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ALAIN BADIOU 1994-95 : SMINAIRE SUR LACAN(Notes dAim Thiault et transcription de Franois Duvert)

1er cours Error: Reference source not found 1) la certitude anticipe de la victoire Error: Reference source not found 1re ponctuation : midi, minuit et vrit Error: Reference source not found 2) la division du minuit Error: Reference source not found a) la nuit de Hlderlin.............................................Error: Reference source not found b) la nuit de Mallarm............................................Error: Reference source not found 3) la division du midi Error: Reference source not found a) le midi de Valry................................................Error: Reference source not found b) le midi de Claudel..............................................Error: Reference source not found 4) Lacan : le mi-di(t) et le mi-nuit de la vrit Error: Reference source not found a) Nietzsche............................................................Error: Reference source not found b) Wittgenstein.......................................................Error: Reference source not found c) Lacan..................................................................Error: Reference source not found 2nde ponctuation : philosophie, mathmatique et psychanalyse Error: Reference source not found 1) 1er repre : le philosophe bouch aux mathmatique Error: Reference source not found 2) 2nd repre : rel, mathme et mathmatisable Error: Reference source not found 2nd Cours Error: Reference source not found 1) la mtaphysique chez Lacan Error: Reference source not found a) Lacan et Heidegger............................................Error: Reference source not found b) mtaphysique et dstre.....................................Error: Reference source not found c) lhistoire de ltre chez Heidegger (larraisonnement de ltre par lun)........Error: Reference source not found d) la pense de lUn chez Lacan.............................Error: Reference source not found 3) le philosophie et le soupire Error: Reference source not found Troisime cours Error: Reference source not found a) Pascal..................................................................Error: Reference source not found b) Lacan..................................................................Error: Reference source not found c) Rousseau............................................................Error: Reference source not found d) Kierkegaard........................................................Error: Reference source not found a) Nietzsche............................................................Error: Reference source not found b) Wittgenstein.......................................................Error: Reference source not found c) Lacan..................................................................Error: Reference source not found Quatrime cours Error: Reference source not found I le philosophe bouch aux mathmatiques Error: Reference source not found 1) appuis la thse lacanienne (sur mathmatique et philosophie) Error: Reference source not found a) Platon..................................................................Error: Reference source not found b) Descartes............................................................Error: Reference source not found c) Hegel..................................................................Error: Reference source not found 2) objections la thse lacanienne (sur mathmatique et philosophie) Error: Reference source not found

a) Platon..................................................................Error: Reference source not found b) Descartes............................................................Error: Reference source not found c) Hegel..................................................................Error: Reference source not found II le philosophe bouchant le trou de la politique Error: Reference source not found 1) la politique comme trou imaginaire Error: Reference source not found 2) la politique comme trou symbolique Error: Reference source not found Cinquime cours Error: Reference source not found 1) la politique comme trou imaginaire dans le rel Error: Reference source not found 2) la politique comme trou symbolique Error: Reference source not found 3) la politique comme trou rel Error: Reference source not found III la philosophie a lamour au cur de son discours Error: Reference source not found 6me cours Error: Reference source not found 1) destitution de la philosophie Error: Reference source not found 2) nature de lopration philosophique Error: Reference source not found a) dposition des mathmatique.............................Error: Reference source not found b) colmatage de la politique...................................Error: Reference source not found c) promotion de lamour.........................................Error: Reference source not found 3) acte philosophique et acte anti-philosophique Error: Reference source not found a) 1er trait : sujet combl / sujet horrifi.................Error: Reference source not found b) 2nd trait : la vrit philosophique, savoir analytique.....Error: Reference source not found Quelques repres sur ce thme Error: Reference source not found a) Pascal..................................................................Error: Reference source not found b) Rousseau............................................................Error: Reference source not found c) Kierkegaard........................................................Error: Reference source not found 7me cours Error: Reference source not found 1) quelle est la singularit de lacte analytique comme acte antiphilosophique ? Error: Reference source not found Acte et mathme.....................................................Error: Reference source not found Limpuissance........................................................Error: Reference source not found 2) y a-t-il quelque chose qui ne trompe pas ? Error: Reference source not found

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ER

COURS

Cette anne, nous allons donc achever le cycle entrepris il y a deux ans sur l'antiphilosophie contemporaine. Nous avons commenc par la position fondatrice au regard de cet espace, savoir celle du Nietzsche. L'anne dernire, nous avons examin celle de Wittgenstein, et c'est l qu'en qui vient en position conclusive. Ceci veut nous imposer 2 tches connexes. - la premire, bien entendu, sera d'tablir en quel sens Lacan est anti-philosophe, tche facilite par le fait quil se dclare tel, la diffrence des deux autres. Et vous savez que, finalement, lidentification d'une anti-philosophie au sens contemporain du terme suppose toujours une dtermination de ce que jai propos d'appeler sa matire et son acte. Nous aurons l'occasion d'y revenir en route, mais je rappelle sur ce plan que nous

avons identifi la matire nietzschenne comme tant artistique, cependant que l'acte, lui, tait archi-politique. Et sagissant de Wittgenstein, nous avons identifi sa matire comme tant ultimement langagire ou plus prcisment logico-mathmatique, cependant que l'acte lui doit tre pens comme archi-esthtique. Donc : une premire dmonstration faire concernera identification de la matire et de l'acte anti-philosophiques chez Lacan. Le point difficile concernera, comme toujours, parce que c'est le point dcisif, crucial, la question de l'acte. Vous connaissez ma proposition, je n'en ai pas fait mystre, le thorme est connu d'avance, sinon sa dmonstration, cest que : l'acte lacanien est de caractre archi-scientifique. Voil pour le premier groupe de questions. - le deuxime groupe de questions connexes est d'tablir les raisons pour lesquelles Lacan peut tre tenu, non pas seulement comme un anti-philosophe, mais comme une clture de lanti-philosophie contemporaine. Parce que si Lacan est identifiable comme une clture de l'anti-philosophie contemporaine, celle-ci suppose non seulement un rapport anti-philosophique la philosophie, mais, videmment, rapport l'antiphilosophie elle-mme. Il n'y a pas de clause de clture qui ne se soutienne d'un rapport singulier et dtermin ce qu'elle clt. Dire : Lacan est en position de clture sur l'antiphilosophie contemporaine telle quouverte par Nietzsche est une thse singulire, qui demande tre fonde, non pas empiriquement sur le fait qu'il serait dernier qu'on connaisse (car en ce cas il n'y aurait pas de raison de dire qu'il est en position de clture), mais sur le fait que la position lacanienne au regard des question de l'antiphilosophie est telle qu'on puisse, en effet, parler de clture. La question de la clture se complique si l'on pose la question de savoir quoi il ouvre, car toute clture est aussi et en mme temps ouverture. Donc si nous affirmons que Lacan clt l'anti-philosophie contemporaine, surgit immdiatement la question de savoir quoi cette clture ouvre dans les dispositions gnrales de la pense, avec, bien sr, une inclunaison particulire de ma part poser le problme de ce quoi cette clture ouvre dans la philosophie, c'est--dire de quoi la clture par Lacan de l'anti-philosophie contemporaine est-elle le tmoignage quant ce qui s'ouvrent dans la philosophie ? Voil le noyau des problmes trs prcisment formuls que nous tenterons de rsoudre cette anne et qui sont : - la nature singulire de l'anti-philosophie lacanienne quant sa matire et quant son acte - la question de savoir en quel sens, au regard de l'anti-philosophie, il s'agit d'une clture - la question de savoir quoi, le point de la philosophie, cette clture ouvre. Ou dans une mtaphore que j'avais dj utilise propos de Nietzsche : qu'est-ce qui est lgu la philosophie par l'anti-philosophie lacanienne comme clture ? 1) la certitude anticipe de la victoire Je voudrais aujourd'hui partir dun point tout particulier qui est un point de dimension subjective. Dans l'anti-philosophie, on trouve ce trait subjectif rcurrent que j'appellerais la certitude anticipe de la victoire comme disposition subjective au regard du discours qu'on tient. - Nietzsche dans Ecce Homo par exemple : un jour ma philosophie vaincra . Certitude anticipe de la victoire, l, au sens strict. - Lacan dans l'Etourdit : ce n'est pas moi qui vaincrai, c'est le discours que je sers . - Wittgenstein, prface du Tractatus : l'accent est diffrentes, mais subjectivement identique. En revanche la vrit des penses que je publie ici me parat intangible et dfinitive .

Ces trois noncs, voil si vous voulez symptmalement ce que j'entends ici par la disposition subjective de la certitude anticipe de la victoire. Sur ce point, on peut faire 2 remarques : - 1re remarque : la subjectivit anti-philosophique est en rgle gnrale une subjectivit de la victoire au prsent. Ce que je dis est vrai, ce que je dploie, ce que je dmontre, ce que je propose, ce que je dispose, est dans l'lment de la vrit, et l'adresse, de ce point de vue l, est la fois au prsent et intemporel. Dans l'anti-philosophie, nous avons comme toujours, j'ai beaucoup insist sur ce point, une dimension subjective propre d'une temporalit diffrente, qui, l, se donne dans lanticipation du caractre implacable et inluctable de la victoire. Le discours anti-philosophique vaincra. - 2nde remarque : on peut se demander de quoi se demander quoi se fait cette certitude, de quoi se fait en trait subjective cette certitude anticipe de la victoire ? Cette certitude ne se fait pas, comme on pourrait limaginer, dans une critique facile, au nom dune prsentation subjective, comme on le voit dans la phrase de Lacan : ce n'est pas moi qui vaincrai, c'est le discours que je sers . Nous avons la dimension de service trs anti-philosophique, c'est--dire que le discours est moins propos que servi. Et aussi, une lision du moi ou du sujet, pour que justement la certitude anticipe surgisse. Mme dans le cas des Nietzsche, nous l'avions indiqu il y a deux ans, il en va ainsi. Nous savons - et cest la diffrence qui aura beaucoup d'effets dans ce que nous aurons dire cette anne - que Nietzsche doit absolument se produire lui-mme sur la scne de son acte, donc il ne peut pas viter, lui, de dire en un certain sens : je vaincrai. Parce qu'il doit venir comme une sorte de chose au point bant de son acte. C'est d'ailleurs cette venue au point bant de son acte qu'on a convenu d'appeler sa folie. Il vient, Nietzsche, entre deux mondes, mais comme il prend soin de le dire, ce n'est pas un moi qui vient l, au sens o ce n'est pas une prsomption dun moi. Et Nietzsche dira trs prcisment que ce qui vient, l, entre deux mondes, c'est un destin. Voyez le titre du chapitre de Ecce Homo : pourquoi je suis un destin, et ce n'est qu'aprs avoir rpondu cette question qu'on peut dire que ce je, en tant que destin, vient au point de l'acte. Et mieux encore, ce qui vient au point de l'acte, c'est une chose, un quelque chose. Rappelons cette lettre trs forte du 12 fvrier 1888, envoy par Nietzsche de sa pension de Genve anis Reinhart von Seydlitz : entre nous soit dit, en deux mots, il nest pas impossible que je sois le premier philosophe de notre poque, mme peut tre encore un peu plus que cela, et pour ainsi dire quelque chose de dcisif tait fatal qui se lve entre deux millnaires Nietzsche, dernires lettres, ed Rivages poche. Donc : la philosophie vaincra , ou : ce n'est pas moi qui vaincrai, mais cest mon discours , sont identifiables, ici, dans le thme d'une leve, d'un surgir sans prcdent, dont le je, dont le moi nest quune dimension, un paramtre, un service, comme dit Lacan. Et c'est au point de ce surgir inluctable, indpendant du moi, qui, ici, nest que la leve d'un quelque chose entre deux mondes, entre deux temps du discours, entre deux millnaires comme le dit Nietzsche, ce n'est qu'au regard de cette leve ou de ce surgir sans prcdent qu'on peut constituer la certitude anticipe de la victoire. Entre parenthses, c'est aussi pourquoi Wittgenstein peut affirmer sans outrecuidance ou indiffrence galement ceci dans la prface du Tractatus : je ne me prononcerai pas sur le point de savoir dans quelle mesure mes efforts convergents avec ceux d'autres philosophes. D'ailleurs le dtail de ce que j'ai crit ici n'a absolument aucune source, car il m'est indiffrent que ce que j'ai pens ait pu tre dj pens par un autre . Il m'est indiffrent de savoir si ce que j'ai pens la dj t par un autre avant moi , ceci affirme que la certitude d'une victoire anticipe n'a rien voir non plus avec une prsomption d'originalit, ce qui, pour un anti-philosophe, est un thme finalement acadmique. Le point n'est pas celui de l'originalit, le point est celui du surgir qui

comme tel est sans prcdent ou irrptable. Et, par consquent, supposer mme que d'autres aient pu dire ceci ou cela qui ressemble, ou mme soit identique ce que j'ai pens, cela est proprement indiffrent. Voil pourquoi la certitude anticipe de la victoire comme trait subjectif de l'antiphilosophie est videmment de l'ordre de l'acte : c'est un point de l'acte que sassure cette certitude comme certitude anticipe. C'est par lacte que sassure, nous l'avons vu, toute anti-philosophie digne de ce nom comme acte anti-philosophique, au coeur de son propos. Et si la certitude est anticipe : je vaincrai ou mon discours vaincra, c'est que de l'acte nous pouvons tre sr par ses effets, c'est--dire que l'acte lui-mme nest apprhendable en certitude de rupture que du point finalement visible de ses effets. Voil pourquoi la certitude tant au foyer de l'acte ne peut tre que certitude anticipe, parce que la victoire s'tablit comme dchiffrement lisible dans le systme gnral des effets de l'acte. Je rappelle que pour Nietzsche, l'acte archi-politique est un acte qui casse en deux l'histoire du monde , c'est sa formule, et en tant que tel, il va rendre visible la premption, la dislocation du monde, ou encore, comme il le dit, la transvaluation de toutes les valeurs. Pour Wittgenstein, l'acte archi-esthtique ou archi-thique, cest absolument la mme chose, c'est indistinguable, a va ouvrir un accs l'lment mystique, qui est le principe silencieux salut, et qui, en tant que principe silence du salut, va aussi tre dchiffrable dans le systme de ses effets. Alors comment cette question se prsente chez Lacan ? Quel est le noyau de la certitude anticipe de la victoire telle que Lacan latteste dans l'nonc selon lequel ce nest pas lui qui vaincra, mais les discours quil sert ? L'acte est videmment l'acte analytique. En ce sens, tout notre itinraire va tre de tenter d'identifier l'acte analytique comme principe de l'acte anti-philosophique. Une question extrmement dlicate va tre de savoir si on les identifie ou non. Est-ce que le surgir qui met fin, en un certain sens, la philosophie, c'est--dire qui en inscrit limposture, est-ce que le surgir se trouve rductible l'existence pure et simple de l'acte analytique ? Acte analytique qui a comme on sait sa scne propre, qui est une scne subjective o il n'est pas immdiatement question de la philosophie, ni d'anti-philosophie. Je rappelle au passage que l'anti-philosophie est spcifie par Lacan comme une connexion du discours analytique - c'est une connexion. Mais prcisment que dsigne ici connexion ? Ce sera un de nos fil conducteur. Sil y a acte comme il doit y avoir acte au foyer de la disposition anti-philosophique, comment cet acte est-il connexe de l'acte analytique ? Cette connexion - pour l'instant encore tout fait nigmatique - comment peut-elle tre la garantie d'une certitude victorieuse ? La piste que nous allons suivre, et qui est (je dois le dire) escarpe, et dont je ne donnerai aujourd'hui qu'une espce de vague profil, c'est en tout cas que l'acte, au sens lacanien du terme, il faudra soutenir qu'il n'est pas dans son agir, c'est--dire dont l'acte saisir vritablement dans son agir comme tel, autrement dit dans ce quil garantit de certitude victorieuse. Cet acte n'est pas exactement de l'ordre de la vrit, ou plus prcisment ce qu'il y a de convaincant dans l'acte touche bien plutt sa ressource intime de savoir. J'indique immdiatement cette thse, dont la lgitimation est elle seule complexe, parce que nous y voyons dj un contentieux avec la philosophie, qui va se tendre au point de l'articulation, qui est aussi une dsarticulation, de la vrit et du savoir. Pour le dire en bref pour ceux qui ont suivi l'anne dernire, nous allons voir que la question du drapport vrit / savoir occupe dans la stratgie anti-philosophique de Lacan une position somme toute comparable la question du rapport vrit / sens chez Wittgenstein.

A cet gard, et cela a t pour moi comme un coup denvoi, un gong, au sens littral, je suis trs frapp par la dernire phrase de lAllocution de clture du congrs de l'cole freudienne de Paris en 1970, s'en tenir des choses qui ont fini par avoir le statut dcrit. Lacan dclare ceci, c'est vraiment la dernire phrase de cette allocution : la vrit peut ne pas convaincre, le savoir passe en acte . Je vous indique que si cette anne j'arrive m'expliquer moi-mme et vous expliquer ce que cette phrase veut dire, nous aurons peu prs atteint les objectifs que nous nous sommes fixs. Donc l, je ne fais que la dire ou la de redire : la vrit peut ne pas convaincre, le savoir passe en l'acte . Ce que nous pourrons tout de suite ponctuer, bien que ce ne soit pas une intelligence de la sentence, c'est que c'est parce que l'acte est en un sens complexe une passe du savoir que je serai peu prs autoris dire que cet acte est pour Lacan archi-scientifique. C'est parce qu'on peut distinguer cet acte comme passe du savoir (la passe, nous verrons cela !) que, lentement, par tapes, nous seront autoriss dire que l'acte est pour Lacan archi-scientifique, ou plutt - comme nous le verrons - qu'il lest progressivement devenu. C'est pourquoi cette phrase, la vrit pour ne pas convaincre le savoir passe en l'acte , nous la mettons en exergue de ce que nous allons tenter de dire cette anne. Je voudrais encadrer cela par 2 espces de ponctuations assez dlies, vous allez voir, mais qui vont, comme cela, ouvrir un peu un territoire. 1re ponctuation : midi, minuit et vrit Je voudrais d'abord rappeler qu sen tenir ce que nous savons prcisment, le mouvement gnral de toute anti-philosophie inclut une destitution de la catgorie philosophique de vrit. On peut mme dire que c'est le propre de l'anti-philosophie contemporaine (celle qui descend de Nietzsche) que dentreprendre par des moyens variables une destitution de la catgorie philosophique de vrit. Ce point est videmment parfaitement clair chez Nietzsche o les textes sur ce point surabondent, savoir les textes qui procdent un diagnostic sur le fait que la catgorie de vrit est en dernier ressort une catgorie du ressentiment, et que la figure typique qui sy loge est finalement celle du prtre. Le texte le plus fameux, je vous le cite, c'est peut-tre dans le Crpuscule des idoles. Ce texte a t abondamment comment par Heidegger. Mais ce qui fait sa force, c'est que c'est un texte qui noue l'abolition de la vrit l'affirmation dionysiaque ou l'acte se rsout. Vritablement entre le crpuscule de la vrit, qui est en fin de compte lidole philosophique par excellence, et laffirmation dionysiaque, il y a comme une unit de geste, une unit de mouvement. Je rappelle ce texte qui est trs connu et o de surcrot, point que vous pouvez garder en mmoire, vrit est corrle monde : c'est le monde-vrit. Alors c'est le monde intelligible, c'est l'arrire monde platonicien, mais ultimement, c'est le statut proprement philosophique de la catgorie de vrit. Nietzsche crit ceci : le monde vrit, nous l'avons aboli. Quel monde nous est rest ? Le monde des apparences peut-tre ? mais non ! Avec le monde vrit, nous avons aussi aboli le monde des apparences . Le crpuscule des idoles, comment le monde vrit devint une fable 6. Midi, moment de l'ombre la plus courte, afin de l'erreur la plus longue, point culminant de l'humanit, c'et typique. Zarathoustra, incipit. Voil, c'est ce qui est au prs du sentiment de l'acte, c'est--dire quelque chose qui est la fois une abolition (pas une contradiction ou une relve, mais une abolition) laquelle se trouve juxtapose et, en mme temps, indiscernable delle, la plus clatante et plus

radieuse affirmation. C'est la fois l'ombre la plus courte et la fin de l'erreur la plus longue , et le nom de tout cela c'est Midi - Midi. 2) la division du minuit Et alors, je voudrais parler un peu de midi. Il y a toute une pense de midi. Et elle se contrapose dans une longue histoire, y compris moderne, une pense de minuit. C'est important de saisir, y compris pour les questions qui nous occupent, quelle est la ressource mtaphorique, dans la pense, du Midi et du Minuit. Chez Nietzsche, Midi cest quasiment le nom de l'acte lui-mme. C'est la verticalit solaire au moment o l'ombre s'extnue. Mais je crois qu'on peut dire volontiers que toute dcision de pense (philosophique, anti-philosophique, et toutes les autres) opte mtaphoriquement pour Midi ou pour Minuit. En ce sens toute pense mridienne comme aurait dit Paul Celan, mais elle est mridienne diurne ou nocturne, elle est dans la balance indcise des heures, le milieu des heures. Mais ce n'est pas la mme chose qu'elle soit dans le milieu des heures selon Midi, et dans le milieu des heures selon Minuit. Je crois qu'en ralit il y ait une prescription potique toujours antrieure cette option. Cette question du Midi et du minuit est peut-tre un des points o la dcision de pense est irrmdiablement dans l'espace d'une prescription potique antcdente. En un certain sens, c'est toujours du pome que nous avons dj recueilli ce que midi et minuit prescrivent pour la pense, car c'est la posie qui expose la mtaphore. Et la posie va la donner dans sa division, dans sa scission. Elle va donner potiquement les deux bords de midi et les deux bords de minuit. Il y a dj l, citons Lacan, une topologie des bords, qui est dans le choix mtaphorique de midi et de minuit et dans leurs scissions respectives. Entrons dans cette scission qui nous servira plus tard, bien que maintenant elle paraisse bien loignes de nos problmes. Pensons, par exemple, ce qui la fois lie et oppose le minuit de Hlderlin et le minuit de Mallarm puisque nous en sommes la prescription potique antcdente. a) la nuit de Hlderlin La nuit de Hlderlin (chez qui il y a aussi toute une problmatique du jour) et son minuit propre, c'est le temps du trsor et aussi le temps de la saintet de l'oubli. C'est vraiment dans la saintet de l'oubli que la pense se recueille sous le nom de minuit. En revanche, pour Mallarm, le minuit est exactement le temps de l'indcidable, c'est--dire aussi le temps du jeu du hasard. Ce sont vraiment deux minuits trs diffrent. Un minuit qui est comme un minuit de suspens mais au sens de l'accueil, au sens de l'veil dans le sommeil mme. Et puis un minuit qui est, au contraire, le minuit de l'acte, c'est--dire le minuit du coup de ds . Voici deux extraits que je vous lis pour que nous ayons cela en rsonance, et pas seulement en prescription. Prenons, par exemple, dans Hlderlin, la deuxime grande strophe de l'lgie le pain et le vin, qui est peut-tre le grand pome nocturne de Hlderlin, celui o la pense de la nuit est mise en oeuvre. Vous allez voir que cette nuit est une souvenance, une mmoire, qui est le lieu ou l'veil le sommeil sont bord bord. miracle, faveur de la nuit sublime ! Nul ne sait la source, la grandeur des dons qu'un tre reoit d'elle. C'est ainsi quelle meut monde et l'me des hommes charge d'esprance, les sages mme nont point l'intelligence de ses desseins, car tel est le vouloir du dieu suprme qui taime de grand amour et c'est pourquoi plus qu'elle encore le jour tes cher o rgne la pense. Mais parfois le limpide regard lui-mme gote l'ombre, et devanant lheure, il qute le sommeil comme une volupt. Et l'homme

au coeur fidle arrive plonger des yeux dans la nuit pure. Quon lui ddie, ainsi qu'il sied, des champs et des couronnes ! Car elle est le trsor sacr des insenss et des morts, et perdure, elle-mme ternel esprit pur de contrainte. Mais quelle aussi (car il le faut, afin qu'en notre long sjour dans cette ombre, quelque chose nous soit gard qui nous conforte), quelle aussi nous donne l'oubli, qu'elle aussi nous donne l'ivresse. Sacr est le jaillissement du verbe ! Et qu'ainsi, comme des amants, yeux jamais clos, coupes pleins bords, audace vivre et sainte souvenance, nous traversions la nuit au comble de l'veil . C'est cela la hlderlinienne : la traverse au comble de l'veil dans un minuit qui est un minuit de gardiennage illimit du trsor la fois de la mmoire et de l'oubli b) la nuit de Mallarm Et puis si on prend la nuit de Mallarm, dans le programme dIgitur, qui est un peu une rcapitulation de la signification du minuit, et qui est le texte qui sert d'inauguration Igitur et donne le programme gnral au drame spculatif dIgitur : 4 morceaux : - le minuit - lescalier - le coup de ds - le sommeil sur les cendres, aprs la bougie souffle On a peu ce qui suit : minuit sonne - le minuit o doivent tre jets les ds. Igitur descend les escaliers, de l'esprit humain, va au fond des choses, en absolue qu'il est. Tombeau cendres (pas sentiment, ni esprit), neutralit. Il rcite la prdiction et fait le geste. Indiffrence. Sifflements dans l'escalier. Vous avec tout , nulle motion. Vous, mathmaticiens, expiratent - moi projet absolu. Devais finir en infini. Simplement parole et geste. Quant ce que je vous dis, pour expliquer ma vie. Rien ne restera de vous - l'infini enfin chappe la famille, qui en a souffert, - vieil espace - pas de hasard. Elle a eu raison de le nier, - sa vie, pour qu'il ait t l'absolu. Ceci devait avoir lieu dans les combinaisons de l'infini vis--vis de l'absolu. Ncessaire - extrait l'ide. Folie utile. Un des actes de l'univers vient d'tre commis l. Plus rien, restait le souffle, fin de paroles et gestes unis - souffle la bougie de l'tre, par quoi tout a t. Preuve . Et puis il y a entre parenthses : (creuser tout cela) . Rires... Voil, c'tait le double minuit, si vous voulez. On le sent bien : entre les minuit de : un des actes de l'univers vient d'tre commis l , et qui est lheure laquelle il faut jeter les ds, et ce minuit d'accueil transparent o mmoire et veil sont bord bord, il y a ce qu'on peut appeler les deux inscriptions potiques originaires du minuit possibles. Et en fait, pour vous faire comprendre comment une philosophie et sous cette double prescription possible de la mtaphore du minuit, on peut soutenir que ce double minuit est, par exemple, inscrit dans Hegel sur ses deux faces, sur ses deux bords, dans ce qu'il faut tout simplement appeler la dimension nocturne de la philosophie. Vous savez que pour Hegel, loiseau de Minerve ne s'envole qu la tombe de la nuit, ce qui veut dire que les philosophies a lieu quand tout a eu lieu. La philosophie est donc en quelque manire le minuit du jour de la pense, c'est pourquoi elle est accomplie quand aussi et en mme temps lhistoire mme est parvenue son achvement. Mais il est absolument clair que pour Hegel, le minuit philosophique, qui est l'aprs coup gnral de la venue soi de la vrit de l'tre, va signifier simultanment une fin apaise, c'est--dire l'achvement du devenir de l'esprit, et quelque chose comme une dcision absolue, quelque chose dans lequel la dcision absolue du sens parvient la conscience de soi.

Le nocturne hglien de la philosophie, c'est bien entendu l'apaisement ultime du dploiement contradictoire de l'esprit dans les figures historiales qui sont les siennes, mais c'est aussi le moment o la philosophie, en l'occurrence celle de Hegel, dcide de cela dans une dcision qui est absolue, qui est dfinitive, qui est irrversible. 3) la division du midi Et alors le midi, le midi qui, en un certain sens, va nous intresser davantage. Le midi est aussi inscrit dans la scission du pome. Il y a aussi 2 faces de midi. Il y a ce qu'on pourrait appeler un midi massif est plomb, un midi la fois accabl et triomphal : le midi roi des ts Mais plus prcisment, pour ce qui nous occupe, c'est le midi comme nom de la pense dissoute dans la gloire du jour ou, plus proche de ce que je pense, midi c'est au fond l'crasement du vide de l'tre par l'clat de l'tant. Le surclat de l'tant dans midi fait que son blouissement propre absente ou fait que le vide et le retrait de ltre sabsente lui-mme, et qu'il n'y a plus que cet clat, qui est l'clat de l'tant comme figure clatante du moment o la pense est en ralit dsaccorde de ce qui s'est retir derrire ce flamboiement de la prsence. a) le midi de Valry Le pote qui avait plus obstinment tourn autour de cette figure, c'est sans aucun doute Paul Valry. C'est d'ailleurs pour cela que quelqu'un comme Jean Beauffret a pu presque constamment tirer entre Heidegger et Valry une sorte e trait spcifiquement franais. Valry a tourn autour de l parce que, pour lui, la question de la coexistence de l'apparatre et de la lumire se trouve essentielle son dispositif de pense. Je vous lis un des textes les plus connus, mais en mme temps les plus frappants, sur ce point, savoir les strophes trois et quatre de Ebauche d'un serpent, extrait du recueil intitul Charmes. Soleil, soleil !... faute clatante ! toi qui masques la mort, Soleil, sous lazur dor dune tente o les fleurs tiennent leur conseil ; par d'impntrables dlices, toi, le plus fier de mes complices, et de mes pige le plus haut, tu gardes les coeurs de connatre que l'univers n'est qu'un dfaut dans la puret du non-tre ! Grand soleil, qui sonne l'veil ltre, et de feux l'accompagne, toi qui l'enfermes d'un sommeil trompeusement peint de campagne, fauteur de fantmes joyeux, qui rendent sujettes des yeux la prsence obscure de lme, toujours le mensonge ma plu, que tu rpands sur l'absolu, roi des ombres fait de flamme ! roi des ombres fait de flamme ! : voil ce midi-l, c'est--dire le midi o l'clat de l'apparatre dans son apparition est en ralit annihilation dune ombre, d'un retrait

essentiel quoi la pense ne plus saccorder. On pourrait dire que le midi ainsi conu, c'est la pense sous le signe de lUn, c'est la pense rsume ou rsumable sous le signe de lUn. C'est pourquoi dans le Cimetire marin, Valry va, ds le dbut du pome, connecter cette figure du midi celle de Parmnide et de Znon. La pense late, l o l'tre et l'un sont en co- appartenance radicale, va tre nomm par le midi maritime o la pense disparat. b) le midi de Claudel Mais il y a un autre midi dans la posie. Cela depuis toujours, si je prends des exemples dans la posie franaise, c'est depuis toujours, car cette prinscription est originaire. Il y a un autre midi de la pense qui est, au contraire, le midi de la plus haute dcision. Non pas le midi de la stupeur de l'tre, mais le midi du partage. Et on citera tout de suite Paul Claudel, parce que Claudel a crit une pice s'appelle Partage de midi. Le midi qui peut tre dans un partage du midi est videmment un autre midi que ce midi impartag de l'apparatre clatant de l'tant. ce moment-l, midi va tre le nom de l'vnement rel, le nom mridien, et donc le nom sans nombre, le nom qui n'est pas un nombre, le midi qui ne compte rien que la verticalit solaire de nouveau, et qui va tre le nom de l'vnement rel, c'est--dire le nom de la bascule de la vie : midi quelque chose d'irrversible va avoir lieu, et par consquent, cela va tre le nomb, non pas du tout de l'immobilit ou du mode propre sur lequel la pense est dsapproprie ltre par clat excessifs de l'apparatre, mais au contraire, cela va tre le nom de l'impossibilit de l'arrt : aprs midi, s'arrter deviendra impossible parce que l'irrversible a t nomm par midi. Je vous lis sur ce point extrme le dbut de l'acte I du Partage de midi dans la seconde version de la pice, car ce midi-l se trouve seulement de la deuxime version. Dans la premire version ce n'est pas encore midi. Un mot sur la situation pour ceux qui ne connatraient pas cette pice. Le premier acte du Partage de midi se passe sur un bateau en route vers l'Extrme-Orient et qui est en train de passer le canal de Suez. Il y a l une femme et trois hommes. La femme c'est Yse. Et puis il y a son mari, son amant, et Claudel sous le nom de Mesa. Et cette femme se trouve donc entoure d'un systme d'hommes dont toute la question est celle de sa compltude, et va se dcider l l'amour de Mesa et dYse comme amour rel, c'est--dire impossible. Et cest de la venue de ce rel, de l'abrupte et silencieuse venue de ce rel que midi est le nom. Toute la pice va tre de savoir comment ce midi, qui est le nom de l'amour comme rel impossible, comment ce midi peut nanmoins tre le lieu d'un partage. Cela va tre l'histoire du partage de midi comme partage du rel de l'amour au point de l'impossible. Dans l'acte I rien n'est dclar. Bien videmment, l'vnement, comme dit Nietzsche, arrive sur des pattes de colombes, mais rien n'est dclar, sauf justement que le cri de midi, la sirne du bateau qui va annoncer midi, va tre le tenant-lieu de cette dclaration innomme : - Ys (allant stendre sur le rocking-chair : ah, nous avons pass Suez pour de bon - Mesa : nous ne le repasserons plus jamais. - Amalric (colon et aventurier) : bientt midi - Mesa (commissaire aux douanes) : on va entendre la sirne. La sirne, quel drle de nom ! - Ys : il ny a plus de ciel, il ny a plus de mer, il ny a plus que le nant. Et au milieu pouvantablement cet espce danimal fossile qui va se mettre braire. Je fais une brve parenthse : vous voyez que la reprsentation du midi comme nant qui tait dj apparente chez Valry est ici reprise, mais une fin absolument oppose,

c'est--dire au milieu de ce nant Midi va nommer la csure, et non pas du tout lindistinction entre l'clat de l'tant et le fond dtre de l'apparatre. - Mesa : quel cri dans le dsert de feu ! - Ys : le brontosaure qui va se mettre braire - de Ciz (mari dYs) : Ys, regardez (il carte la toile avec un doigt) - Ys : nouvrez pas la toile, bon Dieu de bois ! - Amalric : on est aveugl comme par un coup de fusil. Ce nest plus du soleil cela. - de Ciz : cest la foudre. Comme on se sent rduit et consum dans ce four rverbre ! - Amalric : tout est horriblement visible comme un poux entre 2 lames de verre. - Mesa (prs de la fentre) : que cest beau, que cest dur. La mer lchine resplendissante est comme une vache terrasse que lon marque au fer rouge. Et lui, vous savez, son amant, comme on dit, eh bien la sculpture que lon voit dans les muses, Baal, cette fois ce nest plus son amant, cest le bourreau qui la sacrifie. Ce ne sont plus des baisers, cest le couteau dans ses entrailles. Et face face elle lui rend coup pour coup sans forme, sans couleur, pure, absolue, norme, fulgurante. Frappe par la lumire, elle ne renvoie rien dautre. - Ys (stirant) : ce quil fait chaud. Combien de jours encore jusqu ce feu de Miniver ? - Mesa : je me rappelle cette petite veilleuse sur les eaux. - de Ciz : savez-vous combien de jours encore, Amalric ? - Amalric : ma foi, non. Et combien de jours dj depuis que lon est parti, je lai oubli. - Mesa : les jours sont si pareils quon dirait quils ne font quun seul grand jour blanc et noir. - Amalric : jadore ce grand jour immobile. Je suis bien mon aise. Jadore cette grandeur sans ombre. Jexiste, je crois [cest le nietzschen !]. Je ne sue pas, je fume mon cigare. Je suis satisfait. - Ys : coutez-le, ce satisfait. Et vous aussi, Mesa, est-ce que vous tes sa-tis-fait ? - Mesa : moi, moi je ne suis pas satisfait (elle rit aux clats, mais cet espce de silence solennel qui va stablir est plus fort). [ce rire est juste au bord du moment o Mesa nomme lvnement, lirrversible qui va tre prononc par Mesa, impossibilit de larrt en aucun lieu]. - de Ciz (tirant sa montre) : Attention, lheure va sonner (assez longue pause, la cloche sonne huit coups). - Mesa (levant le doigt) : midi. Cela c'tait sur la division du midi, en symtrie - mais en symtrie dcale - avec la division du minuit, o vous retrouvez malgr tout ce point de savoir si on est dans la discordance accueillante de ltre ou dans le point dindcidabilit et d'irrversibilit de l'acte. Remarquez, l encore - comme je le disais pour Hegel propos du minuit - on peut parfaitement dire que le midi de Nietzsche, c'est le double midi. Il n'est pas rductible compltement lun des deux, mme si je me suis permis de dire qu'Amalric tait plus nietzschen que Mesa. Ce midi de Nietzsche, c'est : - d'une part l'unit absolue et sans diffrence de l'affirmation, savoir l'une des thses nietzschennes selon laquelle le midi dionysiaque doit affirmer des choses sans diffrencier leur valeur. Autrement dit, cest lindistinction entre la positivit et la ngativit de toute valuation, puisque tout cela doit tre en quelque manire intgralement affirm, donc le midi va nommer l'affirmation intgrale.

- mais, d'autre part, le midi nomme aussi bien, bien sr, la mobilit absolue de la vie, c'est--dire l'vnement perptuel : le fait que cette affirmation n'a rien en elle-mme qui la soutienne dans son identit, mais qu'elle est aussi bien la diversit la prolifration sans interruption possible de la vie. Le midi de Nietzsche, c'est la fois et en mme temps la volont de puissance et l'ternel retour. Midi doit nommer les deux, c'est--dire la volont de puissance comme ressource intgrale de l'affirmation constamment cratrice, et l'ternel retour comme le mode propre sous laquelle cette affirmation doit faire revenir l'intgralit de ce qu'il y a. Aprs ce parcours sur les prescriptions potico-philosophiques de l'opration du midi et du minuit, on demandera : et Lacan dans toute cette affaire ? 4) Lacan : le mi-di(t) et le mi-nuit de la vrit Ce serait une manire de poser la question : Lacan est-il un homme de midi, o un homme du minuit ? Je vous laisse ce problme, parce que comme on sait, ce n'est pas vraiment la mtaphore qui guide Lacan. Certes, chez lui, le mtaphorique est essentiel et on trouve une importante thorie de la mtaphore, mais ce n'est pas la mtaphore qui le guide, lui. C'est plutt, disons, la connexion, le mot valise, on le mathme. Mais malgr tout, coutons comme il le fait, car ce n'est videmment pas par hasard que de la vrit il dclare quelle ne peut tre que mi-dite. Il y a un mi-dire de la vrit, et si on prend le mode propre sur lequel ceci est nonc dans l'Etourdit, on prononcera, c'est la phrase mme : de vrit il n'y a que mi-dit . Oui, nest-ce pas, cela ne peut pas tre hasard : le fait que de la vrit, il n'y a que midit. Mi-dit : m, i, d, i, t, bien sr. Mais enfin, le fait est que de la vrit il n'y a que midit. Vous imaginez que si Lacan lisait cette phrase, il ne pourrait pas manquer de dire que ce midit, c'est aussi un midi, et qu'on pourrait le dire sous la forme que : de la vrit il n'y a que mi-di(t). Le problme est de savoir si on fait honneur la vrit de cette connexion au midi. C'est un point que nous examinerons de prs dans l'insistance de cette formule : de la vrit il n'y a que midi ou : la vrit ne peut pas se dire toute, on ne peut pas la mi-dire. Est-ce de manire essentielle un nonc sur la vrit ? Est-ce de manire essentielle un nonc sur le dire ? C'est une question qui peut paratre rhtorique, mais elle ne l'est pas. Et elle ne l'est pas, surtout si on se souvient de tout ce que nous avons eu dire sur la connexion de wittgensteinienne entre la vrit et le dicible. Et si l'on se souvient que la tradition antiphilosophique entire se soutient dun propos spcifique et singulier sur ce rapport entre vrit, dire et actes (la grande triangulation de la machinerie anti-philosophique). Nous avons dj eu l'occasion de montrer que c'tait dj absolument le cas chez Pascal. La triangulation du dire, de la vrit et de l'acte est constitutive du dispositif de pense pascalien, et finalement du dispositif de pense de toute anti-philosophie. C'est donc un point essentiel pour ce qui nous occupe que de savoir si, quand la vrit est connecte au midi(t) pris dans son double sens, c'est un nonc o la charge doit tre mise sur la vrit, ou bien un nonc o la charge d'tre mise sur le dire, dont il s'agit. Alors, bien sr, on est aussi amene se demander s'il serait vrai de dire : que la vrit nuit ou quelle nuit demi ? est-ce que la vrit est ce qui mi-nuit ? C'est bien le problme dont nous partirons, puisque je que je vous avais dit quil est du mouvement fondamental de toute anti-philosophie de destituer la catgorie philosophique de vrit. Je vous rappelle que dans une anti-philosophie, le propos concernant la vrit en son sens philosophique (je prcise bien) nest pas de rfuter cette vrit, il est de la discrditer. C'est mme ce qui fait que la polmique anti-

philosophique n'est pas proprement parler une polmique philosophique. Il s'agit de bien pour lanti-philosophe de montrer que la catgorie de vrit est nuisible. a) Nietzsche Ceci est parfaitement flagrant chez le fondateur Nietzsche. Mais ceci est non moins vident chez Wittgenstein, et particulirement dans le devenir de wittgensteinien. Et je vous avais dit que ce qui caractrise une anti-philosophie, cest toujours quelle est une thrapeutique. Elle n'est pas une critique, mais bien une thrapeutique. Il ne s'agit pas de critiquer la philosophie, il s'agit de gurir l'homme de la philosophie, dont il est affreusement malade : gurir l'humanit de la maladie-Platon comme dit Nietzsche. Et pour Wittgenstein, gurir la maladie-philosophie purement et simplement, laquelle est la propension qu'on doit lucider mettre des propositions absurdes, dpourvues de sens. Donc : la question selon laquelle la vrit nuit ne vient pas, ici, par un simple jeu verbal, elle est tout fait constitutive de l'anti-philosophie. Est-ce que Lacan a dit (en est venu dire ? ou peut-on supposer qu'il dise, ou quil ait dit ? ou quil aurait dit ?) que de mme que de la vrit il n'y a que midi, de mme - en un certain sens - la vrit est ce qui minuit. Ce point est nigmatique, et cest une piste transitoire. b) Wittgenstein Pour situer un peu les choses, je vous rappelle que chez Wittgenstein, la destitution de la vrit claire ds le Tractatus. Je reprends, l aussi, la prface du Tractatus, qui nous sert un peu de guide dans cette introduction (o nous sommes aussi dans l'hypothse possible de la prsomption subjective), mais qu'il faut, au contraire, entendre littralement comme une probit. C'est toujours le problme chez les anti-philosophes : il faut entendre comme probit ce qui apparemment est de toute vidence un signe de folie. Wittgenstein crit : j'estime donc avoir rsolu dfinitivement les problmes pour ce qui est de l'essentiel : si je ne fais pas erreur en cela, alors en second lieu la valeur de ce travail sera d'avoir montr combien peu est accomplis quand ces problmes ont t rsolus (trad. klossowski). Et ce texte fait juste suite la phrase que je vous citais tout l'heure dans la vrit : en revanche la vrit pensait que je publie ici le parat intangible et dfinitif. Je crois aussi avoir, pour l'essentiel, rsolu une fois pour toutes les problmes considrs. Et si c'est le cas, cela veut dire, deuximement, que la valeur de ce travail consiste montrer combien peu de choses est la solution de ces problmes (trad Balibar). La destitution de la catgorie de vrit s'amorce de la faon suivante : j'ai purifi la notion de vrit, jai limin son sens philosophique, jai rsolu tous les problmes de manire fondamentale et dfinitive. Et puis avoir fait tout cela, on s'aperoit qu'on na fait presque rien. Donc : combien peu est accompli quand ces problmes ont t rsolus . Donc la thse de Wittgenstein est double : - premirement, la catgorie de vrit en son sens philosophique est nuisible parce qu'elle est lie au non-sens. - mais deuximement, mme si on la dlie du non-sens, donc si on propose une catgorie anti-philosophie de la vrit, de toute faon cela n'a pas beaucoup d'importance. Donc il y a une double critique de la catgorie de vrit : - premirement son usurpation philosophique est de l'ordre de l'absurdit. - deuximement sa rectification mme ne nous donne la solution qu des problmes qui, en fin de compte, sont dpourvus d'intrt.

L'essentiel reste faire. Et c'est videmment cet essentiel qui, lui, reste de l'ordre de l'acte, et non plus de l'ordre de la proposition vraie. Je n'en ai pas le temps, mais on pourrait montrer que la destitution de la catgorie de vrit a toujours ce double sens dans une anti-philosophie : montrer que la catgorie philosophique vrit est nuisible, et de surplus montrer qu' supposer qu'on lui te ce quelle a de nuisible (c'est cela la rectification), et bien elle n'apparatra pas non plus comme trs intressante et comme ayant une grande porte par rapport la ressource dfinitive de l'acte. c) Lacan Que va-t-on pouvoir dire sur ce point de Lacan ? Le problme, vous le voyez tout de suite, est beaucoup plus compliqu. Il est beaucoup plus compliqu parce que on peut parfaitement soutenir que Lacan a restaur, et en un certain sens, refond la catgorie de vrit. Bien sr, dans cette refondation nous trouvons le mouvement de destitution de la catgorie philosophique de vrit en mme temps que Lacan doit traverser cette catgorie. Mais dans la traverse qu'il en fait, il lcarte au profit d'un autre concept qu'il installe au lieu mme de l'acte analytique. Toutefois on ne peut pas dire que Lacan soit un anti-philosophe pour qui la catgorie de vrit soit, comme pour Nietzsche, en position dadversit centrale. Lacan, au contraire, entretient avec cette catgorie une longue et tortueuse coquetterie. Et on peut trs bien se tenir, encore une fois, qu'il en est un refondateur. Ce que cependant je vais, ici, tenter dtablir, et dont je tiens signaler que dans le cadre mme de ces recherches au collge de philosophie Franois Balms a fray la voie sagissant de Lacan, ce que je vais tenter dtablir, cest qu' partir des annes 70 (prenons-les comme point de repre), un long et lacunaire mouvement procde bel et bien la destitution la vrit au profit du savoir ou, disons, un cartement de la vrit au profit du savoir. Tout devra tre repens : que veut dire au profit de ? Comment chez Lacan se constitue la prvalence dun concept sur un autre ? qu'est-ce que c'est que cet cartement ? Cela sera progressivement la matire essentielle de notre processus. Mais je crois que ce problme alors, lui, absolument centrale -, c'est--dire la thse que finalement, en son deuxime sens, c'est--dire le fait que finalement ce ne soit pas la catgorie de vrit qui soit la plus pertinente ou la plus utile, il y a bien chez Lacan une destitution de la catgorie de vrit, que ce mouvement concernant cette destitution seconde se trouve articul en deux noncs que je prends comme cela, de 1973, tirs du Sminaire XX, Encore - deux noncs dont Lacan sent lui-mme que laccord est difficile. - le premier nonc est prononc la sance du 15 mai 1973. C'est--dire la 10 me sance de la transcription de Jacques-Alain Miller aux ditions du seuil intitul : Ronds de Ficelle page 108. Il se formule ainsi : il y a du rapport d'tre qui ne peut pas se savoir . - l'autre nonc est du 20 mars -- de la sance n8, titre par Jacques-Alain Miller le savoir et la vrit page 84, et Lacan y dclare que le propre de l'analyse, c'est--dire ce qui lidentifie cest : qu'il puisse se constituer [de son exprience] un savoir sur la vrit . Donc deux choses : - il y a du rapport d'tre qui ne peut pas se savoir - qu'il puisse se constituer un savoir sur la vrit. Pourquoi l'accord de ces deux noncs est-il si complexes et pourquoi entretiennent-ils une tension ? Evidemment, on est tent de dire que ce rapport d'tre qui ne peut pas se savoir ne touche qu la vrit, en quoi il ferait trou dans le savoir et serait soustrait

quelque chose qui ne peut pas se savoir, qui appartient irrductiblement l'ordre de l'insu, et qui communiquerait avec tout ce qu'on veut, y compris avec l'inconscient. Mais d'un autre ct, le propre de l'analyse est justement que puisse se constituer un savoir sur la vrit. On pourrait donc dire que la tension, qui est mon avis un des moments les plus profond du Lacan terminal, pourrait s'noncer de la faon suivante : d'une part la vrit est suprme en tant qu'insue (il y a du rapport d'tre qui ne peut pas se savoir). Et dans ce cas, cest au vocabulaire de la vrit que s'arrime la discipline de l'insu. Mais dautre part, le propre de l'analyse c'est justement de constituer un savoir de la vrit, c'est--dire - il faut bien le dire - un savoir de l'insu. C'est invitable, et aprs tout cest freudien. Mais si le propre de l'analyse cest de constituer un savoir de l'insu comme savoir sur la vrit, c'est le savoir qui est crucial car il devient, en dernier ressort, ce quoi va sarrimer l'acte analytique. En fait, ce que nous essaierons de voir sur ce point ici dispos de faon trs abstraite, mais finalement je crois dans sa tension de faon assez limpide, et dont vous voyez qu'il vient, l, avec le mouvement anti-philosophique majeur qui est la destitution de la catgorie philosophique de vrit, nous tenterons de voir que la cl de cette tension, cette nigme, a chez Lacan un nom qui est le mathme. Mathme : nous essaierons de montrer que c'est le nom invent par Lacan de ce qui rend pensable simultanment et par une criture (c'est tout le point) qu'il y ait du rapport d'tre qui ne puisse pas se savoir d'un ct, et, de l'autre, qu'il y ait nanmoins un savoir sur la vrit, c'est--dire qu'il puisse y avoir un savoir sur linsu. En ce sens, chez Lacan avec beaucoup de rtroaction est anticipation, c'est le mathme qui, seul, donnera sens d'un nonc que je trouve formidable, et qu'on trouve aussi dans l'Allocution de clture du congrs de l'cole freudienne de Paris de 1970. Vous voyez que nous restons toujours dans ces dates-l, et qui est tel qu'il s'avre, le deuxime nonc qui si nous avions le comprendre nous aurions compris beaucoup de choses, et qui lui dits ceci : le savoir fait la vrit de notre discours . Ce qui, je tiens le souligner, n'est pas une sentence vidente eu gard tout ce que nous venons de dire, mais qui est de toute vidence aussi centrale par rapport la tension que je signalais un peu plus tardive. Le cheminement gnral d'tre celui-ci pour tenter de rendre compte de cette chicane extraordinaire entre savoir et vrit partir du Lacan des annes 70. Je l'ai dit tout l'heure, c'tait ma premire formule nigmatique, l'acte analytique en tant que passe du savoir (c'est le savoir qui fait la vrit de notre discours) a va tre quoi ? Pour comprendre l'acte analytique, je ne sais pas si au mois de juillet nous seront trs avancs En tout cas on peut dire que dans sa conception lacanienne, l'acte analytique est simultanment, d'un mme mouvement, chute d'un savoir suppos au sujet, savoir le savoir que l'analysant suppose l'analyste : il faut quil y ait chute de cette figure du sujet suppos savoir pour qu'il y ait l'acte dans l'acte mme. Tant quil y a maintenance ou consolidation du savoir suppos au sujet analyste, l'acte n'opre pas. Il faut donc qu'il y ait cette chute d'un savoir suppos au sujet et, en mme temps, il est assumption d'un savoir qui doit tre un savoir insupposable. Mais alors que veut dire un savoir insupposable ? et bien un savoir insupposable signifie un savoir transmissible et si possible transmissible intgralement, c'est--dire un savoir qui n'est justement plus captif de la singularit d'un sujet, qui n'est plus captif de sa position. Et sil y a acte, il va donc tre d'un mme mouvement destitution d'un savoir suppos au sujet et assomption dun savoir insupposable, c'est--dire transmissible, ce qui voque videmment le surgissement de quelque chose de fatal entre deux millnaires , de quelque chose entre deux, de quelque chose qui choit, de quelque chose qui est

insuppos au sujet, donc qui est affirmativement transmissible, ce qui ne rappelle quelque chose de la matrice de l'acte anti-philosophique en gnral o l'on constatait tout de mme que la vrit n'est qu'en clipse si l'acte est, si je puis dire, l'entre-deux du savoir suppos et du savoir insupposable. Donc : la vrit ne serait qu'en clipse de deux identifications du savoir. Bien sr, il faut qu'elle soit l. Que veut dire : qu'elle soit l ? Nous verrons. Mais le mode propre sur lequel elle est l, cest en dernier ressort, du point de l'acte, en clipse de deux identifications du savoir : le savoir suppos au sujet et le savoir insuppos et transmissible, c'est--dire, finalement, de deux identifications du savoir dont l'une est subjective, imaginaire compris, et dont - il faut bien le dire - que l'autre est impersonnel. Mais un savoir impersonnel, c'est un mathme ou a n'est rien. Ce qui, l, nous rappelle exemplairement le minuit de Mallarm : nous serions l dans le minuit de Mallarm, c'est--dire que quelque chose a eu lieu qui fait que quelle qu'en soit la part de hasard, l'ide impersonnelle et transmissible en surgi comme ide du hasard mme, c'est--dire comme savoir insupposable - effectivement. Donc : pour que la vrit soit mi-dite, il faut que le savoir soit minuit en ce sens la. Et cela va tramer toute une part de notre recherche de cette anne, savoir rendre raison des noncs lacaniens que j'ai cits avec quelques autres, et peut-tre comprendre, puisque nous sommes dans l'espacement entre midi et minuit, quelles connexions essentielles il y a entre la vrit comme midi(t) au sens de Lacan, et cet acte, somme toute mallarmen, donc cet acte de l'heure o l'on jette les ds, qui fait passer du savoir suppos au savoir insupposable. Voil pour la premire des deux ponctuations que je vous annonais. 2nde ponctuation : philosophie, mathmatique et psychanalyse La seconde est la suivante. Je vous ai assur ds le dbut sans garantie aucune que l'acte lacanien tait la fois anti-philosophique et archi-scientifique. Est-ce par anticipation encore ou peut-on prendre quelques appuis sur ces questions ? de mme que je vous donnais quelques appuis concernant la question de la destitution de la catgorie de vrit. Je pense qu'on peut comprendre cela surtout partir des annes 70 chez Lacan (mais nous ne nous intresserons gure qu ce Lacan-l), en situant chez lui la triangulation de la philosophie, de la psychanalyse, et de la mathmatique. Ce n'est pas dans le simple face--face de la philosophie et la psychanalyse qu'on peut traiter cette question en l'espace de pense qui est celui de Lacan postrieur 1970. C'tait dj un peu le cas avant, mais aprs 1970 cela devient parfaitement flagrant. Pour comprendre la dimension anti-philosophique de Lacan lui-mme, il faut comprendre cela dans une triangulation qui inclut les mathmatiques. Et c'est sur cette triangulation que je veux vous donner quelques ponctuations ou quelques repre. 1) 1er repre : le philosophe bouch aux mathmatique La premire je la tire de l'Etourdit o Lacan dit ceci : pour tre le langage le plus propre au discours scientifique, la mathmatique est la science sans conscience dont fait promesse notre bon Rabelais, celle laquelle un philosophe ne peut que rester bouch . Et alors, point trs important, aprs avoir identifi le philosophe comme celui qui ne peut que rester bouch la mathmatique, vient sous la plume de Lacan la note suivante sur le philosophe : le philosophe s'inscrit (au sens o on le dit d'une circonfrence) [il

est rond n'est-ce pas], dans le discours du matre [vous voyez bien : le philosophes c'est ce qu'il y a de rond dans le discours du matre, c'est--dire en fin de compte, le philosophe est ce qui tourne rond dans le discours du matre ou ce qui le fait tourner en rond]. Il y joue le rle du fou. [Ajoute-t-il. L on est content de. Vous savez que Lacan quand il tait jeune, avait inscrit sur le mur de la salle de garde : ne devient pas fou qui veut . Donc : si nous jouons le rle du fou, au moins on peut transcrire : ne devient pas philosophe qui veut, ce qui n'est dj pas mal]. a ne veut pas dire que ce qu'il dit soit sot [continue Lacan : c'est une concession louable !]. C'est mme plus qu'utilisable. Lisez Shakespeare. [Cela s'est pour le rle du fou]. a ne dit pas non plus, quon y prenne garde, qu'il sache ce qu'il dit. Le fou de cour a un rle : celui d'tre le tenantlieu de la vrit. Il le peut s'exprimer comme un langage tout comme l'inconscient. Quil en soit, lui, dans linconscience, est secondaire, ce qui importe est que le rle soit tenu . Le philosophe est donc celui qui tourne rond dans le discours du matre. Il y joue le rle du fou. C'est--dire le tenant-lieu de la vrit, absolument inconscient de ce qu'il dit et qui, par consquent, nest astreint qu' tenir ce rle. ainsi Hegel [conclut-il, ce qui nous intresse pour la triangulation que je vous annonais], de parler aussi juste du langage mathmatique que Bertrand Russell, nen loupe pas moins la commande : cest que Bertrand Russell est dans le discours de la science . Cette dernire remarque nous indique que Hegel dit sur la mathmatique des choses en substance identiques celles que dira Russell, et que cette identit reste quand mme sans effet : elle loupe la commande parce que prononce du point de la circonfrence inscrite dans le discours du matre. Ainsi Hegel n'en reste pas moins bouch la mathmatique. Retenons de ce texte quelques ponctuations. - Le philosophe comme fou du matre. Bien. Et ce quoi il prtend, c'est la science avec conscience, de sorte qu'il est conscutivement bouch aux mathmatiques, parce que les mathmatiques sont exemplairement la science sans conscience. Vous noterez, petite parenthse trs suggestive, la trs subtile diffrence avec Wittgenstein sur le rapport du philosophe aux mathmatiques. La thse de Wittgenstein qui s'est de plus en plus consolide, c'est que le philosophe s'illusionne sur les mathmatiques, c'est--dire, et ce n'est pas du tout la thse lacanienne, il croit trouver dans les mathmatiques une ressource absolument singulire, dont Wittgenstein va s'acharner montrer qu'elle ne s'y trouve pas. Le philosophe hypostasie la mathmatique ou en fait un paradigme, un paradigme platonicien, si vous voulez, comme celui d'une pense entirement dlie de l'exprience, autonome de l'anthropologie du langage et constituant par consquent un corps consistant de vrit. Le philosophes croie qu'il y a cela dans les mathmatiques, et donc les thrapeutiques sur ce point, c'est--dire le mode sur lequel lanti-philosophie intervient sur le rapport du philosophe aux mathmatiques (la triangulation existe bien), va tre de montrer que ce que le philosophe croie qu'il y a dans les mathmatiques ny est pas en ralit, savoir que la mathmatique est un langage comme un autre. Donc, pour Wittgenstein, le philosophe s'illusionne sur la mathmatique, et la thrapeutique consiste dissiper cette illusion. Pour Lacan, le philosophe et bouch aux mathmatiques, ce qui n'est pas le mme rapport. Par consquent la thrapeutique n'est pas de faire cesser l'illusion, c'est ventuellement de dboucher le philosophe. Relevons deux lments instinctifs de cette opposition, c'est que lanti-philosophie (c'est aussi absolument vrai depuis Pascal) intervient toujours sur le rapport de la philosophie aux mathmatiques. Sur le rapport de la philosophie la science, mais plus

singulirement sur le rapport de la philosophie la mathmatique, et lanti-philosophe montre toujours que, l, il y a quelque chose qui ne va pas. Simplement, pour Wittgenstein, a ne va pas du ct des mathmatiques, parce qu'il y en a une fausse image philosophique qu'il faut destituer. Tandis que, pour Lacan, a ne va pas vraiment du ct de la philosophie : c'est elle qui est bouche aux mathmatiques. - enfin, la dernire remarque qu'il faut faire sur ce passage, c'est que la philosophie est utilisable. Elle est mme plus qu'utilisable . Qu'est-ce que ce plus veut dire, je n'en sais rien. C'est non seulement utilisable mais, mais... mais quoi, un savoir ? bref, c'est plus qu'utilisable. Alors cette notion d'utilisable est tout fait importante. Cette notion d'utilisable tout fait cruciale, c'est ce que moi je traduis par traverse, c'est--dire que lanti-philosophie ne peut pas se passer de la philosophie, autrement dit non seulement cest plus qu'utilisable, mais heureusement car, en vrit, il faut absolument lutiliser. Et Lacan, on le sait, la utilise plus que quiconque. Cela est ce que je nomme l'oprateur de traverse, c'est--dire que l'acte anti-philosophique luimme a besoin de traverser la philosophie et de se livrer sur elle un certain nombre d'oprations : destitution de la catgorie de vrit, dbauchage par rapport aux mathmatiques pour Lacan, fin de l'illusion mathmatique pour Wittgenstein. Bref, lanti-philosophie a besoin par un certain nombre d'oprations de constituer le mode propre sur lequel elle traverse la philosophie. C'est impratif pour elle. Et cest ce que rcapitule, ici, le fait que la philosophie est assez ou plus qu'utilisable, donc qu'en vrit il faut l'utiliser. Voil pour le premier aperu que je voulais vous dire sur la triangulation. Si on veut vraiment comprendre les oprations de traverse de l'antiphilosophie sur la philosophie, il faut bien pointer en quoi consiste cet impratif pour l'incontournable. 2) 2nd repre : rel, mathme et mathmatisable La deuxime phrase, toujours dans l'Etourdit, sur laquelle je voudrais prendre appui, est un nonc d'une extrme importance, mais l aussi, nous verrons pourquoi plus tard. Je vous la donne tel quel parce qu'il faut mditer dessus : c'est en quoi les mathme dont se formule en impasses le mathmatisable, lui-mme dfinir comme ce qui de rel s'enseigne, sont de nature se coordonner cette absence prise au rel . Alors, l'absence prise au rel , c'est l'absence du rapport sexuel. Rel dans la priode lacanienne en question veut souvent dire qu'il n'y a pas de rapports sexuels . En tout cas, l, en tant qu'absence prise au rel, cest labsence de rapport sexuel, et plus singulirement son absence dans aucune mathmatisation, c'est--dire son absence dans l'inscription. Mais laissons de ct ce point, examinons simplement l'intelligibilit de la phrase, et contentons-nous de dire qu'il y a un rel dtermin par une absence et au regard duquel les mathme dont se formule le mathmatisable sont en impasse. Il y a le rel (en l'occurrence l'absence de rapports sexuels), il y a ce qui du rel s'enseigne (qui est le mathmatisable), il y a les mathmes (comme impasses du mathmatisable). Cela c'est clair : - le rel, peu importe ici sa spcification - le mathmatisable, c'est--dire ce qui du rel s'enseigne - les mathmes, qui sont ceux dont se formulent les impasses du mathmatisable. Je voudrais dire que c'est l, mon sens, que l'archi-scientifique se montre au lieu o l'acte de pense va apparatre comme ce qu'il faut bien appeler, formule abominable pour Lacan, un rel du rel. Avant de trop forcer, disons plus prcisment : un rel

inscriptible du rel enseign. Le mathme va tre au point d'impasse, mais ce point d'impasse, c'est le point de rel, donc le mathme va tre au point rel du mathmatisable, lequel a mathmatisable est ce qui du rel s'enseigne . Donc : nous sommes fonds dire : le mathme, c'est ce qui inscrit comme impasse le rel -de quoi ? - et bien de ce qui du rel s'enseigne. Contentons-nous pour l'instant de cette formule o j'avance expression rel du rel, dans laquelle, bien videmment, les 2 occurrences du rel ne sont pas dans la mme assignation. L aussi, je voudrais faire une brve confrontation avec Wittgenstein. Je rappelle que pour Wittgenstein, une vrit sur le monde (prenons monde ce qui vaut pour rel), cest ce qui du rel prend forme de propositions dans le sens est vrai. Et pour Wittgenstein, le sens du monde (non pas une vrit sur le monde ou dans le monde), le sens du monde, lui, cest ce qui du rel ne peut pas prendre forme de propositions. Ces choses-l sont trs proches, trs voisines, si on y rflchit bien. Chez Wittgenstein aussi, vous avez aussi au fond : - le mathmatisable, c'est--dire la proposition comme ce qui du rel peut s'inscrire, si je puis dire, en vrit, c'est--dire comme une proposition qui dit quelque chose de vrai sur le monde. - le sens du monde, savoir ce qui importe vraiment aux yeux de Wittgenstein, qui lui ne peut pas prendre forme de propositions, donc sera dit indicible. Et qui sera donc ce qui du rel ne pouvant pas se dire, ne peut pas s'inscrire ou s'crire, ce qu'il faut taire dit Wittgenstein. Et qui est proprement ce qui, chez Lacan, est le mathme. Chez Lacan dans ce qui est absent comme rel, il y a ce qui de ce rel s'enseigne, c'est--dire prend forme de propositions si on veut, le mathmatisable, savoir la science. Il y a la science : ce qui du rel s'enseigne. Et puis il y a ce qui, de ce qui s'enseigne de ce rel, est au rel de son impasse, ce que j'appelle le rel du rel. Et, en ce point, il n'y a pas proprement parler ce qui s'enseigne, il y a le mathme. Par consquent, structuralement, le mathme lacanien c'est exactement l'lment mystique de Wittgenstein, puisque Wittgenstein appelle lment mystique tout ce qui ne peut pas prendre forme de propositions et qui cependant est ce qui nous importe au suprme degr. Donc le mathme se situe exactement au point de l'lment mystique Wittgenstein, sauf qu'il y en a criture. Donc le mathme, c'est comme du silence crit, si on circule entre Lacan et Wittgenstein. Ce qui reconduit au mathme comme cl de toute cette affaire, cest ce que je vous annonais et qui sera la thse que je soutiendrai : le mathme qui est la cl de l'acte en tant qu'il est passe d'un savoir avre le nom de l'archi-scientifique. Vous voyez bien pourquoi cest archi-scientifique, parce que c'est au point d'impasse de la science, et non pas dans la science. Le mathme va tre le nom de l'archi-scientifique, c'est--dire ce qui est capable d'inscrire le rel de ce qui est dicible du rel. Ce n'est pas dire du rel, mais ce qui inscrit le rel de ce qui dit est dicible du rel si on prend dicible comme synonyme de ce qui s'enseigne . On peut dire des choses sur le rel, c'est la science. Et puis on peut, c'est le mathme, fixer en rel ce dicible ou cet enseignable du rel luimme. Redonnons la spcifications du mathme : le mathme comme nom de l'archiscientifique avre la capacit d'inscrire le rel de ce qui s'enseigne du rel. L, nous sommes au coeur de la question, parce que videmment l'acte antiphilosophique (quelle qu'en soit l'exigence ou la nature singulire) requiert toujours cette torsion, c'est--dire qu'on ait quelque chose comme, non pas un clivage du rel, ce qui serait trop topique, mais une double occurrence du rel qui ultimement se situe au point de l'acte, c'est--dire qui n'est pas distribuable, qui ne se classifie pas, qui n'est pas prdicative. Mais bien une double occurrence du rel qui est au point de l'acte comme torsion. Ici, la torsion s'opre entre le rel comme rel de la science et le rel de ce qui

de rel s'enseigne en tant que mathme. La double occurrence c'est la science et le mathme, c'est--dire trs prcisment dans le texte de Lacan le mathmatisable et le mathme, donc finalement la mathmatique et le mathme. Et le mathme est archiscientifique parce qu'il n'est pas mathmatique. S'il tait mathmatique, le mathme serait scientifique, mais prcisment nous venons de voir qu raison de la torsion il ne peut pas tre mathmatique, bien qu'il touche au rel de la mathmatique elle-mme, ce pourquoi il est archi-scientifique en ce sens. Reste videmment tablir (longue dmarches entreprendre) qu'il y a une espce de rciprocit entre acte et mathme, ce qui nous le verrons passe par la thse difficilement soutenable - mais que je soutiendrai quand mme - c'est que pour Lacan, le dsir de l'analyste c'est le mathme. Ce qui veut dire quen un certain sens, il faut aussi que le mathme vienne en position d'objet puisque c'est une loi gnrale que ne peut tre cause du dsir que quelque chose qui est dans la figure de l'objet. Si donc on soutient que le mathme est au point de l'acte, qu'en fin de compte le mathme est le nouveau nom trouv par Lacan sur ce qui cause le dsir de l'analyste, parce que l'acte analytique est un entre-deux savoir, il faudra ultimement tre conduit ceci que le mathme peut venir au point de l'objet. Ce qui est une hypothse au point o nous en sommes. Je terminerai en donnant notre point de dpart pour la prochaine fois, puisque vous voyez l que j'essayais d'anticiper au maximum pour vous donner un peu l'espace gnral dans lequel nous allons de mouvoir, avec je l'espre grande prcision. Nous allons repartir modestement et tranquillement de l'opration anti-philosophique proprement dite. Nous gagnerons les hauteurs irrespirables du mathme par tapes gradues. Nous partirons de 2 noncs. Le premier, que je vous ai donn, et qu'on peut rsumer simplement par : le philosophe est bouch aux mathmatiques . Et puis un autre texte, tout fait intressant et passionnant, que vous trouvez dans l'introduction dition allemande des Ecrits dans Scilicet n5, qui est un texte du 7 octobre 1073 (ne perdons pas compltement du la dynamique chronologie de tout cela), et que voici : pour mon ami Heidegger . Alors ami est entre guillemets. Vous imaginez un jour, quand on traitera compltement le dossier, peut-tre que Roudinesco l'a dj fait, je n'en sais rien, vous imaginez un peu la question insidieuse de quand datent ces guillemets. Etaient-ils dans le manuscrit, ou ont-ils t rajouts sur preuve ? Enfin bref, on lit ceci : pour mon ami Heidegger . Un peu plus haut, il disait : un allemand que je mhonore de connatre . Et il ajoute entre parenthses : (comme on sexprime pour dnoter davoir fait sa connaissance) . Enfin bref on lit ceci : Pour mon ami Heidegger voqu plus haut du respect que je lui porte, qu'il veuille bien s'arrter un instant, vu que jmets purement gratuitement puisque je sais bien qu'il ne saurait le faire, s'arrter, dis-je, sur cette ide que la mtaphysique na jamais rien t et ne saurait se prolonger qu s'occuper de boucher le trou de la politique. C'est son ressort . Donc l, et sous le patronage de l'ami Heidegger, est introduite une deuxime thse sur la philosophie corrlative de la thse selon laquelle le philosophe est bouch mathmatique, savoir la thse que lessence de la mtaphysique s'occupe de boucher le trou de la politique. Et Lacan propose Heidegger cette ide formidable, tout en prenant la prcaution de dire que Heidegger ne lutilisera d'aucune faon, peut-tre prcisment parce que Heidegger, pour s'occuper de boucher le trou de la politique il avait dj donn ! Mais ce texte est en vrit trs intressant. Plac en contraposition l'autre, il pose 2 questions :

- premire question : mtaphysique a-t-il ici un sens indpendant de philosophie ? Lacan ne dit pas que c'est la philosophie qui est occupe boucher le trou de la politique, mais c'est la mtaphysique. Lacan assume-t-il donc en ce point l'oprateur heideggerien de la mtaphysique ? premire question : faut-il faire une distinction entre pense philosophique en gnral, et mtaphysique, en lui donnant son sens quasi technique spcifi et institue par Heidegger ? - et une fois examin ce problme, en toute hypothse, quelle est la connexion, point anti-philosophique dcisif, entre tre bouch aux mathmatique et boucher le trou de la politique ? puisque ce sont ces deux oprations que Lacan convoque comme identification exemplaire de la philosophie par lanti-philosophie lacanienne. Est-ce que par exemple, c'est parce qu'on est bouch la mathmatique qu'on s'occupe boucher le trou de la politique ? Est-ce que c'est, au contraire, parce qu'on bouche le trou de la politique quon reste bouch aux mathmatiques ? Ou les deux choses n'ont-elles aucune connexion, ce qui ne serait pas intressant. Donc on prfrera les deux premires hypothses. Vous imaginez que cette question m'importe au plus haut. Parce que personnellement je pense 2 choses l-dessus : - que la philosophie est prcisment ce qui dbouche la mathmatique quant son statut dans la pense. Et je m'oppose absolument la thse lacanienne puisque Lacan nonce : ainsi Hegel de parler aussi juste du langage mathmatique Bertrand Russell, nen loupepas moins la commande : cest que Bertrand Russell est dans le discours de la science . Je pense exactement l'inverse, c'est--dire que s'il y a un lieu de pense qui est bouche lui-mme, c'est bien la mathmatique. Et que par consquent la mathmatique tant dans sa procdure de pense elle-mme active et cratrice - je reconnat pleinement la mathmatique comme une pense mais ayant prcisment un point de bouchon par rapport elle-mme, je soutiens contre Lacan que la philosophie tente en permanence, et depuis Platon, de la dboucher. Le philosophe n'est pas celui qui est bouch mathmatique, mais celui qui tente de les dboucher. - deuxime thse : corrlativement, je pense que l'autre tche permanente de la philosophie, c'est de rouvrir le trou de la politique, lequel est constamment bouch, mais pas du tout par elle. Donc : mtaphore de plombier pour mtaphore de plombier, vous voyez que les oprations de bouchons et de dbouchages sont situes de manires croises et contradictoires. Je voudrais vritablement y voir clair l-dedans. Donc disons que dans 15 jours, nous attaquerons en nous demandant quelle connexion y a-t-il, dans cette affaire anti-philosophique lacanienne, entre boucher et dboucher ? 2 COURSND

Je vous rappelle que la dernire fois nous tions parvenus au couplage de deux noncs de Lacan concernant la philosophie. Je rappelle en incise quaprs tout, cette anne, notre propos est d'identifier l'anti-philosophie de Lacan, tel est notre cadre gnral l'investigation. Et cette identification, nous voulons la montrer comme identification dun certain achvement, c'est--dire que quelque chose de l'anti-philosophie contemporaine la fois s'accomplit et se clt dans l'ultime dispositif lacanien. Voil pourquoi nous enracinons ce qui est dit, au dpart au moins, dans des noncs de Lacan sur la philosophie. Ces 2 noncs taient : - la mathmatique est la science laquelle un philosophe ne peut que rester bouch

- la mtaphysique n'a jamais rien t ne saurait se prolonger qu' s'occuper de boucher le trou de la politique Nous avions dit : voil la philosophie assigne - d'une part tre bouche aux mathmatiques - d'autre part occupe boucher le trou de la politique. a fait beaucoup de bouchons du point de vue de la philosophie et la note antiphilosophique est aprs tout dj prsente dans ces assertions. Ce qui est intressant, c'est que dans ces noncs, on convoque autre chose que la philosophie. La philosophie est, l, saisie dans un singulier rapport au moins deux autres choses : la mathmatique d'un ct, la politique de l'autre. Dans mon lexique cela signifie que Lacan convoque expressment 2 conditions de la philosophie : sa condition politique et sa condition mathmatique. Et au fond, il les fait si bien fonctionner comme conditions, on peut le dire, c'est--dire qu'il est trs important que le philosophe soit bouch aux mathmatiques dans l'identification mme de la philosophie. Et Lacan entreprendra de le montrer, sur l'exemple de Hegel, mais il pouvait le faire sur beaucoup d'autres exemples. Quand au fait que la mtaphysique bouche-trou de la politique, l'nonc que je vous ai cit montre que pour Lacan, c'est quasiment l'essence de mtaphysique. La mtaphysique n'a jamais rien t, et ne saurait se prolonger qu' s'occuper de boucher le trou de la politique. Ce qui, soit dit en passant, veut dire qu'il ny a la mtaphysique que pour autant qu'il y a ce trou, sinon le boucheur n'aurait rien boucher. Et alors pourquoi la politique est-elle un trou, cela c'est encore une autre paire de manches, mais nous y reviendrons. 1) la mtaphysique chez Lacan La question prliminaire que je voudrais aborder aujourd'hui est la suivante. Lacan, propos de ce qui bouche-trou de la politique, utilise l'expression : la mtaphysique. Il y a une inflexion par rapport la philosophie, c'est la mtaphysique qui est occupe boucher le trou de la politique. Petite incise : dans son intervention au colloque Lacan avec les philosophes, intitul de l'thique : propos d'Antigone, que Lacoue-Labarthe avait consacr l'Antigone de Sophocle, Lacoue-Labarthe incidemment dit de Lacan : n'a-t-il pas dit un jour que le trou de la mtaphysique, c'est la politique ? . Ce n'est pas exactement ce qua dit Lacan : que la politique tait le trou de la mtaphysique. Certes, cela arrange LacoueLabarthe de dire que Lacan a dit que la politique tait le trou de la mtaphysique, mais ce n'est pas exactement ce que Lacan a dit. Il a dit que la mtaphysique tait occupe boucher le trou de la politique, mais Lacan n'a pas dit que ce trou de la politique tait un trou de la mtaphysique. Et o est le trou finalement ? de quoi ce trou est-il le trou ? Qu'est-ce qui est trou ? On a plutt l'impression que la mtaphysique est le bouchon pour un trou de la politique, dont Lacan ne dit pas immdiatement de quoi il est le trou. En tout cas, il ne dit pas quil est le trou de la mtaphysique. Ceci nous met en alerte sur un point : qu'est-ce que Lacan peut bien entendre, ici, comme a, par mtaphysique ? D'autant que, comme je voulais indiquer la dernire fois, le texte o il y a cette phrase est dans une invocation par Lacan de son ami Heidegger. Donc : il semble bien que, l, la mtaphysique vienne en effet, comme catgorie de Heidegger. D'ailleurs c'est un conseil quil donne son ami Heidegger auquel il dit : vous feriez bien de penser que la mtaphysique est occupe boucher le trou de la politique , tout en sachant, dit-il, que Heidegger ne fera rien de ce conseil.

a) Lacan et Heidegger On peut imaginer que mtaphysique vient ici la place philosophie dans une consonance heideggerienne. Mais alors surgit la question suivante. Et c'est une question, en somme, trs simple, mais qui n'a pas t, mon sens, aborde de faon frontale. Cette question serait la suivante : Lacan est-il un accord implicite ou explicite avec le montage historial de Heidegger ? Ce qui veut dire : Lacan, d'une manire ou d'une autre, valide-t-il la catgorie et heideggerienne de mtaphysique, qui est chez Heidegger une catgorie de l'histoire de l'tre ? Bien entendu, si Lacan est interne la problmatique de Heidegger sur la mtaphysique, je ne dis pas avec Heidegger dans son ensemble, mais avec ce point que j'appelle le montage historial de Heidegger, c'est-dire avec la catgorie heideggerienne de la mtaphysique. Ou encore si Lacan se pense contemporain du thme de la fin de la mtaphysique, de sa clture, alors la question de son anti-philosophie peut changer de sens. C'est cela qui est important car, mon sens, c'est cette question-l qui est cruciale concernant le rapport de Lacan Heidegger. La question du rapport de Lacan a Heidegger recouvre deux formes courantes, mme si elles peuvent donner lieu des exposs plus ou moins sophistiqus : - la premire forme, qui est la forme abaisse, c'est de savoir si Lacan a bien fait de djeuner avec Heidegger, ou sil n'a pas t, l, un peu imprudent. Mon ami Heidegger, avec ou sans guillemets, a-t-il bien fait de l'inviter chez lui, sachant ce que nous savons, ce qu'il savait, ce que tout le monde savait depuis toujours concernant Heidegger et le national-socialisme ? - la deuxime forme s'nonce dans l'occurrence suivante : dans quels termes de Lacan peut-il tre appari ce que j'appellerai lanti-humanisme des Heidegger ? Antihumanisme au sens profond, c'est--dire au sens du saisissement par la parole. Naturellement on sait que Lacan a traduit une certaine poque le texte Logos, mais ce qui est intressant rappeler, c'est que ce texte logos tourne autour du Fragment 50 d'Hraclite : ce qui veut dire en substance : l'art est d'entendre, non moi, mais le logos do se dit en savoir le un de toute chose . Et effectivement dans la srie lacanienne de cette sentence d'Hraclite et du commentaire de Heidegger de ladite sentence, peut se reconnatre que j'appellerai la figure de l'anti-humanisme. Anti-humanisme, c'est--dire : ce n'est jamais moi qu'il faut entendre, mais quelque chose qui me transit, me saisit, dont la figure historiale me domine entirement, et qui prend, l, le nom de logos. Mais, ultimement, la question la plus essentielle concernant Lacan et Heidegger va au-del des citations explicites et des rfrences qui touchent, en effet, largement la question du logos, de dire, c'est--dire la question du mode propre sur lequel la pense se soutient de l'originalit d'un dire. Ce point est trs perceptible, mais au-del de lui il y a vritablement cette question : est-ce que Lacan est contemporain de l'nonc de la fin de la mtaphysique ? et par consquent, dune manire ou d'une autre, contemporain de la catgorie des mtaphysique elle-mme. Ou encore : y a-t-il chez Lacan directement ou indirectement une identification de la catgorie des mtaphysique comme une figure singulire et en premption confronte sa propre clture ? Et, de ce point de vue, y a-t-il une contemporanit entre entreprises lacaniennes et la thmatique heideggerienne de la fin de la mtaphysique ? Nouvelle incise : je dirais que cette question trouve tout son enjeu du point qui nous occupe si on l'articule une autre, que je n'ai pas l'intention de traiter immdiatement, et qui serait la suivante : Heidegger lui-mme est-il pas un anti-philosophe ? Dans ce cas la consonance de Lacan Heidegger nest-elle pas en dernier ressort la consonance antiphilosophique elle-mme ? nous en avons dj un peu parl l'anne dernire, il y a mon sens 2 trs grandes figures philosophiques propos desquelles se pose la question

de l'anti-philosophie : il y a Kant et il y a Heidegger, parce que dans les deux cas il semble qu'il y ait une prononciation d'achvement de tout le dispositif philosophie antrieur saisi dans son ambition de pense elle-mme. - pour Kant, c'est l'impossibilit critique de toute mtaphysique thorique, tablie dans la Dialectique transcendantale, donc limpossibilit de stabiliser en savoir les noncs thortiques ou les noncs traditionnels de la philosophie. - chez Heidegger c'est la mtaphysique comme figure de l'histoire de l'tre parvenue l'puisement de son essence. Il est vrai que Kant comme Heidegger dclarent en un certain sens il est impossible de philosopher puisque l'ensemble de la tradition philosophique a puis le rgime de ses pouvoirs. Chez Kant, parce qu'elle ne supporte pas l'preuve de la critique, pour Heidegger parce que son destin historial est de la figure de son achvement. On pourrait tablir, mais encore une fois il faut le faire minutieusement, cela serait une trs grande parenthse, mais on pourrait tablir que cependant, mon sens, ni dans un cas ni dans l'autre il ne s'agit anti-philosophie, au sens que je lui donne, et cela pour deux raisons dont je ne donne que la forme : - la premire raison est que l'espace d'apprhension de la philosophie demeure celui d'une prise en compte soit historiale, soit prcritique, mais d'une prise en compte. Et qu'on ne reconnat pas l'opration et la tonalit singulire de discrdit radical qui caractrise le geste anti-philosophique. La question philosophique demeure ce dont il faut partir, ft-ce pour la rsilier, pour en rsilier les pouvoirs. Mais il n'y a pas cette proposition d'un dpassement radical qui dsigne, en ralit d'un bout l'autre, la philosophie comme une pathologie. Or, ce n'est dj pas vrai de Kant, encore bien moins vrai pour Heidegger, car pour lui la mtaphysique c'est l'histoire de l'tre, et en tant qu'elle est l'histoire de l'tre, elle demeure une vection essentielle, et en un certain sens ncessaire, du mode propre sur lequel le destin de l'tre s'accomplit. Il y un lment destinal qui, videmment, ne peut pas se traiter dans la figure de l'absurdit ou du pathologique pur dans lequel linstalle, par contre, la figure archtypale de Nietzsche, ou la figure de la proposition dpourvue de sens de Wittgenstein. - la deuxime raison, j'en resterai l pour aujourd'hui sur ce point, concerne le fait qu'il n'y a pas proprement parler d'actes alternatifs. On nidentifie pas non plus un acte philosophique singulier qui la fois ruinerait la philosophie et serait l'avnement d'une autre disposition de la pense inoue, entirement inattendue. Il peut y avoir une promesse. C'est le cas chez Heidegger. Une promesse, mais la figure de la promesse doit tre absolument distingue de la figure de l'acte. Bien, laissons cela de ct. En fin de compte, et c'tait cela que je voulais dire, je ne soutiendrais pas que la connexion entre Lacan et Heidegger soit proprement parler fonde sur le geste anti-philosophique lui-mme. Il faut donc en revenir au point de dpart, c'est--dire : y a-t-il chez Lacan une identification saisissable de la mtaphysique ou de la philosophie comme figure historiale entre dans l'poque de son achvement ou de sa clture ? b) mtaphysique et dstre Pour commencer, je voudrais partir d'un passage de Radiophonie de 1970 (Scilicet n3). C'est tout fait le dbut de Radiophonie, et Lacan entreprend de dterminer les incidences de la lunguistique sur la thorie gnrale du symbolique, en rponse la 1 re question qui lui est pose : dans les Ecrits, vous affirmez que Freud anticipe, sans s'en rendre compte, les recherches de Saussure et celles du cercle de Prague. Pouvez-

vous vous expliquer sur ce point ? . Or, pour ce qui nous intresse, sa rponse contient 3 noncs essentiels. - Lacan voque les succs de la linguistique dans son ordre propre et il dit, premier nonc articuler de faon assez prcise : on pense tendre ce succs [de la linguistique] tout le rseau du symbolique en admettant de sens qu' ce que le rseau en rpondre, et de l'incidence dun effet, oui, d'un contenu, non . Ce premier temps nous dit : le sens est pensable comme effet du symbolique, luimme assignable la dtermination du symbolique comme rseau. Bien. Cet nonc met dj en scne la question du sens, et videmment, a nous alerte, puisque nous savons, et nous vrifierons avec peut-tre encore plus d'acuit, cette anne, que la question de l'anti-philosophie repose trs largement sur la question du couple sens / vrit. L il nous est dit que le sens est pensable comme effet du symbolique. Lacan continue : le signifi sera ou ne sera pas scientifiquement pensable selon que tiendra ou non un champ de signifiant qui, de son matriel mme, se distingue daucun champ physique par la science obtenue . - deuxime temps : nous savons que le sens est pensable comme effet du symbolique en rseau, et finalement du symbolique en rseau on passe au champ de signifiant, champ qui, s'il tient, c'est--dire s'il consiste, alors il rend le signifi pensable scientifiquement. Mais d'un autre ct, et c'est l que nous allons vers le mta-physique, ce champ de signifiant dans son matriel se distingue de tout champ physique. C'est un champ non physique, donc ne relevant pas de ce que la science obtient comme champ physique. Donc : le champ de signifiant nest pas physique et sa consistance - le fait qu'il tienne quoique non physique - fait lois pour que le signifi soit pensable scientifiquement. Nous voyons, l, entrer en scne la science. Le signifi sera scientifiquement pensable proportion de ce que ce champ de signifiant non physique (et Lacan prcise bien ce non physique, c'est--dire qui ne se laisse pas obtenir par les ressources de la science) aura consistance. Il faut bien entendre cela sous la forme suivante : il existe de la science (ne disons pas trop une science), ou en tout cas, il existe du scientifiquement pensable, dont la condition n'est pas physique au sens de la science justement. Il existe donc du scientifiquement pensable dont la condition, c'est--dire la consistance du champ de signifiant, nest pas physique au sens de la science. En tant quelle nest pas physique, elle est mtaphysique. - ce que Lacan va dire aussitt (il continue en effet) : ceci implique une exclusion mtaphysique, prendre comme fait de dstre. Aucune signification ne saura dsormais tenue pour aller de soi . Vous voyez l'occurrence, ici, de mtaphysique. La mtaphysique ici pense apparat comme dstre de la signification. Ce qui est exclu par cette opration mtaphysique, c'est que la signification puisse consister par elle-mme, c'est--dire qu'elle puisse consister dans son tre de signification. aucune signification ne sera dsormais tenue pour aller de soi : c'est bien une opration de dstre, parce que la signification ne peut tre pense - scientifiquement peut-tre ? - c'est--dire ne peut entrer dans le pensable sous la supposition qu'elle tiendrait cela de son tre. Il faut donc soustraire ltre la signi