuries. Il tait debout et pouvait marcher. Endormi, Chris savourait ce moment o son corps tait libre. Dans cette douceur champtre, il entendait une voix qui lui rptait sans cesse : Tu es libre prsent, tu peux marcher et comprendre ton pass . la fin de chaque mot, il se sentait oblig de lever la tte au ciel et finit par remarquer le vol d'un corbeau au-dessus de ce paysage inconnu. La robe noire et les cris puissants de loiseau semblaient annoncer que bientt, il aurait une rponse ce mystre. Un souffle frais toucha nouveau son visage pour le rveiller cette fois. - Bonjour, il est six heures. C'est lheure de la temprature. Chris fut rveill en sursaut par cette voie matinale qui, d'habitude, le rassurait. Il ouvrit les yeux brutalement et vit le 42

visage de l'infirmire du jour. Au mme moment, il sentit une douleur inhabituelle dans ses jambes. Des picotements, des sensations daiguille et puis cette furieuse envie de sarracher la peau comme pour lgratigner. L'infirmire remarqua son changement de comportement et lui demanda : - Vous avez un souci Monsieur ? Chris la regarda curieusement et finit par comprendre. Ce rve pouvait-il tre rel ? Avait-il prsent la possibilit de marcher ? Sa conscience y croyait mais son raisonnement rejetait la seule ide d'essayer. Mais brusquement, comme pouss par une nergie vitale, il releva son torse pour se mettre assis. prsent, il devait bouger les jambes et essayer ce quoi il pensait durant toutes ces heures de solitude. Sa jambe ragissait, c'tait incroyable. L'infirmire ne bougeait pas, tellement abasourdie de ce qu'elle voyait. Chris poussa sa jambe droite jusqu'au bord du lit et ramena rapidement l'autre jambe pour se mettre assis. Il ne rflchissait pas et se sentait motiv par cette voix entendue dans son rve. Libre ... marcher ... comprendre ton pass ! . Il anticipa la raction de l'infirmire en lui disant : - Surtout, ne bougez pas, je veux essayer par moi-mme. Son ton semblait si autoritaire que l'infirmire ne fit qu'observer les gestes les plus incroyables qu'elle n'avait jamais vus jusque-l. Chris glissa doucement jusqu'au bord du lit et posa en premier le bout de ses pieds en toute prudence sur le sol. Il sentait une nouvelle circulation oublie dans ses jambes. Peut-tre allait-il pouvoir remarcher ? Il tenta un pied, deux pieds et le voil enfin debout ! L'infirmire s'approcha 43

rapidement de lui pour viter la chute mais saperut rapidement que son aide tait inutile. Chris leva les yeux, fier d'tre enfin debout et de se sentir libre. Il eut brutalement une faiblesse dans les jambes qui le fit basculer quelque peu en arrire mais rapidement, il reprit son quilibre en sappuyant sur le lit et avana les pas du miracle. Ce rve n'en tait pas un et enfin, il avait la rponse ses interrogations. Lui seul, l'intrieur de ce quil ressentait pouvait avoir la solution. La marche se faisait lentement mais srement. L'infirmire n'en croyait pas ses yeux. Chris alla jusqu' la porte de sa chambre et fit demi-tour pour s'asseoir nouveau sur son lit. Il lana alors tout naturellement l'infirmire une phrase que celle-ci n'oublierait jamais : - C'est fini prsent, je suis libre, je n'ai plus besoin de vous. Chris se rallongea sur son lit avec la certitude d'avoir trouv la clef de son destin. Hier, il n'tait rien. Aujourd'hui, il renaissait et demain, il serait celui quil aurait oubli. Il en tait persuad. L'infirmire sortit discrtement de la chambre sans vouloir dranger cette scne tellement irrelle. Chris ferma nouveau les yeux et se rendormit. Pour lui, il le savait, prsent, cela ne faisait que commencer. Son corps allait lui montrer la voie de cet univers inconnu o se droulait son histoire mystrieuse.

En arrivant le matin, Clara fut informe de sa convocation dans le bureau du Directeur de lhpital. Elle ne connaissait pas le 44

motif de cette entrevue mais devina que lhistoire de Chris en tait le fil conducteur. Elle frappa discrtement la porte du Directeur et entra. - Entrez Clara, je suis vous tout de suite. Le Directeur, Bernard Klinger, tait encore au tlphone et semblait conclure une conversation importante. Ne voulant pas dranger, Clara sassit discrtement sur la chaise du bureau et attendit patiemment la fin de lchange. - Je vous laisse Richard et ne manquerai pas de vous tenir inform de ce cas unique. Clara espra intrieurement que cela ne concernait pas Chris. Le directeur raccrocha et afficha un sourire forc. Elle comprit son air ferm que ce ntait pas une bonne nouvelle. - Clara, merci dtre venue si rapidement, je sais que vous tes trs occupe. Je suis ravie de vous avoir nos cts. Votre exprience et votre comptence satisfont tous les membres du personnel de lhpital. Il laissa passer un silence pour commencer lchange qui devait simposer aprs ce pralable trop admiratif pour ne pas cacher autre chose. - Cependant, Clara, je mtonne dune de vos dcisions dont ma parl Vincent votre collgue. Vous connaissez bien videmment le cas clinique de Chris, cet amnsique, qui trouble tout le personnel depuis son arrive. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsque jai appris que vous aviez cach un diagnostic notre comit scientifique ! 45

Clara attendait sa raction, connaissant la susceptibilit de ce responsable lors de ces entretiens professionnels. Tout le monde savait quil ne fallait surtout pas lui couper la parole. Il reprit en lui confirmant de manire plus accentue sa mauvaise humeur : - Je suis du Clara de votre raction, vraiment du. Aprs un silence, il reprit son affirmation en changeant de ton : - Par contre, je vous avoue que ce cas mintrigue. Une infirmire ma confirm ce matin lavoir vu marcher comme un miracul de Lourdes. Il faut quon puisse en parler srieusement et quon puisse laider trouver son histoire. Vous connaissez mon scepticisme mais au vu diagnostic mdical, je pense que ce cas clinique est intressant analyser au plus vite selon vos mthodes habituelles. Clara, je vous apprcie et cest pour cela que je passe au-del de la faute professionnelle pour vous charger de cette prise en charge. En retour, vous me garantissez de me tenir au courant de vos recherches. Quels ont t les rsultats suite lhypnose de Gilbert ? Reprenant ses esprits, Clara comprit quelle avait eu de la chance. Lorsque le directeur sintressait un cas, il passait audel de ses ractions impulsives. - Monsieur le Directeur, je tiens tout dabord vous demander de mexcuser de cette omission volontaire mais je vous rejoins dans votre ide, ce cas est vraiment particulier. Lhypnose a dlivr des messages qui semblent relever dun mystre plus profond encore. Je ne savais pas pour ce matin mais je ne mtonne qu moiti de ce miracle. Je vais le suivre plus 46

intensment et vous tiendrai au courant chaque jour de mes recherches. Mais, personnellement, avez-vous un avis sur ces hippocampes endommags dans le cerveau ? - Je nai jamais vu le cas mais il faut quon puisse en apporter une explication car le comit scientifique sy intressera trs prochainement. Clara, votre mtier est daider les autres. Vous une telle exprience dans ces cas damnsie que vous pouvez parvenir accompagner cet homme dsempar. Le silence simposa aprs ces mots si lourds en implication. Le Directeur sourit Clara et baissa rapidement les yeux. - A prsent, Clara, le travail vous attend. Je vous libre. Le mdecin comprit que le Directeur fermait de manire dlibre le dialogue. Elle le remercia poliment et sortit discrtement comme son arrive. La porte ferme, elle resta un moment pensive dans le couloir. Comment cette histoire allait-elle finir ? Elle passait dinterrogations en mystre tout en ouvrant de nouvelles portes chacun de ses pas. Et prsent, Chris marchait. Tout allait si vite autour de lhistoire de ce patient. Intrigue de voir Clara bloque dans le couloir, la secrtaire du Directeur leva la tte brusquement et linterrogea : - Clara, tu as un souci ? Il ta fait des remontrances, cest a ? - Non, Evelyne, ne tinquite pas, tout va bien. Jai juste besoin de rflchir un instant, seulement un instant Elle sloigna rapidement pour reprendre son travail quotidien.

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17 octobre : le dmarrage des recherchesClara neut pas eu le temps de passer voir Chris le jour de sa rencontre avec le Directeur. Plusieurs patients avaient t admis en urgence avec des cas damnsie. Elle tait impatiente de le revoir et surtout de dcouvrir quil pouvait marcher. Ds le lendemain, tt dans la matine, elle se dirigea vers sa chambre. Quelle ne fut pas sa surprise lorsquelle trouva Chris debout, tourn face la fentre ! Elle ouvrit la porte sans pouvoir mettre le moindre mot. Chris sentit sa prsence et se retourna en affichant un superbe sourire. - Docteur Brire, cela me fait plaisir de vous voir. Chris tait mconnaissable. Il avait fait passer le coiffeur de lhpital et stait habill comme sil prparait sa sortie. - Chris, vous tes mconnaissable ! - Je sais, je me sens mieux prsent, japprends me connatre et mapprcier. Et ceci, grce vous. Sans remarquer le sourire ravi de Clara, il continua : - Je vous remercie tellement de votre aide. La sance dhypnose a provoqu une raction immdiate sur mon corps. Vous rendez-vous compte ? Je marche prsent et cette indpendance ma rendu diffrent. Je veux men sortir et comprendre qui je suis. Vous avez t la seule me faire confiance et je tenais ce que vous soyez fire de moi. - Je suis fire de vous, oui, vraiment. Vous mritez une solution votre histoire et je vais vous aider plus encore. - Maider plus encore ? Ce serait vraiment gentil de votre part 48

mais je nose pas vous prendre tout votre temps. Jai dcid de sortir de lhpital et de chercher moi-mme la clef de mon histoire. Clara avait lhabitude de ces ractions dfensives de certains patients qui ne souhaitaient pas demander daide. - Chris, votre gurison est encore incertaine. Il faut tre patient, vous savez. Malgr son professionnalisme, cet instant mme, Clara ressentit bizarrement une certaine gne dans lchange de leurs regards. Aprs un silence, Chris ajouta : - Je sais que tout sera diffrent dehors mais pour moi, il faut que je cherche mon histoire et ici, je ne le pourrai pas. Je dois prendre une dcision. Je dois sortir et jai besoin de votre autorisation mdicale. Aidez-moi trouver mon histoire. Cette phrase rsonnait dans la pice. Chacun se souvenait des mots inscrits sur le bout de papier trouv le jour de laccident. Clara reprit la conversation, ferme dans son rle de mdecin : - Chris, vous ntes pas assez remis de vos blessures pour sortir de lhpital. Nous avons encore des traitements essayer, une chirurgie esthtique vous proposer pour votre visage et surtout dautres recherches mener sur votre pass. A ces paroles, Chris toucha discrtement la cicatrice sur son visage. Il lavait presque oublie. 49

- Je suis prt sortir et personne ne pourra men empcher. - Ecoutez Chris, je vous propose une autre solution. Vos traitements dureront environ trois semaines. Pendant ce temps, nous aurons le temps de refaire une sance dhypnose et de faire passer un appel aux mdias pour retrouver votre ventuelle famille. - Les mdias ? Comment a ? - Nous avons pass un contrat avec une chane de tlvision pour le suivi des cas amnsiques accueillis au sein de lhpital. Au bout dun mois, nous proposons aux patients denregistrer un court reportage sur leur histoire pour chercher dventuelles pistes de leur pass. Souvent, cela aboutit de trs bons contacts. Ayez confiance en moi, vous tes trop faible physiquement et moralement. Chris baissa le regard et rflchit un instant. Cette opportunit de passer la tlvision serait peut-tre pour lui une autre chance de trouver la trace de son existence passe. Il ne devait occulter aucune possibilit. Il leva nouveau les yeux et ajouta : - Jai confiance en vous. Je suis daccord pour rester et pour continuer me battre. Gilbert sera mon alli pour une autre sance dhypnose, je le sais et ce passage dans les mdias me permettra peut-tre de retrouver ma famille, ma femme, mes enfants. Je veux tenter cette chance. Merci car sans vous, rien ne serait possible. Il sapprocha delle doucement et plongea son regard dans le sien. Clara comprit cet change que cet homme ntait pas un quelconque patient pour elle. Elle ressentit un instant une motion de femme outrepasser son rle de mdecin. 50

- Chris, tout ira mieux bientt, vous verrez. Jai lhabitude de ces cas damnsie. Vous tes un patient, je suis votre mdecin et grce cette relation de confiance, nous allons pouvoir trouver une solution votre vie. Vex de ntre quun dossier suivre, Chris dtourna son regard de celui de Clara, la seule manire pour lui de lui exprimer sa dception. Elle comprit rapidement sa raction et lui apporta les derniers conseils quelle souhaitait lui procurer au cours de cette consultation mdicale : - Vous devez vous reposer prsent. Je convoque Gilbert cet aprs-midi et je vois avec la chane de tlvision si le reportage peut se faire prochainement. Je vous laisse. A tout lheure. Chris prit du recul et sloigna rapidement pour rejoindre sa position initiale prs de la fentre. Sans sen rendre compte, Clara observait le mouvement du corps de cet homme qui commenait la sduire. Elle dtourna rapidement son regard de peur de ne plus contrler ses motions. Elle devait laider mais ne pas forcment lcher prise dans cette relation de soin. Chris la laissa sortir de la chambre sans se retourner. Il ne savait plus o il en tait. Cette femme mdecin qui laidait pour le suivi de sa sant lattirait galement. Mais pouvait-il considrer que cette envie de vivre une histoire damour existait alors que lui-mme ne savait plus qui il tait ? Il fallait du temps et retrouver son histoire tait le plus important pour le moment.

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Gilbert confirma Clara la possibilit dune sance dhypnose quatorze heures prcises. Clara se rendit disponible pour accompagner son patient. - Chris, Clara, bonjour, comment allez-vous depuis la dernire fois ? Chris, je vois que la sance a dbloqu la fonction de la marche. Je suis heureux pour vous. Je vous propose de faire la sance tout de suite et de visionner dans quelques jours les enregistrements des deux sances pour ne pas vous influencer. Tout le monde sinstalla pour cette nouvelle sance. Langoisse tait prsente sans pourtant sexprimer librement. Chris regardait le magntiseur de manire insistante, Clara observait chacun de ses gestes et Gilbert se concentrait sur la prparation pour viter de penser la dernire sance assez traumatisante. Les passes magntiques effectues, lhypnotiseur commena questionner Chris : - Chris, vous sentez-vous prt prsent ? Votre histoire est importante pour vous et nous sommes l aujourdhui pour vous donner lopportunit de trouver de nouvelles pistes de votre pass. Ressentez-vous lendormissement suffisant pour nous parler ? Chris ne rpondait pas et attendait. - Chris, puis-je vous poser mes questions ? Chris se sentit prt et lana un oui timide. - Vous aviez dcrit la dernire fois des images de passage du temps. Je voudrais prsent que vous vous concentriez sur 52

votre vie passe. Qui tiez-vous ? Vous rappelez-vous les prnoms des personnes que vous aimiez ? Chris remua les lvres sans mettre aucun son. Gilbert sapprocha de lui et essaya de se faire confirmer les paroles. - Chris, vous parlez trop bas pour moi, parlez plus haut sil vous plat. Le patient ouvrit brusquement les yeux et fixa le magntiseur de manire inquitante tout en haussant le ton : - Qui es-tu toi ? Tu veux quoi ? Savoir qui je suis ? Personne ne doit le savoir ! Tu mentends ? Il y a danger prsent ! Il criait presque avec la volont vidente deffrayer le professionnel mais celui-ci ne se dmonta pas en lui reposant la question. Chris se calma et rpondit enfin : - Je peux vous le dire vous prsent. Mais les mots doivent venir progressivement pour ne pas heurter son histoire. Une famille, une femme seule aprs son dpart, il devait partir, faire lexprience temporelle, cet enfant quil na pas connu et ces aventures humaines uniques pour aider les personnes changer leur vie. Il navait pas le choix, il devait arrter cet homme dans la course la mort, cet enfant devait vivre ! Je suis sa mmoire mais il ne doit pas savoir, il doit trouver son histoire ses cts. Rien ne doit lui tre transmis. Gilbert et Clara se regardaient, choqus par ces mots lancs par une autre personne que Chris mais exprims dans son corps 53

comme une sorte de bande enregistre qui pouvait les renseigner. Chris ferma les yeux nouveau pour se retrouver lui-mme et bougea les mains pour chercher une raison de se rveiller. Le magntiseur choisit ce moment pour lui faire le compte--rebours afin quil se rveille doucement. Comment allaient-ils lui dire ce que cette voix ne souhaitait pas quil sache ? Le laisser se rveiller et attendre nouveau que le temps passe, ctait a la solution. Chris comprit son rveil que des informations avaient t diffuses et saperut rapidement la raction des deux professionnels quelles taient importantes. Bouscul par cette sance, il choisit pourtant de reporter ses interrogations et de revenir tranquillement dans sa chambre. Clara et Gilbert parlrent quelque peu aprs son dpart. - Gilbert, cest incroyable, cette histoire ! Crois-tu quil soit influenc par un quelconque pouvoir malfique ? - Non, en aucune manire, cela ne ressemble en rien un cas dexorcisme. Je crois en sa sincrit, il faut laider Clara, tu es la bonne personne pour cela. Rappelle-toi cet autre patient que tu as sauv lanne dernire. Il peut y arriver tes cts. Et puis, il a un pass quil doit absolument retrouver. Une femme, un enfant. Il faut lui en parler, il doit savoir ! Je pense que tu dois le guider avant, le reste se fera avec le temps. Tu passes quand la tlvision ? - Dans une semaine, je viens den avoir la confirmation. Jespre que ce sera une nouvelle piste mais jai peur de ce que lon va dcouvrir. - Clara, sa vie existait avant nous, il a le droit de savoir, un jour ou lautre ! Clara resta pensive et triste la fois. Il avait ce droit mais quen 54

serait-t-il demain ? Elle choisit de penser au prsent et ce patient qui allait trs certainement changer sa vision de lamnsie. Elle salua Gilbert et alla traner au hasard dans les couloirs. Arrivs devant la chambre de Chris, elle hsita aller le voir une dernire fois. Au dernier moment, elle se fora quitter le service pour mieux se concentrer sur ses autres tches professionnelles. Elle savait que ce cas mdical serait important pour elle. Elle devait lassumer jusquau bout mais demain serait un autre jour.

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20 octobre : analyse et dtenteUn week-end avait permis Chris et Clara de se reposer et de penser longuement ces moments dhypnose qui avaient troubl leurs esprits. Le lundi matin, Clara se rendit dans la chambre de Chris avec dans sa poche de blouse le DVD des enregistrements des deux sances avec Gilbert. Chris avait le droit de voir ces images et la raction du patient tait importante analyser une semaine aprs la premire sance. Les pas de Clara claquaient dans le couloir. Elle ressentait en elle un stress inhabituel et son visage apparaissait crisp tel point quun de ses collgues lui demanda en la croisant : - Clara, tu vas bien, tu as lair soucieuse, ma belle ? - Tout va bien, merci. La rponse tait courte et ne demandait pas de rpliques. Habitu la croiser tous les matins, le mdecin ne semblait pas satisfait de sa raction, intrigu et presque inquiet pour elle. Il reprit malgr tout la conversation avec sa secrtaire. Arrive devant la chambre de Chris, Clara frappa deux coups la porte. Pas de rponse ! Etonne, elle ritra son geste, en vain ! Inquite, elle entra directement tout en ouvrant doucement la porte. - Chris, vous tes l ? Au bruit entendu son arrive, elle comprit rapidement que Chris tait en train de se laver dans la salle de bain. Elle se sentait gne mais malgr tout attir par ce corps dhomme. Elle se dirigea volontairement vers la fentre pour ne pas rester 56

prisonnire de ses penses de femme inutiles avec sa fonction professionnelle. Deux minutes plus tard, Chris sortit de la salle de bain, torse nu, une serviette autour de la taille. En se retournant, gne par cette vision, Clara nosa pas le regarder. De son ct, Chris ne semblait pas drang de ce face face inhabituel. - Docteur, je ne vous attendais pas si tt. Excusez-moi de cette tenue un peu lgre mais jai mal dormi cette nuit et les nuits davant aussi dailleurs. Depuis la dernire sance dhypnose, je visionne des images irrelles durant mes rves et comme je narrive pas les analyser, je prfre rester veill une partie de la nuit. Redevenue professionnelle, Clara sintressa ses propos : - Chris, il faut quon puisse en reparler ensemble. Ces images sont peut-tre la clef de votre histoire. Il faut les noter pour quon puisse les analyser a posteriori. - Jy penserai Conscient de troubler Clara, Chris sapprocha delle comme pour lancer un dfi cette femme. - Merci, que serais-je sans vous ? Maintenant, excusez-moi, je vais mhabiller et je suis vous. Le ton se voulait charmeur et Clara ny rsistait pas intrieurement. Elle avait bien remarqu lattirance quelle ressentait pour cet homme mais elle connaissait ses limites, professionnelles avant tout. Elle lutta donc pour rester dans son rle de mdecin et 57

rpondit : - Bien sr, je vous attends. Aujourdhui, nous avons un travail danalyse faire une semaine aprs la premire sance dhypnose. Vous allez enfin pouvoir dcouvrir vos propos et peut-tre quils dclencheront en vous de nouvelles dcouvertes sur votre ancienne vie. Elle resta tourne vers la fentre en attendant le retour de Chris. Quelques minutes plus tard - Je vous coute Docteur. Comment procder prsent ? - Jai fait apporter dans votre chambre ce combin tlvisionlecteur DVD pour que nous puissions analyser ensemble les images sur les deux sances dhypnose. Je vais vous laisser regarder et couter dans un premier temps. Ensuite, je serai votre guide pour analyser avec vous vos ractions et trouver la piste de votre pass. Chris acquiesa de la tte, attendant impatiemment les premires images. Clara ajouta : - Ne vous inquitez pas, je suis l pour vous aider en cas de difficults. - Je sais. Les images taient l, vivantes et si mystrieuses la fois : un homme, un voyage dans le temps, un ennemi, une famille. Chris ne savait pas comment ragir. Qui tait cet homme qui parlait ? Il ne ressemblait pas limage quil avait cre jour aprs jour dans son esprit depuis son accident. Aucun mot ne semblait pouvoir sortir de sa bouche. Lcran teint, Chris resta 58

le contempler fixement sans pouvoir prononcer une seule parole. Habitue ces ractions, Clara laissa passer un temps avant de parler : - Chris, je vous ai montr ces images. A prsent, jai besoin de vos mots pour comprendre ce que vous ressentez. Le silence comme seule rponse. - Chris, il est important que vous puissiez ragir face ces images pour laisser parler vos mots. Nous pouvons y arriver ensemble. Vous avez confiance en moi, nest-ce-pas ? Toujours aucune raction. - Je suis implique dans votre histoire et moi aussi, jai t trs tonne de ces rvlations mystrieuses. Je veux vous aider ! Surpris par ces dernires paroles, Chris ragit enfin : - Je suis tellement surpris Docteur, cest a mon sentiment, tellement abasourdi de ces images ! Je ne me reconnais pas et en mme temps, rien ne se dclenche en moi, je suis du et apeur. - Cest un dbut, continuez. - Comment cette voix peut-elle parler de moi au sein de mon corps ? Je ne comprends rien et jai peur. Oui Docteur, le seul sentiment que jai en moi, cest la peur ! Clara comprenait sa raction aprs lavoir ressentie galement. Elle devait montrer lexemple et continuer lanalyse mme si cette situation lui semblait tellement inhabituelle.

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- Chris, je vous comprends, les images et les mots de ces sances intriguent mais ne vous inspirent-elles pas dautres visions ? Chris se calma un temps grce au professionnalisme de son mdecin et reprit son analyse : - Je visualise un homme avec une capuche sur la tte mais ensuite, tout est flou dans ma tte. Je sais qui est mon ami ou mon ennemi. Mais rien ne me parle dans ce prsent que je me suis cr depuis mon accident. Et en mme temps, je suis perdu, compltement perdu ! Dans quelle direction vais-je pouvoir aller pour trouver ce pass ? Et puis savoir que jai une femme, peut-tre un enfant, vous rendez-vous compte ? Je sais prsent quune famille mattend quelque part. - Je comprends votre raction. Mais cette famille va tre votre motivation prsent. Nous allons trouver une piste, je vous le promets, lmission de tlvision prvue dans quelques jours va vous y aider. Entre temps, si aucune autre image ne vous vient, ninsistez pas et laissez peut-tre vos rves vous guider car le travail a dj commenc daprs ce que vous me disiez tout lheure. Jai confiance, jai vraiment confiance. Elle toucha furtivement la main de Chris sans russir pourtant le calmer. - Je pensais avoir tout compris ces derniers jours et me voil nouveau dans le brouillard. Je ne sais plus, je ne sais vraiment plus. Clara comprit que le moment tait venu de se retirer. Ces sances danalyse devaient tre courtes pour mieux laisser le patient rflchir ensuite. 60

- Je vous laisse Chris, je dois rejoindre dautres patients mais jai une autre proposition vous faire. Le Directeur de lhpital a permis certains patients des sorties accompagnes chaque mois et cest aujourdhui que vous pouvez en bnficier. Je suis libre cet aprs-midi, je pourrai vous accompagner lextrieur, cest prvu ainsi dans le protocole de soins. Du de ntre nouveau quun patient, Chris rpondit de manire sche : - Si cest prvu dans votre protocole, alors pourquoi pas ? Clara comprit le quiproquo et ajouta : - Chris, ne le prenez pas comme a, sil vous plat. Je suis disponible pour vous et je vous le propose. Chris se radoucit et lui rpondit : - Excusez-moi de mon nervement, je suis un peu chamboul aprs toutes ces images. Jaccepte votre proposition avec plaisir, les seuls moments passs avec vous sont si prcieux. Merci de votre gentillesse. - Je finis ma matine de travail, laissez-moi le temps de djeuner et je viendrai vous chercher vers quatorze heures. Daccord ? - Daccord Docteur, je vous attendrai. Elle reprit le DVD et sloigna. Son patient avait subi un choc important et elle devait laider. Elle devait lutter contre son attirance pour lui afin de garder sa concentration professionnelle. Pourtant, elle le savait : la matine allait tre longue dans lattente de le revoir. 61

Chris restait seul, pensif et inquiet la fois. Ces images lui parlaient au plus profond de lui-mme mais comment trouver son histoire dans ces mots inconnus et mystrieux ? Il dcida doublier ses proccupations un instant pour ne sourire qu lide de sortir enfin lextrieur. Cette mdecin serait son guide et ctait cela lessentiel.

Treize heures trente saffichaient sur la pendule. Chris tait prt depuis une demi-heure dj. Enfin, il allait ressentir le souffle de la vie au dehors aprs avoir t enferm tout un mois. Il resta assis sur le fauteuil de repos, les yeux dans le vide. Il repensait aux images du DVD sans en comprendre le sens. Pourtant, un sentiment inexplicable lui faisait penser que le mystre commenait seulement sentrouvrir. Le Docteur Brire serait celle par qui tout viendrait, il le ressentait mme si son cur pensait davantage se rapprocher delle, dhomme femme. Il devait se contrler pour rsister cette attirance qui ntait peut-tre que lexpression de sa grande solitude. En pensant elle, il souriait instinctivement. A ce moment prcis, comme en rponse ses penses, elle entra dans la pice. Chris ouvrit plus grand les yeux encore en la voyant sapprocher de lui. Clara avait t sa blouse de mdecin et stait habille pour loccasion. Elle lui apparaissait enfin en tant que femme et quelle femme ! Ses cheveux chtain clair enfin dtachs mettaient en vidence sa coiffure boucle souhait. Ils tombaient gnreusement sur sa poitrine mise en valeur par un joli tailleur pantalon noir. Pas de jupe mais juste ce quil fallait pour apporter une note distingue ce corps, dj si fminin. Les rondeurs manquaient quelque peu, lallure tait un peu 62

frle mais laissait transparatre un dynamisme certain. Chris ne bougeait plus, profitant de chaque instant de cette vision. Les yeux de Clara taient discrtement maquills et soulignaient la forme charmeuse de leurs contours. Cette femme tait superbe et Chris ne manqua pas de le lui dire : - Excusez-moi Docteur mais je tiens vous dire que vous tes magnifique ! Cette dernire ne put sempcher de rougir lannonce de ce compliment, tellement peu habitue depuis des annes en avoir de la part dun homme. Elle stait prpare consciencieusement entre midi et deux pour marquer le coup, impressionnant ses collgues femmes son passage. Cela faisait longtemps quelle navait pas eu cet entrain, surtout pour les visites des patients. Mme le parfum avait t choisi avec got et Chris sen aperut galement. - Votre parfum vous va bien ! - Merci Chris, pas trop de compliments je vous en prie, je ne les mrite pas. Vous tes prt ? Compltement abasourdi, Chris se leva doucement et sapprocha delle tendrement. Elle ressentit une gne son arrive et se retourna rapidement pour rejoindre la porte. Chris ne put sempcher de lui retenir la main : - Docteur, je voulais vous dire Clara se retourna vers lui, devinant ce quil voulait exprimer. Elle le stoppa net dans ses envies : 63

- Chris, je suis votre mdecin et je suis l aujourdhui pour vous accompagner lextrieur. Je ne voudrais pas que - Je vous arrte galement pour vous dire que vous tes une femme avant tout. Vous mavez tellement aid et je veux vous remercier. - Ah, a oui, bien sr. Ne vous inquitez pas, je ne fais que mon travail. - Merci encore! Les regards nen finissaient pas de schanger mais rapidement, Clara reprit le dessus : - Chris, nous avons deux heures, il ne faut pas tarder prsent. La porte ouverte, Chris fut happ rapidement hors de sa chambre. Les visions senchanaient devant ses yeux : la continuit des murs blancs dans les longs couloirs, des femmes et des hommes en blouse blanche se croisant sans cesse, des lumires blouissantes devant ses yeux, des personnes tristes dans les salles dattente et limpression de ne pas comprendre ce qui se passait tout autour de lui. Lincomprhension sexprimait dans les yeux de Chris. Clara devait le laisser dcouvrir le monde extrieur. Elle le guidait doucement jusqu la sortie. La porte souvrit devant eux ; nouveau Chris entra dans un monde inconnu. Clara exprima ce quil pensait tout bas : - Chris, je comprends votre raction, laissez-vous imprgner par ces ambiances et respirez fort. Il faut reprendre la vie dans ses mouvements, ses bruits, ses odeurs et sa rapidit parfois contradictoire avec notre volont de repos. Je suis l. Venez, je vous accompagne jusqu la voiture de service. 64

Perdu dans ce monde mystrieux, il suivait son mdecin les yeux ferms et pourtant ouverts tout ce quil dcouvrait en un seul regard. Les images fusaient un rythme incroyable : des patients attendaient un taxi ou une ambulance aux portes de lhpital, un homme fumait dehors, la perfusion encore au bras, des infirmires couraient sur le parking pour rejoindre lhpital, des sirnes rsonnaient dans sa tte et passaient bruyamment ses cts. Et Clara de sourire nouveau, comprhensive et tendre la fois. Il la regarda sans pourtant la voir, tellement ce monde extrieur limpressionnait. Sa tte explosait et toutes ces images le bousculaient. Ils arrivrent enfin la voiture. Il sassit rapidement comme pour viter un vertige. - Chris, fermez les yeux un instant, souvent ces sorties extrieures font un peu tourner la tte. On va attendre un peu avant de dmarrer. Clara rpondait tout ce que ressentait Chris, par exprience bien videmment. Il garda les yeux ferms un instant puis les rouvrit progressivement. Il arriva enfin parler : - Je vais mieux mais quel trouble ! Mme si je ne sais pas qui je suis, ce monde est bizarre pour moi. Cest leffet de lamnsie ? - Oui et non, le mois que vous avez pass lhpital a t difficile pour vous entre votre rveil, votre perte de mmoire et tous vos efforts pour retrouver votre pass et votre vie. - Je veux comprendre, cest vrai, mais je veux apprendre revivre galement. Merci de cette sortie qui va my aider. - Cette sortie permet chaque patient de retrouver le lien avec 65

la vie. Il faut y aller progressivement, ensemble. Chris suivait la voix du mdecin qui le guidait depuis le dbut. Elle dmarra la voiture et commena rouler. Le paysage tait magnifique, aux couleurs de lautomne avec un soleil resplendissant qui semblait vouloir lui faire redcouvrir les beauts de la nature. La barrire se ferma derrire eux et ils arrivrent enfin dans la ville. Les bruits des voitures semblaient au fur et mesure familiers Chris. Les maisons colores du quartier lui plaisaient. Il prenait plaisir dcouvrir les gens qui traversaient la rue, discutaient entre eux ou restaient assis sur les bancs publics. Au bout dun quart dheure, Clara sarrta sur un parking proche dun parc. Chris comprit que le dplacement sarrtait l. - Nous allons visiter le parc ? - Oui Chris, le retour la nature est important dans la thrapie que vous allez suivre. Chris najouta rien cette phrase tellement claire pour lui : il tait le patient et elle tait le mdecin, cela lui convenait tout fait cet instant prcis. Descendu de la voiture, ce fut nouveau une dcouverte pour lui : dimmenses ranges darbres verts si haut perchs, le vent qui les berait l-haut tout prs du ciel, les bruits des enfants qui couraient autour deux, les oiseaux qui chantaient, ces petits riens qui reprsentaient pour lui un bonheur intense dont il ne pouvait pas dcrire lmotion. Clara linvita sasseoir au premier banc rencontr. - Comment vous sentez-vous Chris ? - Cest un bonheur sans nom. Je ne sais pas si cet univers de nature me rappelle mon pass mais je sens que tout ce qui 66

nous entoure me fait du bien. Oui cest a, toutes ces visions me font du bien. Clara souriait tendrement ces paroles qui la rassurrent sur son tat de sant de linstant. Ces sorties extrieures avec les patients ntaient pas toutes des russites mais elle sentait que ce moment tait intense pour Chris, et pour elle galement. Aprs un silence, Chris entama la conversation : - Docteur Brire, vous voulez bien me parler un peu de vous ? Gne par cette question laquelle elle sattendait dans cet instant dintimit, elle rpondit pourtant naturellement : - Que voulez-vous savoir Chris ? - Tout ! Non ? Je blague ! Je ne veux pas tre indiscret surtout. - Allez-y Chris, posez vos questions, jy rpondrai volontiers. - Quel ge avez-vous ? - Trente-cinq ans la fin du mois, bientt un compte rond pour une femme dun certain ge prsent. - Votre ge vous va bien, rassurez-vous. - Vous ne devez pas tre si proche de moi en ge, Chris. - Vous pensez ? Je ne sais pas, rien ne me peut me le confirmer lheure actuelle, except vous, les mdecins. - Tout porte croire que vous avez entre trente-cinq et quarante ans mais bientt dautres analyses nous le confirmeront, jen suis persuade. - Vous semblez si investie dans votre mtier. Est-ce une vocation ou un hasard ? - Une vocation bien sr. Jai vcu lamnsie dans mon enfance et jai voulu croire que rien ntait fini aprs.

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Surpris, Chris tourna vers elle son regard interrogatif. Elle continua : - Pas moi bien sr, mais mon pre. Il est parti un matin chercher le pain, ctait un dimanche. Et puis, le tlphone a sonn : un accident de la route, un transport en urgence dans un hpital spcialis, la perte de la mmoire et puis, plus rien ! En dpit de toutes nos recherches, mon pre est mort sans avoir retrouv sa vie. Vingt ans enferm dans une maison de convalescence devenu son univers et sa prison. Ma mre ne sen est jamais remise. Ils sont morts presquen mme temps sans que papa ne se souvienne de lamour de sa femme ni de sa famille. Fille unique, je nai pas eu de repre aprs leur disparition et jai choisi de faire des tudes pour oublier que lamnsie tait une fatalit. Et aujourdhui, je me bats chaque jour pour aider les patients et pour ne pas faire revivre le mme drame dautres familles. Elle avait parl simplement sans motion, laissant couler des mots et des souvenirs pourtant intolrables. Chris comprit que ses aveux taient des cadeaux offerts leur relation de confiance. Il garda le silence un moment et ajouta : - Je comprends. Chercher la gurison de votre pre derrire celle de chaque patient. - Oui, cest a, mme si jamais je ne me pardonnerai cet abandon. - Quel abandon ? - Ma mre a vcu cette souffrance toute seule. Jai quitt ma famille trs jeune pour fuir sa ralit. Jai fait mes tudes au Qubec pour apprendre une thrapie rvolutionnaire dans ce genre de maladie. Jai cru qu mon retour, je gurirai papa mais 68

Lmotion parlait prsent sans possibilit de la contrler. Elle sarrta un instant, baissa la tte et reprit : - Et je nai rien fait, rien ! A part laisser seule ma mre dans sa souffrance. Je regrette tellement ! A prsent, elle est morte et je nai jamais pu lui dire combien je ladmirais pour son dvouement son mari et sa famille. Mais le temps est immuable, nest-ce-pas, on ne peut pas reculer en arrire ? Alors, javance dans un futur qui gurira demain dautres personnes grce cette mthode. Jy crois. Elle prit brutalement Chris par les bras, en le tournant vers elle. Elle voulait quil entende ces mots si importants dans son cur : - Vous mentendez Chris ? Jy crois pour vous aussi, vous gurirez un jour ! Chris voyait les larmes dans le regard de Clara et semblait voir des images de ses souvenirs au travers de cet change. - Oui Docteur, jai confiance en vous, nous y arriverons ensemble. Aprs cet effort, elle sassit nouveau et laissa passer un temps. Son visage avait chang, empreint de la volont de reprendre sa fonction de mdecin pour ajouter : - Voil Chris, le rsum de ma vie et de mon engagement envers la mdecine et les patients amnsiques. - Je vous admire, vous tes une femme intelligente, belle et tellement sensible ! - Merci vous dtre l, vous avez quelque chose dunique 69

aussi, monsieur linconnu. Elle sourit alors, amuse par cet instant qui remplissait de bonheur leurs deux curs de personnes bien seules dans la vie. Elle linvita marcher nouveau. Les deux heures passrent rapidement entre mots changs et visions partages qui soffraient ces deux personnes lies par ce nouveau secret. Il avait envie de lui poser dautres questions, notamment au sujet de sa vie affective mais rien ne pouvait remplacer les moments intenses passs ses cts. Il devait tre patient et attendre. Il sentait que Clara pourrait lui tre destine peut-tre quelque part, mme sil navait pas toutes les donnes de sa propre histoire. Un nouvel espoir venait de natre en lui, celui d