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APPLICATION DES NORMES COMPTABLES
INTERNATIONALES DANS LES BANQUES
ISLAMIQUES : QUEL IMPACT SUR LIMAGE
FIDELE DE LEURS ETATS FINANCIERS ?
Aldo Levy, Hichem Rezgui
To cite this version:
Aldo Levy, Hichem Rezgui. APPLICATION DES NORMES COMPTABLES
INTERNA-TIONALES DANS LES BANQUES ISLAMIQUES : QUEL IMPACT SUR
LIMAGE FIDELEDE LEURS ETATS FINANCIERS ?. Comptabilite sans
Frontie`res..The French Connection,May 2013, Canada. pp.cd-rom.
HAL Id: hal-00992978
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Submitted on 19 May 2014
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APPLICATION DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES DANS LES
BANQUES ISLA-
MIQUES : QUEL IMPACT SUR LIMAGE FI-DELE DE LEURS ETATS
FINANCIERS ?
Aldo Levy, Professeur des Universits au CNAM et ISC Paris,
[email protected]
Hichem Rezgui, Ater lIAE de Rouen, doctorant au CNAM,
[email protected]
Rsum : La finance islamique est rgie par un cadre lgislatif
contraignant et ses banques grent une injonction pa-radoxale :
obligation de conformit aux principes
thiques et dinternationalisation impose par les marchs
financiers. Elles privilgient alors le re-
cours aux normes comptables internationales
(IAS/IFRS) pourtant peu adaptes leur fonctionne-ment. Nous
formulons lhypothse que ces normes faussent limage fidle des tats
financiers des banques islamiques. Lanalyse dun rapport annuel dAbu
Dhabi Islamic Bank valide notre hypothse. Cependant, nos rsultats
montrent que cette banque
russit prsenter pour ses transactions une image
qui est a priori fidle dun point de vue financier mais trompeuse
dun point de vue thique.
Mots-cls : image fidle- finance islamique-normes
comptables internationales
Abstract : Islamic finance is governed by a rigid ethical
frame-
work. Islamic bank find themselves torn be-
tween the obligation of adhering to ethical princi-
ples and the need for profitability imposed by the
in-ternationalization of financial markets. They then
use international accounting standards. We hypothe-
size that these standards distort the true and fair view
of the financial statements of Islamic banks. . The analysis of
an annual report of Abu Dhabi Islamic
Bank validates our hypothesis. Our results demon-strate that
even though bank presents a picture of its transactions which is
presumably true according to
financial point of view, it is misleading from a moral
standpoint.
Key-Words: true and fair view Islamic finance international
financial reporting standards
.
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Introduction
La frontire entre le lgal et lillgal est parfois floue, et une
apparente lgalit peut lgitimer des oprations frauduleuses ou leur
servir de couverture (Cormier et Magnan 1995 ; Cormier et al, 1998
; Jensen 2005 ; Champeyrache, 2012). Les entreprises peuvent
exploiter les zones grises des lois, en faussant la ralit des
transactions, tout en restant dans le cadre de la lgalit. Il sagit
de subterfuges comptables avec distinction entre gestion de
linformation financire respectant les principes comptables et
manipulations frauduleuses (Dechow et Skinner 2000 ; Albouy et
Perrier 2003 ; Stolowy et Breton 2003). Cependant, les entreprises
peuvent gale-ment fausser limage fidle de leurs tats financiers
sans recourir des manipulations mais en adoptant un rfrentiel
comptable inadapt leurs transactions conomiques. Cest cette
hypo-thse que nous allons vrifier au cours de cette recherche par
ltude des tats financiers dune banque islamique.
Les banques islamiques, sous pression des critres mondiaux de
profitabilit et solvabilit, sont tentes de composer avec les
interdits financiers islamiques. Ainsi, des oprations financires
accrdites par certains Charia Boards peuvent tre dnoncs comme
montages, subterfuges (Hilah1) par dautres Charia Boards. Ces mmes
pressions et linternationalisation des marchs financiers poussent
les banques islamiques saligner sur le rfrentiel comptable
international IAS/IFRS.
La problmatique est donc la suivante : le recours au rfrentiel
comptable international (IAS-IFRS) permet-il aux banques islamiques
de donner une image fidle de leurs transactions ? Pour rpondre
cette question nous passons en revue les approches de limage fidle
en comp-tabilit en introduisant notamment le concept dimage fidle
thique qui semble plus adapte pour dcrire les transactions
financires des banques islamiques (section 1). Dans une deu-xime
section, nous prsentons ltat de la normalisation comptable de la
finance islamique et les failles qui permettent aux banques
islamiques de justifier le recours aux normes internatio-nales.
Dans la dernire section, nous analysons le rapport financier dune
banque islamique (Abu Dhabi Islamic Bank) afin de dtecter les
incohrences entre lusage des normes comp-tables internationales et
limpratif dimage fidle des banques islamiques.
1. Les approches de limage fidle en comptabilit 1.1. Limage
fidle selon les normes comptables internationales et franaises
Lun des objectifs de la comptabilit est de donner dune entit,
une reprsentation fiable de la nature des oprations et de la ralit
conomique, donc une image fidle. Dans ce sens, une mtaphore
(Chatelain-Ponroy et Vidal, 2012) de la comptabilit insiste sur la
fonction repr-sentative des tats financiers plus que communicative
.
Dans la crise conomique actuelle, la Juste Valeur a t juge
procyclique (Bengston, 2011, Bensimhon et Lvy 2009), ce qui a
relanc le dbat sur les informations comptables et limage
1 Stratagme prohibs pour contourner les interdits.
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fidle. En rfrence au principe de fiabilit, lIASB2 la dfinit
comme une reprsentation fidle de la situation financire,
respectueuse des principes comptables gnralement acceptes3. Pour
les IAS/IFRS limage fidle est financire mais pour le Plan Comptable
Gnral en France PCG, cest une reprsentation patrimoniale4. Les deux
logiques sont diffrentes ; pour les IAS-IFRS cest une logique de
communication financire qui prvaut alors que pour le PCG cest une
logique dapplication de la loi. Pour la premire, la destination de
linformation comptable est actionnariale donc linvestisseur, mais
pour la seconde la destination est partenariale c'est--dire pour
toutes les parties prenantes. Cette seconde logique est pour notre
tude, fondamen-tale.
Dans les deux logiques la comptabilit financires doit donner une
reprsentation pertinente dune image conforme de la ralit conomique
des entits (Colasse, 1997). Le rle de laudi-teur est alors de
certifier que les tats financiers refltent bien cette image
fidle.
Mais limage fidle est une notion subjective et valorise, elle
devient objective, ce qui requiert adaptabilit et parfois recherche
de compromis jusqu la limite des rgles comptables (Klee, 2000). En
effet, cette image fidle peut faire lobjet de manipulations et cest
le champ de la comptabilit crative.
Cependant, il est possible dcorner limage fidle sans recourir
des manipulations fraudu-leuses ou la comptabilit crative. Cest
notamment le cas lorsque le rfrentiel comptable utilis nest pas
adapt aux transactions de lentit qui en fait lusage. Lintgrit des
banques islamiques dpend troitement de limage quelles transmettent
leurs usagers travers leurs tats financiers. La spcificit de la
finance islamique [par rapport la finance classique] tant
essentiellement une question dimage, la fonction
communication-nelle de la comptabilit est renforce dans les banques
islamiques.
1.2. Limage fidle en finance islamique
Elle est morale au niveau des personnes physiques et thique au
niveau des personnes morales. Cette thique affirme les diffrences
par rapport au systme financier classique et limage fidle islamique
se fonde sur lthique des oprations financires dites Sharia
Compliant, do lexis-tence des Sharia Boards comme structures de
gouvernance spcifiques aux banques isla-miques, qui prennent
position sur la conformit des oprations financires. Cette
gouvernance est le cur de comptence des banques islamique (Hamel et
Prahalad, 1990) car ses membres doivent tre comptents, en ingnierie
financire et en droit islamique. Ils ont un rle similaire celui des
auditeurs financiers internes des banques classiques, mais ils
lgitiment les oprations financires des banques islamiques dans un
mta-environnement et certifient que les tats financiers refltent
une image fidle patrimoniale . Les condamnations vont jusqu
lanathme (fatwa) entre Sharia Boards.
2 International Accounting Standard Board 3 IAS 01 : Prsentation
des tats financiers . 4 Article 120-1 du PCG
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2. Normalisation comptable de la finance islamique
2.1. Lchec du normalisateur comptable islamique
Il existe un organisme international de normalisation comptable
pour les institutions financires islamiques : lAAOIFI5 dont le sige
social est Bahren. La naissance de cet organisme tait une rponse
aux besoins de comparabilit des tats finan-ciers des banques
islamiques. Avant la popularisation des normes comptables
internationales et lapparition de lAAOIFI, ces banques recouraient
gnralement aux normes comptables locales. Le choix dune mthode
comptable seffectuait alors par une concertation entre le
pr-parateur des comptes, les membres du Sharia Board et lauditeur
externe. Quand les prpara-teurs des comptes taient confronts une
absence de normes ou un ensemble dalternatives pour le traitement
comptable dun produit financier islamique, ils recouraient au comit
de la Charia (en concertation avec lauditeur externe) pour valider
une solution qui serait compatible avec les rgles financires de
lIslam. Ces pratiques aboutissent gnralement la prolifration de
mthodes comptables (parfois contradictoires) pour traiter les
produits financiers islamiques, rendant la comparabilit comptable
lun des principaux problmes de ces banques (Karim, 1990).
Cependant, vingt ans aprs sa cration, les normes de lAAOIFI ont
relativement du mal simposer, du moins au niveau des rgulateurs
nationaux. Seuls quelques pays et entits supra-nationales ont
rgularis lutilisation de ces normes (Bahren, Duba, Jordanie, Qatar,
Qatar Financial Center, Soudan, Afrique de Sud, Syrie, et la Banque
Islamique de Dveloppement). En mme temps, on assiste lmergence de
nouvelles normes comptables locales (Soudan, Malaisie6) destines
lindustrie bancaire islamique qui sont susceptible de concurrencer
les normes de lAAOIFI. En fait, cet organisme est confront au mme
type de problme que lIASB ses dbuts c'est--dire le manque du
pouvoir coercitif pour implmenter les normes comptables quil
produit. Les normes comptables internationales (IAS/IFRS) sont
actuellement largement appliques par les banques islamiques souvent
sous limpulsion des rgulations bancaires et financires
lo-cales.
En ralit, la concurrence entre finance classique et finance
islamique incite les banques isla-miques user des IAS/IFRS fins de
comparaison internationale mais incite contourner des principes
fondamentaux de la finance islamique.
Les normes comptables internationales (IAS/IFRS) nont pas t
conues pour les banques islamiques et ne tiennent pas compte des
spcificits et des principes de la finance islamiques. En effet, le
fonctionnement de ces banques est diffrent de celui des banques
classiques car le recours lintrt y est proscrit. Le rfrentiel
comptable international semblerai donc inadapt aux institutions
financires islamiques (Rezgui et Menchaoui, 2012). Toutefois les
banques islamiques justifient lapplication des normes IAS/IFRS par
la convention de la prminence du fond sur la forme (Levy et Rezgui,
2012). Dans ce cas, ces banques considrent que la 5 Accounting and
Auditing Organization for Islamic Financial Institutions.
6 Le normalisateur comptable Malaisien (MASB) a dj produit une
norme comptable destine aux banques
islamiques locales (FRSi-1) en plus de deux guides pour la
comptabilisation de la Zakat et de lIjara.
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substance conomique des oprations financires nest pas diffrente
de celle des transactions opres par les banques
conventionnelles.
Elles peuvent galement profiter de certaines zones grises dans
les principes thiques de la finance islamique pour appliquer de
normes comptables qui semblent priori incohrentes avec ces
principes.
2.2. Les zones grises de la finance islamique
Le code thique de finance islamique est marqu par des flous
juridiques et les banques isla-miques exploitent ces zones de non
droit (grises) pour composer avec les principes fondamen-taux et
contraignants :
- Interdiction de lintrt prdtermin (Riba) sur une opration
financire. Les banquiers affirment quils ont un travail rel et
risqu, do lide que seul le surplus dintrt, donc lusure, est
interdite en finance classique et islamique. En fait, le terme Riba
est ambigu. Sapplique-t-il uniquement lusure ou toute forme dintrt
(usura en latin) ? Certains Sharia Boards valident la premire
approche7 au grand damne des autres.
- Interdiction de toute incertitude (Garar), dopacit, de zone
floue ou grise, portant sur un contrat. Cest une clause de nullit
comme le dol mais, une exception au Garar fut expressment autorise
par Mahomet dans le Salam8, et les banques islamiques rem-placent
les produits drivs classiques par ces contrats Salam qui
contiennent, pourtant une grande part de hasard.
- Interdiction de lillusoire, de la tromperie, Maysar . Donc les
gains dactivits bass sur le hasard (jeux) sont proscrits. Ce qui
interdit en finance islamique : les futurs, swaps de taux, les
options, etc. Cependant, un montage financier bien chafaud permet
de contourner cet interdit. Par exemple, les ventes de biens et
services seulement ventuels comme la mto, pourtant fonction
dvnement hasardeux, ne sont pas proscrites car Mahomet admit que
les agriculteurs sengageaient sur des rcoltes simplement
pro-bables. Donc, ngocier des denres ou des matires premires avant
lextraction ou la rcolte et en tre propritaire quelques temps sans
les dtenir permet de spculer, ce qui est proscrit.
- Interdiction de la thsaurisation (Ictinaz) qui compromet la
circulation montaire pour lconomie relle (Toussi, 2002). Lpargne
nest autorise que pour subvenir aux be-soins sociaux et au
remboursement de ses dettes. Seulement, la notion de besoins
so-ciaux nest pas spcifie et tombe en zone grise et toute pargne ou
refus de prt peut dissimuler un manque de placements suffisamment
rentables et entretien la raret, pour tirer des surprofits au
moment opportun (motif de spculation au sens keynsien).
- Lobligation dadosser toutes transactions financires des actifs
rels. Ainsi, dans les oprations de Mourabaha, les banques
islamiques doivent dtenir et payer les biens
7 Par exemple, en 1995, le mufti dgypte a cautionn le recours
des crdits avec intrt, sous certaines conditions, sur la base de la
distinction entre lintrt et lusure. 8 Le Salam est un contrat hors
norme, mais autoris spcifiquement. Il permet de vendre un bien du
secteur primaire mme si le vendeur ne le possde pas encore.
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avant leur revente, mais en pratique, elles ne dtiennent les
biens que quelques se-condes, le temps de sassurer que lopration
est Sharia Compliant. Limage fidle de-vient frauduleuse.
- La contrainte de partager les pertes et profits PPP. En
finance islamique il est interdit de tirer des bnfices dune
opration sans assumer le risque de perte. En finance clas-sique,
lemprunteur assume la totalit des risques lis son projet, mais la
banque reste assure dun profit prdtermin par le taux, mme si le
projet est ruineux. La finance islamique exige un rquilibrage des
risques entre les contractants. En finance clas-sique, limportant
cest la solvabilit de lemprunteur alors quen finance islamique cest
la confiance en lentrepreneur et la certitude quil investisse dans
lconomie r-elle. Donc, les banques islamiques choisissent sur les
opportunits du moment et le cot dopportunit qui est interdit,
rapparait implicitement.
- Lacquittement de la zacat. Cest lobligation morale de
distribuer sa richesse au-del dun seuil (nissab), des bnficiaires
indigents dtermins (Levy, 2012). Mais le Coran demeure assez vague
sur les dtails pratiques notamment son assiette et son taux
dimposition. Par exemple lassiette taxable ne fait pas consensus au
prs des Charia Boards et ce manque de cohrence, sujet toutes
interprtations, fournit des manipula-tions possibles sur les sommes
dues et sur limage fidle.
Sil existe des oprations spcifiquement interdites cest que les
autres autorises sont sujets interprtation, do le rle des
structures thiques de gouvernance (Sharia Boards), qui ont une
toute latitude pour dcider de ce qui est possible, souhaitable,
ngociable et interdit. Surgissent alors des positions juges lgales
mais perues comme illgitimes. On voit ici la possibilit pour les
banques islamiques dappliquer des normes comptables qui enfreignent
la plupart de leurs principes de fonctionnement et qui risquent de
prsenter une image fidle fausse.
3. Analyse du rapport annuel dADIB Afin de dtecter les pratiques
comptables issues des normes comptables internationales qui drogent
aux rgles de la finance islamique, nous analysons le rapport annuel
(pour lexercice clos le 31/12/2011) dune banque islamique des
mirats Arabes Unis en nous focalisant no-tamment sur quatre types
de transactions financires : soukouks, Ijara wa Ictina, comptes
din-vestissement participatifs et Mourabaha. Abu Dhabi Islamic Bank
(ADIB) a t cre en 1997 avec un capital quivalant 273 Millions de
dollars amricains. Notre choix sest port sur cette banque car les
produits financiers spcifiques la finance islamique sont clairement
r-pertoris dans les diffrentes rubriques du bilan. En effet, les
banques islamiques qui utilisent les normes comptables
internationales privilgient gnralement une nomenclature issue de la
finance classique ce qui ne permet pas de reprer les transactions
financires propres la fi-nance islamique.
3.1. Soukouks
Principes.
Les soukouks sont des titres islamiques qui diffrent des
obligations classiques. Ce sont des sources de financements
hybrides, des quasi-fonds propres, qui reprsentent une part dun
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actif sous-jacent dont la maturit est celle de la fin du projet
sous-jacent et non lchance de lemprunt. Les souscripteurs nont pas
de revenus fixes mais une participation aux pertes et profits sur
lexploitation ou la vente du bien. Les banques islamiques peuvent
mettre ou contracter des soukouks.
tude terrain. ADIB enregistre les soukouks lactif et au passif,
dans des rubriques diffrentes : lactif, ils reprsentent selon
IAS39, des titres : dtenus jusqu maturit, disponibles la vente, ou
de court terme dtenus des fins de transaction. Pour IAS 39, les
soukouks dtenus jusqu lchance (long terme) sont valus au cot
amorti, les soukouks disponibles la vente ou dtenus des fins de
transactions sont valus la juste valeur. Au passif, en :
- Dettes, ADIB avait mis des soukouks de moyen terme qui
sajoutent aux soukouks dj mis en 2006 ; le tout enregistr en sukuk
financing instruments - fonds propres, une autre partie des
soukouks mis est enregistre en capitaux propres (tiers 1 sukuk).
Ces soukouks contracts par le gouvernement dAbu Dhabi sont comme
des obligations perptuelles sans maturit prfixe.
Entorses aux principes de limage fidle Certains soukouks sont
dtenus des fins de transactions court terme (spculation), ce qui
est contraire aux principes de linterdiction du gharar et du maysar
pour incertitude. La variation de la juste valeur des soukouks
(dtenus des fins spculatives) est directement porte au compte de
rsultat, donc des gains ou des pertes non raliss peuvent tre pris
en compte dans le rsultat annuel. Il sen suit une distribution
artificielle de gains ou une imputa-tion malhonnte de pertes non
ralises en contradiction avec les prceptes thiques de la fi-nance
islamiques.
Le traitement des soukouks mis est problmatique. En effet, ADIB
prvoit dindexer, en partie, le rendement de ces titres un taux
dintrt de rfrence Emirates Interbank Offered Rate EIBOR. Mme si les
pratiques dindexation des rendements sur des benchmarks
convention-nels sont lgitimes et courantes dans les banques
islamiques, elles contredisent lessence des produits financiers
islamiques. En effet, la rmunration du dtenteur des soukouks doit
tre indexe sur la performance dun actif tangible dtenu par la
banque islamique. Or, lindexation de cette rmunration sur un taux
dintrt usuel assure un intrt prfix comme pour les obligataires
conventionnels, ce qui en est frauduleux au sens des prceptes
financiers de la Charia.
3.2. Ijara Wa Ictina (IWI)
Principe.
LIWI est un crdit-bail avec promesse de cession ou simple option
que le client pourra ou pas lever en fin de contrat. La comptabilit
patrimoniale (PCG) refuse lactivation du bien chez le locataire,
alors quen IFRS il peut lactiver car tous les avantages et risques
sont transfrs au locataire.
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tude terrain. Abu Dhabi Islamic Bank assimile ces contrats IWI
aux locations-financements selon IAS 17. Ainsi, ADIB transfre la
proprit du bien au locataire et constate comptablement une crance
du montant de linvestissement net de la location. Donc, cest le
locataire qui active le bien lou puisquil y aurait eu transfert
implicite de proprit, et qui lamortit comme un propri-taire.
Paralllement, ADIB, selon IAS 17, comptabilise une partie des
redevances en amortissement de la crance et lautre partie en
produits bancaires courants. Entorses aux principes de limage fidle
Cette comptabilit crative dADIB droge aux principes thiques sur
lesquels est fonde la forme juridique des contrats IWI. Ces
contrats exigent que la transaction soit attache un sous-jacent
rel. cet gard, la banque doit supporter la totalit des charges
relatives la dtention du bien : amortissement, entretien, cot de
rparation, etc. Or, le transfert comptable de la proprit du
sous-jacent au locataire droge ce principe. Pour que lopration ne
soit pas une tromperie thique, il faut sparer le droit de proprit
et lusufruit, ce qui proscrit, avant le paiement de la totalit des
chances, tout transfert de proprit et denregistrement comptable. En
ce qui concerne la comptabilisation des loyers dIWI, une partie des
encaissements est assi-milable des produits bancaires courants
comptabiliss sur la base dune formule traduisant un taux de
rentabilit priodique constant sur lencours dinvestissement net. De
fait, une partie des redevances de lIWI peut tre assimile de lintrt
Riba, prohib en finance islamique, et constitue une entorse aux
fondamentaux et limage fidle
3.3. Les comptes dinvestissement participatifs CIP
Principes.
Les dpts des clients sont la plus importante source de
financement des banques islamiques. Ils peuvent tre soit courants
soit investis au gr de la banque, avec partage des pertes et
profits. Les CIP sont la forme de financement la plus prise par les
banques islamiques. La forme juridique des CIP obit ces rgles
thiques : Aucun rendement fixe nest possible pour le dposant. Sa
rmunration est base sur le principe du PPP. La banque investit ces
fonds et les bnfices sont partags selon un ratio prtabli.
La restitution du dpt nest pas garantie en cas de perte (sauf
ngligence ou mauvaise gestion). La rmunration de linvestisseur
(dposant) ne peut tre assimile de lintrt, cest un pourcentage des
profits raliss par lentrepreneur (banque). tude terrain.
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9
Pour le traitement des CIP, ADIB a recours deux rserves
prudentielles : la Profit equalisation reserve (PER) et lInvestment
Risk Reserve (IRR)9. Elles sapparentent aux techniques de lis-sage
ou de gestion du rsultat, car si la rentabilit de lactif
sous-jacent est insuffisante, la banque puise dans ces rserves pour
assurer une rentabilit stable aux dtenteurs de CIP. La rentabilit
des CIP est donc ajuste aux taux dintrt de la finance classique. Si
le rapport annuel dADIB ne lvoque pas explicitement, de nombreuses
tudes (par exemple, Ben Amar et Hachicha, 2012) ont constat
dtranges similitudes entre les parts de profits distribues par les
banques islamiques et les taux de rmunration de comptes bancaires
conventionnels.
Entorses aux principes de limage fidle La gestion des rsultats
par des rserves prudentielles dcoulent du risque commercial de
fuite des clients vers des rmunrations plus conformes des
tablissements financiers classiques (Levy et Rezgui, 2012). Ces
banques indexent alors les rendements des CIP aux taux pratiqus par
les banques classiques et constituent des rserves pour conformer
les rentabilits aux pr-visions. Le principe en finance islamique du
partage des pertes et profits est bas sur les revenus rels gnrs par
chaque investissement. Ces rserves ajustent ce partage, empchent de
cons-tater la profitabilit relle de lactif sous-jacent et
transgressent le principe de partage des pertes et des profits
ADIB classe les CIP parmi ses dettes alors quils ne sont ni des
dettes car la restitution du dpt nest pas garantie, ni des capitaux
propres car les dposants nont pas de droit de vote. Ce sont donc
des instruments hybrides classer en quasi fonds propres. Or, en les
imputant aux dettes, ADIB garantit implicitement le remboursement
des dpts, ce qui droge au principe de par-tage des pertes et des
profits et constitue ainsi un artifice illgal.
3.4. Mourabaha
Principe.
Ce contrat permet de financer lachat pour un client, sans quil
soit oblig de contacter un emprunt portant intrt. Cest une opration
dachat par la banque, suivie dune vente au client avec un paiement
chelonn.
La marge commerciale ne peut tre assimile de lintrt car elle
reprsente la rmunration des risques de dtention lis au bien par la
banque (rtraction du client, dgradation du bien, retard de
livraison par le fournisseur, etc.), jusquau transfert au client
donneur dordre. La Mourabaha est donc une opration commerciale
(vente profit) et non financire.
tude terrain. ADIB constate les revenus de Mourabaha lchance
selon la mthode du taux dintrt effectif (IAS18). Cette mthode
permet dactualiser les cash-flows sur la dure de vie prvue de
l'instrument financier, or lactualisation est prohibe en finance
islamique.
9 Le PER (Profit Equalisation Reserve) est retenu sur le revenu
brut de la banque avant le partage des profits entre les dtenteurs
des CIP et les actionnaires. LIRR (Investment Risk Reserve) est
retenu uniquement sur la part des dtenteurs des CIP.
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Drogations aux principes.
Le traitement opr par ADIB a le caractre dun crdit classique :
principal + intrts. La constatation des revenus de Mourabaha selon
la mthode du taux dintrt effectif assimile la marge commerciale au
Riba prohib par la finance islamique et constitue une entorse grave
aux principes de limage fidle.
Discussion et conclusion : limage fidle entre le lgal et le
lgitime Limage fidle est un concept hypothtique qui est soit
interprte (comptabilit crative) soit trafique (fraude). Malgr
lexistence des structures thiques de contrle (Sharia Boards), les
banques islamiques ont les mmes pressions sur leur profitabilit,
rentabilit, solvabilit quen finance classique, et peuvent tre
tentes de composer avec certains interdits sacrifiant lthique
absolue.
Elles deviennent pragmatiques et renforcent la distance
interprtative entre principes et la pratique (Kuran, 1995; Asutay,
2007). Cette consubstantialit devenue mondiale de la finance,
engendre des comportements mimtiques (Levy, 2012 ; Bensimhon et
Levy, 2009) et la finance islamique tend vers une finance classique
maquille thique et socialement responsable (Ka-mla, 2009). Ltude du
rapport annuel dune banque islamique du golfe (ADIB) montre que
celle-ci con-tourne certains principes thiques de la finance
islamique sous le couvert dune application ncessaire des normes
comptables internationales (IAS/IFRS), et afin de faire converger
ses produits financiers et ceux des banques classiques. Nous avons
toutefois dcel certaines pra-tiques de lissage de rsultat comme,
par exemple, les rserves prudentielles (compensatoires des pertes)
avec des consquences frauduleuses confirmant ainsi que des
pratiques de compta-bilit crative prennent place au sein des
banques islamiques, en complment de lapplication des IAS/IFRS pour
fausser limage fidle dans les banques islamiques. Ainsi, en
violation de certains principes thiques astreignants, les banques
islamiques proc-dent ainsi :
En premier, elles recourent des normes comptables inadaptes aux
transactions financires islamiques, les IAS/IFRS. Ces normes
internationales privilgient la substance des oprations financires
aux dpends de leur forme juridique (Levy et Rezgui, 2012). Or, en
finance isla-mique, mme si la substance conomique des produits peut
tre dans certains cas, similaire aux produits de finance
conventionnelle, cest la forme des contrats qui prvaut car elle est
des-sence thique (Hameed, 2000). Dans ce cas, les IAS/IFRS
donneraient, une image financire-ment fidle mais thiquement
trompeuse en finance islamique.
En second, elles recourent des techniques de comptabilit crative
(gestion des rsultats travers les rserves IRR et PER, indexation
des rentabilits des dpts sur des taux dintrt usuels, IWI, etc.).
Ces pratiques courantes dans les banques islamiques, sont pourtant
parfois normalises par des organismes internationaux de finance
islamique (AAOIFI et IFSB) mais illgitimes et juges frauduleuses
par certains Sharia Boards.
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11
Pratiques comptables dADIB Principes thiques non respects
Traitements de lIjara wa Ictina sous le r-gime de la
location-financement (IAS17)
Adossement de la transaction financire un actif rel.
Interdiction du riba.
Prsentation des comptes dinvestissement participatifs dans les
dettes. (IA30)
Partage des profits et des pertes
Constitution de rserves prudentielles pour garantir un rendement
stable aux dtenteurs des CIP
Adossement de la transaction financire un actif rel.
Partage des profits et des pertes
Valorisation la juste valeur (valeur de mar-ch) des soukouks
disponibles la vente ou dtenus des fins de transactions.
(IAS39)
Partage des profits et des pertes (gains ou des pertes non
encore raliss)
Dtention de soukouks des fins de transac-tion (spculation)
Interdiction du garar et maysar.
Les revenus de mourabaha sont constats lchance selon la mthode
du taux dintrt effectif. (IAS18)
Interdiction du riba
Tableau 1 : Incohrences entre les normes comptables
internationales et les principes thiques de la finance
islamique.
Dans ces deux cas (recours aux IAS/IFRS ou une comptabilit
crative), les banques isla-miques restent dans une lgalit toute
relative. Dun point de vue strictement comptable et financier, la
fidlit de limage prsente par leurs tats financiers ne peut tre
remise en cause puisque elle respecte scrupuleusement des normes
reconnues lchelle internationale. Pour-tant, dun point de vue
thique, limage fidle est fausse car les fondements des transactions
financires sont contourns. Dans notre cas lentorse limage fidle est
donc thique et mo-rale mais pas comptable et financire.
En apparence, la forme juridique des produits semble tre
respecte mais pas les principes thiques. Le contournement de
certains principes financiers de la Charia remet en cause la licit
des oprations bancaires islamiques. Leurs pratiques pourraient se
justifier lgalement mais sont pour certains Sharia Boards en
contravention avec la loi.
Ce qui relve de la loi morale reste spirituel et sanctionn par
la rprobation dun groupe social. Mais en vertu du principe
islamique de non sparation du sacr et du profane, la loi morale
revt un caractre lgal. En cela une image infidle revt un caractre
frauduleux et sacri-lge car les clients sont confiants dans le
respect de leur croyance.
Or, lexistence dune structure thique de gouvernance, les Sharia
Boards, au sein des institu-tions financires, censs annihiler les
risques de non conformit des produits financiers, ne les a pas
prmunis contre la violation des lois thiques. Ceci peut se
comprendre du fait que leur rle se limite la validation de la forme
juridique des produits mais ninterviennent pas dans les processus
comptables qui permettent des agissements frauduleux pour
lthique.
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La mthodologie utilise dans cette tude, base sur lanalyse de
rapports annuels, donne une ide de pratiques douteuses en finance
islamique mais rappelle que la plupart des entorses aux rgles
financires ne sont pas dtectables dans les tats financiers..
Ainsi, notre recherche en finance islamique confirme lhypothse
de Cressey1 : un individu devient un coupable dabus de confiance
lorsquil conoit quil a un problme financier qui ne peut tre partag,
quil a conscience que ce problme peut tre rsolu secrtement par la
viola-tion de la confiance qui lui a t accord et quil est capable
de rationnaliser son propre com-portement .
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