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Carl von Podill - La vie passionnée de Beethoven.pdf

Jun 03, 2018

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andreBishop
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    T VIEP SSIONNHE

    DEBEETHOVDNC RL VO]I PIDOLL

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    Beethoven l ge de seize ans

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    ESQUISSE D UNE DISCOCRPHIEtablie et commente par Marcel Mrnat

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    Au lendemain de

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    Johanu v.rn Beethovel,pre de Ldkig.

    Iaria Magrtalela Keverictr.pouec dcJoharrn'un B.crl',,r.n.n're (le L',dsix.

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    qui bncient du meilleur orchestre (Ameterdam)et de la plus eomptueuse prise de son.insi l'emportent-ils de peu sur les 6 disques (seulement)d'un Schmidt-Isserstedt (Decca, en colfret, orchestre de Yienne)d'un trs grand style galement, peut-tre plus Bvre,Conceptions plus (< jeunes >, enn, par Karajan(orchestre de Berlin, B d. DGG),Paul Klecki (Philarmonique tchque, B d. Valois)et Lonard Bernstein (orchestre de New York.7 d. CBS).S'il est le plus r lbre. le premier parait aussile plue souvent contestable (finale 7e),le second sduit au contraire par son dynamisme sans forfenterie,sa lucidit, l'animation des dtails,..Le dernier retient par le tempramentet le mme refus du pathos inutile.(Euvre par ceuvre, la comparaison est plus dlicate,certaines de6 intgrales ci-ilessus n'tant pa6 encore dtailles.e symphotuie .' Walter (avec 2 CBS) ou Barchat (avec 2 VSM).2. symphonie ; Walter (avec I CBS) ou Barchai (avec I VSM1.3e symphonie ; Klemperer (VSM). Jochum (Philips).ce dernier mieux enregistr.Pour mmoire : Furtwangler (mono VSM).4e symphonie : Walter (avec 5, CBS).5. symphonie .' Karl Bhm (DGG) ou Jochum (Philips).6e symphotuie ; Jochum (Philips) ou Wlter

    (CBS. enregistremenr plus ancien). En mono: Furtwangler.7e symphonie .' Jochum (Philips) ou Klemperer (VSM), ptus ancien)En mono, Furtwangler.8e symphonie I Walter (avec 9, CBS)9e symphonie i e mono : Furtrangler (VSM), en dition plus rcente :Klemperer (VSM), ou Schmidt-Iseerstedt (Decca) ou Walter (CBS).AUTRES (EUVRES POUR ORCHESTRESignalons en srie super-conomique

    les Ruines d'Athnes (DGG) compltes par une slection desCratutes de Promthe, plus large chez Decca (direction Zubin Mehta).Le frnale de la musique de sr'ne d'Egmonr e6t inj us ti6a blementmput dans la version Karajan. par aiueurs excellente,On trouvera les Ouuerturcs dans divers disques-concerts(Karajan. Klemperer) ou le coflret Karajan-DGGintitul

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    u prix $uns concurrence de 10 F le disque.'l'ri.n lrlLllrrr.c uus6i, la version Barenboim-Klmpererr.rt plur rr.rnarquable par la luminosit du solisterlrrc 1,ar la lenteur pdantesque du r hef (VSM).(;r'ill,.lH-Szrll (5 d. \ SM) or Serkin-Ormandv (4 d. CBS.(aec Fantqisie pour piano et churs)tranchent par leur conception a contraire athltique et lumineuse,qualitb que l'on retrouve dans lee meilleurs- disquesde I'intgrale dj ancienne de Kemptr (DCC).Guvre par Guvre, on peut recommander i1er Cocerto : Serkin-Ormandy (CBS)ou Panenka.Smetacek (Supraphon, srie oonomique).2'Conerto ; Julius Katchen (arcc 4e p r-ou Serkin (avec ltozart 27, CBS).3e Coneeto i cn mono : Fischer (avec 4 VSII).En stro : la sensibilit de Haskil-Marlerch(avec Fantaisie piano-cceurs, Philips)ou la vigueur de Serkin-Bernstein (avec Fonioisie, CBS).4e Conceo i en mono : Fischer (avec a , VSM).ou Katchen (avec 2 , Decca). La russite d'Arrau n'est pas publie part.5c Conrto : en mono : Fischer-Furtwangler (VSM).Stro : Stephen Bischop avec Colin Davis (Philips),Gelber-Leitner (VSM), Kemptr-Leitner (DGGIou enfrn Serkin.Bernstein (CBS).

    Rappelons ulr amusant Concerto Zro, compos quatorze ans,(Eulre ravissante dont il existe ur enregistrement claboussant. (Lvdia Crichtol. srie eonomique Philips).ainsi que le 6e Cor.certq transcription pour piano de elui pour violon,arrangement de Beethoven lui-mme comportint d'tonnants >avec timbales (Flicia Blumental et orchestre rlirection Waldhans, Ironroc).

    Le Concerto pour oiolon, rr.algr d'innombrables versions,reste. en mono. prfrable par Menuhin-Furtwangler (VSV)et en s1ro par Francesr atli-Bruno Walter [CBS1ou Grumiaux-Galliera (Philips), ce dernier. superbement enregistr,ayant surclass la version Oistrakh. moins heureuse, en outri,ct chef et orchestre (VSM).(EUVRES VOCLES

    On peut oublier le Christ au mot des Oliiersau pro6t de la Messe en Ut (Karl Richter,actuellement en r-offret avec Missn

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    Le jrune Beethoven.

    Maison de ReethoveneD 1802 sur laPlanplatz rl'Heiligerstadt.

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    Thrse Malfati.

    Bettina von rnimre Brenrano.

    gauche :Giulert Gicciardi.

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    Thrse ilr Brunswick.

    Le prnrce lgnace

    \'/

    Nanette Srreichcr.ne Stein-

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    frgurent en complmenl des enegistrements Haskil et Serkin-.- du 3e Concerto pour piano.Dietrich Fiseher-Dieskau a ralis. pour DCC.une intsralc (3 d.) de toutes le, Mlodies.De la grandiose Misslc Solemnis, la version Klemperer (Angel, 2 d.)- est de loin la plus impressionnantemai6 celle ale Karjat ( part, 2 d. bGG, ou en coffrer avec Messe en U,. 3 d.)offre uricharme vbcal qu'on peut Prfrerau ton pre et religieux de sa r'oncurrente.De Fid;lio. on peul oublier les versionshonorables et bien chantes-de Fricsay (DCG) et Maazel (Decca)au Dro6t de cellee, plus intimement beethoviennes et thdtrales.'de Bhm (3 d. DCG, avec la Lonore > la plus frappantelou surtout de Klemperer (3 d. VSM avec un Florestan gnial; Jon Vickers,la rlistribution la plus hmogne et la meilleure direction d'orchestre)'La vetion toute rcente de Ka--rajan (3 d. SM, avec' de nouveau, Vicker6),

    beaucoup moins dramatique, e6t mieux-chante etcoreet I'enregistrement e6t de toute beaut.LE PIANOMentionnons l'intgrale de tout le piano beethovenienpar l'eicellent Alfreil Brendel,ensemble de 5 albums de 3 disques conomiques (Vox)'L'un d'eux resroupe notamment toutes les sries de l/ariarions.La g. r,. i ..pp.ochant les trois ensembles de Bogarcllcsa 7t oublie Dart sous tiquetle Turnabout-Iramac,En ditin spar. les Variotions Diobplli sont prfrablepar StePhen BishoP (PhiliPs).Un beau disque de Claudio Arrau (Philips galement)iunit les l/oriations Erorco,celles Oo. 34 et les 32 Variations n 41 1ni4cur.Des J2 Sondlps'. nous posedons cinq intgrales imporlantes.depuis la disparition de celle, ter-hniquement dpassemais expresivement 'irremplaqable. de Schnael (mono 1932-37. VSM)'

    telle de Daniel Barenboim (13 d' VS\'l) a un peu dqu.Celle de Kempff (12 d. DCG) ptit d'un son maigre et mtllique.qui s enoore le piu d'ampleur de l'inlerprre' dans les uwes ultimes.Si bien que le dbat n est sa vraie hauteur qu'avec Claudio Arrau(iB d. a ec les Concertos, srie super-conomique Philips).Wilhelm Backhaus (10 d. Decca) et Y\c \at (12 d. mono. VSM).Les deux premiers abordent Beethovenavec leur nobless et leur hauteur de vue habituelles.Sonorits et phraes sont d'rme ampleur splenilide,les tempi volntiers lents, 6ans effets d'emballementmais avec une

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    MaiB o peut encore prfrer la morro,du point de vue nore aseez iiritante (piano tis enfl),du vieil enregistremenr d'Yve; Nat (VSM),sanguin ct premptoire. un peu lourd, parfois,dans lee pages gardart quelque-fumel du ivuremais insurpass dans lee @uwes fiuales...si ce n'est par la noblesse olympienne de Arrau ou Backhaus.Lee versions isolee, presque toutes dcevantes,ne rendent pasle cfoix plus facile :citons le trs beau disque de Valter Choilak(8" Pathtique . lae Clair de Lune ,-26" Les dieux , srie conomique Pbilips)ou le trio traditionnel

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    ,.)

    Beethovfl dirigeune de ss symphonies.

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    Deux corrpositeurs{tue Rceihoten v.ait :Mozart (ci.dcssus)et Hay{ln ( gu(he).

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    (5 d. Chant du Monde) oir le pianiste semble trop eflac,Mais l'enregistrement Franco Gulli-Cavallo(5 d. Angelicum) peut sduire pr son 6tyle superbeet une sonorit comparable celle de Grumiaux,Sonates pour aioloncelle et piano.A la vieille version de Casals-Serkin.incomparable du point de ane expression (avec Variations,3 d. CBS),on peut aujourd'hui prfrer les prises de son plus rcentesdc Richter-Rostropovitch (2 d. Philips), peut-tre un peu doctoraux,ou de Fournier-KempfI (avec Variations,3 d. DGG)ici au meilleur d'eux-mmes.Trios cordes.Cet ensemble est domin par le splendide op. 9,ce que Beethoven a crit de plus dense dans sa pr-maturit,Parmi quatre intgrales, il parat difficile de dpartagor les 3 disques(coflret DGG) du Trio Italiano d'Archi (avec Franco Gulli)ct ceux du Trio Grumiaux (coffiet Pilips, 3 d.avec, en plus, la Srnade avec flte op. 25).Trios atec piano-(i:tte srie, plus ingale, est domine par le 5. Trio >et le fameux 7 .tous aleux runis en un disque magnifrque du Beaux-Arts Trio (Pilips).L'intgrale (5 d. VSM) de Ilarenbotm-Zuckermann-Du Prne s'est pa8 nettement impose devant celles du Trio tchque(5 d. Chant du Monde) ou du Trio Stern (4 d. CBS).

    Il existe une vieille version, musicalement prodigieuse,du Trio par Ca als. Sandor Vegh et harl Engellayec lr? Sonatp Violoncolle l,ar Casals et Kempff. Piilips).On a enfin publi prt la version ample et limpidede l'Archiduc > par Isaac Stern,Lonard Rose et Eugne Istomin (CBS).Les 17 Quatuors.On trouve toujours, en srie dconomique Yox,une intgrale en qutre alllums dus aux Qutuors Endrs (1 6)et Loewenguth (? 17).Une premire gravure du Quatuor de Budapestavait valu cet ensemble une rputation enviableque n'a pas confrrm leur second enregistrement (12 d. CBS),expressivement trs infrieuret instrumentlement approximatif parfois,C'est u co[traire une trop grande distinctiorque l'on pourrait rcprocher a Quatuor Amaileus(10 d. en 3 colTrets DGG),distitctiot qui les Jrorte rapetisser Ia vhmence des mouvements

    et trop contenir l'expressivit des mditations lentes.Si bien que le dbat se situe sa l'raie hauteurdans la confiontatiot tt Quartetto Itatiano (Philips\vifs

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    Les premiers n'ont encore enregistr que les cing derniers guatuorsmais lointgrale est prvue.Leur extraordinaire succs, tant par la beaut sonoreque par la force symphonique des mouvements vifsourepathtique ',:m::T.1.:l'i ' ,1 ,gi ',':: T;nactuerrementet aussi les plus susceptibles de rendre abordables certaines pagesdont la difficult ne saurait tre minimise (Cranile fugue) :la beaut du son et du phrasconfrent en eflet un agrment inhabituel ces (Euvreso l'agressivit beethovenienne se traduisait sans scrupule.Ceux qui veulent acqurir d'emble une intgrale de haute qualitpeuvent cependant lire sans regretsle splendide enregistrement du Quatuor hongrois(10 d. en 3 coffrets)o la virtuosit et la luminosit du son va de pairavec un mordant et une f9r9: expressiveque n'annonait gure leur prcdente version.Ceux qui souhaitent un Beethoven chaleureuxprfreront les ltaliano,,,*.ff ;,TiH '::iiJlJ:1i;:1 jr* ;*;;:;';,r,,,,,Signalons enfin la parution, en cours, d'rine intgralde trs haute qualit (verve rythmique, intensit lyrique)par le Quatuor bulgare,laquelle est dite par disques spars

    chez Harmonia MundiSELECTIONS DE BASERappelons tlue CBS et Philips ont publi, l'occasion de lo >,des coffrets o sont regroupes dans des conditions avantageusesIes uvres les plus populaires du musiciendans des interprtations de valeurcommentes d'ailleurs dans les rubriques ci-dessus.Reste que de tels choix sont toujours discutables,au mme titre, bien sr, que le choix de pages (( essentielles >>que nous soumettrons, pour terminer, au lecteur :cet ensemble tend couvrir la fois les uvres les plus clbreset les plus significatives :Concertos piano l, 4 et 5 - Concerto pour aiolonFantaisie pour piano et churs - Fidelio - Missa SolemnisQuatuors 4,6,7, B, 9, llo 12 17Sonates pour piano 4,7, B,14,17,21,23,29 32.Sonates aiolon, et piano 5 et 9 - Sonate pour aioloncelle, no 4Symphonies 3,, 4, 5, 6, 7, 9.Trios cordes op. 9 - Trios atsec piano 5 et 7

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    L'anne o je suis nr les armes de Marie-Thrse livraientroisime guerre de Silsie. Maintenant que i'ai soixanteans, et que la goutte et les rhumatismes ne me laissend'aue faire que d'affendre la mort, l'Europe jouit deet des ioies de ce que l'on veut appeler la SainteEn d'autres mots, il s'est pass assez bien de chosema vie. Et comme toute mon existence s'est droul

    Vienne, o je fus d'abord lve au Theresianum, puis tuet finalement attach la lgation hongroise prsje n'ai pas me plaindre de mon sort. Parmde ouvenirs riches et nombreux, ie ne chercherai cepen en voquer qu'un seul. C'est un souvenir qui m'appaen propre, et il serait assurment regrettable - ie manpeut-tre mme mon devoir-

    si, le tenant secrel'emportais avec moi dans l'au-del.On tiouvera au cours de ces pages peu de rfrences moet seulement lorsque le rcit l'exigera.

    ***Je suis n en Hongrie, dans le domaine que mon prgentilhomme campagnard, dirigeait de faon parfaite

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    avec quit et efficacit. Lorsque f impratrice, qui tait aussnotre reine, fonda le Theresianum, institution qui allait bienttdevenir fameuse et ouvrir ses portes tous les jeunes aristo-crates du royaume, je fus l'un des premiers tre admis dansl'imposante maison du 7ieden. Je dus cet honneur l'inter-vention du comte Karl Palffy qui m'aida, toute sa vie, de sabienveillante protection. J'tais depuis longtemps parvenu l'ge d'homme lorsque m'est apparue la raison qui l'incitait s'occuper ainsi de moi, inlassablement. Palffy avait t amou-reux de ma mre avant qu'elle devnt la femme de mon pre;Iui-mme n'avait pu l'pouser, parce qu'elle tait d'un rangsocial infrieur au sien.

    Toutefois, l'impratrice avait exprim le souhait - et ce futbientt une tradition bien tablie - qu'en plus des lves quipar droit de naissance avaient une place rserve au Theresia-num, l'cole accueillt galement les garons dont les aptitudes l'tude compensaient les origines plus modestes. En sorte,disait-elle, gue les fils de grandes familles comprennent debonne heure qu'il y a au monde autre chose que le privilge dela naissance... Selon le vu de la fondatrice, nous menions au Theresia-num un genre de vie aristocratique. Bien qu' peine gs dedix ans lorsque nous y entrions, les professeurs comme lesdomestiques s'adressaient nous en nous appelant par nostitres, et deux lves seulement habitaient un mme apparte-ment, compos d'une chambre coucher et d'un cabinet detravail. Le btiment principal, majestueux, se dressait aumilieu d'un immense parc; nous avions une curie et unterrain d'quitation couvert; quant la nourriture - ie ledis regret - c'tait la mme que celle de nos matres. Sije n'avais pas t habitu, ds l'enfance, ces repas sura-bondants, irrationnels, je ne serais pas affiig auiourd'hui dela goutte. Mais je pense prsent que l'impratrice ordonnait-,)

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    un tel luxe de table afin que les grands seigneurs de son empirepussent accepter facilement de confier leurs fils un ta-blissement de la capitale, et renoncer suivre la mode del'poque qui tait de faire instruire les enfants la maison.Je venais d'avoir quinze ans, et j'tais donc dsormaisparmi les grands , lorsqu'un nouveau me fut donn commecompagnon, pour, selon l'usage, partager ma vie de pension-naire. C'tait mon tour de le prendre sous mon aile, demme qu'un condisciple plus g m'avait nagure pris sousla sienne. Ce garon tait Ernst Ferdinand Taldstein, deDux en Bohme, et, au dbut, nos rapports furent assezdifficiles. I1 tait indisciplin, prompt la colre, et l'adapterpeu peu aux rglements de l'tablissement se rvla malais.Il dut me dtester cordialement en ces premiers mois, carf e lui tirai les oreilles plus d'une foisSur un sujet, pourtant, nous nous entendions merveille.Je jouais du violoncelle et lui, de son ct, fit au piano desprogrs si rapides qu' l'occasion de certaines ftes, on nouspermettait de nous produire ensemble devant f impratriceelle-mme. Cette illustre grande dame portait un vif intrt l'cole qu'elle avait fonde, et le cas n'tait pas rare oirun souffi.et, ma foi assez vigoureux, aidait perptuer f impres-sion qu'elle faisait sur nous, lves des premires annesde f institution.Je quittai le Theresianum pour aller tudier le droit l'Universit, et je vis plus rarement Taldstein. Je le ren-contrais par hasard, des runions musicales, ou chez desamrs communs, mais il ne semblait pas rechercher ma socitet, pour ma part, je n'avais, vrai dire, aucune raison spcialede dsirer la sienne. D'ailleurs, il quitta Vienne avant d'avoircompltement termin ses tudes au Theresianum, et ierestai alors plusieurs annes sans avoir aucune nouvelle delui. Jusqu' ce qu'un beau iour le bruit courut Vienne que

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    aldstein avait dcid d'enrrer dans l'Ordre TeutoniqueComme on savait que pareille dcision impliquait le vu dclibat, les gens, d'abord, n'y comprireni rin. Ils s'explqurent mieux la chose en apprenant que le pre de Taldsieivoulait lui faire pouser une personne immensment richemais qui tait plus ge que lui, er sans aucun charme. Echoisissant le bonheur solitaire que lui offrait l'ordre Teut_olique, le jeune aldstein avait trouv une faon lgantd'chapper une union dont la perspecrive lui-tait insupportable. Bientt galement, on crut savoir que l'ide nvenait pas d9 \Waldstein lui-mme, mais lui avaii t suggrepar le_gran-d matre de l'Ordre, qui n'tait autre que I archiduc Max, fils cadet de Marie-Thrse, ami de 7ldstein. Itait las de la vie qu'il menait Bonn, sur le Rhin, o iavait rcemment t lev la dignit d'archevque-lecteurL'archiduc Max aimait la bonne chre er les jolies femmesjeune, il prenait di alors de l'embonpoint, et il est comprhensible qu'il ait saisi la premire ocasion de faire entredans son exil rhnan, en la personne de saldstein, un peude cette atmosphre de Vienne qui lui manquait rant. Entout cas, Vienne apprit que l'archiduc Max avait reubras ouverts celui qui fuyait le mariage, er avait immdiatement fait du jeune homme son confident. On dit mmequ' l'occasion de l'investiture de son ami il offrit de sompt-uegT banquets. C.r petits vnemenrs ne manqurent psde faire sourire Vienne, car on les considrait peu en rapport avec les circonstances..- A.l'p9que oir ces nouvelles faisaient le tour de Ia capitaleftais loin de me douter que le dpart de Taldsteir:- pouBonn aurait pour consquence une amiti dont l'histoirefera le sujet de ce livre._ IJn igrrr - ce devait tre peu aprs la mort de l'empereuLopold, car la cour porrait encor le demi-deuil - mn am24

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    Karl Lichnowski reut une letue de aldstein lui annonantl'arrive, de Bonn, d'un ieune musicien qu'il recommandaitau prince, et pour qui il lui demandait sa protection. Ils'agissait, crivait-il, d'un talent tout fait exceptionnel etlui, flalstein, avait engag l'lecteur accorder au jeunehomme, qui jusqu'alors faisait partie de l'orchestre de la courde Bonn o il tenait l'alto, un long sjour Vienne afin qu'ilpt se perfectionner, comme compositeur et pianiste. Haydn, qui on avait prsent le ieune homme lorsque le matre,en route pour Londres, s'tait arrt Bonn, n'avait eu quedes loges pour lui, et, son retour, il avait dcid de leprendre comme lve. L'archiduc dsirait par-dessus toutfaire de sa rsidence un centre d'art, et l'apparition parmises musiciens d'un temprament qui pouvait se rvler ungnie authentique lui tait une raison bien suffisante pourtenter de donner ce gnie toutes ses chances; la cour deBonn elle-mme en profiterait. En outre, ajoutait Taldstein,le ieune homme tait df un pianiste accompli, et si Lich-nowski voulait bien s'occuper de lui et le recevoir dansson salon, non seulement il l'aiderait matriellement - lafortune de ce garon tant fort modeste - mais le princelui-mme gagnerait au march, car le pianiste ferait certai-nement sensatron.Lichnowski ne prit pas la lettre trop au srieux.- J'ai plutt l'impression, me dit-il, que l'archiduc tientsurtout complaire son ami flaldstein. S'il s'intressait ce ieune homme, autant que flaldstein voudrait le fairecroire, il lui assurerait, n'est-il pas vrai, de quoi subveniraux dpenses de son voyage et de son siour ici. Dans untrou comme Bonn, il n'est pas difficile de passer pour ungnie, et aldstein a touiours t enthousiaste dans sesdcouvertes... Mais enfin, pourquoi pas ? Je lui ai rponduque i'attendais ce garon, qu'il vienne me voir ds son arrive.

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    Nous saurons donc bientt quoi nous en tenir. Je medemande si le jeune musicien dont il parle n'est pas celuqui, il y a quelques annes, est venu ici rendre visite Mozarpour disparatre presque aussitt. Je me souviens que Mozarm'avait parl d'un garon l'air triste qui tait venu de sonpays rhnan pour jouer devant lui. Mozart n'avait pas pufaire grand-chose pour lui. C'tait, semble-t-il, un drled'animal, brlant d'ambition, mais assez sauvage, mal dgrossi,sans la moindre lgance naturelle... Il m'est impossiblede me rappeler son nom... Peut-tre Frau Mozart le sait-elle encore : vous pourriez le lui demander lorsque vous laYerez.A vrai dire, je ne pensai plus du tout la chose, et letemps passa... Quelques mois plus tard, Lichnowski me ditsoudain, au milieu d'une conversation :- A propos, il est arriv de Bonn. Vous savez, le prodigeque m'avait annonc aldstein...- Ah ? Et que pensez-vous de lui ? De quoi -t-il l'air ?- IJn garon tonnant. Petit, trs mince, marqu de lapetite vrole; le visage rond, le nez pat, les yeux assezenfoncs dans l'orbite, le regard perant; des cheveux noirs,tout plats. Il est pauvrement vtu et il n'a ni manires niconversation. On dirait mme qu'il se fait un point d'honneur n'en pas avoir. Une sorte de jacobin, si vous voulez. Entreparenthses, il voulait se mettre tout de suite au piano etme jouer quelque chose, mais je lui ai dit de revenir demain

    aprs-midi quand nous serons quelques connaisseurs pourl'entendre. Vous serez des ntres, naturellement ?- Avec le plus grand plaisir. Est-ce bien le jeune hommequi tait venu voir Mozart ?- Je ne sais pas, me rpondit Lichnowski. Je ne le luiai pas demand. Il se peut, cependant, que ce soit lui, en juger par le portrait que Mozart m'en avait fait.z6

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    Le lendemain, ayant t retenu par mon travail, i'arrivaiassez tard au palais des Lichnowski. Je prsentai mes excuses la princess, car il tait vident que j'avais fait attendretout le monde. Puis, aprs que i'eus brivement salu cha-je les connaissais tous et certains taient de mes amis- on me prsenta Ie ieune homme dont nous allions iugglle talent. Jtus l'impression qu'il ne me voyait pas plus qu'ilne voyait les autres personnes autour de lui; tout ce quil'entourait, en vrit, il ne semblait pas attacher la moindreattention. A peine m'eut-il donn la main qu'il retourna aupiano, devani lequel il se tenait au moment or j'tais entr,l'air taciturne, distant, presque hostile.La princesse, alors, lui dit :- Je crois que tous mes invits sont arrivs, maintenant,monsieur van Beethoven... Si vous voulez cornmencer...Sans un mot, sans mme s'incliner pour remercier laprincesse, il s'installa au clavier, leva les . yeux au plafondpour un dernier et court recueillement, puis ses doigts cra-irent littralement les touches. Les cordes vibrrent, leurssons nous parurent discordants - l'instrument tout entiersemblait gmir. Nous nous regardions, consterns, et Lich-nowski eut un brusque mouvement, voulant protester contreun traitement aussi barbare inflig son piano. Mais laprincesse l'arrta temps en lui posant la main sur le bras.- Quarante annes, presque, se sont coules depuis. cetaprs-midi, et de tous ceux qui taient runis chez le prince,j suis le seul survivant. Pourtant, ie me souviens, comme sic'tait hier, des sentiments que i'prouvai.D'abord, i'tais mi-indign, mi-amus. Vandale m'criai-je part moi, quel rustre est-ce l, qui -ne connat ni styleni msure Ensuite, ie me dis qu'il ne fallait peut-tre pasconclure trop rapidement. Bien malgr moi, ie commenais me sentir ous-le charme, et ie me le reprochais. Je luttais,

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    dcid ne pas me laisser aller ces fallacieuses motionsJe trouvais humiliant que ce garon pt me jouer pareil tourMais, peu peu, je n'essayai plus de rsister et, ne pensanplus moi ni ceux qui m'entouraient, appuyant mes coudesur mes genoux et la tte dans les mains, j'oubliai tout poum'abandonner compltement l'enchantement o me plongeait le jeu du pianiste, et sentant d'instant en instant grandla puissance de cet enchantement.J'ignore combien de temps il joua. Le soir tombait lorsqu'il termina.La tte incline et les mains jointes entre les genoux,resta assis au piano, regardant dans le vide. Des mcheemmles de ses cheveux noirs lui cachaient une partie dvisage.Personne ne bougeait ni ne parlait.Enfin, en soupirant profondment, la princesse se levet alla au piano.- Je ne puis vous dire quel point vous nous avez musVraiment, vous avez f inspiration divine...Le ieune musicien se leva son tour, mal assur, de smain gauche s'appuyant mme sur le bord du piano, es'inclina profondment devant la princesse.Lichnowski s'tait approch, lui aussi.- Mon cher Beethoven, dit-il en prenant la main droitede l'artiste dans les siennes, je n'ai jamais rien entendu dsemblable, tout lve de Mozart que je sois... Nous vouremercions de tout cur. Cette maison est la vtre, et voutes notre ami.- Oui... fit Beethoven, vous tes trs aimable... Et maintenant, permettez-moi de m'en aller. Je suis incapable dparler en ce moment. Veuillez m'excuser, je vous prie...Sans attendre que le prince lui rpondt et, nouveausans accorder la moindre attention aux autres personnes28

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    prsentes, il se dirigea vers la porte. La princesse fit signe un laquais qui apportait les chandeliers de le reconduire.- Juste Ciel Quel rustre s'exclama un invit que iene tiens pas nommer.- [Jn rustre, peut-tre, rpliqua la princesse, mais ungnie Il remdierait bientt son manque de manires, siseulement il s'en souciait un peu. Je crains fort que ce nesoient pas les bonnes manires qui lui fassent le plus dfaut.Mais il est grand temps, je crois, que les autres songent mettre dans sa vie un peu d'affection, un peu de chaleurhumaine... Cela fend le cur de sentir les difficults et lasolitude dans lesquelles il vit.. .Combien de fois, depuis, me suis-je souvenu des parolesde la princesse ***Il est inutile de raconter ici Ia discussion qui suivit. Commetoute discussion de ce genre, elle fut trs longue, anime et,en dfinitive, vaine. Toutefois, ceux mmes qui n'approu-vaient pas la technique de Beethoven n'hsitaient pas reconnatre que son travail tait remarquable. Quant moi,je me gardai de prendre part ce dbat, ne voulant pas meprononcer sur des choses au suiet desquelles i'tais encorefort perplexe.Sous prtexte que i'avais travailler ce soir-l, je prisbientt cong de la princesse et de Lichnowski, et je me

    dirigeai vers les Remparts; 'avais besoin de l'air vif et de lamarche pour voir plus clair dans mes impressions.***

    A prsent, j'ai derrire moi ce que i'appellerai mon exp-rience complte de l'uvre de Beethoven et de l'volution29

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    de cette uvre elle-mme. Il n'est donc pas tonnant que cepremires impressions que nous avait -laisses son iemprament musical, lors de l'audition chez Lichnowski, n,ainplus_ aucun. mystre pour moi. Pour retrouver la surprise, ltrouble qui m'avaient rempli alors, il me faut - non sanquelque effort - retourner en pense au temps o j'taijeune et me remmorer ce qu'taient mes vues sur la musiqueen ces jours lointains.Oh certes, la musique m'avait souvent mu vant quie ne rencontre Beethoven. Est-il besoin de le dire ? Maisl'motion tait diffrente - indirecte - et en quelque sortefurtive. On prend plaisir la musique, on admire sn quilibre, sa beaut, grave ou aimable; on suit le style du compositeur avec une parfaite joie intrieure ou un merveillement que l'on ne peut pas cacher; parfois, enfin, tout fa l'improviste, on se sent profondment remu. Seulemenceci, il n'est pas de bon ton de l'avouer; on en a presquehontel et lorsque, comme c'tait mon cas, on sutcombefrquemment ce charme qui vous captive l'me, on estent de voir l une forme de sensibilit exacerbe. Er comme cette poque, l'attitude que l'on devait adopter l'gardde .la musique consistait en un grand calme, n une pssivit- olympienne, une telle hypersensibilit tait dangeieuseet l'on mettait un soin scrupuleux s'en dfendre.-Depuis que Beethoven nous a appris saisir la beautartistique et la signification d'une ceuvre musicale tandis quel'motion nous tient, je trouve videmment ridicule d'av-oipu tre dconcert cette premire audition. Mais, l'poquecela tait normal. Les rapports de Beethoven avec se aditeurs devaient ncessairement tre difficiles, au dbut. Pounous, son jeu rvlait un mpris total de certaines rglesun acte, pourrait-on dire, de folie rvolutionnaire, une chosequi dpassait toute limite tablie, comme le Ruber de3o

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    Schiller ou les Confessions de Rousseau. Aujourd'hui, peut-je devrais tre moins surpris par la faon dont Beetho-laissa interdits et perplexes lors de ce fameux aprs-chez Lichnowski, que par son adresse nous imposertout son talent.Je sais maintenant que, si nous nous laissmes prendreson art, c'est que nous tions mrs pour l're nouvellepersonnifiait. Je sais maintenant que Mozart et Haydn,nom desquels beaucoup voulurent d'abord condamneront t les matres qui nous amenrent jusqu'et qui nous aidrent directement le comprendre.je sais aussi qu'en ce temps-l je n'aurais pas pu leJe me souviens de certaines questions que je me posaice soir-l, tandis que je me promenais le longRemparts : Qui donc lui a donn le droit d'mouvoir,au plus profond des curs, sans mme en demanderpermission?... A-t-on le droit de se mettre ainsi nu?pas courir tout droit au chaos et l'anantissementtout genre artistique que de iouer comme ce garon Ie? Cela ne mne-t-il pas au relchement des contraintes,mpris des principes ? Autant de questions auxquelles mon cur seul pouvaitrponse - savoir que le jeune homme qui nousde Bonn tait un gnie extraordinaire, qu'il valaitmieux pour moi que je lui donne ma confiance etj'coute attentivement ce qu'il avait nous apprendrelieu de me perdre en sottes et vaines critiques. En vrit,y avait dj russi, que je le voulusse ou non.Je ne dois pas omettre de rappeler ici un autre fait. Auo Beethoven faisait sa premire apparition chezon recevait de Paris de trs mauvaises nouvelles.monarchie tait renverse et le roi tait prisonnier au

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    Temple. Le sort de la reine, fille de Marie-Thrse, donnades inquitudes. Le bruit courait que leur vie tous deutait en danger, et que la Rvolution pourrait bien traitercouple royal comme deux criminels, et les envoyer l'chafaud. Aussi, tous ceux qui comprenaient que le jeune muscien recommand par Taldstein personnifiait prcisment leides qui, au sentiment gnral, avaient engendr les terriblevnements survenus en France, ceux-l devaient tout dmme avoir un certain courage pour accueillir ce musicienJe me souviens que Lichnowski lui-mme s'exposa de violentes critiques : on lui reprocha d'aider et de protger u Jacobin , et cela, surtout aprs que l'excution de Louis XVet de Marie-Antoinette fut devenue une douloureuse ralitQuant moi, je suis sr d'une chose : le ieu de Beethoven ncontribua pas peu, pendant ma promenade sur les Remparts, confirmer une opinion qui, depuis longtemps djprenait forme en moi au sujet des ides nouvelles, aussi subversives qu'elles pussent tre, et qui tendait repousser l'arrire-plan les idals auxquels m'avait habitu mon ducationFort vaguement et de faon encore subconsciente, i'avaicompris que cet homme n'tait pas seulement un gnie dla musique, mais aussi un tre tout fait exceptionnelhomme dont l'amiti serait prcieuse.***

    Soudain, je me trouvai devant lui. J'tais arriv sur lMrilker Bastei, l o un banc est plac entre deux hauttilleuls. Je le distinguai dans l'obscurit; nu-tte, les mainjointes derrire le dos, il regardait les collines et les montagnedu Wienerntald, au-del de la vaste plaine.- Ainsi, vous prenez l'air, vous aussi, avant que la nune soit compltement tombe ? lui dis-je.32

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    Il ne rpondit pas tout de suite, et conrinua contemplerpaysage.- Beau pays fit-il enfin.Et, pour la premire fois, je fus frapp par son fort accent- Beau, et fertile rpliquai-je. Nous avons ici un excel-vin.- Ah, oui ? s'cria-t-il en se tournant vers moi. Mmesot de quelqu'un qui vient de Rhnanie ?ot de quelqu'un qui vient de Rhnanie ?J'acceptai le dfi. Il n'y a pas un seul Vie qur ne'y a pas un seul Viennoisfier de ses vrns.- Je serais heureux de vous le prouver, l'instant mme...vous voulez me faire le plaisir de dner avec moi.- Non, je vous remercie, rpondit-il sur un ton brusquefrisait l'impolitesse. Je puis trs bien m'offrir souper Ah C'est ainsi pensai-je. Puis ie lui rpondis, un peumme ton :- Je m'en doute pas. Mais lorsque vous avez jou toutl'heure chez le prince, je ne vous ai pas dit que je pouvaisbien me donner des rcitals moi-mme- C'est vrai ? Vous jouez ?- Pas comme vous, naturellement Mais enfin...- Oui ? Quel instrument ?- Du violoncelle. Et je compose des quatuors.Il me semblait que j'aurais eu tort de ne pas jouer cartes

    table. Et le ton de ma rponse me parut tre le bon. Lehomme me lana un regard pntrant o entrait de laet demanda d'une voix plus affable :- Vraiment ? Comment vous appelez-vous ?Je lui dis mon nom et lui expliquai qui j'tais.Cela aussi parut le rassurer.- De sorte que f e n'ai pas vous craindre ? demanda-t-il33

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    encore, bien que l'on sentt toujours en lui de la dfiance.- A Vienne, vous rt'avez craindre aucun amateur dmusique, rpondis-je. En tout cas, rien ne sera plus important pour vous que de vous consacrer la musique.- Q.re voulez-vous dire?... Rien de plus important? .Existe-t-il autre chose que la musique ?- Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas dous commevous lltes, oui, malheureusement, il y a beaucoup d'autreschoses...- Dieu merci, vous avez dit malheureusement grogna-t-il tout bas. Sinon, vos quatuors n'auraient pas grandevaleur. Ni vos interprtations au violoncelle.I1 eut alors un regard bizarre, comme si quelque chosel'amusait.- Puis-je vous poser une question ?- Naturellement.- Dites-moi, aprs mon dpart de chez le prince Lichnowski, n'y a-t-il ps eu quelque malin pour dclarer quej'avais jou un morceau bien tudi, bien prpar, et quel'on saurait ce dont ie suis rellement capable le jour oti'aurais improviser sur un sujet impos?Je ne pus m'empcher de rire.- Oh, oui fis-fe, certains l'ont dclar, en effet...- Et vous tiez de ceux-I, sans doute ? s'cria-t-il.- Vous vous trompez. Je ne suis pas de ces gens qui craignent sans cesse que quelqu'un abuse de leur confiance.I1 me regarda encore, visiblement tonn, puis il revin son ide.- La prochaine fois que nous nous runirons chez lprince, dit-il, proposez donc que I'on me donne un ou deuthmes afin que l'on soit sr que je ne suis pas un imposteurJe leur montrerai alors ce que c'est qu'improviser

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    - Certainement. Mais ne nous I'avez-vous pas montr? demandai-je, un peu surpris.- Pas prcisment, avoua-t-il sans le moindre embarras.de choses entraient en jeu, aujourd'hui. J'ai desprouves pour de telles occasions - mais, videm-elles ne donnent pas toujours le mme rsultat. En la fin, j'tais compltement dlivr et i'avaistout mon sang-froid... Quelle sorte d'homme est-ce,prince ? fit-il de but en blanc.- Question laquelle il n'est pas facile de rpondretout cas, extrmement bienveillant, dis-je. Aucunesusceptibilit mal place... Et quand ilpour une chose ou l'aufre, il ne connatde bornes. Seulement, il est assez obstin. Cela, ieconseille de ne pas l'oublier.Beethoven resta silencieux, mditant ce que ie venais dedire.- Quand pensez-vous que je puisse revenir chez le prince ?? Ou vaut-il mieux attendre ?- Rendez-Iui visite le plus vite possible,lui dis-ie. Demain.- Vous viendrez aussi ?- Certainement, si vous y allez. Je ne voudrais pasune seule note que vous joueriezUne fois de plus, ie vis ce regard de ct, ce regard pn-qui semblait demander : Puis-je vraiment vous? Puis, soudain, Beethoven fit quelques ps, les mainsderrire le dos, comme s'il trouvait tout naturel queI'accompagne dans sa promenade.- Voyez-vous, monsieur le violoncelle, reprit-il alors, iefaire de grandes choses Je voudrais vous faireoreilles tous J'ai des choses dire que personnedites avant moi - non, ni Haydn ni Mozart Et

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    les dire d'une faon neuve, comme on ne l'a jamais faiauparavant. Cela doit aller de mon cur vos cceurs, directement, sans rien entre eux Aucune de ces stupidits quel'on nomme la forme, la symtrie, l'lgance, la contrainteQuand la tempte mugit en secouant la cime des arbres ouquand la foudre fend sur toute sa longueur le tronc d'unchne, la tempte et la foudre ne demandent pas auparavansi cela nous convient, ni si cela ne drange pas Frau BaroninNon Lorsque je m'assieds au piano, c'est le moment oije dois remuer les curs, pS celui o ie pose des questionsJe ioue, et e vous subiugue tous, tous autant que vous tesPersonne ne peut m'chapper Et plus longtemps, plussouvent vous m'couterez, moins il vous sera possible dem'chapper Parce que j'aurai toujours quelque chose dediffrent dire - quelque chose de neuf, chaque fois Eparce que vous apprendrez de plus en plus, de mieux enmieux, me comprendre- Je.le crois, dis-fe. E, i. suis.certain que-la plupry1 6ceux qui vous ont entendu cet aprs-midi ont Ie mme sentiment. La princesse tait profondment mue...- Ah oui, mue, profondment mue...? fit-il, buvanavidement mes paroles. Qu'a-t-elle dit?Je rflchis un instant.- Je vous l'apprendrai une autre fois, rpondis-je. Quandnous nous connatrons mieux.Il s'emporta.- Vous tes tous les mmes D'abord, vous me ditescombien vous avez t pris par ma manire de jouer, epuis nouveau cette ternelle prudence, cette ternellmfiance... Il me serait sans doute impossible de vous parleavec plus de sincrit que je n'en mets dans la musiquepour m'adresser vous, et, si vous comprenez cela, qu'attendez-vous d'autre de moi en montrant cette prudence, cett36

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    mfiance, je le rpte... cer air de on-ne-sait-jamais ?Oh cela me conduirait au dsespoir Vous venez de m'courerpendant une heure et demie, et l'ide ne vous est mme pasvenue - vous, un vritable amateur de musique, un vlo-loncelliste, un compositeur de quatuors - qu'un musicienmrite d'inspirer la confiance, et non des soponsSon irritation tait son comble. Elle me paraissair exa-gre et injustifiable.- Si je ne vous ai pas rapporr la remarque que la prin-cesse a faite votre sujet, dis-je avec un calme voulu, cen'est pas parce que je n'ai pas confiance en vous, mais parceque j'ignore si elle m'y autoriserait.Il resta interdit.- Vous avez raison, fit-il, redevenu plus calme. Vousavez parfaitement raison.Puis, il ajouta tout coup :- Ecoutez, monsieur le violoncelle, j'ai de la sympathiepour vous. Si vous m'invitez vraiment souper, j'accepte detout cur.J'emmenai le jeune musicien dans une auberge du iedenotr j'allais souvent cette poque. Mets et vins y taient bons,et y frquentaient surtout les commerants et les rtisansdu voisinage.- La musique me donne toujours faim, me dit Beethoven.Et, mon grand plaisir, il mangea de trs bon apptit. Illoua mme le vin. Il me laissa l'initier aux secrets du Heuriger

    qui en ralit n'tait pas du tout un Heuriger, mais unVorjh-riger, et il parut tout aise d'apprendre les diverses qualitsdes vins dont Dieu a dot notre campagne environnante.Il n'aborda plus aucun sujet srieux, ce soir-l, et montraune gaiet enfantine, se plaisant faire participer notreconversation tous ceux qui se trouvaient l, et prouver qu'iln'tait pas homme s'effrayer d'une plaisanterie un peu oie.37

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    Vers dix heures, il dclara brusquement qu'il devaitrentrer, ayant beaucoup faire le lendemain matin. I1 insistapour m'accompagner iusque chez moi - une amabiliten appelle une autre , me dit-il et, aprs m'avoir donnune haleureuse poigne de main, il me laissa seul avec mesimpressions.***

    Le lendemain, nous avions une sance de quatuor chezLichnowski, et nous tions en train de iouer un adagio deMozart quand Beethoven entra. Faisant signe de ne pas nousinterrompre, il alla s'asseoir au fond du salon pour couter,exactement comme l'aurait fait un vieil ami intime de lamaison.Lorsque nous emes termin, il s'approcha et dit, sansnous saluer au pralable : Trs, trs beau morceau ettrs bien excut, aussi Cependant, il se mit nous donnerquelques conseils pour jouer mieux tel ou tel passage, etprenant l'alto des mains de celui qui le tenait, il reprit uneertaine phrase dont l'excution n'avait pas t son got.Et it rne traita tout particulirement, comme si nous tionsdes amis de longue date. Ce que Lichnowski remarqua avectonnement et sans doute avec un peu d'envie. Lichnowskiavait t un ami de Mozart et, grand amateur de musique,il attachait beaucoup d'importance au fait de fouir de laconsidration et de l'estime des musiciens.Ensuite, Beethoven au piano, nous ioumes un trio deHaydn. A notre grande surprise, et si l'on songeait samanire de iouer telle qu'il nous l'avait rvle la veille,Beethoven respecta entirement la grce trs dlicate de sapartie.- Entre-temps, de nombreux invits taient encore arrivs.38

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    La princesse elle-mme se trouvait l prsent, et Beethovens'effora de la saluer avec une parfaite courtoisie.Bientt, il me toucha discrtement le coude, comme celase fait entre deux coliers qui se sont entendus pour fairequelque bonne plaisanterie. De toute vidence, il tait d'excel-lente humeur.De sorte que je me tournai vers la princesse et lui demandaisi elle permettait que M. van Beethoven nous fout quelquechose. Cette fois, ajoutai-ie, je voudrais lui rendre la tcheplus difficile et lui demander d'improviser sur un ou deuxthmes que nous lui dicterons. Chacun applaudit cetteproposition, et Beethoven rne tendit un cahier et un crayon,demandant que l'on y inscrivt trois thmes.I1 resta un instant examiner les trois motifs. Puis, levantles yeux, il demanda :- Puis-je en aiouter un ?Nous fmes d'accord, et lorsqu'il eut not un court motifqui lui servirait de quatrime sujet, il passa la feuille au princeet s'installa au piano. Son excution surpassa de loin cellede la veille, et, depuis, je I'ai rarement entendu s'lever sihaut. Ce que ses doigts faisaient surgir du piano tait unesorte de feu d'artifice o se mlaient l'enthousiasme, f intel-ligence, la sensibilit - un vritable triomphe de l'art. Cefut avec une tonnante srie de variations qu'il interprta lesthmes que nous lui avions imposs; iI jonglait avec euxcomme avec des boules multicolores; il les prenait et lesreprenait en leur donnant les expressions les plus tonnanteslet finalement il improvisa avec une parfaite matrise unefugue libre qu'il couronna en y introduisant son propre sujet,triomphal et radieux.Alors mme qu'il jouait encore, son auditoire n'avait pus'empcher de s'exclamer d'admiration. Et lorsqu'il eut ter-min, tout le monde, transport de joie, entoura le piano39

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    pour fliciter l'artistel personne ne savait comment le remer-cier ou l'applaudir assez aprs le rare plaisir qu'il venaitde nous procurer.L'heure tait di avance quand enfin on se spara. Et,de ce jour, Vienne sut qu'une autre toile d'un clat extra-ordinaire s'tait leve au ciel de sa musique.Lichnowski exultait. Il tait all de l'un l'autre, rptantSANS CCSSC :- Cet homme va prendre la place de Mozart Il vientpour nous consoler de la mort prmature de Mozart C'estun nouveau Mozart

    En parlant ainsi, il oubliait bel et bien que, dans le relet profond chagrin qu'il avait prouv la mort de son pro-fesseur et gnial ami, il avait, durant toute une anne, dclar qui voulait l'entendre que, aussi longtemps que l'on feraitde la musique en ce monde, il n'y aurait iamais, iamais,un autre Mozart.Pour ma plus grande joie, Beethoven, durant les semaineset les mois qui suivirent, continua me traiter sur ce mmeton de bonne camaraderie, naturelle professionnelle,pourrait-on dire - que tous deux nous avions pris le premierfour. Bien que sachant parfaitement que ie n'avais nul droit pareil titre, il me donna celui de comte musicisn , til s'amusa m'appeler ainsi jusqu' Ia fin de ses jours.Et ie m'apercvais de plus en plus que la grande confianceen soi dont faisait preuve ce ieune homme tait contreba-lance par une discipline intrieure d'une qualit peu ordi-naire. Beaucoup de gens, tout en reconnaissant son talentexceptionnel, critiquaient cette assurance; pourtant ie netardai pas dcouvrir que, si sincre et extrme tout lafois qurelle pt paratre certains moments, Beethoven n'ymettait rien- qui ressemblt de la vanit ou une formeou l'autre de narcissisme. C'tait chez lui comme une force40

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    naturelle - c'tait une force naturelle, une manifestation nibonne ni mauvaise de sa personnalit, quelque chose dontDieu l'avait dot. La discipline laquelle il s'astreignaitvolontairement, sa matrise de lui-mme taient deux forcesmorales gagnes au prix de beaucoup d'efforts et qui mri-taient une admiration sans rserve.Combien d'artistes combls pas ces succs toujours plusenthousiastes, touiours plus dlirants, se seraient tenus poursatisfaits et n'auraient plus rien fait, qu'attendre que cessuccs suivent leur cours normal Mais une telle pensene vint iamais l'esprit de Beethoven. Bien au contraire, ils'inquitait de ce qui lui manquait, et, avec une modestiequi n'tait pas moins grande que la haute estime qu'il avaitde lui-mme, voulut tendre ses connaissances et perfec-donner sa technique.- Je dois appiendre tout ce qu'il est possible d'apprendre,me dit-il plus d'une fois. Je dois faire ce que les autres,avant moir-ont t capables de faire, et le faire au moins aussibien qu'eux. Sinon, comment pourrais-je crer duneuf?Au cours des annes suivantes, Beethoven travailla avecHaydn, ensuite avec Albreschtsberger - qui fut aussi monprofesseur - et iI se soumit entirement aux enseigne.mentse ces matres. C'tait se soumettre aussi, et dlibrment, des disciplines totalement trangres son tempramentintraitable.

    - tudier, disait-il souvent, ne signifie pas faire ce quel'on sait di, ou ce que l'on fait facilement. Cela signifie fairece que l'on ne sait pas, ou ce que l'on trouve difficile.iertes, de telles-dclarations sont videntes en soi, irr-futables, peut-tre ressemblent-elles mme des lieuxcommuns, mars bien rares sont ceux qui demeurent fidles de semblables axiomes, surtout si, comme Beethoven durant4r

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    ***Aussi amicales et familires que fussent mes relations avecBeethoven, et bien qu'il ft prt accepter de bonne _grcgtour servie, petit o grand, gue i'aurais pu lui rendre, _irestait trs rserv ds qu'il s'agissait de sa vie_ prive. Ilredevenait timide et dfint si i'essayais de le faire parlerde son pass. Je renonai vite le questionner, dcid satisfaire ma curiosit d'une autre manire. Depuis quelquesannes di, nous avions cess de correspgn-dre, aldsteinet moi, mis ie me souvenais de notre amiti datanlde -l'po-qr. o nous tions tous deux au Theresianum. D'ailleurs,

    ls quelques questions.qu.e je dsirais.lui poser concernaienune personne laquelle lui-mme s'intressait fort et poulaqulIe il avait une grande _e-stime.ie savais que l'arcltiduc Max avait d fuir Bonn devanl,aiance des ^ armes rvolutionnaires, et qu'il se trouvaialors Mnster, son second diocse; et ie supposais quealdstein l'y avait suivi. J. l"i crivis donc, lui racontant lespremrers succes de son protg Vienne, lui disant lTmpresiion qu,il m'avair faite- persnnellement et la chaude syppathie que j,avais pour -lui. Je lui demandais de me faireonnatr j s'il avait te loisir de m'crire - ce qu'avait l'existence du ieune homme avant son arrive cltez nousJe ne m'tais pas tromp; notre amiti ancienne me valusans tarder une rponse de aldstein.Il commenait par me raconter les divers vnements quavaient abouti ia fuite Mnster, laissant entendre quson amiti avec l'archiduc ne durerait plus trs longtemps11 me remerciait de mon intrt pour e ieune Beethovendont on lui avait parl. Il terminit en me faisant un rcassez compliqu q^ui pourtant me mlt di au fait de pamal de chses concernant la famille Beethoven.

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    Un bon mot que pronona rcemment l'archiduc m,amnesujet mn1e qui vous.intresse, crivait Taldstein. Il y aUis, a 9rs qu'il parcourait les nouztelles qu,on- luide Bonn, il.me regayda tout coup et, le souriil gauchede cette manire qui lui est familirb, it dit : o I]a mxeJohann ztan Beethoz)en est mort... Ce Johann,uan ileetho-n'tait autre que le pre de notre prot...

    Jg -. souviens d'avoir t choqu de m'apercevoir, commelisais cette lettre de (laldstein, que Beethoven ne m'avaitdit un seul mot de la mort de son pre, survenue peutemps aprs son dpart de Bonn.Et l'lecteur n'exagrait pas, continuait mon correspondant.aieux Beethoaen aaait l'habitude de boire comm six. Cemalheureu)c pour la bouteille entrana sa mortaaant toutefois qu'il et conduit sa famille au bord de laJe aais aous conter toute l'histoire et, comme j,ai t

    de ces tristes choses, aous ne pourriez les tenir de meilleure.Lorsque.je fis la connaissance de Beethoaen, il y a un peu_de cinq -ans, sa mre aiaait encore. C'tait- une femmernais fort aimable, use par le traaail et par les-soucis,sa aie n'aaait t faite que d'efforts sans fin pour soustrqirefamille - il y avait trois enfants outre ion protg, plusque lu , et dont un encoie bb - aux tristet 6r a,de s9n mari. Le pre de Beethooen faisaii- partiechur de l'lecteur, et celui-ci et-il t moiis indutent faiblelse .huma'ine, notre hommc aurait probablement" perduil y a des annes. sa aoix avail faibli et il passaitpour incapable parmi ses confrres. Brf, je jugeai- que leBeethoaen, alors garon de- quinze oi size ns, viaait

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    dans un milieu impossible, nuisible sans aucun doute son talent,et je profitai de la faaeur que l'archiduc aoulait bien me tmoi-gner -pour lui parler du jeune homme. Je n'etts pas_grand'pein9' pernruder ltlecteur de lui permettre de faire -le _voyage deVienne pour rendre aisite Mozart et, pour cela, de lui accorderun pcule.Cela deaait se passer en 87. Beethozten qttitta Bonn aussitt,et j'esprais qien agissant ainsi j'avais d'un seul c.oup tranch.le-nud gordien de son malheureu)c sort. Hlas il tait partidepuis qielques mois lorsque l'tat de sa mre, -qtd tait phti'sique, mpira. Le .'ieune Beethoaen dut tre doulomeusenrcntfiapp -l'annonce de cette noltaelle car, sans une hsitation,-il iaint Bonn. Je pense qu'il y avait une autre raison cedparr prcipit : il n'avait pas aeill un rel intrt chezliorari nir- arai dire, clrcz personne Vienne et il s'taitptutt senti dsempar dans cette grande aille. Je pris la pltmteimmdiatement, et le nrypliai de ne pas risquer, en prenant tropau srieux la maladie de sa mre, d'anantir tout ce qiil aaaitdj acquis, et l'aoenir qui s'ouarait dettant lui. S'il aoulaitpiolongr son sjour Vienne et ne pas abandonner ses projets.,je lui promettais de faire tout ce qui m'tait possible -pollr aenir-en aide sa mre et zteiller ce qu'elle ne manqut de rien.Mais Beethoven ne rettt jamais tna lettre. Et mme si ellelui tait paraenue aoant son dpart, il est trs probable qtlellen'aurait iien chang sa dcision. Il arrizta Bonn juste tempspour rsoir sa mr mourir et pour l'enterrer. Il fut trs affect,car il aimait sa mre.Le pire cependant ne deaait arrioer que quelques mois plustard, lorsqu'il deeint ztident que le pre, Johann, cdait, plusque jamas, sa passion. Son prtendu chagrin l'occasion dela mort de sa femme ltti tait une bonne excuse pour boire presquedu matin au soir. Tout son modeste reaenu Passant ainsi aucabaret, la famille se trolrua bientt dans une aritable misre.

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    Inform, je aoulus sans tarder aaoir un entretien aaec lejeune Beethoven et lui faire comprendre qae cette situation nep_ouaait pas se prolonger. le me refuse, lui dis-je, voir desdons comme les atres gaspills, et gctspills parce que aone pren'a pas la aolont de renoncer boire. Il me demanda quelle tait mon intention en parlant ainsi.C'tait bien simple. J'allais demander l'leiteur de fairea_erser une pension son pre et de le placer dans une familledigne de confiance. Quant ses frres et sLtrs, ils pourraient,ansec l'autorisation de l'lecteur, tre confis aux ioins d'ins-titutions publiques. Pour Beethoven lui-rnme enfin, la personneui, de toute la famille, mritait la plus siieuse uention,j'obtiendrais de l'lecteur qu'il pt irumdiatement retourner Vienne.De toute ma aie, je pense, je ne connus pas de plus grandtonnement qu' cet instant. C'est peine si BeethoTssn, prisde colre, put se retenir de me sauter au aisage. Les laimesplein les yeux, il criait d'indignation, me demandant si j'ignoraisquea depu .s cinquante ans et plus, sa famille avait toujours joui_ Bonn d'une rputation trs honorable Est-ce que j'imaginais,dans mon indiffrence sans cur et hautaine, que je pourraiseffacer ces cinquctnte a.nnes d'un seul coup di balai, faisantbon march de l'honneur des siens et les exposqnt la hontepublique ? Est-ce que je pensais que sa mre avait accept sesaingt ans de martyre uniquement pour que, avant mme" que laterre recluarant sa tombe ftt sche, tout ce qu'elle aztait fait l'gard de ses enfants ft dtruit de cette faon inqualifiable ?Ce fut une scne bien pnible C'est en ztain que j m'fforaide le conaaincre de mon dsir sincre de l'aider cubiaer iontalent. Il ne cessait au contraire de me reprocher mon manquede cur et de comprhension. Il me dit sans ambages que, dnsla siruation o il se trouaait, il se souciait bien peu de son talentCe qui comptait, c'tait son honneur, I'honneur de totfie la46

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    famille, l'honneur de son grand-pre et celui dc ses anctres,'des hommes qui aaaient tratsaill toute_ leur aie et que l'on avaittoujours resfeUs I l'honneur de ses frres et de.,ses sursr. quiaiiraient librrt et dignement, non pas en pupilles ncessiteuxd'un orphelinat quelionque... Ecumant encore de rage, il mequitta. Il ne me restait qu' attendre.- Et ce qui arrizta fut mourtant, Propre -me surprendre encore.Quelquei jours plis tard, on trouaa sur le bureau de l'lecteurn, trtn du ieune Bee:thooen, demandal qur- 19 Oengn deson pre lui fit paye, lui, le .fi|s, car.il aoulait e-n faire unempioi judiiieux, Z'est--dire s'en seruir. Po?r subaenir a'uxbeioins dt to famille et aeiller l'instruction de ses frres et deses surs.L'lecteur, enchant des intentions du jeune hornmer.fit q_sourde oreilie lorsque j'essayai de lui reprsenter la fol'ie qu'ily aurait laissei cei extraordinaire talent s perdre dans un-^itiru aussi dfaaorable. Il est beaucoltP Plys imp_ortant) medit-it, de donnr ce garon une chance de se former le caractrequ, d, choyer son taleTt 'L'homme et ses droits aiennent d'abord,i'ortiste einsuite It a assez de fiert Pour ztouloir tout prixsa.uver l'honneur de sa famille, et je suis le derniey gui .l'enempcherait Il a une alont peu cornmune ; il arrhtera sesfinst Et si, ma foi, son talent-prit dans l'aaenture, c'est qu'ilne aalait pas grand'chose. ,>A mon grind regret, poursuivait aldstein, les choses enrestrem l. Ce qule Beeihoaen demandait lui fut accord, etil passa cinq longies annes diriger son Pre, ses frres et sessurs or4 omoit, et augrnenter le maigre re7)enu de sonpre de ses propres conomis. En rsum, il se proccupait.'exclusiaemtni ai garder au norn dc Beethonen son honorabilitet son indpendance. Il traztaillait iusqu' l'puisement, rem'plaant ,onl, ,rtt, tel ou tel organiste, tenant l'alto gu le- piano'dais des concerts o un artisie ou l'autre manquait, donnant

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    altssi beaucot_tp de leons; et lorsqu'tne graae maladie l'obligea garder le lit assez longtetnps, il deaini fou de colre. Mas iatteignit son _bttt. Il mena bien la tche qiil s'tait imposeet ce fut setilement quand il ait que je ne porrrrois que m;incliner dezsant une abngation si amiiabte qil reaiit me aoirnous permettant ainsi de renouer xotre amiti.vous saaez -prsent tout ce que l'on sait son xtjet. Il aune aolont de r et un orgueil indomptable. si l'on peut dired'un homme qtil se brise mis ne plie pas, c'est bien de'lui.- .ce.-que je pomt'ais aiouter est de mindre importance. Toute-fois i peut tre de quelque intrt pour aous'de saaoir que legrand--pre- du .ieune Beethoaen, qii de simple choriste eaintchef d'orchestre de la cour, semble bien aoir t dot d'unemme aolont de fer. Je me suis laiss dire qu il aenait desFlandres - d'Anoers ou de Malines. Il arria rcut jeune Bonn ?t t'.y ryglia. Sa femme, dit-on, buaait, et son fils tntraitdonc hrit d'elle son intemprance; elle serait *irt, gale-ment de l'excs de boisson. Le grand-pre aaait du talentr"maisrien de plus., Notre- protg, que je vous dise encore ceci, comptait Bonnde nombreux arnis, et, parmi eux, des gens de'qualit. (Jnez)euue, entre autres, Mme Von Breuning, a fait beaucottp pourlui, et ses fils taient aaec lui en excellents-termes. Un'ceitainlT/egeler, garon dou qui rudie la mdecine, a galement eusur lui une lteureuse influence. Mais, d'atttre partr- re Thtrede l'Electorat n'tait pas fait pour rendre ss ianires phts

    dlicates, plus polies; il n'a pas-manqu d'adopter tout de iuitele ton de conaersation trop libre de cs cabotiis...Je serais heure,x de aous aider encore en aous communi-quant d'autres dtails si aous en aaiez besoin, mais je penseque vous tes rnaintenant ant courant de l'essentiel, en n'ou-Qliayt pas que les deux zsisites de Haydn eurent comme rsultatle dpart dfinitif de Bonn.48

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    Quant aux deux frres, ils grandissent et on s'occttpe d'eux, totts gards. L'un est en apprentissage chez tm apothicaire,l'autre aoudrait deaenir musicien, mais il n'a rien des dons deson frre an.Voil tout pour le moment... et j'espre que mes renseigne-ments 'uous seront de quelque utilit...

    Cette lettre et la remarque, gue j'ai cite plus haut, de laprincesse Lichnowski, fortifirent encore mon amiti pourBeethoven. Di alors i'avais vu autour de moi assez de vanit,de flatteries, d'hypocrisie pour tre mme d'apprcier larare valeur d'un homme vritable.

    Il serait absurde de prtendre que le jeune Beethoven, teque ie le connus l'ge de vingt-deux ou vingt-trois ans,ne savait pas qu'il avait une mission remplir. Rciproque-ment, ceux qui dclareraient qu'il connaissait exactement lanature et la porte de cette mission se tromperaient toutautant.Auiourd'hui Beethoven nous a quitts depuis trois ans,et nous avons son uvre complte; d'une importance ed'une tendue qui peuvent assurment donner penser quel'homme qui a accompli cela n'a iamais dout un seul instantqu'il ft n pour la musique, et uniquement pour la musique.Avant lui, n'y a-t-il pas eu.l'exemple de Mozart et de Haydnqui tous deux, ds leur enfance, n'eurent d'autre ambitionque de se distinguer comme compositeurs ? Pour Beethoven,les choses sont diffrentes. Bien qu'il ait galement compospendant ses annes de jeunesse, il ne pensait nullement alors

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    que ses dons les plus grands se manifesteraient dans l'uvrecratrice. Au contraire, l'poque o nous fmes connaissance,et durant encore quelques annes ensuite, il ne voulait devenirqu'un virtuose du piano. Et c'tait parfaitement comprhen-sible. Sa technique du clavier tait si magistrale, son talentextraordinaire d'improvisateur si convaincant, si convain-cante aussi son aptitude inventer sans cesse de nouvellesexpressions, de nouvelles interprtations, que ses disposi-tions pour le travail de composition, telles qu'elles taientalors, ne pouvaient pas supporter, ni mme rechercher lacomparaison. Son gnie indiscutable, indiscut, s'exprimaitsi exclusivement par son art de pianiste que c'et t foliede sa part de ne pas vouloir le reconnatre.Combien de fois ne lui ai-je pas demand, alors que sonie., nous avait transports jusqu' l'extase, combien defois ne lui ai-je pas demand pourquoi il n'crivait pas pourla postrit ce qu'il venait de crer en une libre improvisa-tion ? Et lorsqu'il ne refusait pas carrment de rpondre ma question, il m'expliquait : Eh bien, j'ai souvent essay.Mais ie n'y parviens pas..Au qgmelt o ie p.1e.1ds la plume,je me sens comme paralys. Je n'ai pas d'ides vraimentoriginales, et ce que ie couche sur le papier me parat videde toute signification et ne pouvant communiquer la moindremotion. Je suis bien incapable de vous en donner la raison -ais c'est ainsi. Au contraire, quand vous tes tous assis autourde moi, quand je sens que vous attendez d'tre mus, quandje sens en vous cette attente, cette tension... alors, dirait-on,cela s'impose moi, cela s'empare de moi, et les choses quef 'ai dire clatent et iaillissent. Oui, seulement alors, je metrouve moi-mme pour m'oublier nouveau aussitt, commesi un autre que moi se trouvait au piano et jouait, commesi l'art d'un autre prenait vie travers moi, indpendammentde mes propres sentiments... 5o

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    De fait, Beethoven tait depuis longtemps clbre Vienneet personne ne songeait encore qu'il pfit tre autre chosequ'un pianiste brillant, virtuose et improvisateur exception-nel - ou mme qu'un bon professeur Personne cettepoque n'aurait pu deviner en lui Ie compositeur puisques'il lui arrivait de composer, il n'en disait rien personne,encore moins pensait-il publier. Il faut ajouter ici que sesmatres - Haydn et tout particulirement Albrechtsberger- n'avaient pas une haute opinion de ses dons de compo-siteur et, l'occasion, en parlaient de faon trs peu lo-gieuse. Ils le jugeaient malhabile, manquant de souplesse,de grce et de dlicatesse comme celui qui prendrait unpilon pour casser une noisette .Aussi bien, trois annes s'coulrent avant qu'il ne livrtau monde son Opus I. Ces trios taient ravissants et furentchaleureusement accueillis, mais personne ne sut qu'ilsannonaient autre chose.Les choses en restrent 1 pendant quelques annes. Mmequand une ceuvre de Beethoven remporta un trs vif succset l'adhsion d'un large public - je pense ici au Septuor dontla premire audition se place vers rSoo - mme alors, tousles connaisseurs se plurent considrer cette uvre comme larenaissance d'un genre disparu lors de la mort prmature deMozart, plutt que comme la manifestation d'un gnieprofondment original.Ceci, beaucoup de personnes l'oublient aujourd'hui. Pourelles, Beethoven savait depuis toujours qu'il crirait la Troi-sime et la Cinquime Symphonie, Fidelio et la MissaSolemnis . Je n'attire pas l'attention sur l'erreur manifestede cette croyance, afin de paratre en savoir plus long que lesautres, ni mme par amour de la vrit historique; ie le faisparce que, supposer cela, c'est mconnatre le sentier long eardu que Beethoven

    -l'artiste aussi bien que l'homme

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    dut suivre avant de composer ces uvres remarquables, etparce que ce lent dveloppement intrieur, chez lui, est vrai-ment l'essentiel de sa vie.Durant les premires annes de son sjour Vienne, ilaffirmait souvent, et il continua toujours l'affirmer malgrmes objections, qu'en y rflchissant bien, il n'y a pas d'autreforme honnte de l'activit artistique que celle qui oblige lemusicien se trouver face face avec ion uditoire t le montretel qu'il est - un homme parmi d'autres hommes, et non unmusicien parmi des amateurs de musique. La musique n'est pas qu'une suite de sons agrables l'oreille s'criait-il en s'emportant. La musique est le langagedu cur s'adressant d'autres curs... Quand je dsire laisserparler mon cur, quand il est plein au point de dborder,quand les digues vont se rompre, il m'est impossible dem'asseoir devant du papier de musique et de jongler avec unencrier et une plume d'oie Car alors, il faut que je sente laprsence d'tres humains dont je puisse pntrer et conqurirles curs, gue mes mains fassent rsonner le piano de tousles sentiments, de toutes 1es motions qui se pressent enmoi ... I1 m'est arriv d'envier les chanteurs, les comdiens,il leur est toujours permis, eux, de communiquer directementaux autres ce qu'ils ressentent; mais je me dis alors que jepeux accomplir des choses plus admirables encore Ce que f ejoue, ce n'est pas l'ceuvre qu'un autre homme a cre et arran-ge afin que ie l'interprte ensuite; non, je joue ce que mesmotions du moment m'inspirent, et chaque fois i'y mets desnuances diffrentes. Ne voyez-vous pas qu'il ne peut existerart plus lev ni plus vrai que celui-l ? Et lorsque je voulais discuter nouveau, il reprenait sonargument : les ractions et l'enthousiasme du public, soute-

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    nait-il, aidaient mieux que toute autre chose bien juger del'uvre artistique. Voyez donc si, en jouant toute une sonatede Mozart, vous arriverez faire vibrer le cceur des gens aussiprofondment que si j'improvise devant eux pendant un seulquart d'heure Cette ide semblait ne jamais le quitter, et il dclarait sanscesse.qrr'il prouverait au monde.qu.'il.avait raison. Que nepuis-je vivre assez longtemps, disait-il encore, pour voir lelour o les vritables connaisseurs ne voudront plus riend'autre que f improvisation, une fois qu'ils auront comprisque c'est la seule forme musicale qui ne ment pas Dansl'improvisation, la tricherie est impossible. Vous tes oblig de

    jouer cartes sur table, et ce que vous ne possdez pas, ehbien vous ne pouvez pas le montrer S'il n'y a rien en vous,vous vous rendez ridicule, et chacun se moque de vousN'est-ce pas une sorte de lchet de s'abriter derrire descahiers et des contrepoints, d'agir comme si l'important taitd'viter d'crire des quintes iustes et de s'en tenir exclusive-ment aux rgles ? N'est-ce pas une sorte de cruaut d'enserrerle cur dans une gaine si troite qu'elle l'empche de respirer ?- Allons, allons rpliquais-je. Vous-mme vous nousavez jou assez souvent) en improvisant, des fugues et desdoubles fugues, et la rgle du contrepoint semblait vousgner moins que personne- C'est prcisment ce que je veux dire Je ne suis pasgn par les rgles de fugue parce que ie laisse parler moncur, mme si je me conforme ces rgles Mon interprta-tion I'emporte sur elles et mes auditeurs les oublient...Plus tard, lorsqu'il consacrait moins de temps f improvisa-tion, et plus la composition, nous tions nombreux letaquiner en lui rappelant ses opinions arrtes d'autrefois,et en l'accusant de manquer de principes.De tels reproches l'irritaient fort, et juste titre. Si son

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    opinion changeait peu peu, ce n'tait pas pour le simpleplaisir de changer, ni par opportunisme : l'exprience lui avaappris aller au fond des choses.***

    Et l'exprience fut parfois trs amre. Beethoven ne rencontra pas partout l'amiti et l'affection qu'il avait trouveschez le prince Lichnowki. Il ne comprenait pas qu'il mettaiparfois f indulgence et la patience de ses admirateurs rudepreuve, et invitablement cela amenait de temps autre declats. Chaque fois, Beethoven en tait terriblement peinPourquoi les gens lui en voulaient-ils ? n'tait-il pas toujourssincre et franc dans ses rapports avec eux ? Il n put iamaisadmettre que la franchise offense souvent les bonnes manireset irrite les gens. I1 se fit touiours beaucoup d'ennemis, par strop grande honntet, presque enfantine et incorrigibleIncorrigible, car il commettait sans cesse l'erreur d'attendrechez les autres, cette gnrosit de curr gui tait le trait principal de son caractre. Cette confiance naturelle le mettait videmment la merci du premier adversaire qui usait sonendroit d'un peu d'habilet et de ruse et, durant toute sonexistence, il demeura I'homme [e plus facile duper. La souffrance et la dception de se sentir incompris et de ne pas trouver chez les autres la mme sincrit contriburent beaucoup entretenir chez lui cette dfiance gnante et mme parfoisblessante qui, mesure que le temps passait, caractrisade plus en plus son attitude pour finalement, dans ses derniresannes, faire de lui un tre tout fait insociable.

    Vers 1795 ou 1796, Beethoven, pour la premire fois, fit uncourt sjour chez le prince Esterhazy Eisenstadt. Cette54

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    invitation tait probablement due f intervention de Haydn;ou peut-tre celle du jeune prince Lobkowitz chez qui, augrand dplaisir de Lichnowski, Beethoven tait devenu unhte familier et trs choy. Esterhazy tait un mcne quis'intressait grandement la bonne musique, et son dsirde recevoir un prodige aussi clbre que Beethoven tait biennaturel. Mais, l'tiquette la plus stricte rgnait sa Cour, etquelqu'un lui avait sans doute donn des inquitudes ausujet de l'humeur capricieuse et du peu^d'entregent du jeunemusicien, car avant que ce dernier ne ret l'invitation officielledu grand chambellan d'Esterhazy, j'eus un iour la visite, la lgation, d'un certain Gelinek, depuis peu chapelain lacour d'Eisenstadt. Cet homme n'tait pas un inconnu pourmoi. Il tait Tchque d'origine, et comme il tait trs bonpianiste et extrmernent cultiv, on le rencontrait souventdans la socit viennoise. La visite du prtre m'tonna, carnos relations n'avaient jamais t particulirement amicales etnous tions tous deux parfaitement conscients de ce manquede sympathie.

    Gelinek se garda de faire aucune allusion au fait que nousnous connaissions di, et il en vint directement au sujetmme qui l'amenait. I1 venait me demander, de la part duprince, d'accompagner Eisenstadt ce musicien, M. vanBeethoven, afi,n que je joue trs discrtement le rle de mentordurant son sjour la cour du prince Esterhazy. Le princeavait appris que M. van Beethoven jouissait de mon amiti, etcomme on disait que M. van Beethoven tait assez ignorantl'tiquette et risquait donc de commettre - oh biencertaines maladresses, le prince dsi-lui rendre moins difficile la situation o il se trouverait -t ceci, videmment, I'insu de M. van Beethoven. ,tait-ild'ajouter que le prince comptait sur mon entire

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    Cette dmarche de Gelinek me dplut, cr je le souponnais, lui et personne d'autre, d'avoir mis le prince en gardcontre Beethoven. La bonne solution et t de faire respectueusement comprendre Son Altesse Srnissime euedans de telles conditions, il tait prfrable de se passer tou fait de la socit de Beethoven. Cependant, deux considrations me retinrent de donner l'missaire d'Esterhazy unrponse ngative. La premire concernait Beethoven lumme. Je n'avais pas Ie droit de le priver de cette visit la cour d'Eisenstadt, pour son renom et sa carrire. Sce premier sjour Eisenstadt devait m'tre personnellemendsagrable, mon devoir d'ami me dictait de ne pas l'empcher. Ensuite, le comte Palffy, mon bienfaiteur, tait uami intime du prince Esterhazy : il m'tait donc rellemenimpossible de ne pas accder la requte de ce dernier. Ej'acceptai, demandant Gelinek de transmettre^au princ.emes remerciements les plus humbles pour la confiance qu'voulait bien me tmoigner.Quelques semaines plus tard, je me trouvais assis ctde Beethoven dans une voiture de la maison des Esterhazy esi plaisant qu'ait pu tre le voyage d'Eisenstadt, il devinvident ds notre arrive que le sjour ne serait pas partculirement agrable.Nous fmes reus par un laquais d'un certain ge chargde nous conduire nos appartements. Nous le suivmejusqu'au premier tage de l'aile sud, et l, ouvrant une porteil se tourna vers moi et me dit :- L'.ppartement de Votre Seigneurie.- Et oir est celui de M. van Beethoven ?L'homme eut l'air embarrass, et me demanda cette foien hongrois :- Puis-je poser une question Votre Seigneurie... de lpart de Son Excellence le grand chambellan de la Cour?..56

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    - Parlez allemand lui criai-ie, M. van Beethoven n'entendpas le hongrois.Il rcita docilement sa leon :- Son Excellence ignore si M. van Beethoven est denaissance noble ou non. Dans le premier cas, j'ai ordred'introduire M. van Beethoven dans l'appartement voisin;sinon, ie dois demander M. van Beethoven de bien vouloirme suivre au troisime tage.Voyant le rouge de la colre monter aux ioues de Beethoven,je ne lui laissai pas le temps de rpondre.- Ouvrez cette porte immdiatement criai-ie nouveauau domestique. Vous drez Son Excellence que c'est moiqui vous ai donn cet ordre.- Visiblement soulag, le vieux domestique fit ce que ielui ordonnais, puis s'loigna en silence.J'entrai avec Beethoven dans son appartement, voulantm'assurer qu'il tait aussi bien amnag que le mien. Beetho-ven promena son regard tout autour de lui, attendit que lejeun laquais qui montait nos bagages ft sorti, et dclaraavec un calme que je trouvai beaucoup plus inquitant quel'cla.t auquel je m'tais attendu :- Je dsire rentrer immdiatement chez moiJe ne rpondis pas tout de suite, curieux de voir ce quiallait suivre. Mais mon ami n'en dit pas davantage, et posasur moi un regard de dfi comme si, son tour, il attendaitma rponse.- Je vous comprends parfaitement, fis-ie. Mais, ie vousen prie, rflchissez encore avant de prendre pareille dcision.- Pourquoi ? demanda-t-il.- Parce eue, par ce brusque dpart, vous offenseriezgravement le prince. Il n'avait, personnellement, aucuneintenrion de vous blesser.

    - Un artiste commemoi vaut cent de leurs nobles

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    - Ce n'est pas moi qu'il faut rappeler cela, rpliquai-je.Ft c'est probablement I'avis du prince galemenr. C pedincident est d en somme une simple quesrion de rouiine.Le chambellan doit respecrer ce qui esr d'usage la Cour.Croyez-moi, oubliez tout de suite ce malentendu.I1 ne rpondit pas, se dirigea vers la fentre et, les mainsderrire le dos, regarda la cour du chteau. Je sentais pr-frable de me taire pendant qu'il prenait sa dcision. Enfin,il se tourna vers moi :- Peut-tre avez-vous raison, dit-il.Et il revint au milieu de la chambre dfaire sa valise. Maisil avait perdu sa bonne humeur.Il ne devait pas la retrouver Eisenstadt. Au vrai l'atmos-phre qui rgnait la cour du prince Esterhazy tait peufaite pour encourager ou reposer un homme de l'espce deBeethoven. A cette poque, le crmonial d'Eisenstadt taitplus rigide que celui de la cour impriale de Vienne lui-mme.Pendant les trois iours que nous passmes l-bas, Beethovense montra des plus rservs, taciturne, et mme parfois presqueimpoli. I1 joua plusieurs reprises, ni particulirement bin,ni particulirement mal. Le cur n'y tait ps, voiltout.. Le prince fut sans aucun doute d_u, mais il n'en montrarien; au contraire, il tmoigna Beethoven une considrationtoute spciale. Une dame de la Cour eut, un soir, le malheurde demander au musicien s'il connaissait les opras de Mozart.Il prit un air bourru et rpondit le plus naturellemenr dumonde :- Oh, non... et je n'ai nul dsir de les connatre. Celapourrait me faire perdre mon originalit...Lorsque nous fmes sur le chemin du retour, aynt laissEisenstadt dj loin derrire nous, une sorre de profondsoupir s'chappa de la poirrine de Beethoven.58

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    - Je n'arrive pas comprendre comment Haydn a pucela aussi longtemps...- tt ne I'a plus support, la fin, rpondis-ie en souriant.vous ne devez pas oublier que ce n'tait pas le princeque Haydn aimait tant. C'tait son pre.- Est-ce qu'il ne lui ressemblait pas ?- Qrre non C'tait davantage quelqu'un dans le genreMaiie-Thrse, i'imagine. Les temps et les gens taientbien diffrents de ce qu'ils sont auiourd'hui. On aimaitla vie, on tait plus naturel, plus simple mme,dpit des contraintes et du crmonial.- L'empereur Joseph s'exclama Beethoven, aprs qyqme fuss tu pendant un moment. L'empereur JosephQuel homme il a t pour moi- Vous l'avez donc connu?- Je lui fus prsent. Il se montra trs aimable mongard... Aussi m souviendrai-je touiours dg lui... Mais cenest pas cela que je pensais. Je pensais l'homme mme,qui fait remarquable. I1 tait d'une gnrosit sans bornes.

    Chez tout individu, il voyait d'abord la valeur. Et il dtestaitles intrigues de prtres.Brusquement, il ricana :- C Gefinek fit-il. Je lui ai donn une bonne leon- Gelinek? demandai-je, surpris. Mais ie pensais vousavoir vus plusieurs fois en conversation amicale ?- En e[et, dans le grand salon, o nous parlions musique.Mais, dimanche, ur peu avant le dieuner, il est montdans ma chambre...- Ah ? Et que voulait-il?- I1 m'a demand, me rpondit Beethoven l'air encorefort amus, pourquoi ie n'tais pas all la messe.- Et que lui avez-vous rPondu ?- Qu'il ferait mieux de se

    mler de ses affaires. Que,59

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    pour autant que i'en sache, je ne faisais pas partie de sotroupeu.- Grand Dieu- Attendez, vous n'avezbeau, dit Beethoven. Cela nefaire appel ma conscience.- Et alors ?pas encore entendu le plului suffisait pasl il s'est mis

    - C'est alors que je l'ai eu. Je lui ai dit que je comprenaibeaucoup mieux Dieu que lui, malgr roure sa thologieQue je n'avais pas besoin de son aide ni de l'aide de ses semblables pour tre en excellents termes avec Dieu. Dieului ai-je dit, ne se laisse pas prendre aux ostensoirs d'or nne descend en nous l'appel des cloches, quand elles sonnenle dimanche matin, entre neuf et dix heures Il me regardaavec ses gros yeux pareils des yeux de vache, puis il levles bras au ciel en s'criant : Vous tes un piotestantJe m'criai mon tour qu'il tait un imbcil, et que jn'tais pas plus p.rorestant .qu'il ne l'tait lui-mme. Maimoi, au moins, ajoutai-je, je suis un homme, un hommlibre, non un flatteur de Cour. Seul titre qu'il pouvairevendiquer...- Et comment a-t-il pris la chose ?Beeoven se mit de nouveau ricaner :- Il en avait assez Il a dit qu'il prierait pour moi, puiil est sorti.Je restai silencieux un moment. Enfin, je demandai, avecalme et prcauticn.- Vous saviez, n'est-ce pas, o il allait ?- Comment ? Qu'importe o il allait ? rpliqua Beethoven, fort tonn.- Il allait chez le prince, videmmenr, expliquai-je.- Chez le prince ? Pourquoi ? En quoi tout cela concernerait-il le prince ?6o

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    - Mais, mon cher Beethoven m'criai-je, ne connatrez-vous donc jamais le monde ? Ne voyez-vous pas que Gelinekest jaloux de vous ? Souvenez-vous qu'il joue du piano, luiaussi, et qu'il a une haute opinion de son talent. D'autrepart, ne savez-vous pas que le prince est trs catholique ?et que Gelinek n'aurait qu' faire devant lui la moindreallusion votre sortie de dimanche matin pour qu'il ne vousinvite plus jamais la Cour ?- Je pensais que le princedsirait entendre de la musique,m'envoyer la messe. Pour neque je ioue plus mal ?- Naturellcment non, rpondis-je non sans impatience.Mais voil le malheur : vous jouez beaucoup trop bien pourqu'un envieux ne veuille vous nuire la premire occasion.- Quelle honte Et c'est un prtre, par-dessus le march- Puisque vous ne supportez pas les prtres, pourquoivous tonnez-vous que Gelinek, prtre, se comporte commeil le fait?Il parut un peu interdit en entendant ma rplique, etil serra les lvres selon son habitude quand une chose oul'autre le contrariait, et il ne dit rien pendant un long moment.- Plus haut vous monterez, mon cher Beethoven, repris-je en posant ma main sur la sienne, plus haut vous monterez,plus clbre vous deviendrez, plus clairement les gens com-prendront ce que Dieu a voulu faire de vous - et mieuxvous apprendrez vous dfier de chacun iusqu' ce qu'il aitprouv que sont honntes ses intentions envers vous.Alors, il s'abandonna sa colre, et il me donna l'impres-sion de se librer enfin de toute la rancur, de toute l'amer-tume qui s'taient accumules dans son cceur durant les troisjours passs Eisenstadt.- N'est-ce pas affreux s'cria-t-il. Se dfier de chacun

    m'avait invit parce qu'ilet non parce qu'il voulaitpas aller l'glise, est-ce

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    jusqu' ce qu'il prouve, en somme, qu'il ne mrite pas cela ?C'est absolument inhumain C'est nier la bont, la moralit,le respect que l'on doit tous Comment pouvez-vous medemander une telle chose ? Si ce que vous dites est vrai,j'aime mieux ne pas vivre un jour de plus Faire de la musiquen'aurait plus aucun sens Comment un homme pourrait-iljouer pour des gens qui lui veulent du mal ? Non, la musiquene signifierait plus rien : ce ne serait plus qu'un mensonge,un blasphme Non, non Je ne vous suivrai jamais sur cetteroute. Je sais, mon ami, gue si vous m'avez parl ainsi, c'estpour mon bien... Mais cela, iamais, iamais, aussi longtempsque je vivrai Et si vous tenez m'ter ma foi en l'humanitet me faire croire que les hommes sont mesquins et vils,incapables de penses leves, si vous persistez dire queI'tre humain n'est pas bon, alors il nous faut aller chacunde notre ct: je ne crois plus en votre amiti... ie n'ai plusbesoin de votre amitiI1 avait retir sa main, et, me tournant le dos, il se mit frapper des deux poings contre la portire de la voiture.A nouveau, il s'cria :- Non... Non... Jamais ... Dites qu'on arrte Je veuxdescendre Je veux tre seul- Allons, soyez raisonnable, Beethoven fis-f e d'un tonassez sec. Cessez de vous conduire en enfant. Je n'ai iamaisdit chose semblable Est-ce une raison de devenir misan-thrope uniquement parce que l'on rencontre certains indi-vidus qui ne vous comprennent pas - o-u gui ne veulentpas, ou qui ne peuvent pas vous comprendre ? - Je voulaisseulement vous inviter plus de prudence. Et si j'agis ainsi,c'est parce que je suis navr de voir que les autres abusenttoujours de votre confiance et de votre trop grande bont.Loin de moi l'ide que vous devriez changer Mais vous nedevriez plus prodiguer ainsi tous, sans aucune discrimi-6z

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    nation, votre confiance et votre gnrosit. Que vous donniezaux gens votre musique, cela est di bien assez Apprenez tre un peu plus conome des autres choses. C'est simple-ment le conseil que je voulais vous donner, un conseil d'amisincre. Et maintenant, calmez-vous, je vous en prie...La tourmente en son cur sembla en effet se calmer peu peu. Bien qu'il me tournt encore le dos et continut regarder par_la vitre sans rien rpondre, ie sentais qu'il seressaisissait. Je suppose que nous avions parcouru un nouveaumille quand enfin il se tourna nouveau vers moi.- Vous voulez dire que je devrais uniquement... fairede la musique ? Exprimer ce que vous appelez ma gnro-sit et ma confiance seulement travers ma musique ? C'estcela, n'est-ce pas ?Il avait parl trs doucement, la manire d'un hommequi s'adresse lui-mme.- Voil, maintennt, vous allez l'autre extrme, rpon-dis-je. Disons, si vous voulez, qu'il vaudrait beaucoup mieuxque des gens comme Gelinek ne comprennent votre caractrebon et confiant que par ce que votre musique veut bien enrvler...Il rflchit encore un long moment avant de rpondre.Lorsqu'il le frt, il tait vident qu'il dsirait mettre fin cesujet d'entretien.- n se peut que vous ayez raison, dit-il. J'y penserai...Mais aprs tout, que m'importe la mesquinerie des autres ?***

    Peu aprs la visite Eisenstadt, le bruit courut que Beetho-ven songeait quitter Vienne. Des personnes d'autres villesou d'autres pays qui l'avaient rencontr dans les salons dela capitale avaient, rentres chez elles, parl avec enthou-63

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    siasme de son gniel aussi n'tait'il pas surprenant que desinvitations lui soient venues d'un peu partout, et mme del'extrieur.Je me souviens d'une discussion, fort anime par momentsqu'eurent ce sujet quelques-uns des plus grands protec-teurs de Beethoven. Ils m'avaient demand d'tre des leurs cette runion, car ils espraient m'amener dissuaderBeethoven de son proiet. Lichnowski, tout parriculirements'oppoqait au dpart du musicien, et l'on ne peut nier qu'iavait pour cela de bonnes raisons.A cette poque, l'archevch de Cologne avait virtuelle-ment disparu de la carte d'Europe. L'archiduc Max avaiperdu son trne et les chances taient minimes qu'il pt yremonter dans un avenir plus ou poins proche. Depuis djlongtemps, Beethoven ne recevait plus aucun subside de Bonn.- Beethoven a une immense dette envers nous, dclaraLichnowski, car c'est grce nous qu'il est parvenu s'impo-ser Vienne. Grce nous, il a men un genre de vie incom-parablement plus agrable. et plus.enc_ourageant que. ce qu'iavait famais pu connatre jusque-l. Nous avons toujours textrmement gnreux en ce qui concernait ses rtributions,et pour lves il n'a que des feunes gens de notre monde.Bref, o en serait-il sans nous ? Je trouve qu'il n'agirait pasbien, en vrit, s'il nous tournait le dos prsent pour allerchercher fortune ailleurs...- Mon cher Karl, interrompit Lobkowitz, nous compre-nons tous votre sentiment, et nous savons aussi que votrefemme et vous avez incontestablement droit sa reconnais-sance... Mais est-il si certain que vous le dites que Beetho-ven veuille nous tourner le dos dfinitivement ? A moi, entout cas, il n'a.parl que d'un voyage... J'ai eu l'impressionque son intention est de revenir...- Oh oui, c'est ce qu'il dit rpliqua Lichnowski. Mais64

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    fe sais que certaines dmarches sont en voie d'aboutir, afinqu'il puisse s'tablir dfinitivement Berlin.- Pensez-vous qu'il se sentirait plus heureux Berlinqu'ici ? Une Cour o les matresses ont tout dire, oir cene sont qu'intrigues er liaisons caches ? demanda Lobko-witz qui suivait son ide. Croyez-moi, laissez-le partir : ilreviendra certainement. Et s'il remporte l-bas de grandssuccs, eh bien tout l'honneur en sera pour nous, finaleent...N'est-ce pas votre avis, Zmeskall ?- Il me semble aussi que nous ne devons pas essayerde le retenir, dis-je. Ne serait-ce que parce quc son espritde contradiction et sa mfiance naturelle